Jean-Yves Goëau-Brissonnière, Mission secrète, pour la paix en Algérie (1994)

lundi 23 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Jean-Yves Goëau-Brissonière,Mission secrète. Pour la paix en Algérie. 1957, Paris, Lieu commun, 1992, 249 pp., a été publié dans la Revue française d’histoire d’Outre-mer n° 303, 2ème trimestre 1994, pp. 217-218.

Ce livre est un témoignage de première main sur un épisode presque oublié des tentatives de contact entre les dirigeants de la IVème République et le FLN algérien, par son principal acteur du côté français. Celui-ci, d’une honorable famille algéroise, résistant et homme de gauche (à la fois socialiste et collaborateur de Pierre Mendès France), avait manifesté pendant ses études juridiques et ses débuts dans la carrière d’avocat un grand intérêt pour les problèmes de décolonisation. Entré en 1956 au cabinet du secrétaire d’État aux affaires tunisiennes et marocaines Alain Savary, puis, après la démission de celui-ci, à celui du ministre des Affaires étrangères Christian Pineau (dont il rédigea le discours sur la question algérienne pour la session de l’ONU), il avait à ce titre pris connaissance du dossier des contacts secrets entre les émissaires de la SFIO et le FLN interrompus le 22 octobre 1956 par l’interception de l’avion marocain transportant à Tunis les chefs extérieurs de l’insurrection. Soucieux de contribuer à la recherche de la paix, l’auteur accepte le 17 juin 1957 la mission proposée par Christian Pineau, Robert Lacoste et le président du Conseil Maurice Bourgès-Maunoury, d’aller à Tunis comme observateur au congrès de la Confédération internationale des syndicats libres, afin de reprendre contact avec les chefs du FLN par l’intermédiaire de l’Union générale des travailleurs algériens. Du 5 au 10 juillet 1957, plusieurs rencontres avec Rachid Abdelaziz (de l’UGTA) puis Aït Ahcène et Mhamed Yazid (du FLN) aboutirent à un accord de principe sur la poursuite des entretiens à un plus haut niveau. Mais dès le 10 juillet, ils furent torpillés par l’intervention des services secrets français, couverts par le ministère de l’Intérieur et par l’éminence grise du président du Conseil, Abel Thomas. Un avocat tunisien de Ben Bella, Maître Chaker, voyageant bizarrement dans le même avion spécial que l’auteur, fut arrêté à Orly porteur de comptes rendus des entretiens. Jean-Yves Goëau-Brissonnière fut officiellement désavoué par le président du Conseil, qui prétendit ne l’avoir jamais vu, et ne voulut pas le démentir par loyauté.

Au-delà de cette mésaventure d’un homme de bonne volonté, ce livre nous apprend beaucoup sur les arcanes de la politique algérienne de la IVème République ; mais cette affaire embrouillée reste bien ténébreuse. Il apparaît que dès le début beaucoup trop de monde était au courant de cette mission confidentielle, à la fois dans la gauche mendésiste qui ne croyait pas à la volonté de paix du président du Conseil, et dans la droite nationaliste qui le soupçonnait de manquer de fermeté. Que les instructions reçues de Christian Pineau, de Robert Lacoste (premier instigateur de cette mission à Tunis) et du cabinet de Maurice Bourgès-Maunoury ne concordaient pas sur les noms des personnes à informer ou à tenir à l’écart. Et surtout que ces trois responsables ne s’accordaient pas sur le but même de la mission, comme le reconnut Christian Pineau après le conseil des Ministres du 11 juillet : « La discussion a été plus qu’animée entre Robert Lacoste, soucieux de connaître la nature exacte de notre entreprise, et moi qui ne lui avais pas tout révélé ». L’auteur s’est plusieurs fois demandé, avant et après son échec, s’il n’avait pas été manipulé par ses mandants. Après avoir lu son témoignage, on continue à se demander s’il avait été chargé d’une mission de renseignement, de sondage sur les intentions de l’adversaire, d’une amorce de négociation, ou d’une diversion destinée à l’ONU. Il semble que chacun des trois responsables avait sa propre réponse à cette question. Le FLN en tira les leçons : ne discuter qu’avec des représentants officiels de tout le gouvernement français, sur la base du droit de l’Algérie à l’indépendance. C’est en cela que cette affaire oubliée fut une étape non négligeable sur la voie de la négociation.

Guy Pervillé



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