Ancien officier de parachutistes devenu écrivain militaire, l’auteur a rassemblé de nombreux témoignages, connus ou inédits, de soldats ayant servi à différents niveaux de responsabilité et dans différents secteurs en Algérie, pour en tirer un panorama de l’évolution militaire, tactique et stratégique, du conflit. En dépit d’un réel effort de synthèse, il s’agit d’un mémorial des héros et des faits d’armes du camp français plutôt que d’une analyse explicative. Le récit est vivant, précis, bien illustré par un cahier de photographies commentées et par un grand nombre de cartes et de croquis. Comme la plupart des livres de ce genre (notamment l’ouvrage collectif Soldats du Djebel, Paris, Société de production littéraire, 1979, dirigé par François Porteu de la Morandière, dont Henri Le Mire fut l’un des principaux collaborateurs), celui-ci laisse l’impression d’une quasi-victoire sur le terrain, dédaignée et rendue vaine par l’incompréhension ou la mauvaise volonté du pouvoir civil, pourtant incarné depuis 1958 par un militaire : le général de Gaulle. Il explique, une fois de plus, les raisons de la révolte d’une grande partie des cadres de l’armée contre sa politique. Mais il ne permet pas de comprendre pourquoi celui-ci n’a pas cru en la possibilité ou en la durée d’une « solution militaire du problème algérien ».
Ces limites inhérentes au projet de l’auteur sont aggravées par le vieillissement de son information. Il s’agit en effet d’une réimpression sans mise à jour d’une première édition parue en 1982, dont la chronologie et la bibliographie s’arrêtaient en 1980. L’inconvénient est particulièrement sensible à lire le tableau des pertes des deux camps (pages 385-386) établi par l’auteur d’après un article du général Jacquin (paru en 1974 dans Historia magazine, série La guerre d’Algérie, n° 371-112).
Le bilan des pertes des « forces de l’ordre » affirme que celles-ci auraient perdu 7.000 tués après avril 1961 (sur 16.800 en tout de novembre 1954 à mars 1962), ce qui paraît invraisemblable sachant que leur nombre atteignait déjà 7.972 tués au 1er octobre 1958. De plus, le nombre des civils « français-musulmans » tués par le FLN avant le 19 mars 1962 est arrondi arbitrairement à 50.000 (au lieu de 16.378 tués et 13.296 disparus recensés) ; et surtout celui des musulmans massacrés après le cessez-le-feu est estimé à 150.000 sans preuve décisive (alors qu’une autre évaluation, également fondée sur la généralisation de témoignages localisés, aboutit à un ordre de grandeur de 25.000 à 30.000 victimes). Au contraire, les pertes subies par l’autre camp sont limitées aux 141.000 « rebelles » recensés par les statistiques militaires, bien que Paul Delouvrier et le général de Gaulle eussent jugé nécessaire de les majorer à 200.000 morts. Ainsi, le tableau impute au FLN la mort de 219.500 musulmans, contre 158.000 victimes dans ses rangs (en y comprenant celles des purges internes et des accrochages avec les forces tunisiennes et marocaines). Mais le total de 377.500 morts musulmans dépasse largement l’ordre de grandeur (de 250.000 à 300.000) jugé compatible avec les statistiques démographiques algériennes par l’article de Xavier Yacono, « Les pertes algériennes de 1954 à 1962 » (Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1982-2). Le bilan du général Jacquin repris par Henri Le Mire paraît donc sollicité de façon à confirmer la thèse de la « pacification » protégeant les populations fidèles contre la « subversion » (démentie par les statistiques brutes sur lesquelles de Gaulle fondait son appréciation pessimiste des chances de durée d’une reconquête militaire). Il est bon de dénoncer, comme le fait l’auteur, le « bobard » du million de morts algériens. Encore faut-il se garder de répéter la même exagération, fût-ce à un niveau inférieur.
Guy Pervillé