Rappel d’un livre trop négligé : Les accords d’Evian (1962). Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (2014)

samedi 17 mai 2014.
 
Le livre que j’ai publié aux éditions Armand Colin il y aura bientôt deux ans, en septembre 2012, Les Accords d’Evian (1962), Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012) - voir sa présentation sur mon site - n’a pas attiré toute l’attention qu’à mon avis il méritait. Je remercie Roger Vétillard d’avoir contribué à le faire mieux connaître en publiant récemment cette interview sur le site Métamag.

Guy Pervillé a publié chez Armand Colin en 2012 un livre référence : Les Accords d’Evian (1962), Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012).

On ne présente plus l’auteur qui est un historien universitaire reconnu, spécialiste de l’histoire de l’Algérie et qui a déjà publié de nombreux ouvrages et notamment Pour une histoire de la Guerre d’Algérie (éditions Picard, 2002) et La France en Algérie (éditions Vendémiaire, 2012). Il a bien voulu répondre à nos questions.

-  Roger Vétillard : Les publications, ouvrages, articles, colloques qui s’intéressent aux Accords d’Evian sont nombreux. Mais votre livre est à mon sens le plus complet sur le sujet : vous parlez bien sûr des accords proprement dits mais vous replacez également cet événement dans son contexte historique et vous rappelez le déroulement des négociations qui ont commencé bien avant 1962. Et puis vous analysez leur application avant de parler de son devenir. Et en fait, le plus original dans votre travail c’est l’analyse que vous faites de ce qui s’est passé après le 18 mars 1962. Est-ce votre avis ?

-  Guy Pervillé : C’est bien mon avis, mais je souhaite ajouter quelques précisions sur l’élaboration et l’organisation de ce livre. Au départ, j’ai voulu mettre à jour le livret de La documentation française, collection « Les médias et l’événement », dans lequel j’avais présenté les accords d’Evian en 1992. Cette mise à jour impliquait un enrichissement considérable de mon texte initial en fonction des progrès de nos connaissances depuis vingt ans, sur la période des négociations entre le gouvernement français et le FLN de 1961 à 1962, et davantage encore sur l’émergence en France de l’idée de régler le problème algérien par une négociation avec les nationalistes après le 1er novembre 1954. Mais surtout, la grande innovation de ce livre est la troisième partie, dans laquelle je me suis attaché à suivre aussi précisément que possible les relations franco-algériennes sur un demi siècle, de 1962 à 2012. Celle-ci est sans aucun doute la plus neuve, et il suffit pour s’en convaincre de la comparer avec le dernier chapitre du livre le plus important publié en 2012 sur un sujet analogue, celui de Chantal Morelle : Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie (Bruxelles, André Versailles éditeur) intitulé « Que reste-t-il des accords d’Evian ? Interprétation et mémoire ».

-  RV : La question que beaucoup se posent à propos de ces accords est celle de leur validité au plan international. Les textes entérinés par la France et le GPRA sont différents, le FLN lors du Congrès de Tripoli n’a pas suivi son gouvernement, Ben Bella le futur premier Président de la République Algérienne a même parlé de « plate-forme néo-colonialiste ». La signature de Krim Belkacem est contestée. Les accords d’Evian sont-ils opposables au Gouvernement Algérien ?

-  GP : Ce n’est pas tout à fait exact. Il existe bien un texte unique des accords d’Evian, signé et paraphé par les deux parties (du côté français, les trois ministres Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie, du côté FLN le vice-président du GPRA Belkacem Krim) le 18 mars 1962. Ce texte a été enregistré par le secrétariat général de l’ONU le 24 août 1964 et y est conservé depuis. Il a été publié intégralement en annexe du livre de Redha Malek, L’Algérie à Evian, paru en 1995, puis sous forme de fac simile dans le recueil d’archives publié par Maurice Vaisse en 2003 aux éditions Bruylant (Bruxelles) sous le titre Vers la paix en Algérie ? Les négociations d’Evian dans les archives diplomatiques françaises. Mais le fait est que les deux parties ont publié ces accords, en tout ou en partie, sous des formes différentes. La principale différence étant que le gouvernement français les a publiés sous la forme de « déclarations gouvernementales » n’engageant apparemment que lui, puisqu’il ne voulait pas reconnaître officiellement le « Gouvernement provisoire de la République algérienne » comme tel, alors que le GPRA leur a donné la forme d’un traité international engageant deux gouvernements. Mais - deuxième paradoxe - ledit GPRA, qui avait tenu à donner à ces accords, par la signature et les paraphes de Belkacem Krim, ce caractère d’un traité international, les a secrètement désavoués en laissant adopter à l’unanimité par le Conseil national de la Révolution algérienne siégeant à Tripoli en mai-juin 1962 un programme du FLN, rédigé notamment par Ahmed Ben Bella, qui condamnait les accords d’Evian comme une « plateforme néo-colonialiste ». Ce qui ne l’empêcha pas - troisième paradoxe - de faire ratifier ces accords par le peuple algérien le 1er juillet 1962.

-  RV : Il est vrai que ces accords n’ont pas été appliqués à la lettre et probablement plus encore. Vous parlez même de «  contournement de ces accords par le FLN  ». Plus précisément qu’entendez-vous par là ?

-  GP : Le gouvernement français a fait tout son possible pour appliquer les accords d’Evian en venant à bout de l’OAS qui les rejetait, et en transmettant ses responsabilités à l’Exécutif provisoire algérien prévu par les accords d’Evian à partir du 3 juillet 1962, jusqu’à ce qu’il transmette ses pouvoirs à un gouvernement investi par une assemblée constituante algérienne démocratiquement élue. Mais de son côté le FLN les a appliqués d’une manière de plus en plus discutable. En effet, les articles du cessez-le-feu du 19 mars qui prévoyaient que les forces de l’ALN resteraient enfermées dans leurs zones de stationnement et ne pourraient en sortir que sans armes n’ont jamais été respectés, et ce sont les forces françaises qui leur ont abandonné le terrain. Puis, à partir du 17 avril 1962, dans le but de venir à bout de l’OAS, l’ALN a déclenché une offensive de « terrorisme silencieux » consistant à enlever plus de 3.000 civils européens dont plus de la moitié ont disparu à jamais, ce qui a eu pour effet de provoque la fuite massive de la population civile française d’Algérie, privant ainsi les accords d’Evian de l’essentiel de leur contenu. Et enfin, à partir de la proclamation de l’indépendance, la multiplication des arrestations, emprisonnements et supplices infligés à des « harkis », dans le cadre d’une lutte pour le pouvoir opposant la coalition Ben Bella-Boumedienne à ce qui restait du GPRA, a détruit ce qui était le fondement des accords d’Evian, à savoir les clauses d’amnistie générale pour toutes les opinions exprimées et pour tous les actes commis avant le cessez-le-feu. Dès lors, il ne restait plus des accords d’Evian qu’un assortiment de clauses diverses, que le gouvernement algérien accepterait de respecter dans la mesure où il leur trouverait encore un avantage momentané, jusqu’au moment où il se sentirait capable de les abroger. Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que ceux qui avaient négocié les accords d’Evian furent écartés du pouvoir et remplacés par ceux qui avaient été les premiers à s’y opposer. Ben Bella, l’un des principaux auteurs du programme de Tripoli, qui est arrivé à la tête du gouvernement algérien en septembre 1962, s’était entendu dans sa prison, dès 1961, avec le colonel Boumedienne, chef de l’état-major de l’ALN, qui intriguait déjà contre l’autorité du GPRA ; et lors de la session du CNRA qui avait ratifié les accords préalables des Rousses (février 1962) et autorisé le GPRA à les compléter par la conférence finale d’Evian, les trois représentants de l’EMG et le colonel de la wilaya V (Oranie) avaient voté contre la ratification. Il n’est donc pas étonnant que les accords d’Evian, sans avoir jamais été publiquement désavoués par les autorités algériennes, n’aient pas été mieux respectés qu’un simple « chiffon de papier ».

-  RV : Enfin, vous consacrez 4 chapitres aux relations franco-algériennes de 1962 à 2012. Votre analyse mérite d’être explicitée en quelques phrases quand vous écrivez : « on peut supposer que si les accords d’Evian avaient été vraiment compris et acceptés en 1962 [par l’Algérie], ... le peuple algérien n’aurait peut-être pas vécu 30 ans plus tard le même scénario. »

-  GP : Cette troisième partie retrace en détail un demi siècle de relations entre la France et le nouvel Etat algérien, caractérisé par une alternance de tensions, de crises et de rapprochements qui n’ont jamais pu aboutir, jusqu’à présent, à une réconciliation durable, comparable à celle qui s’est concrétisée depuis 1963 dans le traité d’amitié franco-allemand. Et elle tente d’expliquer cet échec en montrant que les autorités algériennes ont essayé à plusieurs reprises - notamment depuis la guerre civile algérienne des années 1990 - d’influencer l’opinion publique française divisée par une « guerre des mémoires », afin d’obtenir un soutien inconditionnel du gouvernement français au moyen d’une revendication de repentance adressée à la France pour tous les crimes qu’elle aurait commis contre le peuple algérien de 1830 à 1962. Ma conclusion, à laquelle vous faites allusion, signifie que le gouvernement algérien fait fausse route en voulant se décharger sur la France de toutes ses responsabilités dans les malheurs de l’Algérie comme s’il n’en avait aucune, pour faire oublier au peuple algérien les mauvais souvenirs de la guerre civile qu’il a lui-même présentée comme une répétition de la guerre de libération nationale. La récente attaque des installations pétrolières algériennes d’In Amenas, en janvier 2013, par un groupe islamiste d’origine algérienne voulant punir le gouvernement algérien d’avoir accepté l’intervention française au Mali, prouve bien l’incohérence de la politique mémorielle algérienne.



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