Guerre étrangère et guerre civile en Algérie, 1954-1962 (1974)

mardi 12 juin 2007.
 
Une première version de ce texte a été présentée au colloque « Politique intérieure et politique extérieure », Paris, décembre 1974 (cf. Relations internationales, n° 4, décembre 1975), mais sa version définitive est parue dans le n° 14 de la même revue, été 1978, pp. 171-196.

Voici déjà plus de vingt ans commençait la guerre d’Algérie. Rétrospectivement, on ne peut guère lui dénier le caractère d’une guerre internationale, opposant les États français et algérien ; son aboutissement impose - cette interprétation, conforme à la thèse constante de la partie algérienne. Mais les gouvernements français d’alors ne pouvaient en même temps l’admettre et la combattre. De peur de reconnaître implicitement la vocation étatique de l’organisation ennemie, ils crurent bon de nier l’état de guerre jusqu’à la fin des « événements » : ni guerre étrangère, puisque la « rébellion » ne constituait pas encore un État souverain, ni guerre civile, car elle ne prétendait pas renverser le gouvernement central. Au contraire, dès le premier jour, le FLN avait déclaré la guerre et publié ses conditions de paix, qu’il finit par imposer. Ce fait révèle la clarté et la cohérence des vues qui avaient inspiré sa décision et guidé la réalisation de ses plans, en dépit de tous les obstacles, jusqu’au succès final. Le camp français n’a pas montré la même rigueur. Il n’a jamais su évaluer exactement son adversaire. Ainsi s’explique l’incohérence de ses réactions, et leur inefficacité.

Maintien de l’ordre ou guerre anti-subversive ?

Du début à la fin des « événements », deux conceptions principales inspirèrent simultanément les réactions des autorités françaises à l’action du FLN. Elles correspondaient à deux diagnostics initiaux sur la nature du mal : endogène ou inoculé de l’extérieur. Ils semblaient plus complémentaires que contradictoires, mais les traitements qui en furent déduits devaient se révéler difficilement compatibles à la longue.

Le maintien de l’ordre fut la première définition officielle des opérations engagées en réponse à l’offensive du 1er novembre 1954. La police joua un rôle prépondérant dans le démantèlement des réseaux organisés dans les villes. Des renforts de CRS furent aussitôt envoyés de France. Bien que la lutte contre les « bandes » fût déjà l’affaire de l’armée, il n’était question que d’opérations de police renforcées. Polices, gendarmerie et armées étaient qualifiées de « forces de l’ordre ». L’ordre n’ayant pu être rétabli en quelques mois, un vocable nouveau fit son apparition, celui de « Pacification ». La mission des forces de l’ordre est de rétablir la paix publique, durablement perturbée par l’action de forces mauvaises, comme celle des « gardiens de la paix » est d’assurer la tranquillité des honnêtes gens. Il n’est donc pas question de « guerre », car les « ennemis publics » tombent sous le coup de la loi et l’État ne peut s’abaisser à les considérer comme des adversaires [1]. C’est seulement longtemps après la fin des « événements » d’Algérie que leur caractère de guerre fut juridiquement reconnu par un arrêt du Conseil d’État.

Comment nommer ceux contre qui réagissent les forces de l’ordre ? Ce sont des « rebelles » rejetant l’autorité légitime. Des « hors-la-loi » ne pouvant invoquer la protection de lois qu’ils transgressent en permanence. Des « fellaghas », c’est-à-dire des coupeurs de routes, des bandits de grands chemins. Des « terroristes » qui vivent sur le dos de paisibles populations rançonnées et razziées sous la menace de l’égorgement, et détruisent systématiquement les témoignages de l’œuvre magnifique accomplie par la France en Algérie. Des criminels [2], des ennemis publics de tous les honnêtes gens vivant en Algérie, massacrés par eux sans distinction d’origine.

Pour défendre la société, la répression de leurs activités s’impose. Tous leurs actes tombent sous le coup d’une loi préexistante. Vols à main armée, incendies, assassinats [3], associations de malfaiteurs, rébellion contre l’autorité publique, atteinte à la sûreté de l’État... les chefs d’inculpation ne manquent pas. Mais il apparaît vite que la lenteur de la procédure de droit commun et les garanties qu’elle assure aux accusés paralysent une action répressive devant être rapide et exemplaire. Une organisation criminelle qui terrorise les témoins peut impunément narguer la justice, comme le prouve l’exemple de la Mafia. Obligés de choisir entre l’égorgement immédiat et un hypothétique châtiment à terme, les fellahs deviennent des « fellaghas ». Les forces de l’ordre protestent contre des règles juridiques inadaptées aux nécessités de la lutte contre un ennemi sans scrupule [4].

C’est pourquoi les autorités furent amenées à sortir de la légalité du temps de paix, en édictant des lois d’exception et en autorisant des formes de répression illégales. L’ « État d’urgence », voté le 1er avril 1955 pour six mois et reconduit ensuite, puis les « pouvoirs spéciaux » accordés le 17 mars 1956 et renouvelés jusqu’à la fin de la guerre, étendirent les pouvoirs des autorités en matière de perquisition, d’internement, et instituèrent des juridictions d’exception, notamment des tribunaux militaires. L’application de ces mesures ne suffisant pas à enrayer les progrès de la « rébellion », les autorités responsables furent amenées à cautionner des pratiques répressives extra-légales, improvisées sous la pression de la nécessité par certains membres des forces de l’ordre. Elles leur donnèrent ainsi un caractère normal et général [5]. Le gouverneur général Jacques Soustelle aurait déclaré dans une conférence militaire tenue à Biskra le 19 mai 1955 : « Toute liberté est donnée aux troupes contre les rebelles : tout rebelle pris les armes à la main doit être tué. » [6] Cette décision secrète semble bien confirmée par une déclaration publique du ministre de l’Intérieur Bourgès-Maunoury : « Tous les fellaghas pris les armes à la main seront châtiés sur-le-champ », déclara-t-il devant l’Assemblée algérienne le 26 mai 1955 [7]. Ainsi s’expliquait la formule stéréotypée des journaux français qui étonna Mouloud Feraoun : « Lorsque les forces de répression, dites forces de l’ordre, abattent un Kabyle, c’est toujours « un rebelle, les armes à la main », comme si un rebelle pouvait se rencontrer sans armes à la main... » [8] En réalité, dans l’esprit des responsables, le port d’armes établit le flagrant délit. L’exécution sommaire, sans procès, est l’application de la notion de « hors-la-loi ». Pour faire face à une menace grave, la société ne peut s’offrir le luxe d’armer son ennemi : qui bafoue la loi ne peut réclamer sa protection. Les cours prévôtales de l’Ancien Régime, et celles de Napoléon, combattaient le banditisme sans vaines formalités : « pris, pendu » était leur règle. Une telle rigueur, tombée en désuétude, est de nouveau justifiée par la nécessité. Tous les éléments sains de la population, bien loin de se sentir menacés, doivent se réjouir de ces mesures prises pour les protéger contre le terrorisme des rebelles. « Le simple devoir de toute autorité démocratique est de mettre fin aux meurtres, aux attentats, aux actes de pillage et de vandalisme. Personne n’a rien à craindre, sinon ceux qui se rendent coupables de ces crimes » [9], déclarait Jacques Soustelle pour défendre l’état d’urgence contre les critiques.

Mais l’état d’urgence et les pouvoirs spéciaux ne font pas que renforcer la répression. Ils mettent l’organisation et les moyens de l’armée au service de la population, dont les rebelles exploitent les sujets de mécontentement. Les autorités reconnaissent que l’œuvre de la France dans ses départements algériens, quoique glorieuse, est insuffisante, et qu’une grande partie de la population musulmane, isolée dans ses montagnes, ne connaît de l’Administration trop lointaine que ses contraintes, non ses bienfaits. Des tribus traditionnellement indociles à l’autorité supérieure quelle qu’elle soit perpétuent la vieille dissidence du « bled es siba » contre le « maghzen », aujourd’hui représenté par le gendarme français. Les hors-la-loi, frères de race et de religion, peuvent bénéficier de cette mentalité particulariste qui préfère la solidarité tribale aux impératifs de l’État et de la nation. La répression policière ne suffit donc pas. Il faut intégrer ces populations marginales dans la nation en faisant appel aux compétences de spécialistes. L’ethnologue Jacques Soustelle, témoin de la politique mexicaine d’intégration des tribus indiennes, n’a pas été sans raison choisi pour gouverner l’Algérie en crise. Lui-même fait appel aux officiers des Affaires indigènes, venus du protectorat marocain, pour pacifier les tribus dissidentes à la manière de Lyautey, par la persuasion plus que par la force. « En Algérie, l’armée avec ses médecins, ses techniciens et ses matériels du génie, devra, en collaboration intime avec les Pouvoirs civils, mener l’action pacificatrice qui est dans sa tradition en Afrique » [10], déclare le gouverneur général en avril 1955. Le général Parlange, vieux « marocain », est nommé adjoint au préfet de Constantine. Ainsi s’amorce le retour à l’administration militaire qui était la règle un siècle plus tôt, au temps des « bureaux arabes », que ressuscitent les SAS (Sections Administratives Spécialisées). L’action sociale positive des SAS donne à la population indigène des raisons de se battre sous le drapeau français, en « goums » ou en « harkas », contre les « rebelles » pillards et destructeurs. Et l’engagement des musulmans fidèles justifie la répression contre les hors-la-loi. « Les fanatiques aveuglés apprendront à leurs dépens que la France frappe d’autant plus fort qu’elle a conscience d’être plus juste », proclame en février 1956 le ministre résidant Robert Lacoste. La « pacification » associe de façon indissoluble le maintien de l’ordre et la suppression des prétextes du désordre.

En tout cas, la pacification n’est pas la guerre, déclarait avec conviction le gouverneur Soustelle : « Depuis près de dix mois, je n’ai jamais eu d’autre souci que le rétablissement de la paix. C’est vers ce but qu’ont tendu tous mes efforts et toutes mes pensées. Je ne puis permettre qu’on m’attribue implicitement ou non d’autres desseins. » [11] Il s’agit de la paix intérieure, dont la perturbation n’est pas forcément la guerre : « Un état d’insécurité sporadique et variable, des attentats individuels, des embuscades, des incendies, est-ce la guerre ? Sans doute, dira-t-on, c’est une question de définition. Mais, dans ce cas, le seul fait d’appeler « guerre » ce qui se produit en Algérie est déjà un geste et un choix. A une campagne destinée à affoler l’opinion et à déclencher une vague de défaitisme, le lancement de l’expression « guerre d’Algérie » apporte une contribution importante : cela d’autant plus que dans la même phrase on lie à cette « guerre » l’utilisation du contingent. On se garde bien de dire - ce qui est pourtant l’évidence - que les rappelés, disponibles et soldats du contingent, n’ont vu et ne voient l’ennemi que dans une très faible proportion, que leur mission de protection a pour but d’empêcher la guerre et non de la provoquer, et que plus il y aura de troupes en Algérie, moins une véritable guerre a de chances d’éclater. » [12]

Telle fut la vérité officielle jusqu’à la fin, bien que les « événements » aient pris dès 1956 toutes les proportions d’une guerre. Les « bandits » méprisés de 1954-1955 réussirent à s’organiser en armée de guérilla avec grades, uniformes, armement moderne, tout en substituant leur administration à l’autorité française dans les régions les plus reculées du pays. Cette situation de fait ne pouvait être totalement niée.

La guerre anti-subversive fut alors la définition que certains chefs militaires se donnèrent de leur mission. Cette définition nouvelle ne put effacer la précédente, elle ne fit que s’y ajouter. A vrai dire, elles coexistaient depuis le début des événements, mais l’aspect « subversion » de l’action rebelle était relégué à l’arrière-plan par l’aspect « banditisme », tant que subsistait l’espoir d’en venir à bout par des opérations de « pacification », dans un cadre purement intérieur. L’interprétation par la « subversion » servit à justifier l’échec de cette solution. Elle suggéra l’utilisation de nouvelles méthodes de lutte.

Dès novembre 1954, les autorités n’avaient pas manqué de dénoncer le soutien matériel et moral apporté de l’extérieur à la rébellion, et d’insinuer que les soi-disant libérateurs de l’Algérie n’étaient que les agents stipendiés d’un impérialisme étranger. La plupart des journaux français accusaient la Ligue arabe, le Comité de Libération du Maghreb, les fellaghas tunisiens et surtout le gouvernement égyptien de manipuler les rebelles algériens, entraînés, armés et financés par les services secrets du Caire, encouragés par sa radio « La Voix des Arabes ». Déjà ils réclamaient une réaction énergique, dont l’exécution tourna court en novembre 1956. Plus tard, la Tunisie, coupable d’accueillir en hôtes le FLN et son armée, fut la cible des mêmes attaques, mais les gouvernants français se laissèrent dissuader par les conséquences du bombardement de Sakiet Sidi Youssef. L’internationalisation du conflit, voulue par le FLN, infirmait la thèse française du maintien de l’ordre, affaire intérieure.

Les États devraient s’entendre pour résoudre au mieux leurs problèmes internes, au lieu d’exporter un désordre qu’ils ne toléreraient pas chez eux. Inspectant des chantiers dans la région de Médéa en septembre 1955, Jacques Soustelle demande : « Ceux qui nous accusent avec tant de haine en ont-ils fait autant pour leurs peuples ? » [13] Les journaux français commentent narquoisement la condamnation du terrorisme par les Oulémas d’El-Azhar. Il s’agit, remarque-t-on, du terrorisme organisé par les Frères musulmans contre le régime du colonel Nasser, trop occidental à leurs yeux. Ce qui n’empêche pas le même Nasser d’utiliser le fanatisme des Frères musulmans pour mettre l’Afrique française du Nord à feu et à sang. Il est vrai que derrière Nasser, et la Ligue arabe, certains commentateurs discernent la main des Anglo-Américains, toujours jaloux de leur allié français (comme ils l’ont prouvé pendant la Seconde Guerre mondiale) et assoiffés de pétrole. Dès 1955, et plus encore en 1958 au moment des « bons offices », les Anglo-Saxons excitent contre eux le nationalisme français par leur politique ambiguë. L’OTAN doit protéger les départements algériens contre toute agression, rappellent les dirigeants français, qui se croient trahis par leurs alliés. Le Centre culturel américain d’Alger est saccagé par les manifestants du 13 mai.

Mais c’est surtout l’ombre sinistre du nazisme qui se profilerait derrière les hommes du Caire. Le nationalisme arabe, en butte aux impérialismes anglais et français depuis 1918, a développé en réaction une forte tendance germanophile qui s’est manifestée en 1941 avec la révolte de Rachid Ali en Irak. Outre le principe : « L’ennemi de mon ennemi est mon ami », des affinités historiques expliquent cette attirance : nostalgie d’une grandeur impériale, division politique surmontée, voire lutte contre Israël, font de l’Allemagne un exemple pour le nationalisme arabe. Voilà qui n’est pas fait pour lui mériter la sympathie de Jacques Soustelle : « Je me souviens d’un temps où les intellectuels français se dressaient précisément contre le farouche obscurantisme hitlérien, qui est sans doute, de tous les mouvements contemporains, celui qui se rapproche le plus, par son exclusivisme et son mépris de la vie humaine, de l’absolutisme totalitaire du CRUA » [14] Des anciens de l’Afrika Korps entraîneraient les terroristes nord-africains. Le colonel Nasser, ennemi d’Israël, est officiellement comparé à Hitler par le président du Conseil Guy Mollet après la nationalisation du canal de Suez en 1956. En Algérie la France combat l’ennemi héréditaire. Et les anciens résistants, responsables de la politique française, peuvent proclamer fièrement, comme Jacques Soustelle : « Je n’ai pas changé » [15].

Pourtant une autre interprétation de l’action subversive en Algérie allait s’imposer soudainement avant la fin de 1956 [16]. Dans l’avion de Ben Bella et de ses compagnons furent trouvés les procès-verbaux du Congrès de la Soummam, qui ne recélaient aucune trace de « fanatisme musulman », mais appliquaient visiblement les principes d’organisation marxistes-léninistes. Peu après, l’expédition franco-britannique de Suez était arrêtée par un ultimatum de l’URSS, qui déjà fournissait en armes le colonel Nasser. Frustré de la rapide victoire qui lui était promise par ce coup à la tête, le peuple français se vit désigner comme responsable de tout le mal une grande puissance dont l’intervention simultanée en Hongrie montrait le cas qu’elle faisait de la liberté et de l’indépendance des nations. Au même moment, les anciens d’Indochine, après un temps de repos bien mérité, affluaient en nombre dans les secteurs et les états-majors. Le général Salan, vieil « Indochinois », prenait le commandement en chef. Les « Africains » perdirent la prépondérance, et la doctrine militaire élaborée d’après l’expérience indochinoise devint orthodoxie. Certains officiers s’obstinèrent à appeler leurs adversaires algériens les « Viets ».

Les colonels Lacheroy et Trinquier, entre autres, ont contribué à vulgariser la doctrine de la guerre subversive et anti-subversive. Pour eux, la subversion est bien une guerre, une guerre d’agression, la seule qui soit possible en notre époque de dissuasion atomique. La guerre subversive, ou révolutionnaire, s’empare d’un territoire et d’un peuple par substitution directe d’une autorité imposée à l’autorité légitime, sans intervention visible. « Au commencement, il n’y a rien », affirme le colonel Lacheroy. Mais l’étranger va fomenter une pseudo-guerre civile par l’intermédiaire d’agents originaires du pays visé. « La subversion agit par des moyens appropriés sur les esprits et sur les volontés pour les amener à agir contre toute logique, contre toute règle, contre toute loi ; elle les conditionne pour en disposer à son gré. » [17] Ces moyens d’action sont principalement la propagande et le terrorisme. La propagande attisera tous les mécontentements pour dresser le plus grand nombre de citoyens contre le pouvoir établi. Si la prise du pouvoir est possible sans coup férir, comme à Prague en 1948, tant mieux, sinon la violence entrera en action. L’organisation subversive sera dirigée de l’étranger. « Les cadres supérieurs responsables de la mise en place des organisations subversives puis dé la conduite de la guerre révolutionnaire seront généralement des étrangers ayant la nationalité de l’agresseur et à ses ordres directs. Mais les cadres moyens et subalternes, ceux qui feront effectivement la guerre, destinés à entrer directement en contact avec les populations, devront être recrutés dans le pays même à conquérir. » [18] L’arme essentielle de cette conquête sera le terrorisme. « Le terrorisme frappera l’appareil de l’État à la base. Fragile et pratiquement sans défense, il sera facile de le désorganiser et de le détruire. Le terrorisme ne frappera pas en aveugle, il sera sélectif. » [19] Après des attentats spectaculaires, « il cherchera systématiquement à paralyser la vie d’une région. Les petits cadres, tous les individus en mesure de faciliter l’exercice du pouvoir seront supprimés ou neutralisés » [20]. Enfin, « les habitants, dans la rue, à leur travail, chez eux, dans les transports en commun, partout et en tout temps devront craindre pour leur vie et avoir le sentiment que le pouvoir n’est plus en mesure d’assurer leur protection ». Ainsi la population « sera obligée de se soumettre à la volonté des terroristes, seuls capables de la ménager » [21]. Mais cette adhésion acquise par la terreur ne sera jamais définitive. La maintenir à tout prix sera encore la tâche du terrorisme. Si de telles méthodes réussissent à abattre le pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement d’ « hommes de paille » : « Pour jouir longtemps de leurs privilèges, ils devront se soumettre inconditionnellement à la volonté de leurs maîtres et faire de leur pays un satellite destiné à évoluer sur une orbite savamment calculée autour d’un État étranger. » [22] Cette hypothèse fut prise très au sérieux, et dans le quartier général du général Challe, successeur de Salan, une grande carte de l’Europe et de la Méditerranée indiquait par des flèches la manœuvre soviétique d’encerclement de l’OTAN, par le Sud. Les militaires français trouvèrent une confirmation de leurs craintes dans les statuts du FLN, votés par le CNRA de Tripoli en janvier 1960, et visiblement inspirés de ceux du Parti Communiste de l’URSS [23].

Mais ces méthodes n’étaient pas infaillibles, car l’expérience malheureuse de l’Indochine avait servi de leçon. Il était possible de retourner les procédés de la subversion contre ses promoteurs. La contre-subversion procéderait par le contre-terrorisme et la contre-propagande. Le contre-terrorisme est une action raisonnée qui vise à démanteler aussi vite que possible l’organisation terroriste. L’urgence, imposée par le devoir de sauver des vies menacées, justifie l’usage de procédés illégaux, répugnant aux consciences délicates : la torture en particulier. Mais sur ce point l’accord n’est pas unanime. Le traitement des terroristes n’est pas codifié par des règles universellement admises, et chaque officier suit son éthique et son tempérament. La torture est l’ultime recours en face d’un suspect obstiné : « S’il donne rapidement les renseignements demandés, l’interrogatoire sera rapidement terminé, sinon les interrogateurs lui arracheront son secret par tous les moyens » [24], reconnaît le colonel Trinquier. Cette violence peut et doit être limitée, assurent le général Massu et le colonel Argoud [25]. Mais le colonel Godard, refusant de « mettre le doigt dans l’engrenage de la cruauté », condamne absolument ces procédés, à son avis aussi inutiles qu’immoraux [26]. Le sort des coupables n’est pas mieux fixé. Leur châtiment, aussi rapide qu’exemplaire (exécution publique, exposition des cadavres), est exigé par Argoud et Massu, alors que Godard et Trinquier croient pouvoir détruire l’organisation subversive en épargnant ses agents.

Ces divergences sur le sort des terroristes capturés témoignent de la contradiction entre les deux conceptions de l’action « rebelle » : banditisme ou guerre. La première définition impose le châtiment de toutes les actions des « rebelles ». La seconde admet la neutralisation et le retournement des adversaires prisonniers. En 1958 sont créés des camps militaires d’internement (CMI) pour les prisonniers de guerre capturés en combat. Ils y sont soumis à une intense action psychologique visant à obtenir des engagements dans les « forces de l’ordre », car depuis les expériences coréenne et vietnamienne les prisonniers sont un des enjeux de la guerre. Si dès leur capture ils se montrent coopératifs, ils peuvent changer d’uniforme sur le champ de bataille et conduire leurs vainqueurs contre leurs anciens frères d’armes... En 1957, le retournement des prisonniers devient systématique. Les « ralliés » sont une calamité pour la population qui aide les « rebelles » [27]. Des ralliements tenus secrets permettent de tendre des pièges, puis d’intoxiquer les « rebelles » en leur faisant croire qu’ils sont environnés de traîtres [28]. En 1955, les tribunaux français condamnaient à mort pour « tentative de meurtre contre un groupe des forces armées », autrement dit, en langage militaire, pour embuscade. On mesure la transformation de l’attitude française en deux ans. Transformation qui n’exclut pas la persistance des anciennes pratiques : exécutions sommaires, « corvée de bois ». La justice civile et militaire continue d’exiger des châtiments. Combien de membres du FLN, à demi séduits par leurs conversations avec certains officiers français, ont retrouvé dans l’univers pénitentiaire le sens de leur combat ? L’ancienne et la nouvelle méthode étaient, dans leurs principes et dans leurs conséquences, incompatibles.

Elles n’avaient en commun que leur but : détruire l’organisation adverse, imposée par la terreur à une population présumée fidèle à l’autorité légitime. L’encadrement de cette population par l’armée et par les responsables civils des immeubles, îlots et quartiers, lui permettra de se défendre contre toute nouvelle infiltration subversive [29]. Il permettra aussi la diffusion des mots d’ordre et des thèmes de la contre-propagande. Celle-ci vise à mettre en échec la propagande qui prépare la voie à l’implantation de l’organisation ennemie, en dénonçant les procédés du FLN et en démontrant la vanité de son programme. Surtout, elle doit concurrencer les mots d’ordre de la « rébellion » en popularisant des slogans simples qui tracent une ligne d’avenir claire et nette : « La France reste », « Algérie française », « Intégration ». C’est la tâche du Cinquième Bureau, d’action psychologique. Certes, les mots ne suffisent pas, et l’action positive des SAS en faveur des populations déshéritées vaut mieux qu’un long discours. Mais il convient d’opposer aux mots magiques d’ « Algérie libre et indépendante » des formules concurrentes et différentes à la fois, et au drapeau vert et blanc frappé de l’étoile et du croissant rouges le glorieux emblème tricolore. Les esprits sont un champ de bataille qu’il faut conquérir.

Cette conception nouvelle de la guerre d’Algérie est grandiose. L’avenir de la nation et le sort du monde libre sont l’enjeu d’un affrontement quasi cosmique dont l’Algérie n’est qu’un théâtre d’opérations parmi d’autres, après l’Indochine, avant peut-être la France. La guerre d’Algérie proprement dite en est à la fois revalorisée et dévaluée, car elle n’est plus considérée en elle-même ni pour elle-même. Au temps du mépris succède le temps du mythe, deux attitudes aussi peu réalistes l’une que l’autre.

Enfin de Gaulle vint ! Insatisfait des deux conceptions concurrentes, il en inventa une troisième, qui ne put supplanter les deux précédentes et ne fit que s’y ajouter, aggravant ainsi l’incohérence des positions françaises. Le premier, il constata une guerre civile entre Algériens, mais il persista dans la négation de l’état de guerre entre la France et l’Algérie, qui ne constituait pas encore un État. Car si de Gaulle était dès 1958 résolu à former dans l’avenir un État algérien, il se refusait à le confier au FLN dont il ne reconnaissait pas le Gouvernement provisoire. Il dut à la fin se résigner à effectuer ce transfert de souveraineté, mais en prenant soin de sauvegarder les apparences, l’Exécutif provisoire servant d’intermédiaire. En bref, la décision était prise sur le statut futur de l’Algérie : l’indépendance, mais non sur le pouvoir interne, qui devait procéder du libre choix des citoyens algériens. Distinction capitale : la politique algérienne du général de Gaulle était fixée quant au cadre, non quant au contenu : « En particulier, comment savoir alors quels Algériens pourraient et voudraient s’y arrêter en fin de compte ? » [30] Le Général était seul à dissocier la question du statut de celle du pouvoir en Algérie, le FLN revendiquant à la fois l’indépendance et le gouvernement du pays, et les Français d’Algérie lui refusant la première pour mieux lui interdire le second. Pensée subtile qui ne pouvait rivaliser de simplicité avec les slogans contradictoires du FLN et du Cinquième Bureau. De Gaulle ne pouvait expliquer ses projets que progressivement, au risque de paraître évoluer ou avoir menti. Quand ils se précisèrent, il fut pris entre deux oppositions qui lui reprochèrent l’une de céder sur le statut, l’autre de ne pas céder sur le pouvoir. Ce qu’il finit par faire aussi, contrairement à ses principes.

La politique gaullienne s’est donc révélée par étapes. Le préalable de la paix en fut la première donnée sûre. Pour de Gaulle, l’indépendance ne s’arrache pas, elle s’octroie. « D’abord, c’est la France, celle de toujours, qui, seule, dans sa force, au nom de ses principes et suivant ses intérêts, l’accorderait aux Algériens. Pas question qu’elle y fût contrainte par des échecs militaires, ou déterminée par l’intervention des étrangers. Nous ferions donc sur le terrain l’effort voulu pour en être les maîtres. Nous ne tiendrions aucun compte d’aucune démarche d’aucune capitale, d’aucune offre de « bons offices », d’aucune menace de « révision déchirante » dans nos relations extérieures, d’aucune délibération des Nations Unies. » [31] Dans le discours du 4 juin 1958 à Alger, il n’est pas encore question d’indépendance, mais déjà de Gaulle « ouvre les portes de la réconciliation » à « ceux qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat [...] courageux, mais [...] cruel et fratricide ». Appel à la paix fraternelle repris à Constantine le 3 octobre, à Paris le 23 octobre : « Que vienne la paix des braves et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. » Des braves, c’est une définition officielle sans précédent pour les combattants du FLN, jadis criminels, naguère instruments de Moscou. Mais de Gaulle leur accorde le pardon, l’ « aman », la capitulation sans condition politique, non la victoire que poursuivent leurs chefs. Il veut une pacification interne qui réserve à la France le mérite de la générosité et la gloire de la victoire. Il espère pouvoir arrêter la guerre civile par son prestige, comme Bonaparte désarmant les Chouans en 1800. Le FLN refusant de capituler, le général Challe est chargé de le réduire à la raison. Espérant la leçon suffisante, de Gaulle renouvelle ses offres de paix, le 16 septembre 1959 et le 14 juin 1960, en les assortissant désormais de concessions politiques : l’autodétermination, puis l’Algérie algérienne. Ces concessions ne suffisent pas à désarmer le GPRA, que de Gaulle refuse de reconnaître comme « la représentation de l’Algérie tout entière. Tout se passerait donc comme s’ils étaient désignés d’avance, et désignés par moi-même, comme les gouvernants de l’Algérie. Encore exigent-ils, qu’avant le vote, je m’engage à ramener l’Armée dans la métropole. Dès lors, leur arrivée à Alger dans de pareilles conditions ferait de l’autodétermination une formalité dérisoire et, même s’ils ne le voulaient pas, jetterait le territoire dans un chaos épouvantable ! » [32]. De Gaulle concède au FLN la part du pouvoir que lui donneront des élections libres, mais rien de plus. Le désarmement du FLN- ALN est la condition de la liberté du vote. Quant à l’armée française, elle garantirait en toute neutralité la libre autodétermination des Algériens.

Le FLN refusant de participer à ce processus, de Gaulle menace, le 4 novembre 1960, de le mener à bien sans lui [33]. Le référendum du 8 janvier 1961 lui en donne le pouvoir : des institutions algériennes provisoires seront mises en place en attendant l’autodétermination. Mais l’autodétermination suppose la paix, et pas de paix possible sans le ralliement du FLN, ou son écrasement. De Gaulle a donc besoin du FLN, dont les journées de décembre 1960 et l’abstention des villes au référendum de janvier 1961 lui ont montré la popularité croissante. Pour renouer la négociation, de Gaulle dut accepter les conditions de l’adversaire sur le point capital de la paix préalable. Comme le reconnaît Bernard Tricot : « C’est un fait que nous avons fini par accepter ce que le FLN n’avait cessé de réclamer : le cessez-le-feu ne fut proclamé qu’à la fin de la seconde conférence d’Évian... Nous avons donc dû choisir le moindre mal, mais c’était encore un mal certain. » [34] Le FLN.- ALN restant armé, aucune autre tendance algérienne n’oserait lui contester une part du pouvoir, et l’Exécutif Provisoire ne pourrait entrer en fonction qu’avec la participation de ses représentants, pour assurer la transition. En droit, les accords d’Évian ne sont pas un traité international, mais seulement un programme commun pour l’Algérie présenté à la ratification du peuple algérien par le gouvernement français et par le parti du FLN. La souveraineté française sur l’Algérie est maintenue jusqu’au résultat du référendum d’autodétermination, proclamé le 3 juillet 1962. L’État algérien est créé par ce référendum, et l’Exécutif Provisoire est son gouvernement. En fait l’Algérie est livrée à l’anarchie jusqu’à la réunion de l’Assemblée Constituante désignée par le FLN en septembre. De Gaulle a voulu sauver les apparences tout en cédant sur les principes. Sa politique se réduisit à une procédure, privée de son contenu initial.

Pour que le plan gaullien réussît, il aurait fallu que le FLN s’y ralliât, ou qu’il éclatât, et « l’affaire Si Salah » sembla réaliser cette condition en juin 1960 [35]. Après l’échec de cette solution, de Gaulle ne pouvait plus résister au FLN qu’en lui opposant le contrepoids des forces résolues à le combattre. Mais il s’était aliéné les partisans de l’Algérie française en annonçant l’Algérie algérienne qui était censée lui rallier le FLN. Au dernier moment, Michel Debré et plusieurs ministres tentèrent d’entraîner le général Jouhaud à proclamer une république française d’Algérie, seul moyen de dégager la France en algérianisant le conflit [36]. Mais il était trop tard, et la confiance ne régnait plus. Les Français d’Algérie, et les officiers qui partageaient leur point de vue, prêtaient au général les pires intentions, faute de comprendre sa politique.

Il était en effet difficile de comprendre tant de paradoxes. La guerre d’Algérie est une guerre civile qui prépare les vaincus à l’indépendance. La France combat le FLN, non pour lui interdire le pouvoir, mais pour l’empêcher de l’accaparer de force. Les musulmans algériens sont Français à titre provisoire, ou plutôt ils le sont sans l’être vraiment et ils cesseront de l’être tout en le restant : « Ainsi, tenant pour une ruineuse utopie "l’Algérie française" telle qu’au début de mon gouvernement je l’entendais réclamer à grands cris, je comptais aboutir à ceci, qu’à l’exemple de la France, qui, à partir de la Gaule, n’avait pas cessé de rester en quelque façon romaine, l’Algérie de l’avenir, en vertu d’une certaine empreinte qu’elle a reçue et qu’elle voudrait garder, demeurerait, à maints égards, française. » [37] Position ambiguë, mais représentative des contradictions de l’opinion métropolitaine, qui s’y reconnut et l’approuva. C’était trop de subtilité pour les partisans de l’Algérie française, qui jugeaient nécessaire d’inculquer à la population algérienne des certitudes simples pour faire « basculer » la masse du côté français, et reprochaient à la nouvelle politique de faire le jeu du FLN, en rendant crédible sa victoire finale. Le fait est que la propagande du Cinquième Bureau, fondée sur l’équivalence entre l’intégration et la politique gaullienne, fut démantelée par l’ouverture d’un fossé de plus en plus large entre les deux. En prêtant au Général l’intention de livrer le pays au FLN, quand il s’y refusait encore, les Français d’Algérie servirent la propagande du Front dans la masse musulmane. Quand enfin s’ouvrit la négociation décisive, les opposants militaires et civils s’unirent dans l’OAS. Cette organisation allait porter à son comble l’incohérence des positions françaises. D’une part, elle reprenait la double tâche de lutter contre le « banditisme » et la « subversion », qui était celle de l’armée avant que le gouvernement entreprît de s’entendre avec leurs organisateurs. D’autre part, elle attaquait ce gouvernement, illégitime à ses yeux pour cause de trahison. Dans cette guerre civile, elle ne visait d’abord que les forces policières et « parallèles » chargées de réprimer son action, et les partisans déclarés de la négociation, communistes et « libéraux ». Mais, à partir du 19 mars 1962, l’OAS commit la faute d’employer les armes de la « subversion » contre l’armée et les populations qu’elle prétendait détacher du pouvoir et défendre contre le FLN [38].

En réponse, le pouvoir applique la législation anti-subversive contre l’OAS. Les pratiques illégales, comme la torture qui n’avait pas disparu, sont également utilisées contre les « patriotes résistant à l’abandon ». Pour de Gaulle, et pour la majorité du peuple français en 1962, les « bandes criminelles » ne sont plus celles du FLN, interlocuteur valable, mais celles de l’OAS, dernier obstacle à la paix. Le pouvoir aurait eu besoin des forces représentées par l’OAS pour faire contrepoids aux exigences du FLN, mais ce dernier ne contestait pas la légitimité du gouvernement français en France, il ne lui disputait que le territoire algérien. L’OAS était desservie par sa contestation globale du régime. Elle aurait eu la possibilité de disputer le pouvoir au FLN en se limitant au cadre algérien. Mais en attaquant le pouvoir de Paris, l’OAS l’obligeait à l’écraser et à faire place nette pour l’installation du FLN à Alger après l’autodétermination. Le seul bénéficiaire de cette petite guerre civile entre Français fut donc le FLN L’aggravation constante de l’incohérence des positions françaises fut un facteur essentiel de la victoire du Front de Libération Nationale.

Guerre de libération et révolution

Au contraire, le FLN présenta dès le premier jour une doctrine claire et nette, qu’il faut étudier en la prenant au sérieux, mais sans renoncer à tout esprit critique. Il donna de son action deux définitions complémentaires mais non contradictoires : « La doctrine est claire : le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste. » [39]

La guerre de libération est la revanche des vaincus sur les vainqueurs de 1830. L’initiative du 1er novembre 1954 est déjà une revanche : quel Français aurait cru, après 1871, que les vaincus oseraient relever la tête, et surtout qu’une organisation nationale algérienne pourrait agir de façon simultanée sur tout le territoire ? Le but est la résurrection de l’État algérien internationalement reconnu jusqu’en 1830, et supprimé par la force inique d’un débiteur de mauvaise foi. La France ment en prétendant avoir tiré l’Algérie du néant : après avoir chassé le dey Hussein, elle a dû abattre ses deux successeurs possibles, Ahmed Bey et l’émir Abdelkader, qui ont résisté jusqu’en 1847-1848. De Gaulle ment en prétendant que la « République Algérienne » n’a jamais existé.

L’insurrection tend à « la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques » [40]. C’est pourquoi, avant toute négociation, le FLN exige : « La reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l’Algérie une terre française, en déni de l’histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des mœurs du peuple algérien. » [41] Ce « préalable de l’indépendance » fut maintenu jusqu’à la constitution du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), en septembre 1958 : l’État algérien, s’étant proclamé restauré, n’avait plus besoin de demander à la France l’autorisation de ressusciter. En janvier 1960, le Conseil National de la Révolution Algérienne, faisant office de Parlement, adopta les institutions provisoires de l’État algérien [42] en même temps que les statuts du FLN et de l’ALN. L’État algérien n’est pas créé par le référendum d’autodétermination : sa résurrection date virtuellement du 1er novembre 1954. Le FLN-ALN, ouvert à tous les Algériens, se confond avec la nation recréée par sa lutte.

Ainsi, son action est-elle située d’emblée sur le plan des relations internationales et interétatiques. La proclamation du FLN, si elle n’est pas adressée au gouvernement français, ne lui en est pas moins destinée. Elle contient une déclaration de guerre implicite, et des propositions de paix explicites : « Les liens entre la France et l’Algérie seront définis et feront l’objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l’égalité et du respect de chacun. » [43] Mais la réponse de la France est la répression : pas de négociation possible avec des criminels. Le FLN, quant à lui, ne pouvait tolérer que ses hommes ne soient pas traités comme des combattants. Il entendait « donner à l’insurrection un développement tel qu’il la rende conforme au droit international (personnalisation de l’armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale des zones libérées par l’A.L.N.) » [44]. C’est pourquoi des négociations furent entreprises avec la Croix-Rouge internationale au sujet du sort des prisonniers français ; en 1960, le GPRA adhéra aux Conventions de Genève. Mais le FLN avait déjà réagi directement à l’attitude française envers ses prisonniers. Les ratissages du Nord Constantinois, en juin 1955, semblent avoir décidé Zirout Youcef, chef de cette wilaya, à renoncer à l’observation des lois de la guerre : les attentats contre les civils français devinrent alors systématiques. L’exécution des deux premiers condamnés à mort, le 19 juin 1956 à Alger, fut suivie de représailles massives contre la population européenne, jugée collectivement responsable de la répression, et par l’exécution de deux prisonniers français d’après la loi du talion. À deux reprises, en 1958 et en 1960, le F.L.N. annonça l’exécution de soldats français prisonniers en réponse aux exécutions de patriotes algériens condamnés à mort. En d’autres circonstances, le FLN libérait des prisonniers pour montrer sa bonne volonté. En même temps, ses militants récusaient leurs juges français en proclamant que, soldats algériens obéissant à leur gouvernement, ils n’avaient de comptes à rendre qu’à lui : ce fut la « défense politique ». L’attitude du FLN était conforme à ses principes.

Le principal objectif extérieur de l’insurrection est donc « l’internationalisation du problème algérien » [45]. Mais il ne s’agit pas d’échanger une domination étrangère contre une autre, comme l’insinuent les Français. Il est bien question de réaliser « l’unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo-musulman » [46], et l’Appel de l’ALN invite à « unifier, confondre et intensifier notre lutte » dans le cadre maghrébin qui est une « réalité historique » et un « avenir commun ». Mais il faut comprendre que l’unité nord-africaine est d’abord un impératif de la lutte contre l’ennemi commun, l’impérialisme français, et que le déclenchement de la guerre en Algérie est une question d’honneur vis-à-vis des frères tunisiens et marocains : « Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. » [47] Cette fière émulation exclut la soumission aux voisins. Les chefs du FLN comptent sur « l’appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans » [48], mais n’entendent pas être leurs hommes de paille. Il faut comprendre que l’Algérie de 1830 se définissait comme une province du monde musulman, et que les nationalismes modernes qui s’y sont développés reposent sur trois notions concurrentes : la « Oumma », communauté des croyants, la « qawmia », communauté linguistique arabe, et le « watan », la patrie territoriale. L’expérience a montré que le « watan », base de l’État, était la réalité la plus solide, pour les Algériens comme pour les autres peuples arabo-musulmans.

Quant aux autres États, ils seront considérés suivant leurs mérites envers la cause algérienne, mais ne pourront prétendre à aucune hégémonie : « dans le cadre de la Charte des Nations Unies, affirmation de notre sympathie à l’égard de toutes les nations qui appuieraient notre action libératrice. » [49] Pour répondre à la propagande française, le Congrès de la Soummam déclare en août 1956 : « La Révolution algérienne... est un combat patriotique... Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington. Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence de nations captives. » Le F.L.N, a recherché toutes les aides possibles pour diminuer sa dépendance envers tel État particulier. Après la guerre, l’État algérien s’est montré particulièrement jaloux de son indépendance. L’internationalisation du problème algérien fut un moyen de rompre le tête-à-tête imposé par le vainqueur et de mobiliser les puissances extérieures pour corriger l’inégalité des forces, en recueillant des armes, de l’argent et des appuis diplomatiques.

Sur le plan interne, la résurrection de l’État algérien posait le problème des Français d’Algérie, attachés à leur nationalité autant qu’à leur pays. Dès le premier jour, le FLN leur proposa une solution qu’il estimait généreuse quoiqu’elle semblât dure aux intéressés : « Tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d’origine et seront de ce fait considérés comme étrangers vis-à-vis des lois en vigueur, ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs. » [50] En effet, la Proclamation garantissait « le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de religion ». Donc, pas de double nationalité, une nation unitaire soumise aux mêmes lois. Les Algériens croyaient faire une faveur aux Français d’Algérie en leur ouvrant l’accès à leur nationalité, comme ceux-ci se croyaient généreux en accordant le droit de citoyenneté aux indigènes qui abandonnaient leur statut coranique avant l’ordonnance du 7 mars 1944. Pour les intéressés, ce droit d’option évoque le mauvais souvenir de la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871. Mais ils ont tort de le mépriser. Il s’agit bien d’un privilège qui est refusé à leurs compatriotes musulmans.

En effet, les musulmans algériens, ou citoyens de statut local, soumis au droit coranique ou coutumier en matière de statut personnel, n’ont pas le droit de choisir leur nationalité. Ils sont citoyens algériens par naissance. Pour eux, la Proclamation du FLN et l’Appel de l’ALN sont une proclamation de loi martiale et un ordre de mobilisation générale. Le Français d’Algérie a le droit de choisir, de s’opposer à l’insurrection, d’y participer ou de rester neutre jusqu’au règlement final. Le musulman algérien n’a pas le choix, il doit obéir sous peine des pires châtiments, il n’a même pas le droit de s’abstenir : « Ton devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous les moyens », déclare l’Appel de l’ALN, qui précise plus loin : « En les servant, tu sers ta cause. Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l’action est une trahison. » Le « peuple algérien », destinataire de la Proclamation et de l’Appel, doit se soumettre inconditionnellement à ceux qui, parlant en son nom, ont décidé de le jeter dans la guerre sans l’avoir consulté.

La révolution se définit d’abord au niveau des moyens. Comme le « gouvernement révolutionnaire » dans la France de 1793, la révolution signifiait en Algérie le recours à la violence et le rejet du légalisme. Ce qui apparaît clairement dans les « objectifs intérieurs » du mouvement : « - 1. Assainissement politique par la remise du mouvement national révolutionnaire dans sa véritable voie par l’anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme, causes de notre régression actuelle. » « - 2. Rassemblement et organisation de toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial. » [51] Quant aux « moyens de lutte », le peu qui en est dit est éloquent : « - Conformément aux principes révolutionnaires [...], la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu’à la réalisation de notre but. » [52]

La méthode révolutionnaire s’oppose à l’illusion d’une émancipation pacifique, impossible dans le cadre truqué de la légalité coloniale. Mais, de ce fait, elle prive le mouvement insurrectionnel de toute légalité préétablie : le peuple, n’ayant pas été consulté, devra entériner après la victoire la décision prise en son nom. Il est « appelé à nous juger » a posteriori, mais dans l’immédiat il est sommé d’obéir. Ce procédé se justifie s’il est accepté sans opposition notable, mais on sait bien qu’il n’en a rien été. La violence n’a pas été dirigée seulement contre l’ennemi étranger, elle a frappé en plus grand nombre les opposants de l’intérieur. Cette guerre révolutionnaire peut-elle être qualifiée de guerre civile ? Le FLN a toujours nié la validité de cette expression : la lutte contre les traîtres n’est qu’une conséquence nécessaire de la guerre étrangère. Mais que dire quand les traîtres sont aussi nombreux que les patriotes ? Examinons contre qui la violence révolutionnaire a été dirigée, dans le cadre de l’Algérie.

Commençons par les Français d’Algérie, puisqu’ils sont reconnus comme Algériens au moins potentiels. La Proclamation leur réservait un traitement de faveur. Mais si la doctrine du FLN est restée identique jusqu’à la fin de la guerre, le comportement de l’ALN a rapidement évolué dans un sens défavorable. Il semble que les ordres donnés pour le 1er novembre 1954 ne visaient pas les civils français. Dans les premiers mois, les victimes sont assez rares pour qu’on y voie des accidents ou des initiatives locales, malgré leur grand retentissement. En effet, le IIe Congrès du MTLD avait décidé, en avril 1953, en même temps que la reconstitution de l’Organisation Spéciale (OS), embryon de l’ALN, un rapprochement avec les Français « libéraux », qui avait été suivi d’effets. Mais si les Français doivent être respectés en tant que tels, ils peuvent être frappés en tant qu’ennemis ou que « colonialistes ». Dès le mois de mars 1955, reconnaît le FLN, des fermes sont attaquées dans l’Aurès en représailles de la répression subie par la population aidant les insurgés. Dans la mesure où rares sont les Français qui approuvent l’insurrection ou restent dans l’attente, étant donné que la réaction « normale » est de résister à l’action « rebelle » pour sauver l’Algérie française, le pas est vite franchi de considérer comme « colonialistes » tous les Français en bloc, sauf exceptions individuelles [53]. Dès lors, l’ensemble des Français est considéré comme responsable de la répression réclamée à cor et à cri par leurs journaux. Les ratissages du Nord-Constantinois (juin 1955) sont suivis d’une vague d’attentats, puis de massacres généralisés le 20 août. Les efforts pour une « trêve civile », auxquels s’associe le FLN d’Alger, échouent en février 1956. L’opposition des Français d’Algérie venant bloquer les négociations, le FLN est de moins en moins porté à les ménager. En août 1956, le Congrès de la Soummam précise sa politique. Son attitude est à la fois tactique et de principe, mais sans illusions : « Ce serait une erreur impardonnable de nourrir l’illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale. L’objectif à atteindre, c’est l’isolement de l’ennemi colonialiste qui opprime le peuple algérien. Le FLN doit donc s’efforcer d’accentuer l’évolution de ce phénomène psychologique en neutralisant une fraction importante de la population européenne. » En provoquant la bataille d’Alger, le FLN fit tout le contraire de ce qu’il avait annoncé, et il obtint l’effet contraire de celui recherché. Tout s’est passé comme s’il avait voulu briser l’opposition de la population européenne. Mais son esprit de résistance en fut renforcé, et le général Massu devint l’idole des Français d’Algérie, plus hostiles que jamais à toute négociation. Les paroles généreuses du président Ferhat Abbas, prononcées en février 1960 après la semaine des barricades, ne purent longtemps rassurer une population soumise à un terrorisme en recrudescence de 1960 à 1962. Avant et après le référendum d’autodétermination, les Français d’Algérie quittèrent en masse leur pays natal, sans doute pour ne pas obéir à des « Arabes », mais d’abord pour sauver leur vie et celle de leurs proches [54]. Ils laissèrent tous leurs biens aux mains de leurs vainqueurs.

La révolution algérienne a toujours nié que son but ait été la dépossession de la minorité coloniale qui, en 1954, tenait le haut du pavé. Tel est pourtant le résultat le plus visible de sa victoire. « La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l’Algérie, mais entre, d’une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et, d’autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur conditionsociale. » [55]Maisils’agissaitmoins de communautés religieuses que de communautés ethniques et sociales à la fois. La population de l’Algérie de 1954 était divisée non seulement en classes, mais aussi et surtout en « castes ». La caste des Européens, à laquelle s’était plus ou moins intégrée celle des Israélites indigènes, était prépondérante non seulement parce qu’elle était en moyenne plus fortunée que la masse misérable des musulmans, mais surtout parce que tous ses membres, même les plus pauvres, jouissaient, par droit de naissance, d’une pleine citoyenneté. Au contraire, les musulmans, longtemps exclus de toute vie politique, n’avaient jamais reçu la pleine égalité des droits civiques avec leurs compatriotes immigrés. Quelques musulmans étaient plus riches que la majorité des Européens, cela ne changeait rien à leur infériorité de « caste », de même qu’en 1789 les riches roturiers du Tiers État enviaient les privilèges de l’aristocratie, pendant que la noblesse pauvre jalousait la fortune de ces parvenus sans blason. Ce rapprochement n’est pas arbitraire, car les musulmans algériens de culture française ont très tôt comparé la situation de l’Algérie coloniale à celle de la France avant 1789. D’où l’expression : « Révolution algérienne. » Les colons - et par là on entend soit les propriétaires terriens, soit l’ensemble de la population immigrée, en majorité urbaine - étaient assimilés à l’aristocratie, la France au roi, le peuple musulman au Tiers État, qui n’est rien et qui demande à être quelque chose [56]. Comparaison d’autant plus pertinente que la situation de l’Algérie coloniale réalisait exactement l’explication mythique de la Révolution française par la lutte des races, inventée par les théoriciens de la réaction nobiliaire. Le comte de Boulainvilliers expliquait l’existence de la noblesse par la conquête franque : « Les Gaulois devinrent sujets, les Français furent maîtres et seigneurs. Depuis la conquête, les Français originaires ont été les véritables nobles et les seuls capables de l’être. »

Comme l’écrivait en 1903 le juriste Larcher, ce schéma s’applique assez exactement à la situation de l’Algérie coloniale, divisée en communautés de statuts inégaux : « Une race victorieuse impose son joug à une race vaincue. Il y a donc des maîtres et des sujets, des privilégiés et des non-privilégiés. » [57] De même que la Révolution française supprima les privilèges de la noblesse et déposséda une bonne partie de ses membres - les émigrés -, de même et plus radicalement la Révolution algérienne provoqua l’exil et la dépossession de la masse de l’ « aristocratie » coloniale, riche ou pauvre, le petit nombre des restants perdant tout privilège en adoptant le droit commun algérien ou le statut d’étranger. Les biens de cette « aristocratie » passèrent entre les mains de l’État, de coopératives, ou de particuliers, plus ou moins fortunés, comme ceux qu’ils remplaçaient.

Incontestablement, la violence révolutionnaire a été dirigée contre les traîtres, c’est-à-dire les opposants actifs : « Contrecarrer l’action est une trahison. » [58] Le châtiment des traîtres est une nécessité pratique. L’avant-garde révolutionnaire du 1er novembre 1954 n’aurait pu échapper aux forces répressives si elle ne les avait privées de tout renseignement en supprimant systématiquement les dénonciateurs. Par son action, le traître se désigne comme ennemi. Il est visé comme tel. Mais son cas est encore plus grave que celui d’un ennemi. Une condamnation morale est portée sur lui. Nul n’a le droit d’aider l’ennemi étranger contre son propre peuple. Les musulmans sont particulièrement sensibles à cette exigence de l’honneur, et déjà l’émir Abdelkader châtiait impitoyablement tous les musulmans qui collaboraient avec les Français. La cruauté du châtiment est en quelque sorte proportionnelle à l’horreur du crime : l’égorgement est de règle, ou bien la pendaison. Un des premiers tracts du FLN d’Alger, intitulé « bilan de neuf mois de combat », proclame fièrement que « plus de cinq cents "traîtres" ont été abattus » et qu’ « une centaine porteront à jamais la marque de leur trahison » (il s’agit de mutilations faciales par ablation du nez ou des lèvres). La torture est aussi pratiquée sur les traîtres comme moyen d’enquête ou comme châtiment [59]. Pour que nul n’y voie un crime injustifié, l’exécution des traîtres est signée par un papier indiquant le motif de la condamnation. Les exécuteurs ont bonne conscience : ils accomplissent un devoir d’assainissement en purgeant la terre algérienne de misérables indignes d’appartenir à la nation libérée. Il est impossible de se mettre à la place des traîtres sans douter de son propre patriotisme. La rigueur envers les traîtres est donc une preuve de patriotisme. Mouloud Feraoun constate avec sévérité les effets de cette mentalité : « Tout le monde a choisi de narguer le Français, d’en faire un ennemi afin de ne pas mourir en traître. Mais on continue quand même de mourir en traîtres afin que les "purs" se donnent l’illusion d’être vraiment purs, afin que les lâches apprennent à s’aguerrir... » [60] Ainsi convient-il qu’il y ait des traîtres pour qu’on distingue les vrais patriotes. Si les traîtres n’existaient pas, il faudrait les inventer. Le tract du FLN interdisant aux Algériens toute participation aux élections législatives françaises du 2 janvier 1956 déclare : « Chaque patriote se fera un devoir d’abattre son traître. » Il s’en déduit que le nombre des traîtres doit égaler celui des patriotes. Situation de guerre civile inavouée.

La réalité de cette guerre civile ne fait aucun doute. Dès 1958, le nombre des musulmans armés par la France contre l’insurrection dépassa nettement les effectifs de celle-ci. Il s’éleva jusqu’à 150.000 en 1960. L’ALN a tué beaucoup plus de compatriotes égarés que d’ennemis étrangers. Après le 19 mars 1962, en dépit des accords d’Évian, une épuration implacable se déchaîna contre les anciens « harkis ». Les estimations du nombre des victimes varient entre 10.000 et 150.000 (ce dernier chiffre étant heureusement démenti par les résultats du recensement de 1966).

Il a donc existé un « parti français », ou du moins pro-français. Depuis 1830, la politique française tendait à le créer. Elle avait formé des élites intermédiaires entre la colonie européenne et la masse indigène, chargées d’encadrer celle-ci et de lui transmettre les impulsions de l’autorité : militaires, fonctionnaires, professions libérales, propriétaires et entrepreneurs... L’armée et l’école françaises avaient plus ou moins profondément acculturé ces élites à la nation dominante, qui leur réservait un statut privilégié au-dessus de leur peuple. Tant que la France gardait la capacité et la volonté de maintenir sa domination sur l’Algérie, elle pouvait compter sur leur collaboration, loyale ou intéressée. La révolution leur imposa un choix : rester fidèles à leurs maîtres, au risque de tout perdre à leur départ ; ou bien s’en désolidariser, avec une chance d’accéder au premier rang dans l’Algérie indépendante. Les comportements furent très variés. Une minorité de vrais « francisés » réagit en Français d’Algérie ; d’autres posèrent des conditions à leur fidélité : ils n’abandonneraient la France que si celle-ci les abandonnait. L’Exécutif provisoire facilita, en 1962, leur reconversion. Une troisième catégorie rejoignit plus ou moins tôt le FLN, dont les fondateurs, il est vrai, étaient issus des mêmes milieux [61].

Mais si le « parti français » ne réunissait qu’une partie des cadres de la société algérienne, il recrutait ses troupes dans la masse dominée, très faiblement exposée à l’influence française. La grande majorité des « traîtres », si nombreux, qui ont pris le parti de la France, ne se sentaient pas vraiment Français. Le colonel Schoen, bon connaisseur de l’Afrique du Nord, occupé depuis 1962 à secourir les anciens « harkis » réfugiés, énumérait par ordre d’importance décroissante les raisons de leur engagement :
-  La solde (revenu non négligeable dans un pays très pauvre) ;
-  Le désir de venger un parent tué par l’A.L.N. ;
-  En dernier lieu, le patriotisme français.

Ces malheureux, pour la plupart illettrés, sont perdus dans la « métropole » inconnue et paient quotidiennement l’erreur qu’ils ont commise en prenant le parti de l’étranger. Ils ont été victimes de leur ignorance politique, de leur misère et de leur désir de paix. Ils peuvent aussi justement incriminer la pression des autorités françaises qui, pendant sept ans, n’ont cessé de pousser la population algérienne à s’engager, militairement et politiquement, contre la révolution, avant d’abandonner ceux qu’elle avait compromis. Que l’on se place dans la perspective courte de la guerre ou dans la longue durée des cent trente-deux ans d’occupation, c’est bien la France qui a créé le « parti français » pour servir ses propres intérêts. S’il y eut guerre civile, elle ne fut cependant qu’un phénomène second, induit par la guerre étrangère.

Mais l’extrême rigueur de la discipline révolutionnaire a contribué à multiplier excessivement le nombre des traîtres, en suscitant des vengeurs. Et elle a renforcé les rangs du « parti français » en obligeant les neutres à choisir leur camp. Car les attentistes, les indifférents ou les lâches n’étaient pas mieux tolérés que les traîtres par le FLN : « Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l’action est une trahison. » [62] Refuser de participer à l’action revient à la contrecarrer. En effet, « c’est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et toutes les ressources nationales » [63]. Donc, pas de neutralité. Les mêmes sanctions menacent les traîtres et les réfractaires. En 1955, dans certaines régions, le FLN interdit de fumer, en signe de solidarité avec les combattants. Les contrevenants sont mutilés pour avoir défié l’autorité du Front en méprisant ses ordres. Les insurgés sanctionnent les refus d’obéissance pour imposer leur autorité. Comme on prouve le mouvement en marchant, ils démontrent la validité de leur loi martiale en l’appliquant à ceux qui la récusent ou qui ne la prennent pas au sérieux. Ce procédé est une conséquence de l’absence de consultation du peuple avant la décision d’entrer en guerre. Au 1er novembre 1954, le FLN-ALN est réduit à une avant-garde forte de moins de mille hommes, qui parlent au nom du peuple algérien et décident à sa place. Leur légitimité est « historique », non légale. Le peuple est appelé à les juger après la victoire, quand ils seront ses libérateurs, mais tant qu’elle ne sera pas acquise ils resteront ses juges. Car le peuple est, dans sa masse, très éloigné de l’idée d’insurrection. La proclamation du FLN reconnaît que « notre mouvement national » est « privé du soutien indispensable de l’opinion populaire » et, plus tard, le Congrès de la Soummam se félicite que l’action du FLN « a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur, de sa peur, de son scepticisme ». Il a fallu le pousser de gré ou de force dans la guerre, et le succès en Algérie de la pièce de Rouiched : « Hassan Terro », dont le personnage principal, enrôlé par force, devient malgré lui un héros national, peut s’expliquer par la représentativité de son caractère.

Il semble que des combattants de la première heure, voyant affluer les recrues plus ou moins contraintes, en aient conçu un mépris aristocratique pour cette piétaille. Plusieurs observateurs ont comparé les rapports des maquisards avec la population civile qui les soutient et les ravitaille à celle des seigneurs féodaux avec leurs paysans [64]. La difficulté d’expliquer aux plus déshérités ce que leur apporterait l’indépendance permet de comprendre à la fois leurs défaillances et la sévérité des maquisards. Le fait est que la majorité des Algériens a participé, avec une « docilité moutonnière », au référendum de 1958. Le souci prioritaire du plus grand nombre était naturellement de survivre, en ne mourant ni de faim ni de mort violente ; les résistants constants ne pouvaient être qu’une minorité. Voilà qui dément le slogan de l’été 1962 : « Un seul héros : le peuple. » Mais l’idéologie algérienne hésite constamment entre l’exaltation du peuple, source de toute légitimité, et l’affirmation du rôle nécessaire d’un parti d’avant-garde, qui le guide et l’éduque.

L’ « unanimitarisme » officiel cache difficilement que tous les Algériens sont loin d’avoir également profité de l’indépendance. La société algérienne, avant la Charte de 1977 au moins, n’était pas socialiste, a reconnu le président Boumédienne. Comme la Révolution française, la Révolution algérienne a supprimé les ordres et les castes, mais elle n’est pas encore venue à bout des classes. Bien pis, elle aurait, suivant plusieurs spécialistes, instauré une « nouvelle classe dirigeante ».

En principe, le pouvoir appartient au peuple, représenté par sa partie consciente : le FLN, défini comme l’ensemble de ceux qui ont « participé sans défaillance à la guerre de libération ». La réalité est moins simple. Certes, les « Anciens Moudjahidine » sont une catégorie favorisée. Grâce à l’action de leur Ministère, ils ont tous retrouvé un emploi, privilège non négligeable dans un pays frappé de chômage chronique. L’ALN avait recruté ses troupes les plus résolues parmi les déclassés, prolétaires et sous-prolétaires n’ayant rien à perdre et tout à gagner. Pour les survivants, la révolution a permis une ascension, voire une revanche sociale qui a pu inquiéter un moment les classes plus favorisées [65].

Mais ce sont les anciennes « élites intermédiaires » qui ont tiré le plus grand profit du départ des Français et de la création d’un appareil d’État. Elles étaient mieux placées pour la ruée sur les biens et sur les emplois, vacants ou nouveaux. Leurs compétences, leurs diplômes leur ouvraient l’accès à toutes les fonctions de l’administration et du secteur public. Et cela, même si elles n’avaient pas accompli leur devoir patriotique. Aucune épuration n’est venue entraver l’ascension des bénéficiaires honteux de la « promotion Lacoste » : l’Algérie avait un trop grand besoin de cadres. Cependant, le cumul des capacités avec les titres de militantisme reste la condition de l’accès aux cercles dirigeants proprement dits, ceux qui prennent les décisions politiques.

À l’intérieur du mouvement national, une sourde lutte avait opposé des personnes et des groupes pour la possession du pouvoir. Avant la fondation du FLN, le parti MTLD était divisé par les ambitions rivales de Messali et du Comité central [66]. Les fondateurs du FLN refusèrent de prendre parti, mais s’engagèrent à bannir de leur mouvement le culte de la personnalité et à diriger collégialement. Ce principe fondamental ne put empêcher de nombreux conflits internes, tels que le désaccord entre l’intérieur et l’extérieur au sujet de la validité du Congrès de la Soummam, l’assassinat d’Abane par l’un de ses pairs, le complot des colonels et l’opposition entre l’État-Major général de l’ALN et le GPRA qui devait aboutir à l’éclatement du FLN pendant l’été de 1962. Tous ces conflits, soigneusement cachés, énergiquement niés tant que l’indépendance n’était pas acquise, apparurent au grand jour et conduisirent l’Algérie nouvelle au bord de la guerre civile. Le mérite des chefs du FLN est d’avoir su faire passer la cause nationale avant leurs désaccords pendant sept ans, alors que Messali, en fondant le MNA, et en l’engageant dans la lutte contre le FLN bien plus que contre la France, trahissait la révolution, en sacrifiant la cause nationale à son ambition personnelle [67]. Ces rivalités opposaient des personnes et des coalitions d’intérêts plus que des principes, encore que l’unanimité du CNRA de Tripoli sur un programme socialiste ait été plus apparente que réelle. Les hommes du GPRA défendaient leur pouvoir et, pour certains, la légalité révolutionnaire. Les hommes du Bureau politique voulaient soit chasser les premiers, accusés d’abus de pouvoir, soit les remplacer. Une troisième force, neutraliste, défendait l’unité nationale et la paix civile. Le peuple d’Alger se prononça dans ce sens, en manifestant au cri de : « Sept ans, c’est assez ! ».

Français musulmans ou Algériens ?

C’est au « peuple algérien » qu’il appartiendra de « juger » les insurgés « d’une façon générale » [68], c’est à lui que de Gaulle entend donner la parole, « dans l’apaisement ». En attendant, les deux camps parlent en son nom et le somment d’obéir. Les musulmans algériens sont l’objet de revendications unilatérales, aucun des deux ne leur ayant demandé ce qu’ils voulaient être. Français en vertu de l’ordonnance de 1834, du sénatus-consulte de 1865, citoyens français d’après les constitutions de 1946 et de 1958. Algériens par la Proclamation et l’Appel du 1er novembre 1954. Les adversaires attendent de chacun, simultanément, qu’il fasse son devoir de bon Français et son devoir de bon Algérien. Il ne peut accomplir l’un sans trahir l’autre et doit choisir entre deux risques : celui d’être puni comme mauvais Français ou celui d’expier comme mauvais Algérien. « C’est là que réside le drame des gens de ce pays. Deux clans se battent à mort et sollicitent tour à tour la complicité des Algériens... Que le fautif attende le secours de l’un des siens, c’est normal. Mais secourir, n’est-ce pas demander à quelqu’un du clan adverse d’être lui-même votre complice, donc de fermer les yeux, en somme de trahir les siens ? Ou bien alors implorer sa grandeur d’âme, son bon cœur, tandis qu’on n’a pas hésité à lui faire du mal ? Le problème n’a pas d’autres données, et tel qu’il se pose il n’est pas facile à résoudre. Il se résoudra, peut-être, lorsque chacun d’entre nous aura pris franchement sa décision : vivre Français ou mourir Arabe ; avec, dans le premier cas, le risque de mourir en traître et, dans le second, quelques chances de survivre et d’accéder à ce paradis de Mahomet où nous ont devancés nos heureux voisins. » [69]

On comprend les hésitations, les compromis et les compromissions, les retournements répétés dans les deux sens. Être Français le jour et Algérien la nuit suppose des nerfs d’acier. Les Algériens semblent avoir fêté deux fois la victoire, celle de la France en 1958, celle du FLN en 1962, avec la même joie manifeste. Peu nombreux sont ceux qui ont pris un parti dès le début et lui sont restés imperturbablement fidèles jusqu’à la fin. Car les deux options étaient également justifiées par des arguments puissants. Le FLN avait pour lui les principes ; la France, la nécessité. La religion musulmane considère depuis l’Hégire que les croyants doivent vivre sur cette terre en une communauté séparée des infidèles, gouvernée par les lois coraniques. La solidarité avec le monde musulman, le refus de se mélanger aux Français, chrétiens, israélites ou indifférents, sont les conséquences politiques nécessaires de cette conception. Elle justifie le refus de l’Algérie française et la revendication de l’indépendance. Or, tous les Algériens, même les indifférents, ont conscience d’appartenir à la communauté islamique. Les combattants de l’ALN s’appellent « moudjahidine » [70] à juste titre. Ils suivent l’exemple plus récent des ancêtres qui ont résisté, de 1830 à 1871, à la conquête française, et dont le souvenir n’est pas oublié. Par fidélité à leur passé, les Algériens se doivent de soutenir les « moudjahidine », qui sont leur armée.

Mais les nécessités du présent imposent des infractions à ces principes. Si les Algériens n’ont pas oublié la résistance de leurs aïeux, ils n’ont pas davantage oublié leur défaite. Aujourd’hui, avec les chars, les avions, les hélicoptères, la disproportion des forces est encore plus effrayante : « Ils sont tellement plus forts que nous ! » Peu de gens veulent mourir dans une guerre sans espoir de victoire. Ils ne sont pas plus nombreux ceux qui acceptent de mourir de faim pour la cause. Les maquisards vivent dans les régions les plus misérables de l’Algérie, en partie aux dépens des habitants, en partie grâce aux collectes réalisées dans les bourgs de colonisation et dans les villes. Quand la répression vient à bout des organisations urbaines, tout le poids des maquis retombe sur la population locale. Une armée d’origine populaire qui vit sur le dos du peuple ne peut garder sa popularité longtemps intacte, et l’intimidation devient nécessaire. Dans le même temps, les SAS proposent leurs secours et achètent la trahison des villageois. Le FLN tente de les concurrencer sur le terrain de l’action sociale, mais avec des moyens plus limités, qui proviennent toujours de la redistribution des ressources locales. Enfin, des raisons sentimentales attachent certains Algériens à certains Français, voire à la France. Les Algériens critiquent les Français d’Algérie, mais un tel est un bon patron et son employé ne veut pas lui faire de mal. Tel ancien combattant ne peut accepter de combattre ses anciens frères d’armes. Sentiments qu’ignoraient les compagnons d’Abdelkader, conséquence d’un siècle de cohabitation.

Ces facteurs contradictoires expliquent des engagements opposés et l’incertitude de la masse. Pourtant, l’une ou l’autre tendance a prévalu alternativement. Au départ, l’insurrection a surpris tout le monde, même les nationalistes, désespérés par l’impuissance de leurs partis et dégoûtés par les divisions du MTLD en particulier. Ceux qui étaient de cœur avec la poignée de rebelles n’osaient croire à leur succès. Quand le renforcement de la répression et l’afflux des renforts montra que le mouvement durait et progressait, l’opinion musulmane évolua dans un sens favorable. A la fin de 1955 et au début de 1956, l’Algérie indigène retrouve l’esprit de 1871. Des villages s’organisent spontanément, appellent les maquisards.

Une vague de patriotisme fait vibrer les cœurs, parcourant tout le pays. Le Congrès de la Soummam se félicite de ce retournement. Mais les dures nécessités de la guerre font retomber l’enthousiasme dès 1957. En 1958, les musulmans n’ont plus qu’un souhait : la paix à tout prix. Les manifestations de mai et juin, le référendum de septembre consacrent le grand reniement. Isolée dans ses montagnes, l’ALN lutte pour sa survie. Mais l’évolution de la politique française profite au FLN, qui apparaît comme seul capable d’apporter la paix. Les manifestants de décembre 1960 pressent de Gaulle de négocier avec lui. C’est « le second souffle de la révolution » [71], qui attire désormais la masse des Algériens, sauf ceux qui se sont trop engagés contre elle.

Quel qu’ait pu être le ou les choix des Algériens, il ne suffisait pas à engager leur destin. Ils ne pouvaient vivre en Algériens tant que la France le leur interdisait. Ils ne pouvaient choisir d’être Français si les Français ne les acceptaient pas comme concitoyens. Officiellement, c’était un fait accompli. Mais le langage spontané trahissait la version officielle. Pour les Français d’Algérie, les musulmans étaient des Arabes, pour ceux de France, des Algériens. Les partisans de l’Algérie française, avant mai 1958, déclaraient défendre la « coopération franco-musulmane », ce qui reconnaissait implicitement que les Français et les Musulmans étaient deux peuples distincts. En mai 1958, pendant les manifestations de fraternisation, il fut dit et répété que l’union était faite, qu’il n’y avait plus en Algérie que dix millions de Français. Les Français d’Algérie acceptaient les musulmans comme concitoyens dans le cadre français. Quatre ans plus tard, ils se refusèrent à eux-mêmes la concitoyenneté algérienne. Quant aux Français de France, n’ayant jamais sérieusement considéré les musulmans algériens comme des Français, ils furent logiques avec leurs arrière-pensées en leur accordant enfin la citoyenneté algérienne. On ne s’étonnera pas que le gouvernement français ait fini par s’entendre avec le FLN : ils étaient d’accord pour estimer que les « Français musulmans » étaient des Algériens, non des Français. On regrette que la partie française ait eu besoin de sept ans de guerre pour en prendre conscience.

C’est donc le FLN qui avait raison dès le premier jour : « Il est vrai, la lutte sera longue, mais l’issue est certaine. » [72] Certaine, parce que les Français ne croyaient pas vraiment en l’Algérie française, ce qui réduisait les grands mots officiels « de civilisation et d’émancipation » à un « couvert fallacieux et trompeur » [73]. Les analyses du FLN, parfois excessives dans les termes, sont donc les plus justes. La guerre d’Algérie est fondamentalement une guerre internationale, ou plutôt interétatique, puisque l’entrée en action du parti-État qu’était le FLN a précédé l’engagement du peuple algérien. De cette guerre étrangère dérivent plusieurs guerres civiles dont l’ensemble constitue la révolution algérienne, ou sa première phase.

Guy Pervillé

[1] Pourtant le ministre de l’Intérieur François Mitterrand déclarait, dès le 5 novembre 1954 : « On ne négocie pas avec les ennemis de la patrie ; la seule négociation, c’est la guerre. »

[2] Le journaliste Robert Barrat, ayant interviewé le chef « rebelle » Ouamrane, fut arrêté pour « non dénonciation de criminels », en septembre 1955.

[3] En 1955, on condamne à mort pour « tentative de meurtre sur un groupe de forces armées », c’est-à-dire pour embuscade. Cf. Combat, 8 et 19 juillet 1955.

[4] Cf. article du général Cherrière sur les huit premiers mois de l’insurrection, dans la Revue de Défense Nationale, 1956.

[5] La torture, sans être formellement autorisée, se répandit en Algérie puis en métropole. Cf. Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, Paris, Éditions de Minuit, 1972, 202 p.

[6] Cf. Yves Courrière, Le temps des léopards, Paris, Fayard, 1969, p. 113.

[7] Cf. Journal d’Alger, 27 mai 1955, p. 1.

[8] Mouloud Féraoun, Journal 1955-1962, Paris, Éditions du Seuil, p. 40.

[9] Combat, 2-3 avril 1955.

[10] Combat, 28 avril 1955.

[11] Combat, 8 novembre 1955.

[12] « Lettre d’un intellectuel à quelques autres à propos de l’Algérie », Combat, 26-27 novembre 1955.

[13] Combat, 16 septembre 1955.

[14] Jacques Soustelle, « Lettre d’un intellectuel... », op. cit., note 12 (CRUA : Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action, noyau du FLN).

[15] Ibidem.

[16] Elle existait depuis longtemps. Dès 1926, Albert Sarraut déclarait à Constantine : « Le communisme, voilà l’ennemi ! » Dès novembre 1954, L’Aurore accusait le PCF et le PCA. Ce dernier fut interdit en septembre 1955 pour complicité avec la rébellion. En octobre 1956, L’Écho d’Alger annonça que le PCA prenait la relève de l’action terroriste du FLN en perte de vitesse.

[17] Roger Trinquier, Guerre, subversion, révolution, Paris, Robert Laffont, 1968, p. 35.

[18] Ibid., p. 32.

[19] Ibid., p. 49.

[20] Ibid., p. 50.

[21] Ibid.

[22] Ibid., p. 129.

[23] Reproduits dans Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d’Algérie, Paris, Éditions France-Empire 1972, pp. 605-610.

[24] Trinquier, op. cit., p. 156.

[25] Jacques Massu, La vraie bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971, pp. 163-176 ; Antoine Argoud, La décadence, l’imposture et la tragédie, Paris, Fayard, 1974, pp. 140-158. Le colonel Argoud, d’accord sur les principes du général Massu, accuse celui-ci de n’avoir pas su imposer de limites à la violence de ses hommes.

[26] Yves Godard, Les paras dans la ville, Paris, Fayard, 1972, pp. 238-239.

[27] Feraoun, op. cit., p. 226.

[28] Maladie imaginaire, la « bleuite » (ainsi nommée d’après l’uniforme des ralliés de la zone autonome d’Alger) provoqua une épuration sanglante des wilayas III et IV par leurs chefs.

[29] Cf. Trinquier, op, cit., pp. 163-185.

[30] Mémoires d’espoir, Paris, Plon, 1970,t. I, p. 49. Les témoignages confirment ce point. De Gaulle déclara en décembre 1958 au directeur de L’Écho d’Alger : « L’avenir de l’Algérie ? Au mieux, de l’Houphouet-Boigny ; au pire, du Sékou Touré. » Cf. Alain de Sérigny, L’abandon, Paris, Presses de la Cité, 1974, p. 331.

[31] Charles de Gaulle, op. cit., p. 50.

[32] Discours du 4 novembre 1960. Discours et messages, Plon, 1970, t. III, pp. 259-260.

[33] Raymond Tournoux, (La tragédie du général, Plon, 1967, p. 366) écrit que la référence à la République algérienne est « la promesse formelle de la reconnaissance de facto » du GPRA. Au contraire, il s’agit d’un défi : de Gaulle menace de créer un contre-GPRA. Ce contre-sens, fait par un bon connaisseur de la pensée gaullienne, donne une idée de l’incompréhension qu’elle a rencontrée.

[34] Bernard Tricot, Les sentiers de la paix, Plon, 1972, p. 231.

[35] Les chefs de la wilaya IV avaient rencontré de Gaulle à l’Élysée, le 11 juin 1960. Dans son discours du 14, il déclarait mystérieusement : « Je crois que jamais on ne fut plus prêt d’aboutir à une réelle solution. » Récit dans Tricot, op. cit., pp. 166-178.

[36] Raymond Tournoux, Jamais dit, Plon, 1971, pp. 224-255, et Edmond Jouhaud, Ce que je n’ai pas dit, Fayard, 1977, pp. 163-180.

[37] De Gaulle, op. cit., p. 51, note 30.

[38] L’instruction n° 9 du général Salan (datée du 23 février 1962) prévoyait une insurrection générale de la population française d’Algérie pour faire échec aux accords franco-FLN. Son application aboutit à l’ouverture du feu sur la foule musulmane (19 mars) et sur les soldats français du contingent (22 mars). Un plan « Pasodoble », signé du capitaine « André », ordonnait la création d’un « climat d’insécurité généralisée » en métropole par un terrorisme systématique. (O.A.S. parle, Julliard, 1964, pp. 169-176 et 225-226).

[39] Extraits de la « plate-forme » du Congrès de la Soummam, El Moudjahid, n° 4 (spécial), 1956.

[40] Proclamation du F.L.N., 1er novembre 1954.

[41] Ibidem.

[42] Tripier, op., cit., pp. 602-605.

[43] Ibidem, note 40.

[44] Ibidem, note 39.

[45] Ibidem, note 40.

[46] Ibid.

[47] Ibid.

[48] Ibid.

[49] Ibid.

[50] Ibid.

[51] Ibid.

[52] Ibid.

[53] Des Français cotisent au F.L.N., mais la plupart le font pour assurer la sécurité de leurs personnes et de leurs biens. Ses militants européens sont très rares.

[54] Entre le 19 mars et le 31 décembre 1962, 3.018 civils français ont été enlevés, dont 1.245 ont été libérés, d’après le ministre Jean de Broglie (cf. Le Monde, 26 décembre 1964, p. 3).

[55] Tripier,op.cit.,note40.

[56] Cf. Ferhat Abbas, La nuit coloniale, Julliard, 1962, p. 115.

[57] Émile Larcher, Traité élémentaire de législation algérienne, Paris, Rousseau, et Alger, Jourdan, 1903, vol. II (pp. 4-7).

[58] Appel de l’ALN, 1er novembre 1954.

[59] Mais en 1956 le congrès de la Soummam organisa des tribunaux, garantit une défense, interdit l’égorgement et les mutilations (point 10 de l’ordre du jour, cité par Massu, op. cit., p. 208).

[60] Feraoun, op. cit., p. 208.

[61] Les fondateurs du FLN appartenaient à des familles de petits notables. Mais ils n’avaient pas réussi à satisfaire leurs aspirations personnelles dans le cadre qui leur était imposé.

[62] Tripier, op. cit., note 57.

[63] Ibidem, note 40.

[64] Feraoun, op. cit., pp. 178 et 217. Abdelhamid Benzine, Journal de marche, Alger, Éditions nationales algériennes, p. 60, et Georges Buis, La grotte, Julliard, 1961, pp. 113-116 et 130-133.

[65] Feraoun, op. cit., pp. 91, 153, 222. Benzine, op. cit., p. 41-43.

[66] D’après Mohammed Harbi (Aux origines du FLN, Paris, Christian Bourgois, 1975, 316 p.), ce clivage exprimait en réalité deux bases sociales et deux orientations politiques différentes.

[67] La lutte entre le MNA et le FLN fut pour celui-ci un second front, qui ne bénéficiait qu’au camp français. Le massacre de Melouza (mai 1957) fut une conséquence de cette sanglante rivalité, qui sévit en Algérie et en France.

[68] Tripier, op. cit., note 40.

[69] Feraoun, op. cit., p. 263.

[70] Combattants de la guerre sainte (Djihad) ; cf. l’emploi du mot « croisade ».

[71] Titre d’un article dans El Moudjahid, 1er novembre 1961 (volume III de la réédition de Belgrade, pp. 612-616).

[72] Tripier, op. cit., note 40.

[73] Ibidem, note 57.



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