Réponse au livre de Catherine Coquery-Vidrovitch : Enjeux politiques de l’histoire coloniale (2012)

jeudi 6 septembre 2012.
 

Réponse au livre de Catherine Coquery-Vidrovitch : Enjeux politiques de l’histoire coloniale, éditions Agone, Marseille, et Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, 2009, 190 p.

Ce livre de Catherine Coquery-Vidrovitch, paru il y aura bientôt trois ans, m’intéresse et m’interpelle tout particulièrement. Non seulement parce que nous appartenons à la même profession (l’histoire), à la même spécialité (l’histoire dite “coloniale”), et nous côtoyons dans les réunions du bureau de la même Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM). Mais aussi parce que son livre recoupe mes propres réflexions, ce qui m’invite à faire le bilan de ce qu’il m’apporte. La plupart de ses pages m’apportent en effet beaucoup d’informations et d’idées qui ne suscitent de ma part aucune opposition, qu’il s’agisse de points d’accord de nos réflexions, ou de connaissances que je n’avais pas faute d’avoir eu la même expérience. Par exemple sur la longue évolution de l’histoire “coloniale” vers une histoire décolonisée, mais aussi sur le déficit croissant des manuels et de l’enseignement scolaire en la matière, sur le cas particulier de l’histoire de l’esclavage, sur l’histoire “postcoloniale”, sur le musée des “arts premiers”, etc... Mais sur un certain nombre de points importants à mes yeux, je ne constate pas la même convergence de nos points de vue, soit qu’ils se contredisent, soit que je ne trouve pas mentionné par ma collègue ce qui me paraît être des faits d’une importance capitale. Je vais donc essayer de mettre ces points en évidence, et c’est pour cette seule raison qu’ils occuperont sans doute plus de place dans mon analyse que nos nombreux points d’accord.

Une lecture instructive

J’ai donc accordé à ce livre toute l’attention qu’il mérite, en cherchant à distinguer clairement nos points d’accord et nos points de désaccord, pour essayer d’ouvrir un débat fécond.

Le patronage du “Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire”

Le livre se place dès ses premières pages sous le patronage du “Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire” (CVUH), dont Catherine Coquery-Vidovitch est un des membres les plus actifs. L’encadré qui précède le titre du volume est ainsi formulé :

“ Fondé au printemps 2005, le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire regroupe des historiens-ne-s, chercheur-se-s et enseignant-e-s du supérieur et du secondaire, préoccupés par l’instrumentalisation politique de l’histoire. Car si la recherche et l’enseignement sont de leur compétence, le passé appartient à tous.

Ni censeur ni gardien du temple, le CVUH, en restituant les enjeux du passé, qui ne peuvent se confondre avec ceux du présent, a pour objectif de réagir aux différentes formes d’instrumentalisation du passé et de l’histoire, d’alerter les citoyens à propos des détournements éventuels de la recherche historique et de réfléchir à la place et à la fonction de celle-ci dans notre société” [1].

Cette formulation des objectifs du CVUH ne me paraît pas à première vue discutable, mais j’y remarque néannmoins une ambiguïté : le but est-il de défendre la spécifité de l’histoire contre tous ceux qui veulent l’exploiter politiquement ? Ou bien s’agit-il de défendre une “bonne” utilisation politique de l’histoire contre une mauvaise ? Et dans ce cas, en vertu de quels critères pourra-t-on dire quelle utilisation est bonne ou mauvaise ?

Les mêmes questions se présentent à mon esprit après avoir lu la présentation du CVUH au milieu du livre, comme une réaction contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005 : “Un certain nombre d’historiens ont réagi assez tôt contre l’article 4, autour de leur collègue Gérard Noiriel : le 17 juin 2005 est publié sur Internet le “Manifeste du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH)”, proclamant que l’autonomie de la recherche historique doit être préservée. Le rôle des chercheurs et des enseignants consiste à élaborer et à transmettre des connaissances rigoureuses sur le passé. Il faut chercher à comprendre les phénomènes historiques avant de les juger. Dès lors, dresser un bilan des aspects “positifs” ou “négatifs” de l’histoire n’a pas de sens” [2]. Là encore, ces phrases me paraissent indiscutables. Mais je me demande néanmoins pourquoi le mot “autonomie” est mis en italiques, et je crois comprendre que cela voudrait dire que l’histoire ne doit pas être considérée comme indépendante de la politique.

Un projet rassurant

Pourtant, au début de son introduction, Catherine Coquery-Vidrovitch définit son ouvrage comme “un petit manuel de ce qu’il faudrait savoir pour comprendre la crise profonde qui s’est déclarée depuis quelques années en France sur une question controversée de notre histoire ’nationale’ : a-t-elle ou n’a-t-elle pas à inclure l’histoire de la colonisation et de l’esclavage colonial français dans notre patrimoine historique et culturel commun ? " Ma réponse est oui, naturellement. Mais cette réaction de bon sens n’est pas partagée par tous nos concitoyens, soit parce que parler sans tabou du domaine colonial revient à ”faire repentance”, soit parce qu’il ne vient pas à l’esprit de beaucoup que notre culture nationale héritée n’est pas seulement une culture hexagonale. " Or la culture française (ce que d’aucuns appellent “l’identité nationale”) résulte de tous les héritages qui se sont mêlés dans un passé complexe et cosmopolite où le fait colonial a joué et continue de jouer son rôle” [3]. Là encore, je n’ai pas d’objection fondamentale, même si je ne suis pas sûr que cette définition du problème ne le simplifie pas exagérément.

En tout cas, je suis rassuré de lire plus loin, dans un tableau de l’histoire dans les années 1960, que la diversité des opinions politiques des historiens ne les empêchait pas de former une vraie communauté scientifique, émancipée de la soumission au parti colonial grâce à l’influence bénéfique d’un “grand universitaire anticolonialiste”, Charles-André Julien : “Grâce à ses disciples, jeunes historiens de tous bords soucieux de relater un passé colonial en passe d’être révolu, le savoir sur la colonisation française s’est enrichi entre les années 1950 et 1975. Leurs positions personnelles, qui relevaient des plus diverses appartenances politiques, ne rejaillirent guère sur leurs travaux scientifiques. (...) On va du conservatisme le plus affirmé (Jean-Louis Miège qui enseigna de longues années à l’Université de Provence, ou Jean Ganiage, qui succéda à Paris à Charles-André Julien) aux tenants de la gauche la plus radicale (André Nouschi, socialiste passionné, à l’Université de Nice, ou Annie Rey-Goldzeiguer, militante communiste, à celle de Reims) en passant par la mesure centriste (Charles-Robert Ageron à l’Université Paris-XII).” Un peu plus tard, l’auteur mentionne les thèses de doctorat d’Etat de trois universitaires africanistes français (Yves Person, Catherine Coquery-Vidrovitch, et Denise Bouche), et conclut ainsi : “On retrouve chez les auteurs de cette génération la même diversité de positions politiques, ce qui n’interdit pas la collaboration scientifique entre spécialistes, le milieu universitaire étant politiquement divers mais traditionnellement très courtois - du moins tant que le débat ne vient sur la scène publique, comme c’est le cas de nos jours” [4]. Et c’est alors que, pour la première fois, une note introduit une polémique excessive contre un historien, Daniel Lefeuvre [5], mais nous en reparlerons plus loin.

Des passages discutables

C’est en effet beaucoup plus loin, dans le chapitre intitulé “amnésie et silences”, que Catherine Coquery-Vidrovitch en vient à formuler des jugements politiques discutable sur quelques collègues, comme si leurs tendances politiques supposées avaient un rapport notable avec leurs activités d’historiens.

De l’amnésie au réveil de l’histoire coloniale

Ce chapitre est pourtant consacré à une période calme : “Dans les années 1975-1990, face à l’abondance des travaux sur les aires culturelles, il y a eu relative amnésie - faut-il plutôt parler de “refoulé” ? - de l’histoire coloniale française vue de France. Les historiens étudiant la période coloniale outre-mers, quel que soit le lieu, ne s’attachaient guère à ses effets en métropole. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’ouvrage de Jacques Marseille sur l’empire colonial et le capitalisme français (1984) fit tant de bruit : après le travail de Raoul Girardet en 1972, c’était à l’époque quasiment le seul à prendre en compte la politique impériale française en tant que telle. Il y eut à nouveau, dans les années 1990, quelques publications sur la question coloniale mais qui ne provoquèrent pas d’émotion particulière. On pourrait parler, dans ces années-là, d’”apaisement” par distanciation”. C’est donc pour une période récente - entre 1995 et 2003 - qu’on peut vraiment parler d’oubli quasi généralisé, au moins dans le domaine de la recherche savante. Les raisons en restent à préciser, car cette panne relative de recherche rend compte de la violence actuelle de la “résurgence coloniale” sous la forme d’une “guerre des mémoires” qui se substitue au savoir en partie à reconstruire” [6].

Cette analyse, et la démonstration qui la développe, m’intéressent tout particulièrement parce qu’elles recoupent mes propres souvenirs, pour les confirmer ou pour les contredire. En effet, les années 1970 et 1980 ont été dominées par deux grandes controverses historiques. L’une portant sur le rôle du “parti colonial”, analysé par Raoul Girardet [7] puis par Charles-Robert Ageron [8], comme inspirateur de l’expansion outre-mer d’une nation qui n’avait jamais été “coloniale” dans sa masse. L’autre lancée dès 1960 par le livre pionnier de Henry Brunschwig sur L’impérialisme colonial français d’avant 1914 [9], qui démystifiait le rôle des motivations économiques dans l’expansion coloniale française, et qui inspira en réaction de nombreux travaux aux défenseurs de la validité du concept d’impérialisme fondé sur le capitalisme (Jean Bouvier, René Girault, Jacques Thobie, et Catherine Coquery Vidrovitch elle-même [10]) avant d’être arbitrée par la thèse citée de Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français : histoire d’un divorce . [11] Mais la fin des années 1980 et le début des années 1990 ne sont pas dans mon souvenir, caractérisées par un désintérêt pour les effets de la politique coloniale en métropole, et encore moins par un “oubli quasi généralisé”.

Au contraire, les années 1990-1991 ont vu paraître les deux tomes de l’Histoire de la France coloniale, à laquelle ont collaboré, autour de Charles-Robert Ageron, de nombreux historiens dont la plupart appartenaient à une tendance marxiste ou marxisante, comme Annie Rey-Goldzeiguer, Jacques Thobie, Gilbert Meynier, et Catherine Coquery-Vidrovitch. Le premier nommé soulignait dans sa préface le projet d’écrire “non plus une histoire patriotique ou révolutionnaire des colonies, mais une histoire scientifique de la France coloniale”, et la nécessité de remettre au premier plan la métropole, “là se situait le centre qui impulsait la périphérie, un centre qui reste mal connu”. D’autre part, il insistait sur ”le pluralisme des sensibilités dans le choix des auteurs de cet ouvrage”, et concluait ainsi : “Au-delà des affrontements stériles de naguère entre chantres et détracteurs de la colonisation, nous avons tenté d’écrire, sinon “l’histoire totale” de la France coloniale, du moins une approche large des réalités multiples que contient ce concept en voie d’oubli peut-être, mais dont nous voudrions ressusciter la richesse” [12].

L’année suivante, son disciple Daniel Rivet publia dans XXème siècle, revue d’histoire, un article important, « Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement » [13], qui expliquait que « le fait colonial n’est plus un enjeu de nos affrontements franco-français » et que « son étude historique est quelque peu languissante ». D’après lui, de nombreux indices permettaient de conclure que « le temps des colonies et l’épreuve de la décolonisation s’éloignent de nous irréversiblement et que les passions refroidissent inéluctablement. Aux historiens d’aujourd’hui, il appartient d’en prendre leur parti et d’en tirer la conclusion qu’on est enfin sorti de la dialectique de la célébration et de la condamnation du fait colonial qui a si longtemps et si profondément biaisé l’écriture de son histoire ». Cet article a été, malheureusement, de plus en plus clairement démenti dans les années qui ont suivi par un “retour de mémoire” qui a rendu toute leur actualité aux événements proches et lointains de l’histoire coloniale, et je dois reconnaître que j’ai eu la naïveté de partager son optimisme scientiste [14]. Mais il me semble néanmoins que Catherine Coquery-Vidrovitch est trop expéditive en lui consacrant cette seule phrase : “ Ce que Daniel Rivet croyait pouvoir résumer en 1992 par la formule “le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement” désignait surtout le fait qu’à cette époque ni le grand public ni les historiens ne faisaient de la colonisation un cheval de bataille” [15].

Dans les pages qui suivent, celle-ci oppose implicitement les orientations des deux principales publications du début des années 1990 : l’Histoire de la France coloniale déjà citée, et “une Histoire de la colonisation d’optique nettement conservatrice” [16]. A la page suivante, elle oppose de la même façon deux dictionnaires parus en 2007, l’un “de la colonisation”, l’autre “de la France coloniale”, respectivement dirigés par Claude Liauzu (Hachette) [17] et par Jean-Pierre Rioux (Flammarion) [18]. Les mêmes courants de pensée ont décidément la vie dure : on retrouve le balancement entre une histoire plutôt critique et une autre d’une inspiration plutôt nationale. On retrouve aussi les mêmes clivages idéologiques : Le Figaro-Magazine loue dans le second les perspectives “dépassionnées” de Daniel Lefeuvre, Guy Pervillé ou Olivier Pétré-Grenouilleau , qui comptent pourtant parmi les plus “conservateurs” des auteurs rassemblés dans ce dictionnaire” [19]. Et c’est là que je me sens directement interpellé.

Réponse à des jugements polémiques

Sans contester à Catherine Coquery-Vidrovitch le droit d’exprimer son jugement, je dois néanmoins lui répondre, en commençant par ce qui me concerne personnellement. En effet, elle précise sa pensée en faisant allusion à un passage tiré d’un autre de mes textes : “Guy Pervillé trouvera que Charles-Robert Ageron aura usé, sur l’échec de la France en Algérie, de “formules-choc où l’on voyait s’effacer la différence souhaitable entre l’histoire et la politique - bref, un langage insuffisamment aseptisé. ” Cette citation, dont la référence est indiquée dans la note 16 (renvoyant à la page 176) est exacte, mais n’est pas compréhensible en dehors de son contexte. En effet, elle est extraite de la notice que j’ai consacrée à mon maître Charles-Robert Ageron à l’occasion de son décès, et qui se trouve non seulement sur le site internet Etudes coloniales de Daniel Lefeuvre, mais aussi sur mon propre site, et dans Outre-mers, revue d’histoire, 2ème semestre 2008 (pp. 373-380). Le passage cité s’y trouve bien, mais pour caractériser l’attitude très militante qui était celle de Charles-Robert Ageron quand il avait rédigé son Que-sais-je ? Histoire de l’Algérie contemporaine, paru en 1964. Et j’ai souligné à travers mon texte son évolution vers une attitude très différente, à laquelle il a donné sa meilleure expression en 1993, et que j’approuve entièrement : “« Il faut admettre, hélas, qu’il est pour l’heure impossible d’écrire une histoire scientifique de la guerre d’Algérie. Trente ans après ce drame, des blessures restent ouvertes et les passions flambent à chaque rappel imposé aux mémoires. On ne peut demander une vision sereine à ceux qui croient avoir perdu ou gagné une guerre, moins encore à ceux qui souffrent d’être des « expatriés » et non des rapatriés. Pour l’heure les historiens, qui ne disposent pas de l’ensemble des archives conservées par les deux parties, peuvent du moins travailler à éliminer les affabulations ou les chiffres nés de la guerre psychologique ou de partis pris idéologiques » . Et il concluait : « S’agissant de drames récents dont la mémoire risque d’être transmise déformée aux jeunes générations qui n’ont connue ni ‘l’Algérie de papa » ni ‘l’Algérie des colonialistes’, les historiens ont le devoir d’être plus prudents encore que leur métier ne l’exige habituellement. Si l’objectivité est philosophiquement impossible, l’impartialité est une vertu que tout historien peut et doit s’imposer. Et les enfants de France comme les enfants d’Algérie ont un droit semblable à la vérité de leur histoire » [20]. L’utilisation d’une citation isolée de son contexte par Catherine Coquery-Vidrovitch me paraît donc pour le moins abusive.

Mais je dois aussi faire part de mon sentiment sur le traitement qu’elle réserve à Daniel Lefeuvre (puisque j’ai été associé à celui-ci dans le même opprobre par un journaliste militant de gauche [21]). En effet, celui-ci est mentionné à trois reprises, brièvement mais en des termes exceptionnellement sévères. D’abord dans la note I de la page 27 : “On voit alors les personnalités les plus réactionnaires évacuer toute discussion en accusant leurs adversaires d’idéologie, ce qui les dispense de répondre par une argumentation raisonnée. Par exemple Daniel Lefeuvre, spécialiste de l’Algérie à l’Université Paris-VIII, n’a de cesse de pourfendre les “repentants” dans des libelles qui n’ont plus grand chose à voir avec le métier d’historien (...)”. Puis à la page 60 : “ Ainsi Lefeuvre, mélangeant savoir et mémoire, était déjà l’auteur d’un pamphlet incendiaire contre ceux qu’il dénomme les historiens “repentants”. Et enfin à la page 140, l’exposé le plus complet de la réponse qu’elle veut lui faire : “invoquer la réparation/repentance est devenu une arme médiatique et de manipulation politique. Le terme de “repentance”, abondamment repris par Nicolas Sarkozy dans ses discours, n’est pas du ressort de l’historien. L’utilisation , en particulier par les historiens, de ce “gros mot” contre d’autres intellectuels révèle le changement de registre - celui des politiciens qui discréditent leurs opposants - voire la malhonnêteté. L’historien n’a pas à dénoncer. Mais à analyser comment et pourquoi la colonisation fut ce qu’elle fut, comment elle a transformé colonisés et colonisateurs ; quelles en furent - et quels qu’ils furent - les effets induits et les héritages aujourd’hui dans leurs pays respectifs. Il ne s’agit ni de pardon, ni d’oubli : tout “non-dit” est ennemi du savoir, de l’intelligence réciproque, et donc de la réconciliation”. Jusque-là, je suis d’accord, et je suppose que Daniel Lefeuvre le serait aussi.

Mais le paragraphe suivant est moins satisfaisant, en tant que réponse à celui-ci : “Le pamphlet de Daniel Lefeuvre sur la repentance coloniale est choquant non pour les idées qu’il exprime (chacun est libre de ses opinions et de ses méthodes scientifiques), mais parce qu’il accuse de “repentance” les historiens qui ne partagent pas sa vision économiste, statistique et quantitative de l’histoire sociale. Voila une manière facile de ne pas entendre les arguments de ses adversaires et de les priver de légitimité savante - en même temps que d’induire en erreur ses lecteurs.”

Et c’est malheureusement tout. Le lecteur peut néanmoins en savoir davantage en lisant la note 7 à la page 183, qui le renvoie au compte rendu du livre de Daniel Lefeuvre fait par Catherine Coquery-Vidrovitch sur le site du CVUH [22]. Mais il ne saura pas que Daniel Lefeuvre lui a répondu en détail, d’abord sur son blog [23], puis sur le site Etudes coloniales qu’il a fondé, et sur lequel il a également publié la critique de Catherine Coquery-Vidrovitch avec sa propre réponse pour donner aux lecteurs le moyen de juger par eux-mêmes le fond du conflit [24]. De même, le CVUH soutient cette année la protestation d’une enseignante de l’Université de Grenoble contre le choix du livre de Daniel Lefeuvre comme oeuvre à étudier pour le concours d’admission à l’IEP de Grenoble [25], mais Daniel Lefeuvre a amplement répondu à toutes les questions qui lui ont été posées à cette occasion, et son site reproduit non seulement ses explications mais aussi la note accusatrice de cette enseignante. [26] Il y a donc dans cette situation de blocage quelque chose de malsain, qui ressemble à une forme de censure, puisque les idées de Daniel Lefeuvre sont condamnées par le CVUH sans jamais être citées ni discutées en détail.

Pourtant, sur le plan des principes les plus généraux, les deux historiens en conflit tiennent apparemment le même discours, à en juger par l’avant-dernier paragraphe de la réponse de Daniel Lefeuvre : “Je rejoins C. Coquery-Vidrovitch sur la nécessité d’être vigilant face aux usages publics et politiques de l’histoire. Mais cette vigilance suppose, d’abord, des historiens qu’ils ne se trompent pas de métier. Ni juges, ni même juges d’instruction, ils ne sont pas là pour instruire le procès du passé et des acteurs de ce passé, fusse-t-il le passé colonial. Ils sont là pour l’étudier, principalement à partir des archives de toute nature que ce passé nous a léguées, pour le connaître et le comprendre.” Pourquoi donc sont-ils en désaccord, et sur quels points précis ? Il me paraît nécessaire d’y réfléchir.

Distinguons d’abord la forme et le fond. La première est incontestablement polémique, et l’on peut se demander si ce type d’argumentation était le plus approprié pour faire admettre les critiques adressées par Daniel Lefeuvre aux auteurs qu’il veut réfuter. Mais la forme est relativement secondaire par rapport au fond du problème. Or sur le fond, Catherine Coquery-Vidrovitch et Daniel Lefeuvre sont d’accord pour dire que les historiens doivent rester fidèles à leurs méthodes proprement historiques, mais aussi qu’ils ne doivent pas fuir devant les utilisations politiques actuelles de la mémoire du passé, mais prendre position par rapport à celles-ci.

C’est bien ce que dit la conclusion du livre de Daniel Lefeuvre : “ Prétendre que les Français doivent faire acte de repentance pour expier la page coloniale de leur histoire et réduire les fractures de la société française relève du charlatanisme ou de l’aveuglement. Cela conduit à ignorer les causes véritables du mal et empêche donc de lui apporter les remèdes nécessaires. Le risque est grand, alors, de voir une partie des Français, bien persuadés qu’ils seront à jamais les indigènes d’une République irrémédiablement marquée du sceau de l’infamie coloniale, vouloir faire table rase et jeter, en même temps, nos institutions et le principe sur lequel elles reposent depuis la Révolution française : l’égalité en droit des individus. Belle révolution en perspective - peut-être même déjà en cours -, qui amènerait à créer en France un patchwork de communautés, avec leurs spécificités, leurs règles, leurs droits, leur police et leur justice - à l’appartenance desquelles les individus seraient assignés avec ou sans leur accord. Une France, grâce à l’action du MRAP, définitivement débarrassée de l’horreur laïque, où chacun pourrait exhiber au sein des établissements scolaires ses convictions religieuses ou politiques. Une France ou l’on serait blanc, noir ou arabe, chrétien, juif ou musulman - éventuellement athée - avant d’être français. Bref, une France de l’Apartheid” [27].

De même, la conclusion de Catherine Coquery-Vidrovitch n’hésite pas à mettre “le passé au présent” en tirant des conclusions politiques du passé pour préparer l’avenir : “ L’ensemble de cet ouvrage s’est efforcé de montrer combien il importe de démêler la place du passé colonial dans notre présent, afin de comprendre pourquoi la société française en reste aujourd’hui imprégnée. Pour finir, il faut insister sur l’idée qu’il ne s’agit pas seulement d’un “passé qui ne passe pas” - pour reprendre la formule d’Eric Conan et Henry Rousso à propos de Vichy : la “fracture coloniale” est plus qu’un simple héritage, c’est une production contemporaine. La création récente, par Nicolas Sarkozy, d’un ministère “de l’Identité nationale et de l’immigration” en est une excellente illustration, car elle pose brutalement la question de la place des immigrés, à quelque époque que ce soit, dans la construction de l’identité nationale. De fait, l’histoire de l’immigration récente relie la France à son passé colonial” [28].

Ainsi, les thèses soutenues par les deux auteurs sont évidemment divergentes et contradictoires, mais elles ne me semblent pas procéder de motivations ni de valeurs incompatibles. Dans des styles différents, et avec d’autres arguments, ces deux historiens apportent leurs contributions à un débat politique qui intéresse tous les citoyens. Dès lors, pourquoi ne pourraient-ils pas débattre sereinement ensemble et en public dans les mêmes lieux, y compris le CVUH ?

Catherine Coquery-Vidrovitch a vivement réagi, non seulement contre une sévère critique de Daniel Lefeuvre à un point d’un article écrit par elle [29], mais surtout contre la mise en cause répétée de nombreux auteurs avec lesquelles elle collabore habituellement, et qu’elle a voulu défendre. Et c’est pourquoi elle rejette catégoriquement la validité scientifique de la notion de “repentance coloniale”, à la dénonciation de laquelle Daniel Lefeuvre a consacré son livre. Dans le sien, elle définit en une page “un faux concept : la repentance”, et en des termes qui ne permettent pas de la considérer comme une adepte de celui-ci. Elle le considère en effet comme un anglicisme revenu tardivement en français, et désignant “la manifestation publique du sentiment personnel qu’est le repentir pour une faute qu’on estime avoir commise et pour laquelle on demande le pardon”. D’après elle, “ le terme est sous apparu en sous-titre, du Livre noir du colonialisme de Marc Ferro : “De l’extermination à la repentance” (2003), dans lequel l’extermination désigne ce qui s’est passé en Amérique latine de l’extrême fin du XVème siècle à la fin du siècle suivant. Le dernier chapitre y présente les revendications de repentance et/ou d’indemnisation de façon détaillée et critique : “Qui demande des réparations et pour quels crimes ? ” [30], en accordant une grande place aux revendications des peuples noirs mais sans s’y limiter. Comme le remarque justement Catherine Coquery-Vidrovitch, “ dans le dernier chapitre du Livre noir, Nadia Vuckovic développe les contradictions insolubles qu’implique, en politique, le couple indissociable “repentance/réparations” : l’entrée dans un processus de pardon implique des dédommagements. Ainsi la réclamation de certains pays africains fait bon marché de la participation active des élites et du pouvoir ; elle oblitère la rancoeur qui peut subsister encore aujourd’hui entre groupes (ceux qui étaient razziés) du fait des traites esclavagistes et de l’héritage colonial” [31]. Il est donc indiscutable qu’elle ne prend pas à son compte ce terme, dont elle dit à la page suivante qu’il “n’est pas du ressort de l’historien”. Mais on peut se demander si elle ne sous-estime pas son importance en tant que facteur de l’histoire, qui se manifestait bien avant 2003 et continue de le faire.

Un “livre noir” entre histoire et mémoire

Puisque Catherine Coquery-Vidrovitch cite elle-même le Livre noir du colonialisme, et qu’elle y a contribué par un nombre d’articles aussi important que son maître d’oeuvre Marc Ferro, il me semble possible d’y rechercher en quoi sa conception de l’histoire s’opposerait à celle de Daniel Lefeuvre. J’en avais fait, lors de la sortie du livre en 2003, une lecture sélective, centrée sur l’introduction générale de Marc Ferro, et sur l’histoire de la colonisation dite contemporaine, en mettant au centre la colonisation et la décolonisation de l’Algérie, traitée par Marc Ferro puis par Yves Benot et Catherine Coquery-Vidrovitch, ce qui m’avait permis d’en retirer des impressions très nettes. Je prie les autres contributeurs, beaucoup plus nombreux, de m’excuser de négliger leurs contributions.

Ce qui m’a le plus frappé dans l’introduction de Marc Ferro, c’est une contradiction permanente entre un projet scientifique avoué et un projet politique sous-entendu mais non défini comme tel. En fait, je n’ai pas trouvé convaincante la trop brève justification initiale de la raison d’être de cet ouvrage par l’actualité, contrebalancée aussitôt par le juste rappel que “la colonisation ne se réduit pas à ses méfaits”. A lire ces premières lignes, on aurait pu s’attendre à trouver une réflexion historique approfondie sur l’histoire des mots colonie, colonisation, colonialisme, impérialisme, néo-colonialisme, etc, mais il faut bien constater que tous ces mots plus ou moins polémiques sont employés sans être vraiment définis. Dès le milieu de la première page, un sous-titre pose une grande question : “le colonialisme : un totalitarisme ?, mais la phase qui suit : “Que le Livre noir du colonialisme forme couple avec le Livre noir du communisme relève par ailleurs d’une évidente nécessité” [32] ne va pas de soi, sauf s’il faut comprendre par là que les éditions Robert Laffont ne pouvaient pas avoir pris le risque de mécontenter une partie de leurs lecteurs habituels sans leur proposer une compensation. Il est vrai, comme nous le dit Marc Ferro, que la grande trilogie de la politologue Hannah Arendt sur “les origines du totalitarisme”, analysant successivement “l’antisémitisme”, “l’impérialisme”, et le “système totalitaire”, avait associé l’impérialisme colonial au nazisme et au communisme, mais cela ne suffit pas à faire de cette intuition personnelle une évidence indiscutable. Qu’il y ait entre le nazisme (ou le fascisme) et le communisme de profondes analogies autant que de profondes différences, c’est une idée qui s’est lentement imposée, après avoir été longtemps refusée par un grand nombre d’intellectuels de gauche. Qu’il y ait une continuité entre les formes extrêmes du racisme colonial et le nazisme, c’est une autre évidence.

Mais considérer de la même façon des mouvements, des idéologies politiques et des Etats caractérisés par une existence récente et relativement brève (même dans le cas du communisme) d’une part, et d’autre part un phénomène majeur de l’histoire mondiale qui s’est développé à l’échelle de plusieurs siècles, même si on convient de se limiter à l’impérialisme colonial européen de la fin du XVème au milieu du XXème siècle et à ses imitations directes, c’est évidemment impossible. Il est nécessaire, pour se retrouver dans un sujet d’histoire universelle aussi difficile, de ne pas employer arbitrairement des mots comme des outils sans tenir compte du fait que ces mots ont eux-mêmes une histoire et en sont les produits. Maxime Rodinson (1915-2004), islamologue, sociologue et politologue marxiste, avait bien montré dans son article intitulé “Israël, fait colonial ?” l’impossibilité de bâtir une analyse rigoureuse sur des concepts non définis : “Il n’y a pas de colonialisme et d’impérialisme en soi. Il y a une série de phénomènes sociaux montrant entre eux de multiples analogies, mais aussi d’infinies nuances sur lesquelles l’usage a prévalu d’apposer ces étiquettes. Au centre, si l’on veut, un noyau sur lequel tout le monde est d’accord, mais, à la périphérie, un dégradé insensible pour lequel la terminologie diffère selon les groupes, les écoles de pensée, les individus même. D’où les définitions divergentes des dictionnaires” [33]. Et j’ai été convaincu par la lecture des deux grands livres d’histoire sémantique dus à Richard Koebner, Empire, the story and significance of a political word, et Imperialism [34]que l’analyse des concepts passait par l’établissement méthodique de leur histoire ; ce qui m’a conduit à proposer à mon tour de modestes essais d’histoire sémantique de la colonisation/décolonisation et de l’impérialisme [35]. Voilà malheureusement ce qui manque à l’introduction de Marc Ferro, même si par ailleurs on y rencontre à chaque page des réflexions très stimulantes. Ce qui lui a surtout manqué, ce fut de prendre davantage de recul et de hauteur, pour nous rappeler par exemple que dans la pensée de Karl Marx l’expansion mondiale de l’Europe capitaliste entre le XVème et le XIXème siècle avait indissociablement un double caractère, d’immoralité condamnable et de nécessité historique inexorable [36].

Marc Ferro se charge plus loin d’évoquer “la conquête de l’Algérie”, puis le rôle des “colonisés au secours de la métropole” dans les deux guerres mondiales, et enfin la situation “en Algérie : du colonialisme à la veille de l’insurrection” [37]. Il le fait avec pertinence, mais davantage comme témoin ayant personnellement découvert la situation coloniale durant son séjour d’enseignant au lycée d’Oran que comme historien ayant mené des recherches originales sur le sujet.

Après lui, c’est Yves Benot qui traite plus en détail “la décolonisation de l’Afrique française (1943-1962)”. J’étais a priori très méfiant parce que cet auteur est avant tout un militant politique, et que je n’avais pas été convaincu par son livre Massacres coloniaux [38] paru en 1994. En effet, il y prenait parti contre la « révision de l’histoire coloniale », définie comme une tendance à réhabiliter la colonisation, ou tout au moins à en atténuer les crimes, à leur rechercher des excuses sous prétexte d’objectivité historique. Il voyait une preuve de ces tendances dans la réduction par les historiens des nombres de victimes habituellement cités par les militants (les 45.000 morts de Constantinois en mai 1945, les 6.000 morts de Haïphong en novembre 1946, les 89.000 morts de Madagascar en 1947-1949) ; et il dénonçait nommément trois « historiens armés d’une réputation de sérieux » : Charles-Robert Ageron, René Rémond, et Denise Bouche, sans être conscient du fait que le premier cité était accusé en même temps de “révisionnisme” parce qu’il refusait d’accorder crédit au nombre mythique de 150.000 “harkis” tués en 1962 par des Algériens. Mais j’ai été très agréablement surpris de ne pas retrouver les mêmes excès dans son article. Au contraire, il y fait preuve d’une prudence méritoire dans le chiffrage des nombres de victimes des répressions coloniales, en estimant le bilan de la répression du 8 mai 1945 en Algérie de 6.000 à 8.000 Algériens, celui de la répression de Madagascar, estimé par les historiens, “de l’ordre de 40.000”, et enfin pour celles de la guerre d’Algérie, il rapporte honnêtement que “les historiens hésitent entre 200.000 - un minimum - et 500.000 - ce qui est plus vraisemblable” [39]. Même si je ne partage pas ces dernières appréciations, je suis néanmoins très favorablement impressionné par cette progression spectaculaire d’un esprit militant vers un esprit beaucoup plus historique. Mais pourtant sa conclusion continue d’exprimer une conception plus morale et politique qu’historique, dans la mesure où elle attribue à la France colonialiste (infidèle à tous ses nobles principes) la responsabilité de toutes les violences : “”C’est la violence coloniale qui est originelle et qui ne cesse d’engendrer la violence. La violence de l’opprimé ne peut en aucun cas justifier la violation des droits de l’homme par ceux-là même qui s’en revendiquent. Tel était l’enjeu de la guerre d’Algérie, et il reste actuel. [40]” Cette position est soutenable d’un point de vue politique, mais elle n’est pas acceptable par un historien qui ne veut pas limiter l’histoire de la décolonisation à celle des violences coloniales.

Enfin, Catherine Coquery-Vidrovitch nous propose une réflexion sur “l’évolution démographique de l’Afrique coloniale”, qui englobe l’Afrique du Nord et l’Afrique noire (dont elle est une spécialiste éminente). Je ne me prononcerai pas sur le second de ces deux points parce que je ne me reconnais pas une compétence suffisante pour juger de la valeur de ses analyses. Mais je peux faire part de mes réactions sur le premier. La plus grande partie de son contenu est acceptable, sauf deux phrases. La deuxième évoque à la fin d’une note le plan de Constantine, en des termes plutôt amusants, tant ils bousculent la géographie et la chronologie : “le plan de Constantine lança de même un énorme chantier de modernisation de ce port (sic) en Algérie, mais il fut interrompu par la guerre d’indépendance” [41]. Mais la première est beaucoup plus grave, parce qu’à elle seule elle vient gâcher toute la première partie de l’article : “ Il faut rappeler, en fin de course, que la guerre d’Algérie causa environ un million de morts parmi les Algériens, contre 60.000 chez les Français” [42]. Or la première proposition de cette phrase est certainement fausse, car il a été démontré par les historiens Xavier Yacono et Charles-Robert Ageron que l’ordre de grandeur des pertes de la population musulmane algérienne, calculées d’après les recensements de 1954 et de 1966, n’était pas supérieur à 300.000 morts, voire à 250.000. L’estimation trop élevée citée par Catherine Coquery-Vidrovitch traduit la force de la propagande du FLN et de la mauvaise conscience des militants français de gauche à l’époque, mais ne peut être considérée comme le résultat du travail des historiens spécialisés dans la guerre d’Algérie. Il est vrai que cette fausse estimation avait alors été retenue, bien à tort, par le journaliste Jean Daniel et par le grand homme politique qu’était Pierre Mendès France, mais cela ne justifie pas qu’une historienne ait négligé de s’informer sur ce point durant plus de quarante ans. Mais surtout, cela nous permet de constater qu’elle n’a pas procédé à une critique rigoureuse de ses idées pour y distinguer ce qui relève indiscutablement de la science historique et ce qui relève des convictions politiques. Et ce constat nous paraît donner un bon argument à Daniel Lefeuvre.

En effet, celui-ci a relevé les deux points cités plus haut dans sa réponse à Catherine Coquery-Vidrovitch, et je ne peux que lui donner raison. Et d’autant plus qu’il avait lui-même sévérement critiqué l’article que j’avais publié dans la revue L’Histoire en 1983 sur le problème des pertes de la guerre d’Algérie, avant de se rallier à mon point de vue [43]. Mais je dois ausi constater que Catherine Coquery-Vidrovitch n’est pas la seule à ne pas avoir toujours clairement distingué dans ses écrits ce qui relève de l’histoire et ce qui relève du parti pris politique. Il serait plus juste de dire que la plupart des historiens qui ont d’abord vécu la guerre d’Algérie comme un problème politique en ont conservé une difficulté à la repenser par la suite uniquement comme un problème historique, et cette difficulté a été aggravée par la persistence et la résurgence des enjeux politiques de la mémoire. C’est ce que j’ai pu constater à l’occasion de discussions sur certains points où le jugement politique vient interférer avec le jugement historique [44]. Et c’est pourquoi j’estime que Catherine Coquery-Vidrovitch devrait réviser sa réaction excessive aux analyses provocantes de Daniel Lefeuvre.

Mais pour aller au fond du problème, il faut répondre clairement à la question qui les oppose : la revendication de repentance est-elle un faux problème dont un historien ne devrait même pas parler, ou non ? Je dois répondre que c’est un vrai problème, qui a gravement menacé la liberté des historiens - donc celle de l’histoire - , ce qui a poussé une partie non négligeable d’entre eux à fonder l’association Liberté pour l’histoire.

Liberté pour l’histoire : raisons et résultats

J’ai déjà exprimé ailleurs tous les arguments qui étayent mon analyse de ce problème, et je renvoie donc à ma mise au point intitulée « Réponse à Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel, historiens et membres du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire » (2008) [45]. Ils restent valables, mais depuis la publication du livre de Catherine Coquery-Vidrovitch en 2009 des faits nouveaux, et de première importance, se sont produits, et il nous faudra en tenir compte.

Le CVUH contre « Liberté pour l’histoire »

Le CVUH, comme on l’a vu, a été fondé en 2005 pour prolonger la lutte contre la loi du 23 février 2005. L’association Liberté pour l’histoire a été fondée au début de l’année suivante pour prolonger la défense de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau en prévention de toutes les menaces futures contre la liberté des historiens. Catherine Coquery-Vidrovitch se montre solidaire de la position prise par la SFHOM pour soutenir notre collègue injustement attaqué, auquel elle reproche seulement une « maladresse », et dont le livre « ne valait pas la querelle » qui lui fut faite ; mais elle critique aussi l’attitude de nombreux historiens et journalistes qui ont ignoré la loi Taubira-Ayrault avant de se retourner contre elle à l’occasion de l’affaire Pétré-Grenouilleau. Et elle présente son analyse comparative des positions des deux associations concurrentes en des termes qui méritent toute notre attention :

« Il faut bien comprendre la différence entre les messages du CVUH et celui de l’association Liberté pour l’histoire. Le premier, qui ne prétend pas que l’histoire appartient aux seuls historiens, s’attache à décrypter les différents usages (instrumentalisation, falsification, etc.) qui sont faits de l’histoire dans l’usage public. Collectif d’universitaires et d’enseignants du secondaire, le CVUH considère en effet qu’il est de son devoir de fabriquer des outils d’analyse susceptibles de nourrir le débat démocratique. En ce sens, il contredit Liberté pour l’histoire, selon qui l’historien, soucieux de maintenir son intégrité scientifique, doit se garder de tout type d’interférence politique. Pour sa part, le CVUH est assez indifférent au caractère « déclaratif » des lois dites mémorielles du moment qu’elles ne contredisent pas les connaissances historiques qui les fondent, ni se mêlent de prescrire aux historiens ce qu’ils doivent enseigner. A l’inverse, Liberté pour l’histoire cherchait à obtenir (et a obtenu en 2008) du Parlement de ne plus se prononcer par des lois sur quelque matière mémorielle que ce soit, au profit de « résolutions » sans implications juridiques. L’avenir dira ce qu’il en est. Car s’il est vrai que le pouvoir politique ne peut agir comme un universel redresseur de torts historiques, moraux ou sociaux, il ne peut pas non plus ignorer les injustices subies par des individus ou des groupes (et restées vivantes pour leurs descendants français) en raison de leur appartenance à une catégorie ethnique, sexuelle ou religieuse. Christophe Prochasson a raison de noter « l’arrogance de certains historiens de métier » à se réserver le monopole de régenter la mémoire collective, confondant allègrement ce qui relève de la mémoire (issue du vécu et du savoir - ou non-savoir - de tout un chacun), du politique (dont les manipulations éventuelles sont sous le contrôle de tous les citoyens et pas seulement des historiens), et de l’histoire : leur métier est bien d’utiliser et d’interroger la mémoire en qualité de source et de témoin, éventuellement de la contester mais non de la régenter, ce qui est en dehors de leur pouvoir [46].

Ainsi, notre collègue croit pouvoir reprocher à ceux qu’elle critique « une des tentations de l’historien professionnel : le goût pour le rôle de « conseiller du prince », et elle retourne le reproche en revendiquant le droit de tout dire en histoire : « Sous couvert de « Liberté pour l’histoire », il s’agit bel et bien d’éluder les questions difficiles » [47].

L’argumentation juridique de Liberté pour l’histoire

L’argumentation est habile, mais elle n’est pas sans réplique. En effet, dans sa plaidoirie pour le droit des citoyens (historiens ou non) à se mêler des questions historiques qui les concernent au nom de leurs droits politiques, Catherine Coquery-Vidrovitch oublie un aspect capital du problème : l’aspect juridique, comme s’il n’avait pas sa place entre l’histoire et la politique. Or l’association Liberté pour l’histoire, depuis sa fondation, n’a pas commis cette erreur : elle a élu comme vice-présidente François Chandernagor, qui n’est pas seulement une praticienne réputée du roman historique, mais qui fut d’abord, pendant quinze ans, une juriste, membre du Conseil d’Etat. Et c’est à ce titre qu’elle a pu fonder les revendications de Liberté pour l’histoire sur le constat que les quatre ou cinq principales lois mémorielles dont celle-ci revendique l’abrogation sont contraires aux articles 34 et/ou 37 de la Constitution, et que le Conseil constitutionnel n‘aurait pas manqué de le constater si la question de constitutionnalité lui avait été posée à leur sujet ; mais son intervention n’est pas obligatoire en dehors des projets de loi émanant du gouvernement, et dans le cas des simples propositions de loi, il ne peut être saisi que par le président de la République, le Premier ministre, les présidents des Assemblées ou 60 députés. Dès lors, le comportement des députés qui ont voté ces lois, en affirmant hardiment que les élus du peuple, étant souverains, pouvaient faire tout ce qui leur plaît, tombe sous le coup du reproche de manipulation frauduleuse de la Constitution [48]. A moins de supposer que son respect, aussi longtemps qu’elle n’a pas été modifiée suivant les règles constitutionnelles, serait une attitude « de droite » mais pas « de gauche » ?

La première de ces lois mémorielles, la loi Gayssot de 1990, qui punissait « ceux qui auront contesté, (...), l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale », s’appuyait au moins pour qualifier les faits sur le tribunal international de Nuremberg et sur les accords internationaux de Londres, intégrés dans notre droit interne. C’est pourquoi même certains membres de Liberté pour l’histoire ont hésité à l’inclure dans la liste des lois pénales et mémorielles dont l’association réclame l’abrogation, et c’est aussi pourquoi d’autres historiens n’ont pas voulu y adhérer. Et pourtant, cette proposition de loi avait été fermement contestée comme inutile et dangereuse dès le 21 septembre 1987 par le président de la Ligue des droits de l’homme Maître Yves Jouffa, et la loi votée le 30 juin 1990 le fut tout aussi nettemement par son successeur, l’historienne Madeleine Rébérioux, qui rappela les différences fondamentales entre les fonctions des juges et des historiens, et le danger de les confondre : « Les génocides peuvent et doivent être « pensés », comparés et, dans la mesure du possible, expliqués. Les mots doivent être pesés, les erreurs de mémoire rectifiées. Expliquer le crime, lui donner sa dimension historique, comparer le génocide nazi à d’autres crimes contre l’humanité, c’est le combattre. C’est ainsi - et non par la répression - que l’on forme des esprits libres » [49].

Quelques années plus tard, l’historien américain Bernard Lewis fut attaqué par le Forum des associations arméniennes de France, soutenues par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, à la suite d’un entretien accordé au Monde le 16 novembre 1993, complété par une lettre parue dans le n° du 1er janvier 1994, où il contestait la validité du terme “génocide”, et estimait qu’il n’existait “aucune preuve sérieuse d’une décision et d’un plan du gouvernement ottoman visant à exterminer la nation arménienne”. La justice française rejeta d’abord l’application de la loi Gayssot, qui ne punit que la contestation des crimes commis par l’Allemagne nazie et ses complices, mais elle condamna Bernard Lewis, le 21 juin 1995, pour avoir “occulté les éléments contraires à sa thèse”, pour s’être exprimé “sans nuances sur un sujet aussi sensible”, et avoir tenu des propos “fautifs”, car “susceptibles de raviver injustement la douleur de la communauté arménienne”. Mais ce jugement fut très fermement condamné par Madeleine Rébérioux, en sa qualité de présidente de la Ligue des droits de l’homme, non pas pour défendre la validité de la position prise par Bernard Lewis, mais pour refuser à un tribunal le droit de trancher un débat entre historiens sur un problème historique : « Bref, si nous laissons les choses aller d’un si bon train, c’est dans l’enceinte des tribunaux que risquent désormais d’être tranchés des discussions qui ne concernent pas seulement les problèmes brûlants d’aujourd’hui, mais ceux, beaucoup plus anciens, ravivés par les mémoires et les larmes. Il est temps que les historiens disent ce qu’ils pensent des conditions dans lesquelles ils entendent exercer leur métier. Fragile, discutable, toujours remis sur le chantier - nouvelles sources, nouvelles questions -, tel est le travail de l’historien. N’y mêlons pas dame Justice : elle non plus n’a rien à y gagner » [50].

Ces deux interventions très fermes de Madeleine Rébérioux - historienne bien connue pour ses positions politiques de gauche - traduisaient une inquiétude réelle devant le danger croissant d’empiètement de la justice sur la liberté des historiens. Il est regrettable que Catherine Coquery-Vidrovitch lui accorde si peu d’attention [51], et que la Ligue des droits de l’homme ait oublié les prises de position de son ancienne présidente, contrairement à Pierre Vidal-Naquet qui a défendu Olivier Pétré-Grenouilleau comme il avait pris position contre la loi Gayssot. En tout cas la revue L’Histoire, qui avait publié ces deux prises de position, ne les a pas oubliées, et elle en a tiré les conséquences en participant au bureau de l’association Liberté pour l’histoire [52], de même que l’Association des professeurs d’histoire et de géographie [53].

La revendication mémorielle des associations arméniennes trouva une nouvelle voie en inspirant le vote de la loi du 29 janvier 2001 par laquelle “La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915”. Loi purement mémorielle - et non pénale - ce qui parut insuffisant quand fut votée peu après une autre loi, par l’unanimité des deux assemblées parlementaires, la loi Taubira-Ayrault. Celle-ci était bien une loi pénale, par son article 1er définissant l’esclavage et la traite des Noirs depuis le XVème siècle, et dans un cadre géographique limité à la traite européenne, comme un “crime contre l’humanité” ; par son article 3 qui enjoint à la France de poursuivre la reconnaissance de ce crime contre l’humanité par les institutions internationales, ; et enfin par son article 5, qui autorise les descendants d’esclaves à porter plainte en justice contre tous ceux qui porteraient atteinte à l’honneur de leurs ancêtres. Cette loi put sembler purement théorique durant cinq ans, jusqu’à ce qu’elle fût utilisée par une association d’Antillais, Guyanais et Réunionnais pour porter plainte contre l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, qui avait eu l’imprudence de dire que celle loi n’était pas irréprochable dans une interview accordée au Journal du dimanche à la suite de l’attribution du prix d’histoire du Sénat à son livre Les traites négrières, essai d’histoire globale. [54] Celui-ci dut subir plus de six mois de harcèlement moral extrèmement pénible avant d’être défendu efficacement par les membres du jury du prix d’histoire du Sénat, qui obtinrent une intervention décisive du président Jacques Chirac le 30 janvier 2006, suivie dès le 3 février par le retrait de la plainte.

Cette grave affaire démontre la nécessité de prendre en compte les risques de conflit entre l’histoire et la mémoire, qui est aussi politique, mais autrement que le fait Catherine Coquery-Vidrovitch. En effet, sa réfutation des arguments juridiques de Liberté pour l’histoire contre la loi Taubira-Ayrault me paraît très peu convaincante. « Selon le premier, qualifier l’esclavage de « crime contre l’humanité » serait une atteinte au principe de non-rétroactivité des lois, ce concept juridique n’étant apparu qu’au procès de Nuremberg. Il n’en reste pas moins que la définition de « crime contre l’humanité » comprend bel et bien la notion de réduction en esclavage », crime de ce fait imprescriptible. Cette accusation n‘est pas nouvelle : outre les condamnations de l’esclavage par Condorcet et Diderot (...) Mirabeau qualifiait la traite et l’esclavage de « crime des nations » ; le décret de 1848 abolissant l’esclavage utilise le terme de « lèse humanité » ; et les débats parlementaires des IIème et IIIème Républiques comportent de multiples exemples d’emploi de termes analogues pour qualifier l’esclavage » [55]. Tout cela est sans doute vrai, et peut justifier une loi mémorielle, mais en quoi cela peut-il justifier le fait de voter une loi pénale contre l’esclavage plus de 150 ans après son abolition dans les colonies françaises, alors que tous les coupables et complices de ces crimes odieux sont indubitablement morts depuis longtemps ?

D’autre part, « le deuxième argument consiste à reprocher aux partisans de la loi Taubira de faire silence sur les traites de l’islam. Cinq mots sont effectivement de trop dans le texte de la loi, qui situe la traite « à partir du XVème siècle », même si l’article 2 mentionne aussi « tous les autres territoires ayant connu l’esclavage ». Est-ce au regard de cette adresse aux seuls Européens que l’on doit condamner une condamnation somme doute raisonnable, d’autant que les Français « descendants d’esclaves » demandeurs de la loi n’entendaient viser que la traite qui les concernait directement ? » [56] Très franchement, l’argument est encore moins convaincant que le premier, car le champ de la loi n’est pas défini seulement par la chronologie, il l’est également par la géographie : « Article 1er : La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’Océan indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. » Aucune équivoque n’est donc possible : il s’agit bien de la traite pratiquée par les Européens, et d’elle seule. Madame Taubira a d’ailleurs reconnu qu’il lui avait été demandé de s’en tenir à cette seule traite pour ne pas attirer des problèmes diplomatiques à la France... En tout cas, le président Chirac a fini par déclarer, le 9 décembre 2005 : « Ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire. Dans la République, il n’y a pas d’histoire officielle (...) L’écriture de l’histoire, c’est l‘affaire des historiens » [57] , et le 30 janvier 2006 : « Nous devons également développer la connaissance scientifique de cette tragédie. Même si cela ne diminue en rien la responsabilité des pays européens, la mise en place de la traite, comme l’a bien montré votre rapport, demandait une organisation, mais aussi des relais actifs dans les territoires dont étaient issus les esclaves ou dans des pays voisins. Il y eut un esclavage avant la traite. Il y en eut un après. Enrichir notre savoir, c’est le moyen d’établir la vérité et de sortir de polémiques inutiles. » [58] Même si l’affaire Pétré-Grenouilleau n’était pas mentionnée, c’était reconnaître implicitement le caractère gravement incomplet des éléments d’information contenus dans l’article Ier de la loi Taubira-Ayrault (limités à la seule traite européenne), et réfuter l’idée fausse qu’il appartenait à la loi seule de définir la vérité historique.

D’autre part, le manifeste des « indigènes de la République », publié en 2005, peut aussi être considéré comme une conséquence de cette loi, dans la mesure où il oppose en bloc les descendants de « colonisés » africains et arabo-musulmans aux Français de France. Catherine Coquery-Vidrovitch plaide pour faire reconnaître une validité à ce manifeste : « Ainsi le thème colonial a-t-il resurgi dans la société française sous la forme de représentations réactivées notamment pour des besoins politiciens. Mais il s’agit aussi de la résurgence d’une réalité (et pas seulement d’un imaginaire) : la « non-décolonisation » de la société française. Un demi-siècle après les indépendances, le fait colonial et/ou esclavagiste n’a jamais été aussi présent dans les médias, dans les publications, dans les commentaires politiques et dans les lois. Alors les immigrés des deuxième ou troisième générations ont repris le thème, et ils attribuent au passé colonial l’ostracisme dont ils souffrent. Ils ont tort de mélanger le passé au présent, mais la reconstruction agit comme un aiguillon. C’est le message de l’appel « Nous sommes les indigènes de la République » (janvier 2005) qui a tant choqué : l’indignation de ces militants de la société civile reposait sur des faits de discrimination. Dans leur texte, ils soulignent que « le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale (souligné par moi). Ils ont au moins raison sur un point : l’expression d’« indigènes de la République » n’existerait pas si les « codes de l’indigénat » ne l’avaient précédée en excluant, dans les colonies, les dits indigènes des droits humains. Aujourd’hui, les populations issues de la colonisation sont parmi les plus démunies des classes populaires parce que racialement discriminées, et ces discriminations touchent aussi les classes moyennes. L’attitude générale, dans la société française, ne se modifie que très lentement. La couleur continue de stigmatiser : être noir en France, c’est souffrir d’un « handicap social objectif » [59].

Cette argumentation est acceptable, mais elle ne répond pas à toutes les objections que suscite le texte en question. En effet, son titre même « Nous sommes les indigènes de la République » est une provocation évidente, parce que ce mot, s’il a une validité - ce qui peut être valablement contesté - , ne peut désigner que la majorité établie dans la métropole depuis des temps immémoriaux, et non pas des immigrés, enfants et petits enfants d’immigrés, venus s’y installer pour la plupart d’entre eux dans le dernier demi-siècle. Leur identification aux populations d’outre-mer soumises par la force de la métropole à l’époque coloniale pose bien un problème, mais elle ne lui fournit qu’une solution trompeuse. En effet, la décolonisation, telle qu’elle avait été voulue par le général de Gaulle et par la grande majorité des électeurs métropolitains qui avaient voté « Oui » à l’indépendance de l’Algérie le 8 avril 1962, n’avait certainement pas pour but de faciliter l’immigration des populations d’outre-mer vers la France, bien au contraire : il s’agissait en principe d’éviter l’immigration massive qu’aurait permis la politique d’intégration, en rendant à ces populations la souveraineté sur leur pays de manière à en protéger la France par des frontières. D’autre part, Catherine Coquery-Vidrovitch réduit le problème à une question de racisme, un peu comme le fait le texte en question qui efface délibérément toute distinction entre « les populations d’origine africaine, maghrébine et musulmane » [60]. Or si le racisme est une réalité, la différence de couleur avec les Français « blancs » ne caractérise pas toutes ces populations, et c’est bien à tort que l’on confond son refus, sous le même nom de « racisme », avec les craintes que suscite de plus en plus l’affirmation d’une identité musulmane depuis les révolutions islamiques d’Iran et d’Afghanistan, et avec la résurgence des mauvais souvenirs de la guerre d’Algérie réactivés par la guerre civile algérienne des années 1990 [61]. Et cette confusion est facilitée par le texte même de la loi Taubira-Ayrault, comme nous l’avons remarqué plus haut.

Les réactions de Catherine Coquery-Vidrovitch ne sont donc pas à la hauteur de l’extrême gravité du problème. En effet, la loi Taubira-Ayrault a supprimé la distinction entre le passé et le présent, en faisant du passé un éternel présent, ce qui est la négation même de l’histoire. Elle a ainsi franchi un seuil, en déclarant « crime contre l’humanité » des faits certes injustifiables et moralement condamnables, mais dont on ne voit pas comment les coupables et les complices pourraient être poursuivis et punis - puisqu’ils sont évidemment tous morts depuis longtemps - et en autorisant pourtant les descendants de leurs victimes à porter plainte en leur nom pour défendre celles-ci contre ceux qu’ils estiment aujourd’hui attenter à leur honneur. En franchissant ce seuil sans précédent, la loi s’est perdue dans l’absurde, sans qu’aucune autorité politique ou juridique ait osé s’y opposer [62]. Et elle menace directement la liberté de l’histoire et des historiens, dont la défense par une organisation professionnelle est devenue nécessaire.

L’indulgence de notre collègue envers cette loi est d’autant plus étonnante qu’elle a participé à la dénonciation de la loi du 23 février 2005, qui pourtant avait emprunté presque littéralement son article 4 - le seul qui fut sanctionné - à l’article 1er de la loi Taubira-Ayrault [63]. Il est vrai que la dite loi était pour la France une loi de repentance, alors que celle du 23 février 2005 était au contraire une loi de glorification. Dès lors, comment échapper à l’impression troublante que désormais, les seules lois mémorielles acceptables doivent être des lois de repentance ?

C’est à cause de cette sélectivité des réactions de nombre de mes collègues envers ces deux lois - le fait que la loi du 23 février 2005 fut la seule à susciter une levée de boucliers contre elle, alors que la loi Taubira-Ayrault était passée comme une lettre à la poste - que j’ai refusé de me joindre aux signataires de la pétition contre cette nouvelle loi mémorielle. Je ne prétends pas me donner en exemple, puisque je n’avais pas réagi contre la loi Taubira-Ayrault, mais elle avait échappé à mon attention, et c’est seulement le 15 mars 2002 qu’un collègue venu à Toulouse pour une journée d’étude sur la notion de mémoire collective m’avait révélé le texte de cette loi votée par le Sénat le 10 mai 2001 et des extraits des débats [64]. Je pense donc avoir le droit de m’étonner que mes collègues spécialistes de ces questions n’aient pas protesté ni alerté l’opinion contre ce grave dévoiement de la loi, qui créa un précédent dont les auteurs de la loi suivante crurent à tort pouvoir bénéficier.

Succès et limites de l’action de Liberté pour l’histoire

A la suite de l’affaire Pétré-Grenouilleau, comme on l’a dit, l’association Liberté pour l’histoire s’est constituée, et elle a commencé d’agir auprès des pouvoirs publics pour empêcher la répétition de tels événements, sous la présidence de René Rémond, puis de Pierre Nora. D’année en année, elle a réuni un nombre croissant d’historiens, même parmi ceux qui avaient d’abord hésité à la rejoindre à cause de sa contestation de toutes les lois mémorielles et pénales, y compris la loi Gayssot. Elle a également obtenu le soutien d’hommes politiques et de juristes, tels que l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995 [65], l’ancien président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, et l’actuel président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré. Ce dernier a pris une position très claire dans une interview publiée en avril-mai 2010 par la revue de l’APHG, Historiens et géographes : « Je suis extrêmement réservé sur les lois qui écrivent l’histoire. J’ai tenté, comme président de l’Assemblée nationale, et tout fait pour éviter qu’une loi française prenne position sur un fait historique qui concernait l’Arménie. Je pense très profondément, et je l’ai dit à l’époque, qu’il n’y a que les régimes totalitaires qui cherchent par la loi à écrire l’histoire ou à façonner des comportements historiques. Je suis très opposé à toutes ces lois qui veulent donner des leçons, écrire l’histoire, cela me semble une perversion de l’esprit » [66]. Grâce à ces soutiens, Liberté pour l’histoire a même obtenu en 2008, dans la dernière réforme constitutionnelle, la fin des lois mémorielles et le rétablissement de la pratique des « résolutions » qui permettrait peut-être de donner satisfaction à de telles revendications sans entrainer des conséquences fâcheuses en matière de droit pénal.

Mais son action a aussi trouvé ses limites dans la persistance de la volonté des partisans de la reconnaissance du génocide des Arméniens d’obtenir des sanctions pénales équivalentes à celles dont étaient munies la loi Gayssot et la loi Taubira-Ayrault. Après une véhémente manifestation turque à Lyon contre l’érection d’un monument commémoratif du génocide de 1915, une proposition de loi socialiste visant à doter la loi du 23 février 2001 de clauses pénales empruntées à la loi Gayssot de 1990 est venue en discussion à l’Assemblée nationale en mai 2006, puis a été ajourné par la majorité pour des raisons d’opportunité liées aux négociations entre la Turquie et la CEE. Mais elle est revenue en discussion et a été adoptée par surprise le 12 octobre 2006, la majorité parlementaire s’abstenant à quelques exceptions près (notamment Patrick Devedjian, d’origine arménienne). Restée par la suite au point mort, et enterrée par le Sénat le 4 mai 2011, elle fut relancée quelques mois plus tard, après la prise de position du président Sarkozy lors de sa visite en Arménie le 7 octobre et le passage à gauche de la majorité sénatoriale, par une proposition du sénateur socialiste Kaltenbach et par une autre de la députée UMP Valérie Boyer, présidente de l’association d’amitié France-Arménie : déposée le 7 décembre, celle-ci fut votée le 22 décembre par une cinquantaine de députés à main levée. Puis elle fut adoptée par le Sénat le 23 janvier, par 127 voix contre 86, avec seulement 237 votants sur 348 sénateurs. Pourtant la Commission des lois du Sénat avait rejeté le texte en rappelant le risque d’inconstitutionnalité, mais il fut désavoué par la majorité des sénateurs. La loi adoptée prévoyait un an de prison et 45.000 euros d’amende en cas de contestation ou de minimisation outrancière d’un génocide reconnu par la loi française, ce qui avait pour effet de donner à la loi sur le génocide arménien la même efficacité pénale que les autres. Votée malgré les divisions de la majorité de l’époque (où Alain Juppé et Bruno Lemaire s’inquiétaient des conséquences prévisibles sur les relations franco-turques), ce texte fut salué avec reconnaissance par le gouvernement arménien, et provoqua une violente réaction du gouvernement turc, reprenant contre la France les vieilles accusations du FLN algérien contre le « génocide » français. Mais le 31 janvier, deux recours furent déposés par 65 députés et par 76 sénateurs auprès du Conseil constitutionnel, qui se prononça le 28 février en condamnant le principe des lois mémorielles et l’abus de pouvoir commis par le Parlement en votant de telles lois, ce qui ferme très nettement la porte à toute nouvelle loi de ce genre. Mais les deux principaux candidats à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy et François Hollande, firent savoir qu’ils ne se tiendraient pas à cette décision, et dès le début mars le sénateur socialiste Kaltenbach prit l’initiative de reformer un groupe d’étude pour chercher un moyen de reprendre l’initiative.

Parlant le 2 juin 2012 devant l’Assemblée générale de l’association Liberté pour l’histoire, l’ancien ministre de la justice du président Mitterrand et ancien président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter, a constaté que « les parlementaires ont perdu la conscience de ce qu’est la loi, ce qui est insupportable », et rappelé que « la loi a une mission de régulation, mais dans le respect de la Constitution ». Il a dénoncé une « déviation par la tendance à la compassion » depuis une quinzaine d’années, et rappelé la distinction nécessaire entre la loi mémorielle pure (telle que la loi de 2001 reconnaissant le génocide arménien) et la loi pénale destinée à lutter contre le révisionnisme ; mais il a déclaré absurde la définition adoptée par la mission Accoyer en 2008 : « dire l’histoire, voire la qualifier en recourant à des concepts juridiques contemporains, pour assurer la reconnaissance de souffrances passées », ainsi que la rétroactivité juridique des lois, notamment celle de la loi Taubira-Ayrault, qu’il qualifia d’ « erreur » , sans doute par euphémisme. Il a rappelé que dans la Constitution française (contrairement à la constitution coutumière britannique), le Parlement a une « compétence d’attribution » qu’il ne doit pas dépasser, ce qui justifie le rôle du Conseil constitutionnel. Enfin il a rendu hommage au rôle joué par Liberté pour l’histoire pour arrêter cette dérive, et son dernier mot fut « Continuez ! »

L’élection du président de la République François Hollande, puis sa nomination de Jean- Marc Ayrault comme Premier ministre et de Christiane Taubira comme ministre de la Justice, ne peuvent que susciter des craintes aussi longtemps qu’ils n’auront pas clairement manifesté leur prise de conscience des devoirs que la Constitution leur impose. Les deux premiers sont en contact avec Pierre Nora, qui préside Liberté pour l’histoire. Mais la dernière a-t-elle changé d’avis depuis qu’elle lui avait répondu dans Le Monde du 16 octobre 2008, en rappelant que « le législateur est fondé à intervenir quand le roman national est en jeu » et en pourfendant « ceux qui brandissent un bouclier universitaire pour défendre des chasses gardées à l’abri des échos et des grondements de la société » [67] ? En tout cas, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a déclaré le 5 juillet 2012 que la loi sur le génocide des Arméniens ne serait pas reprise parce qu’elle était contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui paraissait constituer un désaveu de la promesse imprudente du candidat François Hollande. Mais dès le 7 juillet, il a été démenti par le président Hollande, qui a confirmé son intention de proposer une nouvelle loi pénalisant la négation du génocide arménien en s’adressant à des représentants de cette communauté qui s’inquiétaient des propos du ministre [68]. Comprenne qui pourra...

Revendication algérienne de repentance et relance française

Cependant, il me reste à rappeler, à propos de la politique mémorielle française, un point capital qui est trop souvent ignoré : le fait que la revendication de repentance n’est pas un mythe, puisqu’elle a été et est encore adressée à la France par un nombre important de politiques, de journalistes et d’intellectuels algériens depuis plus de vingt-deux ans, à l’initiative de la fondation du 8 mai 1945, créée par l’ancien ministre Bachir Boumaza, puis du gouvernement algérien lui-même.

La revendication algérienne de repentance

J’ai déjà écrit plus d’une vingtaine de fois sur ce sujet depuis dix ans, et je me permets de renvoyer encore une fois à ces écrits [69], mais je ne suis pas le seul. Dès 1995, Charles-Robert Ageron avait très fermement défendu l’indépendance des historiens français contre les attaques de Bachir Boumaza, dans un article écrit peu après que le cinquantième anniversaire des "massacres de Sétif du 8 mai 1945" ait "donné lieu en Algérie et en France à une série de commémorations largement médiatisées dans lesquelles l’histoire et les historiens français furent souvent malmenés voire disqualifiés. C’est ainsi que dans une conférence-débat donnée en Sorbonne le 4 mai 1995, un ancien ministre FLN, M. Bachir Boumaza, s’éleva contre ’les tentatives révisionnistes de l’histoire coloniale française’ qui visent à minimiser l’ampleur et l’horreur des massacres de civils algériens. Dans la page Histoire du journal Le Monde (n° du 14 mai 1995), un journaliste FLN qui écrit sous le pseudonyme de Ali Habib s’en est pris ’aux historiens français qui se livrent depuis un demi-siècle à une bataille de chiffres morbide’ alors que ’du côté algérien la cause est entendue’, le génocide perpétré volontairement à la suite d’une provocation colonialiste aurait fait ’45.000 morts, chiffre officiel’". Après avoir évoqué encore plus précisément les activités de la Fondation du 8 mai 1945, Charles-Robert Ageron se proposait de "présenter ici le rappel vérifié des faits, et quelques réponses aux interrogations d’une histoire critique. Car à mon sens tous les historiens, quelles que soient leur nationalité et leur religion, professent un même culte : celui de la vérité contre tous les faux patriotiques, et n’entendent jamais renoncer à leur esprit critique" [70]. De même Jean-Charles Jauffret avait dénoncé la campagne lancée par Mehdi Lallaoui, président de l’association « Au nom de la mémoire », pour commémorerle8mai1945endonnantunelarge place à la personne et aux idées de Bachir Boumaza : « Un très bel exemple de désinformation vient d’être donné, le 10 mai 1995, par une émission d’Arte, consacrée à l’insurrection du Constantinois en 1945. La version officielle du FLN a été reconduite, sans aucune référence sérieuse ou non-tronquée à la recherche contemporaine tant française qu’algérienne » [71].

Plus tard, dans un article sur l’évolution de la commémoration des accords d’Evian dans la presse française publié en 2004, Daniel Rivet a constaté le dérapage qui a suivi la visite officielle du président algérien en France en juin 2000 : « La lecture du Monde depuis juin 2000 installe le lecteur dans le malaise. Une fixation s’y opère sur la torture, les viols, les sévices exercés par la seule armée française au cours de la guerre d’Algérie. Les autres dimensions de la guerre sont occultées. (...) Un dispositif réduisant cette guerre au phénomène de la torture et des camps d’enfermement s’est mis en place subrepticement. » Et il conclut « qu’il n’y a eu ni « excès de mémoire » ni « abus d’oubli », mais plutôt exercice, jusqu’à l’orée des années 1990, d’une « mémoire équitable » (...). La plupart des journaux ont rempli leur rôle de gardien de la mémoire de la guerre et du cortège de souffrances qui l’accompagna, lorsqu’ils reviennent sur les Accords d’Evian ». Mais il se pose alors la question des causes du retournement de perspective qui a suivi : « Reste à repérer quand et à analyser comment se produit la flexure déclenchant le passage au tout moralisme justicier auquel se sont converties la sphère médiatique et une partie influente de l’intelligentsia universitaire ». Après avoir évoqué plusieurs causes annexes, il en vient donc à l’essentiel : « Nous croyons, pour notre part, que c’est notre crise de l’idée de nation en France surtout, qui nourrit ce ressassement sur notre passé franco-algérien. Si nous ne nous intéressons plus à l’avenir de l’Algérie, c’est parce que le nôtre est en panne et que nous n’avons plus d’horizon commun à proposer et à partager avec celle-ci (...). Certes le drame qui se rejoue en Algérie laisse pantelant les acteurs politiques et aphasiques les faiseurs d’opinion. (...) Mais surtout, si nous faisons du surplace dans la commémoration négative de notre mal à l’Algérie, c’est parce que nous ne savons plus nous vouloir un avenir et que « notre nation devient notre bouc émissaire » (...) [72]. Ainsi, Daniel Lefeuvre est loin d’être le seul historien à avoir critiqué explicitement ou implicitement la revendication de repentance adressée à la France au nom de l’Algérie.

En mai 2005, le président Bouteflika avait donné son plein soutien à cette revendication de repentance, à la vive satisfaction d’une grande partie de la presse algérienne : « Pour la première fois depuis l’indépendance, l’Etat algérien demande officiellement à l’Etat français de reconnaître ses crimes coloniaux et de demander pardon pour les souffrances imposées au peuple algérien durant les 132 ans d’occupation. Ce qui a toujours été la revendication de la société civile à travers les associations des victimes des atrocités coloniales est désormais une demande officielle formulée par le président de la République. (...) La réconciliation entre les deux pays passe ainsi par la reconnaissance par l’agresseur de ses crimes et par sa repentance. Autrement, aucune page de l’histoire ne serait tournée et aucune réconciliation n’est possible entre les peuples » [73]. Et après avoir vainement tenté de relancer le traité d’amitié franco-algérien qu’il avait proposé en 2003, le président Chirac a reconnu dans ses Mémoires : « Le principal obstacle viendra de l’acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande quelques mois plus tard de faire figurer dans le préambule, acte par lequel la France exprimerait ses regrets pour « les torts portés à l’Algérie durant la période coloniale ». Il me paraît utile et même salutaire, comme je l’ai indiqué dans mon discours de l’Unesco à l’automne 2001, qu’un peuple s’impose à lui-même un effort de lucidité sur sa propre histoire [74]. Mais ce qu’exigent de nous les autorités d’Alger n’est rien d’autre que la reconnaissance officielle d’une culpabilité. Je ne l’ai naturellement pas accepté, consentant tout au plus à souligner, dans une déclaration parallèle et distincte du traité, « les épreuves et les tourments » que l’histoire avait imposés à nos deux pays. C’est le maximum de ce que je pouvais faire. Il n’était pas davantage question pour moi de célébrer, comme certains parlementaires UMP m’y invitaient, le bilan positif de notre héritage colonial. C’eût été tout aussi excessif et injustifié, pour ne pas dire indécent. [75] » Curieuse façon de désavouer la loi du 23 février 2005, votée à l’initiative de son propre gouvernement par sa propre majorité... Mais on ignore quelles leçons le nouveau président de la République François Hollande a tiré de cet échec. On sait seulement qu’il a adressé un message au président Bouteflika le 5 juillet 2012, pour lui dire qu’il y a « place désormais pour un regard lucide et responsable » de la France sur son passé colonial en Algérie, et que « Français et Algériens partagent une même responsabilité : celle de se dire la vérité » [76]. Ce qui est en effet indiscutable.

Un avenir incertain

Nous savons encore très peu de choses sur ce que sera la politique mémorielle de la France adressée à l’Algérie, mais nous savons que le président Hollande a bien l’intention de la relancer. Celui-ci a publié dans Le Monde daté du 20 mars 2012 un texte intitulé « France et Algérie doivent mener ensemble un travail de mémoire », où il affirme que « aujourd’hui, entre une repentance jamais formulée et un oubli forcément coupable, il y a place pour un regard lucide, responsable, sur notre passé colonial » [77], mais il ne mentionne aucun fait permettant d’attendre une réponse algérienne différente de celle qu’avait reçue le président Chirac. Puis Le Monde du 28 juin a publié un texte de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, intitulé « La réconciliation avec l’Algérie est la clé », et affirmant sa conviction que « la clé d’une nouvelle politique arabe, c’est une nouvelle relation de la France et de l’Algérie fondée sur une réconciliation historique comme nous l’avons fait avec l’Allemagne », mais il doit constater que « l’Algérie semble immobile. Elle se débat avec la mémoire de ses passés, de son indépendance, de sa guerre civile meurtrière », et il conclut par la nécessité de prendre une nouvelle initiative : « Soyons au rendez-vous de la réconciliation » [78], sans nous dire si le résultat sera différent de l’échec enregistré par le président Jacques Chirac.

Enfin, dans un colloque organisé au Sénat le samedi 30 juin dernier, sur le thème « Algérie-France : comprendre le passé pour mieux construire l’avenir » le président du groupe d’amitié France-Algérie Claude Domeizel a conclu en rappelant " les engagements du « candidat Hollande » qui aurait déclaré qu’« il faut que la vérité soit dite. Sans repentance ni mise en accusation particulière. Reconnaître ce qui s’est produit (...) la France se grandit en reconnaissant ses fautes. La France du XXIe siècle, que je souhaite construire avec les Français, a besoin d’une mémoire apaisée ». Puis M. Domeizel a lancé un appel en s’adressant directement au « président Hollande » : « Il est dans mon rôle de président de groupe d’amitié de lui dire combien il est important d’être clair sur le sujet de l’Algérie. Beaucoup de nos compatriotes attendent des mots d’apaisement et de réconciliation. Nos amis algériens attendent un message de la France. Pas une repentance, pas une contrition. Simplement une reconnaissance des erreurs que nous avons pu commettre », a-t-il lancé [79].

Mais selon Saïd Abadou, secrétaire général de l’Organisation nationale des Anciens Moudjahidine, « les dernières déclarations du porte-parole du Quai d’Orsay du nouveau gouvernement français sont encourageantes. La France et l’Algérie doivent se traiter de la même manière, comme cela s’est fait entre la France et l’Allemagne ». M. Abadou estime aussi que le moment est propice pour réclamer des indemnisations et aussi juger les tortionnaires, surtout avec la nouvelle équipe qui siège à l’Elysée. « Nous aussi nous devrons réclamer des indemnisations à la France, puisque eux-mêmes ont eu ce droit auprès des Allemands. Même les chefs nazis ont été jugés », ajoute-t-il [80].

Si telle était l’atttitude des plus hauts responsables de la politique algérienne, rien ne permettrait d’attendre de l’initiative du président français de relancer sa politique algérienne par une nouvelle initiative mémorielle un autre résultat que celui obtenu par le président Chirac entre 2005 et 2007. On croit pourtant savoir que l’ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia - qui vient de démissionner le 3 septembre - désapprouvait la revendication de repentance adressée à la France [81], et l’avait montré en s’abstenant de soutenir la proposition de loi déposée en 2010 par 125 députés algériens pour entamer des poursuites judiciaires contre les auteurs de tous les crimes commis par des Français contre le peuple algérien de 1830 à 1962, proposition évidemment incompatibles avec les clauses d’amnistie réciproque sur lesquelles étaient fondés les accords d’Evian, et avec le simple bon sens pour ce qui concerne les faits antérieurs à 1945, dont il ne reste presque aucun acteur survivant [82]. Les responsables de l’Etat algérien sauront-ils prendre publiquement une autre position en 2012 qu’en 2005 ? Jusqu’à présent, nous n’avons aucune réponse à cette question préalable. Une seule certitude : sa politique mémorielle ambitieuse place le président Hollande “face aux pièges de l’histoire” [83].

En guise de conclusion...

En attendant d’en savoir plus, il me reste à conclure cette réflexion - déjà beaucoup trop longue pour un simple compte rendu de lecture - en constatant que la vision de Catherine Coquery-Vidrovitch, centrée sur l’Afrique noire, et celle d’autres historiens qui s’intéressent davantage à l’Algérie, ne retiennent pas et ne mettent pas en valeur les mêmes faits, ce qui pourrait expliquer une grande partie de leurs divergences. N’est-ce pas une bonne raison de leur proposer la reprise d’un dialogue aux perspectives élargies, et dans un état d’esprit plus serein ?

Guy Pervillé



[1] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 3.

[2] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 117.

[3] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 9.

[4] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 26-27.

[5] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 27, note infrapaginale 1.

[6] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 53-54.

[7] Raoul Girardet, L’idée coloniale en France, 1871-1962, Paris, La Table ronde, 1972.

[8] Charles-Robert Ageron, France coloniale, ou parti colonial ?, Paris, PUF,1978.

[9] Henry Brunschwig, Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français avant 1914, Paris, Armand Colin, 1960.

[10] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 33.

[11] Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Albin Michel, 1984, et Le Seuil, 1986.

[12] Préface par Charles-Robert Ageron, Histoire de la France coloniale, t. 1, Paris, Armand Colin, 1991, pp. 7-9.

[13] XXème siècle, revue d’histoire, n° 33, janvier-mars 1992, p. 130.

[14] Voir sur mon site mes articles « Histoire immédiate, histoire du temps présent, ou histoire contemporaine : le cas de la guerre d’Algérie » (1993), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=88, et « A propos de mon article « Histoire immédiate, histoire du temps présent, ou histoire contemporaine : le cas de la guerre d’Algérie » (1993) : une mise à jour sans repentance » (2010), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=258.

[15] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 58.

[16] Histoire de la colonisation française, t. 1, Le premier empire colonial (des origines à 1815) par Pierre Pluchon, t. 2, Flux et reflux (1815-1962) par Denise Bouche, Paris, Fayard, 1991.

[17] Claude Liauzu (s. dir.), Paris, Larousse, 2007.

[18] Jean-Pierre Rioux (s. dir.), Paris, Flammarion, 2007.

[19] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 60.

[20] Introduction de L’Algérie des Français, Paris, Le Seuil, collection Points-histoire, 1993, pp. 10 et 13.

[21] Voir ma “ réponse à Thierry Leclère” (2010) sur mon site http://guy.perville.free.fr, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=256.

[22] http://cvuh.free.fr/actualite/coquery.repentance.coloniale.html ; nouvelle adresse de ce site : , http://cvuh.blogspot.fr/

[23] http://www.blog-lefeuvre.com/

[24] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/

[25] “Le CVUH a aussi apporté son soutien à l’initiative d’une collègue géographe de l’Université de Grenoble, Sarah Mekdjian, qui a alerté, en janvier dernier, sur le fait que depuis la rentrée de septembre, les candidats au concours de l’IEP Grenoble ont à étudier comme œuvre unique d’histoire au programme le livre de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, sans aucune précision sur la nature polémique (à la fois sur le fait colonial et ses usages publics) et spécifique du livre en question, qui s’inscrit dans le cadre du débat public lancé par l’article 4 de la loi du 23 février 2005. Depuis, une note a été ajoutée sur le site de l’IEP Grenoble : « L’ouvrage de Daniel Lefeuvre est volontairement polémique. Il appelle donc à une lecture critique et ne doit en aucun cas être considéré comme une approbation par l’IEPG des thèses qu’il défend. Les candidats sont donc invités, dans leur préparation comme lors du concours, à replacer les opinions défendues par D. Lefeuvre dans une perspective critique ». Mais la bibliographie critique complémentaire, pourtant annoncée, n’est toujours pas en ligne.” Compte rendu de l’AG du CVUH, 11février 2012, http://cvuh.blogspot.fr/ (nouvelle adresse).

[26] Protestation de Sarah Mekdjian, et réponses de Daniel Lefeuvre et de Michel Renard aux questions de Quentin Ariès, préparateur à l’IEP de Grenoble, 13 février 2012, sur la revue en ligne Etudes coloniales, http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/

[27] Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, Flammarion, 2006, pp. 229-230.

[28] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 165.

[29] Daniel Lefeuvre, op. cit., p. 122.

[30] Le livre noir du colonialisme, s. dir. Marc Ferro, XVIème-XXIème siècle : de l’extermination à la repentance. Paris, Robert Laffont, 2003, 843 p ( Epilogue : “Qui demande des réparations et pour quels crimes ? “, par Nadia Vuckovic, pp. 762-786). Ce Livre noir voulait fournir des réponses à la conférence de Durban 2-9 septembre 2001) où de nombreux Etats africains avaient réclamé des réparations matérielles et morales aux Etats occidentaux pour l’esclavage et la traite des noirs. Cf. le livre plus récent de Bouda Etemad, Crimes et réparations. L’Occident face à son passé colonial, Bruxelles, André Versaille, 2008, 206 p.

[31] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 139.

[32] Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 9.

[33] Les Temps modernes, n° spécial sur “Le conflit israélo-arabe”, Paris, 1967, pp. 24-25 et 85.

[34] Richard Koebner, Empire, Cambridge University Press, 1964, et Imperialism, the story and significance of a political word, 1964 (terminé après la mort de l’auteur par son disciple Helmut Dan Schmidt).

[35] « L’irrésistible ascension d’un mot romain : colonie », dans L’Histoire, 1983, n° 61, pp. 97-99 ; « L’impérialisme, le mot et le concept », dans Empires et puissances, hommages à Jean-Baptiste Duroselle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986 (pp. 41-56) et sur mon site http://guy.perville.free.fr (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=116) ; enfin dans le chapitre 1 (pp. 14-22) : « Colonisation », « décolonisation », des concepts à définir » de mon manuel De l’empire français à la décolonisation, Paris, Hachette Supérieur, 1991 et 1993.

[36] Voir le livre de Miklos Molnar, Marx, Engels, et la politique internationale, Paris, Gallimard, 1975, qui montre l’ambivalence de leurs jugements dans leurs articles de presse.

[37] Le livre noir du colonialisme, op. cit., pp. 490-516.

[38] Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944-1950 : La IVème République et la mise au pas des colonies françaises. Paris, la Découverte, préface de François Maspéro, 1994.

[39] Le livre noir du colonialisme, op. cit., pp. 555-556.

[40] Le livre noir du colonialisme, op. cit., p. 555.

[41] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 565 note 24. En fait, le plan de Constantine (qui n’est pas un port) fut annoncé par le général de Gaulle dans cette ville en octobre 1958 et fut maintenu jusqu’après l’indépendance.

[42] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p.560.

[43] Voir "Combien de morts pendant la guerre d’Algérie ?", L’Histoire, 1983, n° 53, pp. 89-92 ; et "Les morts de la guerre d’Algérie", L’Histoire, 1983, n° 56, pp. 98-101.

[44] Voir par exemple, sur mon site guy.perville.free.fr, la mise au point “A propos des 3024 disparus de la bataille d’Alger : réalité ou mythe ? (2004), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=174.

[45] http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=229.

[46] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 127-128.

[47] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 128-129.

[48] Françoise Chandernagor, “Laissons les historiens faire leur métier ! ”, L’Histoire, n° 306, février 2006, pp. 77-85, et “Historiens, changez de métier ! ”, L’Histoire, n° 317, février 2007, pp. 54-61.

[49] Madeleine Rébérioux, « Le génocide, le juge et l’historien », L’Histoire, n° 138, novembre 1990, pp. 92-94.

[50] Madeleine Rébérioux, « Les Arméniens, le juge et l’historien », L’Histoire, n° 192, octobre 1995, p. 98.

[51] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 119.

[52] En la personne de sa rédactrice en chef Valérie Hannin.

[53] En la personne du rédacteur en chef de sa revue Historiens et géographes, Hubert Tison.

[54] Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, essai d’histoire globale, Paris, Galliamrd, 2004, 468 p.

[55] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., p. 129.

[56] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 129-130.

[57] Cité par Afrik.com, http://www.afrik.com, 9 décembre 2005.

[58] « Partager la mémoire de l’esclavage », discours de Jacques Chirac à l’Elysée, 30 janvier 2006, Le Monde, 31 janvier 2006, p. 21.

[59] C. Coquery-Vidrovitch, op. cit., pp. 166-167.

[60] Voir le texte complet de l’Appel pour les assises de l’anticolonialisme post-colonial, “Nous sommes les indigènes de la République”, sur le site oumma.com, et dans le livre d’Yves Lacoste, La question post-coloniale, une analyse géopolitique, Paris, Fayard, 2010, pp. 52-56.

[61] Selon la thèse d’Yvan Gastaut, L’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, Paris, Le Seuil, 2000, il semble que les préjugés à l’encontre des population d’origine africaine (noire) aient été longtemps moins répandus que ceux visant les populations algérienne ou maghrébines. Mais cela ne semble plus être le cas.

[62] A l’exception de la ministre de la Justice Elisabeth Guigou, qui dit aux députés : “Ce que vous faites là, est contraire à la Constitution, vous êtes en train de violer l’article 37”. Cité par Françoise Chandernagor, “Historiens, changez de métier ! ”, L’Histoire, n° 317, février 2007, p. 55.

[63] Mais si la loi Taubira-Ayrault disait dans son article 2 : “Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent”, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 développait les mêmes formules en leur donnant un sens clairement laudatif : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Voir sur mon site http://guy.perville.free.fr les mises au point intitulées « Mon avis sur la pétition des historiens », et « Réponse à Gilles Manceron », publiées le 24 avril 2005, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=38 et 37.

[64] Didier Guyvarc’h, « La mémoire collective, de la recherche à l’enseignement », Cahiers d’histoire immédiate, n° 22, automne 2002, pp. 101-119 ; reproduit dans le n° spécial « Pratiques de l’histoire immédiate », n° 29, printemps 2006, pp. 341-362.

[65] Robert Bandinter a déclaré à l’Assemblée générale de Liberté pour l’histoire, le 6 juin 2009, que si la Loi Gayssot était venue devant le Conseil constitutionnel, celui-ci ne l’aurait pas approuvée, mais il estime que cette loi mémorielle est moins fragile que les autres, parce qu’elle s’appuie sur le Statut du tribunal international de Nuremberg.

[66] “Entretien avec Jean-Louis Debré”, par Christine Guimonnet et Hubert Tison, Historiens et géographes n° 410, avril-mai 2010, pp. 165-170 (p. 169).

[67] Le Monde, 16 octobre 2008, p. 23.

[68] Sud-Ouest, dimanche 8 juillet 2012, p 4. Cf. L’Express n° 3184 du 11 juillet 2012, p. 18 : “François Hollande a déjeuné à l’Elysée le 6 juin (ou juillet ? ) avec huit historiens : Colette Beaune, Michelle Perrot, Michel Winock, Benjamin Stora, Jean-François Sirinelli, Jean-Noël Jeanneney, Pascal Ory, Pierre Nora. Ce dernier a tenté de dissuader le chef de l’Etat de s’engager dans la voie des lois mémorielles - peine perdue, trois jours plus tard, le président indiquait qu’il n’avait pas renoncé à un texte réprimant la négation du génocide arménien” (“Questions d’héritage”, par Marcelo Weisfred).

[69] Voir leur liste (provisoire) sur mon site http://guy.perville.free.fr, à la fin de mon texte intitulé “Réponse à Yasmina Adi”, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=251.

[70] "Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et histoire", in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 39/40, juillet-décembre 1995, pp. 52-56.

[71] Jean-Charles Jauffret, « Archives militaires et guerre d’Algérie », actes du colloque Marseille et le choc des décolonisations, s.dir. Jean-Jacques Jordi et Emile Témime, Aix-en-Provence, Edisud, 1996, p. 171, et note 1 pp. 176-177.

[72] « Présence/absence des Accords d’Evian et des premiers jours de l’indépendance algérienne dans quelques journaux français », in La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, s. dir. Anny Dayan Rosenman et Lucette Valensi, Saint-Denis, Editions Bouchène, 2004, pp. 181-204.

[73] « La France appelée à solder ses comptes avec l’histoire », par Abdelkrim Ghezali, La Tribune, 9 mai 2005. C’est moi qui souligne.

[74] Dans son discours du 15 octobre 2001 à l’UNESCO, le président Chirac avait déclaré notamment : “chaque culture, chaque religion doit mener sur elle-même un travail critique. Le courage de la mémoire, les actes de repentance sont un pas dans cette voie : devoir de toute civilisation, de toute société, de toute religion. Dans ce domaine essentiel qui est celui du regard que l’on porte sur soi, beaucoup reste à accomplir. Quelques jours à peine avant les attentats de Manhattan et de Washington, la Conférence de Durban démontrait que ce travail lucide sur soi-même était encore balbutiant, et qu’il était parfois rejeté au profit de la désignation d’un coupable unique. Sortir de la logique du bouc émissaire est bien l’une des conditions du dialogue des cultures.”

[75] J. Chirac, Mémoires, op. cit., t.2, p. 435. C’est moi qui souligne.

[76] Dépêche AFP, citée par Le Monde, 7 juillet 2012, p. 7.

[77] Le Monde, mardi 20 mars 2012, p. 20. Voir sur la même page le texte de Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora : “Comme si le 19 mars n’existait pas. Un déni qui plane sur la guerre d’Algérie”.

[78] Le Monde, jeudi 28 juin 2012, p. 22. Voir sur la même page le texte de Laurent Fabius : “La France doit repenser son partenariat avec le monde arabe”.

[79] D’après El Watan, 1er juillet 2012. Voir aussi sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/evenement/colloque/france_algerie_comprendre_le_passe_pour_mieux_construire_lavenir.html

[80] El Watan, 1er juillet 2012.

[81] Voir sur mon site : « A propos de mon texte censuré : 1962, fin de la guerre d’Algérie » (2012) (article du quotidien en ligne Tout sur l’Algérie, intitulé « Ne pas gêner la France et éviter de faire le bilan de 50 ans de gestion chaotique du pays. Cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie : la délicate position du pouvoir. » http://www.tsa-algerie.com/politique/cinquantenaire-de-l-independance-de-l-algerie-la-delicate-position-du-pouvoir_19015.html).

[82] Texte disponible notamment sur le site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon (25 février 2010) et sur Mediapart (www.mediapart.fr/files/propostiondeloicmediapart.doc).

[83] Voir l’analyse de Thomas Wieder dans Le Monde, 26 juillet 2012, p. 16 (“Hollande face aux pièges de l’histoire. Centenaire de la Grande Guerre, génocide arménien, guerre d’Algérie : trois dossiers délicats pour le chef de l’Etat”).



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