Les étudiants algériens en guerre, 1955-1962 (1977)

lundi 18 juin 2007.
 

Ces pages reprennent la troisième partie d’une étude intitulée Le sentiment national des étudiants algériens de culture française avant et pendant la guerre d’Algérie, mémoire de maîtrise, dactylographié, Université de Paris 1, 1971, 215 p. Elles ont été publiées dans Armées, guerre et politique en Afrique du Nord (XIXème-XXème siècle), Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, octobre 1977, pp. 53-74.

N. B. Toute affirmation donnée sans référence repose sur des témoignages oraux recueillis pour la plupart à Alger en décembre 1970.

La guerre d’indépendance algérienne fut une guerre d’un type nouveau, que les officiers français revenus d’Indochine qualifièrent de « révolutionnaire » [1]. Aux révoltes tribales, sans coordination ni organisation, succédèrent des actions planifiées, coordonnées à l’échelle nationale et maghrébine, voire internationale, et organisées pour durer jusqu’au succès final. Œuvre de militants plus que de militaires, cette lutte associa et subordonna l’action armée à l’action politique. Organisée par un petit groupe, elle entraîna, de gré ou de force, dans un camp ou dans l’autre, l’ensemble de la société algérienne. Elle eut pour théâtres tous les milieux géographiques et humains, en Algérie et dans tous les pays proches et lointains. Les étudiants musulmans algériens de l’Université française ont participé à cette guerre dans les cadres les plus divers. Leur rôle fut important, sans devoir être surestimé, ni davantage sous-estimé. On pourrait sans doute être surpris que des étudiants de culture française aient pris parti contre l’État auquel ils devaient leur instruction. Le fait est que le mouvement étudiant algérien, à l’origine partisan de l’assimilation, puis de l’intégration, est passé au nationalisme dès 1945 [2]. Certes, les organisateurs de l’insurrection du 1er novembre 1954 n’étaient pas des intellectuels complets, mais ils n’étaient pas non plus, dans l’ensemble, des illettrés : ils avaient reçu une instruction primaire et souvent secondaire en français. Ce fait contribue à expliquer le caractère moderne de leur entreprise. Le mouvement étudiant leur apporta un renfort dans tous les champs d’action.

L’ENGAGEMENT

Ce qui est vrai du mouvement étudiant algérien ne l’est pas de chaque étudiant pris individuellement. Devant les grands événements historiques, riches en dangers autant et plus qu’en promesses, il est deux attitudes possibles : se mettre à l’abri du courant, ou s’y lancer hardiment afin de participer coûte que coûte à l’élaboration de l’avenir. L’effectif des étudiants musulmans à l’Université d’Alger passe de 513 en 1953-54 à 589 en 1954-55, puis monte à 684 en 1955-56. Dans le même temps, leur nombre passe de 1.000 à 1.400 [3] en France, où de nombreux lycéens sont envoyés par leurs parents. Mais les étudiants politisés accueillent l’insurrection avec enthousiasme. Pour se rendre utiles, ils ont deux possibilités : rejoindre individuellement le FLN-ALN, ou rester dans le milieu estudiantin pour l’organiser, afin de le rallier en bloc à la révolution.

La fondation de l’UGEMA

Les associations d’étudiants nord-africains étaient le cadre traditionnel de la vie sociale et politique des étudiants musulmans algériens. Elles dépassaient leur cadre national, puisqu’elles rassemblaient les trois pays du Maghreb, mais aussi et paradoxalement elles ne le remplissaient pas, car dans chaque ville universitaire les étudiants musulmans formaient une association indépendante (ou une filiale de celle de Paris). La tentative de constituer une organisation maghrébine unifiée, rassemblant trois fédérations nationales autonomes, avait échoué en 1953, du fait de la création d’une Union Générale des Étudiants Tunisiens. Dès lors, la formation d’une union estudiantine algérienne était à l’ordre du jour. Les étudiants marxistes fondèrent en 1954 l’Union des Étudiants Algériens de Paris (UEAP).

Sur l’initiative de l’AEMAN [4] d’Alger, une conférence préparatoire réunit à Paris du 4 au 7 avril 1955 des délégués algériens de toutes les universités françaises. Ils décidèrent de constituer une Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens (UGEMA), en dépit de l’opposition des étudiants marxistes de Paris et de Toulouse qui refusaient le « M » [5]. Ce qualificatif avait une signification non pas confessionnelle mais nationale : « L’étudiant musulman algérien a été sevré de sa culture arabo-islamique, de sa langue maternelle qui est l’arabe. Il doit avant tout affirmer sa personnalité algérienne, revendiquer et défendre le patrimoine culturel légué par toute une civilisation arabe. » [6] La création de l’UGEMA n’était pas davantage une initiative corporatiste. « C’est l’éloquent témoignage d’une parfaite communion des étudiants avec leur peuple, peuple qui refuse résolument d’abdiquer sa personnalité, de renier son passé de haute civilisation et de trahir sa vocation historique, qui s’inscrivent dans un cadre fondamentalement arabo-islamique. » [7]

Le congrès constitutif de l’UGEMA siégea du 8 au 14 juillet 1955 à Paris. Le premier président, Ahmed Taleb, exposa dans un discours très applaudi les buts de la nouvelle organisation. Celle-ci refusait de dissocier ses revendications corporatives de l’ensemble du problème algérien, essentiellement politique. Tout en souhaitant servir de « trait d’union » entre la culture française et l’Algérie musulmane, elle se plaçait nettement dans le cadre du mouvement national algérien.

La politisation de l’UGEMA

La rapide aggravation de la guerre et l’éloignement des espoirs de paix devaient amener l’UGEMA à cesser d’être un « trait d’union » pour devenir une « unité de combat » subordonnée au FLN. Au début, elle prend parti contre la politique de répression tout en multipliant les appels à la raison du peuple français. Après les massacres du 20 août 1955, I’UGEMA s’incline devant toutes les victimes innocentes, dénonce avec indignation les méthodes répressives et réclame un renouvellement de la pensée politique française à l’égard du problème algérien. Après les élections législatives du 2 janvier 1956, elle lance un appel solennel aux représentants de la nation française pour que cesse l’effusion de sang en Algérie. Comme les associations antérieures, l’UGEMA proteste contre les arrestations d’étudiants et dénonce les tortures. Le 20 janvier 1956, elle ouvre une quinzaine de solidarité avec les étudiants emprisonnés et contre la répression en Algérie par une journée de grève des cours et de la faim. Journée marquée par de graves incidents à Tlemcen et surtout à Montpellier, où une contre-manifestation conduite par le président d’honneur de l’UNEF [8], Jean-Marc Mousseron, aboutit à des affrontements violents. À Alger est votée une motion réclamant « sur le plan estudiantin, la libération immédiate des étudiants emprisonnés, une enquête sur la mort de l’étudiant Zeddour et la punition des coupables ; sur le plan national, la cessation de la répression, la reconnaissance de la nation algérienne et du droit du peuple algérien à disposer de sa souveraineté, enfin, une négociation avec les représentants authentiques du peuple algérien » [9]

Les incidents se multiplient à mesure que l’UGEMA précise son engagement. Le 21 février 1956, l’exhibition d’un drapeau « fellagha » à la réunion anti-colonialiste de la Mutualité provoque un scandale. En même temps, Jean-Marc Mousseron justifie son action en accusant l’UGEMA de s’imposer aux étudiants algériens par l’intimidation. Ahmed Taleb répond :

« S’il existe une pression qui s’exerce sur les étudiants musulmans algériens, c’est celle de leur conscience qui leur dit de ne pas rester insensibles aux souffrances de leur peuple, de se solidariser avec ses aspirations et de participer à sa lutte. Enfin, et une fois pour toutes nous insistons sur ce fait que si par « rebelles » on entend des hommes qui revendiquent leur liberté (et ne la revendiquent par les armes que parce que toutes les portes leur ont été fermées), qui luttent pour leur dignité et leur droit à l’existence, tous les musulmans algériens (et les étudiants pas moins que leurs frères) sont des « rebelles. » [10]

Ainsi l’UGEMA conduit les étudiants vers le FLN. Son deuxième congrès réunit du 24 au 30 mars 1956 à Paris soixante délégués représentant, d’après Le Monde plus de mille étudiants musulmans algériens, soit environ 50 % de leur ensemble. Une motion décisive est adoptée à l’unanimité :

« - Considérant que le colonialisme, source de misère et d’analphabétisme, est la négation même de la dignité d’un peuple,
-  Considérant que la lutte du Peuple Algérien est juste, légitime, dans le sens de l’évolution historique des peuples et qu’elle ne saurait avoir d’autre aboutissement que l’accession du Peuple Algérien à sa souveraineté,
-  Considérant enfin que la politique de force, de guerre à outrance et de répression, sans ralentir le mouvement libérateur irréversible, risque simplement d’accumuler les victimes et de rendre impossible une entente souhaitable entre les Peuples Algérien et Français souverains, Le Congrès demande :
-  La proclamation de l’indépendance de l’Algérie,
-  La libération de tous les patriotes emprisonnés,
-  Des négociations avec le Front de Libération Nationale » [11].

L’UGEMA n’est plus qu’en second lieu une organisation syndicale. Le président du congrès, Khemisti, justifie dans son discours de clôture la primauté du politique : « Comment faire des études, quand on traîne aux pieds les chaînes de l’esclavage colonialiste ? Dépersonnalisés, déracinés, exilés de leur langue et de leur passé, les étudiants musulmans algériens revendiquent d’abord le droit d’être eux-mêmes, d’étudier leur langue, de retrouver leurs racines culturelles. Leur cause est en premier lieu celle de la liberté et de la souveraineté, qui commandent tout le reste. » [12] C’est pourquoi le congrès examine la formation d’infirmiers et d’infirmières pour les maquis parmi les étudiants en médecine et en pharmacie. Car toutes les commissions sont contrôlées par des militants de la Fédération de France du FLN. Ahmed Taleb, qui déjà en janvier accompagnait son chef Salah Louanchi à une entrevue avec Pierre Mendès-France, abandonne la présidence de l’UGEMA pour devenir l’un de ses collaborateurs. Mouloud Belaouane lui succède à la tête de l’Union.

La grève scolaire

À Alger en 1955 les relations de l’UGEMA avec l’Association Générale des Étudiants d’Alger étaient bonnes, parce que celle-ci était dirigée par un bureau de gauche. Mais à la suite de son intervention en faveur de quatre étudiants musulmans arrêtés, celui-ci fut renversé par un référendum en février 1956, à l’initiative du Comité d’Action Universitaire pour la défense de l’Algérie française, qui forma le nouveau bureau. Dès lors une guerre larvée sévit entre l’UGEMA et l’AGEA. Abderrahmane Battata évoqua cette atmosphère tendue à son procès :

« Nous avons vécu le 6 février de cette année-là, et nous avons vu comment les étudiants français d’Algérie décidèrent de massacrer M. Mandouze, professeur à l’Université d’Alger. Nous avons vu comment ils décidèrent de massacrer nos frères logés à la Cité Universitaire... Je côtoyais tous les jours des jeunes gens qui avaient été dans le temps nos camarades de lycée, avec lesquels j’avais fait sept années d’internat, et que je retrouvais sur le même banc que moi, mais qui n’hésitaient pas à sortir un 6,35 ou un 7,65 pour nous menacer. En 1956 nous avons connu une atmosphère intenable. » [13]

Paradoxalement, les mesures prises par le ministre résidant Robert Lacoste pour favoriser la promotion des « Français musulmans » dans la fonction publique mirent le feu aux poudres. Un décret qui favorisait les musulmans dans les concours et le recrutement fut dénoncé par l’AGEA et le CAU qui lancèrent le 3 mai 1956 un appel à la grève illimitée des cours. L’UGEMA, naturellement, ignore cet ordre mais précise que les réformes du ministre résidant ne peuvent être une solution valable du problème algérien. Le 8 mai, Robert Lacoste est conspué par des étudiants français et réagit vivement en expulsant le professeur Bousquet, fondateur du CAU. Intimidée, l’AGEA met fin à la grève le 11 mai ; elle rappelle sa demande réitérée de mobilisation générale, réclame la résiliation automatique de tous les sursis, et la formation d’un corps-franc universitaire. Le 17 mai, Associated Press annonce que les étudiants algériens inscrits à l’université arabe de Tunis ont reçu de Ben Bella et de Khider des messages leur proposant des postes de commissaires politiques dans leur organisation. Le 18 mai, sous prétexte de répondre à la motion de l’AGEA, les étudiants musulmans d’Alger se réunissent et votent un appel à la grève illimitée des cours et des examens et à l’engagement dans les rangs du FLN et de l’ALN. Un tract est ronéotypé et glissé sous les portes dans les résidences universitaires pendant la nuit. Tout le bureau de la section d’Alger de l’UGEMA disparaît dans la clandestinité. Le premier convoi de volontaires pour le maquis était parti quelques jours plus tôt [14]. Ce coup d’éclat avait été longuement prémédité. La motion de l’AGEA n’avait fourni que le prétexte.

S’il faut en croire la brochure Les étudiants algériens en lutte [15], « cette prise de position fut accueillie avec un grand enthousiasme par l’ensemble des étudiants algériens du Maroc, de Tunisie et de France, qui décidèrent spontanément de déclencher par solidarité une grève des cours et des examens ». La même source affirme que la motion d’Alger y fut votée à l’unanimité. En fait, le vote eut lieu à main levée, et le décompte ne put se faire par manque de temps. L’assemblée n’excédait pas 300 personnes. Le texte même de l’appel suggère qu’il fallait violenter une masse timorée en lui faisant peur, en la persuadant que la lâcheté ne protège pas mieux que le courage des coups aveugles de la répression, et en lui faisant honte de son égoïsme, de son indifférence aux souffrances du peuple. Le terme de « renégats » est jeté à la fin comme un coup de fouet, pour provoquer un sursaut de fierté.

La section d’Alger envoya des émissaires en France pour généraliser la grève, et le comité directeur lui dépêcha une mission d’information. Du 20 au 25 mai, un débat houleux agita toutes les sections, qui échangèrent des télégrammes pour ou contre la grève. Toutes la votèrent en définitive, sauf la section de Toulouse, quand le comité directeur eut fait connaître sa décision, en fait celle du FLN, car la direction de l’UGEMA était elle-même divisée sur l’opportunité de la grève. Convenait-il en effet de compromettre l’avenir de l’Algérie en interrompant la formation de ses cadres ? Mais il fallait d’abord arracher l’indépendance en renforçant l’encadrement du FLN-ALN. Pourtant le comité directeur de l’Union ne pouvait reprendre à son compte l’appel au maquis sans entrer dans l’illégalité comme la section d’Alger ; dans sa déclaration du 25 mai, il se contente d’expliquer en une longue exégèse la motion d’Alger et de l’approuver sans la faire entièrement sienne. Seule la grève illimitée est étendue à tous les étudiants musulmans algériens des universités de France, de Tunisie et du Maroc. Son annonce est l’occasion d’une campagne pour faire prévaloir l’idée d’une solution négociée du problème algérien. Des milliers de lettres sont adressées aux membres du gouvernement, aux parlementaires et aux personnalités politiques et religieuses, ainsi qu’aux recteurs, doyens et professeurs des universités de France. La déclaration du 25 mai est diffusée sous forme de tract :

« Enfin, cet acte revêt également la signification d’un ultime cri d’alarme à la conscience de chaque Français auquel nous ne saurions mieux indiquer à quel point la situation actuelle est grave en Algérie. Puisse cet acte inciter chacun à faire prévaloir, dans ce douloureux conflit la nécessité de la négociation et de la paix. » Le comité directeur précise que la décision des étudiants algériens ne doit pas être interprétée « comme une marque d’hostilité envers l’Université française et encore moins comme le reniement d’une culture à laquelle ils demeurent sincèrement attachés. » [16]

Ainsi l’UGEMA de France veut-elle franchir le Rubicon sans couper les ponts. Son ton mesuré offre un saisissant contraste avec la passion révolutionnaire de la section d’Alger.

Le FLN a ordonné la grève pour améliorer son encadrement et pour affirmer son autorité sur les étudiants comme sur le reste de la population algérienne [17]. Le Congrès de la Soummam, réuni dans le maquis en août 1956, a pris acte de leur ralliement et précisé leurs tâches : « Intellectuels et professions libérales : le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que la « francisation » n’a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes, individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine orientation politique [...] Le FLN devra assigner aux étudiants et étudiantes, d’une manière rationnelle, des tâches précises dans les domaines où ils peuvent rendre le mieux : politique, administratif, culturel, sanitaire, économique, etc. » [18] Mais ce témoignage de satisfaction est accompagné d’une réserve. Il faudra « entraîner dans la lutte libératrice les étudiants et étudiantes qui restent encore les bras croisés malgré l’appel historique lancé en mai 1956 par leur organisation nationale, l’UGEMA ». Celle-ci leur adresse en juillet un nouvel appel, en réponse à une décision de l’administration française [19] :

« Répondre à cet ordre de réquisition, ce serait te renier toi-même, ce serait accepter de combattre tes camarades étudiants et étudiantes, déjà très nombreux, qui au prix de leur vie défendent depuis plus de trois mois l’honneur du peuple algérien ; ce serait enfin choisir délibérément d’être traître à la patrie. C’est pourquoi il faut faire échec à cette nouvelle tentative de l’Administration colonialiste aveugle, qui veut coûte que coûte t’associer à ses crimes. Il faut faire le vide complet autour d’elle, et cela en rejoignant avant qu’il ne soit trop tard les rangs de l’ALN et du FLN où un devoir sacré t’attend. » [20]

Il est vrai que le maquis et les organisations clandestines ont tiré grand profit de la grève des études, mais ils n’ont pas absorbé tous les étudiants.

La plupart d’entre eux ont observé le mot d’ordre minimum, celui du comité directeur, sans obéir à l’héroïque appel d’Alger. Ils ont fait grève, soit par conviction, soit pour ne pas se singulariser, voire pour éviter les représailles. Ils ont dû travailler à plein temps pour vivre, gênés par la suppression des bourses et des avantages réservés aux étudiants, par leur exclusion des restaurants et des cités universitaires, par la résiliation des sursis militaires. Pour défendre leurs droits d’étudiants, la plupart d’entre eux prennent leur inscription annuelle pour 1956-57, quitte à boycotter ensuite les cours et les examens ou à demander une dispense d’assiduité. Un comité de soutien se constitue à Paris en décembre 1956 pour leur venir en aide. Parmi ses fondateurs, on remarque Abderrahmane Farès, ancien président de l’Assemblée algérienne, et d’autres anciens élus musulmans. De nombreux incidents opposent les étudiants partisans de l’Algérie française à l’UGEMA, dont les dirigeants reçoivent des menaces de l’AGEA [21]. L’UNEF ayant refusé de condamner la « pacification » de l’Algérie comme elle avait condamné l’intervention soviétique en Hongrie, l’UGEMA rompt toute relation avec elle le 10 décembre 1956 [22]. Le lendemain, son comité directeur confirme l’ordre de grève pour la nouvelle année universitaire, faute d’élément nouveau. Le nombre d’inscriptions est en baisse, sauf pour la France : de 1.400 en 1955-56 à 1.544 en 1956-57. À Alger, les effectifs s’effondrent de 684 avant la grève à 250 (ou 267) l’année suivante. Au total, ils passent de 2.080 à 1.811.

EN PREMIÈRE LIGNE

Ainsi la plupart des étudiants ont attendu la fin de la grève. Seule une minorité a brûlé ses vaisseaux pour s’intégrer à l’appareil permanent du FLN-ALN. Il faut également se garder de sous-estimer la participation estudiantine à la guerre de libération nationale avant la grève et de la surestimer après. L’appel d’Alger n’a entraîné que des convaincus ; il n’a pas suscité de vocations nouvelles, mais a provoqué le passage de l’intention à l’action chez les volontaires qui n’étaient pas encore engagés.

La clandestinité

Des étudiants ont joué un rôle important parmi les pionniers de la Fédération de France du FLN après avoir participé à la formation du CRUA, embryon du Front [23]. Certains étaient employés à des tâches d’explication dans le milieu ouvrier, abusé par le « Mouvement National Algérien » (MNA) fondé par Messali en dehors du FLN. D’autres détenaient de hautes fonctions appropriées à leurs compétences en matière de finances ou de propagande, tels Zerrouki et Madi. En 1956 la direction de la Fédération attache la plus grande importance au contrôle du milieu étudiant. Salah Louanchi, envoyé d’Alger en décembre 1955 pour négocier avec le gouvernement de Front Républicain, rencontre Pierre Mendès-France par l’intermédiaire et en compagnie du président de l’UGEMA, Ahmed Taleb. Il « noyaute » systématiquement l’Union en recrutant dans la Fédération ses principaux responsables. Ainsi peut-il dicter à l’UGEMA la grève du 20 janvier, la motion du IIe Congrès et la déclaration de grève illimitée, en dépit d’une très forte opposition. Les dirigeants de la Fédération sont partagés entre deux sentiments. D’une part ils apprécient la collaboration de militants d’une haute valeur intellectuelle et leur confient sans hésitation des responsabilités élevées en rapport avec leurs talents. En 1956 la Fédération de France doit, suivant la « Plate-forme » du Congrès de la Soummam, « éclairer l’opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles de journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants » [24]. Membre de sa direction depuis avril 1956, Ahmed Taleb est chargé d’écrire une « Lettre aux Français » et une « Lettre à un ami français » [25]. A la fin de l’année, il devient l’un des trois responsables fédéraux, chargé de la trésorerie. En janvier 1957, le nouvel envoyé d’Alger Mohammed Lebjaoui s’adresse encore aux milieux universitaires pour organiser un secrétariat permanent du comité fédéral, comprenant notamment Mohammed Harbi, ancien dirigeant de l’UEAP, et Redha Malek, président de l’AEMNA [26] et membre de la direction de l’UGEMA. D’autre part l’on constate une méfiance a priori des membres du Front, même étudiants, envers l’UGEMA en tant qu’organisation distincte et ouverte à tous. Salah Louanchi redoute l’opposition au FLN de messalistes, de communistes ou de centralistes, avant de réussir le « noyautage » de I’Union. Mohammed Lebjaoui arrive tout aussi méfiant :

« Restaient les étudiants, groupés déjà en association (UGEMA) mais où beaucoup d’éléments ne paraissaient pas avoir pleinement assimilé les principes de notre politique... Je réunis donc les responsables dans une chambre de la Cité Universitaire... Mon but était, d’une part, d’expliquer nettement la politique du FLN sur la base des décisions politico-militaires du Congrès de la Soummam ; d’autre part d’essayer de détecter quelques cadres susceptibles de renforcer l’organisation qui, sur ce plan, était très insuffisamment pourvue. » [27]

Après l’arrestation de Lebjaoui, Louanchi, Taleb, et de presque tout le comité fédéral à la fin de février 1957, après l’intérim assuré par Tayeb Boulharouf, la nouvelle direction envoyée de Tunis en juillet 1957 se montra plus méfiante envers les intellectuels. Pourtant un certain nombre d’étudiants étaient devenus, avant ou pendant la grève, de vrais militants permanents du Front, en sacrifiant leurs études. Quelques-uns des plus importants furent arrêtés à la fin de 1958 et maltraités par la police [28]. Mais les étudiants qui avaient repris les cours en octobre 1957 furent regroupés dans une Section Universitaire de la Fédération de France du FLN après la dissolution de l’UGEMA par les autorités françaises en janvier 1958. Cette organisation parallèle eut pour fonction essentielle de maintenir les étudiants dans l’obédience du Front en organisant les collectes d’argent, et d’empêcher leur dépolitisation en assurant leur formation idéologique et en les préparant à leurs tâches de futurs cadres de l’Algérie indépendante. L’activité proprement militante de la SU en dehors de son milieu était si faible [29] que ses quinze dirigeants arrêtés pour reconstitution de l’UGEMA furent jugés le 25 juillet 1959 avec une grande indulgence.

En Algérie, l’UGEMA fut très tôt en contact avec l’organisation du FLN. À partir de mars 1955 le bachelier Abane Ramdane constitua à Alger une sorte de « brain-trust » de la révolution, en attirant à lui les centralistes Ben Khedda, Saad Dahlab, Salah Louanchi, et les anciens communistes Amar Ouzegane et Mohammed Lebjaoui. Cette équipe de diplômés et d’autodidactes reléguait dans un rôle secondaire, mais non négligeable, l’organisation des étudiants et des lycéens. Ses principaux animateurs, Mohammed Rachid Amara, homme de confiance d’Abane, Mohammed Benyahia, président de l’UGEMA locale, Allaoua Benbatouche, Lamine Khène, Boualem Oussedik, Saïd Hermouche... étaient remplis d’enthousiasme révolutionnaire. La préparation de l’exode du 19 mai fut leur principale entreprise. Ensuite, ils se partagèrent entre la clandestinité, l’extérieur et le maquis. Dans l’organisation instaurée par le Congrès de la Soummam en août 1956, la Zone Autonome d’Alger était soumise à l’autorité directe du Comité de Coordination et d’Exécution (CCE), organe exécutif du FLN-ALN. Ben Khedda, spécialement chargé de la direction politique de la zone, avait pour adjoint l’étudiant Brahim Chergui, dit Hamida. Le bibliothécaire Mahmoud Bouayed se chargeait d’éditer le journal du Front, El Moudjahid, et de tâches financières. D’autres étudiants occupaient des postes de responsables politiques régionaux. Ben M’Hidi dirigeait l’ALN de la zone autonome, composée des groupes action et du réseau bombes. Boualem Oussedik, puis Abderrahmane Taleb furent des membres importants de ce réseau, le premier comme contrôleur politique du groupe de chimistes communistes, le second en tant que technicien des explosifs. Des étudiantes : Zohra Drif, Samia Lakhdari, Djamila Bouazza, Hassiba Bent Bouali. furent chargées de poser les bombes dans les lieux publics des quartiers européens. Après le départ du CCE, précipité par l’offensive des parachutistes, à la fin de février 1957, la nouvelle direction de la zone confia de plus hautes responsabilités aux militants étudiants [30]. Le commandant politico-militaire Yacef Saadi prit Zohra Drif comme collaboratrice permanente et confia la branche politique à un étudiant, ancien militant du réseau bombes, Abderrahmane Benhamida. Il chargea de la branche liaisons-renseignements un diplômé, fonctionnaire de la justice musulmane, Hadj-Smaïn, dit Kamal, et du comité de rédaction l’étudiant Houhat, dit Mahfoud. Son successeur, l’ancien mauvais garçon Ali la Pointe, était secondé par la lycéenne Hassiba Bent Bouali. La Zone Autonome d’Alger périt avec eux [31].

Les organisations clandestines des autres villes algériennes sont moins bien connues. Les étudiants y ont certainement participé. Mais il ne faut pas oublier que la plupart d’entre eux se contentaient de faire la grève des cours et des examens, de travailler pour vivre et de cotiser aux collectes du Front. Cependant un certain nombre d’étudiants, et surtout de lycéens, avaient pris le chemin du maquis.

Le maquis

La montée au maquis, préconisée dans l’appel du 19 mai 1956, représentait pour les étudiants algériens la consécration de leur engagement et symbolisait mieux que toute autre forme d’action militante la rupture définitive avec une existence relativement paisible et confortable, le sacrifice des commodités individuelles à la cause nationale. Le maquis est le lieu par excellence du danger ; c’est aussi le séjour privilégié de la liberté [32]. « De nos montagnes s’élève le chant des hommes libres », ainsi s’exprimait le vieil hymne du Parti du Peuple Algérien. Les « hors-la-loi » [33], dénigrés par la presse « colonialiste », bénéficient chez les étudiants et les lycéens algériens d’un contre-préjugé favorable allant jusqu’à la confiance mystique : on leur prête des pouvoirs miraculeux, celui de se rendre invisibles pour échapper à l’armée... [34] Cet enthousiasme naïf est particulièrement puissant parmi les jeunes lycéens et lycéennes des classes terminales et de première ; aussi n’est-il pas surprenant qu’ils aient fourni le plus grand nombre des recrues de mai juin 1956. Même après la levée de la grève scolaire, des lycéens et collégiens continuèrent à monter au maquis de leur propre mouvement, aussi tard qu’en 1958.

L’étonnant, au contraire, c’est la faible participation des étudiants proprement dits à la levée en masse qu’ils auraient pourtant votée à l’unanimité. Sur 157 recrues suivant le stage de formation politique organisé par la wilaya IV, les étudiants se comptaient sur les doigts de la main [35]. Les 250 votants d’Alger n’ont pas fourni 250 maquisards (mais il faut tenir compte des réseaux urbains). Il ne semble pas que plus d’un dixième des 600 étudiants musulmans d’Alger aient rejoint la montagne dans toutes les wilayas d’Algérie. Il faudrait aussi tenir compte de ceux qui sont venus de France, de Tunisie, du Maroc. Cette carence relative peut s’expliquer par la limitation de la capacité d’accueil des maquis ; des étudiants sont venus ou ont écrit de France à Abane pour demander de les rejoindre, mais leur demande fut rejetée. Le nombre des étudiants y a toujours été faible, et n’a cessé de diminuer par insuffisance de renouvellement ; comme les effectifs globaux ont descendu la même pente, nous ne pouvons pas non plus en déduire une baisse de proportion. Une conclusion admissible serait que a le maquis est le reflet du peuple » : la proportion d’intellectuels y est la même que dans le peuple. C’est dire qu’elle est faible, et que la conscience nationale des intellectuels, considérée en actes, n’est aucunement supérieure à celle du commun. Ce qui ne signifie pas que la présence au maquis d’une minorité d’étudiants, et surtout de lycéens, soit un fait négligeable, bien au contraire. La qualité supplée en partie la faiblesse de la quantité.

La dureté des conditions de vie explique suffisamment le petit nombre des volontaires. L’étudiant n’est nullement préparé par ses habitudes de confort citadin à une existence harassante. II faut toujours marcher, jusqu’aux hallucinations, jusqu’aux pieds en sang, jusqu’à l’épuisement du corps et de l’esprit : car la mobilité est la condition nécessaire, non pas toujours suffisante, de la sécurité. Cette première difficulté d’adaptation suffit à décourager ceux qui ne sont pas soutenus par une foi inébranlable : dans une prison d’Alger en 1957, un jeune étudiant fils de famille confiait à ses compagnons sa joie de pouvoir enfin se reposer à l’ombre. Les marches incessantes le rendaient fou. Rachid Boudjedra, lycéen monté au maquis en 1958, a évoqué son expérience dans certains passages de son premier roman.

« Après la halte, nous repartions, en quête de quelque genévrier pour nous y tapir et attendre que l’odeur de massacre vint nous réveiller de notre torpeur ; puis nous escaladions les crêtes pour mieux faire saigner nos pieds fourbus, gercés de cannelures immondes qui nous démangeaient jusqu’à la folie - folie qui nous quittait lorsque nous apercevions quelque excroissance poreuse annonciatrice d’anfractuosités sublimes, au détour desquelles nous rencontrions la mer. » [36]

Se passer de lit, dormir sur la bouse de vache à côté de l’âne et de la chèvre ; faire ses besoins et prier au milieu des serpents, boire parmi les sangsues : autant de nouvelles habitudes à prendre, qui impliquent la renonciation aux précieuses commodités de la civilisation. Le pire étant de ne jamais pouvoir se reposer dans l’insouciance, de toujours rester en alerte, de vivre au jour le jour. Une existence aussi anormale ne peut se justifier, aux yeux de ceux qui l’on choisie, que par de fortes convictions et par le sentiment du devoir. Car il arrive de temps à autre à tel étudiant ou à tel médecin de s’interroger sur les raisons de sa présence en des lieux sauvages, alors que nombre de ses camarades sont en sécurité à l’extérieur. Étant volontaires en principe [37], ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, et que se consoler à leur guise : « Nous, au moins, nous aurons des souvenirs à raconter à nos petits-enfants. » A condition de revenir vivants, bien entendu.

Comment se rendre utiles

Au départ, et particulièrement en raison des difficultés d’adaptation, les lycéens, étudiants et jeunes médecins étaient considérés comme des spécialistes, précieux pour leurs compétences, mais fragiles, et auxquels devaient être épargnés dans la mesure du possible les fatigues et les dangers, ordinaire du combattant. Ils assuraient le service de santé de l’ALN comme médecins, infirmiers ou infirmières. Nous avons déjà cité les extraits de la plate-forme de la Soummam qui précisent les tâches variées susceptibles d’être confiées aux étudiants. La spécialisation envisagée ne put être rigoureusement appliquée ; les « intellectuels » trop peu nombreux devaient être polyvalents. Le service de santé soignait, en plus des combattants, les habitants des villages administrés par le FLN. Il diffusait les principes de l’hygiène aussi bien dans l’armée que dans le peuple. Tout soldat de la wilaya IV avait dans sa musette un morceau de savon, du dentifrice et une brosse à dents ; chaque chef de groupe était responsable de l’hygiène. Les villages contrôlés par le maquis, généralement situés dans les « zones interdites » et coupés de l’économie générale dirigée par les autorités françaises, vivaient en vase clos. Les autorités du maquis devaient organiser les échanges entre les régions complémentaires d’une même wilaya [38] ; cette fonction économique revenait le plus souvent à des étudiants. Des cours d’alphabétisation en français et en arabe étaient assurés dans la wilaya III à l’intention des combattants, sur l’ordre du colonel Amirouche. Un peu partout dans les villages du maquis des écoles élémentaires fonctionnaient dans la mesure des moyens ; le colonel de la wilaya IV se vantait de ses 120 écoles en 1956 [39]. Les intellectuels contribuaient à la politisation du maquis et du peuple, ainsi qu’au soutien de leur moral, en rédigeant des tracts et des bulletins intérieurs : Révolution, La Voix de la Montagne, Guérilla, entre autres [40]. Ils remplissaient les fonctions de secrétariat, de comptabilité auprès des instances dirigeantes de la wilaya. Les étudiants et les lycéens n’étaient pas les seuls lettrés ; les « primaires », les instituteurs et petits fonctionnaires fournissaient la plus grande partie de l’encadrement administratif : en Kabylie, dix « intellectuels » pour une compagnie de 120 hommes. Depuis que le Congrès de la Soummam avait organisé le mouvement insurrectionnel, la paperasserie en était devenue un trait marquant. L’importance des intellectuels en sortait renforcée : la langue généralement utilisée étant le français, ceux qui savaient l’écrire étaient précieux. La plupart des lettrés du FLN se signalaient par un style d’autodidacte très particulier, oscillant perpétuellement entre la grandiloquence et la familiarité :

« Au frère de lutte Moha Laspirine. Deux mots pour te donner de mes nouvelles qui sont de parfaites conditions, espérant que tu sois de même. Cher frère, je te prie de remettre cette lettre à un intellectuel, pour qu’il te fasse comprendre. Je te prononce quelques paroles qui te feront plaisir et qui fera plaisir à tous. Je demeure sur la Montagne du Vent et nous y circulons comme des lions prêts à bondir et guettant la proie à tout instant, foudroyant l’ennemi par nos balles qui touchent toujours le but. Reçois, cher frère, mon salut patriotique. Le jour de notre indépendance prochaine, Inch Allah, une DS 19 nous attend, et nous roulons à travers les pays afro-asiatiques. » [41]

Cette lettre authentique provient de la wilaya III, région la mieux scolarisée des campagnes algériennes.

Assez vite cependant, après un temps d’adaptation, un nombre important de lycéens et quelques étudiants entrèrent dans l’ALN en qualité de combattants, particulièrement dans la wilaya IV. Ils furent acceptés dans les unités d’élite, les commandos zonaux, et certains devinrent même des chefs de commando. Ainsi l’intégration des « intellectuels » au peuple devint totale ; ils furent jugés aptes à remplir avec succès toutes les missions, en militants complets du FLN-ALN. Ce processus a été décrit dans un article d’El Moudjahid n° 8, daté du 5 août 1957. Nous reproduisons ce document en raison de sa rareté : cet article est le seul consacré à un étudiant nommément désigné.

« Aujourd’hui nous parlerons d’un jeune étudiant de Laghouat, Abdelkader Bounadja, tout d’abord commissaire politique sectoral. Il avait 19 ans. Il ne s’accordait aucun moment de répit. Les rares instants pendant lesquels il pouvait se reposer, il les consacrait à la lecture. Il tenait à enrichir son esprit et à augmenter son rendement. Dans les réunions, il se distinguait par ses remarques judicieuses et ses analyses politiques clairvoyantes. Dans les villages, il préférait se rendre chez les plus pauvres pour connaître leur misère et la soulager. Il leur parlait du vol de nos terres et de notre économie, tout entière dépendante de celle de l’ennemi. Il leur parlait aussi, car son regard était tourné vers l’avenir, de la République Démocratique et Sociale que notre Révolution installera. Mais il désirait devenir soldat. La répression sauvage et toute française qui pesait sur le Peuple le poussait à la vengeance. Il voulait avoir une arme entre les mains pour abattre un de ces êtres féroces et sadiques qui torturaient les femmes, brûlaient les maisons, saccageaient les récoltes, détruisaient les écoles [42]. Son vœu fut comblé, et il fut affecté dans une compagnie régionale. Là aussi il se révéla excellent patriote, tant par son intelligence que par ses vertus guerrières. Il tomba au cours de l’accrochage du djebel Louh. À la tête d’un groupe, et sous les ordres de l’adjudant Tahar, ancien étudiant lui aussi, il se lança sur une position stratégique. Malgré les rafales de FM il progressa. Il appela ses frères de combat et se rendit maître de la butte. De là, par un tir précis, il abattit de nombreux ennemis qui appartenaient au commando noir. La victoire était, au bout de dix minutes, entièrement entre nos mains [...] Abdelkader, au mépris de la mort, se redressa. Il commanda l’assaut final en criant six fois « Allah Akbar. » Une rafale de mitraillette le coucha. Il se redressa pour crier « Allah Akbar », « Vive l’Algérie », « Vive le Peuple ». Il expira ensuite dans les bras de Tahar, qui lui ferma les yeux et lui prêta le serment qui est celui de tous les militants qui l’ont connu, de continuer son œuvre et de le venger [...] En terminant, rappelons cette dédicace du jeune héros de 19 ans au lieutenant Tewfik : « De toutes les libertés humaines, la plus précieuse est l’indépendance de la patrie. » [43]

Les relations avec le peuple

L’expérience du maquis a inspiré un autre texte qui sert la même cause avec une plus grande force de persuasion due à la sobriété de l’évocation. Le poème « Guérilla » [44], œuvre de Boualem Taibi [45], étudiant en lettres classiques et responsable de la propagande dans la wilaya IV, interpelle l’Algérien pour l’inviter à l’action :

« Frère ! lève les yeux au ciel bleu d’Algérie ! Et rends-toi compte qu’il y manque une étoile et qu’il faudra l’y mettre demain... »

Mais ce grandiose accomplissement exige la violence de la « guérilla », dont le nom répété scande en refrain une suite d’images terribles :

« Écoute l’atroce sanglot qui vient des maisons détruites, des foyers brisés, et l’immense peine qui traîne partout. Sur la place publique, près de la fontaine, il n’y a plus rien... Que de cadavres et de flaques de sang qui sèchent au soleil... »

« Vois ce nuage de fumée qui monte vers le ciel bleu où déjà tournoient les taches noires et mobiles des corbeaux. Là-bas, au creux de la vallée, blottie derrière un maigre rideau d’oliviers, la dechra [46] martyre achève de brûler... »

À la violence injuste de la répression colonialiste, en ville et dans les hameaux des campagnes, répond la juste violence des maquisards, vengeurs du peuple. Mais l’auteur se contente d’évoquer l’attente de ses camarades et le déchaînement de la fusillade. Par pudeur, il se détourne du carnage et conclut en une ample envolée qui justifie le combat :

« Vois, sous la clarté blême de la lune, ces ombres grises et menaçantes ; embusqués sur les crêtes, couchés derrière les buissons, officiers et soldats de l’ALN attendent dans un silence oppressant... Dans quelques instants l’ennemi va passer... »

« Écoute les rafales qui craquent dans la nuit ! l’orchestre discordant des armes automatiques et des fusils de guerre ! Et le vent qui l’accompagne en sourdine... »

« Sur les sentiers de nos montagnes, dans les sombres profondeurs de nos forêts, dans les rues bruyantes de nos cités il y a des millions de femmes et d’hommes et d’enfants ! Et tous luttent et préparent les lendemains radieux ! »

Prendre leur place dans les rangs de leur peuple en lutte, tel était le souci des étudiants maquisards. Rompre avec une façon de vivre qui les assimilait aux modèles étrangers qu’ils coudoyaient dans les villes, et qui les rendait incapables de comprendre la mentalité et d’éprouver la condition de leur peuple vivant dans les profondeurs du pays, derrière la façade européenne de l’Algérie. Le simple fait que ces étudiants, si peu nombreux soient-ils, marchent sur les crêtes de village en village (au lieu de s’attabler aux terrasses des cafés d’Alger) est à lui seul une révolution : comme si un fleuve remontait à sa source ! Ce retour aux sources est pour l’intellectuel une prise de contact avec les réalités sociales fondamentales de l’Algérie, celles que la brillante façade d’Alger cache aux visiteurs, et à ces étrangers installés à demeure qui parlent au nom de l’Algérie et en sont les maîtres. Même les étudiants politisés sont éloignés de ces réalités par le manque d’expérience ; leurs préoccupations tendent à prendre un caractère nettement abstrait, métaphysique ou moral, idéaliste. Les tâches urgentes qui leur sont confiées les rapprochent du concret. Les premières pages du carnet du docteur Saïd Hermouche sont révélatrices de cette forme d’esprit. On y trouve, alternant avec des notations médicales ou culinaires, de nombreuses maximes qui répondent aux interrogations d’une conscience exigeante en confortant son engagement : « Seule la liberté justifie l’effusion de sang ! » - « Je serais homme à sacrifier ma Patrie à la Justice s’il fallait choisir entre l’une et l’autre. » Des citations d’œuvres françaises, telles que le « Chant des partisans », légitiment la révolte contre une certaine France, indigne de son idéal universel.

L’esprit formé et rempli par les idéologies françaises est confronté avec un autre monde, celui de ses ancêtres, dont il est issu (c’est-à-dire sorti). Le retour de l’enfant prodigue ne règle pas d’un coup les problèmes de reconnaissance mutuelle, surtout pour ceux qui ont oublié la langue de leurs ancêtres, voire ne l’ont jamais parlée. Ce sont des cas particuliers, mais dans le petit nombre des étudiants maquisards tous les cas particuliers ont leur importance. On admettra cependant que l’impulsion qui les a conduits parmi leur peuple implique une sympathie capable de trouver les voies de la compréhension. L’étudiant au maquis trouve d’abord une confirmation éclatante de ses idées antérieures. Dépersonnalisé, il retrouve avec joie dans les usages et les coutumes populaires une authenticité culturelle dont il se sent frustré. Anticolonialiste, il observe dans leur triste banalité les maux qu’il avait coutume de dénoncer : la misère, l’ignorance, la répression, manifestations diverses de l’hydre « colonialiste ». Bien que ces thèmes leur soient familiers depuis longtemps, l’expérience de leur réalité est pour eux un choc, presque un traumatisme. Safia Bazi, Fadila Mesli et Meriem Belmihoub furent les trois premières infirmières de l’ALN, capturées en juillet 1956. Deux mois passés au maquis les avaient marquées. Fadila Mesli déclara à ses juges : « J’ai soigné les patriotes blessés et les populations des montagnes enfouies dans la misère et la faim et les victimes des ratissages, des bombardements et des incendies. J’ai vu des familles entières quitter leurs maisons pour échapper aux tortures, aux viols et à la mort. J’ai fait l’école aux enfants qui n’avaient jamais vu une classe. » [47]

Meriem Belmihoub exposa la même réalité plus en détail : « Mais les combattants algériens n’ont pas été les seules personnes à qui je prodiguais mes soins ; il y avait également la population civile dont l’état de déficience était tel que je ne peux le rapporter ici. C’est une population sous-alimentée, abandonnée, que j’ai vue. La syphilis, la tuberculose, le rachitisme, la misère, sont les fléaux qui ravagent les habitants des nombreux douars que nous avons traversés. La misère des bidonvilles est moindre comparée à celle des campagnes, et ce n’est pas peu dire puisque vous ne devez pas ignorer l’état de ces sordides baraquements que l’on cache aux personnalités qui viennent visiter l’Algérie. J’ai soigné également la population civile bombardée par les avions français. L’Armée française saccageait et brûlait maisons et forêts, rasait des villages entiers, fusillait sommairement les femmes, les enfants et les vieillards. Après un ratissage, j’ai vu et soigné un enfant de 15 ans, le visage complètement défiguré et tuméfié. Il avait été laissé pour mort et jeté avec mépris dans un fossé. Son père et son frère avaient été auparavant fusillés sous ses yeux horrifiés. Voilà, Messieurs, ce que l’on appelle l’Œuvre Pacificatrice de la France. C’est le visage faux qu’elle se donne, hélas, pour défendre les intérêts d’une poignée de colonialistes qui ont exploité à fond le Peuple Algérien. » [48]

Cependant, par d’autres aspects, le peuple algérien ne correspondant pas toujours à l’idée qu’ils s’en faisaient. Les plus enthousiastes devaient constater souvent l’inexistence de la conscience politique dans les montagnes. La méfiance paysanne, l’esprit « de clocher », de jalousie entre tribus voisines, entre soffs (clans) ou entre familles, tendaient à limiter les horizons dans un particularisme étroitement local et à inhiber le facteur de cohésion nationale représenté par la solidarité islamique. C’est pourquoi le travail de politisation du peuple confié aux étudiants et aux lycéens était particulièrement ingrat et rencontrait de nombreux échecs. La révolution se manifestait, pour le paysan, par l’irruption d’ « étrangers » au sens le plus étroit du terme, et les étudiants étaient les étrangers par excellence, qui prétendaient modifier la routine traditionnelle. Au nom de quoi ? se demandait-il. Il fallait le lui expliquer. Tant qu’il n’était pas convaincu, les maquisards n’étaient pas en sécurité. Rachid Boudjedra a évoqué « les marches harassantes que j’avais jadis faites, à la recherche d’une cache, d’un point d’eau ou d’un gourbi où on me donnerait à manger, avec beaucoup de réticence. » [49] Et encore : « Il faut rejoindre le clan (le FLN-ALN) qui s’efforce, dans une marche harassante, d’éviter les traquenards et l’hostilité d’une population pas encore convaincue. » [50]

Il est regrettable que ces notations ne s’accordent pas avec la version orthodoxe en Algérie de la guerre de libération, soulèvement unanime : « Un seul héros, le Peuple ». Mais les anciens maquisards avouent qu’une trahison était toujours à craindre, et que la méfiance était de règle. Nous ne voulons pas davantage noircir à l’excès le tableau, puisque des témoignages en sens contraire existent. Mais l’action des SAS [51], l’existence des mokhaznis, des harkis, des tirailleurs sont des faits que chacun a pu constater. En 1957, divers responsables de la wilaya IV déplorent les complicités dont bénéficie l’ennemi au sein du « peuple algérien » : « Les colonialistes sont aidés dans leur sauvage tuerie par les renseignements de bon nombre de personnes... », les groupes armés sont « vendus par des traîtres qu’on ne peut dénicher faute de renseignements » et ne peuvent se cacher à cause du « caractère ignorant et rugueux des populations. » [52]

Doit-on conclure que les populations des montagnes ignorent le sentiment national algérien ? Telle semble être l’opinion d’El-Khiam, commissaire politique de la zone autonome : « Certes, l’éducation de notre population est parfois très rudimentaire, et certains de leurs gestes peuvent nous choquer, il faut savoir les comprendre et non manifester notre étonnement. Il est indispensable de prendre en considération les bases sociologiques de notre peuple. Dans tous les pays du monde, la conscience nationale ne s’est pas affirmée avec autant de vigueur dans les campagnes que dans les villes. Il reste dans nos campagnes des séquelles bien compréhensibles puisque depuis 1830 l’ennemi s’acharne à nous dépersonnaliser ; séquelles qui ne tarderont pas à disparaître, car depuis 1954 notre peuple a fait des pas gigantesques dans la voie du progrès. C’est le grand mérite du FLN-ALN. Les quelques défaillances constatées du peuple s’expliquent largement. Notre rôle est de déterminer la cause de ces défaillances, afin de s’attaquer au véritable mal. » [53]

Cette analyse traduit un louable souci d’adapter la théorie aux enseignements de la pratique. Malheureusement la thèse proposée comme explication n’apporte aucune lumière. La dépersonnalisation de l’Algérie se manifeste surtout dans les villes où se concentrent les 9/10 de la population européenne. Si certaines campagnes sont « dépersonnalisées », il s’agit uniquement des plaines de colonisation, Mitidja, Chélif, Oranie, plaine de Bône, non pas des montagnes qui abritent les maquis. L’analyse tourne en rond ; il ne suffit pas d’affirmer que « les quelques défaillances constatées du peuple s’expliquent largement » : encore faut-il les expliquer.

À en croire les partisans de l’Algérie française, le problème ne se pose pas : il n’existe pas de « peuple algérien ». II y a en Algérie dix millions de Français, les uns « de souche européenne », les autres « Français musulmans ». Les Français musulmans n’obéissent aux « rebelles » que sous la terreur ; de cœur ils sont fidèles à la mère-Patrie. Sans prétendre mettre un terme à la controverse, nous devons poser les problèmes avec rigueur. Que la conscience nationale algérienne des montagnards soit souvent défaillante, c’est un fait. Mais un esprit étroitement particulariste peut-il plus facilement s’élever jusqu’à la conception de la nation française intégrée, de Dunkerque à Tamanrasset ? Il est permis d’en douter. Les « Français musulmans » se considèrent-ils comme des Français ? Assurément non, leur langage le prouve. Tous les Algériens musulmans parlent de la France et des Français à la troisième personne. Les Français sont implicitement considérés comme un ensemble différent de la population autochtone, et dont la permanence dans le pays n’est pas assurée. Georges Penchenier a écrit pour Le Monde en 1956 une série d’articles sur l’Algérie. Traitant des nombreux ralliements de villages signalés en Kabylie, il résume les propos des ralliés. Les rebelles leur avaient fait croire que la France était partie pour toujours. Ils ont vu que ce n’était pas vrai, que la France restait. « Nous ne sommes pas contre la France, qui a tant fait. » [54] Ce qui ne signifie pas : « Nous sommes Français... ». « La France reste » était le slogan écrit par les services de l’action psychologique sur tous les murs d’Algérie. Il reconnaissait implicitement que la France était une réalité distincte de l’Algérie. La leçon de ces exemples est que le sentiment national spontané, informulé, peut évoluer dans deux sens différents. Ou bien il progresse en se clarifiant, en se systématisant, et devient ce que l’on appelle conscience nationale. Ou bien il régresse vers des formes implicites, dissimulées dans les structures du langage et pouvant, la mise en condition psychologique aidant, échapper à la conscience explicite : ce que nous proposons d’appeler, faute de mieux, « inconscience nationale », et qui n’est pas une véritable absence de conscience, mais seulement un degré implicite de la conscience qui ne se saisit pas elle-même comme telle. Cette conception se situe à mi-chemin de la théorie allemande de la nationalité, reconnaissable à des signes culturels objectifs indépendamment de l’existence ou de l’inexistence d’une conscience nationale dans les esprits, et de la théorie française de la nation fondée seulement par le plébiscite quotidien qu’est la volonté de vivre ensemble manifestée par tous ses membres.

Les mésaventures de la conscience nationale algérienne dans les campagnes s’expliquent largement, outre la mentalité particulariste, par la dépendance économique des villages envers la France. La misère y est telle que les secours distribués par les SAS, les soldes de mokhaznis et de harkis, sont une tentation difficile à repousser. La propagande insiste sur l’idée que l’indépendance signifie la ruine et l’intégration, la prospérité. De l’autre côté, les maquisards n’ont guère les moyens d’apporter un secours efficace au peuple ; au contraire, errant de village en village, ils vivent de réquisitions en nature et en services. Le poids de leurs exigences excède celui des impôts que prélevait naguère l’autorité française ; d’autant plus qu’à la sous-administration a succédé la sollicitude, intéressée mais profitable, des SAS. Maladroits à convaincre, certains maquisards ont souvent tendance à agir en despotes régnant par la peur qu’ils inspirent. Alors le village préfère se rallier [55]. Cette situation confère à l’élément intellectuel un rôle primordial : généreux, désireux de persuader, les étudiants peuvent mieux que d’autres expliquer les aspects positifs de la révolution. Leur présence en ces lieux est une preuve tangible qu’une révolution est en train de se faire. Les maquisards exhibent leurs médecins pour prouver qu’ils ne sont pas des « fellaghas ». Les soins, les leçons, les aides fournies démontrent que le maquis entend servir le peuple en contrepartie des exigences qu’il lui impose. Dans la mesure de ses moyens limités, le maquis rivalise ainsi avec les SAS ; la violence n’est plus la seule arme de sa panoplie ; il peut répondre à la guerre des bienfaits. Les représailles qu’attire sur les villages la présence des médecins, infirmiers, instituteurs « rebelles », quand elle est découverte, permettent de démystifier le caractère prétendument humanitaire de l’action des SAS, et de développer une complicité précieuse entre le peuple et ses cadres révolutionnaires.

Les relations avec les combattants

La montée des intellectuels au maquis posait un autre problème : celui de la compréhension et de la confiance entre eux et les vieux maquisards illettrés ou autodidactes. Les fondateurs du maquis se distinguaient moins par leurs diplômes que par leurs faits d’armes, qu’ils fussent bandits d’honneur ou militants politiques convaincus. Quelle place devaient-ils laisser aux nouveaux venus ? Celle de fonctionnaires, agents spécialisés sans autorité, ou bien celle de militants à part entière, susceptibles d’accéder aux plus hautes responsabilités en raison des services rendus à la cause ? Devaient-ils voir en eux des rivaux, venus pour leur commander un jour, ou de précieux collaborateurs ? Ces interrogations se posant au niveau des chefs essentiellement : les simples combattants se demandaient simplement avec étonnement ce qui amenait parmi eux ces jeunes gens privilégiés.

Le premier contact avec leurs frères de lutte fut pour les étudiants un moment inoubliable, celui où l’image du maquisard qu’ils portaient dans leur esprit fit place à la réalité. Furent-ils déçus ? Il faut distinguer suivant les cas, les lieux. Les trois infirmières déjà mentionnées furent confirmées dans leur première opinion. Safia Bazi déclara : « Mon seul crime, infirmière, est d’avoir soigné les combattants blessés. Ce ne sont pourtant pas des malfaiteurs, mais des hommes que vous jugez mal, parce que vous les connaissez mal. Des hommes qui ont pris les armes parce que trop longtemps ils avaient été trompés. Des hommes fiers avec qui vous pourriez, si vous le vouliez, établir une véritable amitié franco-algérienne... » [56]

Et Meriem Belmihoub : « L’armée de Libération Nationale ayant eu besoin d’infirmières pour soigner les Résistants blessés fit appel aux jeunes filles pour s’acquitter de cette si belle et si noble tâche. Cet appel me parvint et, sans hésiter, j’ai accepté d’aller les soigner, ainsi que nombre d’autres de mes sœurs qui ont compris, elles aussi, qu’elles ne pouvaient rester étrangères à la lutte. J’ai soigné mes frères blessés, ceux qui étaient fatigués par les longues et vaillantes marches à travers les montagnes. Je les ai vus ensuite guéris, complètement rétablis ; c’était pour moi une source de joie et une très grande récompense. [...] Ici, Messieurs, je me permets de vous présenter le vrai visage des Patriotes algériens. Vous les qualifiez de bandits, de fellaga, de hors-la-loi, de terroristes, de malfaiteurs, non, Messieurs, ce sont des hommes qui ne supportent plus d’être brimés et asservis depuis plus d’un siècle. Ce sont des hommes qui se sacrifient pour un noble idéal, ce sont des hommes qui luttent et meurent pour que leurs enfants n’aient pas à le faire. » [57]

Tout au contraire, une jeune femme instruite de Batna, montée volontairement au maquis des Aurès en décembre 1956 pour répondre à l’appel du Front, fut amèrement déçue en tombant sous les ordres de chefs ignares et sots, qui ne savaient l’employer que comme domestique et censuraient arbitrairement ses lectures. Au bout de trois mois, elle se laissa capturer par l’armée française avec soulagement : « J’étais écœurée de cette vie de folle parmi des fous, et j’ai compris que le FLN ne correspond à rien de valable. »

Ainsi s’opposent deux images du maquisard. Dans le préjugé des étudiants et surtout des lycéens, le maquisard est l’archétype de l’homme libre, du héros libérateur auquel ils rêvent de s’identifier. Au contraire, dans diverses sources françaises, se retrouve plus ou moins nettement exprimée ou sous-entendue l’idée que les « fellaghas », bêtes brutes ou du moins fanatiques obtus, sont par nature incapables de comprendre et d’estimer ces jeunes intellectuels si différents d’eux, qui viennent lutter avec eux ils ne savent trop pourquoi. La conséquence de cet état d’esprit, et la preuve de sa réalité, étant à trouver dans les « purges » qui ravagèrent les wilayas III et IV principalement en 1958 et 1959 : convaincus que des traîtres s’étaient infiltrés dans l’organisation, les chefs soupçonnèrent en premier lieu , bien naturellement, les intellectuels si proches des Français par leur formation, et donc susceptibles d’être plus sensibles que les autres combattants à la propagande faite sur le thème de l’ « Algérie nouvelle ». En particulier, l’ « anti-intellectualisme » du colonel Amirouche, promoteur des purges, est devenu un lieu commun.

La « bleuite » commença dans la wilaya III, qu’il commandait. Cette « maladie » fut nommée par lui d’après le bleu de chauffe, uniforme des ralliés de la zone autonome d’Alger. La prise en charge de celle-ci par Amirouche permit au colonel Godard d’ « intoxiquer » celui-ci en lui faisant croire que l’organisation des « bleus » d’Alger étendait ses ramifications jusque dans les instances dirigeantes de sa wilaya [58]. Une « enquête » rondement menée au moyen de la torture aboutit à des résultats étonnants : « Dès le début l’organisation nous a paru avoir une ampleur considérable... À la tête de cette organisation était principalement le Docteur Laliam Mustapha, venu en septembre 1957 de Tunisie et nommé chef du service de santé de la wilaya. Il avait pour adjoints directs : Boudaoud Mohammed, étudiant en médecine, et Ziane Akli [...] Chaque zone avait un responsable : Si Kamal (élève du lycée franco-musulman de Ben Aknoun. [...] et Nouri Mustapha (instituteur originaire de Tizi Ouzou, un des premiers étudiants venus au maquis (mai 1956)... » [59]

Selon les « aveux » de Boudaoud, le docteur Laliam était francophile (ce qui n’a rien d’étonnant en soi) : « II me dit qu’il avait longtemps vécu en France, qu’il connaissait bien les Français et qu’au fond ils n’étaient pas si mauvais qu’on avait l’air de le croire ici. » [60]

De l’estime pour les Français, naturelle aux étudiants, on passe un peu vite à la trahison. Ces « aveux » ne prouvent rien ; aux yeux des militaires français qui ont organisé l’intoxication, la « bleuite » de la wilaya III est une maladie purement imaginaire. Par contre les sources françaises accordent une large part de réalité aux « complots intégrationnistes » de la wilaya IV. L’enquête d’Amirouche avait mis en cause un haut responsable de cette wilaya, le commandant Si Tayeb (Omar Oussedik), lequel venait d’être nommé secrétaire d’État dans le GPRA. Le colonel Si M’hammed avait refusé de verser dans le « maccarthysme » (suivant sa propre expression) jusqu’à la conférence inter-wilaya de décembre 1958. Convaincu par Amirouche, il étendit la purge à la wilaya IV ; bientôt un complot fut mis à jour.

« Son principal artisan était un étudiant de 27 ans, Haoutia Hocine, dit Khaled, lieutenant politique de la zone III. Il reconnaissait « avoir fait le dénigreur et le défaitiste en critiquant certains responsables et en contestant certains avancements [...] ; avoir dit à Abderrazek et à Hassan que les jeunes étudiants sont délaissés et qu’ils méritaient plus ». Tous avouaient pour chef Si Tayeb, qui aurait déclaré à Khaled : « Nous avons perdu beaucoup de jeunes et il faudrait à cette situation une solution acceptable des deux côtés qui se situe entre l’indépendance et le statu quo. » Pour cela, il fallait « éliminer Si M’hammed l’actuel colonel de la wilaya IV ». Ahmed Saoula, étudiant en droit, reconnaît qu’il est tombé d’accord avec Khaled sur les thèmes suivants : « La situation n’est pas fameuse à l’intérieur, l’Algérie est en train de perdre tous ses enfants. Cette guerre doit cesser, et cela par des négociations. Nos responsables actuels sont trop rigides et il faudrait les changer... en les tuant pour aboutir à la négociation. » Un autre étudiant, Laribi, relate ainsi le programme sur lequel il est tombé d’accord avec le lieutenant Khaled : « Nous, jeunes étudiants, nous sommes délaissés alors que nous méritons d’accéder à un rang supérieur. Nous nous organisons pour renverser la situation : les jeunes au pouvoir ! La guerre a trop duré, nous devons faire un cessez-le-feu avec la France. » [61]

Ces déclarations semblent confirmer les soupçons d’Amirouche : « La wilaya III propose la constitution d’enquêtes mixtes pour vérifier le procès des « bleus ». Toutefois, les dispositions ne seront prises que pour réprimer le complexe étudiant, complexe « bleu » qui tend à faire justifier certaines épreuves et fautes présentes et à venir et qui peut créer la suspicion dans l’armée et le peuple. » [62]

Du fait que bon nombre des comploteurs vrais ou supposés sont des étudiants, Amirouche semble déduire que tous les étudiants en tant que tels sont des traîtres au moins en puissance. Il va si loin que tous les lettrés de la wilaya III ont peur : l’analphabétisme est considéré comme une garantie de sécurité. Les « Comités d’Investigation et de Contre-Espionnage », créés dans les wilayas après la réunion de décembre 1958, recrutent en effet leurs exécuteurs parmi les illettrés. La wilaya IV se flattait d’éviter le « maccarthysme ». Pourtant le successeur de Si M’hammed, Si Salah, dresse un lourd bilan dans son rapport du 27 août 1959. 486 personnes ont été interrogées, jugées et exécutées : 4 lieutenants, 5 sous-lieutenants, 11 aspirants, 19 adjudants, 35 sergents-chefs et 409 djounoud (soldats).

Il précise : « Beaucoup d’éléments instruits ont fait partie de ce complexe, beaucoup étaient des élèves du Lycée Franco-musulman de Ben Aknoun. » [63] Avant de tirer des conclusions, il faudrait être sûr de l’exactitude des faits allégués. Personne ne croit, du côté français, au complot de la wilaya III ; beaucoup admettent la réalité de celui de la wilaya IV [64]. Pourtant les moyens d’investigation ont été les mêmes : « Fort honnêtement, Si Salah reconnaît que les interrogatoires ont été pratiqués sous la pression de la torture : « mais, ajoute-t-il, lorsque les inculpés savent le danger qu’ils courent en avouant, il est normal qu’il ne veuillent pas reconnaître la matérialité de leurs faits avec facilité » [65]

Le « complexe étudiant » est censé être un ensemble de personnes pourvues d’un bagage culturel commun, et ayant en conséquence la même façon d’envisager les problèmes qui se posent à elles et à leur pays. Faute de certitude, admettons provisoirement qu’il s’agit d’une réalité, au moins partielle. Quels en sont les caractères marquants ? D’abord la formation reçue à l’école française laisse supposer qu’au moment où la révolution marque le pas, et même régresse, les étudiants seront plus que les autres combattants perméables à l’idée qu’il vaut mieux s’entendre avec la France. Ils apparaissent comme plus proches des Français que de leurs frères de lutte par leur forme d’esprit, par leurs idéologies. Cette parenté intellectuelle avec l’ennemi semble rendre la défection vraisemblable, sinon vraie. D’autre part, un aspect essentiel du complot semble être son caractère « corporatif » : il viserait à assurer par des voies illégales la juste promotion que l’ordre institué dans l’ALN ne permet pas de garantir aux étudiants. Si en effet les chefs de groupe de la wilaya IV sont élus par leurs hommes, les postes supérieurs sont pourvus par un système de cooptation qui à la longue désavantage les étudiants et perpétue la prépondérance d’officiers peu instruits. Ces deux tendances se conjuguent en un programme simple : changer de chefs pour changer de politique. Cependant les auteurs français qui racontent avec une satisfaction nuancée de regrets les « complots intégrationnistes de la wilaya IV » ont tort d’interpréter ou de laisser interpréter cette histoire comme une preuve de l’inanité de la conscience nationale algérienne chez les étudiants. Ces lycéens de Ben Aknoun incriminés sont les mêmes qui depuis le 20 mai 1956 avaient déserté en masse, dans l’enthousiasme, leur établissement. Pour eux comme pour tous, le sentiment national était un élan de l’âme, irréfléchi, irrésistible. La dure expérience du maquis a pu les rendre plus sensibles aux arguments du réalisme économique et militaire ; l’offre de la « paix des braves », survenant après l’institution du collège unique et l’annonce du plan de Constantine, a pu leur paraître la meilleure issue possible à une guerre épuisante. Cela n’autorise pas à conclure qu’ils ont répudié le sentiment national algérien et ne veulent plus être que Français. Si Salah, reproduisant les principaux arguments de la propagande des comploteurs, apporte une confirmation à notre mise en garde contre l’interprétation « intégrationniste » de l’affaire Khaled : « La guerre a vraiment trop duré ; notre peuple souffre et beaucoup sont morts ; nos cadres fondent comme du beurre ; les intellectuels disparaissent ou n’occupent pas de fonctions importantes ; on peut faire confiance à de Gaulle ; les responsables de l’extérieur ne font rien pour nous secourir ; l’Algérie aura toujours besoin de la France ; l’indépendance par étapes peut être conçue puisque de Gaulle nous offre une paix honorable ; de Gaulle est un interlocuteur sincère secrètement acquis à l’idée de l’indépendance de l’Algérie. » [66]

On voit qu’il convient de se défier des simplifications abusives, généralement inspirées par des arrière-pensées partisanes. En cette matière, rien n’est sûr. Même l’ « anti-intellectualisme » d’Amirouche n’est pas un fait incontestable. Tout ceux qui l’ont connu, et surtout les intellectuels, tiennent à défendre sa mémoire contre des reproches de ce genre. Amirouche n’était pas un fanatique sanguinaire ; s’il n’hésitait pas à sévir durement quand l’avenir de la révolution lui semblait en danger, il séduisait par sa simplicité non affectée et son caractère chevaleresque. Autodidacte, il recherchait toutes les occasions de s’instruire auprès de ceux qui en savaient plus que lui. Il n’avait aucune animosité contre les intellectuels. Apprenant la dissolution de l’UGEMA en France, il envoya « Aux frères de l’UGEMA » une lettre d’encouragement : « Servir la patrie est la seule devise de tous les Algériens. Vous qui êtes dans les villes, dans les Universités, dans les Lycées, chaque chose autour de vous sent la Révolution qui vous incite à penser à tous les instants à votre devoir. Votre travail c’est l’attention soutenue qui ne doit jamais vous éloigner de la cause algérienne. Partout votre conduite, vos gestes, doivent vous désigner comme des combattants. Au même moment des frères, des étudiants comme vous luttent dans le maquis. Vous aussi vous lutterez pour votre pays ; lutter c’est servir son pays de n’importe quelle façon. Mais l’intention demeure seule valable, surtout pour des étudiants qui ne peuvent pas ne pas être conscients de leur existence d’Algériens. L’Algérie a besoin de tous ses fils pour achever la Révolution politique qui libérera le peuple du colonialisme ; pour continuer la Révolution elle aura besoin d’éléments capables d’assurer la gestion de ses affaires, des éléments conscients de l’intérêt de l’Algérie, des patriotes. En mémoire de tous ceux qui sont tombés dans le maquis, pour notre peuple encore courbé sous le poids de l’injustice et de la lâche répression, vous, étudiants algériens, vous devez plus que jamais prouver au monde que vos actions, qui ne se séparent pas de la Révolution, ne sont pas négligeables. Pour une Algérie libre et démocratique, tous les Algériens uniront leurs sentiments et leurs énergies dans un même élan de sacrifice. » [67]

Ainsi Amirouche était-il convaincu de la nécessité des études pour le bien du pays. Dès septembre 1957, sur la proposition du docteur Laliam parlant au nom des étudiants de la wilaya III, il avait décidé d’en renvoyer un certain nombre pour les leur faire achever à Tunis, où il avait acheté deux villas pour les loger, en leur payant un présalaire. Amirouche ne mettait pas alors en doute le patriotisme des étudiants. Quand il fut tué le 28 mars 1959, les Français rappelèrent à l’envi ses purges sanglantes, son manque de discernement, sa suspicion morbide envers les intellectuels. El Moudjahid célébrant la mémoire du héros, s’éleva contre ces insinuations en publiant l’article « J’ai été un compagnon d’Amirouche » écrit par le médecin-lieutenant Ahmed Bouderba :

« Modeste, il reconnaissait humblement ses insuffisances, et aimait à s’entourer de conseillers expérimentés. Il se plaisait en compagnie des intellectuels révolutionnaires, pour lesquels il n’avait jamais assez d’égards et de respect. Je n’oublierai jamais le jour où, au cours d’un conseil de wilaya, il m’invita, alors que je n’y avais aucune qualité, à présider la réunion. Il voulait, par ce geste, souligner l’importance du rôle que doivent jouer les intellectuels dans notre lutte, et témoigner du souci constant qu’il avait d’élever le niveau culturel de notre Révolution. » [68]

Que s’est-il donc passé ? Une première explication s’impose. Homme toujours perméable à un raisonnement, Amirouche a été mal conseillé. Pour ne pas entrer dans des considérations de personnes, posons le problème dans sa généralité. Il a existé ici et là dans le maquis un certain type de cadres sans beaucoup d’instruction qui voyaient dans la promotion des jeunes intellectuels une menace pour leur prépondérance et leur autorité [69]. Leur réaction de jalousie se manifestait par des brimades, par le dénigrement ou par tout autre moyen offert par les circonstances. La purge de la wilaya III a pris son ampleur et surtout son orientation « anti-intellectuelle » principalement en raison de rancunes personnelles. Les premières victimes de la purge n’étaient pas des intellectuels. À partir de l’arrestation de l’étudiant en médecine Boudaoud, la chaîne des aveux arrachés permit d’incriminer le « complexe étudiant ». Dès le mois de mai 1958, alors que l’ « enquête » en était encore à sa phase initiale, Boudaoud se savait condamné et se considérait comme un mort en sursis. [70]

Cependant cette explication ne peut suffire. Amirouche était un chef conscient de ses responsabilités et non un pantin dont une éminence grise aurait tiré les ficelles. Il a sévi sans reculer devant le sang parce qu’il était persuadé de la nécessité de mesures impitoyables pour le salut de la révolution. La méfiance que développe inévitablement la vie de maquisard traqué est la vraie cause de son erreur de jugement. Cependant il ne pouvait accuser le « complexe étudiant » d’être un « complexe bleu » sans en être convaincu, et il ne pouvait croire à la réalité de la trahison sans lui trouver une explication qui la rendit vraisemblable. L’anti-intellectualisme d’Amirouche est une réaction de dépit. En plusieurs occasions la confiance et l’admiration qu’il vouait aux intellectuels révolutionnaires ont été cruellement déçues. En 1957 à Tunis il rencontra un avocat de Bougie qui plusieurs mois auparavant lui avait fait parvenir un stock d’armes. Celui-ci lui raconta non sans complaisance la longue et difficile odyssée qu’il avait entreprise aussitôt après ce haut fait pour venir se mettre à l’abri. Amirouche prit un ton de douceur affectée pour lui faire remarquer : « Mais le mont Gouraya était à dix minutes ». Il avait aussi réuni à l’hôpital Es-Sadikia les 45 médecins algériens présents à Tunis pour recruter des volontaires pour le maquis, croyant n’avoir que l’embarras du choix. II ne trouva que deux volontaires : tous les autres exhibèrent sans pudeur leurs infirmités ou défauts physiques pour justifier leur dérobade. Ainsi au fond de la mémoire d’Amirouche subsistait vraisemblablement une rancune contre un certain type d’intellectuel. Une fois convaincu par des « preuves » de la « trahison des clercs » , il ne pouvait hésiter à en débarrasser la terre algérienne [71].

Le complot de la wilaya IV doit être étudié à part. Il semble que le « complexe étudiant » n’ait pas été incriminé en tant que tel : des étudiants ont été éliminés, non pas les étudiants en général. D’autre part, la grande majorité des victimes (409 djounoud) n’étaient pas des étudiants. Reste que ceux-ci étaient particulièrement nombreux parmi les dirigeants du complot. Pourtant le « maccarthysme » anti-intellectualiste a été évité. Le cousin de Si Tayeb, Boualem Taïbi, ne fut jamais inquiété ni même soupçonné, et garda ses responsabilités. Bien mieux, le médecin Si Hassan (Youcef Khatib) était du côté des enquêteurs. Plus tard premier étudiant promu colonel [72] en juillet 1962, il se distingua pendant la crise de l’été en attaquant la Zone Autonome d’Alger reconstituée et en capturant son nouveau chef Si Tayeb, pour lui faire rendre compte de sa conduite passée devant un tribunal révolutionnaire.

On voit que l’ « anti-intellectualisme », en tant qu’explication, doit être invoqué avec prudence. L’attitude des maquisards, particulièrement des officiers, envers les intellectuels, ne peut être définie simplement. On trouve une pointe de dédain en l’antithèse : « nous, les hommes d’armes, vous, les hommes de plume » ; mais souvent le sentiment de supériorité est accompagné par la conscience de ses propres lacunes : source d’envie ou de respect suivant les personnes. Les égards prodigués aux intellectuels expriment deux aspects d’une attitude ambiguë : ils sont considérés comme des hommes supérieurs, mais aussi des êtres délicats, des gens à ménager. L’étudiant réagit contre cette situation qui lui est faite en réclamant le droit d’être un combattant comme les autres. En septembre 1958, le colonel Ali Kafi, le médecin Lamine Khène et le commandant Allaoua Benbatouche [73] de la wilaya II, le commandant Si Salah et le docteur R., de la wilaya IV, reviennent de Tunis. Se frayant un passage en file indienne au milieu du « barrage qui tue », ils avancent avec précaution. Heurtant accidentellement un fil sous tension, Benbatouche est carbonisé en quelques secondes sous les yeux horrifiés de ses compagnons. R. vient derrière lui ; Si Salah se précipite et veut passer le premier. Le docteur refuse, parce que les intellectuels ne doivent pas se montrer plus sensibles que leurs frères de lutte. Ces relations complexes, tendrement hostiles, entre les deux éléments du maquis, ont été finement analysées par Rachid Boudjedra dans son premier roman : « Nos aînés nous traitaient très mal, jaloux peut-être de nous voir, au hasard des haltes, lire des traités de poétique, de mathématiques et de haute politique, alors qu’eux n’en savaient rien et brûlaient de les connaître ; il fallaitquelquefou-rire de potache pour faire taire les paysans méfiants, véritables écales à travers lesquelles on ne sentait rien frémir. Nous pardonnaient-ils notre accent ? Certainement, car au fond d’eux-mêmes ils nous respectaient, et veillaient la nuit autour de nos maigres bivouacs, pour empêcher les rapaces de venir planer au-dessus de nos couvertures roides... » [74]

Après l’indépendance, les survivants des quelque 150 lycéens qui suivaient en 1956 le stage de formation politique organisé par la wilaya IV dans les montagnes du Titteri cherchèrent à se retrouver pour se dénombrer. Il en restait une dizaine au plus.

« La route était semée de tombes... Si Moh, Arezki, je vous revois encore vivants.
-  J’étais en maths-spé, j’aime les maths, il faudra continuer nos études. Nous travaillerons en chantier s’il le faut et le soir nous étudierons. L’Indépendance n’est pas pour demain et plus les années passent plus il sera dur de reprendre les études, mais nous le ferons : d’accord Djamila ?
-  D’accord Si Moh ! » Arezki chantait, tu as chanté avec lui, plein de fougue. Le lendemain vous avez été tués. Une balle de FM Bart au cœur Arezki est mort sur le coup, toi, Si Moh, tu as souffert deux longues heures. Nous étions tapis dans les rochers, tu me tenais la main et je ne pouvais rien, rien pour toi. » [75]

La captivité

Tous ne trouvèrent pas la mort au bout de leur chemin. Un certain nombre d’entre eux se retrouvèrent un jour aux mains de l’adversaire. Quelle fut alors leur attitude ? L’UGEMA depuis sa fondation n’a cessé de dénoncer des cas de tortures et de morts suspectes. A l’opposé, les militaires français déclarent que la torture n’était que le moyen ultime de faire parler ceux qui s’y refusaient ; un prisonnier coopératif ne risquait aucun mal. Or l’obstination dans le silence aurait été le fait des êtres frustes, des illettrés, des militants de base. Les plus haut placés dans la hiérarchie se seraient montrés généralement les plus loquaces. Les intellectuels capturés auraient parlé d’abondance et spontanément. Ils se seraient facilement laissé convaincre de la nécessité d’arrêter la guerre pour construire avec la France, dans la fraternité, une Algérie nouvelle égalitaire. Notre opinion est que plus d’un étudiant arrêté fut à moitié ou plus qu’à moitié séduit par l’attitude généreuse d’officiers intelligents et dépourvus de haine, qui cherchaient à les convaincre sans leur faire honte de leur révolte. Mais les effets de cette action psychologique au meilleur sens du terme ne résistèrent pas, dans la plupart des cas, à l’expérience des prisons et des camps. Plus d’un centre de détention est resté célèbre par les mauvais traitements qu’infligeaient les gardiens, inspirés par leur haine des « fellaghas » confiés à leur garde [76]. Les exécutions des condamnés à mort par la guillotine scellaient dans la communion de l’horreur la solidarité patriotique de tous les détenus [77]. Les camps d’internement civils et militaires dispensaient une « action psychologique » dont les promoteurs, s’il faut en croire l’un d’eux, refusaient d’appliquer intégralement les recettes du Vietminh. Ainsi limité, cet « effort de persuasion » ne pouvait entamer des convictions fermement enracinées [78]. Toutefois, dans tous les camps et toutes les prisons d’Algérie, l’administration s’efforçait d’empêcher ou de briser l’organisation clandestine du FLN en triant et en isolant les internés par catégories relevant d’un traitement particulier, ou au contraire en mélangeant des membres du MNA messaliste à ceux du FLN. Partout en effet le FLN menait sa propre action psychologique [79]. Il encadrait les détenus et diffusait sa propagande par voie orale ou par des journaux manuscrits, tels que « Le « dernier quart d’heure » pour la victoire », édité dans la prison de Barberousse à Alger [80]. En France, où le régime carcéral était moins dur, il put se faire reconnaître comme l’interlocuteur valable de l’administration au prix d’une longue grève de la faim. Le nouveau règlement promulgué le 4 août 1959 permit aux étudiants emprisonnés non seulement de perfectionner leurs talents par la lecture, comme auparavant, mais aussi de transformer les prisons, ou tout au moins celle de Fresnes, en de vastes établissements scolaires où les militants les plus instruits enseignaient à leurs frères moins chanceux les connaissances nécessaires dans la perspective de l’indépendance prochaine [81].

EN RÉSERVE

La reprise des études

Toutefois au cours de la grève scolaire la perspective de l’indépendance n’avait fait que s’éloigner avec la rupture des négociations et le renforcement de l’effort militaire des deux camps. Il n’était pas raisonnable de sacrifier les études des futurs cadres de l’Algérie par une interruption d’une durée imprévisible. C’est pourquoi un communiqué du 14 octobre 1957 annonça : « Le comité directeur de l’UGEMA a décidé à l’unanimité la levée de la grève des cours et des examens à partir de la rentrée scolaire 1957-1958. Il lance un appel fraternel à tous les écoliers et écolières, lycéens et lycéennes, étudiants et étudiantes pour la reprise des cours à tous les échelons de l’enseignement. Cependant une exclusive totale reste jetée sur l’Université d’Alger, dont l’esprit colonialiste n’est plus à démontrer. »

Décision justifiée par les arguments déjà utilisés par les opposants de mai 1956 : « Confiant dans l’issue finale du combat libérateur et conscient des lourdes tâches qu’il aura à assumer pour édifier un État nouveau et en assurer le fonctionnement harmonieux, il doit se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités. Investi de cette nouvelle mission par son Peuple, il apporte la preuve de sa foi en l’avenir en préparant en pleine guerre les lendemains de la victoire, en donnant à l’Algérie indépendante des cadres solides, éprouvés et dignes de l’esprit révolutionnaire de son peuple. » [82]

Du côté français, en particulier dans l’AGEA, on voulut y voir un aveu de défaite habilement camouflé. Un article d’El Moujadhid réfuta cette interprétation : « Il sera difficile aux colonialistes français de crier victoire à la suite de cette décision et d’en faire une sorte de triomphe de la « pacification ». La grève est levée, mais ses conséquences demeurent. Il est des coups dont on ne se relève jamais, et la propagande faisant des intellectuels algériens des soutiens du régime colonialiste est désormais morte et enterrée. Une jeunesse qui a sacrifié deux années d’études pour l’idéal national et qui trouve suffisamment de forces en elle pour les reprendre là où elle les a interrompues, cela n’est pas fait pour rassurer les colonialistes. Non, ceux-ci ne chanteront pas victoire, c’est avec inquiétude et appréhension qu’ils envisagent ce retour de nos étudiants à l’Université... Ils ont déserté les facultés en patriotes conscients de leurs devoirs, ils la réintègrent en hommes libres que la patrie hors de danger délègue à des tâches nouvelles. L’Algérie marche à grands pas vers l’Indépendance, les tâches de l’avenir préoccupent les dirigeants de la révolution et tout Algérien doit s’y préparer... » [83]

Cette argumentation n’est pas entièrement convaincante. La grève des études, généralisée du supérieur au secondaire, puis au primaire, était conçue dans la perspective d’une insurrection générale prochaine. L’évolution de la guerre vers une épreuve de force de longue durée impose au contraire la reprise des cours.

Aussitôt les effectifs se gonflent dans les universités de France : 2.190 étudiants algériens inscrits à la rentrée de 1957-58, au lieu de 1.544 l’année précédente. Mais leurs tribulations ne sont pas terminées. De plus en plus l’UGEMA est tracassée par la police française. Le 12 novembre 1957, le secrétaire général Khemisti est arrêté à Montpellier. Le IIIe Congrès de l’Union se réunit en décembre 1957 dans une demi-clandestinité pour élire un nouveau comité directeur, présidé par Messaoud Aït-Chaalal. Le 27 janvier 1958, l’UGEMA est dissoute par décret, « vu la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées », ses dirigeants arrêtés, ses locaux perquisitionnés. Les étudiants français de gauche manifestent leur solidarité. Remis en liberté provisoire, les dirigeants de l’Union gagnent l’étranger où ils la réorganisent en obtenant des bourses et en préparant l’exode des étudiants algériens hors de France. Pendant ce temps en France même l’UGEMA se reconstitue clandestinement sous la forme d’une Section Universitaire de la Fédération de France du FLN. En décembre 1958 et janvier 1959, une vague d’arrestations frappe les deux organisations. Les sévices [84] subis rue des Saussaies par certains militants devaient être le principal argument de la plaidoirie que Maître Ould-Aoudia, avocat de quinze étudiants accusés d’avoir reconstitué 1’UGEMA, se proposait de prononcer quand il fut assassiné le 23 mai 1959, veille du procès. Peut-être par souci d’apaisement et pour satisfaire certains secteurs de l’opinion, notamment la gauche de l’UNEF qui manifestait sa solidarité avec les inculpés, ceux-ci furent jugés le 25 juillet dans une ambiance de sérénité, voire d’indulgence. Le ministère public fit un réquisitoire très modéré : « Le délit de reconstitution de ligne dissoute est établi et d’ailleurs reconnu. On ne peut le discuter, mais on peut le comprendre. Les prévenus incarnent la fusion de deux civilisations : ils sont les témoins d’un impossible divorce : comprenez-les. » [85] Treize inculpés furent acquittés, deux condamnés à un an de prison.

Néanmoins la France, devenue à partir du 25 août 1958 un champ de bataille parmi d’autres, est de plus en plus désertée par les étudiants algériens qui vont poursuivre leurs études à l’étranger ou bien, de 1960 à 1962, s’enrôler dans l’ALN en Tunisie et au Maroc. Pour enrayer cet exode les autorités françaises décident la non-délivrance, sous aucun prétexte, de leur dossier aux étudiants algériens et la nécessité d’un visa pour quitter le pays. Pourtant leur effectif dans les universités métropolitaines tombe de 2.190 en 1957-58 à 1.500 en 1958-59, alors que 600 d’entre eux s’inscrivent dans d’autres pays. En 1959-60, une source officielle française ne recense que 608 étudiants algériens dans les facultés de métropole [86]. En 1960-61, d’après une étude algérienne [87], les effectifs des étudiants algériens en France et à l’étranger s’équilibrent : un millier de chaque côté, organisés les uns dans la SU, les autres dans l’UGEMA en exil [88].

Cependant l’université d’Alger, bien que toujours frappée d’interdit, accueillait de nouvelles générations d’étudiants musulmans. Partant d’un niveau très bas : 250 ou 267 en 1956-57, leur nombre progresse au point d’atteindre des chiffres sans précédent : 392 ou 421 en 1957-58, 512 en 1958-59, 814 en 1959-60, 1.317 en 1960-61, 1.372 en 1961-62. A la rentrée de 1957-58, l’Écho d’Alger constate avec satisfaction la présence de « nombreux étudiants musulmans » dont « quelques-uns se sont inscrits à l’AGEA », au mépris de l’interdit maintenu par l’UGEMA. En 1958-59, l’un d’eux est élu vice-président de l’AGEA sur la liste Susini. À cause de leurs implications politiques, ces chiffres élevés sont vigoureusement contestés par l’UGEMA. Son président Aït-Chaalal ne peut toutefois que reconnaître l’existence d’étudiants musulmans à Alger en juillet 1960 : « Pratiquement, durant ces dernières années, les contacts ont été coupés avec Alger [... ] Ce n’est qu’à partir de l’an dernier que la nouvelle génération, après l’interruption de la chaîne au moment de la grève générale scolaire de 1956-57, commença à arriver à l’Université. Nous savons que la plupart de nos jeunes étudiants aurait voulu fuir l’université d’Alger, bastion de l’ultra-colonialisme. Le contrôle rigoureux des sorties de l’Algérie a été sûrement un grand obstacle. Il est difficile de donner des chiffres précis. Le gouvernement français donne le chiffre de 800 étudiants algériens à l’université d’Alger. Après information, il s’avère que dans ce chiffre sont comptés les capacitaires en droit, les élèves des centres de formation administrative et autres officines créées par le gouvernement français. Le nombre d’étudiants véritables ne dépasse pas 300 à 350 dont la plupart travaille comme instituteurs ou maîtres d’internat. » [89] Cette mise au point doit être vérifiée.

Même surestimée, cette masse d’étudiants musulmans intéressait les partisans civils et militaires de l’Algérie française. L’AGEA cherchait à les enrôler et attribuait à la peur de représailles en cas de victoire politique du FLN l’abstention de leur grande majorité. Pourtant un membre de l’AGEA déclarait en octobre 1960 : « Croyez-moi, la seule solution, c’est de leur montrer la force. Ainsi, à l’université, les quelques-uns qui sont restés ne bougent plus. » [90] Le général Jouhaud rencontra en septembre 1958 une ancienne étudiante, qui avait interrompu ses études en mai 1956. « Selon elle, beaucoup d’étudiants, dont certains avaient milité dans les rangs du FLN, étaient subjugués par les paras, par leurs procédés de persuasion psychologique. » [91] Le général Challe essayait de les toucher par l’intermédiaire de leurs professeurs. Il espérait leur faire comprendre que l’intérêt de leur pays était d’accepter l’intégration qui le ferait bénéficier de la prospérité française. Le nationalisme était, selon lui, un sentiment respectable, mais désavoué par la raison. C’est ainsi que les deux généraux expliquent un curieux épisode qui serait arrivé pendant leur « putsch » de 1961. Les représentants des 400 étudiants musulmans, considérés comme nationalistes, auraient déclaré à leurs professeurs le soir du 23 avril qu’ils étaient prêts à travailler avec l’armée française, maintenant qu’ils étaient sûrs qu’elle resterait en Algérie. L’Écho d’Alger annonça ce ralliement inattendu.

Ralliement au demeurant peu vraisemblable, car le succès de l’entreprise des quatre généraux était rien moins qu’assuré le soir du 23 avril, et la prudence la plus élémentaire imposait d’attendre pour se prononcer. L’attentisme semble avoir été l’attitude la plus répandue chez les étudiants musulmans d’Alger. Dans tous les cas, l’Algérie « intégrée » ou indépendante aurait besoin de cadres. Les études servaient de refuge contre les incertitudes politiques. Les militants du FLN se faisaient difficilement entendre en milieu estudiantin. « Chez les étudiants, l’idée généralement répandue était qu’ils constituaient les cadres naturels de l’Algérie de demain. Mais nous insistions pour faire comprendre qu’un étudiant est avant tout un militant, qui doit vivre avec son peuple, au milieu de lui. » [92] En l’absence d’organisation estudiantine, les rares étudiants militants se sont intégrés aux structures normales du FLN qui se reconstituent en 1960 à Alger. Le groupe des étudiants bilingues de l’Institut d’Études Supérieures Islamiques est un foyer de nationalisme culturel dont l’activité militante semble faible. Au contraire le Comité Étudiant d’Action Laïque et Démocratique, émanation de la gauche française, combat ouvertement le « fascisme » de l’AGEA. Favorable à l’autodétermination, ce groupement réunit 350 membres dont la moitié de musulmans. Ce sont eux qui brisent la grève, ordonnée par l’AGEA en signe de solidarité avec les accusés du procès des barricades, le 2 novembre 1960, au prix de bagarres homériques. C’est avec certains d’entre eux que Si Mohammed, chef de la wilaya IV, vient prendre contact ; les mêmes envoient un émissaire à l’UGEMA à la fin de 1960. A la rentrée de 1961-62, une Section Universitaire du FLN rassemble les étudiants musulmans, à des fins d’autodéfense. Son fondateur, Moula Hénine, est tué par l’OAS devant l’université en février 1962.

L’UGEMA en exil

Moins dangereuses, mais non moins difficiles, étaient les tâches de l’UGEMA en exil. Le repli hors de France était une aventure sans précédent pour le mouvement étudiant algérien formé dans le cadre de l’Université française. Il est vrai que dès sa fondation l’Union avait développé ses relations internationales avec les autres organisations estudiantines. Après sa dissolution, elle utilisa le capital de sympathies et de solidarités agissantes ainsi amassé pour opérer le reclassement du plus grand nombre possible de ses membres dans les universités étrangères, grâce à des bourses. « Née en pleine guerre, sur le territoire de l’ennemi, positivement engagée dans la lutte de libération, et par conséquent exposée directement à la répression colonialiste, notre organisation devait se couvrir et revêtir une armure pour résister à l’adversaire. Dès les premiers mois de l’existence de notre Union, nous avions compris la nécessité vitale de nous intégrer dans le mouvement international étudiant. » [93] Le concert de protestations et le mouvement de solidarité entraînés par la dissolution de l’UGEMA prouvèrent le bien-fondé de cette stratégie.

Trois principes inspirent l’action internationale de l’Union estudiantine algérienne : anticolonialisme, indépendance et action. L’UGEMA s’engage en faveur de la plus large coopération internationale contre le colonialisme. Dans un esprit de neutralisme actif, elle refuse de prendre parti dans la grande querelle Est-Ouest, qui n’est pas faite pour servir sa cause. C’est pourquoi elle rompt toutes relations avec les organisations qui ne soutiennent pas les luttes de libération nationale et le droit à l’autodétermination, comme l’UNEF de 1956 à 1960. Pour les mêmes raisons elle participe à la conférence des étudiants de Bandoeng en juin 1956, se fait reconnaître comme union nationale à la VIe Conférence Internationale des Étudiants [94] à Colombo en septembre 1956, malgré l’opposition de l’UNEF, et adhère quelques mois plus tard comme membre associé à l’Union Internationale des Étudiants [95]. Il serait trop long d’énumérer les conférences internationales auxquelles participa l’UGEMA à l’Est, à l’Ouest, et dans les pays non alignés. Dans tous ces forums les étudiants algériens firent connaître la lutte de leur peuple pour son indépendance : « Notre but était clair : informer, expliquer la tragique réalité algérienne, démystifier le monde étudiant qui distingue mal la France culturelle et la France colonialiste, gagner les sympathies à notre juste cause, obtenir l’engagement concret de la communauté étudiante mondiale dans la lutte que nous menons. » [96] Cette action inlassable fut parfaitement efficace, au point d’alarmer les autorités françaises. Le général Challe déclarait en octobre 1959 : « Même si on interdisait à Ferhat Abbas ou à ses adjoints immédiats de rentrer, il ne faut pas oublier que tous les étudiants FLN qui sont partout dans le monde, et il y en a pas mal de l’autre côté du rideau de fer notamment, finiront par revenir, et ceux-là sont peut-être encore plus dangereux que Ferhat Abbas ou les membres du GPRA. » [97]

En même temps l’UGEMA servait sa propre cause. Les arrestations, les procès, voire les assassinats [98] qui la frappaient étaient aussitôt portés à la connaissance des étudiants du monde entier. « Sans cette vaste et énergique pression du monde étudiant nous sommes sûrs que le colonialisme aurait frappé beaucoup plus sauvagement qu’il ne l’a fait. » [99] La mise en liberté provisoire des dirigeants de l’Union après sa dissolution en février 1958 fut une conséquence de la campagne de protestation déclenchée en France et dans le monde entier. La solidarité estudiantine permit à l’UGEMA de transférer sa base à l’extérieur. Déjà pendant la grève le comité directeur avait commencé à obtenir des bourses hors de France pour concilier la nécessité de former les cadres de l’Algérie indépendante avec le boycott des universités du pays ennemi. Vingt bourses en Suisse, dix dans les pays de l’Est, trois en Sarre, étaient pourvues en octobre 1957. Après la dissolution, les persécutions policières donnèrent au mouvement l’ampleur d’un exode qui prenait de court la direction de l’Union. Elle put y faire face grâce à la solidarité des deux organisations internationales étudiantes. Les 17 et 18 avril 1958, la CIE réunit à Londres une conférence extraordinaire sur la dissolution de l’UGEMA, qui vota une résolution favorable à une négociation en vue de l’indépendance de l’Algérie, et mit au point un programme d’assistance matérielle et un système de bourses pour les étudiants algériens. Du 24 au 30 mai 1958, l’UIE organisa une semaine de solidarité et offrit elle aussi de nombreuses bourses dans les pays de l’Est. D’année en année, le mouvement de solidarité se développe dans le monde entier. Le ministère des affaires sociales et culturelles du GPRA et l’UGEMA organisent des services sociaux pour accueillir et aider les étudiants démobilisés et les lycéens réfugiés qui s’entassent dans des conditions difficiles en Tunisie et au Maroc. L’UGEMA modifie ses statuts en 1960 pour intégrer les lycéens de terminale étudiant en dehors de l’Algérie et d’autres catégories d’élèves sans baccalauréat qui partagent les mêmes problèmes [100]. En 1960, l’Union estudiantine algérienne est devenue une vraie diaspora. Un document [101] publié en juillet 1961 précise la répartition de ses boursiers, par pays et par branche d’enseignement. Le total est 1.882, dont 987 dans le secondaire et 847 dans le supérieur. Les lycéens sont rassemblés dans les pays arabes, particulièrement en Tunisie et au Maroc. Dans le supérieur, l’importance des pays arabes est frappante : 406 étudiants, contre 264 à l’Ouest et 234 à l’Est. En considérant l’utilité des disciplines pour le développement futur de l’Algérie, le classement est inverse. Les étudiants en lettres sont les plus nombreux dans les universités arabes. L’UGEMA et le ministère des affaires sociales et culturelles favorisent les études scientifiques et techniques pour dépasser la vieille trinité « droit-médecine-pharmacie » dans laquelle s’enfermaient les étudiants algériens de l’Université française jusqu’en 1954. Dans son discours au IVe congrès de l’UGEMA, le président Ferhat Abbas, ancien leader du mouvement étudiant algérien, souligne l’importance de cette nouvelle orientation : « Et déjà vous avez détruit un mythe. Tous les jours nous apportent des preuves tangibles de cette vérité incontestable : il n’y a pas de race supérieure ni de race inférieure. En six ans la Révolution Algérienne a formé parmi vous plus de techniciens que le régime colonial n’en a formé en 130 ans d’occupation. Il faut le dire et le répéter. Fermer la porte des grandes écoles et de la technique à des générations d’Algériens pour accuser ensuite notre peuple de manquer d’aptitudes pour les sciences exactes est une des nombreuses escroqueries que les colonialistes ont entretenues et développées. » [102] Les élèves ingénieurs sont 2 dans les pays arabes, 65 en Occident et 128 dans les pays communistes.

Dispersés aux trois coins du monde, les étudiants algériens étaient exposés aux influences idéologiques les plus diverses. Le IVe Congrès de l’UGEMA, réuni à Tunis en juillet 1960, ressemblait à une conférence internationale. Il eut à régler le cas d’étudiants boursiers en Allemagne de l’Est, commissaires politiques du FLN, qui s’étaient laissé gagner par les sollicitations de leurs hôtes au point d’adhérer à leur parti communiste. Rappelés à Tunis, ils avaient refusé d’obéir. Le Congrès vota une résolution contre le « travail fractionnel » et approuva la décision prise contre les rappelés [103]. C’est avec raison que le président Aït Chaalal rappela les principes de l’action internationale de l’UGEMA.

Les étudiants dans l’appareil extérieur du FLN-ALN

Comme les associations estudiantines antérieures, l’UGEMA servit d’école de cadres au mouvement national. Ses principaux dirigeants furent promus à des postes importants dans l’appareil extérieur gouvernemental et diplomatique du FLN. Mohammed Benyahia, leader de la section algéroise de l’Union et organisateur de la grève, fut nommé membre du Conseil National de la Révolution Algérienne dès août 1956. Représentant du Front en Indonésie, puis chef de cabinet du président Ferhat Abbas, il vint à Melun en juin 1960, avec Ahmed Boumendjel, pour préparer des négociations directes. Membre de l’état-major de la wilaya II, le docteur Lamine Khène, autre militant algérois, fut nommé secrétaire d’État dans le premier GPRA en 1958. Membre important de la direction de l’UGEMA et du secrétariat permanent de la Fédération de France du FLN, Redha Malek prit en charge la rédaction d’El Moudjahid à Tunis et fut le porte-parole de la délégation FLN à la première conférence d’Evian [104]. Ancien dirigeant de l’UEAP, puis membre de la direction de la Fédération de France du FLN, collaborateur de Belkacem Krim, secrétaire général du ministère des affaires étrangères pendant les négociations décisives en 1961-62, Mohammed Harbi eut un rôle non moins important. Belaïd Abdesselam, véritable père de l’UGEMA [105], et Mohammed Khemisti, libéré de ses prisons, représentèrent le FLN dans l’exécutif provisoire avec le docteur Mostefaï. Cette liste incomplète donne une idée des hautes fonctions auxquelles préparait I’UGEMA.

Enfin le mouvement estudiantin fournitdenouveauxcadres à l’ALN. Après l’échec de la première rencontre franco-FLN à Melun en juin 1960, il apparut que les positions des deux parties n’étaient pas encore conciliables malgré la reconnaissance du droit à l’autodétermination. Si l’indépendance était désormais prévisible, le FLN entendait renforcer sa pression pour pour contraindre le gouvernement français à céder sur les conditions qu’il y mettait.C’est pourquoi le IVème Congrès de l’UGEMA, réuni le mois suivant, rappela sa grève de 1956-1957 et confirma l’exclusion pure et simple des non-grèvistes. Les étudiants algériens "entendent poursuivre inlassablement au prix de n’importe quel sacrifice la lutte libératrice et accroître leur participation directe au combat. Ils se déclarent en état de mobilisation permanente au service de la Révolution. Ils sont prêts à abandonner leurs études pour répondre à tout appel de leur gouvernement" [106]. Cette fois, il n’y eut pas d’ordre général de grève. L’UGEMA lança un appel aux volontaires, entendu spécialement dans la Section universitaire de la Fédération de France. Plusieurs dizaines d’étudiants s’engagèrent, pour des raisons diverses, dans l’armée des frontières stationnée en Tunisie et au Maroc. Ils contribuèrent à renforcer son encadrement dans la perspective de sa transformation en une armée de type moderne. Toutefois leur geste eut peu d’influence sur l’issue de la lutte. Il rappelait simplement l’échec de la politique d’assimilation par l’école française et l’urgence de mettre un terme à une guerre fratricide.

Comme leur peuple, les étudiants algériens ont participé à la guerre d’indépendance de leur pays. Leur compétence leur a ouvert l’accès à de hauts postes, présage de brillantes carrières. Mais leur degré d’engagement a varié suivant les époques. Si l’UGEMA prit des risques croîssants de sa fondation à la grande grève de 1956-1957, si un nombre important d’étudiants et surtout de lycéens restèrent en première ligne de 1956 à la fin de la guerre, le mouvement étudiant s’est mis en réserve pour l’avenir dès octobre 1957 en agissant sur des théâtres d’opérations moins exposés.

"Cela n’a aucune importance que nous mourions. Notre force, c’est notre jeune élite qui s’instruit actuellement en France ou à l’étranger. C’est pour eux que nous faisons la guerre, cette guerre d’hommes mûrs et de gens sans importance". Colonel Amirouche, à un prisonnier français [107].

Guy Pervillé

[1] Terme moins contestable que celui de « guerre subversive ». Cf. Roger Trinquier, Guerre, subversion, révolution, Paris, Robert Laffont, 1968, 287 p. Pour une critique de ce livre, cf. Guy Pervillé, « La guerre subversive en Algérie : la théorie et les faits », Relations internationales, n° 3, juillet 1975, pp. 171-194.

[2] Pour savoir comment et pourquoi, cf. G. Pervillé, « Le sentiment national des étudiants algériens de culture française de 1912 à 1962 », Relations internationales, n° 2, novembre 1974, pp. 233-259.

[3] Ou 1.700 d’après une autre source. Le nombre des étudiants musulmans algériens ne peut guère être connu avec certitude, parce qu’ils n’étaient recensés à part qu’à l’Université d’Alger. Les statistiques universitaires métropolitaines comptaient comme Algériens tous les étudiants originaires d’Algérie.

[4] Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord, fondée en 1918 et présidée de 1927 à 1931 par Ferhat Abbas.

[5] Ils constituèrent l’UGEA, qui dura quelques mois. Tous les Algériens partisans de l’indépendance, même non-musulmans, y étaient admis.

[6] L’étudiant algérien (1) fin 1955, pp. 1 et 6.

[7] Les étudiants algériens en lutte, Tunis, UGEMA, 1960, p. 10

[8] Union Nationale des Étudiants de France.

[9] L’Action, Tunis, 30 janv. 1956.

[10] Le Monde, 25 fév. 1956.

[11] Les étudiants algériens en lutte, op. cit., p. 43.

[12] Le Monde, 3 avril 1956.

[13] Libération, 26 juillet 1959.

[14] Un stage de formation d’infirmiers et d’infirmières avait commencé en avril après le IIe Congrès de l’UGEMA. En mai, le chef de la section d’Alger, Benyahia, avait réuni à deux reprises plusieurs centaines de lycéens dans la forêt de Sidi Ferruch pour les initier à la vie du maquis (témoignages).

[15] Brochure éditée par le IVe Congrès de l’UGEMA en juillet 1960.

[16] Ibid.

[17] Il étend aussitôt cette grève aux lycées, et le 1er octobre 1956 aux écoles primaires : « Ce geste signifiera que la rupture est définitivement consommée entre le peuple algérien et les autorités françaises dans tous les domaines, y compris le domaine culturel », déclare un tract du FLN, cité dans Espoir-Algérie, sept. 1956.

[18] El Moudjahid, n° 4, nov. 1956.

[19] Les étudiants étaient requis de servir pendant les vacances dans les « Sections Administratives Spécialisées » (SAS), nouvelle version des « bureaux arabes » destinés à contrôler la population.

[20] El Moudjahid, n° 2, fin juillet 1956.

[21] Exemple le tract : « Bande de salopards », reproduit dans L’Action, Tunis, 31 déc. 1956, d’après Rivarol.

[22] Les relations UNEF-UGEMA en 1956 avaient été fluctuantes, en fonction du rapport des forces entre les tendances « majo » et « mino » (cette dernière mieux disposée envers l’UGEMA) dans les instances dirigeantes de l’UNEF. Mais l’UGEMA maintient des relations locales avec les associations « mino ». En 1960, l’UNEF, passée aux mains des « mino », renoue officiellement avec l’UGEMA et envoie un observateur à son IVe Congrès à Tunis.

[23] Ils étaient membres du parti nationaliste MTLD, dont le CRUA essaya de sauver l’unité pendant la crise qui opposa en 1954 les centralistes, partisans du comité central, aux messalistes, fidèles du président-fondateur Messali. Mourad Didouche, l’un des animateurs du CRUA, était en contact fréquent avec les étudiants Madi, Zidi et Harbi. Cf. Mohammed Harbi, Aux origines du FLN, Paris, Christian Bourgois, 1975, 316 p. (pp. 15 8 et 263).

[24] El Moudjahid, n° 4, nov. 1956.

[25] L’Action, 11 juin et 17 déc. 1956. Des étudiants participent à la rédaction de Résistance Algérienne, organe du FLN en France.

[26] Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains en France, créée à Paris en 1927.

[27] Mohammed Lebjaoui, Vérités sur la révolution algérienne, Paris, Gallimard, 1970, 249 p. (p. 80).

[28] Cf. La gangrène, Paris, Éditions de Minuit, 1959, 101 p.

[29] Certains dirigeants de la Fédération voulaient mettre fin à toute autonomie de l’organisation étudiante, utiliser ses membres comme tous les autres militants ; d’autres préféraient les tenir à l’écart.

[30] Belaïd Abdesselam, ancien président de l’AEMAN et fondateur de l’UGEMA, fut nommé commissaire politique zonal en remplacement de Brahim Chergui ; mais il se réfugia au Maroc avant d’apprendre sa nomination. Cf. Harbi, op. cit., p. 304.

[31] Sur la ZAA, consulter Yves Godard, Les paras dans la ville, Paris, Fayard, 1972, 445 p. Cette organisation fut rétablie dans son autonomie en 1962 pour lutter contre l’OAS.

[32] Cf. Appel du 19 mai 1956 : « ... aux côtés de ceux qui luttent et meurent libres face à l’ennemi. »

[33] « Mais mon cœur, tu crois, tu crois aux hors-la-loi... » (Nadia Guendouz, « Les hors-la-loi », in Espoir et parole, poèmes algériens recueillis par Denise Barrat, Paris, Seghers, 1963, 253 p., pp. 62-63).

[34] Témoignages, confirmés par Alberte Sadouillet, En Algérie au fil du drame, Alger, Baconnier, 1956, 180 p. (p. 102) et par Pierre Beyssade, L’agonie d’un monde, Marseille, en souscription, s.d., 224 p. (p. 108). Cf Edmond Jouhaud, O mon pays perdu, Paris, Fayard, 1969, 550 p. (pp. 32-33).

[35] Les témoignages oraux nous ont fourni la moitié de notre documentation. Leur importance est particulièrement grande dans ce chapitre.

[36] La répudiation, Paris, Denoël, 1969, 293 p. (p. 212).

[37] Mais pas toujours en fait.

[38] « À travers les zones libérées de l’Algérois », El Moudjahid, n°9, 20 août 1957.

[39] Ibid.. Sur la wilaya IV, cf. commandant Azzedine, On nous appelait fellaghas, Paris, Stock, 1976, 345 p.

[40] La caméra et le magnétophone ont fait leur apparition dans la wilaya IV en 1958 (compte rendu de la conférence inter-wilayas de décembre 1958).

[41] Citée par Georges Buis dans son roman La grotte, Paris, Julliard, 1961, 317 p. (pp. 93-94). Il en garantit personnellement l’authenticité et la donne en exemple de la mentalité de certains chefs des maquis.

[42] C’est tout le portrait des « fellaghas » dans la presse de l’Algérie française.

[43] Charles Maurras.

[44] Publié in extenso in Espoir et parole, op. cit., pp. 49-50.

[45] Nom de guerre de Boualem Oussedik.

[46] Dechra ou mechta : ferme ou hameau isolé.

[47] Patrick Kessel et Giovanni Pirelli, Le peuple algérien et la guerre, Paris, Maspero, 1962, 716 p. (p. 132).

[48] Ibid., p. 133.

[49] La répudiation, p. 165.

[50] Ibid., p. 210.

[51] « Sections administratives spécialisées », antennes locales des sous-préfectures, dirigées par un officier et gardées par une trentaine d’hommes armés, les « mokhaznis ». L’aide sociale, l’action psychologique et le renseignement étaient leurs missions.

[52] Documents cités par Claude Paillat, 2ème dossier secret de l’Algérie, Paris, Presses de la Cité, 1962, 535 p. (pp. 355-356),

[53] Bulletin intérieur de la ZAA, 1957. Cité par Jacques Duchemin, Histoire du FLN, Paris, La Table Ronde, 1962, 328 p. (p. 208).

[54] Cf. Le Monde, 31 mars, 1, 2 et 24 avr. 1956.

[55] Exemple de Tizi Hibel dans le Journal de Mouloud Feraoun, Paris, Éditions du Seuil, 1962, 348 p. (p. 296). Ce précieux témoignage peut être confronté avec le Journal de marche du maquisard Abdelhamid Benzine (Alger, Éditions Nationales Algériennes, 1965, 138 p., p. 60). Nous l’avons fait dans « La guerre subversive en Algérie » (op. cit., supra., note 1). Voir aussi le témoignage romancé du général Buis, La grotte, op. cit., pp. 115-116 et 130-133.

[56] Le peuple algérien et la guerre, op. cit., p. 131.

[57] Ibid., pp. 132 et 134.

[58] Opération racontée par Yves Courrière, L’heure des colonels, Paris, Fayard, 1970, 650 p. (pp. 132-160), et avant lui par Claude Paillat, documents à l’appui.

[59] Rapport au CCE, cité par Claude Paillat, Dossier secret de l’Algérie, Paris, Presses de la Cité, 1961, 536 p. (pp. 99-100).

[60] Ibid., p. 96.

[61] Ibid., pp. 248-249.

[62] Ibid., p. 214 (procès-verbaux du conseil inter-wilayas de décembre 1958). C’est nous qui soulignons.

[63] Cité par le commandant Guvan, « Étude de quelques motivations et comportements du nationalisme musulman d’Algérie » (1961), CHEAM (Centre de Hautes Études Administratives sur l’Afrique et l’Asie Modernes), doc. 3614.

[64] Le bachaga Boualem affirme avoir reçu la visite de Khaled, dont il connaissait bien la famille. Cf Mon pays la France, Paris, Éditions France-Empire, 1962, 265 p. (pp. 243-245).

[65] Dossier secret..., op. cit., p. 152.

[66] Ibid., p. 254. C’est nous qui soulignons.

[67] El Moudjahid, réédition de Belgrade, 1962, volume 1, p. 456 (mai 1958). C’est nous qui soulignons. Cf Benoist Rey, Les égorgeurs, Paris, Éditions de Minuit, 1961, 99 p. (p. 33).

[68] El Moudjahid, volume 2, p. 210.

[69] Les responsables qui ont su faire confiance aux intellectuels n’en ont eu que plus de mérite.

[70] Il faudrait, pour être juste, vérifier ce point par une étude précise. Les aveux extorqués n’étaient pas les seules preuves de la « trahison » ; il y avait aussi les lettres envoyées par les services français à leurs « correspondants » du maquis. Y a-t-il eu du côté français une volonté de priver le maquis de ses meilleurs éléments ?

[71] Cette analyse repose sur plusieurs témoignages oraux.

[72] Mais le colonel Lotfi, successeur du colonel Boumedienne à la tête de la wilaya V, était un ancien élève du lycée franco-musulman de Tlemcen.

[73] Ancien membre du bureau de l’UGEMA d’Alger.

[74] La répudiation, op. cit., p. 211.

[75] Danièle Amrane, « Boqala » in Espoir et parole, op. cit., p. 149.

[76] Cf. Abdelhamid Benzine, Le camp, Paris, Éditions Sociales, 1962, 94 p., témoignage sur le Camp Militaire d’Internement Spécial de Boghari.

[77] Cf. Zohra Drif, La mort de mes frères, Paris, Maspero, 1960, 19 p.

[78] Ancien inspecteur des centres d’internement, Pierre Beyssade écrit dans son livre La guerre d’Algérie (Paris, Éditions Planète, 1968, 269 p.) pp. 98-99 : « Le bourrage de crâne est proscrit au bénéfice d’une action psychologique nuancée à caractère de simple information [...] Il faut d’abord comprendre qu’elle était cantonnée, en fait, hors des limites tracées par les zones de mentalité inculte et celles où les convictions nationalistes se trouvaient profondément enracinées. La fraction de population musulmane susceptible d’être touchée par l’action psychologique se réduisait à 20 ou 30 % de son ensemble. » Frantz Fanon porte un jugement plus sévère dans Les damnés de la terre (Paris, Maspero, 1961, 242 p., p. 219 sq.) sur les méthodes et les effets de l’action psychologique, qu’il décrit comme un lavage de cerveau et un dressage pavlovien.

[79] Nombreux témoignages dans Le peuple algérien et la guerre, op. cit.

[80] Texte reproduit in : Duchemin, op. cit., partie documentaire, sous le titre : « La guerre que l’on appelle psychologique ».

[81] Cf. Jacques Charby, L’Algérie en prison, Paris, Éditions de Minuit, 1961, 108 p.

[82] L’Action, Tunis, 21 oct. 1957.

[83] El Moudjahid, 1er nov. 1957.

[84] Cf. La gangrène, op. cit.

[85] Rapports de la Commission de Recherche et d’Information de la CIE, 1959-60.

[86] Bureau Universitaire de Statistiques, L’étudiant musulman algérien, études et carrières, Paris, 1959.

[87] Zahir Farès, Les thèmes, les idées politiques et l’action du syndicalisme étudiant algérien de 1955 à 1962, DES de Sciences Politiques, Paris, 1966, 162 p. (p. 60) (ronéotypé).

[88] La SU faisait partie à la fois de l’UGEMA et de la Fédération de France du FLN, dont certains dirigeants voulaient absorber l’organisation estudiantine dans son ensemble. En décembre 1961, l’UGEMA prend le nom de Section Universitaire du FLN.

[89] UGEMA IVe Congrès, Tunis, 1960, p. 28. La statistique française comprend sans doute aussi les nouveaux centres universitaires de Constantine, Oran et Tlemcen.

[90] Afrique Action, Tunis, 17 oct. 1960.

[91] Jouhaud, op. cit., p. 97.

[92] « Le second souffle de la Révolution », in El Moudjahid, 1er nov. 1961.

[93] Rapport moral du président Aït Chaalal, UGEMA..., op. cit., p. 32.

[94] La CIE est une organisation regroupant les syndicats étudiants ayant rompu avec l’Union Internationale des Étudiants (UIE) qu’ils jugent inféodée au mouvement communiste. Son siège est à Leyde (Pays-Bas).

[95] Organisation estudiantine mondiale fondée à Prague en 1945 et contrôlée par les communistes après 1948, d’où la sécession de la CIE. Son président Jiri Pelikan fit beaucoup pour les étudiants algériens.

[96] UGEMA, op. cit., pp. 33-34.

[97] Maurice Challe, Notre révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968, 445 p. (p. 139).

[98] Ceux de Me Ould Aoudia, avocat de la SU, à Paris, et de l’étudiant Akli Aïssiou à Bruxelles en 1959.

[99] UGEMA, op. cit., p. 35.

[100] Ibid., p. 80.

[101] « L’Algérie, année zéro », Afrique Action, 10 juil. 1961.

[102] UGEMA, op. cit., p. 12.

[103] Ibid., pp. 66, 71-72.

[104] Une motion du IVe Congrès accorde le titre de « membres d’honneur » à ces trois vétérans (Ibid., p. 75).

[105] Une autre exprime sa « reconnaissance émue » et sa « profonde gratitude » « au président Belaïd Abdesselam, père de notre Union » (Ibid., p. 75).

[106] Ibid., pp. 63-65

[107] Cité par Benoist Rey, op. cit., p. 33



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