Historiens et géographes n° 341 (1993)

lundi 7 juillet 2008.
 
Ce compte-rendu de l’ouvrage de Denise Bouche, Histoire de la colonisation française, tome second Flux et Reflux (1815-1962), Fayard, Paris, 1991, 607 p., est paru dans Historiens et Géographes n° 341, octobre 1993, pp. 518-519. Il développe celui, plus bref, qui est paru dans XXème siècle, revue d’histoire, n° 35, juillet-septembre 1992, pp. 121-122.

Les candidats aux concours de recrutement qui vont s’atteler à la question d’histoire contemporaine (sur « L’Europe et l’Afrique de la veille de la première guerre mondiale à nos jours » pour le CAPES, à la décolonisation pour l’Agrégation) peuvent se réjouir que l’histoire coloniale française ait été renouvelée depuis quelques années par la publication de plusieurs ouvrages de références fondamentaux. Moins d’un an après l’Histoire de la France coloniale publiée en deux tomes chez Armand Colin sous la direction de Charles-Robert Ageron, Fayard a publié une Histoire de la colonisation française en deux imposants volumes (dont le premier, dû à Pierre Pluchon, va des origines à la Restauration en 1.114 pages...). Ces deux grandes publications concurrentes sont heureusement complémentaires.

L’ouvrage de Denise Bouche, historienne de l’Afrique noire française et professeur à l’Université de Nancy II, a consacré à la construction, à l’apogée et à la dislocation du deuxième empire colonial français de 1815 à 1962 le même nombre de pages que le deuxième tome de l’Histoire de la France coloniale avait réservé à la seule période 1914-1990.

Il n’en est pas moins dense, ni moins solidement fondé sur la prise en compte des travaux les plus récents. Il est même plus synthétique, et plus aisément accessible, grâce à l’absence de découpage chronologique entre plusieurs auteurs, ce qui lui donne une plus grande unité de ton et de pensée.

Le plan réussit à concilier d’une manière justement équilibrée les approches chronologiques, géographiques et thématiques.

Il retrace d’abord les étapes de la conquête coloniale, avant et durant la Troisième République. Puis il analyse l’action de la colonisation, sous les modalités de l’encadrement administratif, de la « mise en valeur » économique, puis de la « mission civilisatrice » : lutte contre l’esclavage, œuvre missionnaire et sanitaire, et enfin l’enseignement, auquel l’auteur a consacré sa thèse de doctorat d’État (L’enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1817 à 1920, mission civilisatrice ou formation d’une élite ?, Paris, Honoré Champion, 1975, 2 tomes).

Une troisième partie présente l’Empire tel qu’il apparaissait aux yeux des Français lors de son apogée entre les deux guerres, sa remise en cause par la montée des nationalismes indigènes, et sa mise à l’épreuve, apparemment victorieuse, par la Deuxième guerre mondiale. Enfin, la quatrième partie retrace l’échec de « l’impossible Union française ». Aux « illusions de 1944-1946 », (contrastant avec le triomphe de l’anticolonialisme sur la scène internationale) succède la brutale confrontation de la IVème République avec les réalités (au Levant dès 1945, en Afrique du Nord, en Indochine et en Inde, en Afrique noire et à Madagascar), puis à partir de 1956 la « liquidation », motivée à la fois par les doutes des dirigeants et de l’opinion sur la possibilité de conserver l’Union française par une politique de progrès économique et social, et par la nécessité de mettre fin à la guerre d’Algérie. Le récit s’arrête un peu abruptement à l’heure des indépendances, en 1960 pour l’Afrique noire, et en 1962 pour l’Algérie ; et le sort ultérieur des derniers Territoires et Départements d’Outre-Mer est évoqué en deux pages. Ce choix de limiter l’extension du sujet est compréhensible, puisqu’à partir de 1962 la masse des Français n’accorde plus qu’un intérêt marginal aux vestiges et aux séquelles de la colonisation française ; mais on peut regretter qu’il laisse de côté la persistance de l’influence de la France en Afrique, et la réalité du « néo-colonialisme » ou de l’« impérialisme » que certains reprochent à sa politique de coopération (par exemple, voir La décolonisation tragique par Alain Ruscio, Paris, Messidor-Éditions sociales, 1987). Il est vrai que ces questions sont très complexes, et demandent un « travail énorme » de clarification.

Ce regret n’enlève rien aux mérites de l’ouvrage. Il est à peine besoin de souligner la somme de travail et de réflexion qu’a demandé à un seul auteur le rassemblement d’une telle quantité de faits précis, de données chiffrées significatives, de citations judicieuses, et leur intégration dans une synthèse bien ordonnée. L’esprit critique se manifeste dans tous les chapitres, en particulier dans le début du chapitre VI, qui démontre l’impossibilité de mesurer exactement, en termes économiques et financiers, ce que les colonies ont coûté à la France et ce qu’elles lui ont rapporté (pages 227-286).

D’une façon générale, Denise Bouche a bien raison de considérer la colonisation, et la décolonisation, non comme des combats entre le bien et le mal, mais comme des phénomènes historiques complexes déterminés par l’évolution des rapports de forces mondiaux, à contre-courant desquels la France n’aurait pu durablement naviguer, ni en refusant de participer à l’expansion coloniale, ni en s’efforçant de conserver à tout prix son Empire. Tel est, semble-t-il, le sens du sous-titre : Flux et reflux, et celui de la conclusion, qui cite longuement la page des Mémoires d’espoir dans laquelle Charles de Gaulle a expliqué son ralliement à l’inéluctable décolonisation, et qui constate la succession de modes idéologiques alternativement pro-coloniales et anti-coloniales.

En somme, il s’agit d’un ouvrage de référence de premier plan, qui rendra les plus grands services aux étudiants et aux enseignants. Complété par d’abondantes et utiles annexes : orientation bibliographique, chronologie détaillée, cartes de bonne taille, index des noms, des lieux et des thèmes, tables des sigles.

Guy Pervillé



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