LE DOUSSAL (Roger), La « mission C ». Alger, décembre 1961-juin 1962. De Gaulle contre l’OAS, histoire d’une répression. Paris, Fauves Editions, mai 2020, 557 p, ISBN : 979-10-302-0337-0, 30 euros. Avec table des sigles, index des noms cités, sources, 25 documents en annexe, et table des matières.
Roger Le Doussal est connu depuis 2011 pour ses remarquables Mémoires [1], œuvre d’un commissaire des renseignements généraux qui fit son apprentissage en Algérie de 1952 à 1962, et ayant en même temps la valeur d’une étude historique parce qu’il avait accompagné son récit d’une relecture attentive de tous les documents rédigés ou consultés à l’époque. Il confirme sa qualité d’historien en publiant en quelque sorte une suite de ces Mémoires : l’histoire de la « mission C » envoyée de Paris sous les ordres du commissaire Michel Hacq pour combattre l’OAS en décembre 1961 et qui accomplit sa tâche avec un succès croissant jusqu’en juin 1962. Il fonde son étude sur la lecture de nombreuses sources d’archives et de nombreux témoignages ou travaux historiques, notamment le livre de Jean-Jacques Jordi [2] qu’il corrige en distinguant soigneusement les méthodes légalistes de la mission C et celles des « Barbouzes » arrivés au même moment (qui recouraient au contre-terrorisme, à la torture et à des contacts avec le FLN).
Sa démonstration est soigneusement organisée en trois parties chronologiques : - « La lutte anti-OAS avant le 5 décembre 1961 : six mois de perdus ? » ; - « La mission C du 5 décembre 1961 au 19 mars 1962 : cent jours, deux périodes » ; - « La mission C du 19 mars au 27 juin 1962 : une nouvelle donne pour trois mois d’histoire », chacune subdivisée en plusieurs chapitres. Chaque partie est ouverte par une introduction détaillée, et chaque chapitre précédé d’un encadré qui résume l’essentiel de son contenu. On y voit notamment que la part de l’OAS était majoritaire dès janvier 1962 dans le bilan des victimes du terrorisme et pas seulement dans le nombre des attentats - contrairement à ce que j’avais écrit en me fondant sur un document du 2ème bureau tiré des archives Vitalis Cros et communiqué par le général Maurice Faivre [3]- et qu’elle a fortement augmenté jusqu’en mai 1962. Mais on y voit aussi l’action de la Zone autonome d’Alger (ZAA) refondée le 1er avril 1962 par le commandant Si Azzedine - envoyé de Tunis à Alger par le GPRA en janvier 1962 pour venir à bout de l’OAS - qui commença par retenir les représailles spontanées de la population contre le terrorisme provocateur de celle-ci, avant de riposter par un « terrorisme silencieux » (expression due à Jean Monneret) en recourant à des enlèvements massifs de civils à partir du 15 avril, puis de rompre ouvertement le cessez-le-feu à partir du 15 mai.
Les jugements de l’auteur sur les actes des uns et des autres se veulent strictement impartiaux, et il le prouve dans son annexe 9 où il commente « un exemple des terrorismes croisés OAS et FLN, tels que vécus au jour le jour du 1er au 15 janvier 1962 » : « Il était devenu patent que, neuf fois sur dix, les deux terrorismes agissaient au hasard. Depuis Tunis, le FLN disait qu’il tuait des OAS : c’était faux. Son objectif était de montrer, avant les pourparlers, sa détermination intacte et, accessoirement, d’éliminer les européens de ‘ses’ quartiers. De même l’OAS disait tuer des FLN : c’était faux. Elle aussi voulait montrer sa puissance et elle baptisait FLN le petit peuple musulman qu’elle avait sous la main, dans les quartiers européens ou mixtes. Et même quand il s’agissait d’attentats ‘ciblés’, le renseignement de base était souvent rumeur » (p 523). Sans oublier de critiquer la différence de traitement appliquée à ces deux terrorismes par le gouvernement français, qui donna la priorité absolue à la répression contre l’OAS, comme le prouve la lettre du président de la République à son Haut-Commissaire Christian Fouchet datée du 23 mars 1962 et reproduite sur la couverture : « La question capitale qui se pose à présent est de maîtriser Alger et Oran. Cela veut dire qu’il y faut un dispositif militaire tel que tout coup de force ou attentat de l’OAS soit immédiatement écrasé sur place, de jour et de nuit, où que ce soit, et que les auteurs soient aussitôt passés par les armes ».
Le livre de Roger Le Doussal démontre que le comportement de la mission C ne fut pas aussi impitoyable. Mais aussi que l’auteur a su garder son indépendance d’esprit et sa liberté de jugement envers tous les acteurs du conflit.
Guy Pervillé.
[1] Roger Le Doussal, Commissaire de police en Algérie (1952-1962). Une grenouille dans son puits ne voit qu’un coin du ciel. Editions Riveneuve, Paris, 2011, 948 p. Cf mon compte rendu : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=279 .
[2] Jean-Jacques Jordi, Un silence d’Etat. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie. Paris, Editions SOTECA, octobre 2011, 200 p. Cf mon compte rendu : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=265 .
[3] Cf G. Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Paris, Vendémiaire, 2018, p 351 et note 14 p 373).