FREMEAUX, Jacques, La conquête de l’Algérie. La dernière campagne d’Abd-el-Kader . Paris, CNRS Editions, 2016, 330 p. 25 euros. (ISBN : 978-2-271-08597-9).
Ce nouveau livre de Jacques Frémeaux est une nouvelle version enrichie de son mémoire de maîtrise soutenu à la Sorbonne il y a quarante-trois ans, avec le souci d’approfondir sa réflexion sur les deux problèmes majeurs qui se sont posés en Algérie dans les années 1845-1847 : la conquête et la colonisation. Ce choix s’explique par la volonté de l’auteur de « rappeler un passé qui ne peut être méconnu, sous peine d’aborder avec naïveté les questions du présent » (préface, p. 10). Aussi éloigné de la repentance anticoloniale que de l’apologie colonialiste, il montre à quel point la grande révolte de 1845, rejointe par l’émir Abd-el-Kader, a montré la fragilité des victoires obtenues par Bugeaud sur celui-ci depuis 1841, et inspiré aux contemporains des jugements sur la fragilité de la conquête, comme celui, à chaud, du général Lamoricière le 11 octobre 1847 (« Cette population peut subir le joug quand elle voit devant ses yeux la force qui l’y contraint, mais elle est oublieuse des châtiments, prompte à la révolte, et toujours disposée à recommencer la lutte lorsqu’elle aperçoit quelque chance de succès »), et celui plus distancié de Pellissier de Raynaud en 1854 : « La grande insurrection de 1845-1846 fut une crise utile pour l’Algérie. Elle démontra aux Arabes tant aux fanatiques qu’aux politiques, l’inutilité de leurs efforts pour secouer un joug que nous ne demandons pas mieux que de rendre doux » (p. 295). Il constate que la victoire militaire française a permis à la France de conserver la souveraineté sur l’Algérie pour encore 115 ans : « Le précaire se sera ainsi consolidé pendant plus d’un siècle, pour s’effondrer finalement dans le soulagement d’une métropole frappée d’un bref éclair de lucidité » (p. 297). Deux annexes terminent le livre, l’une sur la mémoire de la bataille de Sidi Brahim, l’autre sur le souvenir de l’émir Abd-el-Kader.
Ce livre est à recommander à tous les lecteurs qui ont apprécié la grande synthèse comparative des deux guerres d’Algérie publiée par Jacques Frémeaux en 2002 : La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.
Guy PERVILLE
VERMEREN, Pierre, La France en terre d’islam. Empire colonial et religions, XIXe et XXe siècles . Paris, Belin, 2016, 431 p. 23 euros. (ISBN : 978-2-7011-9664-0).
Pierre Vermeren, qui est aujourd’hui l’un des principaux spécialistes de l’histoire des pays du Maghreb en poste dans les universités françaises, consacre son nouveau livre à un sujet d’actualité : les rapports entre la France et l’islam. Ce livre est en grande partie issu d’un cours que son auteur a récemment enseigné à la Sorbonne, mais il est profondément motivé par le contraste qu’il souligne vigoureusement entre une politique religieuse coloniale qui s’était efforcée durant plus d’un siècle - depuis l’expédition d’Egypte de Napoléon Bonaparte et surtout depuis la prise d’Alger en 1830 - de connaître et de contrôler l’islam, ne fût-ce que pour mieux tenir le pays, et son oubli presque total depuis 1962 en France métropolitaine, comme si la décolonisation avait signifié la fin de la longue coexistence entre la France et cette religion. Ainsi, comme il le dit dans son introduction (p. 13), « ce que la France n’a pas fait en Algérie au milieu du XXème siècle, elle doit le réaliser sur son sol au début du siècle suivant ». De même, il approfondit dans sa conclusion (p. 402) « l’actualité des rapports entre la République et l’islam après quarante ans d’amnésie », en insistant comme il l’avait fait dans un de ses livres précédents intitulé « Misère de l’historiographie du Maghreb post-colonial » (Publications de la Sorbonne, 2012, 288 p.) sur « la brutale rupture épistémologique et scientifique avec le Maghreb » qu’il relie à « la politique d’amnésie organisée par l’Etat, les partis politiques et les élites après 1962, sur un passé colonial délégitimé à hauteur du désastre final en Algérie », alors même que les Français, « en ignorant ce que font leur main gauche, ont de leur main droite, accueilli et hébergé des millions de ressortissants des anciennes colonies, tout en leur demandant de s’assimiler sans autre forme de procès ».
Cette thèse fondamentale sous-jacente au livre de Pierre Vermeren me paraît globalement très pertinente, même si elle pourrait néanmoins être nuancée. En effet, si les partisans français de l’Algérie indépendante avaient très largement sous-estimé l’importance de l’islam dans les motivations du nationalisme algérien - comme l’ont reconnu Pierre Vidal-Naquet et Paul Thibaud - ceux de l’Algérie française l’avaient également sous estimé pour d’autres raisons : le souci de ne pas faciliter la propagande des « rebelles » en dénonçant l’islam les avait conduits à exagérer considérablement le rôle du communisme pour faire du FLN l’ennemi commun de toutes les religions. Mais depuis la fin des années 1980, la découverte des revendications anti-laïques et du terrorisme islamiste en France a considérablement détérioré l’image de l’islam, qui apparaît désormais de plus en plus incompatible avec l’appartenance à la nation française aux yeux d’une part croissante de l’opinion publique. A lire le site anti-musulman « Riposte laïque », on constate que l’existence d’une politique musulmane de la France bien avant la guerre d’Algérie est un fait inconnu. Ce qui rend particulièrement souhaitable la lecture du livre de Pierre Vermeren.
Guy PERVILLE
MONNERET, Jean, Histoire cachée du Parti communiste algérien. De l’Etoile nord-africaine à la bataille d’Alger . Versailles, Via Romana, 2016, 176 p. 18 euros. (ISBN : 978-2-37271-050-3).
Jean Monneret est à la fois un historien, non universitaire mais d’une rigueur méthodique irréprochable, et un Français d’Algérie engagé dans la défense de ses compatriotes trop souvent malmenés par des auteurs « anticolonialistes ». En consacrant ce nouveau livre à l’histoire du Parti communiste algérien, il avait d’abord voulu répondre à la présentation très partisane de « l’affaire Audin » - la disparition de ce jeune intellectuel communiste peu après son arrestation par les parachutistes du général Massu à Aller en juin 1957 - par le Parti communiste et par des intellectuels de gauche qui avaient voulu en faire « une nouvelle affaire Dreyfus », comme l’a reconnu Pierre Vidal-Naquet dans la nouvelle édition de son livre L’affaire Audin publié d’abord en 1958. Puis il a ressenti la nécessité de situer cet épisode dans la longue durée des rapports agités entre les communistes et les nationalistes algériens, qui oscillèrent d’une manière cyclique entre la coopération et la rupture de 1926 à 1956.
La démonstration très précise que fait Jean Monneret est sévère mais juste, et le conduit à une conclusion qu’il anticipe dès la fin de son introduction (ppp. 8-9), et qu’il reprend dans sa postface (p. 138) : « Pour le Parti communiste, l’affaire Audin a servi à camoufler ou à tenter de faire oublier une réalité gênante : celle de son échec historique aussi ample qu’irréversible en Algérie ». Conclusion globalement convaincante, mais un peu excessive, quant il précise dans la note 188 que « le PCA a pratiquement cessé d’exister après 1957 ». En réalité, le Parti avait survécu dans la clandestinité et à l’extérieur du pays, et malgré sa dissolution par le gouvernement Ben Bella au nom du Parti unique le 30 novembre 1962, ses militants ont joué un rôle non négligeable dans la majorité présidentielle jusqu’au coup d’Etat du 19 juin 1965, comme le montrent notamment les souvenirs du président de l’Union nationale des étudiants algériens, Houari Mouffok (Parcours d’un étudiant algérien, de l’UGEMA à l’UNEA, Saint-Denis, Editions Bouchène, 1999). La démonstration de Jean Monneret aurait donc été plus convaincante si elle avait été prolongée au delà de 1957.
Guy PERVILLE
JAUFFRET Jean-Charles, La guerre d’Algérie. Les combattants français et leur mémoire . Préface de Jean-François Sirinelli. Paris, Odile Jacob, 2016, 298 p. 23,90 euros. (ISBN : 978-2-7381-3360-1).
Précédé par une réflexion approfondie de Jean-François Sirinelli - qui éclaire très finement le problème des rapports entre la mémoire des anciens acteurs et témoins d’une guerre, et le travail d’un historien qui n’appartient pas à la même génération, celle de la « dernière guerre des gros bataillons » - ce nouveau livre de l’historien Jean Charles Jauffret nous présente une nouvelle fois, suivant un plan à la fois thématique et chronologique, les expériences vécues et gardées en mémoire des combattants français de la guerre d’Algérie qu’il a pu interroger ou dont il a pu lire les écrits. Rappelant dans son introduction le vaste programme de recherche qu’il a poursuivi durant plus de vingt ans à l’Université de Montpellier III puis à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, et qui a déjà donné lieu à la publication d’une première grande synthèse - Soldats en Algérie. Expériences contrastées des hommes du contingent, 1954-1962, publié chez Autrement en 2000 et six fois rééditée, notamment en 2011 - il précise que l’enquête qu’il a dirigée et réalisée à travers ses étudiants a concerné plus de mille témoins en grande majorité anciens appelés ou rappelés, soit environ 1% des appelés ; mais aussi qu’il a interrogé une trentaine de témoins engagés, rengagés, sous-officiers ou jeunes officiers. Sans oublier les nombreux documents conservés dans des archives privées (collections de lettres et de photos, carnets personnels, agendas, journaux dont il a publié ou aidé à faire publier quelques uns, comme ceux de Paul Fauchon et de Claude Picard), et bien sûr les enseignements de colloques et des travaux d’autres historiens.
Ce nouveau livre restitue toute la diversité des expériences retracées par tous ces témoignages, en guidant le lecteur depuis l’arrivée à la caserne et le départ vers l’Algérie inconnue, jusqu’aux lendemains de guerre souvent douloureux et à quelques expériences de retour en Algérie. Il en développe l’une, celle de son retour en Kabylie le 8 avril 2015 avec Paul Fauchon, dans un épilogue qui donne à son livre une conclusion positive, celle de la réconciliation des mémoires des anciens ennemis. Sans oublier pour autant de rendre hommage à la mémoire du randonneur Hervé Gourdel, enlevé et assassiné dans la même région en septembre 2014 par des islamistes qui n’avaient pas plus que lui vécu la guerre d’indépendance de l’Algérie, mais qui en conservaient sans doute en héritage une mémoire vengeresse. Un livre très utile à tous ceux qui veulent mieux comprendre l’expérience d’une autre génération, appartenant à une autre époque.
Guy PERVILLE
HARBI, Mohammed, L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens . Saint-Denis, Editions Bouchène, 184 p. 16 euros. (ISBN : 978-2-35676-073-9).
Ce livre de Mohammed Harbi n’est pas une nouveauté, puisqu’il a été publié pour la première fois par les éditions Arcantère en décembre 1992, puis une deuxième fois en 1997, et enfin une troisième édition revue et corrigée a été publiée en 2016 par les Editions Bouchène à Saint-Denis sous un format agrandi et avec un nombre de pages diminué mais sans que le texte en soit raccourci. Il se présente au début comme une réflexion personnelle d’un militant devenu historien sur l’histoire du mouvement national algérien (PPA-MTLD, puis FLN) auquel il a participé comme acteur et témoin, mais l’aspect de témoignage s’efface rapidement devant les analyses qui suivent un plan chronoloqique, des origines du FLN jusqu’à l’assassinat de Mohammed Boudiaf le 29 juin 1992.
Le caractère très personnel du premier chapitre (intitulé « le chemin de l’apprentissage »), qui se retrouve dans l’épilogue final, où l’auteur « jette un regard retrospectif sur ce qu’a été l’itinéraire d’une génération » (la sienne) , a pu dérouter certains lecteurs, mais il s’explique très bien si l’on admet que ce livre a été rédigé à partir du mémoire d’habilitation à diriger des recherches, soutenu par Mohammed Harbi (sous le titre : « Sur le nationalisme populiste ») à l’Université de Paris VIII en 1991. Il s’agit donc du cas exceptionnel d’un travail universitaire dont l’auteur a vécu, avec beaucoup d’autres, les événements auxquels il a consacré toutes ses recherches. La mise en perspective que celui-ci opère permet de mieux situer toutes les étapes antérieures de ses travaux, qui ont révolutionné l’histoire de la guerre d’Algérie en lui permettant de sortir du parti pris politique pour ou contre le FLN, pour le plus grand profit de ses lecteurs algériens et français. Mais avec le recul du temps, on peut y voir aussi une première réflexion sur le processus désastreux qui a conduit l’Algérie de la liesse du 1er juillet 1962 à la rechute dans une nouvelle guerre civile trente ans plus tard. Ce qui justifie amplement sa réédition un quart de siècle après sa rédaction.
Guy PERVILLE