Texte non censuré mais non publié (2012)

lundi 11 février 2013.
 
Il y a un an, le 11 février 2012, j’ai appris qu’un article que j’avais spécialement écrit pour un numéro spécial de La Dépêche du Midi à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie ne paraîtrait pas ; non que mon texte eut été censuré, mais c’était l’ensemble de ce numéro spécial qui avait paru trop difficile à réaliser sans froisser une partie des lecteurs du journal... Ainsi ce texte, que j’avais conçu comme le complément de mon article censuré dans les Commémorations nationales 2012, a subi presque le même sort... Pour lui éviter un oubli total, je le publie un an après.

Est-il possible d’écrire un article destiné à commémorer en 2002 le cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie dans une publication officielle, et de le voir lourdement censuré ? C’est ce qui est arrivé à mon texte intitulé : « Fin de la guerre d’Algérie » dans le recueil des Commémorations nationales 2012, publié par le Ministère de la Culture et de la Communication. Qu’on en juge, en comparant le texte publié sur le site officiel www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/...nationales/...2012/.../fin-de-la-guerre-d-algerie/, avec les deux mises au point publiées sur mon site personnel http://guy.perville.free.fr : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article 266, datée du 7 janvier 2012, et 269, datée du 23 janvier. Je n’en dirai pas plus, car un historien n’est pas à plaindre pour avoir subi son premier acte de censure au bout de 40 ans de carrière, et cet acte absurde m’a valu une publicité sans précédent. Mais la question mérite d’être posée : que faut-il rappeler sur la guerre d’Algérie, un demi-siècle après sa fin ?

La commande reçue des Commémorations nationales m’avait incité à rappeler les événements de l’année 1962 en Algérie, de façon à montrer que les accords d’Evian, signés le 18 mars 1962 et applicables à partir du 19 mars, n’avaient été appliqués que de façon formelle, et rapidement vidés de leur contenu, non seulement par l’obstruction de l’Organisation armée secrète (OAS) qui les rejetait en bloc, mais aussi par la réaction du Front de libération nationale (FLN) algérien, bien qu’il les eut négociés et signés avec les représentants du gouvernement français. Mais il y avait évidemment beaucoup d’autres choses à dire.

Si l’on veut rechercher les causes des accords d’Evian, il faut remonter le temps au moins jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle en juin 1958, à la suite de la crise du 13 mai, qui avait poussé la IVème République à faire appel au Général pour éviter un coup d’Etat militaire ou une guerre civile. De Gaulle semblait alors s’être engagé définitivement envers les foules d’Algérie et envers les chefs militaires en criant « Vive l’Algérie française ! », mais moins de quatre ans plus tard, sa politique avait changé du tout au tout. Cependant, la guerre d’Algérie qui était à l’origine de son retour au pouvoir, n’avait pas commencé en 1958 : elle avait une histoire antérieure déjà longue, depuis les attentats du 1er novembre 1954, qui avaient incité le Président du Conseil Pierre Mendès France et son ministre de l’Intérieur François Mitterrand à rejeter toute négociation, jusqu’aux premiers contacts secrets avec les chefs du FLN du Caire pris en 1956 par les représentants de Guy Mollet avant le détournement de l’avion marocain qui les transportait vers Tunis le 22 octobre 1956, suivi par la « bataille d’Alger » de 1957 et par la « bataille des frontières » de 1958. Mais cette guerre peut-elle être comprise sans remonter encore plus loin, jusqu’à l’insurrection durement réprimée de mai 1945 autour de Sétif et de Guelma, ou même jusqu’au débarquement des troupes françaises en 1830 ? La recherche des causes profondes du conflit franco-algérien est évidemment nécessaire pour le rendre compréhensible.

En sens inverse, on peut s’interroger pour savoir à partir de quand le général de Gaulle avait cessé de croire possible l’intégration de l’Algérie dans la France, et jugé inévitable son accession à une forme d’indépendance. Quoi qu’il en soit, c’est seulement à partir de son discours du 16 septembre 1959, dans lequel il invita les Algériens à choisir librement entre trois solutions ( la « sécession », sans aucune aide de la France, la « francisation », impliquant un effort énorme pour transformer le pays en une province française comme les autres, et enfin une solution d’autonomie comparable au statut d’Etat membre de la Communauté créée par la Constitution de 1958), que le chef de l’Etat prit en main la solution du problème algérien, et renonça au vieux principe républicain de la politique d’assimilation censée faire de l’Algérie une terre française.

Cette renonciation conduisit rapidement le chef de l’Etat à rompre avec ceux qui l’avaient ramené au pouvoir, en refusant de changer sa politique à l’occasion de la « semaine des barricades » (24-31 janvier 1960). Mais il ne voulait pas pour autant livrer l’Algérie au FLN, comme le prouva au printemps 1960 l’ « affaire Si Salah ». Quelques membres de la direction de la wilaya IV (Algérois) avaient pris contact en mars 1960 avec les autorités françaises pour négocier un accord dans la cadre de la politique d’autodétermination. Les représentants du Président de Gaulle (Bernard Tricot) et du Premier ministre Debré (le colonel Mathon) vinrent négocier sur la destination des armes et le sort des combattants. Puis, pour achever de convaincre leurs interlocuteurs sur le bien fondé de leur démarche, les trois principaux chefs de la wilaya, Si Salah, Si Lakhdar, et Si Mohammed, allèrent à Paris rencontrer le président de la République dans la nuit du 10 juin 1960. Peu après, le 14 juin, il lança un appel aux « dirigeants de l’insurrection », et le président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), Ferhat Abbas, envoya une délégation qui fut reçue à la préfecture de Melun du 25 au 29 juin, mais ces délégués n’acceptant pas les conditions françaises, furent renvoyés à Tunis. Aussitôt après, le chef militaire Si Mohammed se retourna contre Si Lakhdar et Si Salah, qui tentait de rallier la wilaya III (Kabylie) à son initiative, et jura fidélité au GPRA. Cet échec fut peu à peu interprété comme une trahison du général de Gaulle, qui aurait préféré négocier avec le GPRA. En réalité, suivant le témoignage de Michel Debré, le Général fut très affecté par son échec durant l’été 1960, et songea même à démissionner.

Le 4 novembre 1960, le général de Gaulle reprit l’initiative, en reconnaissant la « République algérienne, laquelle existera un jour, mais n’a encore jamais existé ». Sans le vouloir, il renforça la crédibilité du GPRA, qui avait obtenu son premier objectif, et n’avait plus que le pouvoir à revendiquer. En deux mois, avec le dernier voyage du Général en Algérie (où pour la, première fois, du 9 au 13 décembre 1960, des contre-manifestants musulmans opposèrent des drapeaux algériens au drapeau français) et le référendum du 8 janvier 1961, qui légalisa le principe de l’autodétermination de l’Algérie, la situation changea du tout au tout. Le général de Gaulle se persuada qu’il devait tenter de s’entendre avec le GPRA, qui au même moment lui proposait une négociation secrète avec l’aide du gouvernement suisse. Cette négociation fut longue et difficile. Commencée en Suisse par des conversations secrètes, elle fut ensuite annoncée publiquement, provoquant ainsi le « putsch des généraux » (22-25 avril 1961) puis la formation de l’Organisation armée secrète (OAS). Mais les négociations publiques d’Evian (20 mai-13 juin) et de Lugrin (20-28 juillet) n’aboutirent pas. Jusqu’en octobre 1961, alors que des contacts secrets continuaient, le général de Gaulle hésita entre plusieurs scénarios : formation d’un Exécutif provisoire algérien sans le FLN, ou partage du pays. C’est seulement après la sanglante répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris que la négociation se débloqua et reprit discrètement, aboutissant le 18 février 1962 à l’accord secret des Rousses, et le 18 mars 1962 à l’accord public d’Evian, suivi par le cessez-le-feu du 19 mars.

Ces accords d’Evian, dont j’ai résumé dans mon texte les principaux aspects, donnaient satisfaction à l’essentiel des revendications du FLN, tout en accordant des satisfactions de principe aux demandes de la France, notamment les droits reconnus aux Français d’Algérie, et les clauses générales d’amnistie qui couvraient implicitement les « Français musulmans ». Mais en fait, ces accords ne devinrent jamais une réalité. Par la faute de l’OAS, qui voulut provoquer une reprise des hostilités entre le FLN et l’armée française ; mais aussi par celle du FLN, qui lança au bout d’un mois une vague de « terrorisme silencieux », c’est-à-dire d’enlèvements visant non pas les « tueurs » de l’OAS, mais n’importe quel Français d’Algérie [1]. Quant aux « harkis » démobilisés et désarmés après le cessez-le-feu, ils furent momentanément ménagés, mais après la proclamation de l’indépendance le 3 juillet, les arrestations, violences et massacres se multiplièrent. Ainsi, dès le premier mois de l’indépendance, à la faveur de la lutte pour le pouvoir opposant les factions rivales du FLN, la faillite des accords d’Evian était devenue patente. Le général de Gaulle continua néanmoins à maintenir une aide française importante (en argent et en coopérants) pour éviter la ruine totale de l’Algérie, et en espérant que celle-ci finirait par reconnaître un jour ce qu’elle devait à la France. Mais jusqu’à présent, cet espoir ne semble guère avoir été réalisé.

Guy Pervillé

A lire avant :

-  1962 : fin de la guerre d’Algérie : texte censuré ! (2012)

http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=266

[1] Sur cette question, voir le livre capital de Jean-Jacques Jordi, Un silence d’Etat, les disparus européens de la guerre d’Algérie, Paris, SOTECA, 2011, 200 p, et son compte rendu sur mon site.



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