Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie (2022)

samedi 30 juillet 2022.
 

Mon nouveau livre intitulé Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, est à paraître le 17 août prochain aux éditions SOTECA, comme il est signalé sur le site de la Société française d’histoire des outre-mers (SFHOM) et sur Twitter : http://www.sfhom.com/spip.php ?article3987, et https://twitter.com/sfhomoutremers/status/1526618026912714752

Couverture - 15 ko

Couverture

Quatrième de couverture :

La guerre d’Algérie, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, tient une place non négligeable dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire français depuis les années 1980, et sa mémoire a fait l’objet d’un enseignement méthodologique particulier pour la préparation de l’oral du baccalauréat , concurremment avec celle de la Deuxième Guerre mondiale. Pourtant, ces deux histoires et ces deux mémoires sont loin d’être identiques. Les élèves et les enseignants en sont d’ailleurs bien conscients, et se sentent souvent moins à l’aise avec la plus récente qu’avec la plus ancienne des deux.

De plus, le statut reconnu par l’Etat à la mémoire de cette guerre n’est pas du tout le même en France et en Algérie. Il faut comprendre les raisons de cette différence et ses conséquences, d’autant plus importantes que l’Etat algérien s’est efforcé depuis plus d’un quart de siècle d’effacer cette différence en essayant d’obtenir que la mémoire française s’aligne sur la mémoire algérienne, sans succès jusqu’à présent.

L’auteur a donc voulu faire oeuvre d’histoire contemporaine et immédiate, en allant jusqu’aux événements les plus récents.

Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine, a consacré de nombreux livres et articles à la guerre d’Algérie.

-  Ce livre vient de faire l’objet d’un compte rendu publié le 30 juillet 2022 par mon collègue Jean-Charles Jauffret dans le quotidien algérien Le Matin d’Algérie. Le même compte rendu doit paraître également dans la revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG) Historiens et géographes.

LE MATIN D’ALGERIE

30 juillet 2022

« Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie », de Guy Pervillé

30/07/2022

Armé d’une préface de Serge Barcellini à propos de la « tranches mémorielle » du conflit algérien, d’une solide chronologie et d’annexes précieuses de textes fondamentaux de reconnaissance de diverses mémoires, cette remarquable synthèse apporte beaucoup.

L’introduction distingue histoire et mémoire qui luttent de façon différente contre l’oubli. L’auteur note que la mémoire confond souvent causes et conséquences. Ce qui favorise les thèses complotistes, alors que l’analyse chronologique et scientifique de l’histoire ne s’intéresse qu’aux faits et évite la sacralisation du passé. En découle une « mémoire particulière » des Français d’Algérie qui cultivent la confusion entre histoire et mémoire.

Guy Pervillé démontre tout d’abord que la guerre d’Algérie n’a pas été une simple répétition de la Seconde Guerre mondiale. Ce que laisse entendre le phénomène d’assimilation entre « OAS=fascistes », « harkis=collabos » et « FLN=résistants ». La déviance de cette interprétation usuelle en Algérie entraîne un rejet des pieds-noirs et des juifs. Cette surimposition a persisté au temps de la guerre civile algérienne à la fin des années 1990, de sorte que chaque camp employait les mêmes appellations accusatrices. Ainsi, pour les islamistes engagés dans « une nouvelle guerre de libération », le gouvernement et ses acolytes composés de « nouveaux pieds-noirs » et de « nouveaux harkis » n’étaient que des « collabos » qui pactisaient avec le « parti de la France ». En fait, la seule comparaison possible pourrait être le long conflit des Irlandais se libérant de la tutelle anglaise.

En France, à l’inverse de l’Algérie, il n’y a pas de mémoire officielle. Une phase d’amnistie-amnésie de 1962 à 1992 accompagne des relations franco-algériennes en dents de scie. Comme pour l’autre conflit colonial, l’Indochine, il est difficile de commémorer une guerre perdue, certes quasiment gagnée sur le terrain, mais qui débouche sur un sentiment de honte en raison des moyens indignes d’une démocratie pour y parvenir.

Relatif à la mémoire algérienne pour la même période, le chapitre III est des plus instructifs. Guy Perville a été le premier à définir « l’hyper-commémoration » du 1er novembre 1954, fondement de la légitimité du régime d’Alger.

Cette seule mémoire renvoie au magasin des accessoires le PPA (Parti du peuple algérien) et l’insurrection du 8 mai 1945 tardivement reconnue. Ce ne fut qu’en 1992 que, pour la première fois, le cessez-le-feu, le 19 mars, fut considéré comme fête de la victoire.

Le triomphe du parti unique, le FLN, gomme aussi toute référence commémorative du 19 septembre 1958 où fut proclamé le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) au Caire, sous la présidence de Ferhat Abbas. Cette interprétation du passé se retrouve aussi dans la négligence des très riches racines de l’histoire algérienne, depuis les dynasties berbères et l’apport de la civilisation romaine.

Le FLN est fondé sur un discours et un héritage arabo-musulman comme seul fondement de la nation. Il en découle que la période de 1830 à 1962 est vue sous ce prisme déformant, sans tenir compte par exemple des messalistes.

On conçoit combien est essentielle pour l’historien l’étude des textes fondamentaux (dont le Manifeste du peuple algérien du 10 février 1943) mis en lumière par les travaux essentiels de Mahfoud Kaddache et de Mohammed Harbi. Leur analyse des diverses racines du nationalisme et de la nation algérienne a aidé, sur fond d’aspiration au changement de régime en 1988-1989, à la loi de 1989 donnant une certaine liberté d’expression aux chercheurs en Algérie.

Mais cette ouverture tourne court après la mort du président Boudiaf en 1992. C’est la rechute des contraintes mémorielles au moment où le pouvoir, par son discours militant, fait flèche de tout bois pour combattre le FIS (Front islamique du salut) et son avatar sanglant, le GIA (Groupe islamique armé). Le discours officiel reprend alors une expression de l’Etat colonial en utilisant systématiquement le terme de « terrorisme » pour ôter toute légitimité à l’islamisme. Ce qui occulte toute aspiration à la liberté. Ce que l’on retrouve récemment dans la négation du « Hirak » par le pouvoir d’Alger.

Ce qui fit dire, dès 1975, à Mohammed Harbi : « Comment des hommes, dont la résistance force l’admiration, n’ont pas su devenir des hommes libres ? ». En découle la quasi-impossibilité pour le chercheur d’accéder alors aux archives, malgré la revendication de la liberté d’expression revendiquée par les historiens lors de la courte ouverture pluraliste de 1988-1990.

Reste à analyser l’évolution de la mémoire française depuis 1992. La loi du 18 octobre 1999 reconnaissant la guerre d’Algérie est bien un tournant. Elle a été favorisée par l’immixtion de la « seconde guerre d’Algérie » en France, qui rappelle par sa violence et les malheurs du peuple algérien la période 1954-1962.

Les attentats de 1995, l’assassinat à Oran de Mgr Claverie, le 1er aout 1996, la fin des moines de Tibhirine la même année inquiètent l’opinion française. Mais l’auteur souligne fort à propos comme autre cause la dégradation des rapports franco-algériens au crescendo de la guerre civile, et comment le pouvoir d’Alger a manipulé la mémoire grâce à la Fondation du 8 mai 1945, sans tenir compte des travaux des historiens français et algériens (Boucif Mekhaled). En France, on bute devant l’impossibilité de trouver une date faisant l’unanimité, malgré la loi du 8 novembre 2012, sous la présidence Hollande, qui fait du 19 mars le « jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie », comme « Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie ». Et ce, à la grande satisfaction de la puissante FNACA (Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie), mesure critiquée par d’autres associations d’anciens combattants.

Les deux derniers chapitres analysent les commémorations de la guerre dans les deux pays. Guy Pervillé observe qu’à Alger la France demeure l’ennemi héréditaire. Si bien que le FLN fixe ses propres dates, dont celle de l’indépendance, le 5 juillet, symbole de la « résurrection » de l’Etat algérien après la capitulation d’Hussein Dey le 5 juillet 1830.

De même, choisi par le président Boumediene en 1966, la date du 20 août, « Journée nationale du Moudjahid » mélange deux événements, à savoir les massacres du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois et le Congrès de la Soummam. Plus tard, la commémoration du massacre de Paris du 17 octobre 1961 devient la « Journée nationale de l’immigration ».

L’auteur insiste sur les effets pervers de l’article 62, liberticide, de la constitution de 1996 révisée en 2008 qui définit la « soumission » des historiens pour pouvoir enseigner aux jeunes générations.

En découle la manipulation mémorielle des livres d’enseignement. D’autre part, l’Etat algérien glorifie la lutte de libération à travers les monuments symboliques d’Alger : statue d’Abd el-Kader remplaçant celle de Bugeaud, gigantesque mémorial des martyrs de 92 m inauguré en 1982... Toutefois le principal lieu de mémoire est le « carré des martyrs » du cimetière national d’El Alia au Sud de la capitale où sont inhumés Abane Ramdane, Mohammed Khider, Ben Bella...

Pour la France, l’auteur rappelle les diverses manifestations et associations dénonçant les « crimes coloniaux » depuis 1995, la fondation, dix ans plus tard, des « Indigènes de la République » et les passions suscitées en 2000-2002 par la publication de la thèse de Raphaëlle Branche sur la torture et l’armée. Très belle analyse du sort des harkis dont les injustices subies sont reconnues à partir de 1995.

Ce qui conduit à l’association « Harkis et droits de l’homme », en 2004, qui fait peu à peu l’unanimité et lève l’accusation de « collabos » les concernant. Si la mémoire des harkis peut être considérée comme apaisée depuis les efforts de l’Elysée lors de journées d’hommage en 2003 et 2022, il n’en va pas de même pour les Français d’Algérie. Et ce, malgré l’inauguration du monument du quai Branly le 5 décembre 2009. Plus tard y sont rajoutés les 61 tués de la rue d’Isly du 26 mars 1962 et les 1 585 noms de civils disparus, mais pas ceux du massacre d’Oran du 5 juillet 1962 (700 morts selon Jean-Jacques Jordi).

Cette mémoire blessée, de ceux qui se considéraient comme « Algériens », suscite toujours les passions. Notamment depuis l’inauguration en 2007, à Perpignan, avec le soutien du Cercle des algérianistes, d’un monument consacré aux pieds-noirs disparus et enlevés.

En conclusion, l’étude des efforts de la République pour réunifier des mémoires disparates conduit à la politique mémorielle du président Macron, fort du rapport de Benjamin Stora, de janvier 2021, à qui l’auteur reproche de faire la part trop belle à la mémoire au détriment de l’histoire. Le tout au nom de la réconciliation franco-algérienne, dont Guy Pervillé déplore qu’elle ne soit qu’à sens unique : pour l’heure sans aucun effort notable de la part du régime d’Alger.

Jean-Charles Jauffret

Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, préface de Serge Barcellini, Editions SOTECA, avril 2022, 180 p., 21 euros.

- Mon ancienne collègue du Groupe de recherche en histoire immédiate (GRHI) de Toulouse, Martine Cuttier, a de son côté publié un autre compte rendu le 3 août 2022 sur le site du journal en ligne La Vigie (n° 198) :

https://www.lettrevigie.com/blog/2022/07/27/histoire-de-la-memoire-de-guerre-dalgerie-pr-guy-perville-note-de-lecture/ :

Histoire de la mémoire de guerre d’Algérie (Pr Guy Pervillé) - Note de lecture

Cette année, l’Algérie fête le 60e anniversaire de son indépendance. Une telle date offre le prétexte à publications et si le déroulement de la guerre d’indépendance est appréhendé, la question qui s’impose depuis des années des deux côtés des rives de la mer Méditerranée est celle de la mémoire. Une mémoire de la guerre confrontée à l’histoire, deux notions en concurrence, sujettes à des enjeux éminemment politiques.

Le professeur Guy Pervillé, applique rigoureusement la méthode du métier d’historien lui évitant de verser dans la prise de position politique et idéologique plus propice au succès médiatique et à l’accès à des postes que certains jugent prestigieux, pour étudier « l’histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie » car là se concentrent les tensions entre la France et l’Algérie. Il rappelle que l’histoire est une discipline intellectuelle qui replace les faits dans leur contexte, respecte leur ordre chronologique et s’attache à distinguer leurs causes et leurs conséquences par rapport à la mémoire définie comme un devoir moral et politique où les faits sont utilisés à des fins politiques par les détenteurs du pouvoir (p 9-10). Exercice périlleux car la notion de « mémoire » a muté suite aux procès du tribunal de Nuremberg intentés contre les responsables du régime hitlérien et à ceux des années 1980 et 1990 qui ont abouti, en France, au Code pénal de 1994. A cette aune, la glorieuse épopée militaire française se transforme en commémoration de faits criminels (p 11).

Il démontre que la guerre d’Algérie ne fut pas une simple répétition de la Deuxième guerre mondiale (chapitre I) comme le pensaient les dirigeants de la Quatrième République pour lesquels la France devait se défendre contre l’agression étrangère du nationalisme arabe tandis que la gauche intellectuelle les accusait de copier les méthodes nazies. Débat tranché par le général de Gaulle qui reconnut la légitimité de la revendication algérienne et négocia avec le FLN mais débat repris après 1962 par les milieux politiques et intellectuels de gauche qui identifient l’OAS au fascisme et la résistance algérienne à la résistance française (pp 19-21). Une tendance à surimposer la mémoire des deux guerres de façon simplificatrice à laquelle l’auteur réagit en historien.

Dans les chapitres suivants, il présente l’évolution de la mémoire selon deux périodes : 1962 à 1992 puis depuis 1992.

Il étudie la mémoire française de la guerre d’Algérie (chapitre II), une guerre militairement gagnée mais politiquement perdue dont les présidents successifs de 1962 à1995 n’ont pas organisé une commémoration qui n’aurait pas rassemblé les Français. Ils ont préféré prendre des mesures d’amnistie envers les partisans de l’OAS (amnistie de juillet 1968 et loi de 1982 de reconstitution de carrière des militaires), assurer le reclassement des Français rapatriés d’Algérie (loi de contribution à l’indemnisation votée en 1970) et des « Français musulmans » réfugiés (prise en considération des « harkis » et de leurs familles après la révolte des jeunes de 1974).

Le chapitre suivant évoque la mémoire algérienne de la guerre de Libération, objet d’une « hyper-commémoration » (p 35) avec dès l’indépendance un débat de fond sur les origines de l’État et de la nation algérienne. Il en ressort que le nationalisme algérien est arabe et musulman ce qui exclut la dimension berbère. L’historien montre que dès lors, des problèmes non résolus ne le sont toujours pas. Durant les 30 années, les relations entre les deux États ont oscillé entre la poursuite d’une coopération voulue par le général de Gaulle afin de sauvegarder les intérêts français et les crises plus ou moins graves (pp 31-34)

1992 marque une rupture lorsque l’Algérie rechutant dans la violence de la guerre civile suite à l’interruption du processus électoral, les contraintes mémorielles sont renforcées par le pouvoir en place et par les islamistes du FIS qui se réclament de l’héritage résistant du FLN pour légitimer leur combat (p 47).

L’auteur se penche sur la mémoire algérienne de la guerre de Libération nationale et son exportation vers la France depuis 1992 (chapitre IV) puis sur l’évolution de la mémoire française de la guerre d’Algérie (chapitre V) pour ensuite envisager les commémorations de la guerre de Libération nationale en Algérie (chapitre VI) suivies des commémorations de la guerre d’Algérie en France (chapitre VII) depuis la même date.

La conclusion porte sur la présidence Macron et l’échec de la réconciliation mémorielle franco-algérienne. Il rappelle que depuis la présidence de Jacques Chirac qui a proposé vainement en 2003 un traité d’amitié franco-algérien, tous les chefs de l’État ont été confrontés depuis 1995 à la revendication algérienne de la repentance à laquelle ils n’ont pas cédé car elle n’a pour but que de masquer la faillite de la gouvernance d’un pays riche. Le pouvoir algérien instrumentalise la mémoire pour se légitimer auprès des jeunes Algériens qui veulent vivre comme tous ceux de leur génération quitte à émigrer.

L’on se souvient qu’Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République, en visite à Alger, en février 2017, sembla rompre avec ce refus en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » pour oublier sa déclaration lors de sa visite officielle en décembre 2017, préférant « ni déni, ni repentance ». En 2020, il a chargé Benjamin Stora de lui présenter des propositions afin de réconcilier les mémoires. Rapport remis en janvier 2021 dont le refus par Alger a suscité une nouvelle crise.

L’ouvrage s’achève sur une chronologie très complète qui permet de mieux situer une histoire complexe où les considérations politiques et sociologiques s’entremêlent.

Un livre passionnant à lire car il éclaire le face à face de la France avec son passé.

Martine Cuttier

Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de guerre d’Algérie, Soteca, 175 p, 2022

A paraître à partir de la mi-août.

Enfin, mon collègue Jacques Frémeaux a rendu compte de ce livre dans Outre-mers, revue d’histoire coloniale et impériale, n° 416-417, 2ème semestre 2022 (paru en janvier 2023), pp 237-239 :

Pervillé Guy : Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, Saint-Cloud, SOTECA, 2022, 178 p. ISBN : 978-2376630630, 2& euros. Préface de Serge Barcellini. Livre publié avec l’appui de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie et du Souvenir français.

" Ce livre se présente comme l’aboutissement, au moins provisoire, de plusieurs dizaines d’années d’une réflexion rigoureuse et sans concession sur l’héritage mémoriel de la guerre d’Algérie, menée par un des plus grands spécialistes français de l’histoire de ce conflit. L’introduction rappelle heureusement, à la suite de Renan, que le travail de la mémoire n’exclut pas le travail d’oubli, pour qui veut faire prévaloir l’esprit de concorde, et qu’il est aussi dangereux de raviver les passions que de chercher à faire abstraction du passé. Sept chapitres organisent l’étude selon un plan rigoureux : une réflexion d’ensemble "Comme quoi la guerre d’Algérie n’a pas été une simple répétition de la Deuxième Guerre mondiale" est suivie de six chapitres dont le contenu est précisément défini. Les chapitres II et III, consacrés à la période 1962-1992, traitent respectivement de "la mémoire française de al guerre d’Algérie" et de "la mémoire algérienne de la guerre de Libération nationale". Les chapitres IV et V étudient successivement, à partir de 1992, "la mémoire algérienne de la guerre de Libération nationale et son exportation v ers la France à partir de 1992", puis "l’évolution de la mémoire française de la guerre d’Algérie depuis 1992". les chapitres VI et VII ont pour objet "Les commémorations de la Guerre de Libération nationale en Algérie" et " Les commémorations de la guerre d’Algérie en France". -Une conclusion générale s’interroge sur "la présidence Macron et l’échec de la réconciliation mémorielle franco-algérienne". l’ouvrage est complété par une précieuse chronologie, qui permet de rééchelonner dans le temps les conte nus à prédominance thématique des chapitres, ainsi que par cinq annexes reproduisant les principaux textes législatifs français relatifs à la mémoire et à la commémoration de la guerre d’Algérie. On regrettera seulement le caractère trop sélectif de la bibliographie en fin d’ouvrage.

La présentation même du contenu cherche à montrer l’opposition des mémoires, à travers deux discours bien différents. Le discours algérien magnifie la Révolution et et se refuse à reconnaître l’usage, par le FLN, d’une stratégie de terreur à l’encontre non seulement de Français, mais des Algériens eux-mêmes, y compris au sein du mouvement national, pour se focaliser uniquement sur les violences commises par l’armée coloniale. Après une timide ouverture au cours des années 1980,cette doxa s’est même renforcée à la faveur de la guerre civile des années 1990-2000, en fournissant des arguments aux deux camps, militaires au pouvoir et rebelles djihadistes s’accuant mutuellement de représenter un imaginaire "parti de la France". L’interdiction d’attaquer les coupables des crimes commis lors de cette guerre en application de la loi d’amnistie incluse dans la "loi de concorde civile" ratifiée par referendum en Algérie en septembre 1999, laisse le champ totalement libre aux accusations qui présentant la France coloniale comme le seul responsable des malheurs des Algériens. Guy Pervillé fait observer que ce discours, largement officiel, fait malheureusement aussi l’objet d’un vaste consensus dans l’opinion algérienne, en dépit de quelques dissidences qui peinent à s’exprimer.

Les responsables français ont cherché l’apaisement intérieur, d’abord dans le silence - complété par une série d’amnisties - puis dans la recherche d’un discours conciliateur qui a échoué à s’imposer aux sensibilités politiques diverses, à l’exception d’un rapprochement des positions à l’égard des harkis, dont l’unanimité s’est faite pour reconnaître le déshonneur de leur abandon et l’injustice de leur sort. En revanche, bien des réticences s’expriment encore à l’égard des réfugiés européens dits "rapatriés", trop souvent encore représentés comme principaux responsables des erreurs ou des crimes attribués au colonialisme par une opinion oublieuse de l’histoire, et parmi lesquelles le poids croissant des générations qui n’ont pas connu la guerre (en particulier celui des descendants des colonisés) est croissant. Le travail des historiens français (souvent en contact avec des historiens algériens) n’a que très peu contribué à une évaluation plus juste, sans doute parce que l’impartialité a très logiquement peine à s’imposer dans un monde où la passion ou le conformisme font bien mieux vendre.

Le noeud d’une confrontation se forme entre l’Etat français et l’Etat algérien à partir de l’année 2003. A cette époque, le président Jacques Chirac en déplacement à Alger propose un traité d’amitié entre la France et l’Algérie sur le modèle du traité franco-allemand de 1963. Cette analogie était-elle bienvenue ? Comme le fait remarquer l’auteur dans son premier chapitre, on peut difficilement comparer un conflit de décolonisation au troisième (et dernier) épisode d’un conflit mené entre deux puissances européennes. Dans le premier cas, il s’agissait pour un peuple de faire reconnaître par l’autre sa vocation à une vie nationale ; dans le second, il s’agissait avant tout d’empêcher la prépondérance d’un Etat sur l’autre. L’amitié, dans le premier cas, doit avant tout manifester l’égalité entre deux peuples, contre la persistance de la mentalité colonialiste, non dépourvue d’une certaine dose de racisme ; dans le second, elle doit assurer une paix durable contre le retour des ambitions hégémoniques de l’Allemagne.

Cette initiative d’un traité d’amitié avec l’Algérie s’accompagne simultanément d’un vote par l’Assemblée nationale française d’une loi qui exprime un éloge de la colonisation, en soulignant le désir qu’en soient enseignés les "aspects positifs" ( 23 février 2005). Immédiatement, ce qui a pu paraître en Algérie et au-delà, comme un retour offensif d’un état d’esprit réactionnaire, a été contré par un appel à la "repentance", lancé d’abord par l’association du 8 mai 1945, à l’occasion de la commémoration du soixantième anniversaire du soulèvement nationaliste et de sa répression par les forces françaises, puis fermement repris par le président Bouteflika lors d’un discours à Sétif. Cette revendication s’est heurtée à une fin de non- recevoir des présidents successifs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, et Emmanuel Macron, qui ont tenté de faire évoluer les choses, avec une alternance de périodes de détente et de tensions. Le plus r"cent avatar de cette relation délicate est le communiqué commun publié le 27 août 2022 à l’issue de la visite du président Macron à Alger, et portant projet d’un "partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie", (qui) manifeste un certain apaisement, puisqu’on y lit que " les deux parties entreprennent d’assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la mémoire dans l’objectif d’appréhender l’avenir commun avec sérénité et de répondre aux aspirations légitimes des jeunesses des deux pays".

la lecture à laquelle procède Guy Pervillé est évidemment essentiellement politique. Pour comprendre totalement ces affrontements de mémoires, il faut connaître les profondes modifications des sociétés algérienne et française, sous l’effet de la démographie et notamment des migrations, des transformations économiques, du bouleversement des structures sociales, des courants idéologiques et religieux qui parcourent les relations internationales. Ces mutations, tout en multipliant les contacts entre des individus des deux peuples, laissent les nations de plus en plus fragilisées et donc de plus en plus agressives. Mais le but de l’auteur n’était pas de présenter la relation franco-algérienne dans la totalité de ses dimensions. Son étude, qui entre dans tous les détails de la confrontation mémorielle, apporte déjà énormément à la perception de sensibilités qu’il paraît à la fois indispensable et très difficile de rapprocher".

Ce compte rendu est à compléter par le message que le président de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, l’ambassadeur Frédéric Grasset, m’a adressé le 20 janvier 2023 : "Monsieur le Professeur, cher ami, Bravo pour votre ouvrage magistral sur l’histoire de la mémoire.Le titre à lui seul est déjà une synthèse et la lecture en est instructive et plaisante. Par sa profondeur et son objectivité cette synthèse s’impose comme une référence incontournable. Je suis heureux que la Fondation ait soutenu votre travail de mémoire et d’histoire. Vous éclairez parfaitement la période Chirac/Bouteflika que j’ai vécue personnellement de près. La loi de 2005 et son article 4 maladroit n’étaient qu’un prétexte à une rupture déjà consommée. Le président Chirac tentait également de coupler le rapprochement franco-algérien avec l’amélioration de la relation Rabat/Alger. C’en était trop"...

PS : je rappelle le complément à ce livre que j’ai placé sur mon site le 25 mai sous le titre "Sur la reprise de la guerre des mémoires" : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=490 .


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