Prologue : "Quatorze juillet 1939. Alger célèbre, au diapason de Paris, le cent-cinquantième anniversaire de la Révolution française et l’unité de l’Empire qui élargit la métropole aux dimensions d’une "plus grande France" de cent millions d’habitants, capable d’affronter l’épreuve d’une Seconde Guerre mondiale imminente.
Dimanche 1er juillet 1962. Sans attendre la proclamation des résultats du référendum d’autodétermination de l’Algérie, Alger se couvre d’une marée humaine qui agite dans une joie indescriptible des drapeaux vert et blanc frappés de l’étoile et du croissant rouges. Les Français, encore présents dans la ville, même ceux qui sont allés voter, se terrent chez eux. Deux jours plus tard, Charles de Gaulle tire la conséquence de ce vote, plus de 99% de oui, en reconnaissant l’indépendance de l’Algérie par un message adressé au président de l’exécutif provisoire algérien, Abderrahamane Farès. Ce même jour, le président du GPRA, Ben Khedda, fait une entrée triomphale dans la ville capitale de l’Algérie comme de Gaulle quatre ans et un mois plus tôt ! Plus que symboliquement, pourtant, l’Algérie choisit de commémorer son indépendance le 5 juillet, cent-trente deux ans jour pour jour après la capitulation du dey d’Alger devant les troupes françaises en 1830.
Dans les semaines et les mois suivants, l’anarchie et l’insécurité, qui se généralisent, accélèrent la fuite de presque tous les Français encore présents à Alger et dans le reste du pays. L’Algérie nouvelle naît dans le désordre et la violence, comme l’Algérie française cent-trente deux ans auparavant.
Entre 1939 et 1962, l’histoire de cette ville s’est profondément accélérée suivant deux évolutions contradictoires. D’un côté, Alger s’est affirmée comme une grande ville française, rivale potentielle de Paris depuis la Seconde Guerre mondiale. Capitale virtuelle d’une France résistante en juin 1940, puis place forte du vichysme en Afrique, théâtre d’événements décisifs pour la suite de la guerre le 8 novembre 1942, et enfin vraie capitale de la France combattante rassemblée par le CFLN et le GPRF de juin 1943 à août 1944. Dix ans après la victoire, de 1956 à 1962, Alger s’efforce d’imposer à Paris sa volonté de rester à jamaise française par une succession de vaines confrontations , exploitées par des forces politiques visant la prise du pouvoir en métropole. Le triomphe apparent de mai 1958 condamne irrévocablement la ville française d’Alger.
D’un autre côté, il est vrai, Alger est devenue de moins en moins française. Depuis les premiers temps de la conquête, c’était "une ville double" vivant une "double vie", suivant l’expression de Larbi Icheboudène. Mais un siècle plus tard, sa population européenne y était encore largement majoritaire. Désormais, l’accroissement accéléré de la population "indigène" ou "musulmane" remet en question cette majorité qui s’inverse dès le recensement de 1954 dans l’ensemble de l’agglomération, et plus tard dans la commune même d’Alger. Cette période est caractérisée par une reconquête, d’abord discrète puis spectaculaire, qui s’achève brutalement en 1962, quand l’exode massif des Algérois français rend la ville aux descendants de ses premiers habitants et aux "Algériens" de l’intérieur."(...)
Revue de presse :
« Il y a comme une amnésie autour de l’Algérie d’avant 1962, qu’elle ait été organisée par l’Etat algérien ou qu’elle soit objective en France, toute la recherche s’étant concentrée, par une sorte de refoulement, sur "l’étude du fait national algérien". Sous la direction de Jean-Jacques Jordi, Jean-Louis Planche et Guy Pervillé, les auteurs de ces deux numéros de l’excellent collection "Mémoires" ont donc reconstitué quelques pans de l’histoire de l’Algérie française à travers celle d’Alger. (...) Pour les auteurs, l’étude de cette période française est importante, y compris pour les Algérois d’aujourd’hui : car le passé français est toujours présent dans le paysage, et, "dans ce décor à peine transformé, de nouveaux acteurs ont joué une nouvelle pièce qui rappelle, depuis 1988 ou 1992, les tragiques événements de 1954 à 1962. »
Antoine de Gaudemar, in Libération , 15 avril 1999.
« Le deuxième volume (..) est d’une tonalité plus politique : il traite d’une phase d’accélération de l’histoire, en épilogue tragique du séculaire conflit franco-algérien. (...) Le deuxième volume est précédé d’un prologue ferme, qui annonce franchement la couleur : les Algérois, ce sont les Européens. (...) Le gros du volume est occupé par les six articles politiques de G. Pervillé sur la fin de l’Alger français, qui débordent à vrai dire le titre de l’ouvrage, et qui sont pratiquement une fin de l’Algérie française (42% du texte). Ces pages illustrent les habituelles qualités de cet auteur : le sérieux, l’exhaustivité de la documentation, le recoupement des sources, la confrontation des témoignages et des interprétations.
Pour autant, les textes factuellement solides de Pervillé offrent surtout au lecteur une chaîne récitative - de grande qualité et de grande probité, répétons-le. Pervillé a montré dans sa thèse, et dans ses admirables contributions à l’Annuaire de l’Afrique du Nord, qu’il était hautement à même de mettre en oeuvre des idées. Ici, il nous convie à davantage de faits que d’idées. (...) Pour le reste, on contestera ici quelques formules et interprétations (...).
Tous les faits cités dans la plupart des contributions à ces deux volumes, tant par G. Pervillé que par les autres auteurs sont , on l’a dit, vérifiés avec minutie. Et Dieu sait si , de faits, ces volumes sont riches. Il faut le signaler en un temps où il n’est pas rare de voir torturer les faits pour les ajuster à la mesure de l’idéologie, ce qui se confond d’ailleurs maintenant souvent avec la mesure du commerce. C’est dire que, même si le positivisme est le degré un de l’histoire, il est toujours indispensable de partir de ce degré. Ces deux volumes, contrairement à ce qu’on aurait peut-être pu redouter, ne rendent hommage au commerce que dans les limites bien comprises de l’honnête vulgarisation.
Ceci dit, pour la plupart, ils parlent d’un lieu, et ce lieu est français, nappé ici et là de fumets bénignement nostalgiques. Ce n’est pas un péché. Encore convient-il de le dire. »
Gilbert Meynier, in Naqd. Revue d’études et de critique sociale (Alger), n° 14/15, automne-hiver 2001, pp. 175-180.