Interview parue dans le Dauphiné libéré et l’Est républicain (2025)

samedi 19 avril 2025.
 
J’ai été interviewé hier par la journaliste Elodie Bécu, qui travaille pour Le Dauphiné libéré (https://www.ledauphine.com/politique/2025/04/19/guy-perville-on-a-tendance-a-oublier-que-les-tensions-franco-algeriennes-sont-anciennes ), L’Est républicain (https://www.estrepublicain.fr/politique/2025/04/19/guy-perville-on-a-tendance-a-oublier-que-les-tensions-franco-algeriennes-sont-anciennes) et une dizaine de quotidiens régionaux de l’Est de la France. Je la remercie d’avoir su résumer fidèlement mes propos.

Cette semaine, le relations entre la France et l’Algérie ont connu une nouvelle poussée de fièvre. Avons-nous atteint un niveau de tension inédit entre les deux pays ?

On a tendance à oublier que les tensions franco-algériennes sont anciennes, et que les précédentes n’en ont pas moins été graves. Et ce dès 1962, en lien avec l’application des accords d’Evian. La tension a monté au point qu’en novembre, le général de Gaulle s’est posé la question de rompre toute relation avec le pouvoir algérien.

A partir de ce moment, la France a compris très vite qu’elle ne pouvait pas défendre les intérêts des Français d’Algérie. Mais elle a essayé d’obtenir la sauvegarde la plus longue possible des intérêts économiques français et surtout des intérêts pétroliers et stratégiques, c’est-à-dire l’exploitation par la France du pétrole et du gaz du Sahara, ainsi que le maintien des centres secrets pour les armes biologiques et chimiques au Sahara. Cette crise était la plus grave de toutes celles qui ont marqué la relation franco-algérienne.

Quelles ont été les autres ?

En février 1971, l’Algérie a mis un terme aux accords d’Evian en nationalisant le pétrole et le gaz du Sahara. Cette crise n’a pas duré longtemps parce que le gouvernement de Georges Pompidou a accepté le fait accompli contre une indemnisation des compagnies pétrolières françaises. Une autre, plus importante s’est nouée en 1975 autour de la question du Sahara, quand la France a soutenu les revendications du Maroc sur le Sahara espagnol. Les relations franco-algériennes ont été très tendues entre 1975 et 1978, date de la mort du colonel Boumediene.

La question du Sahara et du Maroc se retrouve aussi au cœur des tensions actuelles. Quelles sont les autres racines de la tension actuelle entre la France et l’Algérie ?

La mémoire de la guerre d’Algérie, tout à fait différente dans les deux pays, est au cœur des tensions historiques entre les deux pays. En Algérie, la mémoire de la guerre de libération est le fondement de l’idéologie politique, et de la légitimité, de l’État. Du côté français, les choses ont été beaucoup plus compliquées, marquée par de profonds désaccords dans la classe politique, et chez les intellectuels. Aujourd’hui, il y a toujours l’impossibilité pour les Français de se mettre d’accord sur une date commémorative.

Autre élément : la pression mise par l’Algérie sur la France à ce sujet. Jacques Chirac a été confronté à la revendication algérienne de repentance. En 2003, pour trouver une solution à cette revendication algérienne, il avait proposé de négocier un traité d’amitié franco-algérien sur le modèle du traité franco-allemand de 1963. La négociation s’était engagée mais elle a été interrompue en 2005 à l’occasion du vote par l’Assemblée nationale française de la loi du 23 février 2005 qui rendait hommage à tous ceux qui étaient morts pour l’Algérie française, jugée inacceptable par les Algériens.

Le travail mémoriel relancé par Emmanuel Macron n’a pas ouvert un chemin vers une réconciliation ?

En arrivant au pouvoir, Emmanuel Macron a voulu donner des gages à l’Algérie, en espérant que les autorités algériennes se contenteraient de satisfactions partielles et limitées mais cela n’a pas suffi. Puis ses propos tenus l’Élysée le 30 septembre 2021 à l’Élysée, dans lesquels il a mis en cause la « rente mémorielle de l’état algérien » et mis en doute le caractère national de l’Etat d’Algérie en 1830, ont marqué une première rupture. Le 2 octobre 2021, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris pour consultation et interdit l’espace aérien algérien aux agents militaires français, ravitaillant les troupes françaises au Sahel. Au bout de quarante jours, le président Macron a, disons, regretté ses propos et ouvert la voie à une reprise des négociations. Avec la visite officielle du président français en 2022 en Algérie, les relations se sont améliorées, accompagnées de la désignation d’une commission d’historiens franco-algériens.

Mais en fin de compte, Emmanuel Macron, déçu par les avancées des discussions, a décidé de se tourner plutôt vers le Maroc, ce qui a ouvert de nouvelles tensions. Depuis quelques semaines, on a vraiment l’impression d’une alternance de périodes de tensions, de détentes de plus en plus brèves et rapprochées.

Propos recueillis par Elodie Bécu



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