Quand la guerre d’Algérie a-t-elle pris fin ? (1999)

lundi 27 novembre 2006.
 
Ce texte a d’abord été présenté oralement dans le cadre d’un cycle de conférences organisé par le Centre d’études d’histoire de la Défense le 14 juin 1999 à Paris, puis publié dans le volume des actes du même cycle de conférences du CEHD intitulé De la guerre à la paix (pp. 147-155), aux éditions Economica en juin 2001.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, en Europe, la fin d’une guerre et le rétablissement de la paix se faisaient en deux étapes : une convention militaire (armistice ou capitulation) interrompant les hostilités, puis un traité de paix rétablissant des relations supposées durables entre les anciens belligérants. Mais depuis 1945, ce schéma a été perturbé par l’interminable ajournement du traité de paix avec l’Allemagne, et par la désuétude dans laquelle est tombée la déclaration de guerre, formalité désormais trop risquée. Les frontières entre la guerre et la paix sont donc devenues très floues.

La guerre d’Algérie est un cas particulier qui se distingue sur plusieurs points du modèle européen traditionnel.

Parce que l’existence même d’une guerre a été obstinément niée par la partie française (alors même que son adversaire le FLN l’avait déclarée par sa proclamation du 31 octobre 1954 en même temps qu’il passait à l’action), afin de ne pas reconnaître comme des belligérants ceux qu’elle qualifiait de « rebelles » ou de « hors-la-loi ». Cette fiction des « opérations du maintien de l’ordre » avait été désavouée par le général de Gaulle le 11 avril 1961 (« Le fait est que l’Algérie est, aujourd’hui, un pays où sévit la guerre ») ; mais elle a pourtant été maintenue jusqu’au 10 juin dernier, pour des raisons surtout financières.

Parce que le gouvernement français a négocié en même temps avec le FLN le cessez-le-feu et les clauses de la paix définies par les accords d’Évian du 18 mars 1962, texte de 93 feuillets réglant la fin des hostilités, le transfert de souveraineté, la formation de l’État algérien et les principes directeurs de ses relations avec la France.

Parce que la nature juridique de ces accords était ambiguë. Elle souffrait d’une contradiction non surmontée entre les positions des deux parties, reflétée par deux préambules non conformes. Selon la version française, il s’agissait d’un programme proposé d’un commun accord par le gouvernement français et par le parti algérien appelé FLN à la ratification séparée des deux peuples, qui en ferait un traité franco-algérien après que le référendum d’autodétermination en Algérie aurait créé un État algérien. Selon le FLN, il s’agissait d’un traité conclu entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne, dont l’existence s’était imposée dans les faits.

Quoi qu’il en soit, si le texte des accords d’Évian avait été respecté, les hostilités auraient pris fin le 19 mars 1962 à midi, et la paix aurait été pleinement rétablie entre trois et six mois plus tard par le référendum d’autodétermination qui devait à la fois ratifier les accords et créer l’État algérien auquel la France aurait alors transmis sa souveraineté. Ce référendum eut lieu le 1er juillet 1962, ses résultats furent proclamés et solennellement reconnus par la France le 3. Mais en réalité, une paix véritable impliquant la cessation de tout acte de violence ne fut pas rétablie le 19 mars, ni le 3 juillet, ni à aucune autre date précise que l’on puisse commémorer comme étant celle de la « fin de la guerre d’Algérie ». On peut même se demander jusqu’à nos jours, trente-sept ans après, si la guerre d’Algérie est bien finie.

Trois dates auraient pu marquer le retour de la paix, mais aucune d’entre elles ne correspond à nos critères de rétablissement effectif de la paix et de la sécurité.

1°) Le 19 mars 1962, « fin de la guerre d’Algérie » selon de nombreuses plaques de rues et selon une association d’Anciens combattants, la FNACA. En réalité, ce n’en fut pas la véritable fin.

D’abord à cause de l’OAS, qui refusa le « cessez-le-feu de M. de Gaulle », et entreprit de le rendre inapplicable en ordonnant « l’ouverture systématique du feu contre les forces ennemies » (y compris les forces gouvernementales françaises) et contre les quartiers musulmans pour provoquer des affrontement entre communautés qui obligeraient l’armée à intervenir. L’opposition du général Salan et de quelques autres chefs de l’OAS à cette stratégie de provocation (contraire à leur rêve d’un nouveau 13 mai avec la participation de nombreux musulmans) ne changea rien à son exécution. L’OAS continua son escalade de la violence commencée depuis plusieurs mois jusqu’en juin 1962 (le 17 juin à Alger, le 27 juin à Oran). La réaction des forces de l’ordre infligea de lourdes pertes aux Français d’Algérie solidaires de l’OAS, notamment le 23 mars dans la bataille de Bab el Oued, et le 26 mars par la fusillade de la rue d’Isly au centre d’Alger.

De son côté, le FLN ordonna de ne pas réagir aux provocations pour ne pas faire le jeu de l’OAS en rompant ouvertement le cessez-le-feu ; mais il riposta par des enlèvements discrets et par quelques attentats revendiqués. Ces enlèvements, d’abord peu nombreux et sélectifs, se multiplièrent à partir du 17 avril 1962 à Alger, dans l’Algérois et dans l’Oranie, provoquant une panique chez les Européens d’Algérie. Selon la thèse de Jean Monneret [1], la simultanéité de leur multiplication dans ces régions permet de supposer un ordre venu d’en haut, même s’il n’est pas prouvé. Mais le processus déclenché pour démanteler l’OAS paraît avoir très vite échappé à tout contrôle, créant une insécurité dont nul Européen n’était à l’abri.

En même temps, les wilayas et zones autonomes du FLN-ALN se renforçaient par des moyens contraires à l’accord de cessez-le-feu pour préparer leur prise du pouvoir au lendemain de l’autodétermination (objectif conforme à la version algérienne des accords d’Évian, mais non à la version française) : déplacements de djounouds en armes, enrôlements massifs de volontaires de la dernière heure (les « marsiens »), impositions d’arriérés de cotisation, réquisitions, désertions et recrutements de soldats et de supplétifs de l’armée française avec leur armes, et même des membres de la « force locale » à la disposition de l’Éxécutif provisoire franco-algérien. Les « harkis » et autres supplétifs musulmans démobilisés et désarmés par l’armée française furent souvent invités à verser leur pécule ou prime de démobilisation pour se racheter, mais dès le 19 mars des enlèvements et des meurtres furent signalés (487 du 19 mars au 1er juin 1962).

L’armée française réagit d’abord à ces violations du cessez-le-feu : une bataille rangée eut lieu dans un camp de regroupement du Sud Oranais où s’était installée une unité de l’ALN le 8 avril 1962, jour du référendum de ratification en métropole. Mais ensuite, après le remplacement de Michel Debré par Georges Pompidou à la tête du gouvernement, des ordres d’abstention semblent avoir été donnés. Au conseil des ministres du 25 avril, le ministre des affaires algériennes Louis Joxe reconnut le fait : « En réalité, nos troupes sont consignées ». Le président de la République s’en indigna : « Il faut la cantonner (l’ALN). C’est à l’Éxécutif provisoire de régler le problème » [2]. En fait, ni l’Éxécutif provisoire ni le GPRA (lui-même divisé, et en conflit avec l’état-major général de l’ALN) ne pouvaient ou ne voulaient s’opposer aux débordements des forces des wilayas. Ce qu’attesta la lettre de démission adressée au GPRA le 27 juin 1962 par les membres de l’Éxécutif provisoire nommés par celui-ci [3].

2°) Le 1er ou le 3 juillet 1962 auraient pu voir le rétablissement de la paix et de la sécurité ; malheureusement, il n’en fut rien. Le référendum du 1er juillet ratifia massivement les accords d’Évian (pourtant désavoués secrètement comme une « plate-forme néo-colonialiste » par le Conseil national de la Révolution algérienne réuni à Tripoli un mois plus tôt), dans une liesse populaire extraordinaire. Le 3 juillet, les résultats furent officiellement proclamés, et reconnus par le président de la République française ; le haut commissaire Christian Fouchet transmit ses pouvoirs au président de l’Éxécutif provisoire Abderrahmane Farès et quitta l’Algérie. Le même jour, Abderrahmane Farès accueillit à l’aéroport d’Alger le président du GPRA Ben Youcef Ben Khedda et lui remit ses pouvoirs, ce qu’il n’aurait pas dû faire suivant le texte des accords. Mais Ben Khedda, lui-même contesté par le bureau politique du FLN et par l’état-major général du colonel Boumedienne, refusa la charge de l’administration du pays et pria Farès de rester à son poste.

Pendant près de trois mois, l’Algérie connut une situation de vacance du pouvoir et d’anarchie. Parce que l’Éxécutif provisoire, dépositaire nominal de la souveraineté nationale, n’avait pas de légitimité politique réelle, ni de force armée pour appliquer ses décisions depuis que la « force locale » avait achevé de se volatiliser au profit des wilayas de l’ALN. Parce que le GPRA installé à Alger n’avait pas davantage de légitimité incontestée face au bureau politique du FLN formé à Tripoli par Ahmed Ben Bella, et parce qu’il ne pouvait s’opposer aux forces armées benbellistes qu’en s’appuyant sur une coalition instable de wilayas.

Il en résulta une lutte pour le pouvoir entre deux coalitions se réclamant également du FLN et de l’ALN, qui alla jusqu’au bord de la guerre civile avant que le GPRA s’efface, et avant que le Bureau politique vienne à bout de ses derniers adversaires dans la wilaya IV.

La vacance du pouvoir central permit la multiplication d’actes arbitraires de violence commis par des groupes armés se réclamant de l’ALN ou agissant pour leur propre compte. Dès le 5 juillet eut lieu à Oran un massacre dont le déclenchement et le bilan final sont encore controversés. Dans tout le pays les enlèvements d’Européens, souvent suivis d’assassinat, redoublèrent, par désir de vengeance ou par convoitise de leurs biens. Ainsi, la décolonisation de l’Algérie prit la forme d’une revanche totale et brutale du colonisé sur le colonisateur qu’avait prophétisée Frantz Fanon en 1961 dans son dernier livre Les damnés de la terre.

En même temps, dans le contexte de surenchère patriotique de la compétition pour le pouvoir, des arrestations d’anciens harkis et d’autres musulmans compromis avec les Français se multiplièrent dans toutes les régions, souvent suivies de tortures ou de supplices horribles. L’explication fréquemment invoquée par des vengeances populaires spontanées ou par les excès de zèle de « marsiens » ayant besoin de prouver leur patriotisme, ne suffit pas : les témoignages et les documents disponibles mettent en cause les structures de l’ALN [4] et donc la responsabilité de leurs chefs, que celle-ci soit active ou passive.

Devant ces violations très nombreuses et très graves du cessez-le-feu et de la « déclaration des garanties », l’ambassadeur de France Jean-Marcel Jeanneney ordonna aux troupes françaises de « recueillir et d’embarquer » les personnes menacées, et il multiplia les protestations auprès des autorités algériennes, mais il interdit les opérations de recherche et de secours menées sans leur accord pour éviter une reprise des hostilités.

3°) Le 25 septembre 1962, date de la réunion de l’Assemblée nationale constituante qui reçut les pouvoirs de l’Éxécutif provisoire et du GPRA, puis investit le lendemain un gouvernement présidé par Ahmed Ben Bella, aurait pu être le premier jour de la paix.

En effet, le gouvernement se montra soucieux de rétablir un minimum d’ordre et de sécurité pour éviter la désorganisation totale de l’administration et de l’économie du pays. La nouvelle Armée nationale populaire (ANP), réorganisée par le colonel Boumedienne, mena des opérations de recherche qui aboutirent à la libération d’une partie des Européens enlevés. Pourtant, le bilan officiel resta lourd : sur 3 018 personnes signalées disparues du 19 mars au 31 décembre 1962, 1 245 auraient été libérées [5], un autre bilan prolongé jusqu’au 30 avril 1963 fait état de 3 093 disparus, dont seulement 969 auraient été retrouvés vivants.

Quant aux représailles contre les harkis, la formation du gouvernement et l’organisation de l’ANP ne semblent pas y avoir mis fin dans un premier temps. Le 13 novembre 1962, l’ambassadeur de France remit une nouvelle protestation de son gouvernement contre la violation des garanties à la sécurité des personnes contenues dans les accords d’Évian : « Les violences à l’égard des anciens supplétifs de l’armée française n’ont pas cessé. Il ne se passe pas de jour que l’on ne relève en différents points du territoire algérien des arrestations, des tortures, des exécutions. D’après des informations dignes de foi, plus de 7 000 anciens harkis seraient actuellement détenus dans des camps d’internement dont les envoyés de la Croix-Rouge internationale ont pu récemment constater l’existence. Ils y subissent des traitements particulièrement odieux. A aucun moment le gouvernement algérien n’a formellement désavoué ces violences, ni donné, semble-t-il, aux autorités responsables des directives précises dans le sens de l’apaisement » [6]. À cette date, le nombre des victimes était évalué à plus de 10.000 morts, selon l’article de Jean Lacouture dans Le Monde du 13 novembre. Toutefois, après une recrudescence en novembre et décembre, les violences diminuèrent à partir de janvier 1963. Le 23 mai 1963, le général de Brébisson écrivait : « Le gouvernement algérien est intervenu [...] mais la plupart du temps il a encouragé ou laissé faire ». Enfin, le 3 juin 1963, Ahmed Ben Bella déclara : « Nous avons pardonné aux anciens harkis, leurs assassins seront arrêtés et exécutés » [7]. Toutefois, des milliers d’anciens harkis restèrent emprisonnés durant des années (25 000 en octobre 1964, 13 500 en 1965 selon le CICR). Une procédure de rapatriement, dont 1 333 anciens prisonniers libérés bénéficièrent, fonctionna de 1965 à 1970.

Ainsi, la guerre d’Algérie ne s’est pas terminée à une date précise que l’on pourrait commémorer en tenant pour négligeables les actes de violence postérieurs. Au contraire, on peut se demander sans exagération si cette guerre est bien finie, si ses braises sont bien éteintes.

En France, le désir de revanche est resté vivace chez certains des vaincus de la décolonisation, rapatriés, harkis ou anciens militaires de carrière. Mais ils n’ont pas l’appui de l’État ni de la masse de l’opinion publique ; leur seule perspective politique est une très hypothétique victoire du Front ou du Mouvement national, qui prétendent traiter les immigrés d’outre-mer comme ceux-ci auraient traité les colons français d’Algérie en 1962, par une sorte de fanonisme inversé.

En Algérie se manifeste un phénomène singulier : le revanchisme des vainqueurs. S’il est tout à fait normal et légitime que le nouvel État ait voulu commémorer l’héroïsme de ceux qui ont sacrifié leur vie pour l’indépendance de leur nation, il n’est pas normal que cette commémoration ait trop souvent pris la forme d’une propagande de guerre anti-française, démentant le discours diplomatique sur la coopération exemplaire entre les anciens adversaires. Ce caractère vindicatif apparaît dans la répétition d’exagérations ou de contrevérités flagrantes : les 45.000 morts du Constantinois en mai 1945, le « million et demi de martyrs » de la guerre de libération (alors que le Ministère algérien des Anciens Moudjahidine en a recensé dix fois moins), les accusations outrancières de « génocide » et de « crime contre l’humanité ». Un bon exemple se trouve dans les accusations récurrentes depuis une dizaine d’années, reprochant à la France d’avoir expérimenté sa première bombe atomique sur des prisonniers de guerre algériens, d’avoir utilisé la population saharienne comme cobayes des retombées alors que les civils français auraient été évacués, et même d’avoir voulu l’arme atomique pour « venir à bout de la Révolution algérienne » [8] !... Un tel « bourrage de crâne » prolonge manifestement la propagande de guerre du FLN, que Charles-Robert Ageron a jugée « sommaire, souvent maladroite et dangereusement mensongère » [9]. Les tentatives répétées de déposer des plaintes pour « crimes contre l’humanité » visant les responsables des répressions du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma, de la bataille d’Alger de 1957, et du 17 octobre 1961 à Paris, paraissent des manoeuvres tendant à tourner les clauses d’amnistie réciproque des accords d’Évian et à relancer la guerre d’Algérie sous la forme d’une guérilla judiciaire.

Cette volonté de relancer une guerre officiellement terminée semble traduire une insatisfaction devant une victoire incomplète. En mars 1988, trois anciens officiers de l’ALN (dont le colonel Benaouda, membre de la délégation algérienne à Évian) ont exhorté les Anciens Moudjahidine à se remobiliser « contre l’ennemi séculaire de notre peuple qui, vingt-cinq ans après l’indépendance, n’a pas encore abandonné l’espoir de nous soumettre à nouveau par Algériens interposés », [...]. « La France qui ne renoncera jamais à regagner une guerre qu’elle n’a perdu que militairement » (sic), « par l’intermédiaire d’anciens ou de nouveaux harkis, présents dans les rangs de l’État », car il existerait encore des Algériens « profondément français dans leur tête » [10].

Ce même thème de l’invasion culturelle et de la dépersonnalisation de l’Algérie par la France a été ensuite repris par le FIS, dont le leader Ali Benhadj déclarait : « Si mon père et ses frères ont expulsé physiquement la France oppressive de l’Algérie, moi je me consacre, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement et à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux » [11].

L’accusation de trahison au profit de la France est en même temps une arme de guerre idéologique entre Algériens et un obstacle à la démocratisation de l’Algérie.

Depuis 1992, les deux camps algériens en conflit ont également présenté leur combat comme une répétition de la guerre de libération de l’Algérie musulmane. Le FIS et ses groupes armés ont dénoncé les partisans du pouvoir militaire et les intellectuels francophones laïcistes comme « le parti de la France », ou les « nouveaux pieds-noirs ». Les tenants du pouvoir ont riposté en revendiquant le titre de « patriotes » et en identifiant les terroristes du GIA avec des « fils de harkis » poursuivant la vengeance de leurs pères. Ainsi, l’accusation de trahison au profit de l’étranger reste le meilleur moyen de disqualifier ses adversaires et de justifier leur extermination.

Cette conception de la politique assimilant toute divergence à une trahison est incompatible avec la démocratie. Comme l’a montré le politologue Lahouari Addi, le système politique algérien est fondé sur « le présupposé qu’entre Algériens il n’y a pas de conflits politiques. Il y a des conflits politiques entre Algériens et étrangers ou entre Algériens patriotes et Algériens traîtres. Ce type de conflit n’a pas à être institutionnalisé, car les traîtres sont à exterminer physiquement, à "éradiquer" ; d’où le caractère sanglant de la crise actuelle, qui oppose, pour les uns, les traîtres à la nation et, pour les autres, les traîtres à l’Islam qui définit la nation » [12].

Ainsi, il n’est pas exagéré de dire qu’en Algérie la guerre ne s’est pas terminée en 1962. Le système politique algérien s’est construit dans et par l’état de guerre contre la France. Depuis l’indépendance, il n’a pas su ou pas voulu tourner la page de la guerre, pour éviter la remise en question de la légitimité d’un pouvoir qui postule l’unanimité nationale et qui l’impose par la force en condamnant toute opposition comme une trahison. En ce sens, la guerre civile actuelle (qui paraît approcher de sa fin) est bien un prolongement ou une résurgence de la guerre nationale et civile de 1954-1962, figée par une commémoration abusive dans un éternel présent.

Le jour où l’Algérie décidera de refermer les portes de cette guerre, elle pourra espérer devenir enfin un pays libre et heureux.

Guy Pervillé

[1] La phase finale de la guerre d’Algérie, Université de Paris IV, 1997, pp. 351-354.

[2] Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. 1, Fayard 1994, pp. 121-122.

[3] Mohammed Harbi, Les Archives de la Révolution algérienne, Paris, Éditions Jeune Afrique 1981, pp. 340-342.

[4] Cf. le mémoire de DEA de Grégor Mathias, Enquête orale auprès des engagés et auxiliaires militaires français-musulmans de la guerre d’Algérie, Université de Provence 1998, pp. 124 et 137-138.

[5] Déclaration du secrétaire d’État Jean de Broglie au Sénat, 24-11-1964.

[6] Cité par C.-R. Ageron, « Le drame des harkis en 1962 », XXe siècle, n° 42, avril juin 1994, p. 5.

[7] M. Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, L’Harmattan 1995, pp. 206-207.

[8] Cf. la thèse de F. Médard, La présence militaire française en Algérie, 1953-1967, Université de Montpellier III 1999, p.p 1014-1018.

[9] La guerre d’Algérie et les Algériens, Armand Colin 1997, p. 259.

[10] Algérie-Actualités, n° 1172, 31 mars-6 avril 1988.

[11] Cité dans Le Monde, 14 octobre 1994, p. 1.

[12] Le Monde, 29 novembre 1995, p. 16.



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