Compte rendu des Mémoires de Jean-François Soulet (2020)

mardi 30 mars 2021.
 
Ce compte rendu est paru dans le n° 54, automne 2020, des Cahiers d’histoire immédiate, une revue de l’Université de Pau et des pays de l’Adour dirigée par Laurent Jalabert et publiée par les Editions Cairn (pp 143-145).

Jean-François Soulet, Mon histoire. Morlaas, Cairn éditions, Latitude Sud, collection « Ma vie en mots », mars 2019, 512 p (dont annexes pp 471-512 : direction de thèses et d’habilitations à diriger des recherches, direction de mémoires de recherche, bibliographie de Jean-François Soulet, ouvrages et articles).

Ce nouveau livre de Jean-François Soulet est une surprise et, précisons-le tout de suite, une très bonne surprise. A première vue, il a tout pour étonner : un titre qui sonne comme un défi à la modestie traditionnelle de l’historien, une couverture qui aligne un assortiment de mots-clés, noms propres géographiques et noms communs, en divers caractères et en deux couleurs (blanc et rouge sur un fond noir). Heureusement, la quatrième de couverture apporte en quelques lignes de précieux éclaircissements sur le contenu du livre (« C’est l’histoire d’un fils de Bougnat qui, grâce à l’école et par un chemin incertain, embrasse l’histoire, la recherche et l’université... avec un puissant désir de transmettre son savoir aux autres, faisant sien le précepte de Descartes : ‘Apprendre, comprendre et transmettre... c’est exister’ ... et une vraie passion pour l’enseignement, l’écriture, l’édition, le journalisme, la radio... » . Puis une présentation plus classique de l’auteur accompagnée de sa photographie en couleur : « Après avoir enseigné en collège et en lycée, à Eauze (Gers), Mont-de-Marsan (Landes), Coëtquidan (Morbihan), Jean-François Soulet est devenu professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse-II Le Mirail, puis à l’Université du Temps Libre de Tarbes et de Bigorre. Spécialiste des mouvements de contestation contre l’Etat (Pyrénées, Pays communistes...), passionné par le journalisme et l’édition, il est également l’auteur de sept romans »). Le genre autobiographique semblait pourtant étranger à l’auteur jusqu’en 2017, mais il indique dans son avant-propos s’y être converti sur la suggestion d’un ami, après avoir rédigé des souvenirs confidentiels sur son neveu Serge, prématurément décédé. Par cette conversion, il a rejoint la cohorte déjà nombreuse des historiens qui se sont adonnés à l’égo-histoire, dont témoignent les Essais d’égo-histoire réunis et présentés par Pierre Nora en 1987, et qui ont inspiré la deuxième partie du livre Générations historiennes, XIXe-XXe siècles, publié en 2019 aux Editions du CNRS par 55 historiens sous la direction de Yann Potin et Jean-François Sirinelli - lesquels ont mentionné dans une note (note 6 p 271) le « passionnant livre de Jean-François Soulet ».

Ce livre passionnant change de caractère à mesure que le lecteur progresse dans sa lecture. C’est d’abord une histoire généalogique, qui présente sur deux ou trois siècles les lignées paysannes dont l’auteur est issu. Puis une histoire familiale qui reconstitue la formation de sa personnalité dans une famille de petits commerçants, de l’Aveyron à Tarbes. Mais dès la deuxième partie, la découverte individuelle de la vie intellectuelle et universitaire à Toulouse et dans sa région, d’abord comme étudiant puis comme enseignant dans plusieurs collèges et lycées, et enfin comme assistant, devient prioritaire. Comme il le constate lui-même dans sa conclusion, « mon itinéraire s’inscrit en tous points dans le mode d’ascension sociale créé, depuis la fin du XIXe siècle, par l’accès aux études. Petit-fils de paysans, fils de petits commerçants, c’est par l’école, le collège, le lycée et l’université que j’ai franchi chaque palier social ». Et un peu plus loin : « A la différence de certains de mes maîtres et collègues, je n’ai pas trouvé, au pied d’un sapin de Noël, déposée par mes parents, la panoplie du parfait petit universitaire avec un mode d’entrée à Normale sup et une méthode pour l’agrégation. Pour moi le chemin vers l’Histoire, vers la Recherche et vers l’Université a été longtemps incertain et difficile » (p 468).

En effet sa carrière universitaire, à partir de son élection comme assistant d’histoire à l’Université de Toulouse en 1970, ne fut pas pour autant sans problème. Durant près de vingt ans, il se partagea son temps entre de multiples tâches d’enseignement et ses activités de recherche, partant d’une thèse de troisième cycle sur le diocèse de Tarbes au XVIIe siècle pour aboutir dix-sept ans plus tard à une thèse de doctorat d’Etat sur les Pyrénées au XIXe siècle, qui lui permit d’être élu professeur d’histoire contemporaine en 1990 et de se consacrer à « l’histoire immédiate » des pays de l’Est à partir de l’effondrement des régimes communistes en Europe orientale et en URSS (1989-1991) ; évolution à première vue étonnante, mais que son autobiographie intellectuelle permet de comprendre. Il put ainsi passer d’une histoire culturelle et sociale régionale à une histoire politique internationale en prise directe avec l’actualité.

C’est peu après la fondation du Groupe de recherche en histoire immédiate (GRHI) en 1989 et la création des Cahiers d’histoire immédiate en 1991 que j’ai rencontré pour la première fois Jean-François Soulet en 1993, avant de le rejoindre à l’Université du Mirail en 1999. Ayant aussitôt adhéré au GRHI, j’ai accepté de lui succéder à sa tête en juin 2004, jusqu’à ma retraite en 2011 qui a suivi d’un an la sienne. Comme il le dit dans les pages 383-385 et 387-388, Jean-François Soulet a ressenti le besoin de limiter son rôle à la direction du GRHI en partageant les tâches, mais aussi l’inquiétude de voir l’encadrement en enseignants-chercheurs de ce groupe diminuer peu à peu, et celle de voir l’Université du Mirail pousser au regroupement des petites unités de recherche en grandes formations à l’identité mal définie. Il signale à juste titre le rôle important de Jacques Cantier qui a pris la responsabilité des Cahiers d’histoire immédiate depuis 2004, mais oublie de mentionner que ce dernier a été rejoint dès 2007 par Bertrand Vayssière. C’est en décembre 2015 qu’est paru à Toulouse le n° 48, dernier numéro de la série continue des Cahiers d’histoire immédiate, mais leur reprise annoncée dans ce numéro par Laurent Jalabert est devenue effective à partir du n° 49, et trois nouveaux numéros ont été publiés à Pau sous la direction de celui-ci par les éditions Cairn à partir du printemps 2017.

Jean-François Soulet ne dresse pas un bilan triomphaliste de tout ce qu’il a réalisé à l’Université du Mirail : « j’ai subi des échecs que j’ai inconsciemment atténués dans ce récit. Je n’ai pas su, par exemple, dépasser des contrariétés ou des mesquineries inhérentes à toute vie en communauté, dans l’Université comme ailleurs, et établir des relations sereines avec l’ensemble de mes collègues. Je n’ai pas su, non plus, construire un groupe de recherche stable en motivant suffisamment mes jeunes collaborateurs. La désagrégation finale du GRHI n’était pas fatale et m’a peiné » (pp 468-469). Mais son livre nous apprend aussi que ses activités ne se sont jamais limitées à ses enseignements ni aux publications du GRHI : il nous fait découvrir l’étonnante multiplicité des moyens d’expression et de diffusion qu’il a mis en œuvre tout au long de sa carrière : « Personnellement, j’ai pu, tout en enseignant à Toulouse, créer, conduire et administrer un groupe de recherche, écrire des manuels, fonder une revue et des collections de livres, effectuer des missions à l’étranger, participer à des émissions radiophoniques... » (p 468). Et il a continué depuis sa retraite en développant, à partir de 2010, l’Université du Temps libre de Pau créée par Jean Haillet. Même ses romans - activité inattendue de la part d’un historien, à laquelle il s’adonne depuis 2003 - retiennent la sympathie du lecteur par leurs sujets originaux et leur style ironique, qui rappelle les contes de Voltaire et les best-sellers de Michel Houellebecq. Mais en fin de compte, ils sont largement dépassés par le roman vrai qu’est sa dernière œuvre publiée.

Guy Pervillé



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