Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France (2003)

lundi 21 février 2005.
 
Communication au colloque Les usages politiques de l’histoire dans la France contemporaine, des années 70 à nos jours (Paris, 25-26 septembre 2003). Comme celui des autres communications à ce colloque, son texte est disponible sur le site Internet du Centre d’histoire sociale du XXe siècle : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr. Une version condensée a été publiée dans le deuxième tome des actes du colloque "Concurrence des passés, usages politiques du passé dans la France contemporaine", sous la direction de Maryline Crivello, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt, Publications de l’Université de Provence, 2006, pp.257-269.

Existe-t-il une politique de la mémoire et une politique de l’histoire de la guerre d’Algérie en France ? Pendant longtemps, cette question appelait une réponse négative, parce que la France était caractérisée par l’absence de mémoire officielle et de statut officiel de la recherche historique sur cette guerre ; ce qui la distinguait très nettement de l’Algérie, où la commémoration de la « guerre de Libération » et l’écriture de son histoire étaient et restent considérés par l’Etat comme des enjeux politiques majeurs. Ce qui ne veut pas dire que la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie étaient dépourvus d’enjeux politiques en France. Mais ceux-ci n’ont fait que se renforcer depuis quelques années, en même temps que les pouvoirs publics ont commencé à désavouer la politique du silence et de l’amnésie pratiquée depuis 1962.

De 1962 à 1999, en effet, la guerre d’Algérie était, en France, une guerre sans nom, sans commémoration ni signification. Une guerre sans nom, parce que l’Etat persistait dans son refus de reconnaître, même rétrospectivement, la situation de guerre, et préférait parler d’ « opérations de maintien de l’ordre ». Sans commémoration officielle, parce que les gouvernements successifs avaient espéré guérir les troubles de la mémoire française par une cure d’amnésie, traduite en une série de lois d’amnistie échelonnées de 1962 à 1982, et qui interdisaient de désigner nommément les responsables et les coupables de crimes commis à l’occasion de cette guerre. Et sans signification consensuelle, parce que le seul consensus possible consistait dans une mauvaise conscience générale, et que la désignation de ses motifs suffisait à opposer deux camps irréconciliables : ceux qui avaient honte d’avoir fait cette guerre et de l’avoir presque gagnée en recourant à des moyens illégaux et immoraux, et ceux qui avaient honte de l’abandon final qui l’avait rendue vaine et injustifiable.

Dans ces conditions, l’absence de mémoire officielle n’impliquait nullement une volonté générale d’amnésie. Au contraire, des mémoires collectives antagonistes se sont constituées et maintenues en s’affrontant d’une manière récurrente, et rivalisent pour s’imposer comme mémoire officielle ou pour empêcher l’officialisation des mémoires concurrentes [1]. Nous pouvons distinguer schématiquement trois mémoires principales. D’un côté, celle des partisans de l’indépendance de l’Algérie, qui ont longtemps cru que l’Histoire leur avait donné raison. D’autre part, celle des partisans de l’Algérie française qui se considèrent comme les victimes d’une injustice historique, et qui voient dans la récente faillite de l’Algérie indépendante l’occasion de revendiquer leur réhabilitation. Et entre les deux, la mémoire confuse et embarrassée de la majorité silencieuse qui a suivi ou accompagné le général de Gaulle dans sa résignation à l’inéluctable pour mettre fin à une guerre interminable.

Les diverses forces politiques ont vécu différemment le grand revirement de la politique algérienne de la France, qui est passée en un temps remarquablement bref d’un consensus colonial très largement majoritaire à un consensus décolonisateur non moins massif. On ne peut valablement parler d’une politique algérienne de la droite et d’une politique algérienne de la gauche, parce que ces deux grandes familles politiques, l’une et l’autre plurielles, ont été également bouleversées par ce revirement [2]. D’abord la gauche : le plus souvent au pouvoir de 1954 à 1958, elle a été profondément divisée par la politique répressive de Guy Mollet et Robert Lacoste, qui a conduit une « nouvelle gauche » non communiste à se révolter contre la « trahison » des principes socialistes et républicains et à se rapprocher de la gauche communiste pour faire face à la menace d’un totalitarisme militaire. Puis la droite, revenue au pouvoir en mai 1958 au nom de l’Algérie française et avec le général de Gaulle, dont la politique algérienne inattendue à fait rejouer les clivages hérités de la Deuxième guerre mondiale, et leur a ajouté de nouveaux clivages entre gaullistes et soustelliens. Ainsi, la mémoire de la guerre d’Algérie a laissé des traces profondes dans la culture politique des militants qui l’ont vécue, et elle contribue à définir l’identité et la légitimité de chaque parti, suivant des modalités particulières. A gauche, le PCF peut se flatter d’avoir été le premier grand parti à reconnaître le droit du peuple algérien à son indépendance, et celui qui a lutté avec la plus longue persévérance pour en convaincre le peuple français avide de paix ; après l’effondrement du système soviétique et le discrédit de l’idéologie marxiste-léniniste et stalinienne, il trouve dans sa lutte anticolonialiste, comme dans sa participation à la Résistance, l’un de ses derniers motifs de fierté. Mais il est exposé aux critiques acerbes des groupes révolutionnaires d’extrême gauche qui lui reprochent la timidité de son soutien à la Révolution algérienne, autant qu’au ressentiment tenace des droites contre sa « trahison ». La gauche socialiste, renouvelée par une nouvelle génération de militants hostiles au « national-mollettisme », est restée embarrassée par le passé de son nouveau leader François Mitterrand, ministre de l’Intérieur sous Mendès France et de la Justice sous Guy Mollet. A droite, le même embarras prévaut chez les gaullistes et les giscardiens, dont on peut supposer avec vraisemblance qu’ils n’auraient pas suivi spontanément la même politique si le Général n’avait pas été là pour la conduire. Au contraire, l’extrême droite représentée par le Front national considère sa lutte contre ce qu’elle appelle « l’immigration-invasion » comme la suite de son combat pour l’Algérie française ; ce qui n’empêche pas Jean-Marie Le Pen de revendiquer l’héritage politique de Charles de Gaulle, dans la mesure où celui-ci avait refusé l’intégration de l’Algérie dans la France afin de préserver l’identité nationale d’une immigration illimitée.

Si les enjeux politiques de la mémoire de la guerre d’Algérie dans la vie politique française sont évidents, en est-il de même de l’histoire, c’est-à-dire de l’activité de recherche et de publication des historiens sur ce sujet si controversé ? A première vue, il pourrait sembler que non. En effet, l’absence de politique de la mémoire, remplacée par une politique de l’oubli, s’est traduite par l’absence de tout encouragement officiel aux recherches historiques, alors qu’au lendemain de la Première et de la Deuxième guerre mondiales, les pouvoirs publics avaient trouvé un intérêt politique évident à les encourager pour consolider une mémoire nationale patriotique et républicaine. Ce manque d’incitation officielle n’a pourtant pas empêché la prise en charge de l’histoire de l’Algérie et de la guerre d’Algérie par des vocations individuelles, qui n’ont rencontré aucun obstacle incontournable. En effet, contrairement à un préjugé très répandu dans les milieux universitaires, l’histoire de la guerre d’Algérie n’a jamais souffert d’un manque de sources, mais plutôt de leur surabondance et du trop petit nombre des chercheurs. En attendant l’ouverture des archives publiques (à partir de juillet 1992), il y avait d’énormes sources documentaires à explorer (les témoignages oraux, les archives privées, les témoignages publiés, les enquêtes journalistiques, la presse périodique, les publications officielles...). Et un travail préalable indispensable : repenser et réécrire l’histoire de l’Algérie coloniale et celle du nationalisme algérien. Ces tâches ont été entreprises, sans directive ni interdiction d’une autorité quelconque, par des historiens différents par leurs origines, leurs générations et leurs tendances idéologiques. Ce qui ne les a pas empêché de coopérer fructueusement et sans conflit majeur pendant les années 1970-1990 [3].

Leur travail est resté longtemps presque inaperçu parce qu’il ne donnait pas encore lieu à un grand nombre de publications : l’historiographie de la guerre d’Algérie, qui n’avait jamais interrompu ni diminué sa production depuis 1962, restait principalement le fait des acteurs, des témoins et des journalistes. C’est pourquoi les débats télévisés sur la question pouvaient encore se passer d’historiens. Comme l’a remarqué notre collègue Gérard Bossuat, après la projection sur FR3 de la première partie du documentaire de Peter Batty le 9 septembre 1990, « à quelle discipline pouvait-on demander d’apporter en la matière un regard aussi objectif et dépassionné que possible, de rectifier les erreurs et combler les lacunes éventuelles, de rendre intelligibles les événements, d’en proposer des interprétations ? A l’histoire, direz-vous ! Pourtant le rôle du scientifique est revenu en exclusivité... au psychanalyste ! Cette négation de la spécificité de la discipline historique est ahurissante. Imaginerait-on un débat médical sans médecin ? Or nous avons eu un débat « historique » sans historiens. » Et Gérard Bossuat terminait sa lettre au Monde [4] en rappelant qu’il y avait déjà plusieurs ouvrages de référence et de nombreux articles d’historiens spécialisés dans l’histoire de l’Algérie et de la guerre d’Algérie [5].

Cette situation anormale n’a pas duré plus longtemps, parce qu’à partir de la même année 1990, les publications de travaux d’historiens (individuels ou collectifs) se sont multipliées et se sont imposées à l’attention des journalistes. Douze ans plus tard, leur nombre est devenu tel que j’ai dû leur consacrer presque exclusivement la bibliographie terminale de mon essai Pour une histoire de la guerre d’Algérie [6], auquel se sont rajoutés d’autres synthèses importantes dans le courant de l’année 2002 [7]. Ainsi pourrait-on croire que, dans l’historiographie de la guerre d’Algérie, la relève de la mémoire par l’histoire est commencée, et déjà bien avancée. C’est l’analyse que faisait l’historien Daniel Rivet dès le début de 1992. Dans un article intitulé « Le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement » [8], il jugeait significatif que « seulement 7% des Français considèrent la guerre d’Algérie comme un des principaux événements ayant marqué l’histoire de notre pays au XXème siècle », et il croyait pouvoir constater que « le temps des colonies et l’épreuve de la décolonisation s’éloignent de nous irréversiblement » et que « les passions refroidissent inéluctablement » : « Aux historiens d’aujourd’hui il appartient d’en tirer la conclusion qu’on est enfin sorti de la dialectique de la célébration et de l’exécration du fait colonial qui a si longtemps et si profondément biaisé l’écriture de son histoire ». Cette conclusion pouvait sembler bien fondée dans le cas du Maroc, dont Daniel Rivet est spécialiste. Mais sa généralisation était très discutable, et elle est manifestement démentie par le cas algérien. En effet, bien loin de faire l’objet de débats dépassionnés et sereins, la guerre d’Algérie a rejoint Vichy parmi les enjeux de mémoire les plus controversés, ces « passés qui ne passent pas » suivant l’expression d’Henry Rousso. A cause du vieillissement de la génération des acteurs et témoins de cette guerre, qui intensifie leur désir de transmettre leur mémoire aux générations futures. Mais aussi à cause de la contradiction de moins en moins supportable entre le « devoir de mémoire » de plus en plus exigeant préconisé en faveur des victimes de la Deuxième guerre mondiale et le devoir d’oubli prôné pour celles de la guerre d’Algérie. En conséquence, le travail des historiens sur ce sujet brûlant est de plus en plus perturbé par les conflits qui s’exaspèrent entre les groupes porteurs de mémoires antagonistes, qui font pression sur eux pour les inviter ou les obliger à prendre leur parti. Et les historiens eux-mêmes semblent disposés à céder à ces sollicitations, au détriment de la cohésion de la communauté scientifique qu’ils avaient su constituer auparavant. Au lieu de refroidir les passions, l’écoulement du temps paraît souffler sur les braises : tout se passe comme s’il avait fait marche arrière et remontait à sa source !

Au moment même où paraissait l’analyse de Daniel Rivet, les Cahiers du communisme publiaient celle de l’historien-militant communiste Pierre Haudiquet [9], suivant laquelle « les différents travaux (...) sur la guerre d’Algérie ne sont pas innocents. Ils sont le plus souvent marqués par l’empreinte des idées dominantes de l’époque et du contexte politique et idéologique d’aujourd’hui » [10]. Celui-ci retraçait avec « malaise » l’évolution des travaux et publications historiques sur la guerre d’Algérie depuis une dizaine d’années : « Alors que normalement le recul du temps aurait dû être bénéfique pour la documentation, la valeur de l’analyse, on a l’impression qu’il a plutôt conduit à de véritables révisions de l’histoire de la guerre d’Algérie . (...) Il semble même, en relation avec les événements dont l’Algérie est le théâtre depuis 1988, que la révision s’accentue » [11]. Critiquant la plupart des auteurs non-communistes, Pierre Haudiquet leur reprochait de « masquer la réalité du caractère colonial de la guerre » en remettant en cause la légitimité de l’action violente du FLN, et la réalité de l’appui populaire et particulièrement paysan à son insurrection, et surtout en reprenant le mot « terrorisme », « expression employées de 1954 à 1962 pour qualifier le combat des insurgés , qui permettait à l’époque aux autorités de masquer la réalité de la guérilla (...) » , et qui « permet aujourd’hui de dénaturer cette lutte en l’assimilant au terrorisme contemporain, sournois et terrifiant » [12]. Il leur reprochait également « une approche partiale de l’attitude des hommes et des partis politiques », et tout particulièrement des communistes, visés comme cible de prédilection ou passés à la trappe. Il proposait une typologie de diverses tendances (les militaires-historiens n’ayant rien appris, les « modernistes » empressés d’évacuer la dimension « impérialiste » du conflit, les « pourfendeurs de tabous » [13], et les « anciens de la lutte anticolonialiste de la « petite gauche » (ou leurs héritiers), qui ne cessent de ressasser de vieilles divergences, de vieilles discussions , qui monopolisent l’histoire de l’opposition à la guerre, et en imposent leur vision, tout en refoulant, dans des condamnations solennelles, leurs anciennes sympathies pour le FLN » [14]. L’auteur constatait qu’entre ces divers courants des liens s’étaient noués sur la base de leur commun anticommunisme, de façon à produire « une vision de la guerre d’Algérie et de la France en guerre d’Algérie [15] » qui paraît dépendre bien lourdement du contexte politique et idéologique du moment ». Il concluait à la fois en historien, invitant ses collègues à « veiller plus que jamais à leur liberté de jugement » et à mieux appliquer les méthodes historiques, pour « contribuer à dépassionner les problèmes, à condition de ne rien censurer » ; mais aussi en militant : « le PCF a besoin de connaître mais aussi de défendre le souvenir de son passé de luttes, pour y puiser un peu plus de justifications pour les luttes d’aujourd’hui et de demain » [16]. Si la conclusion méthodologique ne suscite aucune objection, la conclusion politique paraît difficilement compatible avec l’indépendance du travail historique ; et l’ensemble de l’article laisse l’impression d’un plaidoyer pour la défense du patrimoine mémoriel d’un parti en perte d’audience et de crédibilité.

L’évolution dénoncée par Pierre Haudiquet s’est poursuivie et accentuée par la suite, à la faveur de la tragique évolution des événements en Algérie. En effet, la faillite matérielle, politique et morale du système établi en 1962 par le FLN a retiré aux anciens militants de l’indépendance l’argument pragmatique de la justification par le succès [17], et encouragé leurs adversaires à revendiquer hautement leur propre réhabilitation. Les communistes ne sont donc plus les seuls à se sentir menacés par des travaux d’historiens qui bousculent leurs convictions en reconsidérant le passé à la lumière de ses conséquences récentes, et à y trouver l’empreinte d’un « révisionnisme » ambiant . L’anticolonialiste militant Yves Benot, dans son livre paru en 1994,Massacres coloniaux [18], prenait parti contre la « révision de l’histoire coloniale », définie comme une tendance à réhabiliter la colonisation, ou tout au moins à en atténuer les crimes, à leur rechercher des excuses sous prétexte d’objectivité historique. Il voyait une preuve de ces tendances dans la réduction par les historiens des nombres de victimes habituellement cités par les militants (les 45.000 morts de Constantinois en mai 1945, les 6.000 morts de Haïphong en novembre 1946, les 89.000 morts de Madagascar en 1947-1949) ; et il dénonçait nommément trois « historiens armés d’une réputation de sérieux » : Charles-Robert Ageron [19], René Rémond, et Denise Bouche [20]. Dans la préface de ce livre, l’éditeur anticolonialiste François Maspero abondait dans le même sens : « Il est nécessaire de s’opposer à cette révision de l’histoire coloniale qui est dans l’air du temps. Un révisionnisme qui, même paré des belles couleurs kitsch des affiches Banania, n’est pas plus innocent que les autres. Il consiste à affirmer haut et fort que le passé colonial n’est pour rien dans l’état actuel des anciennes possessions françaises. Qu’il est sans conséquence pour un pays comme l’Algérie, par exemple, d’avoir subi pendant cent trente ans la négation de ses structures sociales, l’éradication de ses fondements culturels, d’avoir vécu une dissidence intérieure de tout un peuple, de n’avoir connu de l’Etat de droit que l’application du droit du plus fort, d’états d’exception en états d’exceptions, d’avoir perdu un million des siens. Et que le cauchemar qu’elle vit aujourd’hui est non seulement totalement indépendant de son passé colonial mais encore justifie ce passé, puisqu’il prouverait ainsi, historiquement, l’incapacité de son peuple à s’administrer lui-même » [21].

Mais cette véhémente dénonciation du « révisionnisme » des historiens n’était pas le monopole des anti-colonialistes. En effet, quelques mois plus tard, Charles-Robert Ageron fut violemment pris à partie par un bulletin de défense de la cause harkie [22] l’accusant de « négationnisme » (au sens de la loi Gayssot) pour son refus de reconnaître les « 150.000 harkis massacrés de la vérité historique »... La formulation d’accusations semblables contre le même homme par des militants aux opinions diamétralement opposées devrait suffire à leur en démontrer l’inanité. Charles-Robert Ageron n’a fait que son devoir d’historien en refusant d’admettre des nombres mythiques répétés sans examen critique et en vertu de l’argument d’autorité, qu’il s’agisse de massacres coloniaux ou de massacres anti-coloniaux. Ceux qui l’ont accusé ne croyaient avoir rien en commun, mais ils partageaient pourtant le même attachement à des convictions dogmatiques symbolisées par des nombres également sacralisés (bien que différents), et la même intolérance envers leur remise en question.

De même, les manuels scolaires ont été plus d’une fois mis en examen, avec une égale méfiance, par les deux camps. Maurice Maschino a récemment dénoncé « la mémoire expurgée des manuels scolaires » dans un article au ton de réquisitoire : « Bonne conscience des uns, mauvaise foi des autres : c’est dans cette atmosphère d’autosatisfaction, de déni permanent et d’occultation à tout prix d’une réalité épouvantable (lorsqu’on l’examine sans lunettes tricolores) que s’inscrit, dans les écoles, l’enseignement de l’histoire. Chapeauté par un pouvoir politique, tous partis confondus, qui entend maintenir les citoyens dans l’ignorance tout en lui faisant croire qu’il les informe, cet enseignement est incapable d’instruire les jeunes sur les réalités du système colonial - la négation absolue qu’il représente de l’être humain comme des valeurs proclamées de la République -, pas davantage qu’il ne leur permet de comprendre ce que, jusqu’au 10 août 1999, on se refusait, officiellement, à appeler une guerre » [23]. De l’autre côté, des associations de rapatriés ont écrit au ministre de l’Education nationale pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à la « falsification de l’histoire à propos de la guerre d’Algérie », et pour lui demander de « veiller au respect de la vérité historique, en particulier dans les manuels scolaires, qui en sont aujourd’hui bien éloignés, en présentant une information incomplète ou unilatérale » [24]. Et l’Association de soutien à l’armée française (ASAF) dénonce « une véritable dérive dans cet enseignement qui tourne à une désinformation souvent systématique par omission ou occultation » ; elle invite ses membres à faire appel au Ministre de l’Education nationale, aux parents d’élèves, aux professeurs, aux éditeurs, et en dernier recours aux tribunaux pour obtenir réparation des passages diffamatoires ou erronés des manuels scolaires, et elle se réserve de recourir à l’autorité du Président de la République pour rétablir, entre l’Education nationale et la Défense nationale, l’unité de vue et la convergence des efforts au service du pays sans lesquelles « celui-ci succombera à la première tempête » [25]. Là encore, ces critiques extrêmes se neutralisent mutuellement : comment la « désinformation » reprochée aux manuels pourrait-elle être à la fois colonialiste et anticolonialiste ? Les historiens qui contribuent à leur élaboration avec des enseignants et des inspecteurs de l’Education nationale s’efforcent de concilier le mieux possible ce qu’ils croient être la vérité historique avec les contraintes draconiennes des programmes, des horaires et du volume des manuels, tout en évitant de heurter les susceptibilités légitimes d’élèves et de parents d’origines et d’opinions diverses [26].

Prise entre deux feux, exposée aux pressions contraires des deux camps, comment la communauté des historiens de métier a-t-elle réagi ? Elle a malheureusement beaucoup perdu de la cohésion qui était la sienne auparavant. Ses membres se sont laissés entraîner de plus en plus souvent dans des controverses et même des polémiques réciproques, dont les enjeux et les arguments sont au moins autant politiques qu’historiques. Et cela parce que la plupart d’entre eux ont vécu la guerre d’Algérie en tant que citoyens avant de l’étudier comme historiens. A vrai dire, ce n’est pas une nouveauté absolue. Deux fois déjà dans les années 1970 et 1980, les travaux de Charles-Robert Ageron sur l’Algérie avaient été mis en cause, en 1970 par Xavier Yacono (ancien professeur à l’Université d’Alger) [27], et beaucoup plus sommairement et véhémentement en 1985 par François Caron. Celui-ci (qui n’est pas un spécialiste d’histoire algérienne) l’avait dépeint comme un féroce contempteur des Français d’Algérie et le maître à penser d’une histoire de la colonisation devenue anticoloniale, « trop souvent tombée dans la dénonciation polémique et le pamphlet injurieux » [28], au contraire des autres branches de l’histoire caractérisées par leur objectivité et leur esprit de compréhension d’autrui. Charles-Robert Ageron lui a répondu plus tard, dans sa présentation de l’Histoire de la France coloniale, en soulignant que cet ouvrage était « d’inspiration plurielle », du fait du pluralisme des sensibilités de ses auteurs, appartenant à des écoles ou générations différentes, mais voulant tous se situer « au-delà des affrontements stériles de naguère entre chantres et détracteurs de la colonisation » [29]. En effet, Daniel Rivet a bien montré qu’il existait une réelle diversité idéologique parmi les historiens du fait colonial, mais aussi une tendance prépondérante à vouloir « décoloniser l’histoire » en remettant au premier plan les colonisés pour mieux rendre compte de la décolonisation, contrairement à l’histoire coloniale auparavant dominante [30]. Ces deux polémiques n’étaient pas sans rapport avec ce retournement de tendance.

Mais la période qui commence au début des années 1990 est caractérisée à la fois par la multiplication des polémiques politiques entre des historiens qui avaient eu auparavant des relations professionnelles et personnelles normales, voire cordiales, et par le fait qu’elles se déclenchent alternativement à l’initiative de l’un ou de l’autre des camps idéologiques entre lesquels ils se partagent. La première grande controverse de la période a été déclenchée par des historiens appartenant à la gauche anticolonialiste contre Benjamin Stora, qui se réclamait de la même mouvance. Après la diffusion du film Les années algériennes [31] en quatre épisodes sur Antenne 2, du 24 septembre au 9 octobre 1991, cinq historiens (Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Madeleine Rébérioux, Annie Rey-Goldzeiguer et Pierre Vidal-Naquet) en ont mis en cause la méthode historique et l’orientation politique dans une sévère critique publiée par la revue Peuples méditerranéens en France et par Naqd en Algérie [32]. Les auteurs lui reprochaient d’abord de confondre la mémoire et l’histoire : au lieu de « faire une réelle tentative d’écriture de l’histoire en images », ou de « faire confiance aux historiens interviewés » (Mohammed Harbi et Pierre Vidal-Naquet, qui se trouvaient réduits à quelques minutes de parole et noyés dans la masse des témoins), le film alternait les interviews et les images d’archives, reliées par un récitatif événémentiel en voix off (celle de Benjamin Stora), qui ne soumettait pas les témoignages et les documents à la nécessaire critique historique. Ils lui reprochaient ensuite le déséquilibre flagrant de l’image et de la parole au détriment des Algériens, la place trop grande accordée aux militaires du contingent, l’absence des responsabilités du colonialisme et la minoration des questions politiques en général. Sans contester les « bonnes intentions » (faciliter l’intégration des jeunes franco-algériens) dont le film était « pavé », les cinq historiens lui reprochaient de vouloir « exorciser la guerre d’Algérie par la banalisation pour aboutir à la paix actuelle rêvée dans la société française » : « Le défaut majeur du film est de faire croire qu’on peut renvoyer dos à dos les partenaires affrontés en parlant de violence des deux côtés, finalement en donnant quitus au colonialisme innommé par la tentative d’égalisation des deux plateaux de la balance, quand ces plateaux ne pourront jamais, sous peine de graves falsifications, devenir égaux ».

Benjamin Stora se défendit seul, et bien, dans Peuples méditerranéens [33] et dans Vingtième siècle [34]. Il montra que ses contradicteurs s’étaient mépris sur l’objet du film : non pas écrire une histoire de la guerre d’Algérie en images, en les critiquant d’une manière positiviste, mais tenter de faire une histoire critique de la mémoire, ou plutôt des mémoires de la guerre d’Algérie qui coexistent en France, en partant des images comme expressions de ces mémoires : « Entreprendre de dire la vérité sur les mémoires, ce n’est assurément pas admettre que les mémoires disent la vérité, mais c’est à tout le moins postuler que les mémoires sont porteuses de sens, jusque dans la sélection et la déformation qui font d’elles des mémoires . Tel est bien, pour l’essentiel, le propos des Années algériennes, et c’est précisément en quoi elles se veulent, à leur façon, une contribution à l’histoire » [35]. Réponse d’autant plus convaincante qu’il avait en même temps prouvé le sérieux de sa réflexion historique sur la mémoire de la guerre d’Algérie (des deux côtés de la Méditerranée) dans son ouvrage pionnier, La gangrène et l’oubli [36].

Charles-Robert Ageron s’était longtemps refusé à écrire sur les événements de 1954 à 1962, car il se méfiait de sa subjectivité de témoin engagé, et il doutait encore en mars 1992 de la possibilité d’écrire une histoire scientifique de la guerre d’Algérie avant l’ouverture complète des archives des deux camps [37]. Toutefois, quand les Archives militaires de Vincennes commencèrent en juillet 1992 à donner l’exemple de l’application de la loi de 1979 (accessibilité de la plupart des documents au bout de trente ans), il conseilla aux historiens de travailler en priorité « à éliminer les affabulations ou les chiffres nés de la guerre psychologique ». Plaidant « pour une histoire critique de l’Algérie de 1830 à 1962 », il rappelait que, « s’agissant de drames récents dont la mémoire risque d’être transmise déformée aux jeunes générations, les historiens ont le devoir d’être plus prudents encore que leur métier ne l’exige habituellement. Si l’objectivité est philosophiquement impossible, l’impartialité est une vertu que tout historien peut et doit s’imposer » [38]. Comme on l’a vu, il a mis son projet en pratique en défendant la vérité des nombres contre les exagérations des anticolonialistes [39] aussi bien que contre celles des partisans de la colonisation. Et pourtant, l’impartialité de certains de ses articles a été mise en doute [40].

D’abord au sujet du « drame des harkis ». Dans un premier article, publié en 1994, il critiqua les nombres cités par Mohand Hamoumou dans un livre [41]tiré de sa thèse de doctorat en sociologie (soutenue en 1979, donc avant l’ouverture des archives), tant pour les effectifs des soldats et supplétifs musulmans de l’armée française que pour l’évaluation de l’ampleur des massacres commis après le cessez-le-feu ( « de 100.00 à 150.000 morts »), et il contesta le reproche d’abandon fait au gouvernement français en s’appuyant sur des documents en sens contraire jamais cités. Cet article, et un deuxième fondé sur des recherches plus complètes sur les diverse catégories de supplétifs [42], mécontentèrent le général Maurice Faivre (ancien chef de harka et docteur en sciences politiques), qui étudiait systématiquement la même question d’après les archives. Dans de nombreux articles et plusieurs livres [43], il exprima ses propres analyses, non sans quelques pointes polémiques visant son concurrent [44]. Les divergences des interprétations de ces deux chercheurs travaillant sur les mêmes sources tiennent en grande partie à celles de leurs expériences et de leurs opinions politiques de l’époque sur le problème algérien. La controverse est donc inévitable, mais elle peut être féconde si elle ne tourne pas à la rupture. Toutes ces recherches contiennent des points convaincants et d’autres plus discutables, et il convient de combiner les premiers, comme je me suis efforcé de le faire. Il n’y a pas trop de chercheurs sur ce sujet très difficile à traiter sereinement : nous manquons encore d’une synthèse critique de l’ensemble des témoignages et documents disponibles.

En même temps, Charles-Robert Ageron a cru devoir prendre la défense du général Katz, commandant les troupes françaises à Oran en 1962, contre les accusations de l’OAS et celles de nombreux rapatriés oranais, qui le présentent comme le « boucher » de leur ville et le responsable de la non-intervention de l’armée à leur secours lors des massacres du 5 juillet 1962. En acceptant, sans le connaître, de préfacer son livre, L’honneur d’un général [45], il a pris le risque de sembler donner une caution universitaire à un plaidoyer qui, même s’il rectifie des rumeurs et des affirmations de propagande a priori incroyables [46], ne peut néanmoins être considéré comme une mise au point historique impartiale et incontestables [47]. Et l’argumentation de cette préface est beaucoup plus politique qu’historique. Il s’en est suivi une polémique dans le courrier des lecteurs de L’Histoire, après un article du politologue et journaliste Alain-Gérard Slama [48] dont Charles-Robert Ageron avait contesté la rigueur historique et la qualité d’historien [49]. Le premier lui a reproché sa préface au plaidoyer pro domo du général Katz, puis il est revenu sur la question dans un autre article de L’Histoire. Tout en rappelant aux historiens la nécessité de résister aux sollicitations des groupes en quête de réparation ou de reconnaissance, il les invitait à ne pas les ignorer, et les mettait en garde contre « la colère qu’inspire à la plupart des Pieds-noirs la propension de l’Université à traiter avec désinvolture l’épisode qui est resté, à leurs yeux, le plus inexpiable de la guerre d’Algérie. Plus encore que la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962, dont le scandale n’a jamais été escamoté, l’affreux carnage d’Oran est resté un de ces traumatismes enfouis qui risquent de devenir explosifs à force de ne pas être reconnus » [50]. Colère qui s’est exprimée par un dépôt de plainte pour crime contre l’humanité, interrompue par le décès du général.

En effet, la reprise des procès pour « crimes contre l’humanité » (les seuls crimes imprescriptibles en droit français), visant des exécutants allemands et français du génocide hitlérien contre les juifs, ne pouvait manquer d’encourager les victimes de la guerre d’Algérie à réclamer justice par la voie judiciaire. Le procès de Maurice Papon, ouvert en octobre 1997 à Bordeaux pour sa participation à la déportation des juifs de cette ville, fournit l’occasion d’entamer un autre procès interdit par les lois d’amnistie, celui du préfet de police de Paris pour la très violente répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961. Aussitôt après la déposition de Jean-Luc Einaudi, auteur de la principale enquête [51] qui avait tiré cet événement de l’oubli, j’ai été interrogé au téléphone par un journaliste de l’AFP qui voulait savoir ce que les historiens pensaient de ses conclusions, et qui en tira un bref article intitulé « débats d’historiens ». Pour préciser mon opinion afin d’éviter tout malentendu, j’ai accepté de nouveaux entretiens téléphoniques avec François Dufay, du Point, puis avec L’Histoire. Après la publication de ce dernier entretien [52] en décembre 1997, j’ai reçu par l’intermédiaire de la revue un texte signé par mes collègues Annie Rey-Goldzeiguer et Claude Liauzu, intitulé « Dépassionné et rigoureux ? », qui me reprochait de minimiser la gravité de la « ratonnade » commise par les policiers, de la justifier par le « moindre mal » comme les défenseurs de Vichy, et de mépriser injustement le travail d’un historien amateur et militant : « Décréter du haut de sa superbe académique qu’on est détenteur de l’objectivité contre des mémoires subjectives, du monopole de la méthode critique à l’encontre du parti-pris militant, chercher à discréditer l’oeuvre de non-universitaires alors qu’ils ont effectué un travail qui a été délaissé par les universitaires, bref prétendre au monopole de la vérité, est-ce vraiment contribuer à la défense et illustration dont notre discipline a besoin ? » [53] En réalité, je n’avais prétendu à aucun monopole ; mon seul tort avait été d’exprimer franchement mon opinion sur le livre de Jean-Luc Einaudi. Je lui avais reconnu le mérite d’avoir rassemblé une masse considérable de témoignages et de documents sur lesquels je m’étais appuyé en grande partie pour essayer ce comprendre ce terrible événement. Mais j’avais critiqué sa manière d’accumuler les témoignages sans les confronter les uns aux autres, et de tirer des conclusions sur le nombre de morts allant bien au-delà de ce qu’il pouvait prouver, ainsi que ce qui m’avait paru être une confusion entre la répression anti-algérienne de 1961 et la déportation des juifs par la police française aux ordres des nazis vingt ans plus tôt. J’ai donc répondu au texte de mes contradicteurs, en expliquant que j’avais voulu « faire une mise en garde contre le fait d’affirmer et d’accréditer dans l’opinion publique plus que ce que l’on est en mesure de prouver », et surtout « réagir contre une tendance trop répandue à percevoir la guerre d’Algérie comme une simple répétition (avec inversion des rôles) de l’expérience de la Seconde guerre mondiale » [54]. Par la suite, j’ai pu m’expliquer directement avec Jean-Luc Einaudi ; il m’a assuré qu’il n’approuvait pas cette dernière tendance très répandue en Algérie, et j’ai constaté qu’il s’en était clairement démarqué dans ses prises de position ultérieures. Je reste néanmoins en désaccord avec le bilan encore plus élevé du nombre de victimes qu’il a proposé dans son nouveau livre [55], et avec sa méthode qui ne distingue pas assez rigoureusement les « hypothèses très vraisemblables » et les faits vérifiés.

Moins de deux ans plus tard, je me suis retrouvé engagé dans une autre polémique, à la suite d’un article publié par L’Histoire sous le titre « La tragédie des harkis : qui est responsable ? » [56]. J’avais bien conscience d’avoir pris un risque en écrivant que le FLN avait interprété avec duplicité ses engagements de non-représailles, en citant des extraits de témoignages effroyables sur les tortures et les massacres, et surtout en terminant par une citation particulièrement brutale de l’ancien ministre de la Défense Pierre Messmer (« Je ne suis jamais retourné en Algérie et je n’y retournerai jamais. Ce pays sanguinaire me fait horreur »). Je l’avais fait délibérément, pour tenter de faire éclater la contradiction totale qui sépare les perceptions algérienne et française du problème des harkis et qui entrave tout débat franco-algérien sur ce sujet ; mais je ne m’attendais pas à la vive réaction de Mohammed Harbi et de Gilbert Meynier, les historiens les plus critiques du FLN. J’ai reçu d’eux, par l’intermédiaire de la revue, un texte intitulé « Vers le révisionnisme ? », et destiné à être également publié en Algérie. Texte d’autant plus surprenant que j’en approuvais la plus grande partie du contenu, à l’exception du titre, de la conclusion, et des passages qui mettaient en cause mes intentions. De longs échanges de lettres nous ont permis de clarifier nos positions respectives. J’ai obtenu la modification du titre et de la conclusion, qui attestaient clairement par l’emploi du mot « révisionnisme » le caractère idéologique du débat [57] ; et j’ai accepté de rectifier ma propre conclusion dont je reconnais qu’elle péchait par ambiguïté : « J’aurais peut-être évité un grave malentendu si j’avais formulé plus clairement ma conclusion. Mon propos n’était pas de condamner les Algériens à souffrir éternellement d’une « barbarie » congénitale. Mais de suggérer que le progrès des moeurs est partout possible, même s’il doit toujours être défendu contre les risques de régression, surtout en temps de guerre et de révolution ». Des versions abrégées de la lettre de mes deux collègues et de ma réponse sont parues, d’un commun accord, dans L’Histoire [58]. Puis leurs versions intégrales ont été publiées en Algérie dans la revue Naqd [59].

Durant ces deux années 1997 à 1999, l’attitude officielle des pouvoirs publics français envers la mémoire de la guerre d’Algérie a, pour la première fois, sensiblement évolué. A la suite de l’audacieuse intervention de Jean-Luc Einaudi dans le procès Papon, plusieurs ministres du gouvernement Jospin et le Premier ministre lui-même ont désavoué la politique du silence et de l’oubli, en préconisant une plus large ouverture des archives aux historiens. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont chargé deux commissions de dresser des inventaires des documents de leurs archives concernant la répression du 17 octobre 1961, et la Justice elle-même a désavoué l’ancienne version officielle en déboutant Maurice Papon de sa plainte en diffamation contre Jean-Luc Einaudi [60]. Pourtant, les militants et les historiens qui soutiennent ce dernier n’ont pas été satisfaits avant qu’il eut obtenu les dérogations qu’il avait longtemps attendues en vain. Ils ont soupçonné le gouvernement de vouloir favoriser l’élaboration d’une nouvelle version officielle par les rapports Mandelkern et Géronimi, et par les recherches d’historiens professionnels agréés. C’est pourquoi le livre Police contre FLN [61] de Jean-Paul Brunet, le premier historien de métier ayant bénéficié de dérogations pour travailler dans les archives policiaires et judiciaires, a été accueilli avec suspicion, même par des collègues universitaires qui lui ont reproché d’avoir bénéficié de passe-droits, d’avoir délibérément dédaigné les sources algériennes, de minimiser les responsabilités de Maurice Papon et le bilan du « massacre » (qu’il situe entre 30 et 50 morts, comme le rapport Mandelkern). Après la publication du nouveau livre de Jean-Luc Einaudi (enfin muni des dérogations demandées), Octobre 1961, un massacre à Paris, Jean-Paul Brunet a réitéré ses critiques contre les erreurs de méthode qu’il lui reproche. Dans son nouveau livre, Charonne, lumières sur une tragédie [62], il revient dans ses deux premiers chapitres sur le 17 octobre 1961 et sur « la construction d’une légende », en défendant la rigueur du métier d’historien contre « une passion militante débridée, un esprit de “repentance” aveugle qui aboutit à mettre au compte de la police française tous les crimes du FLN et à multiplier par huit ou dix le nombre des Algériens tués les 17 et 18 octobre » [63]. Il disqualifie Jean-Luc Einaudi « hagiographe du FLN » en évoquant son engagement maoïste non renié [64] ; et il rappelle à Pierre Vidal-Naquet que « la raison d’Etat n’est pas seulement la raison de l’Etat, qu’un de ses avatars peut être l’altération de la vérité sous le couvert de l’idéologie dominante », et que « les esprits libres d’hier sont devenus ou risquent de devenir les bien-pensants d’aujourd’hui » [65]. Tout en se réclamant de l’histoire professionnelle, il ne cache pas l’importance des enjeux politiques du sujet : « Croit-on qu’il soit anodin que des tracts et des publicités faisant état des centaines de morts supposés du 17 octobre aient été distribués aux jeunes d’origine algérienne, à l’entrée du Stade de France, lors du match de football France-Algérie où la Marseillaise fut sifflée et le stade envahi ? Est-il sain qu’une partie de cette communauté construise son identité sur des bases erronées ? » [66].

En effet, à partir de 1999, les pouvoirs publics français ont renoncé à la politique du silence en reconnaissant par une loi (promulguée le 18 octobre 1999) l’existence de la guerre d’Algérie et la nécessité de la commémorer, et en s’engageant à faciliter les recherches des historiens. Une proposition de loi visant à faire du 19 mars une commémoration nationale des victimes de la guerre a recueilli un large soutien dans la majorité de gauche, et quelques appuis au-delà de ses limites [67]. Mais ces initiatives ont provoqué une recrudescence des revendications concurrentes de groupes représentant des mémoires antagonistes, et invoquant les devoirs de mémoire et de justice [68]. En juin 2000, la demande de repentance unilatérale de la France pour les crimes du colonialisme, suggérée par le président algérien Bouteflika dans son discours à l’Assemblée nationale, a davantage exacerbé la guerre des mémoires. A tort ou à raison, la campagne de presse dénonçant la torture et les autres crimes commis au nom de la France en Algérie, lancée peu de temps après par Le Monde, L’Humanité, et Libération, et l’appel des douze [69] réclamant au Président de la République et au Premier ministre une condamnation officielle de ces pratiques, ont été ressentis par les défenseurs de l’Algérie française comme une manoeuvre inspirée par Alger [70] ; ils ont riposté en réclamant la reconnaissance officielle des crimes commis en 1962 contre les harkis et contre les Français d’Algérie, et obtenu du chef de l’Etat une journée d’hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001. La justice a également été sollicitée des deux côtés, par des tentatives de dépôt de plaintes pour « crimes contre l’humanité » [71]. Dans ces conditions, les déclarations réitérées du chef du gouvernement en faveur d’un plus large accès des historiens aux archives publiques, sans modification de la loi de 1979, sont apparues comme une fuite de l’Etat devant ses responsabilités politiques.

Plusieurs historiens également connus pour leur engagement contre la guerre d’Algérie et les crimes de l’armée française sont parmi les signataires de l’appel des douze [72], et de celui de l’Association « 17 octobre 1961 contre l’oubli » [73] (qui réclame « la reconnaissance qu’un crime contre l’humanité a été commis par l’Etat en octobre 1961 », la création d’un lieu du souvenir à la mémoire de ceux qui furent assassinés, et « le libre accès aux archives concernant la période de la guerre d’Algérie »). Ou encore parmi ceux d’une tribune libre sur « Les historiens et la guerre d’Algérie » [74], qui rappelle que « c’est à l’autorité politique d’assumer ses responsabilités et celles de ses prédécesseurs », dénonce la persistance inavouée de la politique du secret (« Les archives civiles sont encore verrouillées, et toute recherche sur l’Algérie ressemble à une course d’obstacles, de dérogation en dérogation. Une nouvelle loi sur les archives s’impose »), rend hommage à quatre thèses novatrices [75], et réclame plus de moyens et d’aides pour les jeunes historiens : « Il ne suffitpasd’unedéclarationlénifiantepour proclamer l’ouverture des archives. Sans hypocrisie, il importe de veiller à l’ouverture des fonds militaires et civils, non pas au compte-goutte, pour quelques privilégiés dont on a testé l’échine souple, mais à tous les chercheurs et surtout aux jeunes qui découvrent une réalité difficile à imaginer » [76].

En effet, les thèses de deux jeunes historiennes, Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche, ont été soutenues et publiées dans ce contexte de guerre des mémoires exacerbé, qui leur a donné une notoriété inhabituelle dans la presse, et leur a valu les louanges des uns et l’opprobre des autres. Celle de Raphaëlle Branche, tout particulièrement, a été mise en cause comme étant « la caution de l’Université » à une entreprise de désinformation et de dénigrement dans le Livre blanc de l’armée française en Algérie [77], contresigné par plus de 500 officiers généraux. On trouve parmi ses auteurs des militaires et d’anciens militaires, des journalistes de droite, le sociologue Mohand Hamoumou (qui préside une association de défense des harkis), ainsi que des historiens comme le général Faivre [78] et Jean Monneret, et une jeune doctorante en histoire. Pendant que certaines thèses sont mises en avant par Le Monde, L’Humanité ou Libération, d’autres travaux moins connus de jeunes historiens sont récompensés par le Prix universitaire algérianiste [79]. Ainsi, chaque camp a son tableau d’honneur, et les jurys universitaires n’ont plus le dernier mot. Cette situation illustre bien le danger d’éclatement de la communauté scientifique des historiens entre des camps politiques hostiles, qui veulent assurer leur reproduction en contrôlant la production de l’histoire d’aujourd’hui et de demain.

« Laissons travailler les historiens ! » Cette réponse du gouvernement précédent n’a aucune chance de refermer le débat, puisqu’elle est contestée à l’intérieur comme à l’extérieur de leur corporation. L’histoire de la guerre d’Algérie est en effet une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls historiens, qui sont aussi des hommes et des citoyens. On ne peut songer sérieusement à leur demander de se désintéresser de la demande sociale et des enjeux politiques ou éthiques de leurs travaux, pour se retirer dans une tour d’ivoire scientiste. Mais doivent-ils pour autant se croire obligés de prendre parti rétrospectivement sur un problème politique aujourd’hui dépassé, pour aider l’un ou l’autre camp à gagner la guerre des mémoires ? Doivent-ils abdiquer leur indépendance en se laissant réduire au rôle d’avocats ou de procureurs d’une cause ? Je crois que non, parce qu’ils ont d’autres pouvoirs et d’autres devoirs. Ils peuvent notamment clarifier les débats en distinguant des enjeux qui étaient à l’époque inextricablement confondus : l’indépendance de l’Algérie par rapport à la France, qui est un fait irrévocablement accompli, la liberté des Algériens, qui reste à assurer, et le problème éthique de la fin et des moyens, qui nous concerne tous plus que jamais. Comme l’a dit Paul Ricoeur, « à l’histoire revient le pouvoir d’élargir le regard dans l’espace et le temps, la force de la critique dans l’ordre du témoignage, de l’explication et de la compréhension, et plus que tout l’exercice de l’équité à l’égard des revendications concurrentes des mémoires blessées et parfois aveugles au malheur des autres » [80]. C’est pourquoi j’ai cru devoir appeler les historiens -et tout particulièrement les jeunes historiens qui n’ont pas vécu la guerre d’Algérie- à revendiquer les rôles d’experts, d’arbitres et de médiateurs entre ceux des anciens acteurs et témoins qui seraient disposés à l’autocritique, au dialogue et à la réconciliation [81]. Mais jusqu’à présent, mon optimisme raisonné paraît moins justifié par les faits que le pessimisme de Jacques Frémeaux. Constatant que « le ‘devoir de mémoire’ n’est trop souvent que le masque derrière lequel se dissimule une volonté de se venger, voire de punir, sans comprendre et surtout sans pardonner », celui-ci déplore l’affrontement stérile entre « un nationalisme étroit » et « un internationalisme mal compris », et il conclut ainsi : « A l’heure où un nombre croissant de Français sont des Algériens musulmans d’origine, on est en droit de se demander quelle communauté nationale pourra se perpétuer sur de pareilles incompréhensions et de pareilles ignorances. Si l’historien, dont le métier est d’étudier les guerres comme le médecin étudie les pathologies, peut regarder en face ce sombre avenir, le Français et le citoyen ne peuvent qu’en être profondément angoissés » [82].

Guy Pervillé.

[1] Notamment chaque année à l’occasion du 19 mars, date choisie par la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie) et par de nombreuses municipalités de gauche pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie et le souvenir de ses victimes.

[2] Voir mon article « L’Algérie dans la mémoire des droites » (qui parle également des gauches), dans l’Histoire des droites en France, s. dir. Jean-François Sirinelli, Gallimard, 1992, pp. 621-656.

[3] Dans le Groupe de recherche en histoire maghrébine (GERM) créé à Paris autour de Charles-André Julien en 1975 et animé par Charles-Robert Ageron jusqu’en 1983, puis dans l’Association de recherche pour un dictionnaire biographique de l’Algérie (ARDBA) présidée par Gilbert Meynier de 1983 à 1992.

[4] G. et M.-C. Bossuat, « L’histoire sans historiens », in Le Monde Radio-télévision, semaine du 1er au 7 octobre 1990, p. 30.

[5] Notamment celui de Bernard Droz et d’Evelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, Le Seuil, 1982.

[6] Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Picard, 2002, 356 p (bibliographie pp. 326-334).

[7] Notamment celles de Jacques Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Economica, 2002, et de Gilbert Meynier, Histoire intérieurs du FLN, Fayard, 2002.

[8] Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 33, janvier-mars 1992, pp. 127-138 (citations pp. 128 et 129-130).

[9] Co-auteur de La guerre d’Algérie, ouvrage collectif en trois volumes dirigé par Henri Alleg, Temps actuels, 1981. Voir mon compte-rendu critique dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord 1981, Editions du CNRS, 1983, pp. 1182-1186.

[10] Cahiers du communisme. Revue politique et théorique du comité central du Parti communiste français, mars 1992, pp. 63-69.

[11] Op.cit., p. 63.

[12] Op.cit., p. 64.

[13] « de G. Pervillé, qui remet à neuf une vision « soustellienne » des débuts de la guerre, à B. Stora, qui a entrepris, lui, une révision généralisée sous le signe de l’implacable dénonciation du FLN, et la réhabilitation plus ou moins nette de tout ce qui s’oppose à lui... » (op. cit. , pp. 67-68).

[14] Op. cit., p. 68.

[15] Titre initial du premier grand colloque universitaire organisé par l’IHTP en 1988 à Paris sur ce sujet, publié par Jean-Pierre Rioux sous le titre La guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990.

[16] Op. cit., p. 69.

[17] « Par quelle logique aberrante des hommes dont l’Histoire a vérifié la clairvoyance devraient-ils être moins aptes que d’autres à tirer les leçons du passé, alors que ceux qui se sont trompés sur l’essentiel seraient, eux, parfaitement qualifiés pour tenter de justifier leurs propres erreurs ? », écrivait Henri Alleg dans l’introduction de La guerre d’Algérie, op. cit., t. 1, p. 9.

[18] Massacres coloniaux, 1944-1950 : la Quatrième République et la mise au pas des colonies françaises, préface de François Maspero, La Découverte, 1994.

[19] Auteur notamment de la présentation de l’ouvrage collectif en deux tomes, Histoire de la France coloniale, Paris, Armand Colin, 1990-1991, et de sa dernière partie chronologique.

[20] Auteur du tome 2 de l’Histoire de la colonisation française, 1815-1962, Fayard, 1991.

[21] Massacres coloniaux, op. cit., pp. XV-XVI.

[22] Le clin d’oeil, dir. Ahmed Kaberseli, n° 88, 89 et 90, août, septembre et octobre 1994.

[23] Article paru dans Le Monde diplomatique, février 2001, repris dans Manières de voir n° 58, juillet-août 2001, Polémiques sur l’histoire coloniale, pp. 20-26.

[24] Voir les actes du colloque organisé à Nice en 1998 par le Centre d’études pied-noir, sur La Réécriture de l’histoire, pp. 10-20, et les documents en annexe, pp. 44-46.

[25] Voir la présentation de l’ASAF et son dossier sur « La vérité historique dans les manuels scolaires », dans Pieds-noirs d’hier et d’aujourd’hui, n° 85, décembre 1997, pp. 12-25.

[26] Voir mon analyse des manuels de terminale dans l’atelier sur l’enseignement de la guerre d’Algérie des Agoras méditerranéennes de l’Association des professeurs d’histoire et géographie (APHG), dans Historiens et géographes, n° 308, mars 1986, pp. 893-897.

[27] Voir son compte-rendu de la thèse de Charles-Robert Ageron dans la Revue historique, janvier mars 1970, pp. 121-134, la réponse de ce dernier dans le numéro suivant, pp. 355-365, et la mise au point du premier dans la Revue d’histoire et de civilisation du Maghreb (Alger), n° 9, juillet 1970, pp. 108-115. C. R. Ageron avait placé le débat sur le terrain politique en ramenant ses désaccords avec X. Yacono à l’opposition de deux principes : « Conscience française » et « Présence française ». Il l’a regretté ensuite.

[28] François Caron, La France des patriotes, 1851-1918, Paris, Fayard, 1985, pp. 550 et 625.

[29] Histoire de la France coloniale, op. cit., pp. 8-9.

[30] Rivet, op. cit., pp. 130-133, retrace l’évolution de l’histoire de la colonisation. Il distingue plusieurs tendances (marxistes et non-marxistes) parmi les partisans d’une décolonisation de l’histoire, et range Charles-Robert Ageron parmi les « inclassables ».

[31] Film conçu et réalisé par Philippe Alfonsi, Bernard Favre, Patrick Pesnot et Benjamin Stora (et non pas conçu par ce dernier seul, comme l’affirmaient les cinq historiens auteurs de la critique citée plus loin).

[32] « Les années algériennes, ou la soft histoire médiatique ? », Peuples méditerranéens, n° 58-59, 1er semestre 1992, et Naqd, revue d’études et de critique sociale (Alger), n° 2, février-mai 1992, pp. 91-99.

[33] « A propos des Années algériennes : réponses à quelques interrogations », Peuples méditerranéens, n° 60, juillet-septembre 1992, pp. 193-200.

[34] « Entre histoire, mémoires et images : Les années algériennes », Vingtième siècle, n° 35, juillet septembre 1992, pp. 93-96.

[35] Ibid., p. 96.

[36] La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991.

[37] Voir son intervention au colloque Mémoire et enseignement de la guerre d’Algérie (Paris, mars 1992), pp. ...

[38] Présentation de L’Algérie des Français (recueil d’articles parus dans la revue L’Histoire), Le Seuil et L’Histoire, 1993, pp. 7-13. Certains historiens diraient plutôt que l’impartialité n’est pas exigible dans tous les cas, mais que l’objectivité est nécessaire dans la mesure où elle est possible.

[39] Voir sa mise au moins exemplaire : « Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d’histoire », dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, Nanterre, BDIC, n° 39-40, juillet décembre 1995, qui dément les outrances de la version nationaliste algérienne diffusée notamment par le film de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois, Un certain 8 mai 1945, les massacres de Sétif.

[40] Charles-Robert Ageron ne se cache pas d’approuver globalement la politique algérienne du général de Gaulle, et son aboutissement les accords d’Evian, auquel il a consacré un article dans Vingtième siècle n° 35, juillet-septembre 1995, pp. 4-15 ; il m’a pourtant demandé un article sur le même sujet pour la revue qu’il dirigeait (« Trente ans après : réflexions sur les accords d’Evian », Revue française d’histoire d’outre-mer, n° 296, 3ème trimestre 1992, pp. 367-381), en sachant bien que mon point de vue n’était pas identique au sien.

[41] Thèse intitulée « Les Français musulmans rapatriés, archéologie d’un silence », et publiée sous le titre réducteur Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993.

[42] « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle, n° 42, avril-juin 1994, pp. 3-6 ; « Les supplétifs algériens dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie », même revue, n° 48, octobre-décembre 1995, pp. 3-20, et enfin « Le drame des harkis : mémoire ou histoire ? », même revue, n° 68, octobre-décembre 2000, pp. 3-15.

[43] Un village de harkis, des Babors au pays drouais, L’Harmattan, 1994 ; Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, des soldats sacrifiés, même éditeur, 1995 ; et Les archives inédites de la politique algérienne, même éditeur, 2000.

[44] Voir notamment dans Les combattants musulmans, op. cit., p. 111.

[45] Joseph Katz, L’honneur d’un général, Oran 1962, L’Harmattan, 1993.

[46] Voir le témoignage très exalté de Guy Doly-Linaudière, L’imposture algérienne,Les lettres secrètes d’un sous-lieutenant de 1960 à 1962, préface de Raoul Girardet, Filipacchi, 1992, pp. 182-184.

[47] Voir la thèse de Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 2000, qui contient l’enquête la plus rigoureuse et approfondie sur les tragiques événements d’Oran en 1962.

[48] « Le départ des Pieds-noirs était-il inévitable ? », L’Histoire n° 181, octobre 1994, pp. 48-50. Voir la suite dans les n° 183, décembre 1994, et 185, février 1995, pp. 96 et 99.

[49] Enseignant à l’IEP de Paris, chroniqueur littéraire et politique au Figaro, Alain Gérard Slama a participé au colloque La guerre d’Algérie et les Français (« La guerre d’Algérie en littérature ou la comédie des masques », pp. 582-602), et publié une bonne initiation : La guerre d’Algérie. Histoire d’une déchirure, Paris, Découvertes-Gallimard, 1996.

[50] « Oran, 5 juillet 1962 : le massacre oublié », L’Histoire n° 231, avril 1999, pp. 68-69.

[51] La bataille de Paris, Le Seuil, 1991.

[52] « 17 octobre 1961 : trois récits pour un massacre », L’Histoire, n° 216, décembre 1997, pp. 6-7.

[53] « Retour sur la nuit du 17 octobre 1961 » (version abrégée de la lettre de mes deux contradicteurs), L’Histoire n° 217, janvier 1998, p. 93.

[54] Ibid.

[55] Octobre 1961, un massacre à Paris, Fayard, 2001.

[56] L’Histoire, n° 231, avril 1999, pp. 64-67.

[57] Le mot « révisionnisme » est le contraire du dogmatisme ; il n’a donc pas sa place, en tant que reproche, dans un débat entre historiens.

[58] L’Histoire, n° 235, septembre 1999, p. 3.

[59] « La violence des guerres coloniales en question », par M. Harbi et G. Meynier, et « Mise au point », par G. Pervillé, Naqd n° 14-15, Histoire et politique, automne/hiver 2001, pp. 211-221.

[60] Pour un rappel de ces faits, voir mon article « 17 octobre 1961 : combien de victimes ? dans L’Histoire n° 237, novembre 1999, pp. 16-17, et les remarques de Claude Liauzu dans le n° 239, janvier 2000, p. 4.

[61] Police contre FLN. Le drame d’octobre 1961, Flammarion 1999.

[62] Charonne. Lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003, pp. 17-74.

[63] Brunet, op. cit., p. 40.

[64] Op. cit., pp. 35-36.

[65] Op.cit., p. 62.

[66] Op. cit., p. 60.

[67] Cette proposition, déposée en juillet 1998, a été retirée peu avant les élections d’avril 2002, bien qu’elle eût pu être votée.

[68] Voir l’appel de l’Association « 17 octobre 1961 contre l’oubli », dans Libération du 19 octobre 1999.

[69] Voir L’Humanité du 31 octobre 2000. Le début de cet appel se réfère à un travail de mémoire en cours des deux côtés de la Méditerranée, et croit voir se dessiner en Algérie « la mise en cause de pratiques condamnables datant de la guerre et surtout lui ayant survécu, commises au nom de situations où “tout serait permis” ». Mais il continue en définissant la torture comme « le fruit empoisonné de la colonisation et de la guerre, l’expression de la volonté du dominateur de réduire par tous les moyens la résistance du dominé ».

[70] Le journal algérien El Watan du 9 mai 1995 avait déjà invité les intellectuels algériens à « travailler au corps » les démocrates français pour qu’ils diffusent dans leur société un sentiment de responsabilité et de culpabilité, et réclamé à l’Etat français des excuses officielles au peuple algérien « pour les centaines de milliers d’innocents assassinés au cours de 130 ans de domination coloniale ». Plusieurs journaux algériens ont rappelé cette revendication insatisfaite lors du voyage en Algérie du président Chirac en 2003.

[71] Voir le livre publié par l’Association « 17 octobre 1961 contre l’oubli », Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat à Paris, s.dir. Olivier Lecour-Grandmaison, La Dispute, septembre 2001, et celui de Boussad Azni, Harkis, crime d’Etat, Ramsay, 2002.

[72] Madeleine Rébérioux, Jean-Pierre Vernant, et Pierre Vidal-Naquet.

[73] Notamment Mohammed Harbi, Claude Liauzu, Madeleine Rébérioux, Benjamin Stora, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, parmi beaucoup d’autres.

[74] Le sociologue Aïssa Kadri et les historiens Claude Liauzu, André Mandouze, André Nouschi, Annie Rey-Goldzeiguer, et Pierre Vidal-Naquet.

[75] Celles de Djamila Amrane, Les femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991, de Claire Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie, la parole confisquée, Hachette, 1999, de Sylvie Thénault, Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001, et de Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001.

[76] Le Monde du 10-11 juin 2001. Dans une réponse non publiée par ce journal, l’historien Daniel Lefeuvre a contesté les exagérations de l’analyse de ses collègues (à l’exception de l’opacité de la gestion des archives de la préfecture de police de Paris), la revendication d’un accès illimité aux archives, et l’idée que celles-ci manquent aux historiens qui veulent les consulter. Il conclut ainsi : « cette histoire coloniale que l’on peut faire, rien ne justifie de la réduire à ses manifestations les plus sanglantes, les plus négatives, dans une perspective de dénonciation plus que de connaissance et de compréhension, comme nous y conduit la fin de la tribune publiée par Le Monde ».

[77] Publié à l’initiative d’un groupe d’officiers de réserve, sous la direction de Michel de Jaeghère, aux Editions Contretemps en 2001.

[78] Celui-ci avait été, en novembre 2000, le principal auteur de Mémoire et vérité des combattants d’Afrique française du Nord, mise au point solidement documentée et argumentée, à l’exception des contributions et des conclusions outrancièrement polémiques du général Gillis (président de l’ASAF et du Cercle pour la défense des combattants d’AFN) qui affirme arbitrairement l’antériorité de la « trahison » par rapport à la torture.

[79] Attribué chaque année depuis 1999 par un jury du Cercle algérianiste à l’occasion de son congrès annuel.

[80] « L’écriture de l’histoire et la représentation du passé », conférence à la Sorbonne, 13 juin 2000, in Le Monde, 15 juin 2000, p. 16.

[81] G. Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, op. cit., pp. 322-323.

[82] J. Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, op. cit., pp. 339-340



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