L’entente franco-marocaine - La tension franco-algérienne (AP 1976, janvier, pp. 164-165)
Le Premier ministre marocain, M. Ahmed Osman, arrive à Paris le 7 janvier pour une visite officielle de trois jours, qui consacre l’entente franco-marocaine, sans nuage depuis le voyage de M. Giscard d’Estaing en mai 1975. Les conversations entre les chefs de gouvernements portent principalement sur le déséquilibre de la balance commerciale franco-marocaine, qui rend désirable une aide financière et un afflux de capitaux français. M. Dijoud viendra signer à Rabat le 20 janvier des accords améliorant la situation des travailleurs marocains immigrés. Sur le problème du Sahara occidental, l’attitude de la France est « compréhensive » pour l’action du Maroc. L’opinion française s’inquiète du sort de six jeunes gens et de deux coopérants disparus depuis la fin de décembre dans le sud-marocain, vraisemblablement du fait de la guérilla. Mais M. Osman assure que l’ordre est rétabli au Sahara. Le roi Hassan II sera l’hôte de la France en mai 1976.
Cependant, et de ce fait même, la tension franco-algérienne s’aggrave. La presse algérienne continue de mettre en accusation la politique française au Sahara, dans toute l’Afrique et dans le monde entier : la France mérite, selon El Moudjahid, « la palme des interventions contre les peuples opprimés ». Après l’attentat commis le 3 janvier contre les locaux de ce journal, l’arrestation d’un commando de saboteurs est annoncée le 8 janvier à Alger. Son chef possède un passeport français au nom de Claude Pascal Rousseaux, et serait un des dirigeants des « Soldats de l’opposition algérienne » (SOA : anagramme présumé de OAS), organisation terroriste fondée en octobre 1973 et responsable de plusieurs attentats contre des locaux algériens en Europe, dont celui contre le consulat de Marseille. Son fondateur, Mouloud Kaouane, aurait été envoyé en Algérie en 1965 par le colonel Fourcaud, du SDECE.
Un fonctionnaire français, M. Benet, est accusé d’avoir recruté plusieurs des saboteurs pour le compte des services spéciaux. Alors que le SOA revendique dès le 6 janvier les attentats contre El Moudjahid et contre les tribunaux militaires algériens, le gouvernement français dément toute participation de ses services et déclare qu’il souhaite normaliser ses relations avec l’Algérie. Puis le ministère de l’Intérieur annonce que plusieurs des saboteurs arrêtés en Algérie étaient recherchés en France pour des attentats contre les réfugiés basques espagnols.
Même si la coopération continue, avec la visite à Alger de M. Jacques Barrot, secrétaire d’État au logement, il est difficile de ne pas croire, comme M. Sauvagnargues, à un « refroidissement des relations entre Paris et Alger ». La vente d’avions « Mirage » au Maroc est dénoncée par Algérie-Presse-Service comme « une assistance dirigée contre la révolution algérienne ». L’Algérie dément la cession à l’URSS de la base de Mers-El-Kébir, annoncée par la presse marocaine d’après une émission de Radio France Internationale. L’agence APS accuse la France de s’aligner sur les USA et d’adopter envers l’Algérie des « attitudes d’extrême hostilité ».
La tension franco-algérienne (suite) (AP 1976, février, p. 176)
Dans un entretien avec Jean Daniel, du Nouvel Observateur, le président Giscard d’Estaing tente d’apaiser les relations franco-algériennes au début du mois. Il n’y a, selon lui, « ni crise ni tension » entre les deux pays. Il respecte la souveraineté et l’« option socialiste » de l’Algérie. Hostile à « la multiplication des micro-États », la France est pourtant neutre dans le conflit du Sahara. La preuve en est que « Tindouf nous paraît appartenir indiscutablement à l’Algérie » et que la France soutiendrait l’Algérie si la question se posait à l’ONU. En foi de quoi elle accepterait d’offrir ses bons offices à la demande expresse de l’Algérie et du Maroc. Cet appel à une « coopération sans arrière-pensée » est froidement accueilli par l’Algérie, qui ne croit pas à la neutralité française et s’émeut de voir soulever la question de Tindouf.
Plusieurs attentats commis en France contre des établissements algériens relancent la tension. Après l’explosion d’une bombe devant l’Office National Algérien du Tourisme le 22 février à Paris, le gouvernement algérien dénonce une fois de plus la responsabilité des services français et réclame : 1) la reprise des enquêtes abandonnées, 2) le démantèlement des organisations terroristes anti-algériennes, 3) le châtiment des fonctionnaires coupables de collusion ou de complicité, 4) la poursuite des organes de presse ayant encouragé, exalté ou justifié ces crimes.
M. Mitterrand en voyage à Alger (AP 1976, février, p. 176)
Sur ces entrefaites, M. Mitterrand conduisant une délégation du parti socialiste est l’hôte du FLN algérien du 24 au 27 février. MM. Boumedienne et Bouteflika ont fait taire leurs préventions contre le parti de l’ancien ministre résidant Robert Lacoste, contre son chef actuel, ministre de l’Intérieur en novembre 1954, et contre les sympathies pro-israéliennes d’un grand nombre de ses membres. L’agence APS insiste au contraire sur les nouvelles positions du parti socialiste régénéré. Venu pour « entendre le point de vue algérien », M. Mitterrand déclare qu’il faut opérer un redressement de « la coopération franco-algérienne, actuellement détériorée ». Cette visite est d’autant moins appréciée par la majorité que le président Boumedienne a clairement souhaité un changement politique en France : « Il faut que la gauche arrive au pouvoir. »
Le voyage du Premier ministre en Libye (AP 1976, mars, p. 183)
Peu après la visite à Tunis de M. Sauvagnargues dans le cadre de la commission franco-tunisienne (11 mars), M. Chirac se rend à Tripoli sur l’invitation du colonel Kadhafi (20-22 mars). Cette visite longtemps attendue par la Libye, premier État arabe acheteur d’armes françaises, qui s’estimait délaissé par le nouveau gouvernement de Paris, s’annonce difficile. Le mois précédent, pendant que le Premier ministre libyen, le commandant Jalloud, arrivait à Paris pour une rencontre de travail (10 février), le colonel Kadhafi avait déclaré au Monde que la France le décevait en se comportant en « marchand de canons » et en se rapprochant des USA. M. Chirac s’emploie de son mieux à dissiper ces inquiétudes, visiblement inspirées par les analyses du gouvernement algérien. Il fait l’éloge de son hôte, « véritable chef d’État », à la « forte personnalité », « aux opinions tranchées, mais nuancées », qu’il compare au général de Gaulle. Il affirme que le gouvernement français reste fidèle aux principes du gaullisme. Personnellement, il était partisan de reconnaître le gouvernement de Luanda, et le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Ainsi réussit-il à rassurer son hôte sur l’orientation générale de la politique française. Mais les discussions qui aboutissent à la signature de trois accords (économique, culturel et scientifique, maritime) et du procès-verbal des débats sont âpres. En particulier la Libye, inquiète de la détérioration de sa balance commerciale par la diminution des achats français de pétrole, n’obtient pas satisfaction : la France veut diversifier ses fournisseurs et refuse de conclure de nouveaux contrats entre États. Le résultat positif de cette visite semble donc fragile.
Accalmie dans les relations franco-algériennes ( AP 1976, mars, p.183)
Vers le milieu du mois, la presse algérienne met une sourdine à ses critiques contre la politique française. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette accalmie. Le président Giscard d’Estaing a envoyé un message au président Boumedienne au début du mois. Il fait reporter le 19 mars la visite du roi Hassan II, prévue pour les 7-8 et 9 avril. Les déclarations de M. Chirac à Tripoli ont pu être répercutées vers Alger. Le 25 mars, le ministre de l’Intérieur, M. Poniatowski, fait expulser l’opposant algérien Kaïd Ahmed, naguère haut dignitaire du régime, qui tenait une conférence de presse à Paris. Enfin un responsable d’une organisation de rapatriés français musulmans, M. Laradji, emprisonné pour avoir préparé la prise en otage d’un consul algérien. n’est pas relâché, en dépit des menaces de ses amis.
Persistance de la tension franco-algérienne ( AP 1976, mai, p. 214)
La prise de position du président Boumediene contre la proposition française d’intervention au Liban témoigne de la persistance de la tension franco-algérienne, en dépit des indices d’améliorations observés au mois de mars. Depuis lors, les nouvelles rassurantes et inquiétantes alternent sans qu’une tendance nette se manifeste. C’est ainsi qu’au début d’avril est annoncé un contrat par lequel la Sonatrach s’engage à fournir chaque année, à partir de 1980, 3,5 milliards de m3 de gaz à Gaz de France pendant vingt ans. Mais deux semaines plus tard, l’agence Algérie Presse-Service déclare que la France achète le gaz algérien à des conditions de prix injustes. Un arrangement sur la révision des anciens prix, déjà accepté par GDF, aurait été rejeté par le gouvernement français. Celui-ci dément. En même temps, les autorités algériennes décident d’exiger un passeport des Français qui entrent en Algérie. C’est la fin d’un régime préférentiel, dans lequel la carte d’identité suffisait pour circuler d’un pays à l’autre. Pourtant le 21 avril, l’ambassadeur d’Algérie, M. Bedjaoui est reçu par le président Giscard d’Estaing et lui remet un message du président Boumediene, réponse à ce dernier à la lettre reçue en mars. Le communiqué souligne la « volonté de dialogue » et le « ton positif » de cette réponse. Puis les 25 et 26 avril, M. Jean-François Poncet, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, est reçu à Alger avec la délégation de la communauté économique européenne qui vient signer solennellement, le 26, les nouveaux accords d’association entre l’Algérie et la CEE. Sa visite soulève des espoirs.
La visite officielle du roi Hassan II (AP 1976, novembre, pp. 282-283)
Du 22 au 25 novembre, le roi du Maroc est l’hôte du président de la République. Cette visite confirme les excellentes relations personnelles nouées entre les deux chefs d’État lors du voyage présidentiel de mai 1975 au Maroc. Toutefois, le souci de ne pas sembler trop engagé du côté marocain aux yeux des dirigeants algériens avait conduit le Président à reporter à plus tard cette visite prévue pour le mois de mai 1976, en raison du danger de guerre entre les deux pays maghrébins. Les entretiens portent donc sur les problèmes politiques de la Méditerranée qui mettent la paix en danger, et sur les dossiers de la coopération franco-marocaine.
Les toasts portés au cours du dîner offert par le président de la République au château de Versailles témoignent de la cordialité de la rencontre et d’une même façon d’envisager les problèmes. « C’est dans les rapports entre pays riverains de la Méditerranée que l’action conjuguée de la France et du Maroc peut être le plus directement utile », déclare M. Giscard d’Estaing. Donner un contenu concret à « la séduisante image : "Méditerranée, lac de paix" », cela suppose d’y faire prévaloir le respect de l’indépendance des nations, de l’égalité des États, et de la vocation des pays méditerranéens à résoudre eux-mêmes, sans ingérence extérieure, les pays de leur région. La France, « inspirée par l’équité et la modération, souhaite que les tensions qui subsistent dans le monde méditerranéen s’effacent grâce à des règlements pacifiques » - Le roi Hassan II répond : « je sens que notre coopération (...) va aller en croissant, non seulement en quantité, mais en qualité, car, en politique, le problème essentiel est d’être d’accord sur la globalité et la finalité des objectifs. Or nous avons le même souci de paix que la France. » « Nous ne mettrons jamais nos amis devant des choix difficiles, pour ne pas dire impossibles », a-t-il ajouté. Ces paroles répondent spécialement aux inquiétudes françaises devant l’éventualité d’une guerre algéro-marocaine au Sahara et au souci de neutralité qui est celui du président de la République, nonobstant son scepticisme envers les « mini-États ». Deux coopérants français capturés en décembre 1975 par les forces sahariennes ont été libérés le 27 octobre, après de nombreux délais et contretemps dus, semble-t-il, aux réticences de la France devant une prise de contact officielle avec les autorités du « mini-État » en exil, et à sa sympathie bien connue pour son royal « copain ». Celui-ci, répondant à la presse, a réaffirmé ses intentions pacifiques : « Avec l’Algérie, nous souhaitons que nos relations puissent s’améliorer pour redevenir ce qu’elles étaient auparavant (...). En ce qui la concerne, la France n’a pas voulu s’immiscer dans les affaires entre voisins. Elle s’est contentée d’être pour le droit ».
Conformément à ces déclarations, le communiqué commun mentionne d’abord la situation en Méditerranée. Les deux chefs d’État « se sont félicités des accords de Riyad et du Caire » et souhaitent le succès du président Sarkis, ainsi que « de nouveaux efforts », en vue d’un « règlement juste et durable du conflit du Proche-Orient, avec la participation de toutes les parties concernées ». Ils constatent la « convergence » de leurs vues en politique internationale, et voient dans leur rencontre « une haute manifestation du caractère spécifique des relations existant entre la France et le Maroc et de leur volonté de les approfondir davantage ». La coopération économique est évoquée sans grand détail. On sait que la participation de la France à des projets sidérurgiques, chimiques, et la fourniture d’une centrale électro-nucléaire ont été envisagées. La coopération militaire, qui se développe depuis quatre ans dans le cadre du plan de modernisation de l’armée royale, est dans le même cas. L’adaptation de la coopération culturelle, scientifique et technique aux besoins nouveaux du Maroc est décidée (le roi s’était plaint du relâchement de la qualité des professeurs français). Enfin les deux chefs d’État se félicitent des améliorations apportées à la situation de la colonie française au Maroc et de la colonie marocaine en France.
Ce voyage confirme l’existence de relations privilégiées entre la France et le Maroc. Venant après la visite du roi d’Espagne à Paris, et avant celle du roi du Maroc à Madrid, envisagée pour le printemps, elle s’inscrit dans le cadre de l’« axe Paris-Madrid-Rabat », auquel se réfère explicitement Hassan II.
Guy Pervillé