Nouveaux comptes rendus publiés dans Historiens et géographes (2022-2023)

lundi 26 juin 2023.
 
Ces quatre comptes rendus ont été rédigés pour la revue Historiens et géographes.Le premier a été publié dans le n° 460, novembre 2022, pp 193-194 ; le deuxième dans le n° 461, février 20232, p 38, et les deux derniers dans le n° 462, mai 2023, pp 212-213 et 213-214.

COURREYE Charlotte, JOMIER Augustin, LACROIX Annick, Le Maghreb par les textes, XVIIIe-XXIe siècle . Paris, Armand Colin, collection U, août 2020, 328 p. Avec lexique, bibliographie, table des matières. ISBN : 978-2-200-62729-4.

Dû à trois jeunes historiens de la nouvelle génération, ayant déjà participé aux Mélanges offerts au regretté Omar Carlier en 2018 [1], ce livre est un manuel d’enseignement supérieur, et d’un très haut niveau. Inspiré du Moyen-Orient par les textes, d’Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil publié en 2011 par les mêmes éditions Armand Colin, il rassemble une centaine de documents, d’une très grande diversité à la fois par leurs auteurs, leurs langues (français ou traductions de l’arabe littéraire ou dialectal, ou des dialectes berbères) leurs thèmes et leurs dates. Chacun d’entre eux est précédé d’une introduction qui présente l’auteur, la nature de la source et son contexte précis, permettant au lecteur de comprendre les conditions de rédaction du texte et d’en cerner les principaux enjeux avant de se plonger dans sa lecture ; et il est suivi d’une sélection de références bibliographiques permettant d’en approfondir l’analyse. Ces textes sont répartis en deux grandes parties, la première présentant « le Maghreb politique » en quatre chapitres chronologiques, et la deuxième, thématique, en sept chapitres consacrés à la fabrication des identités de groupes (chapitre 5), aux sociétés urbaines (chapitre 6) , aux mobilités et migrations (chapitre 7), au travail et à l’économie (chapitre 8), aux religions et relations interconfessionnelles (chapitre 9), aux langues, arts et éducation (chapitre 10), et enfin aux sociétés en guerre ( (chapitre 11).

Comme l’indiquent les auteurs, « le Maghreb présenté ici ne se réduit donc ni à la guerre d’Algérie ni au moment colonial. Cet ouvrage en propose une histoire par le bas, largement sociale, économique et culturelle, du XVIIIe siècle jusqu’au mouvement de contestation (hirak) de 2019 en Algérie. Ce décloisonnement chronologique permet d’abord de prendre la mesure des continuités avec la période moderne et de rappeler que les populations maghrébines n’ont pas attendu la prise d’Alger en 1830 pour échanger, circuler et administrer leurs territoires. Le moment colonial est lui-même l’objet de renouvellements historiographiques, que nous avons cherchés à mettre en avant. De même, alors que la demande sociale est forte au Maghreb pour dresser un inventaire historique des indépendances, les travaux de recherche manquent encore sur la seconde moitié du XXe siècle. De nombreuses sources existent pourtant sur cette période et méritent d’être mises en valeur : rapports d’ONG, témoignages, littérature et chansons, productions audiovisuelles... ».

Ainsi, ce très riche manuel est aussi un manifeste d’une histoire postcoloniale et post-orientaliste en plein renouvellement, qui mérite d’être connu et utilisé par tous ceux qui veulent mieux comprendre le Maghreb contemporain.

Guy Pervillé

GAZEAU-GODDET Véronique, et QUEMENEUR Tramor, Mourir à Sakiet. Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie. Paris, PUF, mars 2022, 395 p. Avec annexes, glossaire, sources et bibliographie, remerciements, et plusieurs photographies et plans dans le texte.

ISBN : 978-2-13-083571-4

Ce livre est un exemple particulièrement réussi de « micro-histoire », fruit d’une enquête particulièrement minutieuse consacrée à l’un des morts de la guerre d’Algérie, l’aspirant Bernard Goddet tué dans une embuscade à la frontière algéro-tunisienne le 11 janvier 1958, par l’aînée de ses nièces, historienne médiéviste, après 45 ans de silence familial complet. Ce travail est organisé en quatre parties. La première présente « Bernard Goddet, un jeune chrétien dans la guerre », à partir des lettres envoyées par celui-ci à sa famille et à des amis qui sont reproduites intégralement dans la deuxième partie. La troisième, intitulée « récits croisés de l’embuscade », est une enquête extrêmement fouillée, fondée sur une analyse critique de toute la documentation disponible dans la presse et les archives, complétées par de nombreuses interviews de témoins. Elle permet de mettre en évidence les responsabilités du supérieur de Bernard Goddet, le capitaine Allard, qui emmena sa section vers la frontière tunisienne sans prendre les précautions nécessaires en croyant tendre une embuscade aux « rebelles », et qui tomba lui-même dans une embuscade beaucoup mieux préparée par une unité de l’ALN beaucoup plus nombreuse, perdant ainsi quinze tués et quatre prisonniers (qui furent libérés par le FLN quelques mois plus tard). Elle démontre aussi que, si tous les blessés furent impitoyablement achevés, il n’y eut pas de mutilations sexuelles systématiques.

Enfin l’historien de la guerre d’Algérie Tramor Quemeneur, dans une dernière partie, tire les conclusions de cette longue enquête. Il montre que Bernard Goddet, né dans une famille bourgeoise et catholique, ancien élève de HEC tenté par la philosophie, ne manquait pas d’esprit critique puisqu’il lisait assidument Le Monde et L’Express pour s’informer, et manifestait ses doutes sur l’issue de la guerre. Il compare son cas à celui de Jean Le Meur, qui après mai 1958 rompit avec la discipline militaire et refusa de combattre les Algériens, et se demande si Bernard Goddet aurait pu suivre une évolution analogue. Mais la différence tient peut-être dans le fait que celui-ci avait conservé des relations de confiance envers ses supérieurs, et que ceux-ci ne pratiquaient pas la torture, même s’il en avait été témoin ailleurs. La longue lettre de son ancien instructeur au camp de Cherchell, le lieutenant Vassart, lui proposant des emplois du Cinquième bureau (action psychologique), ou d’officier de renseignement (tout en condamnant formellement la torture) ou dans les SAS (pp 369-372), peut expliquer ses hésitations. D’autre part, sa brève expérience militaire ne lui a pas laissé le temps de vivre pleinement la bataille de la frontière tunisienne qui a commencé précisément près de Sakiet par l’embuscade du 11 janvier 1958, et qui a conduit le 8 février au bombardement du village tunisien voisin par l’aviation française, provoquant ainsi la rupture franco-tunisienne et la médiation anglo-américaine des « bons offices », puis indirectement la chute de la IVème République et le retour du général de Gaulle.

Guy Pervillé

HOUSE Jim, et MAC MASTER Neil, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire . Réédition Gallimard, août 2021, 753 p. Avec une nouvelle préface, une postface de Mohammed Harbi, et une actualisation bibliographique 2006-2021. ISBN : 978-2-07-293190-1.

Le livre des deux historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, publié pour la première fois en anglais en 2006 et en français en 2008, est un travail très fouillé, fondé sur une riche bibliographie et doté de notes abondantes, considéré comme un classique des livres consacrés à la répression du 17 octobre 1961. Ses auteurs n’ont pourtant pas réussi à arbitrer comme ils l’espéraient le débat houleux opposant le militant anticolonialiste Jean-Luc Einaudi - soutenu par Pierre Vidal Naquet - et l’historien universitaire Jean-Paul Brunet, sur la question du bilan statistique de la répression, le premier l’estimant à un total « maximaliste » de 325 morts et disparus « très probables » en plusieurs mois alors que le second se prononçait d’après les archives pour une estimation « minimaliste » de 30 à 50 morts en quelques jours. Leur proposition d’en évaluer l’ordre de grandeur en comptabilisant sur un graphique les écarts à la moyenne des nombres d’Algériens victimes de morts violentes à Paris et dans sa banlieue en 1961, concluant que « le chiffre de 108 à 121 morts reflète quasi intégralement les violences policières », n’a pas été agréée par Jean-Paul Brunet. Dans deux réponses détaillées adressées en 2008 au Cambridge Historical Journal et à la revue Commentaire, celui-ci a sévèrement critiqué leur méthode et leur a reproché d’avoir gardé « un silence total sur une source capitale que j’ai abondamment utilisée et discutée, les dossiers de procédure de la police judiciaire », en invoquant leur surabondance, ce qui n’aurait pas dû leur permettre de « faire comme si la source n’existait pas ».

Pour ma part, j’avais exprimé à deux reprises mes impressions dans un échange de vues avec Gilbert Meynier en 2007 [2], puis en 2018 dans le chapitre historiographique consacré au 17 octobre 1961 de mon livre Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire (pp 312-322). D’après les deux auteurs, « l’extrême violence anti-algérienne qui se déchaîna au cours des mois de septembre et d’octobre 1961 était moins le symptôme de quelques francs-tireurs incontrôlables au sein des forces de police que l’instrument d’une politique élaborée par le gouvernement ». Je leur ai répondu ainsi : « L’analyse des deux historiens ne manque pas d’intérêt, mais elle laisse néanmoins une impression de manichéisme excessif, attribuant les mauvais rôles à un De Gaulle manipulateur et à un Debré manipulé. Dans le cas de ce dernier au moins, leur bibliographie est manifestement insuffisante », et elle l’est restée dans cette nouvelle édition, puisqu’on n’y trouve aucun des écrits de Michel Debré. Or celui-ci avait plusieurs fois exposé sa relation difficile avec le général de Gaulle dans le règlement douloureux de l’affaire algérienne, et il est donc regrettable que les deux historiens se contentent de le caricaturer comme un « farouche partisan de l’Algérie française » sans tenir compte du fait qu’il avait dissuadé le Général de démissionner après l’échec de l’affaire Si Salah durant l’été 1960, et fermement résisté au putsch des généraux en avril 1961. Voulant être aussi fidèle à De Gaulle qu’à l’Algérie française, il a souffert un déchirement qu’il n’avait pas prévu, mais il est resté à son poste de Premier ministre jusqu’au bout et il a donné son accord à la solution négociée avec le FLN qu’il n’avait pas souhaitée, non sans ressentir profondément ses conséquences tragiques. Répondant aux questions de la regrettée Odile Rudelle pour contribuer aux archives orales de Sciences-Po, il lui déclara : « J’ai perdu mon honneur ».

Les deux auteurs ne reprennent pourtant pas à leur compte l’explication de la violente répression du 17 octobre 1961 comme une tentative de saboter la reprise des négociations avec le FLN, qui a été formulée par Jean-Luc Einaudi avec l’approbation de Pierre Vidal-Naquet et de Gilles Manceron. Celle-ci n’est en effet pas convaincante parce qu’elle suppose connue à l’avance la conclusion des accords d’Evian cinq mois plus tard, et elle oublie de prendre également en compte l’offensive déclenchée par le FLN contre la police parisienne depuis le 25 août 1961 jusqu’à la veille du 17 octobre - qui est mentionnée à plusieurs reprises par les deux auteurs, et dont l’importance a déjà été soulignée par un ancien compagnon de route de Pierre Vidal-Naquet, Paul Thibaud : « A propos du 17 octobre 1961 (...), on n’a guère souligné la responsabilité du FLN. Le gouvernement français venait de décréter une trêve unilatérale des offensives en Algérie ; De Gaulle, par une concession essentielle sur le Sahara, venait de relancer la négociation. Il était donc absurde de déclencher en France la campagne d’attentats contre les policiers qui fut à l’origine du couvre-feu de Papon et de la manifestation du 17 octobre. Cette erreur du FLN n’excuse en rien les crimes commis contre les Algériens. Mais elle montre que les victimes ne sont pas toujours sans reproche » [3]. Comme le dit fort bien Mohammed Harbi dans sa postface au livre de Jim House et Neil Mac Master (p 537) : « tout n’a pas été dit sur l’explosion de la violence en octobre 1961. Si la part de responsabilité la plus importante en incombe à l’Etat français, la dynamique répressive de ce dernier n’explique pas tout : ici, comme pour tout massacre, la chaîne de causalité se révèle complexe et remonte plus loin qu’il n’y paraît. En effet, il faudrait étudier l’histoire interne de la Fédération de France du FLN, notamment pour ce qui est de la responsabilité des cadres qui ont pris la décision de faire tirer sur les policiers avant octobre 1961 ».

De plus, la fille du ministre Louis Terrenoire, Marie-Odile Terrenoire, a publié en 2017 un livre important que les auteurs citent dans leur nouvelle préface et dans la bibliographie complémentaire sans le commenter : Voyage intime au milieu de mémoires à vif, le 17 octobre 1961 [4], écrit en utilisant le journal et les notes de son père, alors porte-parole du gouvernement. Bien que restée fidèle à son engagement gauchiste, elle a trouvé dans sa piété filiale la force de suivre une démarche vraiment historique et de réfuter les conclusions de Jim House et Neil Mac Master : « Pourtant, après avoir lu avec beaucoup d’attention les 538 pages de leur livre, je pense qu’ils n’apportent pas la preuve de ce qu’ils avancent. Autant Mac Master, qui a rédigé cette première partie du livre, est précis sur les exactions pour lesquelles il développe un corpus de notes important, autant il ne l’est pas sur ce qu’il suppose être des ordres. Ce sont des ordres tellement dissimulés que l’on ne retrouve pas la trace de ces ordres ». Et un peu plus loin : « Cette attitude soupçonneuse présente le pouvoir politique comme ‘un et indivisible’, alors qu’il était divisé, tout comme l’ensemble du pays et les grands corps de l’Etat, la police et l’armée. Tout en constatant (...) que de Gaulle, ‘souhaitant récupérer les pouvoirs de police que l’armée s’était octroyée en Algérie, ne s’intéressait que de très loin à la militarisation par Papon de la police parisienne’, Mac Master développe la vision d’un pouvoir gérant tout à distance et en secret pour commettre ‘des meurtres illégaux’ afin d’asseoir sa puissance » (p 52).

Et les notes de Louis Terrenoire permettent de comprendre la position complexe du Général, qui reconnaît la violence excessive de la répression sans aller jusqu’à la condamner fermement :

« De Gaulle : Après intervention Sudreau, Buron : « Il y a la commission de sauvegarde ».

1) Pas possible d’admettre qu’ils soient maîtres de la rue. (...)

2) Police donc inévitable qu’il y ait des coups.

3) Sanctionner les coupables. Il est étonnant qu’il n’y ait pas eu davantage de ‘vengeance’.

4) Il faudra régler à fond cette affaire. Fiction qu’ils sont des Français - conditions de sa présence - masse étrangère.

De Gaulle : Sur la question des exécutions. J’ai suspendu depuis que nous avons commencé les négociations avec le FLN. Si elles n’aboutissent très vite à la fin des attentats, les exécutions seront reprises » [5].

Enfin, le journaliste Fabrice Arfi a publié sur le site de Médiapart le 6 juin 2022 « les preuves que le général de Gaulle savait », trouvées dans les archives de la Présidence de la République, sous la cote AG/5(1)/1766. Trois notes du conseiller de l’Elysée Bernard Tricot révèlent que, dès le 28 octobre, le général de Gaulle avait été informé du véritable bilan de la répression (« Il y aurait 54 morts »), et que le 6 novembre il avait répondu à une demande de sanctions : « 1) Il faut faire la lumière et poursuivre les coupables. 2) Il faut que le ministre de l’intérieur prenne vis-à-vis de la police une attitude d’’autorité’ qu’il ne prend pas, et qui, d’ailleurs, n’exclut nullement, bien au contraire, la ‘protection’ ». Mais ces sanctions ne furent jamais prises, et à partir du 9 novembre 1961 la reprise des négociations secrètes avec le GPRA redevint la priorité absolue.

Il faut donc lire ce livre, mais en tenant compte des faits nouveaux que je viens de résumer.

Guy Pervillé

AKBAL Mehenni, Archives algériennes de la France coloniale. Contribution à l’évaluation de l’administration centrale. Préfaces de Jean-Charles Jauffret et Abdelkrim Abdoun. Paris, L’Harmattan, 2022, 273 p. ISBN : 978-2-14-025662-2

Ce livre est l’œuvre d’un historien et archiviste algérien, professeur à l’Université d’Alger 2 (campus de Bouzaréah) qui poursuit depuis plusieurs années une présentation méthodique et critique de l’ensemble des archives algériennes de la France coloniale à travers plusieurs livres, dont celui-ci est le cinquième. Tous ceux qui ont besoin d’utiliser les archives de l’Algérie coloniale pour une recherche, qu’elle relève de la grande ou de la petite histoire ou de toute autre motivation légitime, ont intérêt à connaître et à utiliser cette série : 1- Archives algériennes de la France coloniale, doit-on en avoir peur ? préface de Rachid Mokhtari, Alger, Hibr Editions, 2014, 127 p. 2- Archives algériennes de la France coloniale, qui en sont les producteurs ? esquisse d’un texte complémentaire à un essai, préface de Marie-France Blanquet, Tizi-Ouzou, L’Odyssée, 2017, 147 p. 3- Archives algériennes de la France coloniale, réflexions sur la valeur de l’administration coloniale, préface de Marie-France Blanquet et de Fouad Soufi, Paris, l’Harmattan, 2019, 225 p. 4- Archives algériennes de la France coloniale, note sur la valeur de l’administration départementale et des services préfectoraux, préface de Jean-Charles Jauffret, Paris, l’Harmattan, 2021, 261 p. Il s’agit donc d’une œuvre méthodiquement construite, qui promet d’être un instrument de travail indispensable.

Mais cette œuvre est aussi une réponse aux polémiques qui troublent depuis de longues années les relations franco-algériennes à propos du sort des archives de l’Algérie coloniale. Celles-ci ont été arbitrairement partages en 1962 en deux parties : les archives dites « de souveraineté » qui ont été rapatriées en France, et les archives dites d’intérêt local qui ont été laissées sur place. Ce partage s’est fait dans la hâte, et l’on comprend qu’il ait comporte une grande part d’arbitraire, mais l’on peut s’étonner que l’Etat algérien puisse revendiquer aujourd’hui des archives produites par des administrations françaises au nom de l’Etat français. Revendication dont les motivations politiques ont pu sembler fondées sur une volonté revancharde de trouver des preuves permettant d’incriminer des individus ou des familles coupables de collaboration avec l’ennemi. L’auteur dit (pp 20-21) poursuivre un double objectif : « d’une part, nuancer le discours des tenants de l’idée suivant laquelle les contenus de ces archives sont compromettants et susceptibles de toucher à la sécurité (et à l’honneur) des personnes et des familles et, d’autre part, plaider pour l’investissement d’une nouvelle voie de recherche, celle d‘une psycho-sociologie des productions documentaires et paperassières », ce qui peut sembler trop allusif.

Deux citations permettent d’y voir plus clair. L’auteur de la deuxième préface, Abdelkrim Abdoun, reconnait (p 13) que, si « l’enjeu de cette documentation (archivistique) n’est pas seulement historique, il est politique, voire simplement citoyen », mais que « cet enjeu pourtant avait échappé à la délégation algérienne qui avait négocié les accords d’Evian. L’objectif à ce moment était l’indépendance et l’intégrité territoriale. L’on s’est rendu compte par la suite que les archives étaient bien une part importante de la souveraineté retrouvée ». Mais le discours nationaliste présentait alors l’Etat algérien à recréer comme la résurrection de l’Etat algérien supprimé par la France le 5 juillet 1830 après la longue parenthèse coloniale. D’autre part, à la page 265, l’auteur distingue clairement, parmi les archives algériennes de la colonisation française, trois catégories : « 1- Les archives ministérielles », qui « ne font pas partie de ce que réclame l’Algérie. Ce sont des documents produits en France par des ministères ayant connu d’une façon marginale ou modique des affaires algériennes qui ne peuvent pas faire l’objet de réclamations de la part de l’Etat algérien (...). 2- les archives du gouvernement général de l’Algérie. 3- les archives des différents départements de l’Algérie. Ce que réclame l’Etat algérien est constitué des archives produites et/ou reçues par les administrations coloniales et les institutions et établissements qui en dépendent, de 1830 à 1962 et qui ont été transférées en France entre 1961 et 1962 ».

Cette distinction simple n’est pas entièrement convaincante, car une grande partie de ces archives « algériennes » intéressent autant les Français venus d’Algérie que les Algériens. Mais l’essentiel est que ces archives indispensables à l’histoire de l’Algérie actuelle soient considérées comme un héritage indispensable à l’histoire complète du pays et non pas comme un simple « butin de guerre ». C’est sur cette base qu’une solution acceptable par les deux parties peut être recherchée.

Guy Pervillé

[1] Voir les textes édités par CORRIOU Morgan et OUALDI M’hamed, Une histoire sociale et culturelle du politique en Algérie et au Maghreb . Etudes offertes à Omar Carlier. Paris, Editions de la Sorbonne, juillet 2018, 531 p, ISBN : 979-10-351-0077-3, 35 euros.

[2] Voir sur mon site : « A propos du livre de Jim House et Neil Mac Master » : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=384).

[3] Voir sur mon site « Interview sur le 17 octobre 1961, 60 ans après », http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=476 .

[4] Voir sur mon site : « A propos d’un nouveau livre sur le 17 octobre 1961 » (2017) http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=416 .

[5] De Gaulle en conseil des ministres, op.cit., p 428.



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