Pour l’historien que vous êtes, spécialiste de la guerre d’Algérie, que représente pour vous ce geste d’Emmanuel Macron ?

C’est l’achèvement d’un processus engagé par son prédécesseur François Hollande lorsqu’il a reconnu que la version officielle de l’évasion de Maurice Audin était fausse et que sa mort en détention avait été le fait des militaires qui le détenaient, bref que l’ancienne version officielle était un mensonge. Emmanuel Macron achève donc aujourd’hui ce processus logique de reconnaissance.
Cette reconnaissance officielle de la mort de Maurice Audin peut-elle faciliter la « pacification des mémoires » et le travail sur la vérité historique, des deux côtés de la Méditerranée ?

La reconnaissance de la vérité est indiscutablement légitime dans cette tragique affaire. Mais cette démarche comporte néanmoins un risque considérable quant aux mémoires antagonistes sur la guerre d’Algérie.
Lequel ?

L’affaire Audin a fini par occulter tout le contexte dans lequel elle s’était produite : la bataille d’Alger, avec tous les enjeux qu’elle impliquait de part et d’autre. Or ce qui se passait à Alger en 1957 était un affrontement entre une entreprise terroriste menée par le FLN au nom de la libération nationale et s’en prenant de plus en plus aux populations civiles d’une part, et l’Armée dotée des pleins pouvoirs par le gouvernement français pour arrêter le bain de sang d’autre part. Le cas de Maurice Audin, victime du violent anticommunisme des militaires qui venaient de faire l’Indochine et qui n’imaginaient pas le FLN capable d’organiser de tels attentats, lesquels, pour eux, ne pouvaient être que le fait des communistes, doit donc être replacé dans une perspective historique beaucoup plus complexe et nuancée que celui de la seule « victime innocente », si l’on veut établir une réalité historique acceptable par tous. Il ne faudrait pas, par exemple, que cette avancée soit traduite par Alger comme allant dans le sens de cette « repentance » demandée à la France depuis des années.
Néanmoins, pourrait-on voir, en retour, des avancées sur la question des disparus civils européens, enlevés par le FLN en Algérie ?

On peut l’espérer, mais jusqu’ici le pouvoir algérien n’a rien laissé paraître qui puisse aller dans ce sens.