Communisme, anticommunisme, et décolonisation (2000)

dimanche 10 décembre 2006.
 
Cet article a été rédigé à la demande du professeur Jean-Jacques Becker et publié par celui-ci, sous le titre "Anticommunisme et décolonisation", dans le dossier intitulé "Aspects de l’anticommunisme", revue Communisme, Editions L’âge d’homme, n° 62-63, 2000, pp. 115-135.

L’anticommunisme n’est pas une idéologie politique particulière ; c’est une tendance qui s’est manifestée plus ou moins constamment chez presque toutes les autres forces politiques, dans la mesure où le programme communiste leur apparaissait totalement ou partiellement inacceptable. Ce fut le cas, notamment, de l’anti-impérialisme, élément fondamental de la doctrine marxiste-léniniste, qui scandalisa tous les partis de gouvernement ralliés sous la IIIe République à la mission coloniale et civilisatrice de la France. C’est pourquoi l’anticommunisme fut, sous la IVe République, un puissant obstacle à une décolonisation pacifique des peuples d’Outre-mer soumis à la domination française. Toutefois, ce fait ne doit pas en cacher un autre : l’inconstance de l’anti-impérialisme des communistes français, qui provoqua des réactions anticommunistes de la part de groupuscules d’extrême-gauche et des nationalistes autochtones des pays colonisés. Pires ennemis de l’œuvre coloniale de la France pour les uns, traîtres aux principes anti-impérialistes de Lénine pour les autres, les communistes français n’ont mérité, au regard rétrospectif des historiens, « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité » [1].

« Le communisme, voilà l’ennemi ! » [2] Ce slogan, lancé le 22 avril 1927 dans un discours prononcé à Constantine par le ministre radical Albert Sarraut, est resté le dogme des anticommunistes coloniaux. Pourtant, sa validité a considérablement varié en fonction des temps et des lieux. Il n’a été pleinement justifié que par la doctrine et l’action « anti-impérialistes » du Komintern dans les années 1920, et par le cas très particulier du communisme national vietnamien.

L’anti-impérialisme léniniste : la doctrine et son application

La doctrine marxiste-léniniste de l’impérialisme justifiait amplement l’hostilité de tous les partisans de la colonisation, fussent-ils de droite ou de gauche. Alors que les partis socialistes d’avant-guerre n’avaient pu réconcilier par une doctrine commune les adversaires et les partisans d’une « politique coloniale socialiste », Lénine avait fait de la théorie économique de « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme » [3] un principe fondamental de son action révolutionnaire. Intégrant et dépassant la critique marxiste du « colonialisme » comme système d’exploitation, cette théorie voyait dans la rivalité entre les grandes puissances pour le partage du monde une conséquence inéluctable du développement du capitalisme, lequel entraînait un besoin croissant de contrôler les ressources en matières premières et d’exporter les excédents de marchandises, et surtout de capitaux que les métropoles ne pouvaient investir avec profit sur leur propre territoire. La Grande Guerre était pour Lénine la conséquence nécessaire de l’impérialisme et l’occasion de renverser le capitalisme en appelant les peuples à retourner leurs armes contre leurs dirigeants. Mais la déception de ses espoirs de révolution en Europe, après les traités de paix « impérialistes » de 1919-1920, le poussa à saper le système impérialiste mondial en fomentant la révolte des peuples dominés et exploités d’Outre-mer. Le IIe Congrès de l’Internationale communiste définit en juillet 1920 les « 21 conditions » d’adhésion imposées à tous les partis qui voudraient la rejoindre. La huitième condition exigeait de « soutenir en fait et non seulement en paroles tout mouvement insurrectionnel dans les colonies », de développer parmi les ouvriers de la métropole et des colonies « des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population indigène laborieuse », d’y répandre le mot d’ordre « jeter les impérialistes dehors », et de mener une propagande systématique et continue dans l’armée contre l’oppression et les guerres coloniales [4].

En France, dans le Parti socialiste SFIO, cette condition ne fut pas au premier plan du débat qui opposa les partisans et les adversaires de l’adhésion au Komintern jusqu’au Congrès de Tours de décembre 1920. Si les opposants minoritaires en tirèrent un argument pour justifier leur refus [5], la majorité favorable à l’adhésion accepta la huitième condition avec des « réserves implicites ». Les fédérations socialistes d’Afrique du Nord avaient mandaté leurs délégués pour voter l’adhésion, mais aussi pour « signaler au Congrès les dangers des révoltes indigènes et des mouvements nationalistes [6] ». Ainsi, l’adhésion votée par la majorité qui constitua le nouveau Parti communiste SFIC n’impliquait pas une acceptation profonde et sincère de la huitième condition. Dans les années suivantes, les congrès de l’Internationale ne cessèrent de critiquer le manque de zèle du parti français pour mettre en œuvre l’action anti-impérialiste ; c’est sous leur impulsion que fut organisé un Comité d’études coloniales travaillant en liaison avec l’exécutif du Komintern, lequel publia en mai 1922 un « Appel pour la libération de l’Algérie et de la Tunisie ». Cet « appel de Moscou », non publié dans la presse communiste française, fut condamné par une motion de la section communiste de Sidi-Bel-Abbès approuvée à l’unanimité par le congrès interfédéral d’Afrique du Nord. En réponse, le IVe Congrès de l’Internationale stigmatisa la « mentalité esclavagiste » des communistes de Sidi-Bel-Abbès, appela les communistes d’Afrique du Nord à s’appuyer sur la jeunesse prolétarienne indigène, et invita sèchement le parti français à « prêter infiniment plus d’attention, de forces et de moyens » à la propagande anti-impérialiste dans les colonies [7]. Cette action, organisée à partir de 1923 par la Commission coloniale sous la pression directe du Komintern, fut un aspect majeur de la « bolchevisation » du parti, qui provoqua la démission ou l’exclusion de la majorité de ses premiers dirigeants et militants, en France comme en Algérie.

Sa manifestation la plus visible fut la campagne de propagande et d’action contre la guerre du Rif, amorcée préventivement dès le deuxième semestre de 1924, et systématisée après le déclenchement des hostilités par l’émir Abd el-Krim en avril 1925, pendant plus d’un an. Cette campagne fut révolutionnaire par ses thèmes - paix immédiate avec la République du Rif, évacuation du Maroc, indépendance du Rif, fraternisation - et par ses moyens d’action - meetings de masse, propagandes visant spécifiquement les anciens combattants, les jeunes, les femmes, les ouvriers et les paysans, les soldats, grève générale du 12 octobre 1925, congrès ouvriers et paysans tendant à constituer un front unique à la base. Elle exposa le parti et ses organisations satellites à la répression d’un gouvernement de gauche soutenu par le parti socialiste, et paracheva sa « bolchevisation » en décourageant les tièdes. Mais elle fut le point culminant de l’agitation anti-impérialiste plutôt qu’un point de départ [8].

Plus importantes pour l’avenir furent la formation de militants communistes originaires des peuples colonisés et la création par leur intermédiaire d’organisations anti-impérialistes où ils s’efforçaient de rassembler leurs compatriotes immigrés en France : Union intercoloniale (1922), puis, à partir de 1926, Parti annamite de l’indépendance, Étoile nord-africaine et Comité de défense de la race nègre [9], Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. Et dans les colonies mêmes, la création des partis communistes de Tunisie (1921), de Syrie et du Liban (1924), indochinois (1931), de la région de Madagascar (1936), algérien (1935) et du Maroc (1936). Le Komintern avait d’abord préconisé un large « front unique anti-impérialiste » sans exiger la formation d’un parti communiste dans les pays où la « bourgeoisie nationale » ne s’était pas encore scindée entre un parti révolutionnaire et un parti conciliateur. Mais, après le retournement du Kouomintang chinois contre ses alliés communistes en 1927, le VIe Congrès d’août 1928 décida d’engager la lutte contre le « national-réformisme » en s’appuyant sur des partis communistes « indigénisés » et sur des mouvements « nationaux révolutionnaires » [10]. C’est alors que l’Étoile nord-africaine, qui revendiquait depuis 1927 l’indépendance de l’Algérie, devint l’enjeu d’une lutte pour le pouvoir entre la fraction communiste et la fraction « islamo-nationaliste » animée par l’ex-communiste Messali Hadj [11], qui l’emporta définitivement en 1932. On voit par cet exemple que, si le communisme joua un rôle de catalyseur aux origines du premier mouvement nationaliste algérien, il perdit rapidement le contrôle de sa créature.

Cet anti-impérialisme de plus en plus intransigeant isola le Parti communiste aussi bien dans les colonies qu’en métropole. Mais il ne dura pas. De plus en plus alarmé par l’anticommunisme obsessionnel du IIIe Reich, Staline se rapprocha des démocraties occidentales et de la SDN. En mai 1935, il conclut un pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle avec Pierre Laval et approuva la politique française de défense nationale. En août, le VIIe Congrès du Komintern substitua la politique du « front commun antifasciste » à l’anti-impérialisme originel. La commission coloniale du Parti français crut pouvoir concilier cette nouvelle ligne avec un « Front commun anti-impérialiste » dans les colonies [12]. Mais dès la victoire électorale du Front populaire, le Parti communiste sacrifia délibérément l’anti-impérialisme à l’antifascisme.

Désormais, l’indépendance des colonies fut considérée comme un facteur d’affaiblissement de la France, et par conséquent de son alliée l’URSS. L’émancipation des peuples colonisés fut présentée comme inséparable de celle des travailleurs français. Maurice Thorez, ancien responsable du Comité d’action contre la guerre du Rif, justifia ce tournant en citant les paroles de Lénine : « Le droit au divorce ne signifie pas l’obligation de divorcer », et en prônant une « union libre, confiante et fraternelle des peuples coloniaux avec notre peuple » [13], suivant l’exemple de l’Union des républiques socialistes soviétiques. C’était la réhabilitation complète des positions soutenues de 1920 à 1922 par les communistes d’Afrique du Nord. Les mouvements nationalistes qui n’acceptèrent pas ce revirement - notamment l’Étoile nord-africaine et son successeur le Parti du peuple algérien - furent dénoncés comme des diviseurs et des complices du fascisme. Ainsi, le Parti communiste avait renoncé à tout ce qui distinguait son idéologie de l’ancien « socialisme colonial » stigmatisé par Lénine en s’intégrant dans la gauche française.

Ce tournant ne fut pourtant pas le dernier. Aussitôt après le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, Staline et le Komintern imposèrent aux communistes de France et des colonies françaises le retour à la ligne « anti-impérialiste », qui affectait de condamner également les alliés franco-britanniques et le Reich allemand. En conséquence, ils devaient « combattre l’impérialisme français en aidant dans leur lutte libératrice les esclaves des colonies ». Affaiblis par de nombreuses défections et par la répression, le Parti communiste et ses filiales coloniales réduits à la clandestinité appliquèrent la nouvelle ligne, comme le montre l’exemple du PCA [14]. Celui-ci revendiqua l’indépendance de l’Algérie dans un État démocratique, et préconisa « l’Union du peuple algérien dans un Front populaire national » ; il tendit la main au « Parti du peuple algérien, parti de lutte contre l’impérialisme », afin de lutter « pour un gouvernement national et populaire dans une République populaire algérienne libre et indépendante unie à une France libérée ». Mais après l’agression allemande contre l’URSS, le PCA remit au premier plan l’union de toutes les forces patriotiques et démocratiques pour la lutte antifasciste. La revendication d’indépendance fut progressivement désamorcée par des formules équivoques : « Pour l’indépendance de la France et de l’Algérie », « Pour une Algérie libre unie à une France libre ».

Libérés au printemps 1943 par le général Giraud, émancipés formellement de la tutelle de Moscou par la dissolution du Komintern en mai 1943, reconnus officiellement par le Comité français de libération nationale et admis à y participer, les dirigeants du Parti communiste français présents à Alger firent prévaloir plus que jamais l’union avec le peuple de France et le désaveu des revendications séparatistes inopportunes qui faisaient le jeu du fascisme ou d’un « autre impérialisme ». Associés à l’élaboration des réformes coloniales décidées par le CFLN puis par le GPRF, ils ne se singularisèrent que par leur ardeur à réclamer des mesures politiques, économiques et sociales égalitaires, et à dénoncer les survivances du « colonialisme » dans l’administration, le patronat et le colonat. A l’issue de la guerre, les communistes adhéraient pleinement au nouveau consensus colonial réformiste symbolisé par la formule de l’Union française [15]. Vingt ans après la guerre du Rif, les colonisateurs de gauche, tout au moins, n’avaient plus aucune raison de voir dans le communisme « l’ennemi ».

Et pourtant, les circonstances allaient entraîner le Parti communiste à s’éloigner, puis à se séparer des autres partis du gouvernement. En 1945, les communistes ne furent pas les seuls à interpréter l’insurrection du 8 mai 1945 dans le Constantinois comme une « provocation fasciste », puis à dénoncer la férocité de la répression [16]. Dans la première Assemblée constituante, ils firent adopter la définition de l’Union française comme une « Union librement consentie », et un ensemble de lois égalitaires - suppression du Code de l’indigénat et du travail forcé, loi Lamine Gueye accordant la citoyenneté française à tous les habitants des colonies -. Dans la deuxième Constituante, ils soutinrent sans succès la revendication d’autodétermination formulée par l’intergroupe des élus autochtones d’Outre-mer, et les propositions d’États associés présentées par l’UDMA pour l’Algérie et par le MDRM pour Madagascar, ainsi que la reconnaissance de la République démocratique du Vietnam comme État libre au sein de l’Union française demandée par le gouvernement vietnamien de Ho Chi Minh à la conférence de Fontainebleau [17].

Mais c’est la rupture des négociations franco-vietnamiennes, déclenchée le 19 décembre 1946 par une agression préméditée et apparemment non provoquée du Viet-minh [18], qui accula le Parti communiste à un choix difficile entre la solidarité nationale et la solidarité internationaliste - en l’occurrence, communiste. Le parti reprit sa place dans le gouvernement d’union nationale présidé par le socialiste Paul Ramadier le 28 janvier 1947 afin d’obtenir le rappel du Haut Commissaire Thierry d’Argenlieu et son remplacement par le préfet radical Émile Bollaert, avec la mission de reprendre les négociations. Mais lors du débat parlementaire sur l’Indochine, du 11 au 22 mars 1947, Jacques Duclos annonça que les communistes s’abstiendraient de voter les crédits militaires, et le ministre de la Défense, François Billoux, refusa de se lever pour s’associer à l’hommage rendu au corps expéditionnaire. Paul Ramadier mit en garde le Parti communiste : « Si vous maintenez votre abstention, vous ramènerez la politique française à cette opposition fondamentale entre communisme et anticommunisme que nous avons tout fait pour éviter » [19]. Puis il posa la question de confiance : les ministres communistes la votèrent, alors que les députés s’abstenaient. Cet incident fut confirmé par un autre le mois suivant avec la sortie des ministres communistes le 16 avril après le refus par le gouvernement d’annuler les poursuites contre les trois parlementaires malgaches du MDRM, accusés d’avoir déclenché l’insurrection du 29 mars à Madagascar. Cela détermina Paul Ramadier à obliger les communistes à choisir entre la solidarité gouvernementale et l’opposition. Ainsi, les divergences sur l’Outre-mer précédèrent les désaccords sur les politiques extérieure et intérieure qui aboutirent à l’exclusion des ministres communistes le 5 mai 1947 [20].

La reprise en main du PCF par Moscou après le rejet du plan Marshall, la définition de la « doctrine Jdanov » et les sévères critiques formulées par la conférence du Kominform en septembre 1947 contre le « crétinisme parlementaire » du parti français, n’entraînèrent pas un retour pur et simple à l’anti-impérialisme léniniste. Le PCF systématisa son opposition contre les gouvernements de la « Troisième force » qu’il accusait de s’être vendus à l’impérialisme américain. Mais la priorité accordée à la dénonciation de cet impérialisme-là vint affaiblir celle de l’impérialisme et du colonialisme français. Tout en se rapprochant peu à peu des mouvements nationalistes et indépendantistes, les communistes français continuèrent d’invoquer le modèle de l’URSS et de réclamer une « véritable Union française » - dont le XIVe Congrès du PCF enregistra le décès en juillet 1956 [21] -.

De ces variations peuvent se déduire trois observations. L’anti-impérialisme ne fut une conviction profondément enracinée que chez des militants issus des peuples colonisés, qu’ils fussent restés communistes comme Ho Chi Minh, ou passés à un nationalisme populiste comme Messali Hadj. Les maîtres de l’URSS et de l’internationale en firent de plus en plus un instrument de leur stratégie mondiale, une arme utilisée ou mise en réserve en fonction des appréciations variables de la situation du moment. Enfin, la tendance spontanée des communistes français, en métropole et dans les colonies, les entraînait à rechercher un compromis entre la doctrine léniniste et le patriotisme républicain français toutes les fois que Moscou leur laissait une relative autonomie.

Cette attitude ne justifiait guère la phobie anticommuniste qui semblait être, en 1946, l’apanage de vieux coloniaux réactionnaires [22]. Et pourtant, l’anticommunisme s’est considérablement diffusé et renforcé sous la IVe République, avec l’approbation de ses dirigeants politiques de droite, du centre et de gauche, sans excepter les socialistes. Pour mieux comprendre cette évolution, il convient de distinguer les différentes régions de l’Union française, dans la décolonisation desquelles le communisme joua des rôles très inégaux.

Le communisme et les décolonisations

C’est en Indochine - et là seulement - que l’action anti-impérialiste inspirée par le Komintern à sa section française porta pleinement ses fruits. Les militants autochtones tels que Nguyen-Ai-Quoc le vrai nom de Ho Chi Minh, - membre fondateur du parti communiste de France -, organisés dans les cadres successifs de l’Union intercoloniale, du Parti annamite de l’Indépendance, de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire, puis du Parti communiste indochinois, étaient à la fois des patriotes vietnamiens et des marxistes-léninistes convaincus. Durant la Deuxième Guerre mondiale, ils réussirent l’exploit de dissoudre leur parti et de camoufler leurs identités pour créer un front national, le Viet-minh - ligue révolutionnaire pour l’indépendance du Vietnam -, au nom duquel ils s’emparèrent du pouvoir et proclamèrent l’indépendance de la République démocratique du Vietnam le 2 septembre 1945 à la faveur de la capitulation japonaise.

Le Parti communiste français attendit jusqu’au 20 septembre - une fois informé de la présence de communistes à la tête du Viet-minh - pour reconnaître le nouvel État. Lors de la conférence de Fontainebleau, les dirigeants du PCF retrouvèrent les témoins de leur propre passé anti-impérialiste, avec l’ex-Nguyen-Ai-Quoc devenu Ho-Chi-Minh. L’anticommunisme n’eut pourtant pas de rôle direct et visible dans l’échec des négociations entre la délégation de la RDVN et le gouvernement français, ni dans la détérioration de la situation entre les deux armées sur le terrain : les pierres d’achoppement furent l’indépendance et l’unité du Vietnam, alors jugées inacceptables par les dirigeants français [23].

Après le déclenchement des hostilités, et aussitôt après l’exclusion des ministres communistes du gouvernement, celui-ci exigea la capitulation du Viet-minh et offrit de discuter avec tous les partis vietnamiens sans reconnaître à l’un d’entre eux le monopole de la représentation du peuple du Vietnam. Dans le nouveau contexte de guerre froide entre l’Est et l’Ouest, il n’était plus question de reconnaître un gouvernement crypto-communiste. La politique française s’orienta donc vers la solution Bao Dai. Pour décider l’ex-empereur d’Annam à revenir sur son trône, il fallut lui promettre tout ce qui avait été refusé à Ho Chi Minh : l’indépendance et l’unité du Vietnam. Ainsi, une guerre de reconquête coloniale devint peu à peu une guerre idéologique entre le communisme international et le « monde libre », opposant à partir de 1950 deux États vietnamiens reconnus l’un par la Chine communiste et l’URSS, l’autre par la France et ses alliés occidentaux [24]. La France n’avait pas d’autre issue que de tenter de séparer et d’opposer le nationalisme vietnamien au communisme pour vietnamiser la guerre [25].

Cette évolution ne pouvait qu’encourager le PCF à reprendre son action anti-impérialiste, comme pendant la guerre du Rif : dénonciation de la guerre à la tribune du Parlement, pétitions, manifestations, propagande combinant le pacifisme, l’antimilitarisme et l’anti-colonialisme, appel à la désobéissance pour empêcher la production et l’acheminement du matériel de guerre, campagnes de solidarité avec les victimes de la répression, telles que le jeune matelot Henri Martin [26]. En Indochine même, quelques militaires du corps expéditionnaire passèrent au Viet-minh, et quelques militants communistes français participèrent à l’encadrement de ses camps de prisonniers.

Tout en respectant la valeur militaire de leurs adversaires, les officiers français furent profondément choqués par la cruauté de leurs méthodes, particulièrement les anciens prisonniers qui avaient subi l’épreuve des « camps de rééducation », camps de la mort lente pour les réfractaires et de lavage de cerveau pour les survivants [27]. Ils furent scandalisés par la « trahison » du Parti communiste et par l’incapacité des gouvernements de la IVe République à y mettre fin. L’humiliante issue de la guerre leur inspira le refus d’une autre défaite et la volonté de prendre leur revanche en tirant les leçons de celle-ci. Certains étudièrent les écrits doctrinaux et stratégiques de Lénine, Staline, Mao Tse Toung, Ho Chi Minh et Giap. Ils en conclurent que la « guerre révolutionnaire » était une entreprise subversive mondiale poursuivie depuis 1917 par le communisme international sous prétexte de libérer les peuples opprimés par l’impérialisme. Et qu’elle pouvait être vaincue par l’utilisation des mêmes méthodes : subordination de l’action militaire à une doctrine politique, encadrement, contrôle et conditionnement de la population [28]. Cette interprétation surestimait la continuité et l’importance du rôle des communistes dans les mouvements anticoloniaux. Et elle oubliait que les principales erreurs commises par la France avaient été de laisser le communisme s’identifier aux aspirations nationales du peuple vietnamien et de reconnaître celles-ci trop tard.

Si important fût-il, ce cas resta exceptionnel. Ailleurs, le communisme ne réussit pas à garder le contrôle des mouvements anticolonialistes qu’il avait contribué à susciter. À Madagascar, les communistes avaient d’abord soutenu le mouvement anticolonialiste de Jean Ralaimongo, qui réclamait l’accession des Malgaches à la citoyenneté française en vertu de la loi d’annexion de 1896. Déçu par l’opiniâtreté de la répression, ce mouvement s’était davantage rapproché des communistes dans le cadre du Secours rouge international, tout en hésitant entre l’assimilationnisme et le nationalisme. En 1935, Ralaimongo avait choisi l’indépendance ; en 1936, il forma le Parti communiste de la région de Madagascar avec le « colon rouge » Dussac. Mais ce choix nationaliste mit le PCRM en contradiction avec la nouvelle ligne antifasciste du parti français, qui le désavoua en janvier 1938. Après quoi, le PCRM renonça lui aussi à la revendication d’indépendance [29].

Le communisme perdit alors l’essentiel de son influence sur le nationalisme malgache. Après la Deuxième Guerre mondiale, ce dernier se manifesta au grand jour par l’action légaliste du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), inspiré par les exemples vietnamien, indonésien et indien, et par l’action clandestine de deux sociétés secrètes - le PANAMA et la Jiny - qui déclenchèrent une insurrection dans la nuit du 29 au 30 mars 1947 [30]. Le PCF protesta, comme tous les partis anticolonialistes d’outre-mer, contre l’arrestation des élus du MDRM et contre leur très sévère condamnation à l’issue d’un procès très contestable. Il dénonça la férocité de la répression - non sans exagération dans les bilans chiffrés du nombre de victimes [31] -, et présenta imprudemment l’insurrection nationaliste comme une « provocation colonialiste ». Mais il continua de prôner « l’union avec le peuple de France » jusqu’au début de 1948, et attendit le procès des parlementaires malgaches, de juillet à octobre 1948, pour reprendre à son compte la revendication d’indépendance.

En Afrique noire, le Parti communiste joua un rôle notable dans l’éclosion et l’essor du mouvement anticolonialiste. Dans un premier temps, des militants communistes africains - tels que le Sénégalais Lamine Senghor, mort en 1927, et le Soudanais Tiemoko Garan Kouyaté, exclu en 1933 - s’efforcèrent de rassembler leurs compatriotes vivant en France dans l’Union intercoloniale, la Ligue internationale contre l’impérialisme, le Comité puis la Ligue de défense de la race nègre. Ils reprirent à leur compte, dans la perspective de l’anti-impérialisme, le nationalisme pan-nègre inventé par les intellectuels noirs du Nouveau Monde - Marcus Garvey, W.B. Du Bois -, et diffusèrent jusqu’en Afrique la revendication d’indépendance [32]. Mais ils ne touchèrent qu’une faible minorité d’évolués. A l’exception des quatre communes du Sénégal dont les originaires étaient citoyens français, le régime colonial ne permettait pas encore l’éclosion d’une vie politique.

Celle-ci fut autorisée en 1945 par les décisions du GPRF, consécutives à la conférence coloniale de Brazzaville [33]. C’est alors que les militants du PCF en Afrique créèrent des Groupes d’étude communistes [34] (GEC) largement ouverts aux Africains, pour les initier à la doctrine marxiste-léniniste et à l’action politique ou syndicale anti-impérialiste. Ils soutinrent toutes les revendications d’égalité politique et sociale, dans le cadre du Rassemblement démocratique africain (RDA) créé à Bamako en octobre 1946, et des syndicats affiliés à la CGT. Mais, conformément aux thèses de Staline sur la question nationale et coloniale, il n’était pas envisagé de créer des partis communistes dans des pays où les conditions de la révolution prolétarienne n’étaient pas réunies. Pas plus que de revendiquer l’indépendance : l’action anticolonialiste se réclamait d’une « véritable Union française » devant réaliser les principes de la Constitution d’octobre 1946 avec l’appui du mouvement ouvrier français.

Les GEC attirèrent un grand nombre de militants et de politiciens africains, dont certains n’en gardèrent pas une profonde empreinte idéologique, tel le président du RDA Félix Houphouët-Boigny, dans lequel certains avaient cru voir le « Lénine africain ». L’apparentement du RDA au groupe parlementaire du PCF lui paraissait avantageux en 1946 ; mais dès l’exclusion des ministres communistes du gouvernement le 5 mai 1947, il devint un prétexte à la répression. A partir de la mi-1947, Raymond Barbé, président du groupe communiste à l’Assemblée de l’Union française, signala aux GEC la différenciation croissante d’une bourgeoisie africaine consciente de ses intérêts de classe, et la nécessité de renforcer l’organisation du prolétariat pour en faire « le guide du mouvement national » [35]. Ses craintes furent justifiées par le désapparentement du RDA, négocié secrètement en 1950 par Houphouët-Boigny avec le Président du conseil René Pleven et son ministre de la France d’Outre-mer François Mitterrand [36].

Cette décision du président du RDA, leader incontesté de sa section de Côte d’Ivoire, accentua les divergences entre ses diverses sections territoriales. Seule l’Union des populations du Cameroun (UPC), dirigée par le marxiste Ruben Um Nyobé, bascula dans la violence ouverte en mai 1955 et persévéra dans une stratégie de terrorisme et de guérilla sans issue jusque plusieurs années après l’indépendance proclamée le 1er janvier 1960, avec l’appui lointain du PCF et des États socialistes [37]. Plus habilement, Sékou Touré, leader du Parti démocratique de Guinée et des syndicats CGT, sut profiter des élections pour s’installer au pouvoir tout en intimidant ses adversaires par un usage systématique de la violence [38]. En général, les partis nationalistes d’extrême gauche soutenus par le PCF - comme le Parti africain de l’indépendance, créé en 1957 au Sénégal, et l’AKFM à Madagascar - ne jouèrent qu’un rôle secondaire. A la seule exception de la Guinée, les indépendances eurent lieu par étapes, en accord avec le gouvernement français et au profit de dirigeants africains réformistes dont plusieurs devaient aux GEC leur initiation politique [39].

En Afrique du Nord, on peut parler d’un échec du communisme à contrôler les mouvements nationalistes anticolonialistes. Échec particulièrement visible en Tunisie et au Maroc. Dans ces deux pays, les communistes avaient d’abord soutenu les mouvements hostiles à l’impérialisme colonial : la première Confédération générale du travail tunisienne et la République du Rif de 1924 à 1926. Mais peu à peu ils avaient manifesté des réticences envers le caractère « bourgeois » ou « féodal » et religieux des partis nationalistes. Les tournants patriotiques et antifascistes des partis communistes en 1936 et en 1943 avaient aggravé cette méfiance envers les sympathies pro-fascistes attribuées à ces partis, et abouti à des condamnations inoubliables : en Tunisie, approbation par le PCT des répressions d’avril 1938 et de mai 1943 contre le Néo-Destour, ainsi que de la déposition du bey Moncef, et condamnation du « Manifeste du front tunisien » d’octobre 1944 ; au Maroc, désapprobation « du Manifeste de l’Indépendance » et première réaction favorable à l’arrestation de plusieurs de ses signataires accusés de relations avec les Allemands [40]. Avant même la fin de la guerre, un nouveau grief prit le relais : les espoirs placés par les « pseudo-nationalistes » dans les Anglais et les Américains désireux de substituer leur nouvel impérialisme à la présence française. Les communistes de Tunisie et du Maroc recommandaient plus que jamais l’union des peuples tunisien et marocain avec le peuple de France dans une véritable Union française. Toutefois, le 4 août 1946, suivant la décision prise par le Comité central du PCA en accord avec le PCF, le PCT et le PCM reconnurent brusquement la primauté de la question nationale et proposèrent aux partis nationalistes de constituer un front national démocratique [41]. Bien qu’ils se fussent progressivement alignés sur les positions de ces derniers - refus do l’adhésion à l’Union française, de la co souveraineté, et revendication de l’indépendance -, le PCT et le PCM ne furent jamais reconnus comme des partis authentiquement tunisien et marocain, à cause de leur recrutement cosmopolite sur-représentant les étrangers et les juifs, de leur soumission aux consignes du PCF et de Moscou, et de leur incapacité à situer leur action dans une perspective nationale. Le seul terrain d’action commune fut le syndicalisme, mais dès 1946 1a création du syndicat national tunisien UGTT, adhérent de la CISL pro-américaine, enleva la majorité des travailleurs syndiqués tunisiens à l’USTT cégétiste ; au Maroc, seule l’interdiction des syndicats proprement marocains obligea les nationalistes à investir les syndicats CGT pour en conquérir la direction. Au moment des indépendances, les partis communistes étaient maintenus en dehors des mouvements nationaux tunisien [42] et marocain, et leur influence sur les dirigeants des États émancipés fut pratiquement nulle.

Ces faits rendent incroyables les accusations de « collusion avec le communisme » lancées contre les partis nationalistes pour les discréditer à partir de 1946. D’autant plus que les mêmes partis restaient également qualifiés de « bourgeois » ou de « féodaux », « réactionnaires », « racistes », « fascistes », voire « nazis ». Cette propagande anticommuniste, forgée dans les milieux coloniaux des protectorats et de la métropole, contamina une grande partie de la presse et des milieux politiques français, jusqu’au sommet de l’État. « Derrière Bourguiba, il y a les communistes ; derrière l’Istiqlal, il y a les communistes », affirmait le président de la République Vincent Auriol [43]. On ne peut que s’interroger sur la sincérité de cet amalgame arbitraire dans l’esprit de ses créateurs. Très vraisemblablement, il s’agissait de dissuader les Américains de soutenir les nationalismes indigènes qu’ils tendaient à considérer comme le meilleur antidote contre la contagion du communisme dans les pays colonisés.

Le cas de l’Algérie n’était pas fondamentalement différent. Et pourtant, le rôle du communisme semblait y être plus important. En effet, l’initiative communiste était à l’origine du premier mouvement nationaliste, l’Étoile nord-africaine, et de sa revendication d’indépendance proclamée dès 1927 au congrès anti-impérialiste de Bruxelles. Mais si le communisme et le nationalisme algérien étaient des frères jumeaux, ils étaient des frères ennemis : leurs relations avaient été une longue succession de tensions, de ruptures et de rapprochements éphémères, qui avaient imprimé une profonde méfiance dans l’esprit des nationalistes. La séduction de la doctrine anti-impérialiste de Lénine avait été effacée par les déclarations de Maurice Thorez sur le droit au divorce qui n’était pas l’obligation de divorcer, et sur « l’Algérie, nation en formation dans le creuset de vingt races » [44] - discours d’Alger, 11 février 1939 -. L’interprétation de la révolte du 8 mai 1945 comme un « complot fasciste » utilisant comme hommes de main les « pseudo-nationalistes » du PPA ne put être effacée par la campagne communiste contre les excès de la répression et pour l’amnistie.

Après sa défaite électorale du 2 juin 1946 face au parti autonomiste de Ferhat Abbas (l’UDMA) dans le deuxième collège, le PCA en avait tiré les leçons à la fin de juillet, avec l’accord d’André Marty, représentant du PCF. Le PCA proclama désormais la primauté de la question nationale et appela tous les partis algériens à s’unir en un « Front national démocratique » pour revendiquer un statut d’État associé à la France dans l’Union française. En 1950, il alla jusqu’à réclamer une « assemblée algérienne souveraine », qui serait élue par deux collèges représentés en proportion des effectifs des deux communautés composant la population. Sans dissiper entièrement la méfiance tenace du PPA-MTLD, il réussit à rassembler momentanément tous les partis anticoloniaux en un « Front algérien pour la défense et le respect de la liberté » en 1951 [45].

A cette date, le PPA-MTLD avait de nouvelles raisons de se méfier du PCA. Depuis 1947, ce dernier avait mis a la disposition de tous les partis algériens le quotidien Alger républicain, qui exerçait une influence croissante sur les milieux populaires où recrutaient les deux partis. Depuis la crise « berbériste » qui avait troublé le PPA en 1949, plusieurs militants déçus par l’indigence de la doctrine sociale et nationale de leur parti avaient rejoint le PCA. Mais ce dernier n’avait pas une cohésion suffisante pour prendre la première place dans le mouvement national. II était de plus en plus tiraillé entre l’ardeur anticolonialiste de ses militants musulmans, et la prudence de ses membres européens que la référence à la politique soviétique des nationalités suffisait de moins en moins à rassurer sur leur avenir [46].

Les communistes n’étaient donc pour rien dans l’insurrection, projetée au sein du PPA depuis 1938, qui éclata le 1er novembre 1954. Ses initiateurs, tous anciens militants de l’Organisation spéciale créée par le PPA en 1947, l’avaient décidée pour réconcilier dans la lutte les deux tendances opposées du MTLD en crise, avec les encouragements du gouvernement égyptien du colonel Nasser, qui n’avait alors aucun lien avec Moscou. D’après leur analyse, « le climat de détente [était] favorable pour le règlement des problèmes mineurs dont le nôtre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabes et musulmans » [47].

Le PCF, suivi par le PCA, commença par désapprouver « des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, même s’ils n’étaient pas fomentés par eux ». Mais très vite, le PCA fut écartelé entre une tendance - surtout musulmane - favorable à l’insurrection et une tendance hostile. En juin 1955, son comité directeur décida secrètement de « se rallier à la lutte nationale », ce qui lui valut d’être interdit par le gouverneur général Soustelle en septembre 1955. En mars 1956, il créa une organisation militaire, les Combattants de la Libération, qui tenta d’implanter des « maquis rouges » avec des armes enlevées par l’aspirant déserteur Maillot. Le 1er juillet 1956, le parti accepta d’intégrer individuellement les Combattants de la Libération à l’ALN, mais il refusa de se dissoudre dans le FLN, auquel il continua d’apporter son soutien politique et ses conseils [48].

Le PCF, de son côté, soutint le PCA sans vouloir le suivre aussi loin dans l’illégalité. Premier grand parti à plaider la cause du droit des Algériens à disposer d’eux-mêmes, il fit campagne pour la paix en Algérie et proposa un nouveau Front populaire lors des élections législatives du 2 janvier 1956. Confronté au refus de la gauche non-communiste, le PCF s’efforça d’influencer la politique du gouvernement Guy Mollet en lui apportant ses voix lors du vote des pouvoirs spéciaux, le 11 mars 1956. Puis il soutint le mouvement de protestation des rappelés et les quelques militants communistes qui refusaient individuellement de faire la guerre aux Algériens ; mais il s’abstint de prôner l’insoumission et le soutien direct au FLN ; il éluda même l’alliance contre le fascisme militaire proposée par la fédération de France du FLN en mai 1958. En somme, le PCF s’efforça de rallier l’opinion publique française à l’indépendance de l’Algérie, mais avec une prudence relative pour éviter de se l’aliéner [49].

Quant à l’URSS, elle ne négligea pas l’occasion de renforcer son influence dans le monde arabe - contrariée par son appui au partage de la Palestine en 1947-1948 - en soutenant l’Égypte nassérienne et son protégé le FLN algérien, (notamment contre l’intervention franco-anglo-israélienne sur le canal de Suez en novembre 1956), et après la conférence afro-asiatique du Caire en janvier 1958. Pourtant, l’URSS ménagea la France après le retour du général de Gaulle ; elle attendit jusqu’en octobre 1960 pour reconnaître de facto le GPRA.

Le FLN accepta le soutien du PCA et le ralliement d’une partie de ses anciens militants avec une méfiance persistante envers ces « patriotes à éclipses ». La « Plate-forme » du Congrès de la Soummam stigmatisa sévèrement l’attitude du « communisme absent » : « Le PCA, malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier sa collusion imaginaire avec la Résistance algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé » [50]. Le même texte, œuvre d’Abane Ramdame et de l’ex-communiste Amar Ouzegane, réaffirma l’indépendance du FLN envers toutes les puissance étrangères : « La Révolution algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social. Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington ».

Cependant, après la crise de Suez qui avait à la fois affaibli la solidarité occidentale et relancé la rivalité soviéto-américaine en Méditerranée, la direction du FLN réfugiée à l’extérieur se résolut à exploiter la recrudescence de la guerre froide [51] pour inciter les États-Unis à exercer une pression décisive sur la France avec l’appui des gouvernements pro-occidentaux de Tunis et de Rabat, craignant que la prolongation de la guerre n’entraînât les Algériens à se tourner vers Moscou comme l’avait fait l’Égypte de Nasser. La part active prise par l’URSS à la conférence afro-asiatique du Caire en décembre 1957 donna corps à cette menace. Après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef, village tunisien servant de base à l’ALN, en février 1958, El Moudjahid stigmatisa « les responsabilités de l’Occident », qui s’était conduit « en complice du colonialisme français, ne lui ménageant ni son appui diplomatique, ni son aide militaire et financière » ; il déclara le peuple algérien « fondé à assimiler de plus en plus l’Occident au colonialisme français, et à rejeter sur lui autant que sur la France la responsabilité de la guerre qui ensanglante l’Afrique du Nord ». C’était la « dernière chance » qui lui était laissée d’y mettre fin avant que l’Algérie se tournât vers le bloc oriental. Ce « chantage à l’Est » sembla en voie de réussir, quand les Anglo-Américains imposèrent leurs « bons offices » au gouvernement de Félix Gaillard [52]. Mais la chute de celui-ci et le coup de force du 13 mai 1958 à Alger provoquèrent un résultat inverse : le retour du général de Gaulle et l’avènement de la Ve République, beaucoup moins vulnérable aux pressions que sa devancière.

Le FLN persévéra pourtant dans la même voie. Mais il fut longtemps déçu par la prudence de l’URSS et de tous ses satellites européens, qui s’abstinrent de reconnaître le « gouvernement provisoire de la République algérienne » (GPRA) proclamé au Caire le 19 septembre 1958. C’est seulement dans les États communistes d’Extrême Orient, dont la Chine et le Nord-Vietnam, que celui-ci reçut un appui total et inconditionnel. La diplomatie algérienne put compter davantage sur la solidarité tiers-mondiste des « damnés de la terre » que sur l’anti-impérialisme des héritiers de Lénine.

Toutefois, à partir de l’été 1960, la nouvelle recrudescence de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest renforça la tentation d’y insérer la guerre d’Algérie en sollicitant « l’appui entier des pays socialistes » [53], y compris l’envoi de volontaires. Inaugurée en septembre 1960 par la dénonciation officielle de l’inclusion de l’Algérie dans le Pacte atlantique, cette stratégie procura des avantages - reconnaissance de facto du GPRA par l’URSS en octobre 1960 -, mais comportait aussi le risque d’une rupture avec les gouvernements de Tunis et de Rabat. La reprise et la progression des négociations avec la France en 1961 tirèrent le GPRA de ce dilemme. Paradoxalement, la crise de Berlin de l’été 1961 lui rendit service, en incitant le général de Gaulle à commencer sans délai le retrait des troupes françaises vers l’Europe.

Ce recours croissant à l’aide des pays de l’Est accrut leur prestige et l’influence de leurs modèles institutionnels. Le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) adopta en janvier 1960 des statuts du FLN qui définissaient celui-ci comme un parti implicitement unique - mais sans base de classe -, et se référaient explicitement aux règles du « centralisme démocratique », - emprunt aux statuts du Parti communiste de l’URSS [54] -. En mai 1962, le même CNRA adopta sans débat le « programme de Tripoli », au vocabulaire marxisant, qui se réclamait du socialisme mais aussi de l’Islam. Le contre-projet de la fédération de France du FLN, d’où vint la référence explicite au socialisme, suivait d’encore plus près les modèles soviétique et cubain [55].

Toutefois, le PCA fut interdit en novembre 1962 comme tous les partis autres que le FLN. Le président Ben Bella toléra les activités de militants marxistes dans le cadre du FLN officiel, mais la présence de conseillers marxistes étrangers dans son entourage fut invoquée par le colonel Boumedienne pour justifier le coup d’État du 19 juin 1965. En fin de compte, le « socialisme » servit à justifier l’accaparement du pouvoir économique par les détenteurs du pouvoir politique. La Révolution algérienne mérita ce nom par sa volonté de détruire le régime colonial ; mais elle n’avait aucun projet révolutionnaire pour la société algérienne musulmane. Les quelques militants marxistes convaincus, du FLN ou du PCA, ne furent qu’une force d’appoint.

Ces faits permettent de comprendre que certains responsables politiques et militaires français aient pu croire à une mainmise du communisme sur la « rébellion », et de mesurer leur erreur. Celle-ci avait été d’abord le fait des militaires. En effet, jusqu’en 1956, les dirigeants politiques français avaient préféré identifier la « rébellion » algérienne au pan-arabisme et au nazisme, qui avaient en commun l’hostilité aux puissances coloniales et à Israël [56]. Cependant, dès 1955, la création de Bureaux d’action psychologique au ministère de la Défense nationale et à l’état-major inter-armes d’Alger avait favorisé la diffusion de la nouvelle doctrine de la « guerre révolutionnaire » par tous les moyens militaires de formation et de propagande. Dès le 1er mars 1956, dans le n° 5 du Bled, revue destinée aux militaires servant en Algérie, un éditorial mentionnait « L’Afrique du Nord, épisode camouflé de la guerre froide », illustré par une carte montrant une flèche partie d’Ukraine, passant par l’Égypte et menaçant l’Algérie [57]. Mais après l’échec de l’expédition anglo-franco-israélienne contre l’Égypte, arrêtée par les menaces de l’URSS qui coïncidaient avec sa répression de la révolution nationale hongroise, le gouvernement présidé par le socialiste Guy Mollet recourut à l’anticommunisme pour se justifier. Désormais, rien ne put entraver la diffusion de la nouvelle doctrine qui fut officiellement consacrée en juillet 1957 par la création des Cinquièmes bureaux d’action psychologique dans les états-majors de l’armée d’Algérie, jusqu’à l’échelon du secteur. Comme l’écrivit Claude Delmas, c’est sous l’impulsion de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre des Armées de Guy Mollet, puis président du Conseil, que « pour la première fois, la notion de guerre révolutionnaire figura dans un plan de refonte des conceptions et des structures de la Défense nationale : les techniques militaire ne sont qu’un moyen, ne valent qu’en fonction de la connaissance et de la pensée politiques qui les inspirent et les dirigent » [58]. Mais, les derniers gouvernements de la IVe République se montrant incapables de définir une politique susceptible de décourager les « rebelles » et de rallier les masses musulmanes, les chefs de l’armée d’Algérie sortirent de leur rôle traditionnel pour tenter de dicter leur politique, puis pour renverser le régime par le coup de force du 13 mai 1958. Il appartint à son bénéficiaire, le général de Gaulle, de faire rentrer l’armée dans l’obéissance au pouvoir politique légal [59], d’abord par étapes prudentes - retrait de l’armée des comités de Salut public, octobre 1958 -, puis plus brutalement après la semaine des barricades du 24 janvier au 1er février 1960 qui entraîna la dissolution des Cinquièmes bureaux compromis avec les « ultras », et après le putsch d’avril 1961 et l’OAS, auxquels participèrent notamment les colonels Lacheroy et Gardes. La doctrine de la « guerre révolutionnaire », jusque-là officielle [60], fut alors désavouée par le ministre des Armées, Pierre Messmer [61]. Elle continua pourtant d’être professée en dehors par des « soldats perdus » ou en retraite [62].

Si la définition d’une politique claire était une exigence objective de la situation, l’interprétation de la guerre d’Algérie comme un épisode capital de l’affrontement mondial entre le communisme et le « monde libre » était une erreur injustifiable. Apparemment, elle avait l’avantage .d’opposer les « rebelles » qui se présentaient comme des Moudjahidin, à la masse des « Français musulmans » d’Algérie, d’obliger le gouvernement à sévir contre la « trahison » ou le défaitisme des communistes, d’inciter les Américains à respecter la solidarité atlantique, et de procurer à l’armée française la satisfaction d’une revanche espérée sur les mêmes ennemis qu’en Indochine. En fait, elle empêchait ses adeptes de comprendre les véritables données du problème algérien, les véritables motivations des insurgés, la véritable évolution de l’opinion publique métropolitaine qui s’éloignait depuis 1956 de l’idée d’Algérie française, et la véritable attitude des Américains [63] qui voyaient dans le risque de renforcement de l’influence communiste sur le FLN une « self-fulfilling prophecy », conséquence de la guerre. Or, comme le pensait le général de Gaulle, il n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités. La décolonisation n’était pas le produit d’un complot communiste mondial, mais le résultat de causes profondes dont la France devait tenir compte dans son intérêt bien compris. Selon Raymond Aron - qui fut l’un des premiers à exprimer publiquement cette opinion dans La tragédie algérienne (Plon 1957) -, la plupart des hommes politiques de la IVe République pensaient ainsi sans oser le dire [64].

Ainsi, ravivé par les interférences de la guerre froide avec la décolonisation, l’anticommunisme a rendu beaucoup plus difficile une solution pacifique de ce problème. La responsabilité n’en est pas imputable aux seuls militaires. Tous les partis représentés dans les gouvernements de 1947 à 1958 en ont eu leur part, notamment le Parti socialiste dont les dirigeants n’avaient pas oublié la rupture de 1920. En 1947, le ministre de la France d’Outre-mer, Marius Moutet, le président du Conseil Ramadier et le président de la République, Vincent Auriol, furent parmi les premiers à vouloir chasser les communistes du gouvernement, et nombre de gouverneurs socialistes menèrent avec zèle des répressions contre les communistes et les nationalistes. Guy Mollet, qui avait été contre l’exclusion des ministres communistes en mai 1947 [65], éclairé par le Coup de Prague de février 1948, refusa en janvier 1956 le Front populaire proposé par le PCF, et il fit de même en mai 1958 après la démission de Pierre Pflimlin. La règle non écrite qui excluait les communistes de toute majorité de gouvernement rendit introuvable une majorité pour une politique de décolonisation, ce qui conduisit Guy Mollet à se rallier à la solution gaullienne. Les communistes, qui s’enorgueillissent d’avoir été le premier et longtemps le seul grand parti favorable à la décolonisation, ont pourtant eux aussi leur part de responsabilité : leur soumission inconditionnelle à Moscou, manifestée lors de l’intervention soviétique à Budapest en novembre 1956, a beaucoup nui à la crédibilité de leur discours anti-impérialiste.

Une question reste à poser : quelles furent les parts de la mauvaise foi consciente et de la passion sincère dans l’amalgame entre le communisme et les nationalismes anticoloniaux, opéré par les anticommunistes ? La réponse ne va pas de soi. Observons simplement que les communistes avaient fait à plusieurs reprises le même amalgame entre les nationalismes anticoloniaux et le fascisme, et que les mêmes questions se posent à ce sujet. N’y avait-il pas dans les deux cas, au-delà d’artifices polémiques, la même incapacité à concevoir que des mouvements politiques d’Outre-mer puissent se situer en dehors de la perspective européo-centriste des grands conflits idéologiques métropolitains : droite-gauche, communisme-fascisme, communisme-anticommunisme, etc. ?

Guy Pervillé

[1] Jean Suret-Canale, Les groupes d’études communistes (GEC) en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 7.

[2] Raoul Girardet, L’idée coloniale en France, 1871-1962, Paris, La Table ronde, 1972, pp. 152-153.

[3] Titre d’une brochure de Lénine, 1916 ; première édition française à la Librairie de L’Humanité, Paris, 1923. Sur les origines de cette théorie, voir notamment Jacques Freymond, Lénine et l’impérialisme, Lausanne, Payot, 1951, 134 p., et Guy Pervillé, « L’impérialisme : le mot et le concept », dans Enjeux et puissances, hommages à Jean-Baptiste Duroselle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986, pp. 41-56.

[4] Citée par Jacques Fauvet, Histoire du Parti communiste français, vol. 1, Paris, Fayard, 1964, pp. 273-274.

[5] Selon la motion Blum-Bracke, le parti ne pouvait « accepter une propagande qui tendrait à fausser la lutte des classes et à déchaîner une guerre de races également contraire à ses principes de fraternité et de paix ». Cité par Charles-Robert Ageron, « Les communistes français devant la question algérienne (de 1921 à 1924) », Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1973, p. 185.

[6] Ageron, ibid.

[7] Ageron, op. cit., pp. 204-213.

[8] Georges Oved, La gauche française et le nationalisme marocain, 1905-1955, Paris, L’Harmattan. 1984, t. 1, pp. 200-296.

[9] Cf. Claude Liauzu, Aux origines des Tiers-mondismes, colonisés et anticolonialistes en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1982, pp. 99-136.

[10] Liauzu, op. cit., pp. 39-40.

[11] Les Mémoires de Messali Hadj, Paris, J.-C. Lattès, 1982, pp. 136-174. Cf. les postfaces de Charles-André Julien et Charles-Robert Ageron.

[12] Sur l’action d’André Ferrat, responsable de la section coloniale de 1934 à 1936, voir Liauzu, op. cit., pp. 41-44 ; Ageron, postface aux Mémoires de Messali Hadj, pp. 290-292 ; et le livre d’Emmanuel Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie, 1920-1962, Paris, Presses de la FNSP, 1976, pp. 73-92.

[13] Discours au Congrès d’Arles, décembre 1937. Cf. Sivan, op. cit., pp. 93-97.

[14] Sivan, op. cit., pp. 126-139. Cf. Ageron, « Le parti communiste algérien de 1939 à 1943 », Vingtième siècle - Revue d’histoire, n° 12, octobre-décembre 1982, pp. 39-50.

[15] Cf. Ageron, dans Histoire de la Fronce coloniale, t. 2, 1914-1990, Paris, Armand Colin, 1990, pp. 427-428.

[16] Sur les ambiguïtés des positions du PCF et du PCA, voir Sivan, op. cit., pp. 139-149.

[17] Sur la définition de l’Union française et sur les débuts du conflit indochinois en 1945-1946, voir Ageron, op. cit., pp. 355-371 ; et Alain Ruscio, La décolonisation tragique, 1945-1962, Paris, Messidor, Éditions sociales, 1987, pp. 27-47.

[18] La préméditation de l’attaque du Viet-minh est aujourd’hui reconnue par tous. Sa provocation par la mauvaise foi des autorités françaises est soutenue par Philippe Devillers, Paris-Saïgon -Hanoi, 1944-1947, Paris, Gallimard et Julliard, 1988.

[19] Alfred Grosser, La IVe République et sa politique extérieure, Paris, Armand Colin, 1972, pp. 257-259.

[20] Cf. Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte, 1994, pp. 116 et 130.

[21] Ageron, op. cit., pp. 428-429.

[22] Sur « l’irrésistible déclin du parti colonial » après 1945, voir Ageron, op. cit., pp. 465-474.

[23] Voir Jacques Dalloz, La guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, Le Seuil, 1987, pp. 94-109. Cf. A. Ruscio, op. cit., pp. 44-51, et Devillers, op. cit.

[24] Grosser, op. cit., pp. 259-261 et pp. 277-290.

[25] Discours prononcé à Vinh Yen le 19 avril 1951 par le général de Lattre, reproduit par le général Salan, Mémoires, t. 2, Paris, Presses de la Cité, 1971, pp. 454-459.

[26] Ruscio, op. cit., pp. 58-60. Voir sa thèse, Les communistes français et la guerre d’Indochine, 1944-1954, Paris, L’Harmattan, 1985.

[27] Voir le roman-témoignage de Jean Pouget, Le manifeste du camp n° 1, Paris, Fayard, 1969. Et la polémique déclenchée par la mise en cause du passé de l’historien Georges Boudarel, ancien adjoint du commandant du camp 113 (Le Monde des 14, 20 et 23 mars 1991).

[28] Claude Delmas, La guerre révolutionnaire, Paris, PUF, Que sais-je ? n° 826 (1ère édition, 1959). Voir aussi la thèse de Nicolas Kayanakis, La doctrine française de la guerre psychologique et la pacification de l’Algérie, tome I, Institut d’études politiques de Paris, 1996.

[29] Francis Koerner, Madagascar, colonisation française et nationalisme malgache, XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1994, pp. 415-428.

[30] La thèse de la « provocation colonialiste », affirmée à l’époque par les nationalistes et les communistes, semble maintenue par Koerner, op. cit., pp. 321-341. Elle est désavouée par presque tous les historiens : Jacques Tronchon, L’insurrection malgache de 1947, Paris, Maspero, 1974, et L’Harmattan, 1987 ; Ageron, op. cit., pp. 373-377 ; et Benot, op. cit., pp. 114-120.

[31] Ageron (op. cit., p. 376) critique à juste titre les 80 000 morts maintenus par Ruscio (op. cit., pp. 181-182) et par Benot (op. cit. p. 122).

[32] Iba Der Thiam, « Histoire de la revendication d’indépendance », actes du colloque L’Afrique noire française : l’heure des indépendances, s. dir. Charles-Robert Ageron et Marc Michel, Paris, CNRS Éditions, 1992, pp. 663-688.

[33] Cf. les actes du colloque Brazzaville janvier février 1944. Aux sources de la décolonisation, Paris, Institut Charles de Gaulle, Institut d’histoire du temps présent et Plon, 1988, 384 p.

[34] Suret-Canale, op. cit., note 1 (étude d’un ancien acteur, accompagnée de précieux documents).

[35] Suret-Canale, op. cit., p. 165.

[36] Ageron, op. cit., pp. 389-393. Cf. Ruscio, op. cit., pp. 183-190, et Benot, op. cit., pp. 146-157.

[37] Marc Michel, « Une décolonisation confisquée ? Perspectives sur la décolonisation du Cameroun sous tutelle de la France, 1955-1960 », Revue française d’histoire d’Outre-mer, t. 86 (1999), nos 324-325, pp. 229-258.

[38] Jean Suret-Canale, « L’indépendance de la Guinée : le rôle des forces intérieures », et Bemard Charles, « Le rôle de la violence dans la mise en place des pouvoirs en Guinée », actes du colloque L’Afrique noire française, op. cit., pp. 129-138 et pp. 361-374.

[39] Toutefois, le marxisme garda une influence sur des organisations syndicales étudiantes comme la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), étudiées par Thierno-Bah dans le même colloque, pp. 41-56. Ce qui a pu contribuer à des résurgences postérieures du « socialisme scientifique » au Congo, au Dahomey, au Bénin, à Madagascar...

[40] Le Parti communiste tunisien condamna beaucoup plus durement les dirigeants du Néo-Destour dont les relations avec l’Axe étaient avérées en 1938 et en 1943. Voir Juliette Bessis, La Méditerranée fasciste, l’Italie mussolinienne et la Tunisie, Paris, Karthala et publications de la Sorbonne, 1981, pp. 221-239 ; et Hassine Raouf Hamza, « Le parti communiste tunisien et la question nationale (1943-1946) », dans Mouvement ouvrier, communisme et nationalismes dans le monde arabe, Cahiers du Mouvement social n° 3, Paris, Éditions ouvrières, 1978, pp. 231-263. Sur le Maroc, Oved, thèse citée.

[41] Oved, op. cit., t. 2, pp. 253-260 ; H.-R. Hamza, p. 256.

[42] Constat de H.-R. Hamza, op. cit., p. 231. On ne peut admettre l’analyse du capitaine A. Souyris, « La révolution tunisienne », Revue militaire d’information, mars 1957, pp. 66-76 : « Une guerre révolutionnaire conduite dans un pays dépendant et sous-développé par un parti nationaliste (de type occidental) inspiré et soutenu directement par les partis communistes (français et tunisien) et indirectement par l’URSS et ses alliés du moment (pays arabes) ».

[43] A Foster Dulles, le 6 mai 1952, Journal du Septennat, t. VI, p. 310, cité par Oved, op. cit., t. 2, pp. 383 et 474.

[44] Sivan, op. cit., pp. 106-116.

[45] Sivan, op. cit., pp. 154-161 ; et Ageron, « Communisme et nationalisme », dans L’Algérie algérienne de Napoléon III à de Gaulle, Paris, Sindbad, 1980, pp. 219-238.

[46] Sivan, op. cit., pp. 195-227.

[47] Texte reproduit par Mohammed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1981, pp. 101-103 ; cf. ses ouvrages, Le FLN, mirage et réalité, mêmes éditions, 1980, 1954, La guerre commence en Algérie, Bruxelles, Complexe, 1984...

[48] Sivan, op. cit., pp. 227-241.

[49] Défense et illustration de l’action du PCF dans La guerre d’Algérie, s. dir. Henri Alleg, Paris, Temps actuels, 1981, et René Andrieu, La guerre d’Algérie n’a pas eu lieu, Paris, Messidor, 1992. Critiques « gauchistes »dans Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de valise. La résistance française à la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1980, notamment pp. 20-23, 37, 42, 48-51, 58, 95-106.

[50] Première publication dans El Moudjahid clandestin n° 4, novembre 1956, deuxième à l’extérieur en 1957. La fin de ce passage signale avec méfiance « certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du FLN et de l’ALN ». À Alger, ils furent utilisés dans la fabrication et la pose de bombes dans les quartiers européens, à l’encontre de leur idéal d’une Algérie multi-ethnique.

[51] Voir notre article, « La Révolution algérienne et la guerre froide », dans Études internationales, Québec, Université Laval, vol. XVI, n° 1, mars 1985, pp. 55-66.

[52] Cf. Mathew Connolly, « French-American conflict over North Africa and the Fall of the Fourth Republic », Revue française d’histoire d’Outre-mer, n° 315, 2e trim. 1997, pp. 9-28. Déjà en 1954, de hauts responsables américains auraient « donné le feu vert » aux nationalistes algériens pour inciter les Français à retirer leurs troupes d’Indochine, selon Philippe Devillers (Colloque de l’Institut d’histoire du temps présent, Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956, Paris, Éditions du CNRS, 1986, p. 114).

[53] Voir les rapports de Ferhat Abbas (pourtant connu pour sa modération), de Mohammed Harbi et de Belkacem Krim dans Harbi, Archives, op. cit., pp. 303-308, 389-391 et 394-404.

[54] Statuts reproduits par Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d’Algérie, Paris, Éditions France-Empire, 1972, pp. 605-610.

[55] Harbi, Le FLN..., op. cit., pp. 330-336.

[56] Voir notamment la « Lettre d’un intellectuel à quelques autres à propos de l’Algérie » de Jacques Soustelle, Combat, 26-27-11-1955 ; et la déclaration de Guy Mollet à la presse (31-07-1956) comparant Nasser à Hitler.

[57] Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962, Paris, Autrement, 2000, p. 173. La même carte ornait le PC du général Challe en 1959-1960, et se retrouve dans le livre du capitaine Bernard Moinet, Ahmed, connais pas !, Paris, Athanor, 1989.

[58] Claude Delmas (ancien membre du cabinet du ministre des Armées, BourgèsMaunoury),op.cit.,p. 8.

[59] Voir la communication de Guy Pervillé, « "Résurrection" ou "entreprise d’usurpation" ? Le retour de la légalité républicaine en Algérie », actes du colloque L’avènement de la Ve République, Paris, Armand Colin, 1999, pp. 95-104 ; et celle du général André Bach : « L’armée en 1958. Un iceberg en dérive au large de la Nation », Ibid., p. 105.

[60] Rapport de synthèse du Cinquième bureau sur le moral, adressé par le général Zeller (chef d’état-major de l’armée de terre) au ministre des Armées, Pierre Guillaumat, le 28 mai 1959 : « L’Algérie, après l’Indochine, est considérée comme un nouveau champ de bataille dans le cadre de ce conflit gigantesque qui oppose dans le monde l’idéologie du marxisme-léninisme et la civilisation occidentale » (Cité par le général Bach, op. cit., p. 105). Charles-Robert Ageron a réfuté l’idée que ces deux guerres aient relevé du même modèle dans sa communication : « Les guerres d’Indochine et d’Algérie au miroir de la "guerre révolutionnaire" », L’ère des décolonisations, Paris, Karthala, 1995, pp. 47-66.

[61] Pierre Messmer, Les Blancs s’en vont. Récits de décolonisation, Paris, Albin Michel, 1999, pp. 159-169.

[62] On distingue deux tendances dans cette littérature militaire dissidente. L’ancienne doctrine officielle, répétée et systématisée dans les livres du colonel Roger Trinquier (La guerre moderne, La Table ronde, 1960, Guerre, subversion, révolution, Robert Laffont, 1968, La guerre, Albin Michel, 1980), et la variante intégriste prônée par la Cité catholique et sa revue Verbe, qui condamne toutes les révolutions depuis celle de 1789 comme une révolte de l’homme contre l’ordre naturel voulu par Dieu (voir notamment Bertrand Dupont de Dinechin, Algérie, guerre et paix. Défense et illustration d’une victoire oubliée sur la Révolution, Paris, Nouvelles éditions latines, 1992). Il convient de rechercher leurs influences éventuelles sur la théorie nord-américaine de la « Counter-insurgency », et sur la doctrine sud-américaine de la « Sécurité nationale ».

[63] Voir les ouvrages de Samya El Mechat, Tunisie, les chemins vers l’indépendance (1945-1956), Paris, L’Harmattan, 1992, Les États-Unis et le Maroc, 1945-1959, Les États-Unis et la Tunisie, 1945-1959, Les États-Unis et l’Algérie, 1945-1962, mêmes éditions, 1997.

[64] Raymond Aron, Mémoires. 50 ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, pp. 360-376, et Le spectateur engagé, entretien avec J.-L. Missika et D. Wolton, Julliard, 1981, pp. 187-214.

[65] Guy Mollet et la majorité du parti socialiste s’étaient alliés avec le PCF dans les débats sur le statut de l’Algérie pendant l’été 1947, contre l’avis de Paul Ramadier. Voir nos communications : « La SFIO, Guy Mollet et l’Algérie de 1945 à 1955 », colloque Guy Mollet, un camarade en République, Presses universitaires de Lille, 1987, pp. 445-462 ; et « Paul Ramadier et le statut de l’Algérie », Paul Ramadier, le socialisme et la République, Bruxelles, Complexe, 1990, pp. 365-376.



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