Oran, 5 juillet 1962. Leçon d’histoire sur un massacre. (2014) Paris, éditions Vendémiaire, 2014, 317 p, 20 euros. ISBN 978-2-36358-131-0
De tous les événements liés à la guerre d’Algérie, aucun n’a subi une occultation aussi complète que le massacre subi à Oran, le 5 juillet 1962, soit quelques mois après les accords d’Evian et deux jours après la proclamation officielle de l’indépendance de l’Algérie, par une partie de la population européenne de la ville. C’est pourtant celui dont le bilan est, de très loin, le plus lourd : en quelques heures, près de 700 personnes ont été tuées ou ont disparu sans laisser de traces.
Qui a organisé ce massacre ? S’agit-il d’un mouvement de foule spontané, dans une ville ravagée depuis des mois par les attentats de l’OAS ? Ou d’un règlement de compte entre les diverses tendances du nationalisme algérien ? Et pourquoi l’armée française, pourtant dûment informée, est-elle-restée des heures sans intervenir ? A Paris, le gouvernement était-il au courant et a-t-il délibérément laissé dégénérer une situation dont le règlement revenait désormais à l’Algérie indépendante ?
Reprenant les témoignages, les ouvrages des journalistes et les travaux des historiens sur la question, Guy Pervillé propose ici une magistrale leçon d’histoire pour comprendre cet événement tragique, ainsi que le silence qui l’entoure.
Guy Pervillé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale ainsi que de la guerre d’Algérie. Il a notamment publié Pour une histoire de la guerre d’Algérie (Paris, Picard, 2002), La Guerre d’Algérie (PUF, Que-sais-je ?, 2007), Atlas de la guerre d’Algérie (Autrement, 2003), Les accords d’Evian, succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (Armand Colin, 2012), et chez Vendémiaire, La France en Algérie, 1830-1954 (2012, prix Lyautey 2012 de l’Académie des sciences d’outre-mer).
Table des matières :
Introduction p 5
De l’occultation à l’exhumation 1962-1992 p 13
Occultation. Résurgence. Premières tentatives de récit journalistique. premiers travaux historiques. Première enquête.
L’intervention tumultueuse des historiens 1992-2000 p 63
Deux historiens engagés, contre et pour le général Katz. Polémiques. Une impasse : la voie judiciaire.
L’apport décisif des travaux d’historiens 2000-2013 p 243
Premiers travaux fondamentaux. Quoi de neuf depuis dix ans ?
Essai de conclusion p 243
La responsabilité de l’OAS. La responsabilité des brigands d’Attou. La responsabilité du colonel Boumedienne. La responsabilité du général de Gaulle.
Notes p 263
Liste des sigles p 287
Chronologie de la guerre d’Algérie à Oran p 289
Documents p 293
Cartes p 299
Sources et bibliographie p 303
Index des noms propres p 311
- Voici le premier compte rendu publié, le 18 mai 2014 :
Oran, l’oubli du massacre. 5 juillet 1962. Le plus sanglant épisode de la guerre d’Algérie est aussi le plus occulté.
(Photo de l’auteur)
La mort atroce et la disparition des corps de 700 Européens, le 5 juillet 1962, le lendemain de l’indépendance de l’Algérie, est l’épisode le plus sanglant de la guerre. Il est pourtant l’objet d’une occultation mémorielle autrement plus lourde que la tuerie d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, le drame du métro Charonne ou celui de la rue d’Isly en mars 1962 à Alger. Historien référent sur le conflit algérien, Guy Pervillé s’est livré à une analyse méthodique des sources disponibles sur le drame qui a frappé la cité où Européens et pieds-noirs étaient le plus nombreux et où l’entrée en guerre fut la plus tardive.
Le scénario qui a causé le meurtre de centaines de civils européens par une foule d’Algériens fanatisés est loin d’être éclairci. L’OAS, qui avait harcelé durant quatre mois les quartiers musulmans, n’est pas étrangère à ce déchaînement, et que dire de la lenteur avec laquelle l’armée et les pouvoirs publics français sont intervenus ? Mais la clé est surtout à chercher dans le conflit interne algérien entre GPRA et ALN autour du cessez-le-feu et du contrôle de la région ; et l’auteur insiste sur la lumière qui pourrait venir de l’ouverture d’archives algériennes.
Ce magistral exercice d’historiographie est un hommage aux victimes oubliées. Et un appel aux belligérants d’hier pour tirer ensemble les leçons du passé et préparer l’avenir.
Christophe Lucet, Sud-Ouest-dimanche, 18 mai 2014, p 15.
- Et voici le deuxième, publié le 27 mai 2014 dans Le Figaro-Histoire :
La Honte et l’imposture. Guy Pervillé fait le point des connaissances sur le massacre des Européens à Oran, en juillet 1962. L’armée française y avait assisté, l’arme au pied. Par Henri-Christian Giraud.
"De tous les événements liés à la guerre d’Algérie", écrit Guy Pervillé, "aucun n’a subi une occultation aussi complète que le massacre subi à Oran, le 5 juillet 1962, (...) par une partie de la population européenne de la ville". En effet, ceux qui ses soucient de connaître la vérité n’ont guère été nombreux parmi ceux qui voulaient croire que l’heure de la paix en Algérie était arrivée...
Or, ce jour-là à Oran, pendant plusieurs heures, des Européens sont pourchassés à travers la ville par des soldats algériens et des civils en armes, sous les yeux des forces françaises, fortes de 18.000 hommes qui, sur ordre de leur chef le général Katz, restent consignées dans leurs casernes. "J’ai téléphoné personnellement au général de Gaulle pour lui rendre compte ce ces assassinats, et pour lui demander si je pouvais faire intervenir les troupes placées sous mon commandement afin de rétablir l’ordre dans la ville", confiera Katz au colonel Pierre Fourcade quelque temps avant sa mort. "Le chef de l’Etat m’a répondu simplement : "Surtout ne bougez pas !" Et une fois de plus j’ai obéi". On dénombrera 700 victimes.
Comment rendre compte d’un événement douloureux encore largement méconnu ? Bénéficiant des témoignages et documents publiés en 1985 sous le titre L’agonie d’Oran et des travaux des historiens Jean Monneret et Jean-Jacques Jordi, entre autres, Pervillé a fait le choix de la méthode historiographique : "Il s’agit d’étudier la manière d’écrire l’histoire et son évolution à travers le temps, autrement dit, précise-t-il, de faire l’histoire de l’histoire. Cette histoire du troisième type est un bon moyen d’opérer une synthèse des connaissances acquises à travers ces travaux, en recherchant non seulement l’apparition de nouvelles interprétations des faits, mais aussi leurs points communs et leurs différences." Exercice délicat que ce classement, mais rendu possible par la connaissance aiguisée que l’historien a de la période, et aussi par le souci de justesse dont il fait preuve.
Grâce à lui, certains faits sont maintenant établis avec certitude : ainsi la mise en cause initiale de l’OAS par le général Katz, qui attribua les incidents en premier lieu "à des tirs d’Européens sur les manifestants et les policiers algériens", est rejetée tant par les historiens français qu’algériens.L’OAS n’était certes pas entièrement étrangère au tragique événement du 5 juillet, puisque toute sa stratégie depuis février 1962 avait tendu à provoquer une réaction violente du FLN, pour amener l’armée à réagir, mais de nombreux témoignages couvrant toute l’année 1961 et le début de l’année 1962 démontrent que le FLN d’Oran avait délibérément provoqué l’escalade du contre-terrorisme de l’OAS par des attentats particulièremeent odieux.
Autre fait établi : les Mémoires du général Katz sont "une reconstruction plus fictive qu’objective, réduisant contre toute vraisemblance la durée des faits et partant leur bilan, et s’attribuant abusivement le mérite de réactions individuelles qu’il avait d’abord voulu condamner". Il s’est, du reste, lui-même démenti en manifestant un profond ressentiment contre tous ses supérieurs - à l’exception du général de Gaulle, qu’il dit néanmoins mal informé... et il aggrave encore son cas en donnant l’impression d’un aveuglement volontaire sur la gravité des enlèvements.
On le regrettera mais, faute d’archives (notamment algériennes) reste encore pendante la question de la vraie raison du massacre : résultat ou non d’un complot lié à la prise du pouvoir du tandem Ben Bella-Boumedienne contre le GPRA. Ce dernier ouvrage de Guy Pervillé s’inscrit dans une oeuvre historique consacrée à la guerre d’Algérie, qui s’impose de livre en livre comme l’une des plus sérieuses et des plus ouvertes.
Article publié dans Le Figaro-Histoire, juin-juillet 2014, n° 14, p. 30, et illustré par la couverture du livre et par la photo originale reproduite d’après L’agonie d’Oran, recueil de témoignages et de documents publié en 1985.
Madame Geneviève de Ternant, ancienne directrice de L’Echo de l’Oranie et responsable de la publication de L’agonie d’Oran, m’a aimablement autorisé à faire connaître son compte rendu de mon livre à condition de le reproduire intégralement,ce que je fais très volontiers.
ORAN, 5 Juillet 1962 de Guy Pervillé Editions Vendémiaire (20 euros)
"Je viens de terminer la lecture attentive de ce livre que l’auteur a eu la délicatesse de me faire parvenir. Ce dont je le remercie ainsi que son éditeur. Il m’avait demandé l’autorisation de reproduire sur la couverture la photo publiée dans L’Agonie d’Oran. Elle est en effet particulièrement explicite : ces femmes, ces enfants, ces civils emmenés, bras en l’air, vers leur funeste destin... On ne saurait reprocher à Guy Pervillé d’avoir négligé le moindre écrit sur ce drame officiellement occulté qui a fait l’objet d’une quantité considérable de publications. Celles qui ont précédé l’ouverture des archives ne s’appuyaient que sur les récits des témoins, des rescapés, des familles de victimes et de disparus. Les ouvrages de Maurice Faivre, de Jean Monneret puis de Jean-Jacques Jordi ont, en grande partie, confirmé par les documents les effroyables témoignages. Ce sont là, les faits. Leur interprétation prête à controverse. C’est même la règle en histoire.
J’écarterai d’emblée le livre plaidoyer pro domo du Général Katz qui donne quelques renseignements utiles mais dont on doit surtout retenir l’aveu de la collusion organisée et entretenue par lui entre les « forces de l’ordre » et le FLN dans sa lutte contre son seul ennemi : la population européenne d’Oran assimilée au grand méchant loup : l’OAS ! Tout était permis : perquisitions sauvages, arrestations arbitraires des hommes de 17 à 97 ans, brutalités lorsqu’on découvrait quelque vieille pétoire de la guerre de 14-18 et tirs sur les civils en prenant la rue en enfilade ; (J’ai failli recevoir une balle « perdue », je l’ai gardée !) Les vraies armes étaient cachées, nous prenait-il pour des demeurés ?
Je témoigne aussi qu’il est exact que les gens raflés étaient remis en liberté à proximité des quartiers arabes. Ce fut le cas pour mon beau-père, André Vincent, attaché de préfecture, raflé dans le groupe des « huiles ». Mais nous avions des antennes qui nous prévenaient pour les récupérer.
Je reviens brièvement sur le bilan de Katz, pour la journée du 5 juillet : 25 morts européens ! S’il n’y avait eu que 25 morts, la population européenne ne se serait pas affolée davantage que les jours et les mois précédents ! Il faut n’avoir pas connu ce que nous avons subit depuis le mois de mars pour le croire !
Guy Pervillé pose une question logique : Pourquoi les Européens d’Oran sont-ils sortis de chez eux ce jour là ? Tout le monde était pendu à la Radio, seule source d’information. Or, la Radio, le 4 juillet au soir, a donné l’ordre d’ouvrir les commerces et les bureaux. Je n’ai jamais entendu parler d’une grande fête pour le 6 juillet par aucun témoin, ni par mon mari, ni par mon père demeurés à Oran. A Alger, peut-être ? Je ne sais pas. Donc, au Plateau Saint Michel, mon époux a ouvert sa pharmacie, Jean-Paul Reliaud, sa boulangerie, leur copain juif dont j’ai oublié le nom, sa boucherie. Tous trois ont échappé à la mort, comme je l’ai publié dans L’Agonie d’Oran et se sont réfugiés dans la Gare. Je précise que les armes qu’ils possédaient ou entreposaient avaient été jetées à la mer avant la fin juin. C’était devenu une « promenade ».
L’évaluation de Jean-Marie Huille de 700 morts semble plus proche de la réalité. Sans doute ne saurons-nous jamais l’entière vérité ni le nombre de Musulmans assassinés par leurs coreligionnaires pour mille motifs sans doute très éloignés de la politique.
Il me semble que l’importance accordée par l’auteur au ressentiment des Indigènes du Village Nègre et de la Ville Nouvelle en raison des attentats de l’OAS est exagérée. Certes des meneurs ont chauffé les esprits en appelant à la vengeance mais cela ne ressemble pas à ce que je connais de leur façon de penser. Ils avaient parfaitement conscience de la souffrance que leurs propres attentats, les enlèvements, avaient causé aux Européens d’Oran. C’était un prêté pour un rendu et « laisse les morts enterrer les morts » ; Une forme de respect pour l’adversaire qui a été l’ami. Mais cela ne faisait pas l’affaire des politiciens du GPRA ni de Boumediene. En revanche, je crois au Takouk. J’y reviendrai.
L’OAS d’Oran, qu’était-ce ? Les collines et les réseaux étaient constitués de civils le plus souvent armés de bric et de broc, d’armes récupérées ou de chasse, et de militaires plus ou moins déserteurs qui possédaient de bonnes armes et tous savaient s’en servir. Ils pouvaient compter sur un maillage de familles et d’amis pour les cacher, les nourrir et les évacuer en cas de nécessité. A ce titre, on peut dire que toute la ville européenne était OAS. Ce n’est pas plus exact que de dire que sous l’occupation allemande tous les civils français étaient résistants. Sympathisants efficaces, indispensables, c’est certain. Mais nous avions tous aussi des amis communistes dont on se méfiait, des amis arabes qu’on sentait déchirés et des amis juifs qui penchaient parfois d’un côté et parfois de l’autre et qui furent longtemps indécis. Un nombre significatif parmi les plus fortunés quitta l’Algérie très tôt, dès 1956. Des familles catholiques firent de même un peu plus tard. Je regrette beaucoup que mon père ne l’ai pas fait. Ceux qui restèrent, firent preuve du même courage dans les commandos. Il est donc très aléatoire de tenter de regrouper tous les Oranais sous un seul vocable. J’aurai bien des anecdotes à raconter. Je le ferai peut-être si j’en ai la force et le temps.
Donc, à la fin de mois de juin 1962, une grande partie des femmes et des enfants avaient quitté Oran, le bled s’était vidé au profit de la ville et les familles s’étaient regroupées dans le centre et certains quartiers. Ces gens n’étaient ni OAS ni impliqués dans les conflits des mois précédents. Ils survivaient précairement avec l’aide de la Croix-Rouge, des prêtres et religieuses et des autres associations caritatives qui ne s’étaient pas éteintes faute de dirigeant et de subsides. La solidarité des familles fut exemplaire.
Les combattants les plus connus de l’OAS étant partis fin juin et les jeunes mobilisés par le Plan Simoun expédiés en France ou en Allemagne, Oran était un navire sans gouvernail, qui courait sur son aire...
Cette population restante manifestait un dégoût profond pour la France, son gouvernement, son armée « qui n’avait pas viré sa cuti », et surtout son chef, De Gaulle. Les drapeaux français étaient jetés dans les poubelles avec les casseroles cabossées des concerts nocturnes. Comment imaginer une seconde que ceux-là auraient l’idée saugrenue d’un baroud d’honneur ? Et pourtant, ils n’avaient pas peur ! Dégoûtés, fatalistes, décidés à rester ou à gagner l’Espagne, l’Italie, l’Amérique et « au pire » la France, plus tard, quand les choses se seraient tassées. Voila ce qu’ils disaient... en embarquant les enfants, à tout hasard...
Et les nouveaux maîtres de l’Algérie savaient cela car nous nous connaissions bien. Donc il fallait faire peur. Voila pourquoi je suis certaine que le massacre du 5 juillet fut organisé et préparé. Peut-être, si les archives algériennes s’ouvrent, si elles n’ont pas été trop caviardées ou détruites, oui, peut-être le saurons-nous un jour.
Je reviens au takouk. C’est un accès subit de folie furieuse. J’ai eu l’occasion, enfant, de voir le troupeau de bovins de la ferme, soudain affolé, courant en trombe, écrasant tout sur son passage, jusqu’à la Grande Sebkha, le lac salé à sec, traversant jusqu’au pied du mont Tessala, où, soudain calmées, les bêtes tournaient en rond, l’œil encore fou et furent ramenées au bercail. L’une d’elle avait-elle été piquée par un taon ? Sans doute, et fuyant la douleur, toutes les autres avaient suivi. La foule indigène devenue hystérique s’est ainsi conduite comme un troupeau fou. Le taon, c’était l’orateur qui l’a gonflée de peur, criant « L’OAS, c’est l’OAS ». Mais qui a donné l’ordre à l’orateur ? Qui a tiré les deux coups de feu l’un sur la Place d’Armes, l’autre sur la Place Kargentah, à peu près simultanément ?
Cette folie de groupe n’est pas propre à ce drame. On l’a vu à la Libération, on l’a vu à la Révolution pour ne parler que de la France... Le film de Jean-Pierre Lledo montre quelques personnages honteux de cette conduite (à côté d’autres qui en sont fiers !) Boualem Sansal raconte aussi des témoignages de regrets et j’ai souligné, comme le fait aussi Guy Pervillé, le courage de ceux qui s’opposèrent aux tueurs. Cela n’excuse pas les débordements de sauvagerie.
Enfin je voudrais dire combien je trouve dérisoire la controverse qui oppose nos chercheurs, nos historiens. Je suis persuadée, je l’ai écrit maintes fois, que tous n’ont que le même désir de vérité et que « l’intuition » peut orienter le savant en histoire comme en physique ou en médecine. Le temps doit être à la réconciliation des mémoires en laissant le champ aux points d’interrogations qui subsistent.
Le livre de Guy Pervillé apporte une connaissance globale de tout ce qui s’est écrit sur cette sanglante journée et l’analyse de ces écrits. Il nous faut attendre que des « témoignages nouveaux, venant surtout d’Algérie (viennent renouveler) profondément les connaissances que nous avons aujourd’hui » (p. 258). Voila ce que la lecture attentive de ce livre capital a inspiré à l’Oranaise que je suis."
Geneviève de Ternant, mai 2014
Le général Maurice Faivre a lui aussi envoyé son compte rendu à de nombreux correspondants et l’a publié sur le site de France catholique :http://www.france-catholique.fr/Perville-Guy-Oran-5-juillet-1962.html
"Cet ouvrage est une mise au point sur le massacre de près de 700 Européens d’Oran le 5 juillet 1962, massacre largement occulté par les médias et les autorités politiques, alors que la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, 100 fois moins meurtrière (30 tués en comptant large) fait l’objet de commémorations officielles et de publications médiatiques et cinématographiques.
L’auteur a choisi la voie de l’historiographie, il analyse selon un plan chronologique tout ce qui a été dit et écrit par près de quarante témoins, acteurs, journalistes et historiens :
l’exhumation des faits avant l’ouverture des archives (1992)
les interventions tumultueuses de 1992 à 2000
l’apport décisif des historiens de 2000 à 2013.
Le massacre du 5 juillet fait suite à des alternances de violence et de calme. La ville d’Oran a subi le terrorisme FLN de 1956 à 1958, puis a connu un calme certain jusqu’à la recrudescence de cette violence en août 1960. En réaction aux attentats de l’OAS de 1962, le FLN lance en avril le terrorisme silencieux des enlèvements.
Les chapitres chronologiques appellent une lecture critique : ils reproduisent de longues citations des auteurs, qui seront contredites quelques pages suivantes. Ainsi le général Katz est-il contredit par Alain-Gérard Slama et le consul Herly, la thèse de JF Paya critiquée par Jean Monneret, et les vérités de Benhamou démolies par Meynier et Harbi. Deux historiens algériens, Rouina et Soufi, approuvent les décisions du capitaine Bakhti et du préfet Souaiah, sans pouvoir faire référence à des archives inexistantes.
Dans sa conclusion , Guy Pervillé essaie de comprendre ce qu’ont été les responsabilités des acteurs, en levant les tabous de l’histoire officielle :
en dépit de l’admiration d’Ageron, l’aveuglement du général Katz ne fait aucun doute ; son incrimination de l’OAS n’est sans doute pas retenue par les Algériens, mais on ne peut écarter le désir de vengeance des quartiers musulmans,
le capitaine Bakhti accuse le brigand Attou, responsable des atrocités du petit lac, mais Bakhti a-t-il tout dit, était-il l’exécutant de Boumediene ou du GPRA ? N’est-il pas le promoteur de la campagne d’enlèvements ? Attou a-t-il été exécuté ?
Boumediene a atteint son but d’élimination du GPRA, mais rien ne prouve qu’il a provoqué les violences du 5 juillet ;
la thèse du soutien de Ben Bella par le général de Gaulle ne tient pas ; ses directives montrent qu’il privilégiait la neutralité face aux responsables algériens ; sans doute condamnait-il les initiatives de reprise du combat, mais il n’est pas établi qu’il aît donné des ordres à Katz le 5 juillet ;
le GPRA a-t-il fait preuve d’imprévoyance en promouvant les célébrations de l’indépendance, alors que Saad Dahlab avait promis qu’on attendrait le 6 juillet ? Ce point n’est pas clair et de nouvelles recherches paraissent souhaitables.
Une recension ne peut tout dire, elle ne peut que conseiller une lecture attentive de cette historiographie , un modèle du genre, complété par tout l’appareil scientifique des notes, des cartes, des sources et de l’index des noms."
Maurice Faivre, le 31 mai 2014
P.S. Je remercie le professeur Pervillé d’avoir cité certains de mes travaux, en précisant que le journal de marche du secteur d’Oran est introuvable, mais que le cahier de l’officier de permanence en tient lieu de façon plus crédible.
A lire aussi un bref compte rendu de Frédéric Valloire dans Valeurs actuelles du 5 juin 2014 :
"De tous les drames de la guerre d’Algérie, aucun n’a été aussi sanglant que le massacre subi le 5 juillet 1962 à Oran par la population française. En quelques heures près de 700 personnes ont été tuées ou ont disparu sans que l’armée française n’intervienne. Pourquoi ? À qui la faute ? D’où la “leçon d’histoire” : l’historien a tout lu, tout épluché de ce qui est accessible. Cette violence, écrit-il, ne s’explique pas uniquement par la faute de l’OAS ; le FLN et l’ALN ont eu aussi une lourde part de responsabilité. Conclusion provisoire : on attend encore les sources algériennes."
A l’occasion du 5 juillet, plusieurs comptes rendus ont été publiés :
"Un massacre occulté", par Jean Sévillia, Le Figaro-Magazine, 4 juillet 2014 :
" (...) Si la tragédie des harkis a connu un début de reconnaissance, tant de la part de l’Etat que de la communauté des historiens, les assassinats et disparitions de civils dans l’Algérie de 1962 se heurtent toujours à un silence officiel qui est à l’aune de l’opprobre pesant rétrospectivement sur les pieds-noirs, considérés comme d’affreux colonialistes.
Pourtant, en dépit du politiquement correct, la vérité perce çà et là. Cinquante ans après les faits, des chercheurs qui échappent aux passions de l’époque ou aux traumatismes des victimes rouvrent ces dossiers. Ce sont parfois des historiens algériens de la jeune génération, comme le signale Guy Pervillé, professeur émérite à l’Université de Toulouse-Le Mirail et spécialiste de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie, dans un livre qu’il consacre au massacre du 5 juillet 1962 à Oran. Ce jour-là, 700 habitants européens de la ville ont été assassinés ou ont disparu sans laisser de traces, sans que l’armée française vienne à leur secours.Pourquoi ce massacre ? Qui l’a organisé ? Pervillé refait l’enquête et conclut à une responsabilité partagée entre Français et Algériens. Cette étude non manichéenne représente une magistrale leçon sur la complexité de l’Histoire."
Et celui publié par Jean-Paul Angelelli dans La Nouvelle Revue d’Histoire, juillet-août 2014, p. 64 :
"Professeur, historien reconnu de la guerre d’Algérie, l’auteur se livre à une analyse minutieuse des massacres de civils européens (hommes, femmes, enfants) perpétrés à Oran le 5 juillet 1962. Bilan : 700 morts européens et 100 morts musulmans. Guy Pervillé a utilisé une documentation considérable (livre, thèses, notes). Il cite et remercie des chercheurs algériens actuels qui reconnaissent ces atrocités.
En juillet 1962, à Oran, le FLN est divisé. Une partie obéit au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) d’Alger qui a signé les accords d’Evian. Les autres membres, contestataires, venus du Maroc, se sont installés à Tlemcen sous les ,ordres de Ben Bella et de Boumedienne. Une thèse récente prétend que ce sont eux qui ont organisé les massacres d’Oran. Guy Pervillé n’y croit pas.
D’ailleurs, à Oran, des éléments armés de la sécurité militaire algérienne ont procédé à une répression sévère des exécuteurs appartenant au FLN.
Autre dossier sensible : pourquoi l’armée française n’est-elle intervenue qu’en milieu d’après-midi (vers 17 heures) alors que les massacres avaient commencé aux alentours de 11 heures ?
Le responsable principal de cette non-intervention est le général Katz (surnommé "le boucher d’Oran" par les pieds-noirs. Il a écrit ultérieurement des Mémoires jugées discutables. Il s’y décrit isolé, lâché par des autorités parties en métropole, et avec comme consigne de ne pas provoquer le FLN.
Le 18 juillet 1962, à propos de l’Algérie, le général de Gaulle déclarera au Conseil des ministres : "A part quelques enlèvements, les choses se sont passées à peu près convenablement"."
Et voici le compte rendu publié par Jean-Pierre Pister dans la revue L’algérianiste, n° 146, juin 2014, pp. 99-101 :
Guy Pervillé, professeur émérite des Universités, a terminé sa carrière à Toulouse-Le Mirail après avoir enseigné à Nice et à Bordeaux. Parmi les historiens contemporanéistes ayant travaillé sur l’Algérie, il est un des plus objectifs et des plus nuancés. Il fut d’ailleurs présent à plusieurs Congrès algérianistes dont celui d’Aix-en-Provence, en 2009, où il signa ses différents ouvrages. Il vient de publier, aux éditions Vendémiaire, Oran, 5 juillet 1962- Leçons d’Histoire sur un massacre.
Il s’agit d’un événement. D’abord, parce que nous sommes en présence de la première étude universitaire, publiée en tant que telle, sur un événement d’une gravité exceptionnelle, largement occulté pendant un demi-siècle. Mais ce livre peut déconcerter à première lecture. L’auteur est connu depuis longtemps pour la rigueur particulièrement scrupuleuse avec laquelle il traite la matière historique. Concernant les événements du 5 juillet 1962 à Oran, il nous livre ici, sur plus de 300 pages, une étude historiographique inédite et particulièrement fouillée de ce « massacre oublié » pour reprendre l’expression de Guillaume Zeller. Cela signifie que, du Père de Laparre à Gérard Israël, de l’étude pionnière de Geneviève de Ternant aux articles d’Alain-Gérard Slama, des recherches personnelles de Jean-François Paya au livre fondamental de Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État, tout ce qui a pu être écrit sur le 5 juillet est ici passé au crible. Les titres des différents chapitres constituent, à eux seuls, « une histoire de l’histoire » : De l’occultation à l’exhumation 1962-1992 ; l’intervention tumultueuse des historiens 1992-2000 ; l’apport décisif de travaux d’historiens 2000-2013. Dans un article publié dans la présente revue en juin 2012, nous parlions nous-mêmes d’« historicisation émergente » après « un demi-siècle d’oubli ». Celle-ci prend forme progressivement des années 1980-90 jusqu’à nos jours, pour s’accélérer au tournant du millénaire.
L’ouvrage du professeur Pervillé se distingue de tous les précédents car il s’agit d’une recension critique et exhaustive de tout ce qui est paru sur le sujet. Une telle rigueur dans le relevé des sources et dans le commentaire de tout ce qui est disponible force le respect. On notera notamment la réfutation, en bonne et due forme, des mémoires du général Katz, L’Honneur d’un général : Oran 1962, et de la préface insensée du Professeur Charles-Robert Ageron qui limitait le nombre de victimes de cette journée tragique à 25. On constatera avec satisfaction que, reprenant les conclusions de Jean-Jacques Jordi qui avait pu consulter des sourcesfrançaisesjusqu’alors inaccessibles, l’auteur valide le chiffre d’au moins 700 victimes, une estimation qui semble faire, désormais, l’objet d’un certain consensus.
Restent quelques questions particulièrement délicates qui provoquent souvent des débats passionnés dans notre milieu algérianiste : les causes profondes de ce monstrueux massacre, le plus important de toute la guerre d’Algérie et, plus généralement, de toute la période postérieure à 1945 dans l’espace français ; le mécanisme de son déclenchement ; la question des responsabilités aussi bien françaises qu’algériennes, au plan local comme au plus haut niveau. Concernant les causes profondes de cette tragédie, l’auteur se refuse de trancher. Mais il énumère, méticuleusement, les principales thèses en présence dont aucune ne peut être, pour tout historien rigoureux, acceptée sans réserve, tant que l’accès aux sources essentielles restera fermé, notamment du côté algérien. Le scénario d’une forme d’hystérie collective succédant à la tension des dernières semaine a déjà été évoqué par Guillaume Zeller. Les références à l’action de l’OAS dans les mois qui précédent l’indépendance constituent un des points sensibles de l’ouvrage, et elles risquent de déclencher des polémiques. En effet à la page 248, l’auteur croit devoir écrire : « le harcèlement des quartiers musulmans d’Oran par l’OAS durant la période allant de la mi-février au28 juin 1962 paraît bien être, sinon la cause directe, au moins la cause profonde du massacre du 5 juillet ». Cette formulation très catégorique peut perturber le lecteur le moins bien informé. Mais, quelques lignes plus loin, l’auteur précise : « il ne suffit pas d’invoquer la folie de l’OAS comme le faisait le général [Katz], il faut aussi expliquer... De nombreux témoignages, couvrant toute l’année 1961 et le début de l’année 1962, cités notamment par Claude Martin, Jean Monneret et Jean-Jacques Jordi, démontrent que le FLN d’Oran avait délibérément provoqué l’escalade du contre-terrorisme dans l’OAS, dont il s’était plaint ensuite, par des attentats spectaculaires et particulièrement odieux ». Autre point délicat, l’hypothèse d’un complot téléguidé, depuis Oujda, par le tandem Boumediene-Ben Bella, privilégiée jusqu’alors par Jean-François Paya, notamment sur le site Internet Etudes coloniales, animé naguère par le regretté Daniel Lefeuvre. On remarquera au passage que Gilbert Meynier, historien très favorable au FLN et, par conséquent, éloigné de notre univers algérianiste, la considère comme plausible, alors qu’elle fait l’objet de réserves de la part de Jean Monneret.Avec une prudence,de notre point de vue excessive, le professeur Pervillé se refuse à trancher dès lors qu’il prend acte de l’insuffisance des sources. C’est là une attitude normale chez tout historien digne de ce nom. Mais reconnaissons que cette hypothèse reste plausible. Nous nous souvenons personnellement d’avoir entendu Ben Bella, déclarer, dans une émission de France Culture d’août 1987, avoir fait comprendre au général De Gaulle, que les Pieds-Noirs n’avaient plus leur place dans l’Algérie indépendante. Cette position aurait été exprimée lors de la rencontre des deux Chefs d’État, au Château de Champs-sur-Marne, en mars 1964.
L’attitude du gouvernement français, et en particulier celle du Président de la République, examinées à partir des comptes rendus des séances du Comité des affaires algériennes, aussi bien le 5 juillet que les jours suivantes, fait l’objet d’une analyse minutieuse. Il s’avère impossible de confirmer que De Gaulle a pu déclarer à Katz, au téléphone, lors de ce sinistre après-midi : « Surtout ne bougez pas ! ». Le moins qu’on puisse dire est que les plus hautes autorités étaient parfaitement au courant de tous les enlèvements et autres atteintes aux personnes, perpétrées en Algérie depuis les Accords d’Évian. Le ministre Louis Joxe s’en était plaint lui-même, dès le 14 juin, à son interlocuteur du GPRA, Saad Dahlab. Quand, à la mi-juillet, De Gaulle prononce cette phrase, rapportée par Peyrefitte : « à part quelques enlèvements, la situation se normalise... », c’est pour le moins désinvolte et scandaleux.
Ultime remarque à propos des dernières lignes de la conclusion où l’auteur regrette que l’Algérie n’ait pas connu un leader de la trempe de Nelson Mandela. Oserons-nous lui faire remarquer qu’à la différence de l’Afrique du Sud, l’Algérie n’était pas constituée d’un peuplement majoritairement chrétien ? Dans l’exemple invoqué, la commission Vérité et Réconciliation fut animée par l’Archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix. En Algérie, hélas, nous n’avions que Monseigneur Duval !
Que ces quelques réserves ne nous fassent pas passer à côté d’un ouvrage fondamental : sa rigueur, spécifiquement universitaire, en fait le prix et contribue, au plus haut degré, à historiciser les massacres du 5 juillet 1962, cette nouvelle Saint-Barthélemy. Mais ce livre exige du lecteur un réel effort d’attention et de distanciation.
Jean-Pierre Pister, agrégé de l’Université, professeur de chaire supérieure honoraire, secrétaire du Cercle algérianiste de Reims.
- Et dans le n° 57 de Mémoire vive, revue du Centre de documentation historique sur l’Algérie d’Aix en Provence, du deuxième trimestre 2014, la note de lecture publiée par son directeur Joseph Perez :
"Guy Pervillé, un des meilleurs historiens français, spécialiste de la guerre d’Algérie, nous livre là un ouvrage important à plus d’un titre. L’auteur qualifie, dans son introduction, son travail d’"historiographique", soit pour les non-initiés, d’oeuvre de recherche sur al manière dont a été écrite cette page ô combien douloureuse, sur les sources et connaissances ayant inspiré les auteurs.
Je suggèrerai, pour ma part,que le lecteur soit averti qu’il va, en suivant Guy Pervillé, bénéficier d’une enquête d’investigation minutieuse, particulièrement documentée, recensant tous les avis, commentaires et jugements énoncés jusqu’ici.
Il s’agit donc moins d’un livre racontant ce drame, que d’une reconstitution où sont appelés à témoigner les acteurs du drame, les familles, les historiens et les auteurs, les politiques et les militaires... L’ouvrage compte plus de 600 références, citations, notes bibliographiques, justifiant ainsi amplement le qualificatif d’ouvrage de référence.
Après les trois études récentes livrées par Jean Monneret, Jean-Jacques Jordi et Guillaume Zeller, sans oublier le travail pionnier de Geneviève de Ternant, ce livre constitue la somme de connaissances que tout lecteur soucieux de connaître et d’analyser la tragédie du 5 juillet 1962 doit acquérir.
Mais Guy Pervillé, au fil de son enquête, assène un certain nombre de vérités fortes et dérangeantes : ainsi, indique-t-il, "de tous les événements de la guerre d’Algérie, aucun n’a subi une occultation aussi complète que le massacre subi le 5 juillet à Oran". Interpellation de certains historiens, de médias spécialisés ?
Omission pour certains, négationnisme pour d’autres. Comme le pratique l’icône de la pensée historique bien pensante Charles-Robert Ageron qui, dans sa préface d’un livre pro domo du général Katz, s’entête à accréditer le nombre de 25 victimes !
Les rôles et les responsabilités du FLN local et de l’ALN sont minutieusement décrits, l’auteur utilisant les écrits et contributions d’historiens algériens, dont on pourra noter qu’ils font preuve d’une relative objectivité, si absente d’autres travaux en France. En conclusion, il relève que ce jour-là, "ce fut une explosion de violence qui n’avait pas eu d’équivalent durant toute la guerre, par sa concentration dans l’espace et dans le temps". La prudence habituelle et bien connue de Guy Pervillé donne toute sa force à cette dernière affirmation.
Sur l’échelle des responsabilités de ce massacre, comme sur les faits qui l’auraient entraîné (désordres, anarchie organisée, consignes d’un clan algérien...) on peut suivre ou contester certaines déductions de l’auteur. Mais essentiel à retenir est le constat impitoyable de la non-assistance de l’Etat français à une population française enlevée, égorgée, assassinée.
Formons le voeu que ce livre permette de déchirer le voile de l’indifférence édifié par la conjonction d’une fraction politique (les paléo-gaullistes) et d’une idéologie anticolonialiste gardienne de l’image vertueuse du terrorisme FLN. Verra-t-on un jour le quotidien Le Monde consacrer une double page au massacre ?"
- Et le compte rendu de Roger Vétillard, paru sur le site Etudes coloniales (http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2014/07/18/30279526.html) le 18 juillet 2014 :
"Le 5 juillet 1962 à Oran la population européenne a été pourchassée, massacrée le jour où l’Algérie fêtait son indépendance. Ce drame a longtemps été occulté par la presse et même par les historiens. Ce sont en effet au moins 679 personnes qui sont mortes ou sont disparues ce jour-là. Quand on constate que la journée du 17 octobre 1961 à Paris qui a fait 32 morts ou celle du 8 février 1962 avec les 9 morts du métro Charonne ont eu et conservent un retentissement médiatique important, on mesure combien le silence sur cette tragédie est scandaleux.
Les écrits sur cette journée ne sont pas rares, même s’il a fallu attendre de nombreuses années pour qu’ils soient l’objet d’une certaine attention et qu’ils finissent par ne plus être contestés. Pourtant dès 1964, le père Michel de Laparre qui a publié le Journal d’un prêtre en Algérie a raconté en détails la vie à Oran en 1962 et notamment pendant les événements du 5 juillet. Dans ses propos, il convenait que les Français de métropole auraient du mal à croire ce qu’il relatait. Il y avait bien d’autres témoins, mais personne ne les écoutait. C’étaient des civils, des militaires, tel Jean-Pierre Chevènement qui le premier a parlé de 800 disparus. Puis il y eut les publications de Bruno Etienne, de Ferhat Abbas, Claude Paillat, Gérard Israël, et bien d’autres jusqu’aux derniers ouvrages de Geneviève de Ternant, Jean-François Paya, Jean-Jacques Jordi, Jean Monneret, Guillaume Zeller.
Guy Pervillé fait une analyse exhaustive et critique de tout ce qui est paru sur le sujet. En enseignant soucieux d’examiner tous les détails, il étudie, confronte les versions, et tente de faire une synthèse aussi objective que possible.
Pourquoi donc le silence s’est-il abattu sur cet épisode ? Parce qu’il est survenu à un moment où la guerre d’Algérie était censée être terminée et la paix être revenue sur un pays que 8 ans de guerre avait meurtri ? Parce que pour certains les pieds-noirs n’avaient que ce qu’ils avaient cherché ? Parce que l’OAS était responsable de tout cela ? Pourquoi donc l’armée française qui était présente avec 18.000 hommes a-t-elle attendu 5 heures avant d’intervenir ? Pourquoi le général Katz s’est-il tenu à distance de ces massacres ? Et quand il dira des décennies plus tard qu’il a suivi les ordres du général de Gaulle, nous avons du mal à le croire car, comme le montre Guy Pervillé, son témoignage n’est pas exempt d’erreurs, d’omissions, et même de contre-vérités.
Comment rendre compte de cette journée en gardant le recul nécessaire à l’historien ? L’auteur, qui connaît mieux que beaucoup de ses confrères cette période de l’histoire de l’Algérie, nous offre avec cette étude historiographique une leçon d’histoire qui ne peut qu’interpeller le lecteur. Il reste toutefois une question sans réponse : quelles sont les raisons de ce massacre ?
Une analyse simpliste a pu désigner l’OAS - les derniers commandos de cette organisation, véritables despérados - comme la responsable unique des débordements que tout le monde reconnaît désormais. Mais il est établi que tous les commandos ont quitté Oran le 28 juin 1962, que les Européens n’avaient plus d’armes, que tous ceux qui avaient quelque chose à se reprocher étaient partis. Bien sûr, la stratégie d’affrontement qu’elle avait mise en œuvre à partir du mois de février 1962 pour tenter de provoquer une réaction violente du FLN afin d’amener l’armée française à intervenir, a instauré un climat qui aurait pu favoriser les représailles au moment de l’indépendance. Mais cette présentation n’est guère convaincante.
S’agit-il, comme l’évoque Gilbert Meynier et le soutient Jean-François Paya, du résultat d’un complot lié à la prise du pouvoir par l’Etat-Major Général de l’ALN qui œuvrait pour Ben Bella et Boumediene ? Les archives sont muettes sur cette question. Cette hypothèse est peut-être séduisante mais elle se doit d’être étayée par des documents irréfutables pour pouvoir être entérinée. C’est en tout cas l’avis de l’auteur.
D’autres questions moins essentielles - telle l’attitude du gouvernement français pendant et après ce drame - sont posées, les commentaires de l’auteur à leur propos méritent d’être analysés.
Voici donc un ouvrage qui est à ce jour le plus complet sur le sujet. Il mérite de la part des historiens et de tous ceux que l’histoire de la guerre d’Algérie interpelle une attention toute particulière."
- Et encore le point de vue de Jean Monneret sur le site Enquête et débat ( http://www.enquete-debat.fr/archives/oran-5-juillet-1962-de-guy-perville-aux-editions-vendemiaire-45954), le 21 juillet 2014 :
"Une lecture stimulante : Leçon d’Histoire sur un massacre
Le professeur Pervillé est un chercheur des plus compétents en matière d’Histoire contemporaine, notamment sur l’Algérie. Ses ouvrages sur le conflit qui se déroula dans ce pays entre 1954 et 1962 et sur les Accords dits d’Evian font (ou devrais faire) autorité. Il vient de publier aux éditions Vendémiaire un livre sur le drame du 5 Juillet 1962 à Oran, intitulé Leçons d’Histoire sur un massacre.
Nous ne craignons pas de le dire, ce nouvel ouvrage apporte une contribution inégalée à la connaissance de cette tragique journée. Venant après deux autres livres, d’auteurs différents, sur le même sujet, le travail de Pervillé revêt la forme d’une étude historiographique de plus de 300 pages. Il reprend l’ensemble des recherches, des écrits et des controverses, parfois erratiques, que ces évènements ont inspirés. Graduellement, le massacre qui a endeuillé la ville d’Oran en ce jour funeste apparaît dans son ampleur : cadre, déroulement, chiffres, responsabilités sont analysés en détail.
Le mérite du professeur Pervillé est d’avoir su rester objectif et rigoureux tout au long de son étude. Son livre suscitera certes des oppositions et des critiques dans le milieu des Français d’Algérie. L’horreur vécue, la cruauté et la barbarie de cette catastrophe, l’indifférence glacée des autorités françaises ont soulevés chez les nôtres une indignation immense autant que légitime. Les années écoulées ne l’ont guère apaisée et l’avenir ne l’apaisera pas davantage. Redisons toutefois, au risque d’être à nouveau mal compris, que seuls le travail historique, les archives, la rigueur factuelle peuvent faire avancer la connaissance de ce drame. Le maniement hasardeux de chiffres et d’affirmations sans preuves ne permet pas de lutter efficacement contre le silence médiatique organisé, le carcan du politiquement correct et la réécriture de l’Histoire.
A cet égard, le livre de Guy Pervillé est un chef d’oeuvre de rationalité et de maîtrise des données. Le traitement équilibré des sources, le rejet inlassable du complotisme, l’examen sans concession des faits, la mesure même de l’auteur font de ce livre une pièce maîtresse de l’étude historique de cette tragédie. Pour beaucoup d’historiens et de non-historiens, ce sera même une révélation car, depuis un demi-siècle, le système médiatique a réussi à maintenir un épais silence sur la journée du 5 Juillet 1962.
A bien y réfléchir, c’est même "un exploit" sur lequel on doit s’interroger. La France s’époumonne à se dire "démocratique", comment accepter dès lors que des évènements gravissimes comme le massacre perpétré ce jour là puisse faire l’objet d’un silence d’Etat ? (pour reprendre l’expression de Jordi).
ET CE PENDANT 50 ANS !
Comment admettre qu’un drame qui représente, par le nombre des victimes, presque deux fois Oradour soit exclu de la mémoire nationale ? Certes, cette question peut paraître purement rhétorique puisque la réponse est bien connue : dans l’imaginaire collectif qui s’est construit en France après 1962, l’anti-colonialisme est progressivement devenu une idéologie dominante et même une idéologie d’Etat. Peu à peu donc, les rebelles et les massacreurs d’antan sont devenus des sortes de hérauts de la Liberté. A partir de là, il y a de "bonnes et de mauvaises victimes" et l’on a vu un chef d’Etat décider de rendre officiellement hommage à certaines d’entre elles, choisies au sein de la rébellion, en oubliant les autres.
Pour faire échec à l’instrumentalisation, pour faire accéder les épreuves des oubliés de l’Histoire à la reconnaissance nationale, au moins chez les gens informés et dans la communauté des écrivains, l’ouvrage de Guy Pervillé peut jouer un rôle considérable. Aux lecteurs de le porter le plus avant et le plus loin possible.
Jean Monneret
- Et d’autre part sur un site intitulé Guerres et conflits (XIXème-XXIème s.), actualité de la recherche et de l’éditions en histoire, http://guerres-et-conflits.over-blog.com/2014/07/oran-1962.htmlce, ce compte rendu anonyme daté du 3 juillet 2014 :
"Une travail de fond sur un épisode particulièrement douloureux et longtemps occulté de la guerre d’Algérie. Avec son immense connaissance du conflit et son souci scrupuleux du respect de la déontologie et de la méthodologie, Guy Pervillé nous propose une étude d’ensemble particulièrement riche.
Après avoir dressé le tableau de la situation de l’historiographie jusqu’aux années 1990, Guy Pervillé reprend, analyse et compare les différents travaux publiés aux archives et témoignages, sans tomber dans la polémique, rigoureusement. On lira en particulier le chapitre 3, "L’apport décisif des travaux d’historiens, 2000-2013", et les vingt pages de conclusion qui pointent, en synthèse, les responsabilités différentes des différents acteurs (OAS, Gaullistes, services français officiels, bandes algériennes, nouvelles autorités indépendantes). Le général Katz n’en sort pas grandi et le silence ultérieur des autorités françaises sur l’ampleur du massacre est bien volontaire : "Le travail minutieux de Jean-Marie Huille a permis, dès 1963, au secrétaire d’Etat Jean de Broglie d’être informé du bilan du 5 juillet (près de 700 morts et disparus) aussi précisemment que le sont, depuis 2011, les lecteurs du livre de Jean-Jacques Jordi".
Un livre très vraisemblablement essentiel (pour ne pas dire définitif) sur le sujet, qui prend en compte et critique toute la documentation disponible. La fin d’une "occultation" majeure, presque totale, dans l’histoire de ce conflit."
A voir aussi, sur le site Les Clionautes, http://clio-cr.clionautes.org/oran-5-juillet-1962-lecon-d-histoire-sur-un-massacre.html#.U8OF-YKPPhZ le compte rendu de Guillaume Lévêque daté du 5 juillet 2012 :
"Être broyé par le sens de l’Histoire se paye au prix fort. D’autant plus fort qu’il se paye deux fois : par le sang d’abord, par le silence ensuite. Événement symbolique de la tragédie des Français d’Algérie abandonnés par la métropole, le massacre d’Oran en est sans doute un cas d’école. Bien qu’il ait été la pire atrocité de masse de la Guerre d’Algérie, ce "dégât collatéral" de la décolonisation a fait l’objet d’un refoulement historique presque absolu, que le professeur Guy Pervillé présente dans cet ouvrage comme « l’exemple le plus parfait de la censure mémorielle en France ».
Survenu à l’orée de l’indépendance algérienne, dans un climat mêlant angoisse et rancœur alors que l’OAS, dont Oran était un des bastions, vient à peine de déposer les armes après des semaines de nihilisme jusqu’auboutiste, le drame frappe une communauté pied-noire en détresse, sous les yeux d’une armée française passive. Le 5 juillet 1962, une fusillade aux causes indéterminées exaspère la foule des Algériens venus fêter l’indépendance dans le centre de la ville. La situation dégénère en une émeute sanglante qui dure plusieurs heures. Cette explosion de vengeance collective, qui purge des années de guerre coloniale, prend pour cible la population européenne de la ville, dont les morts et les disparus se comptent par centaines. Ni la réaction des nouvelles autorités algériennes, ni celle du commandant des forces françaises à Oran, l’attentiste général Katz, ne sont à la mesure des circonstances.
Cet épisode tragique, qui accélère et amplifie fortement la fuite massive des pieds-noirs vers la métropole, demeure un sujet sensible et controversé. Drame fondateur de la mémoire d’exode des pieds-noirs, le massacre d’Oran a en revanche été escamoté par les Algériens et est resté méconnu ou indifférent du côté français. Manipulé avec circonspection par les historiens, il a malgré tout donné lieu à d’amples spéculations historiographiques. Le champ des interprétations est d’autant plus large que le périmètre des certitudes est incertain. Côté algérien, le manque de pièces d’archives fiables est criant. Inaccessibles ou inexistantes, elles ne permettent pas de consolider ou d’invalider les éclairages partiels permis par l’ouverture récente des archives françaises. L’essentiel des sources disponibles s’est donc longtemps réduit à la presse de l’époque et à des témoignages chargés d’affect, de rumeurs invérifiables, de réquisitoires sans nuances et de plaidoyers divergents. Dans ce vide de l’histoire, la parole partisane des factions protagonistes a donc pu imposer la tonalité, soit passionnelle soit absolutoire, du discours des mémoires. Luttant pour obtenir la reconnaissance de ce qu’elle considère comme un crime occulté, celle des pieds-noirs est la plus radicale dans ses affirmations.
C’est donc dans un véritable champ de mines que le professeur Pervillé, l’un des plus éminents spécialistes universitaires actuels de la Guerre d’Algérie, a choisi de s’engager à son tour. Pour ce faire, il aborde le drame d’Oran sous l’angle de la réflexion historiographique. Suivre le fil conducteur des progrès de la recherche lui permet d’enjamber habilement l’hémiplégie des sources, qui assure la prédominance des arguments mémoriels. La synthèse qui s’en dégage est nourrie par de longs extraits analysés des travaux publiés sur la tragédie d’Oran. A travers l’évolution de l’historiographie, les faits se précisent, se corrigent, et des enjeux de fond se dégagent. Le débat historique se polarise ainsi sur trois questions centrales : la bataille des circonstances, la bataille des bilans, et la bataille des responsabilités. Sur tous ces points, Guy Pervillé dessine l’état des lieux avec beaucoup de rigueur et de pédagogie. Malgré la persistance de bien des imprécisions, la première semble la moins embrumée et écarte assez nettement toute implication de l’OAS. Après avoir fluctué entre outrance et minimisation, le bilan humain paraît à présent à peu près établi, dans son ampleur (700 victimes) comme dans l’atrocité de ses modalités. Le chantier le plus opaque demeure celui des responsabilités, qui pointent une pluralité de facteurs : culpabilité morale de l’OAS, passivité personnelle du général Katz, procès de complicité ou d’abstention par raison d’État fait au pouvoir gaulliste, « terrorisme silencieux » de l’ALN, impuissance des responsables algériens de transition, éventualité d’un complot interne au FLN. Seule sans doute l’ouverture des archives algériennes, si elles existent, permettrait désormais de faire avancer le dossier.
Pour qui le drame d’Oran ne constitue pas un repère identitaire, le travail du professeur Pervillé constitue en tout cas une belle leçon de méthode et de pondération historique, confortée par un appareil critique exemplaire, des cartes des lieux et un index. Par-delà la manière dont s’est construite la représentation des faits et la façon dont a évolué leur interprétation, le plus singulier est de constater combien ce massacre a peu marqué l’histoire de la Guerre d’Algérie. Un effacement qui entretient la mémoire meurtrie des pieds-noirs. Car l’amnésie est pire qu’un oubli : elle résonne comme un déni de souffrance presque aussi terrible que le traumatisme fondateur. Au fond, c’est sans doute cela que d’être broyé par le sens de l’Histoire : être voué à l’indifférence."
Et sur le site "Trop libre" de la Fondation pour l’innovation politique Fondapol(http://www.trop-libre.fr/livresque/l%E2%80%99histoire-de-l%E2%80%99alg%C3%A9rie-fran%C3%A7aise-une-histoire-%C3%A0-parts-%C3%A9gales) le compte rendu de Jean Sénié daté du 30 août 2014 :
"L’histoire de l’Algérie française, une histoire à parts égales ?" :
"Dans son dernier livre, le spécialiste de l’histoire de la colonisation française en Algérie et de la Guerre d’Algérie, Guy Pervillé, revient sur un massacre méconnu, celui du 5 juillet 1962 à Oran. A cette occasion, il se livre à une véritable démonstration d’écriture de l’histoire, parvenant aussi bien à respecter la reconstitution des faits qu’à ménager les mémoires, toujours vives de cet évènement.
Pour comprendre les évènements, il faut remonter au 3 juillet 1962, jour de l’accession à l’indépendance de l’Algérie. Dans les jours qui suivent ont eu lieu un certain nombre d’incidents dont une partie visait les harkis et les pieds-noirs. A Oran, ville dont la population est encore majoritairement européenne, ce jour-là sont morts ou disparus 700 ressortissants européens. Ces chiffres connus dès 1963, grâce au rapport resté secret de Jean-Marie Huille, en feraient le massacre le plus sanglant de la guerre d’Algérie si celle-ci ne s’était pas terminée deux jours auparavant.
Si les chiffres sont désormais établis avec certitude, subsistent la question du déroulement exact et celle des raisons qui ont prévalu à ce drame. Pour comprendre les enjeux qui sont sous-tendus par ces questions, il faut faire un détour par la mémoire, toujours vive de la guerre d’Algérie et des évènements du 5 juillet 1962.
Il est indéniable que la date du 5 juillet 1962 ne fait pas partie de celles qu’il est coutume d’accoler au conflit franco-algérien. Guy Pervillé écrit ainsi dans l’introduction : « de tous les évènements de la guerre d’Algérie, aucun n’a subi une occultation aussi complète que le massacre subi le 5 juillet 1962 à Oran par une partie de la population française de la ville ». Et de poursuivre : « En effet, cet évènement tragique a été longtemps passé sous silence, ou minimisé, avant que ses véritables dimensions soient tardivement révélées ».
Parmi les explications qu’il faut avancer, il faut évoquer le peu d’attention que l’opinion publique a accordé et accorde aux pieds-noirs. A l’exception de quelques travaux, ces derniers sont encore trop souvent représentés comme une catégorie homogène et, qui plus est, fondamentalement dépréciative, celle des colonialistes à tout crin. Il y a donc un désintérêt, relatif mais réel, sur cette question.
A cette première remarque, il faut en ajouter une deuxième que Guy Pervillé développe dans un entretien. A la question de l’occultation, il répond ceci : « Le massacre du 5 juillet 1962 à Oran a fait l’objet d’une conspiration du silence et d’une amnésie collective durant plus d’un demi-siècle ». Il y a dans cette histoire, un rôle des politiques. Dans l’ensemble des politiques culturelles et mémorielles qui ont pris pour objet la guerre d’Algérie, prendre en charge le récit du déroulé du 5 juillet 1962 aurait pu apparaître comme une provocation aussi bien vis-à-vis de l’Etat algérien que de la communauté algérienne en France. Des choix géopolitiques ont donc aussi prévalu dans l’écriture du discours. C’est donc sur ces enjeux mémoriels compliqués et tendus que Guy Pervillé entend faire œuvre d’historien.
Le livre de Guy Pervillé adopte une forme inattendue, tout du moins au premier abord. Il s’agit, en effet, d’un livre d’historiographie, c’est-à-dire un livre d’histoire de l’histoire du 5 juillet. De manière exhaustive, l’auteur replace les différents travaux sur le sujet dans leur contexte.
C’est en ce sens que nous avons parlé dans le titre d’histoire à « parts égales ». Plusieurs sens peuvent être donnés à cette phrase. C’est tout d’abord l’équité dans le traitement des sources secondaires qui sont toutes mises sur un pied d’égalité, qu’elles soient françaises ou algériennes, et passées au crible de la critique historienne. C’est, ensuite, une histoire qui vise à réinscrire tous les attentats et tous les incidents dans le même récit, sans laisser de côté aucun des acteurs de ce terrible conflit. C’est, enfin, une histoire qui cherche à établir un bilan de manière équitable ;
Loin d’incriminer de manière univoque l’OAS, même s’il reconnaît que les campagnes d’attentats des mois précédents ont en partie contribué aux évènements, l’auteur incrimine également les autorités françaises et algériennes. Sans adhérer à la thèse du complot - que celui-ci soit algérien ou français - il montre que ce sont les ordres contradictoires qui ont paralysé l’armée française et que les Algériens répondaient à des motivations complexes.
Toutefois, si les causes restent encore pour partie mystérieuses ou, tout du moins, en partie incertaines, Guy Pervillé peut en revanche établir un bilan chiffré des massacres et rétablir le déroulement exact des évènements.
Par cette méthode, l’auteur peut ainsi rétablir un fait dans sa dimension historique en dépassant les écrans mémoriels. Pour conclure nous pouvons citer l’auteur qui écrit : « Plus d’un demi-siècle plus tard, le 5 juillet d’Oran devrait servir, aux Algériens comme aux Français, à démontrer qu’il n’est pas raisonnable d’enfouir la vérité sous un silence imposé par l’Etat. Bien au contraire, il devrait prouver aux uns et aux autres que la reconnaissance de tous les évènements historiques, si douloureux qu’ils aient été, vaut mieux qu’une amnésie sélective pour faire en sorte que l’avenir soit meilleur que le passé ».
Et dans la revue L’Histoire, n° 403, septembre 2014, p. 91, le compte rendu d’Olivier Loubès :
Enquête sur les MASSACRES d’Oran . Guy Pervillé rend toute sa place à la journée du 5 juillet 1962 qui se solda par 700 victimes européennes.
"Avec Oran, 5 juillet 1962, Guy Pervillé nous donne un livre qui est aussi une "leçon d’histoire". Non seulement il fait le point sur un événement dramatique, controversé et largement occulté qui vit "en quelques heures près de 700" Européens d’Algérie être massacrés ou disparaître, mais il nous livre une restitution critique de la production des récits de cet événement depuis le 5 juillet 1962.
L’auteur ne se contente pas de rapporter les récits successifs des acteurs, témoins, journalistes, historiens, n’oubliant aucun camp. Il en livre certes de longs passages passionnants, parfois totalement inédits comme la thèse de Régine Goutalier sur l’OAS en Oranie (1975) ou mieux repérés comme ceux de Jean-Pierre Chevénement. Mais il les soumet pas à pas à son analyse critique, validant ou démontant les propos, discutant des polémiques, parfois bien connues des lecteurs de L’Histoire (cf Alain-Gérard Slama, n° 231).
Au total, après avoir grâce à lui pris la mesure exceptionnelle de "cette explosion de violence qui n’avait pas eu d’équivalent pendant toute la guerre, par sa concentration dans l’espace et dans le temps", il faut dire avec Guy Pervillé que le massacre du 5 juillet à Oran "devrait servir, aux Algériens comme aux Français, à démontrer qu’il n’est pas raisonnable d’enfouir la vérité sous un silence imposé par l’Etat". Bref, que le 5 juillet à Oran ne doit pas être moins reconnu que les autres journées de violence qui scandent l’histoire de la guerre d’Algérie, depuis celle du 8 mai 1945 autour de Sétif jusqu’à celle de sa fin comme au métro Charonne (Paris, 8 février 1962) ou dans la rue d’Isly (Alger, 26 mars 1962)."
Olivier Loubès, professeur de première supérieure au lycée Saint-Sernin de Toulouse.
Et le compte rendu publié sur le site de la revue Historia (http://www.historia.fr/web/nos-critiques/la-memoire-tragique-des-pied-noirs-04-09-2014-128149) le 4 septembre 2014 :
La mémoire tragique des pied-noirs Note critiques soumise le 04/09/2014 par Rémi Kauffer.
"Deux ouvrages reviennent sur l’atmosphère dramatique des derniers jours de l’Algérie française. (Le compte rendu évoque successivement le livre de Grégor Mathias, les vampires à la fin de la guerre d’Algérie : mythe ou réalité ?, dont j’ai rédigé la préface, puis le mien : Oran 5 juillet 1962. Leçon d’histoire sur un massacre).
Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’université de Toulouse-Le Mirail et spécialiste reconnu du conflit algérien, Guy Pervillé livre simultanément son propre ouvrage sur la période finale de la guerre d’Algérie. Sa visée se veut plus large que celle de Mathias. Il entend en effet revenir de façon documentée et aussi peu passionnelle que possible sur le drame du 5 juillet 1962 : plusieurs centaines de pied-noirs d’Oran enlevés le jour même des cérémonies de l’indépendance et massacrés. Une tragédie relevant selon lui de "l’épuration ethnique" mais pas du génocide comme l’affirment certaines associations de rapatriés. Occulté tant par l’Etat algérien tout neuf que par des autorités françaises très gênées, l’ampleur de ce massacre serait due, pour Pervillé, à une série d’enchaînements simultanés - côté FLN, les luttes féroces entre partisans et adversaires du futur président Ben Bella engendrant des situations de double ou triple pouvoir, et côté français, l’impact des attentats OAS et l’impatience du général de Gaulle à se dégager au plus vite de l’ex-colonie devenue indépendante. Pervillé qui fait œuvre utile en examinant avec la même acuité les travaux d’historiens français comme Maurice Faivre, Jean-Jacques Jordi, Alain-Gérard Slama, Jean Monneret, Guillaume Zeller ou Jean-François Paya et ceux d’historiens algériens tels Miloud-Karim Rouina et Fouad Soufi. Un pas en avant vers une histoire multilatérale pacifiée de la gestation de l’Algérie indépendante qu’on peut souhaiter mais qui n’est sans doute pas pour demain."
Et encore le bref compte rendu publié dans Le Figaro-Histoire n° 17, décembre 2014-janvier 2015, p 102, par Philippe Maxence :
"Oran, 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre, par Guy Pervillé.
En se plongeant dans les travaux d’historiens et dans les Mémoires des protagonistes, aussi bien français qu’Algériens, Guy Pervillé ne tente pas seulement d’éclairer le massacre d’Européens à Oran le 5 juillet 1962, mais il retrace l’évolution de son traitement historique tout en cherchant à déterminer les responsabilités exactes des parties en présence. Si la thèse de la culpabilité de l’OAS s’efface et si celle de la réaction tardive du général Katz, commandant du Corps d’armée d’Oran, est confortée, des trous noirs demeurent quant à la responsabilité algérienne, notamment en ce qui concerne la guerre entre factions rivales. Une belle réflexion sur l’histoire à partir d’un drame oublié."
Et le compte rendu publié dans Outre-mers, revue d’histoire, 2ème semestre 2014, n° 384-385, pp. 355-357, par Guillaume Vial :
"Plusieurs paradoxes ont trait au massacre d’Oran. Il est notamment occulté car il se produit juste après l’achèvement de la guerre d’Algérie : les historiens de cette guerre ont souvent arrêté leur récit à la date du 3 juillet (jour de la proclamation de l’indépendance algérienne), soit deux jours avant le massacre, lequel est pourtant la conclusion, contingente, de plusieurs mois de tensions et de violences exacerbées dans la région d’Oran. L’autre paradoxe important - et choquant - est le le déséquilibre criant entre une production abondante d’écrits sur ce massacre, qui débute dès 1962, et l’occultation mémorielle dont il a fait l’objet, de la part des gouvernements français et algérien.
L’ouvrage de Guy Pervillé répond à une nécessité : faire un bilan d’étape sur les recherches foisonnantes mais souvent divergentes menées jusqu’en 2013, sur la journée du 5 juillet, inspiré par une récente synthèse (Oran, 5 juillet 1962, un massacre oublié), dont il a vanté les mérites dans cette revue (compte rendu p. 371-373 du numéro 380-381 de 2013), du journaliste Guillaume Zeller.
Il reste à découvrir, beaucoup, même si sur un plan factuel d’importantes avancées ont récemment eu lieu avec l’ouverture d’une part sensible des archives en France, à partir de 1992, et avec les larges dérogations obtenues par Jean-Jacques Jordi (dans le cadre de la Mission interministérielle aux rapatriés). On doit à ce dernier le nombre de "quelque 700 morts européens(décédés ou disparus)auxquels il faut ajouter une centaine de morts musulmans" qui font du massacre d’Oran, selon les mots de Guy Pervillé : "une explosion de violence (sans)équivalent durant toute la guerre, par sa concentration dans l’espace et dans le temps". Ce terrible bilan, longtemps sous-estimé ou surestimé, instrumentalisé aussi, suivant les lacunes documentaires et les présupposés idéologiques,a enfin atteint un chiffre incontestable mais connu du gouvernement français depuis 1962 !
Guy Pervillé suit une progression chronologique, fondée sur l’analyse de chaque livre, recherche universitaire ou article, paru sur le massacre d’Oran, y compris sous forme électronique depuis 2008. Ce choix se comprend parce que l’auteur, connu pour ses nombreux travaux sur l’histoire algérienne contemporaine et sa démarche rigoureuse, ne cherche pas à proposer une autre histoire du massacre.
Cette démarche permet de mettre en évidence trois phases de recherche : entre 1962 et 1992, les récits journalistiques et livres de témoins et de témoignage (comme L’agonie d’Oran) s’imposent face aux rares travaux historiques qui apparaissent dès 1975 ; une courte décennie 1992-2000 où les historiens s’imposent dans le débat mais sans toujours rester impartiaux (à l’image de Charles-Robert Ageron, dont Guy Pervillé, en disciple scrupuleux, admet le fourvoiement) ; la période récente, depuis 2000, où plusieurs travaux d’historiens, solides mais divergents sur des points importants, permettent d’approcher de façon plus précise le déroulement des événements, en les replaçant aussi dans le contexte des mois cruciaux qui précèdent.
On doit bien avouer que ce récit historiographique a quelque chose de déroutant, comme une vision kaléidoscopique, parce que cette histoire en balance fait douter d’une intelligibilité des événements. La force de l’auteur est dans la rigueur de ses analyses, la richesse des citations et le solide appareil critique proposé (juste quelques noms de lieu cités manquent sur les cartes) - l’index a ici toute son utilité - et dans son dénouement."L’essai de conclusion" est, en effet, essentiel pour ordonner cette dense matière, ce magma historiographique, et proposer quelques clés de lecture des événements, même si aucune ne s’impose définitivement. Quatre pistes interprétatives, tracées au fil du temps par ses prédécesseurs, sont examinées par Guy Pervillé.
L’incrimination de l’OAS (dont l’action de terreur des mois précédents a contribué à l’exacerbation des émotions et à la frénésie de la foule oranaise) dans les premiers tirs, rendant inéluctable l’engrenage du massacre, n’a toujours pas reçue de preuves tangibles et semble donc peu probable. Le général Katz (qui minimise beaucoup de faits sauf son propre rôle), alors commandant des troupes françaises du secteur d’Oran, a pourtant soutenu cette thèse, dans ses Mémoires, alors que lui-même fut loin d’être à la hauteur des événements.
Le rôle du capitaine Bakhti, autre homme-clé, alors chef de la Zone autonome d’Oran du FLN-ALN, est perçu de manière fort contradictoire (proche de Ben Khedda, ou de Boumedienne, ou jouant un rôle de médiateur) : cette zone d’ombre, qui reste à éclaircir, est incontestablement une clé majeure de la compréhension des événements. En arrière-plan se pose la question du rôle ambigu des nationalistes algériens, sur fond de "terrorisme silencieux" (enlèvements, prélèvements sanguins forcés,...), sans que la volonté d’y mettre un terme se manifeste clairement, contribuant à ce climat de vives violences du printemps.
D’autres hypothèses, celle d’un complot, sont avancées mais semblent plus hasardeuses, faute de preuves incontestables : celle de la responsabilité du colonel Boumedienne, difficile à soutenir en l’état, et surtout celle du général de Gaulle et de son gouvernement qui auraient été coupables de passivité pour laisser le champ libre au FLN-ALN dans sa lutte fratricide avec le GPRA, lequel porte par contre une lourde responsabilité dans le choix du 5 juillet comme jour de célébration de l’indépendance, à l’origine de massacres en chaîne qui ne se résument pas à un affrontement entre deux communautés, limité au seul centre-ville, les mécanismes de la violence étant beaucoup plus complexes.
L’apport des archives algériennes et de nouveaux témoins manquent encore pour approcher au plus près de la vérité historique. Un appel à la coopération est lancé par Guy Pervillé auprès des historiens algériens, dont les travaux de qualité sont restés trop peu nombreux sur le sujet.Il est vrai que l’occultation mémorielle officielle freine l’avancée des recherches historiques et ne contribue pas à l’apaisement des mémoires."
Et encore celui que Grégor Mathias a publié dans le n° 28, avril 2015, de la revue Ultramarines des amis des Archives d’Outre-mer à Aix-en Provence (pp. 126-127 :
"G. Pervillé analyse les raisons qui ont conduit au massacre d’Européens à Oran à la toute fin de la guerre d’Algérie. C’est à un véritable travail d’archéologue qu’il nous convie : il nous fait découvrir les strates d’interprétation qu’il découpe en trois grandes périodes (1962-1992, 1992-2000, 2000-2013). Si le journaliste Y. Courrière occulte l’événement dans sa trilogie (sic) sur la guerre d’Algérie, d’autres écrits évoquent assez tôt ce drame sans qu’ils arrivent réellement à réveiller la conscience de l’opinion publique, comme si ce drame était celui de trop après les huit années de guerre qui déchirèrent l’Algérie et la France.
Dans ce travail historiographique, G. Pervillé recense minutieusement tous les écrits des journalistes, historiens engagés ou non, essayistes, activistes de l’OAS, témoins civils et militaires, français ou algériens. Il expose les trois hypothèses sur la responsabilité de la chasse aux Européens à la suite de tirs sur des manifestants musulmans. La provocation d’activistes de l’OAS est écartée en raison du départ de ses commandos et de l’absence de cette explication dans les déclarations des officiels algériens. La thèse d’un complot, consistant pour l’état-major de l’ALN aux frontières (le colonel Boumedienne et Ben Bella) à provoquer un grave incident avec les Européens pour décrédibiliser la wilaya V d’Oranie (erreur de lecture pour l’organisation civile FLN d’Oran) ralliée au GPRA de Ben Khedda est souvent mise en avant par de nombreux auteurs. Mais l’hypothèse la plus crédible tient en l’absence d’autorité algérienne incontestée dans cette ville. En effet, le FLN d’Oran est divisé en quatre tendances : le FLN de Ville nouvelle rallié au GPRA, le FLN de Lamur obéissant à l’état-major de l’ALN, le capitaine Bakhti, commandant de la zone autonome, autorité officielle sans réel moyen d’action, et un groupe crapuleux proche du FLN installé en périphérie d’Oran. La manifestation musulmane du 5 juillet a dégénéré en raison du vide du pouvoir et du conflit entre ces tendances. Pour se dédouaner le capitaine Bakhti, futur directeur de cabinet de Boumedienne, fera retomber l’entière responsabilité du massacre des Européens sur le groupe crapuleux dédouanant ainsi le FLN. Au fil des pages les chiffres des victimes varient entre 20 et 3000, avant d’être fixés définitivement à 700 personnes.
C’est une passionnante leçon d’histoire que nous offre G. Pervillé qui intéressera tout autant les étudiants en histoire contemporaine que les personnes intéressées par les arcanes les plus troubles de la guerre d’Algérie, dans lesquels les massacres d’Oran furent qualifiés d’’incidents’ par les médias de l’époque."
Et le compte rendu de Jean-Charles Jauffret paru dans Historiens et géographes n° 431, juillet-août 2015, pp. 235-236 :
" Trop longtemps occultés, les derniers moments de al communauté française à Oran bénéficient désormais d’un ouvrage qui fait autorité. Guy Pervillé livre un modèle d’étude historiographique sur le plus lourd bilan de la fin de la guerre d’Algérie, en dehors du massacre des harkis. Jusqu’à présent, une vaine querelle de chiffres (entre 2.000 et 4.000 tués selon certaines sources) envenimaient le débat.
c’est bien à une leçon d’histoire à laquelle nous convie ce spécialiste reconnu du conflit algérien. En introduction, il rappelle les premiers temps de al violence à Oran, de mai 1956 à août 1958, puis le calme avant juillet 1960. Comme pour d’autres villes algériennes, en décembre 1960, le voyage du général de Gaulle enflamme Oran qui s’enfonce dans le cycle attentats-représailles aveugles. Déjà, l’été 1961 est marqué par la violence extrême de l’OAS fortement établie dans l’Oranais. Elle n’hésite pas à harceler les quartiers musulmans, y compris à coup d’obus de mortier (Note de l’auteur : pas avant le 1er mars 1962) . Ce à quoi des éléments incontrôlés du FLN, qui veut afficher une façade de respectabilité, répondent par des enlèvements et des égorgements. L’historien c^souligne à maintes reprises cette lourde responsabilité de l’organisation terroriste, surtout depuis l’attentat du 28 février 1962 (27 tués musulmans) à l’origine de ce sentiment de vengeance qui est la clef du drame du 5 juillet et de ses suites.
Très riche, la première partie, "de l’occultation à l’exhumation, 1962-1992", montre tout l’abord l’aveuglement des politiques à Paris, et leur volonté de ne rien savoir. Pierre de Bénouville est le seul à l’Assemblée à dire dans l’après midi du 5 juillet : "Le sang coule à Oran". Même Yves Courrière, dont le dernier tome sur la guerre d’Algérie se termine par le référendum du 1er juillet ratifiant l’indépendance de l’Algérie, fait partie de cette conjuration du silence. Elle est seulement brisée par de rares témoins tel Pierre Tanant ou des travaux universitaires passés inaperçus (Hubert Michel en 1964, Régine Goutalier en 1975).
La deuxième partie traite de "l’intervention tumultueuse des historiens, 1992-2000", en évoquant tout d’abord l’historien engagé Raoul Girardet qui préface l’ouvrage d’un témoin clé, Guy Doly-Linaudière, L’imposture algérienne, les lettres d’un sous-lieutenant de 1960 à 1962. L’auteur démontre comment, par le truchement de la peur des enlèvements, l’objectif des nationalistes algériens est de vider Oran de ses européens. s’en suivent de très belles pages à partir de longues citations de l’ouvrage polémique du général Katz, L’honneur d’un général, publié en 1993 et et préfacé par Charles-Robert Ageron qui, souligne un Guy Pervillé très critique, oublie la méthode historique dans sa présentation. S’il faut retenir de ce témoignage le mécanisme de la violence de l’OAS contre des femmes de ménage musulmanes ou des officiers supérieurs et généraux français (général Ginestet) victimes de tireurs embusqués, il n’en reste pas moins que le récit pro domo du commandant du corps d’armée d’Oran (18.000 hommes) ne tient pas l’analyse quant à ses responsabilités. Les forces armées françaises, devant intervenir dans un pays souverain depuis peu, n’ont reçu cet ordre que tardivement, soit deux heures après al fusillade générale du 5 juillet. Certes, remarque Alain-Gérard Slama, Katz n’a pas voulu le massacre, mais il a laissé faire. Claude Martin et Geneviève de Ternant, dans L’agonie d’Oran (1999) accusent le général Katz. L’archiviste-historien algérien Fouad Soufi donne les chiffres d’admission à l’hôpital d’Oran ce jour-là, très proches de ceux du général Katz : 76 Algériens et 27 Français d’Algérie, plus 145 blessés dont 105 Algériens.
Cette querelle de chiffres trouve son épilogue dans la dernière partie, "L’apport décisif des historiens, 2000-2013". Dans sa thèse soutenue en 1997 et publiée trois ans plus tard, Jean Monneret démontre comment, en dehors d’initiatives isolées, les gendarmes mobiles interviennent tardivement. Qu’effectivement une trentaine de corps ont été enterrés à coups de bulldozer au Petit-Lac, et que la violence envers les européens ne cesse pas au soir du 5 juillet (218 disparus entre le 5 et le 14 juillet). D’autres travaux (Maurice Faivre, Jean-François Paya...) affinent l’analyse, mais c’est bien le travail pionnier de Jean-Jacques Jordi, Un silence d’Etat, les disparus civils de la guerre d’Algérie, publié en octobre 2011, qui apporte la lumière. Le 5 juillet, outre les morts dus à la fusillade générale, il faut ajouter 263 disparus dus à des tueurs incontrôlés. Ciant Jean-Marie Huille, Jean-Jacques Jordi établit un bilan de 700 morts européens entre le 26 juin et le 10 juillet 1962, dont 353 disparus, plus une centaine de morts musulmans. Et Guy Pervillé de souligner cette violence échappant à tout contrôle. L’Etat-Major général de l’ALN de Boumedienne, qui veut démontrer sa capacité à maintenir l’ordre, s’en trouve dégrevé. De plus l’ALN, le 5 juillet, fait la chasse aux égorgeurs.
En conclusion, Guy Pervillé interpelle, à juste titre, les gouvernements algérien et français : le drame d’Oran, au même titre que celui du 17 octobre 1961 à Paris, doit être enfin reconnu dans les deux pays. Augmentée d’archives inédites de membres de l’OAS, une réédition de cet ouvrage, sans doute définitif sur la question, est prévue."
Enfin voici deux avis de lecteurs qualifiés :
celui d’Evelyne Caduc, professeur à l’Université de Nice :
"Je viens de terminer la lecture attentive de votre livre Oran, 5 juillet 1962, Leçon d’histoire sur un massacre, et je vous dis immédiatement le plaisir que j’ai eu à y retrouver les qualités de vos autres travaux : c’est-à-dire la rigueur, la précision des dénominations et cette démarche méthodique que vous vous imposez chaque fois pour parvenir à définir un événement et à en préciser les causes, même si elles sont multiples, parfois contradictoires et parfois encore mal déterminées. Vous vous appliquez toujours à essayer de dire uniquement ce qui est prouvé et, cette fois, à faire, comme vous l’avez dit dans l’introduction, « une histoire de la façon de raconter l’histoire d’un événement ». (... ) Grand merci pour votre travail."
Et celui de Frédéric Grasset, président de la Fondation Algérie/Maroc/Tunisie :
"Je viens de terminer la lecture de votre ouvrage sur le 5 Juillet. J’admire à la fois la rigueur de l’enquêteur et la compassion dont il entoure sa démarche précise et fouillée. L’une comme l’autre apportent à cette analyse une sérénité et une profondeur remarquables. S’il revenait parmi nous, Marc Bloch, vous prendrait peut-être comme exemple et témoin de l’apologie pour l’histoire et du métier d’historien. Ayant vécu personnellement de très près cette séquence de juillet 1962 à Oran et en Oranie, je peux vous dire qu’elle fut terrible, ce que vous savez déjà, mais surtout qu’elle illustre l’impossibilité d’introduire l’unité de la logique et de la raison dans ces enchainements explosifs. Les chimistes sont équipés pour analyser et mesurer les réactions qu’ils provoquent ou décrivent. Les historiens n’ont pas le recours du tableau des éléments.
Nous sommes en 2014, et je n’ai jamais évoqué ces semaines de 1962. Votre livre m’y ramène de façon apaisée. Je vous en remercie."
- Voir aussi l’interview réalisée par Roger Vétillard sur le site Metamag : http://metamag.fr/metamag-2139-ORAN-5-JUILLET-1962.html, et sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=327,
ainsi que celle réalisée par Théophile Sourdille sur le site Atlantico le 5 juillet 2014 (http://www.atlantico.fr/decryptage/5-juillet-1962-oran-massacre-occulte-qui-aurait-pu-ne-jamais-faire-naitre-culte-repentance-en-france-guy-perville-1653241.html/page/0/1, et sur mon site http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=328).
Voir encore ma dernière mise au point : "A propos de l’OAS d’Oran : réponse à un lecteur oranais", sur mon site http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=341.
Voir enfin mon article "A propos d’un événement occulté : le massacre du 5 juillet 1962 à Oran", paru dans le n° 28 (avril 2015) de la revue de l’Association des amis des archives d’outre-mer, pp. 78-87 (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=353).