Le conflit israélo-palestinien, exposé du 19 septembre 2012 (2012)

dimanche 6 octobre 2024.
 

Cet exposé a été prononcé devant un auditoire d’enseignants d’histoire et de géographie le 19 septembre 2012, puis mis à jour deux ans plus tard, mais non publié. Depuis le 7 octobre 2013, il a acquis un intérêt nouveau, celui de montrer comment le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, au pouvoir depuis 2009, a mis fin à la tentative de négociation sur un partage territorial entre Israël et la Palestine entreprise par son prédécesseur Ehud Olmert [1] pour exploiter le conflit entre l’OLP et le Hamas, maître de Gaza, sans rien céder à l’un ou à l’autre. Cette habile stratégie, couplée avec la recherche d’une entente avec des Etats arabes oublieux du conflit israélo-palestinien et encouragée par le président américain Donald Trump, a pris fin le 7 octobre dernier avec l’offensive meurtrière du Hamas contre la population israélienne. Benjamin Netanyahou lui a substitué une stratégie offensive visant à détruire les ennemis d’Israël à Gaza puis au Liban, et dont nul ne sait jusqu’où il ira (jusqu’en Iran ?). Etant donné que cette offensive n’a aucune chance de s’arrêter demain, nous aurons sans doute une occasion d’y revenir plus tard.

Journée APHG-Aquitaine du 19 septembre 2012 (Le Proche-Orient)

Plan de mon exposé :

Le conflit israélo-palestinien

Le passé (démarche historique)

Le présent (démarche des sciences humaines)

L’avenir (démarche prospective)

Le passé :

Un pays et des peuples : évolution dans la longue durée, à partir du livre de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé ?, Paris, Fayard, 2009.

Les étapes du conflit : conflit israélo-palestinien ou conflit israélo-arabe ? L’alternance des deux dimensions du conflit, et ses conséquences.

Le présent :

La fin du conflit israélo-arabe ? Les accords égypto-israéliens (1978) et jordano-israéliens (1988).

L’échec définitif des négociations israélo-palestiniennes ? Que retenir de l’accord d’Oslo (1993) et de ses suites décevantes ?

L’avenir :

Hypothèses pessimistes :

1- Guerre des missiles (Liban et Gaza)

2- Insurrection des territoires occupés après les révolutions arabes ?

3- Attaque d’Israël contre les installations nucléaires de l’Iran ?

Autres hypothèses :

1- Evacuation de Gaza et maintien de l’occupation-colonisation en Cisjordanie ?

2- Séparation sans accord, de part et d’autre du Mur ?

3- Un seul Etat laïque et démocratique ?

4- Un vrai partage entre deux Etats nationaux ?

Introduction :

Ce sujet est particulièrement difficile, et il est impossible de revenir sur tous les détails en si peu de temps. Je renvoie donc à mon article publié dans deux numéros de notre revue Historiens et géographes, n° 406, mai 2009 (pp. 129-141), et n° 407, juillet-août 2009 (pp. 251-260) [2], et dans la version modifiée publiée sur mon site http://guy.perville.fr, article « Le conflit israélo-palestinien et israélo-arabe », http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=241

Je ne suis pas un vrai spécialiste de la question israélo-palestinienne, mais en tant qu’enseignant d’histoire dans le supérieur, j’ai jugé impossible de m’enfermer dans ma spécialité, qui est la guerre d’Algérie et l’histoire de ce pays. Cet autre sujet d’histoire, qui concerne une autre partie du monde arabe, et qui relève de l’histoire immédiate, est plus actuel que jamais, et il sollicite mon attention depuis longtemps, d’autant plus qu’il appelle une comparaison avec la guerre d’Algérie. En outre, j’ai toujours pensé à ce que devraient enseigner mes étudiants devenus professeurs d’histoire dans des classes dont les élèves ont des origines de plus en plus diverses.

Pour les professeurs d’histoire dans l’enseignement secondaire plus encore que dans le supérieur, il est nécessaire de bien distinguer ce qui relève de l’histoire, des autres sciences humaines, et de la prospective.

L’histoire, c’est l’étude des faits passés, depuis plus ou moins longtemps, pour connaître ce qui s’est vraiment passé, mais aussi pour identifier les causes de ces faits, ainsi que leurs conséquences.

Les autres sciences humaines, notamment la géographie, mais aussi les sciences politiques, l’économie, la sociologie, ainsi que le journalisme d’information, se situent dans le présent.

Quant à l’avenir, ce n’est pas l’objet d’une science humaine, car aucune loi au sens scientifique du mot ne permet de prévoir les faits humains tels qu’ils se passeront. Mais il faut distinguer clairement deux attitudes. D’une part, l’approche politique, qui consiste à prendre parti en faveur d’une option jugée meilleure qu’une autre, car supposée produire des conséquences préférables. C’est le droit de tout citoyen, mais l’inconvénient de ces choix est la partialité, le fait que chaque option partisane risque de pousser ses partisans à minimiser consciemment ou inconsciemment les faits qui n’iraient pas dans le même sens. D’autre part l’approche prospective, aussi scientifique que possible, qui consiste à envisager rationnellement toutes les hypothèses concevables et leurs conséquences prévisibles. C’est cette dernière approche que j’ai essayé de suivre dans notre journée d’étude du 19 septembre 2012, et je crois que tous les participants au débat qui a suivi, même s’il fut un peu vif, ont fini par l’admettre.

Le passé :

J’ai essayé d’en évoquer les principaux points dans mon article cité, en distinguant les deux principales interprétations du sionisme, en tant que « colonialisme » (interprétation arabo-palestinienne) et en tant que « mouvement de libération nationale du peuple juif » (interprétation sioniste), et en montrant qu’elles n’étaient pas incompatibles. Mais depuis sa publication, des lectures complémentaires m’obligent à revenir sur certains points.

Un pays et des peuples

Je ne reviendrai pas sur la longue histoire de ce pays aux multiples noms, sinon sous la forme de la brève chronologie que j’ai ajoutée sur mon site à mon article (voir : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=241).

Mais je dois néanmoins évoquer les apports des débats suscités par le livre de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé ? Paris, Fayard, 2009. Livre provoquant et qui a suscité des débats passionnés aussi bien en Israël que dans les autres pays où il a été traduit [3]. Selon l’auteur, ce que l’on appelle le « peuple juif » a depuis longtemps cessé d’être un peuple au sens habituel du mot : il est devenu de plus en plus une communauté religieuse, dispersée dans le monde entier et se mélangeant aux autres populations par conversions, et finalement un ensemble de gens défini de plus en plus par une communauté d’origine supposée, par l’appartenance de leurs ancêtres à une certaine communauté religieuse, mais qui ne correspond pas à une seule nation au sens politique et juridique de ce mot. Thèse intéressante dans la mesure où elle insiste sur l’importance des conversions au judaïsme (ce qui dément l’identification du sionisme à un racisme, adoptée par l’ONU en 1974) , mais très peu convaincante dans la mesure où elle tend à nier l’existence d’une population juive descendant du peuple juif de l’Antiquité, en affirmant sans la moindre preuve que les juifs d’aujourd’hui seraient avant tout les descendants de convertis au judaïsme sud-arabiques, berbères et khazars (peuple turc vivant au Nord du Caucase, converti au judaïsme), alors que les Palestiniens d’aujourd’hui seraient les vrais descendants des juifs antiques, convertis au christianisme puis à l’islam. Or ces affirmations ne sont pas démontrées par une démonstration probante. Comme l’a écrit l’universitaire Eric Marty, ce livre ne fait qu’inverser la vision idéologique de l’histoire juive sioniste, et encourager les Palestiniens à revendiquer le titre de « vrais juifs » (d’origine) pour en déposséder les Israéliens. Il me semble que l’auteur s’est laissé entraîner trop loin par sa verve polémique, alors qu’il aurait pu avec plus de prudence démontrer aux Palestiniens et aux Israéliens qu’ils ont beaucoup plus d’ancêtres communs qu’ils ne le croient et peuvent donc se reconnaître comme des compatriotes [4].

A titre de comparaison, on pourra lire le livre de Nathan Weinstock intitulé Renaissance d’une nation, les juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste, publié en 2012, et son ouvrage plus détaillé qui le complète, Terre promise, terre trop promise. Genèse du conflit israélo-palestinien (1882-1948) [5]. Cet auteur s’était d’abord fait connaître comme un militant anti-sioniste d’extrême gauche (trotskyste), en publiant en 1969 Le sionisme contre Israël [6], mais il s’est peu à peu lassé de jouer le rôle d’un « idiot utile » auprès des Arabes anti-juifs, et il a rejoint les auteurs cités plus loin qui mettent en cause une tradition anti-juive inavouée chez les musulmans.

Les étapes du conflit : conflit israélo-palestinien ou conflit israélo-arabe ? L’alternance des deux dimensions du conflit, et ses conséquences

Je renvoie de nouveau à la chronologie rajoutée à mon article sur mon site.

Sur cette période, encore plus riche en événements que la précédente, quelques réflexions complémentaires me sont venues à l’esprit.

Sur le plan des relations internationales, l’importance du jeu des grandes puissances a été considérable, mais n’est pas toujours appréciée de la même façon suivant qu’il a profité à l’un ou à l’autre camp. L’intervention de l’empire britannique au Proche-Orient a été d’une importance capitale (déclaration Balfour, 1917, conquête de la Palestine et des territoires arabes de l’empire ottoman 1918, attribution du mandat de la SDN sur la Palestine et fixation de ses objectifs en 1922), et elle a permis au mouvement sioniste de se donner les bases de son Etat en décuplant la population juive du pays, ce qui a permis au sionisme de combattre victorieusement la politique britannique après qu’elle se soit retournée vers la satisfaction des revendications arabes en 1939, et de combattre victorieusement l’opposition des Arabes à la création de leur Etat. Ainsi, le mouvement sioniste s’est souvent prétendu « anticolonialiste », comme le font encore aujourd’hui les Américains, descendants de colons révoltés contre la Couronne britannique en 1776, ce qui ne les a pas empêchés de briser par la force l’opposition des Indiens à leur expansion. Les Arabes au contraire ont longtemps défini le sionisme comme un « colonialisme », instrument de l’impérialisme britannique puis américain. Cette vision comporte une part de réalité, mais elle la déforme aussi en réduisant abusivement un mouvement nationaliste ayant ses propres buts à un simple instrument de ces grandes puissances impérialistes.

Mais les sionistes peuvent contre-attaquer en soulignant l’importance de la collaboration du Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, avec les Allemands durant la Deuxième guerre mondiale. En effet, un livre récent de l’historien libanais Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah [7] Paris, Editions Sindbad, 2009, reconnaît et fournit les preuves accablantes de l’engagement au côté des nazis des principaux leaders du courant arabo-islamiste : Rachid Rida (mort en 1935), Chekib Arslan (mort en 1946), le Premier ministre irakien Rachid Ali, qui se révolta contre l’alliance anglaise en juin 1941 et appela les Allemands à son aide, et surtout Hadj Amin al-Husseini (mort en 1974), lequel après avoir passé la plus grand partie de la guerre à Berlin (1941-1945), en ayant connu et approuvé le projet nazi d’extermination des juifs, se réfugia en Egypte et présida un éphémère gouvernement provisoire de la Palestine arabe à Gaza en 1948. Mais l’auteur démontre aussi que, contrairement à ce que veulent faire croire la plupart des auteurs sionistes, cette position n’était pas approuvée par les autres courants politiques arabes, ni les libéraux (dont faisait partie le père de l’auteur), ni les communistes, ni même les nationalistes arabes tels que le colonel Nasser (dont il explique l’évolution en commentant ses déclarations). Il démontre ainsi que l’antijudaïsme qui s’est développé et aggravé dans les pays arabes serait plus une conséquence du conflit avec le sionisme et un héritage de l’influence des antisémites européens qu’une constante de leur histoire.

Cependant, plusieurs ouvrages récents ont contesté radicalement l’idée que cet anti-judaïsme arabe serait un phénomène importé, en soulignant au contraire que la situation des juifs dans le monde musulman était depuis de longs siècles une situation d’infériorité légale, d’humiliation et d’insécurité, et qu’elle n’avait fait que s’aggraver au cours du temps alors que la situation des minorités chrétiennes tendait au contraire à s’améliorer grâce à la protection des grandes puissances européennes. Cette tendance est représentée par plusieurs ouvrages récents, notamment ceux de Michel Abitbol, Le passé d’une discorde, juifs et arabes du VIIème siècle à nos jours [8] ; de Shmuel Trigano, La fin du judaïsme en terre d’islam [9] ; et enfin l’ouvrage fondamental de Georges Bensoussan, Juifs en pays arabe, le grand déracinement, 1850-1975 [10].

Ces ouvrages invitent à constater que, si de nombreuses résolutions de l’ONU ont échoué à rétablir la paix parce qu’elles butaient sur le principe et les modalités du retour des réfugiés arabes palestiniens dans leur pays [11], conséquence majeure de la défaite palestinienne et arabe de 1947-1948, une autre conséquence majeure du conflit entre Israël et les Etats arabes n’a pas été prise en considération par celle-ci. Il s’agit du fait que, en conséquence plus ou moins directe du conflit, les populations juives de tous les pays arabes et musulmans ont été privées de la possibilité de continuer à vivre en paix dans ces pays [12]. En 50 ans, de 1948 à 1998, 900.000 personnes juives ont dû en émigrer, et les deux tiers (600.000) l’ont fait vers Israël, par choix ou par nécessité. Ces nombres sont à rapprocher des 650.000 Palestiniens qui ont quitté leur pays en 1947-1949 et des 250.000 qui ont fait de même en 1967.

La comparaison déjà faite dans l’article cité plus haut avec l’échange obligatoire des populations grecque et turque imposé par le traité de Lausanne en 1923, voire à l’expulsion de 12 ou 13 millions d’Allemands des provinces perdues à l’Est de leur territoire par la volonté de l’URSS et des vainqueurs de l’Allemagne en 1945, et au sanglant échange de 10 ou 15 millions de réfugiés entre le Pakistan musulman et l’Union indienne laïque en 1947, doit être rappelée, en soulignant que la Grèce vaincue aidée par la SDN a réinstallé chez elle en sept ans (1923-1930) près de 1,5 millions de réfugiés représentant un quart de sa population totale (ou un tiers de sa population d’avant 1914) [13]. Si la communauté internationale, qui avait majoritairement décidé le partage de la Palestine en 1947, avait ensuite entériné un échange de populations entre Israël et les Etats arabes - comme le traité de Lausanne l’a imposé entre la Turquie et la Grèce en 1923 - on peut penser que la suite des événements en aurait été changée. Le fait que l’UNRWA [14] continue depuis près de soixante-dix ans à assister une grande partie de cette population déplacée doit donc susciter notre réflexion critique, au lieu d’être admis comme allant de soi.

Ainsi, le conflit israélo-arabe ne peut pas s’expliquer entièrement comme un affrontement de type colonial : il relève également d’un affrontement entre deux nationalismes fondés l’un et l’autre sur une identité religieuse traditionnelle, enracinée depuis de nombreux siècles.

Cependant, il me paraît aussi important de souligner que le conflit entre Israël et ses voisins a fait alterner des phases internes au pays (conflit israélo-palestinien) et des phases externes (conflit israélo-arabe). En effet, les Palestiniens qui se sont opposés à la colonisation sioniste jusqu’en 1947-1948 n’ont pas voulu légitimer le gouvernement israélien en se dotant eux-mêmes d’un gouvernement palestinien au moment du partage décidé par l’ONU le 30 novembre 1947, et celui que le Grand Mufti proclama tardivement à Gaza en 1948 ne fut pas reconnu par tous les Palestiniens, dont une grande partie apportèrent leur soutien au roi Abdallah de Transjordanie qui devint roi de Jordanie. Et pendant près de vingt ans, de 1948 à 1967, le conflit israélo-arabe opposa Israël aux Etats voisins membres de la Ligue arabe sans qu’il existât le moindre Etat palestinien. C’est après la défaite écrasante de 1967 infligée par Israël à ses trois principaux voisins arabes, qui lui a permis d’occuper tout le territoire de l’ancienne Palestine, qu’un nationaliste palestinien incarné par l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) se fit connaître et reconnaître dans le monde, et depuis la reconnaissance d’Israël par l’Egypte en 1977-1978, les opérations militaires opposant ouvertement les Etats entre eux sont devenues très rares. Le problème israélo-palestinien est redevenu le problème essentiel qui fait presque oublier tous les autres.

Le présent

Après la guerre de juin 1967, la guerre d’usure de 1967-1970 sur le canal de Suez et enfin l’échec militaire final de la guerre du Kippour en 1974, les affrontements directs entre Israël et les Etats arabes sont sortis de l’actualité et le principal d’entre eux, l’Egypte, a même officiellement reconnu Israël, suivi par un deuxième (la Jordanie) moins de 20 ans plus tard. En même temps, le mouvement palestinien, qui s’était fait d’abord connaître par le terrorisme, est entré à son tour en 1993 dans la négociation avec Israël, mais cette négociation n’a pas abouti, et a laissé la place à un nouvel affrontement plus violent que jamais depuis 2000. Tels sont les deux aspects principaux et contradictoires des relations entre Israël et ses voisins.

A-La fin du conflit israélo-arabe ? Les accords égypto-israéliens (1978) et jordano-israéliens (1994)

Il y aurait peu à dire de ces événements, sinon que pendant longtemps ils avaient semblé impensables. La reconnaissance d’Israël permit à l’Egypte, qui en tant que plus grande puissance arabe avait participé à toutes les guerres contre Israël (5 guerres de 1948 à 1974), et qui était dirigée après la mort de Nasser par le président Anouar el Sadate (réputé pour sa germanophilie durant la Deuxième guerre mondiale), de récupérer tout son territoire, moyennant une zone démilitarisée le long de la frontière israélienne et du golfe d’Akaba jusqu’à Sharm-el-Cheikh. Aussitôt après l’assassinat du président Sadate par des islamistes (6 octobre 1981) - qui ne changea rien aux accords conclus - et après l’achèvement de l’évacuation du Sinaï par Israël (avril 1982) - acceptée par le premier ministre israélien Manahem Begin, sioniste d’extrême droite - son invasion massive du sud du Liban jusqu’à Beyrouth (juin 1982) aboutit à la signature d’un traité de paix par le président libanais Bachir Gemayel, mais celui-ci fut désavoué par le Liban aussitôt après son assassinat. Puis la Jordanie, dont le roi Hussein avait plus d’une fois discuté secrètement avec Israël, signa la paix officiellement avec lui en 1994, après avoir renoncé à sa souveraineté sur la Cisjordanie en 1988. Même la Syrie avait accepté de participer à la conférence de Madrid en 1991, mais l’accord ne se fit pas. Néanmoins, depuis le cessez-le feu de 1974, la Syrie a su éviter tout affrontement direct avec Israël, ou presque (raid israélien contre la centrale atomique de Deir-ez-Zohr le 6 septembre 2007).

B-Les négociations israélo-palestiniennes et leur échec

L’accord d’Oslo (1993) négocié secrètement entre le gouvernement israélien et la direction de l’OLP de Yasser Arafat fut une surprise, après plusieurs années marquées par la première Intifada partie de Gaza en 1988 et par l’échec du soutien palestinien à l’Irak de Saddam Hussein (1990-1991). Il innovait en proclamant un accord de reconnaissance mutuelle et en installant un pouvoir palestinien à Gaza et Jéricho (« Gaza et Jéricho d’abord ») avant le règlement définitif des problèmes essentiels (transfert de tous les territoires occupés à la souveraineté de l’OLP, frontières définitives entre les deux Etats), comme si les deux partenaires avaient besoin de temps pour s’apprivoiser mutuellement [15].

Mais la paix ne fut jamais parfaitement rétablie, puisque le mouvement islamiste Hamas, nouveau venu dans la lutte anti-israélienne, refusa de reconnaître les accords et passa à un terrorisme de plus en plus meurtrier en territoire israélien. Il en résulta un terrorisme israélien d’extrême-droite, qui assassina le premier ministre Yitshak Rabin le 4 novembre 1995, mais aussi un rapide durcissement de l’opposition à droite (premier gouvernement Netanyahou, 1996-1999) et même à l’intérieur du parti travailliste (gouvernement de Ehoud Barak, 1999-2001). Yasser Arafat se trouva dans une impasse, accusé de trahison par le Hamas et plusieurs autres mouvements palestiniens, et de mauvaise foi par ses partenaires israéliens. Malgré l’intervention du président Clinton, les conférences de Camp David II (2000) et de Taba ( 2001) ne purent aboutir, d’autant moins que la visite du général Sharon sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem avait déclenché une deuxième Intifada, beaucoup plus violente que la première [16].

La victoire électorale du général Sharon aux élections du 6 février 2001 redonna le pouvoir à la droite et fit éclater le parti travailliste. Le général Sharon gouverna jusqu’à sa perte de conscience à la suite d’une opération chirurgicale en janvier 2006. Il fut remplacé par Ehoud Olmert (2006-2009) puis de nouveau par Benjamin Netanyahou depuis 2009. Apparemment, l’impasse est restée totale, malgré l’évacuation de Gaza décidée et imposée en 2005 par Ariel Sharon. Mais les négociations n’ont pas entièrement pris fin, relancées successivement par l’initiative de paix séoudienne de 2002, proposant la paix immédiate contre la restitution des territoires perdus en 1967, les négociations officieuses conclues à Genève en 2003 par une partie des anciens négociateurs d’Oslo, et le « Quartet » associant les grandes puissances et l’ONU...

L’avenir

L’avenir est très incertain, mais nous pouvons essayer d’envisager plusieurs hypothèses, pessimistes ou non.

A-Hypothèses pessimistes :

1- La guerre des missiles (Liban et Gaza)

A deux reprises, les organisations islamistes Hezbollah du Liban (milice que l’Etat libanais, imparfaitement rétabli depuis la fin de la guerre civile en 1990, laisse armée et responsable de la frontière israélo-libanaise, évacuée par Israël en 2000) et Hamas palestinien (seul maître de la bande de Gaza évacuée par Israël en 2005 après sa victoire aux élections palestiniennes de 2006 et depuis la rupture avec l’OLP en 2007) ont lancé des missiles qui ont fait peser une menace difficile à repousser sans une offensive terrestre avec reconquête de territoires qu’Israël ne souhaite pas réoccuper (Liban en 2006, bande de Gaza fin 2008-début 2009). Ce type de conflit a produit des pertes et des destructions très déséquilibrées, qui jouent politiquement et moralement contre Israël, mais cet Etat ne peut pas laisser utiliser sans réagir des armes offensives à portée croissante, beaucoup plus dangereuses que les habituels « kamikazes » [17]. Après un long cessez-le-feu, ce type de guerre vient de recommencer en juillet 2014 entre Israël et le Hamas, à la suite de l’escalade provoquée par l’enlèvement et l’assassinat de trois jeunes israéliens près de Hébron le 12 juin. La portée des missiles du Hamas, visant désormais Tel-Aviv, Jérusalem et Haïfa, n’a faitqu’augmenter depuis2009, mais ils se heurtent le plus souvent au bouclier anti-missilesisraélien(le « dôme de fer ») qui est globalement efficace. De nouveau les bombardements israéliens et les attaques terrestres israéliennes sur le territoire de Gaza se soldent par des pertes très inégales au détriment des Palestiniens civils et militaires.

2- Insurrection des territoires occupés après les révolutions arabes ?

C’est une hypothèse que l’on évoque depuis le début des révolutions arabes de 2011-2012, en se demandant si elles risquent de mettre fin à l’attitude très prudente des Etats voisins d’Israël, qu’ils aient signé la paix avec lui, comme l’Egypte, ou non, comme la Syrie. En Egypte, des islamistes extrémistes ont tenté de s’emparer d’un poste frontière égyptien pour attaquer ensuite Israël, mais ils n’ont pas réussi leur opération. Puis le renversement du président islamiste Mohammed Morsi en août 2012 par le général Al-Sissi a davantage isolé Gaza en le coupant de son grand voisin. Quant à la Syrie, l’aggravation de la guerre civile et le risque d’une extension au Liban semblent pour le moment accaparer toutes les forces internes et les appuis extérieurs des deux camps (Iran et Hezbollah libanais du côté du président Assad, Arabie séoudite et Qatar du côté des insurgés). Ainsi, au lieu de s’unir contre l’Etat qu’ils considèrent comme l’ennemitraditionneldesmusulmans,lesdeuxprincipales tendances de l’islam - les sunnites et les chiites - s’opposent dans une guerre de plus en plus meurtrière, qui nous paraît incompréhensible, sinon en rappelant les lointaines guerres de religion ayant opposé les catholiques et les protestants en Europe occidentale au XVIème siècle [18]. En juin 2014, la puissante offensive de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) en Irak, s’appuyant sur les sunnites contre les chiites, a rendu moins probable que jamais une union sacrée des musulmans contre Israël. Mais nul ne peut dire combien de temps cette situation va durer, puisque la guerre entre Israël et le Hamas vient de reprendre en juillet 2014.

3-Attaque d’Israël contre les installations nucléaires de l’Iran ?

C’est une hypothèse dont on parlait de plus en plus durant le dernier trimestre de 2012, puisque le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou menaçait d’agir seul pour faire pression sur le gouvernement américain de Barak Obama. C’est un paradoxe de voir qu’Israël, dont nul ne met en doute la possession de l’arme atomique [19], ne semble pas croire assez à la dissuasion nucléaire pour accepter la dissémination de cette arme dans son voisinage, comme il l’a déjà montré en détruisant les installations nucléaires syriennes (2007) et auparavant irakiennes en 1981 (Osirak). Mais l’intransigeance d’Israël n’a pas été suivie par les grandes puissances, qui ont abouti à un premier accord avec l’Iran du président Rohani à Genève à la fin novembre 2013. Et tout récemment l’offensive de l’EIIL contre le gouvernement irakien chiite de Nouri Al-Maliki, soutenu par l’Iran, a entraîné un rapprochement irano-américain tout à fait inattendu.

B-Autres hypothèses :

1- Evacuation de Gaza et maintien de l’occupation-colonisation en Cisjordanie ?

Cette hypothèse n’en est plus tout à fait une, puisque sa première partie est déjà réalisée depuis 2005, malgré l’opposition des colons sionistes religieux, Ariel Sharon ayant fini par juger la possession de Gaza beaucoup plus contraignante qu’avantageuse pour Israël. Mais l’évacuation, laissant le champ libre au Hamas, n’a pas ramené la paix, bien au contraire. A ce propos, il faut rappeler les données démographiques, comme le fait Jean-Pierre Filiu [20] : entre 1950 et 2009, sa population est passée de 288.000 habitants à 1.487.000, sur une superficie infime (360 km2). Et certains prévoient hardiment un doublement jusqu’à 3 millions d’habitants d’ici à vingt ans [21]. Mais il nous faut aussi nous demander comment cet accroissement-record a été possible dans un territoire surpeuplé et dépourvu des ressources économiques permettant d’entretenir une telle population en pleine expansion.

Répétons une citation déjà faite dans notre article précédent : suivant un expert, « entre 1950 et 2007, sa population est passée de 240.000 à près de 1,5 millions d’habitants », et cela grâce à l’UNRWA : « en vertu du droit international, l’UNRWA considère en effet tout résident de Gaza comme un réfugié. L’organisme fournit donc un logement et assure les frais de scolarité et de santé à tout nouveau-né, que celui-ci soit le premier ou le dixième enfant d’une famille. » Selon le même auteur, « si la population américaine avait suivi le même taux de croissance que celle de Gaza, les États-Unis seraient passés d’une population de 152 millions en 1950 à 945 millions en 2007, soit près du triple de son chiffre actuel, de 301 millions » [22]. Si cette analyse est juste, la communauté internationale a-t-elle vraiment fait son devoir en fournissant une telle assistance durant une aussi longue durée, déchargeant ainsi les habitants de Gaza, l’autorité palestinienne, mais aussi l’Egypte et les autres Etats membres de la Ligue arabe, de l’obligation d’assurer par eux-mêmes la subsistance de ces habitants ? Or l’Egypte n’a jamais voulu annexer Gaza à son territoire, elle a toujours maintenu une frontière entre ses habitants et le territoire égyptien. Mais quand elle a envisagé d’installer une partie des réfugiés palestiniens dans la région d’El Arish en 1954, de violentes manifestations à Gaza l’ont obligé à y renoncer [23]. Aujourd’hui que la population de Gaza survit comme dans une grande prison à ciel ouvert, l’amélioration de sa situation n’exige-t-elle pas impérativement la paix entre Israël et les Etats arabes, qui seule pourrait redonner à cette ville une vraie fonction économique de débouché de l’arrière-pays arabe ?

D’autre part, les gouvernements israéliens qui se sont succédés depuis 2001 ne donnent aucun signe de vouloir se défaire de l’essentiel du territoire de la Cisjordanie, parce qu’ils le considèrent comme le complément stratégiquement nécessaire du maigre territoire israélien autant que comme les anciennes provinces juives de Judée et de Samarie. Ce pari « territorialiste » impliquant aussi une politique « populationniste » a été longtemps considéré comme une absurdité dans la mesure où le dynamisme démographique des Palestiniens était supérieur à celui des Israéliens juifs et semblait destiné à le rester [24]. Ainsi le « territorialisme » israélien devait-il obliger Israël à devenir une nouvelle Afrique du Sud, à moins que la majorité juive de l’Etat choisisse de sacrifier certains territoires pour revenir à une solution « populationniste ». Mais l’évolution récente aurait modifié les perspectives, suivant le démographe Youssef Courbage, professeur à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED). D’après lui, la « guerre des berceaux » ne donnera pas nécessairement la victoire aux Arabes, car la fécondité des Palestiniens s’est effondrée depuis 1990, et pourrait descendre au-dessous de celle des Israéliens [25]. Ainsi le pari des dirigeants israéliens, tendant à poursuivre l’annexion rampante des territoires de la Cisjordanie en cantonnant les Palestiniens dans des sortes de réserves de plus en plus étroites, n’est peut-être pas forcément aussi absurde qu’on l’a longtemps cru.

Cependant, la guerre des statistiques se poursuit, même en Israël. En octobre 2012, un article du grand quotidien israélien Haaretz a confirmé d’après des sources israéliennes que les juifs étaient désormais minoritaires sur le territoire de l’ancienne Palestine (5,9 millions de juifs contre 6,1 million de non-juifs) [26]. Mais un peu plus tard, le 1er janvier 2013, le nombre de juifs en Israël aurait franchi le cap des six millions, alors que celui des non-juifs ne dépasserait pas 5,8 millions [27]. En tout cas, l’inclusion dans le total des réfugiés palestiniens à l’extérieur du pays leur redonnerait une majorité incontestable.

2- Séparation sans accord, de part et d’autre du Mur ?

Les dirigeants israéliens disposent néanmoins d’une solution de rechange pour le cas où ils seraient contraints d’accepter la formation d’un Etat palestinien à côté du leur, sans véritable réconciliation : la « barrière de sécurité », ou « dispositif de séparation », idée venant de la gauche sioniste, dont Israël a décidé unilatéralement la construction en 2003. Véritable obstacle à tout déplacement non autorisé, ce mur [28] est non seulement la seule réponse efficace contre l’infiltration de « kamikaze » venant des territoires occupés, mais aussi un frein efficace à la mobilité des populations, d’autant plus que son tracé est très compliqué. Celui-ci, qui sépare de la Cisjordanie occupée les principaux groupes de colonies dont la possession est jugée stratégiquement nécessaire par le gouvernement israélien, préfigure une frontière interétatique éventuelle [29]. Le principal problème serait de faire accepter ce partage unilatéral par tous ceux qu’il lèse.

3- Un seul Etat laïque et démocratique ? Ces solutions ne sont évidemment acceptables que vues du côté israélien, et même sans vouloir prendre parti nous pouvons être tentés de recommander plutôt la solution prônée encore aujourd’hui par certains Palestiniens et même par certains Israéliens de gauche : une Palestine unie, laïque et démocratique, accordant les mêmes droits à tous ceux qui voudraient en être les habitants. Sur le papier, il est difficile à un enseignant français de ne pas la juger la meilleure, puisque ces principes sont ceux-là mêmes sur lesquels est fondée notre République française [30]. Mais gardons-nous de supposer le problème résolu en oubliant que cette solution suppose la préexistence d’une vraie volonté de vivre ensemble des deux côtés. Et n’oublions pas les particularités démographiques du conflit israélo-palestinien qui n’ont pas d’équivalent chez nous. Le pays appelé par les uns Israël et par les autres Palestine a connu une très forte croissance de ses populations depuis 1947, et malgré une très forte émigration palestinienne, sa densité moyenne est extrêmement élevée (plus de 300 habitants par km2) sans les Palestiniens exilés [31]. Ceux qui voudront y retrouver la maison ou les champs perdus en 1948 ne pourront pas les retrouver. Inviter tous ceux qui estiment avoir le droit d’y vivre à le rejoindre du jour au lendemain peut-il provoquer autre chose que le chaos et la reprise d’une guerre implacable dans tout le pays ? Actuellement la majorité absolue des Israéliens juifs n’y croit pas, et souhaiterait même une séparation absolue des deux peuples par l’expulsion de la minorité arabe israélienne, ce qui créerait un nouveau contentieux et relancerait le conflit.

4- Un vrai partage entre deux Etats nationaux ?

La dernière solution concevable, et qui paraît être la plus réaliste (ou la moins irréaliste), est celle qui avait été entamée par les négociateurs d’Oslo : la reconnaissance mutuelle de deux Etats, Israël d’un côté, la Palestine arabe de l’autre. Cette solution a pris forme avec la signature de l’ « accord de Genève » officieux de 2003 (négocié à titre privé par une partie des anciens négociateurs palestiniens et israéliens d’Oslo, qui avaient appris à se faire confiance). Cet accord est fondé sur le principe de restitution des territoires occupés depuis juin 1967 sous une forme corrigée par la cession de surfaces équivalentes à celles qu’Israël jugerait nécessaires de garder pour conserver des établissements importants par leur position stratégique (à l’Est, au Nord et au Sud de Jérusalem, et à l’est de la région la plus étroite de l’ancien territoire israélien, à mi chemin entre Tel-Aviv et Haïfa). D’autre part, le droit au retour, revendication chère au cœur de la plupart des Palestiniens, est fortement limité par diverses conditions. Il faut aussi noter que cet « accord » non officiel prévoyait la fin de l’UNRWA [32].

L’influence de ces accords est bien visible sur les cartes échangées par les délégations des deux parties lors d’une reprise des négociations par le gouvernement d’Ehud Olmert et par celui de Mahmoud Abbas en 2006-2010 (proposition palestinienne du 4 mai 2008, et contre proposition israélienne du 31 août 2008 [33] ). Elles semblent démontrer que les positions seraient moins éloignées que prévu ; ce qui a fortement mécontenté une grande partie des Palestiniens qui voient s’éloigner le rêve du retour [34]. En effet, si une reconnaissance mutuelle suppose qu’Israël renonce à sa loi du retour (1950), elle suppose aussi que les Palestiniens renoncent à son équivalent de leur côté, le droit au retour des réfugiés reconnu par l’ONU depuis décembre 1948 [35].

Mais la négociation amorcée a été interrompue par le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Pour sortir de l’impasse, Mahmoud Abbas a réussi à faire accorder à la Palestine le statut d’Etat observateur non-membre par une large majorité de l’Assemblée générale de l’ONU le 29 novembre 2012 (65ème anniversaire du plan de partage de la Palestine) ; il a indiqué que ce vote constituait « la dernière chance de sauver la solution à deux Etats » et promis de « tenter de ranimer les négociations » avec Israël [36]. Benjamin Netanyahou ne les a reprises en août 2013, sans volonté d’aboutir, que sous la pression des Etats-Unis. Il a maintenu son exigence de la reconnaissance du principe du caractère juif de l’Etat d’Israël, aussi fondamentalement inacceptable pour les Palestiniens non-juifs que leur renonciation au droit au retour, ce qui a conduit à un nouvel échec de ces négociations [37]. Symboliquement, le président israélien Shimon Pérès élu en 2007, ancien prix Nobel de le paix 1994 avec Yitshak Rabin et Yasser Arafat, et resté un partisan convaincu de la négociation, après avoir prié pour la paix avec Mahmoud Abbas et avec le pape François à Rome le 8 juin 2014, a quitté son mandat le 24 juillet pour être remplacé par le « faucon » Reuven Rivlin [38].

On pourra sans doute objecter à cette dernière solution que, même si elle avait une chance d’aboutir, elle créerait un Etat palestinien qui ne serait qu’un Etat croupion de 10.000 km2 (ou deux Etats, si Gaza en restait séparé [39]), et que près de la moitié d’entre eux continueraient de vivre dispersés, et c’est vrai. Une véritable solution permettant une amélioration sensible du sort des Palestiniens rendrait nécessaire une forme d’union entre les restes de l’ancien territoire palestinien et la Jordanie (ex-Transjordanie) dont la majorité de la population est d’origine palestinienne, comme le roi de Jordanie l’avait proposé plus d’une fois jusqu’en 1988. Mais on ne voit pas comment les Etats arabes pourraient réussir l’amélioration du sort des Palestiniens sans les traiter partout comme des compatriotes parfaitement égaux en droit (ce que n’a jamais voulu faire le Liban, ni l’Egypte, ni même la Syrie), et sans abaisser leurs frontières interétatiques (comme les Etats européens l’ont accepté depuis longtemps) pour créer une véritable nation arabe [40].

Mais le règlement du problème palestinien suppose impérativement le préalable de la paix, et non l’inverse. A partir de là, tout pourrait devenir possible à terme, même une vraie égalité entre citoyens juifs et arabes à l’intérieur de l’Etat israélien, même un effacement progressif des frontières entre les Etats israélien et palestinien, à condition que tous les intéressés l’acceptent vraiment.

Guy Pervillé

[1] Voir The Times of Israël, 31 août 2024 : "Ehud Olmert et un ex-ministre de l’Autoritéé palestinienne (Nasser al-Kidwa) proposent un plan pour une solution à deux Etats".

[2] Sans oublier l’erratum publié dans le n° 409, janvier-février 2010, p 76.

[3] Voir notamment les analyses de Esther Banbassa, Denis Charbit, Maurice-Ruben Hayoun, Tony Judt, Maurice Sartre, et la réponse de Shlomo Sand, dans Le Débat, n° 158, janvier-février 2010, pp 146-192.

[4] J’ai analysé ce livre en détail à l’Université de Toulouse-Le Mirail le 5 mai 2010. Le texte de mon analyse a été publié dans les Cahiers d’histoire immédiate, n° 48, décembre 2015 ( http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=378) .

[5] Nathan Weinstock, Renaissance d’une nation, les juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste, Lormont (33), Editions Le bord de l’eau, 2012, 306 p ; Terre promise, terre trop promise. Genèse du conflit israélo-palestinien (1882-1948, Paris, Odile Jacob, 2011, 509 p.

[6] Nathan Weinstock, Le sionisme contre Israël, Paris, Maspero, 1969, suivi en 1970 par Le mouvement révolutionnaire arabe.

[7] Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Paris, Editions Sindbad, 2009, 525 p.

[8] Paris, Perrin, 1999 et 2003, tableau p. 429 et carte p. 519.

[9] Paris, Denoël, 2009. Cet ouvrage est complété par un résumé électronique intitulé : « Fin du judaïsme en terre d’islam : une modélisation », 2009.

[10] Paris, Tallandier, 2012, 966 p.

[11] Les responsabilités de cet exode, longtemps attribuées à la Ligue arabe par les Israéliens et à Israël par les Arabes, ont été renouvelées par ce qu’on appelle les « nouveaux historiens » israéliens ; mais leurs analyses sont loin d’être identiques, si l’on considère par exemple les positions politiques de Benny Morris, auteur de Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Bruxelles, Complexe, et CNRS-IHTP, 2003, 853 p, et celles de Ilan Pappé, Une terre pour deux peuples, histoire de la Palestine moderne, Paris, Fayard, 2004, 357 p, et Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008, 395 p. On trouvera une utile introduction historiographique dans la préface de l’édition française du livre d’un autre historien israélien, Yoav Gelber, Palestine 1948, guerre d’indépendance ou catastrophe ?, éditions Les provinciales, 2013, 429 p.

[12] Ce fait avait déjà été souligné par le politologue Bruno Etienne dans sa thèse publiée en 1968 : Les Européens d’Algérie et l’indépendance algérienne, Paris, Editions du CNRS, 1968.

[13] Sur le reclassement des réfugiés grecs de Turquie, voir notamment le livre classique de Dimitri Pentzopoulos, The Balkan exchange of minorities and its impact upon Greece, Paris et La Haye, Mouton, 1962, et l’ouvrage récent de Françoise Rollan, Quand la violence déplace : mémoires et migration forcées depuis et vers la Turquie publié à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. (2013). Françoise Rollan est directrice de recherche au CNRS, rattachée à l’équipe 3E (Europe, Européanité, Européanisation) de l’université Michel de Montaigne-Bordeaux 3. Géographe, elle a vécu cinq ans en Turquie.

[14] United Nations Relief and Works Agency for Palestine refugees in the Near East (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour le Proche Orient). Selon l’article de Wikipedia (consulté le 23 juillet 2014) c’est « un programme de l’Organisation des Nations Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Son but est de répondre aux besoins essentiels des réfugiés palestiniens en matière de santé, d’éducation, d’aide humanitaire et de services sociaux, ce qui fait que les réfugiés palestiniens sont les seuls réfugiés au monde à ne pas dépendre du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR). ll fut créé à la suite de la première guerre israélo-arabe de 1948 par la résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale des Nations-Unies du 8 décembre 1949. Le mandat de cet organisme, qui devait être temporaire, a été constamment renouvelé par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Ce mandat a été prolongé jusqu’au 30 juin 2017.” Contrairement aux règles adoptées par le HCR, ce statut s’applique également aux descendants des réfugiés, ce qui fait que le nombre des bénéficiaires est passé de 700.000 en 1950 à plus de 4,8 millions en 2005 et continue d’augmenter pour des raisons démographiques.

[15] Voir « Le compromis territorial d’Oslo I et II », in Frédéric Encel et Alexandre Nicolas, Atlas géopolitique d’Israël, Paris, Autrement, 2012, p. 76.

[16] Voir les cartes des discussions de Camp-David II et de Taba in Frédéric Encel et Alexandre Nicolas, Atlas d’Israël, Paris, Autrement, 2012, p. 77.

[17] Voir les cartes de Frédéric Encel et Alexandre Nicolas, Atlas géopolitique d’Israël, Paris, Autrement, 2012, p. 25 (« Israël-Hezbollah, été 2006 ») et p. 57 (« Israël, cible balistique et « kamikaze » »).

[18] Voir le très bon dossier présenté par Christophe Ayad, « Chiites-sunnites, guerres ouvertes », dans Le Monde, 23 mai 2013, rubrique décryptages, pp. 20-21.

[19] Voir Le Monde, 2 février 2006, p. 22-23, 24 avril 2009, p. 18, et 21 mai 2009, pp. 16-17.

[20] Dans son livre Histoire de Gaza, Paris, Fayard, 2012, pp. 405-406.

[21] Par exemple Régis Debray et Stéphane Hessel, dans leur libre opinion parue dans Le Monde du 25 janvier 2011, p. 20, sous le titre « Une censure indigne. Après un débat interdit, ce qu’auraient dit sur Gaza deux anciens normaliens ». Après avoir fait l’éloge de l’admirable travail de l’UNRWA, ils mentionnent le danger de « la politique du pire, celle que représente le blocus physique et politique d’un territoire étranglé et qui verra sa population doubler d’ici vingt ans », sans établir un rapport entre ces deux faits.

[22] “Gaza, les raisons de la violence”, par Gunnar Heinsohn, directeur du Raphael Lemkin Institut de l’Université de Brême, Le Monde, 20 juin 2007, p. 20.

[23] Jean-Pierre Filiu, op. cit., p. 98. Selon le même auteur (op. cit., pp. 87-88), durant les négociations de paix israélo-arabes de Lausanne, en 1949, Israël avait proposé d’annexer Gaza pour en recaser les réfugiés moyennant une aide financière internationale. En octobre 1954, le colonel Nasser envisageait de céder Gaza à la Jordanie dans le cadre du plan de partage de 1947 (op.cit., p. 99).

[24] Voir par exemple l’Atlas du monde arabe, de Rafic Boustani et Philippe Fargues, Paris, Bordas, 1990, p. 120 : « La bombe démographique »

[25] « La guerre des berceaux », entretien avec Youssef Courbage, Les collections de l’Histoire n° 39, avril 2008, pp. 90-91). Cf l’avis de Frédéric Encel dans son Atlas géopolitique d’Israël, déjà cité : « La démographie, entre fantasmes et réalités », pp. 40-41.

[26] Article de Haaretz reproduit dans Courrier international, n° 1148 du 31 octobe au 7 novembre 2012, p. 28.

[27] « L’arme démographique », éditorial d’Eric Chol dans Courrier international, n° 1160 du 24 au 30 janvier 2013, p 3.

[28] Mur décrit par Frédéric Encel, op. cit., pp. 56-57.

[29] Voir ces groupes de colonies jugés nécessaires à conserver pour Israël, Encel, op. cit., pp. 58-59 : « La logique des blocs d’implantation en Cisjordanie ».

[30] Même si la fin de la guerre d’Algérie a cruellement démenti de telles promesses contenues dans les accords d’Evian.

[31] Voir sur mon site les statistiques tirées de mon article d’Historiens et géographes n° n° 407, juillet-août 2009, p. 258, corrigées depuis sur mon site. Je suis confus de l’erreur que j’ai commise dans cet article en confondant le total des Palestiniens vivant sur le territoire de l’ancienne Palestine avec celui de tous les Palestiniens, exilés compris, total qui approcherait de 10 millions. Il faut néanmoins souligner que l’interview de Youssef Courbage, déjà citée plus haut, révise à la baisse les estimations de la population palestinienne vivant sur la terre palestinienne, et affirme que les Israéliens y sont nettement majoritaires dans le pays et pourraient le rester. Mais il n’en reste pas moins vrai que l’éventuel retour des Palestiniens exilés renverserait cette donnée.

[32] Voir la carte de cet « accord de Genève » dans Le Monde, 4 novembre 2003, pp. 14-15, ou par par Philippe Rekacewicz, dans Le Monde diplomatique, décembre 2003.

[33] Voir Le Figaro du 27 janvier 2011, p. 7. Voir aussi le sort de Jérusalem dans Le Figaro, 27 janvier 2011, p. 7, et dans Frédéric Encel, op. cit., p. 79.

[34] Voir dans Courrier international n° 1150 du 15 au 21 novembre 2012 la controverse intitulée « Abbas est-il un traître à la cause palestinienne » (après sa déclaration suivant laquelle il aimerait revoir sa ville natale de Safed mais non y vivre) dans deux journaux arabes de Londres : « Oui, il rampe devant Israël » (Elias Khoury, Al-Quds Al-Arabi), « Non, il a le courage de dire la vérité » (Hazem Saghieh, Al Hayat). Et dans Le Monde des 25 et 26 novembre 2012, p 23, la lettre du Proche-Orient de Laurent Zecchini, « Mirage d’un retour en Palestine ... »

[35] Ou plutôt, le droit de choisir entre le retour et une juste indemnisation, suivant la résolution 194 (III) votée le 11 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, d’après laquelle « il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables ».

[36] http://www.liberation.fr/monde/2012/11/29/abbas-demande-a-l-onu-de-signer-l-acte-de-naissance-d-un-etat-palestinien_864114.

[37] Voir dans Le Monde du 14 août 2013 l’éditorial intitulé « Proche-Orient : l’effort louable de John Kerry », le 9 avril 2014 p. 17 l’analyse de Benjamin Barthe « Israël-Palestine : les quatre erreurs de John Kerry », et dans le n° du 25 avril 2014, l’éditorial « Feu le processus de paix israélo-palestinien »,

[38] PS : auquel a succédé le socialiste Isaac Herzog le 7 juillet 2021.

[39] Mais un accord entre l’OLP et le Hamas a été signé le 23 avril 2014, ce qui a entraîné la suspension des négociations de paix par Israël.

[40] Voir les réfugiés palestiniens dans les camps en Syrie, Jordanie et Liban dans L’Atlas du Monde arabe de Mathieu Guidère et Claire Levasseur, Paris, Autrement, 2012, pp. 64-65.



Forum