Le sentiment national des étudiants algériens de culture française de 1912 à 1962 (1972)

lundi 2 juillet 2007.
 
Cet article est le deuxième que j’ai écrit, durant d’été 1972, mais le premier que j’ai présenté à un colloque franco-suisse sur le thème "Mentalités collectives et relations internationales", organisé par Jean-Baptiste Duroselle et Jacques Freymond à Genève en janvier 1974, et qui a été publié dans leur revue Relations internationales, n° 2, novembre 1974, pp. 233-259.

On objecte que les étudiants arabo-berbères sont de formation et de culture françaises et lorsqu’on constate entre eux et leurs camarades français des divergences de point de vue, on agite le traditionnel fanatisme musulman...
Est-ce être fanatique que de rester soi-même ?

FERHAT ABBAS (1927).

L’histoire des étudiants musulmans algériens de formation française, du début du XXe siècle jusqu’à l’indépendance de leur pays, est celle d’une tentative de « conquête morale » qui obtint d’abord un succès inespéré, mais pour aboutir en fin de compte à un échec paradoxal. Par « conquête morale » il faut entendre non la création de liens d’amitié entre deux peuples libres, mais la transformation, la consolidation d’une annexion opérée de force, et précaire comme son instrument, en une adhésion durable parce que volontaire des vaincus à la nationalité du vainqueur. Cette « conquête morale » vise à justifier la conquête militaire et à en pérenniser le résultat politique. Elle est l’instrument d’une politique d’absorption par assimilation. La France en avait bien besoin pour consolider sa mainmise sur l’Algérie, dont la population indigène, soumise par des moyens dont on n’ignore pas la brutalité, restait moralement impénétrable et rétive à l’autorité étrangère, dont elle espérait être délivrée miraculeusement par la volonté de Dieu.

Mais en quoi l’histoire des étudiants est-elle représentative de celle de leur peuple ? Assurément, leur nombre était infime. En un sens, ils ne représentaient qu’eux-mêmes. Mais leur aventure exceptionnelle s’inscrit dans un phénomène plus général d’acculturation, à la fois modernisation et francisation partielle, qui a touché une bonne partie du peuple musulman algérien, en Algérie dans les villes et dans les champs des colons, en France dans les usines et les casernes. Les étudiants ont subi la forme extrême de ce « métamorphisme de contact », pour reprendre la métaphore d’Émile-Félix Gautier. Il faudrait aussi tenir compte du nombre non négligeable des « étudiants de regret », qui leur enviaient ce titre prometteur de promotion sociale. Enfin et surtout, la sélection de cette maigre élite l’avait constituée de façon égale à partir de toutes les couches de la société musulmane : en ce sens elle était vraiment représentative.

Mais il reste vrai que cette expérience d’assimilation, limitée à un échantillon très réduit, souffrit gravement de cette limitation. On peut y voir l’une des causes de l’échec final.

Pour autant qu’on le connaisse, leur nombre a toujours été remarquable par sa faiblesse, et vers la fin de la période par l’accélération de sa croissance. En 1953-1954, l’effectif serait d’environ 1.700, dont 600 à Alger ; cette Université comptait alors 11,4 % d’étudiants musulmans, alors que la population non musulmane représentait 10,5 % de la population de l’Algérie. Alors que 1 Européen d’Algérie sur 227 était étudiant, 1 musulman sur 15.341 avait cette chance ! [1]

Bilan surprenant si l’on n’oublie pas qu’en 1830 le niveau d’instruction en Algérie était sensiblement égal, en proportion, à ce qu’il était en France (40 % de lettrés). Les témoins français de la conquête l’ont attesté. Un siècle plus tard, la parité est rompue : alors qu’en France l’analphabétisme a presque disparu, il s’est généralisé parmi les indigènes algériens : 90 % des adultes en 1948. En 1954, 14,6 % des jeunes d’âge scolaire sont scolarisés.

Cette évolution à rebours s’explique par l’histoire tourmentée de l’Algérie contemporaine. Les chiffres ne disent pas tout. En 1830, le système d’enseignement musulman perpétuait une mentalité profondément étrangère à l’esprit européen. Reposant sur l’apprentissage du Coran en arabe classique, il donnait la première et presque la seule place aux disciplines religieuses, conformément à la conception théocratique du Moyen Age. Il ignorait superbement la philosophie des lumières et le progrès scientifique et technique. La conquête ne fit qu’aggraver cette incompréhension : aux tentatives de « conquête morale » par l’école française répondit le refus scolaire » [2]. Les musulmans refusaient « l’école du diable », « piège tendu à leur nationalité et à leur religion », d’autant plus farouchement qu’ils avaient vu leurs propres écoles disparaître presque totalement du fait de la confiscation des biens « Habous » consacrés à leur entretien. Ce refus scolaire, sensible particulièrement quand la France est en guerre, explique l’échec presque total de la scolarisation française pendant les cinquante premières années de notre domination. Mais après la répression de la dernière révolte générale en 1871, la résignation s’installe et le refus scolaire s’affaiblit. Après 1945, il a pratiquement disparu : les musulmans réclament des écoles françaises.

Mais une autre cause a retardé la scolarisation des indigènes. Les colons d’Algérie, tout-puissants sur place depuis l’instauration du régime civil en 1870, ont jugé absurde de chercher à instruire par la contrainte des gens qui refusaient cette instruction. Ils laissèrent dépérir le système scolaire « arabe-français » développé à grand-peine sous le Second Empire, et s’opposèrent à Jules Ferry en 1883 quand celui-ci fit appliquer à l’Algérie les nouvelles lois scolaires françaises : « Stupéfaites de se voir imposer des constructions d’écoles pour cette foule de gueux alors qu’elles manquaient de routes pour desservir la colonisation », les municipalités se refusèrent à « cette coûteuse et dangereuse expérience » [3]. Cette formule résume avec bonheur les arguments des colons (l’un économique, l’autre politique) : « Si l’instruction se généralisait, le cri unanime des indigènes serait : « L’Algérie aux Arabes ! » Les deux arguments se combinent de façon alarmante : l’économie algérienne a besoin de travailleurs manuels, d’ouvriers agricoles surtout, non pas d’intellectuels raisonneurs et ambitieux. En fabriquer revient à multiplier les déclassés, les aigris, les rebelles. En novembre 1954, M. Gabet, maire de Koléa, explique ainsi la rébellion devant l’Assemblée algérienne.

Ainsi la rareté des étudiants musulmans algériens de culture française s’explique-t-elle par la « redoutable unanimité » [4] qui a cumulé les effets de la « volonté d’obscurantisme des colons » avec ceux du « refus scolaire » des indigènes.

Mais il ne suffit pas de constater la disparition progressive du refus scolaire : encore faut-il l’expliquer. S’agit-il d’une réaction collective de la Communauté musulmane qui comprend qu’elle a tout à gagner à s’approprier les secrets du vainqueur ? C’est vrai à la fin mais non au début : le mur du refus scolaire a d’abord été ébranlé par des défections individuelles. La fin du refus scolaire est donc un fait social bien plus qu’un fait politique. Et le contraire eût été bien étonnant. La grande insurrection de 1871 fut la dernière réaction collective du peuple indigène à la conquête et à la colonisation. Après cette date, on ne parle plus guère de « nationalité » à son propos : on le définit comme une « poussière de tribus », voire une « poussière d’individus » (Lyautey), en fait une poussière de familles. C’est le temps du « Vae victis » et du « Chacun pour soi et Dieu pour tous ». D’une part, la société indigène dans son ensemble a été écrasée, appauvrie, même l’aristocratie dans une certaine mesure après la révolte de Mokrani en 1871. D’autre part, les grands et les moins grands essaient de sauver la situation de leurs familles en se mettant au service de l’Administration coloniale. Cette catégorie de « loyaux serviteurs » comprend toute une gamme de fortunes, mais les petits caïds sont plus nombreux que les grands bachagas. Beaucoup sont à l’origine de petites gens qui doivent leur promotion à la France.

Cet état de la société indigène bouleversée par la conquête explique un fait paradoxal : l’étudiant algérien, ce privilégié, est réputé d’origine modeste. Depuis Ferhat Abbas et avant lui, les intéressés n’ont cessé de le proclamer : « Nous sommes pour la plupart des pauvres gens sortis des douars et de familles modestes pour devenir des bacheliers on ne sait comment. » [5] Il nous appartient d’éclaircir ce point.

Les études complètes ne demandent pas une fortune de « pacha » : il suffit d’un minimum d’aisance, qui prend des allures de richesse en se détachant sur la misère de la masse. A défaut, les bourses corrigent les conditions de fortune, mais leur attribution dépend des autorités, qui jugent suivant des critères de mérite social et politique : les fonctionnaires indigènes (magistrats musulmans, instituteurs, militaires, caïds) sont les mieux placés. Les étudiants algériens ont longtemps critiqué avec âpreté leur insuffisance en taux et en nombre, ainsi que l’arbitraire de leur attribution : « L’enseignement secondaire, base de l’enseignement supérieur, n’est accessible qu’à un petit nombre de riches et aux boursiers du Gouvernement général. Or ces boursiers, fils de caïds en majorité, n’ont qu’un idéal : devenir caïds à leur tour. Par conséquent, ils ne profitent pas, ou profitent mal, des avantages dont on les fait bénéficier. » [6] Il semble pourtant que le nombre des bourses ait fini par s’accroître sensiblement. L’imprégnation socioculturelle par le milieu familial n’a pas favorisé les enfants des grandes familles, puisque la culture française était au moins au début une nouveauté pour toutes les couches de la société musulmane. Les « héritiers » étaient les fils d’instituteurs, qui n’étaient pas des privilégiés de la fortune.

Enfin et surtout, la motivation sociale des études a joué un rôle décisif. Les fils de grandes familles, citadines ou rurales, ont longtemps dédaigné les études qui leur semblaient indignes d’un homme bien né, et inutiles pour améliorer leur statut social fondé sur la richesse et sur la faveur de l’Administration. Dès 1914, Chérif Benhabylès décrivait cette mentalité, constatée encore à la fin de la période coloniale. C’est la nouvelle bourgeoisie, la nouvelle classe moyenne de promotion récente qui voit dans les études la condition même de l’ascension sociale de la famille.

Mais les intéressés rejettent farouchement ces qualifications. « On a dit et on ne cesse de répéter que l’étudiant algérien est un "petit bourgeois", écrit "El-Qadir" dans Le jeune Algérien en mars 1953. Notre auteur proteste : « Quant aux étudiants musulmans de cette Université (Alger), à part quelques "fils de grande tente", la presque totalité est issue du peuple. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent en aucun cas, du moins pendant la période étudiante, s’embourgeoiser. » Cet état d’esprit est général : les étudiants algériens ont conscience d’appartenir à un peuple démuni dont ils portent les espoirs, et en particulier ceux de leur famille. Cette conscience correspond à la réalité : un sondage réalisé en 1953-1954 par les étudiants musulmans d’Alger confirme cette impression, de même que les archives du COPAR [7] à Paris. Mais il s’agit d’une « conscience de classe » bien plus que d’une situation de classe : la conscience est parfois en retard sur les faits. Par exemple, Ferhat Abbas, fils de caïd, se prétend fils de pauvres paysans. Et ce n’est pas à tort, car sa famille a été ruinée par le séquestre en 1871, et son père a dû travailler comme ouvrier chez un colon avant d’être nommé caïd. Ahmed Boumendjel était fils de paysans aisés. Mais « les conditions sociales étaient telles... que Boumendjel, bien qu’appartenant à une famille relativement à l’aise, fut dans l’obligation de gagner sa vie de bonne heure [8]. » Souvent l’étudiant a un frère ou un cousin ouvrier. « Au milieu du bien-être relatif où s’écoule son existence nouvelle, il ne peut oublier l’enfer d’où il est sorti et où vivent encore les siens. » [9]

Retenu en arrière par cet attachement sentimental à son milieu familial, l’étudiant musulman est en même temps propulsé en avant par la volonté de son père, ou par son ambition personnelle. Les deux ne concordent pas toujours. Certes les débouchés déterminent le choix des études et de la profession plus que les goûts désintéressés : « L’indigène ne voit en l’instruction que le but pratique, il n’envisage pas autre chose : le côté matériel seul l’intéresse. Une instruction qui ne rapporte rien à celui qui la possède n’est qu’un bagage encombrant, un ornement inutile. » [10]. Les pères de famille veulent avoir un fils fonctionnaire pour avoir auprès d’eux un allié, qui connaisse la langue et la loi du Roumi, puisse leur éviter des ennuis et les faire retomber sur les autres. C’est ainsi que Chérif Benhabylès explique leur attitude. Le rapport consubstantiel entre l’école française et l’Autorité qui l’impose est très bien vu. Mais le point de vue des fils est sensiblement différent. Bien qu’angoissés par leur avenir, ils ne sont pas imperméables à la curiosité intellectuelle. Surtout, ils n’ont pas envie de vivre en gratte-papiers de commune mixte. Leur ambition légitime vise plus haut. En pratique, elle les conduit aux professions libérales : droit, médecine, pharmacie, et au professorat dans l’enseignement secondaire. Comment cette orientation est-elle déterminée ?

Les carrières scientifiques et techniques attirent peu d’étudiants musulmans. Il y a des étudiants en sciences, mais ils donnent des professeurs, et très peu d’ingénieurs. La vraie raison n’est pas le goût des Arabes pour la littérature, ni leur mépris du travail manuel, mais la difficulté d’affronter les concours des grandes écoles à cause des limites d’âge qui ne tiennent pas compte du retard scolaire d’au moins deux ans courant pour les étudiants musulmans, et aussi la certitude qu’un ingénieur indigène aurait le plus grand mal à trouver du travail chez un patron français d’Algérie. On parle d’ « ostracisme systématique ». De même la fonction publique n’a guère attiré les étudiants musulmans parce qu’ils savaient que le Gouvernement général était une forteresse bien gardée par son personnel presque entièrement européen ; à partir de 1947 l’application à l’Algérie des règles de la fonction publique métropolitaine fit même diminuer le pourcentage de fonctionnaires musulmans. Une hirondelle ne fait pas le printemps : le préfet Mécheri et Salah Bouakouir restèrent des échantillons.

Ainsi échouait le projet d’intégrer une élite indigène à la classe dirigeante, conçu par Maurice Viollette et par d’autres. La signification politique de ce choix des professions libérales est que les étudiants musulmans, ne pouvant contribuer à libérer leur société en occupant des postes d’influence et de responsabilité, se contentent de se libérer eux-mêmes en exerçant une profession indépendante de l’Administration. Qu’il s’agisse bien d’un fait politique, la guerre d’Algérie en a fourni la preuve : dès qu’il fut question d’indépendance ou d’intégration, l’orientation professionnelle des étudiants se modifia.

Quant à la signification sociale de ce choix, elle se traduit souvent en repliement sur soi, en isolement. Le diplômé se consacre à sa profession considérée comme un gagne-pain rentable et non comme une fonction sociale. Il incarne la « fausse élite », le « bourgeois » égoïste dénoncé inlassablement par les partis musulmans et par les associations d’étudiants, comme par les « arabophobes » ennemis de toute l’élite indigène. « La fraction la plus importante de nos intellectuels vit volontairement à l’écart de la masse dont elle est issue. Suprême injure à la misère de nos compatriotes, ils jouent avec un malin sérieux le rôle d’une amorphe et fausse bourgeoisie [11]. » Ainsi, l’étudiant une fois établi, « s’embourgeoise ». Et le terme est violemment péjoratif.

À ces reproches de l’élite politisée, que peut répondre le nouveau « bourgeois » ? Que la politique n’aboutit à rien, ce qui est vrai jusqu’en 1954. Surtout, qu’il ne peut se soucier d’un peuple auquel il se sent désormais étranger. Déraciné, déculturé et assimilé à un nouveau monde, il ne comprend plus les siens et ne sait plus leur parler. Leurs coutumes, leurs croyances lui semblent déraisonnables, périmées, voire nuisibles. Inversement ses goûts acquis, sa curiosité désintéressée, leur semblent incompréhensibles. On n’emporte pas son milieu avec soi. Il ne peut pas apprendre aux siens ce qu’il a appris : le voudrait-il qu’il ne pourrait pas, faute d’être écouté. Ce n’est pas aux jeunes d’enseigner les vieux ! Au fond, il s’agit d’une question d’autorité : le fils n’admet plus le principe d’autorité, il veut vivre sa vie à sa guise. Il rejette la discipline collective imposée par la société, par la famille, et qui pèse sur l’individu comme un carcan...

Mais, comme l’écrit « El-Qadir », la vie étudiante ne permet pas l’embourgeoisement. L’étudiant est pauvre et ne peut survivre seul. Sa pauvreté est matérielle. Ses doléances sont toujours les mêmes. Bourses insuffisantes en nombre et en taux, lenteurs administratives. Logements en dehors des cités universitaires chers et surtout rares : « On ne loue pas à des bicots », à Alger et aussi à Paris. Travail pendant les vacances difficile à trouver pour la même raison. Vacances à passer sans bourse (10 mois). Santé fragile et minée par les privations. Enfin, angoisse du débouché. Car sa pauvreté est aussi morale : hostilité ou indifférence de la société française dans laquelle il vit, même à Alger, les difficultés de logement et de travail en sont un signe, comme la rareté des relations amicales avec les condisciples européens, surtout à Alger [12], où l’on parle de « ségrégation ». À Paris, on déplore d’être tenu à l’écart de la vie française authentique.

Les services sociaux font de leur mieux pour les aider, mais les étudiants musulmans doivent se grouper pour s’entraider. Ils font appel à la solidarité de leur peuple pour soutenir leurs Associations. La plus ancienne est l’AEMAN, fondée à Alger en 1919 sous le nom d’Amicale des Étudiants Musulmans de l’Afrique du Nord, transformée en Association en 1931, à l’issue de la longue présidence de Ferhat Abbas. À Paris, en 1927, est fondée l’AEMNAF [13] (en abrégé AEMNA) qui essaime dans la plupart des villes universitaires de France. Montpellier et Toulouse constituent des associations autonomes. Toutes ces associations se réunissent en des Congrès annuels communs à partir de 1931. Leur but est de défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres en gérant une caisse de secours, si possible un restaurant coopératif, et toujours un foyer culturel. Elles reconstituent dans le pays d’accueil un mode de vie communautaire, celui d’une colonie étrangère communiant dans la nostalgie et la solidarité. Retrempé dans une ambiance musulmane, l’étudiant exilé retrouve ses racines. Il vit une conception sociale opposée à l’individualisme « bourgeois » du diplômé : le solidarisme islamique. Et la Communauté (el-Oumma) se confond avec le peuple algérien. Déjà Ferhat Abbas déclarait : « Ces jeunes gens pour lesquels l’Université n’a encore que condescendance hautaine ne sont pas seulement les enfants de leurs familles, mais ceux du peuple algérien, au service duquel ils consacreront leurs existences et emploieront leurs talents. » [14]

Ce thème constamment repris annonce et définit un engagement politique, visant la réhabilitation sociale et politique du « peuple algérien ». Mais jusqu’en 1936 les étudiants algériens n’ont aucune arrière-pensée nationaliste et séparatiste : ils réclament l’assimilation ou l’intégration de leur peuple dans la nation française. Il faut les croire sincères et mépriser les calomnies des arabophobes, qui se sont avérés des « self fulfilling prophecies ». La preuve de la sincérité des étudiants algériens est leur retrait de l’AEMNAF, en 1930, après un vote de la majorité tunisienne et marocaine excluant les musulmans « naturalisés » français. La scission donna naissance à l’AEMA [15], qui vécut jusque vers 1939. Il est vrai que l’AEMA continua de participer aux Congrès des étudiants nord-africains, mais peut-on reprocher aux étudiants algériens leur solidarité avec des camarades qui partageaient leurs difficultés présentes comme leurs souvenirs d’un passé glorieux ? S’ils ont fini, après la non discussion du projet Blum-Viollette, par renoncer à l’espoir d’être Français, on ne peut les en blâmer. Depuis 1919 les jeunes Algériens avaient été ballottés entre l’espoir de grandes réformes et la déception. Un jour la patience manqua et le nationalisme algérien du PPA se répandit parmi les étudiants. Quand Ferhat Abbas lança le Manifeste du peuple algérien en 1943, il entraîna avec lui tout le mouvement étudiant. La répression de mai 1945 scella définitivement le nationalisme : « Actuellement, la presque totalité de la jeunesse des facultés est acquise aux idées nationalistes ou du moins autonomistes », note le général Tubert dans son rapport. Après la scission du mouvement national entre les tendances modérée de Ferhat Abbas (UDMA) et extrémiste de Messali (MTLD), les deux tendances alternèrent à la tête de l’AEMAN d’Alger, mais la seconde domina absolument l’AEMNAF de Paris. La vie politique estudiantine oscille perpétuellement entre deux pôles : l’unité anticolonialiste et la division entre partis rivaux qui prétendent faire l’unité sous leur direction. Il est vrai cependant que bon nombre d’étudiants ont peu de goût pour ces jeux stériles. Les associations de Montpellier et de Toulouse ne sont pas politisées. Mais l’insurrection du 1er novembre vient changer les perspectives. La création d’une Union étudiante nationale, déjà envisagée, vient à l’ordre du jour. Ce sera l’UGEMA [16].

Ainsi les étudiants algériens ont fini par confirmer les pronostics de leurs ennemis après avoir tout essayé pour les démentir. La formation et les caractères de leur idéologie seront étudiés plus loin. Mais la situation sociale des étudiants algériens nous a fait découvrir une distinction plus importante que celle des patries revendiquées.

Dès le départ, deux conceptions sociales se sont disputé les étudiants musulmans : l’individualisme « bourgeois » et le solidarisme islamique. L’un va dans le sens de l’assimilation au maître étranger et de la rupture avec son propre peuple. L’autre renforce les sentiments d’allégeance envers la communauté d’origine. La première a gagné la plupart des diplômés ( ?), la seconde est restée l’inspiration constante du mouvement étudiant. Ce « populisme » s’est exprimé d’abord en intégrationnisme français (« De la colonie vers la province »), puis en nationalisme algérien. À partir de 1962, le nationalisme étant dépassé du fait de l’indépendance, le socialisme prolongea cette tradition populiste.

C’est donc à l’intérieur de cette conception communautaire que se situe l’évolution paradoxale de l’idéologie des étudiants musulmans algériens. Comme on l’a dit, il leur a suffi de quelques années, entre 1936 et 1943 ou 1945, pour faire volte-face, pour changer de drapeau et de patrie. Pour comprendre ce paradoxe, n’oublions pas que l’évolution des idées obéit à des lois particulières à leur « sphère », mais pourtant contraignantes. On ne croit plus à l’innéité des idées. Chaque individu reçoit de la société représentée par la famille puis par l’école sa nourriture intellectuelle aussi bien que matérielle. Toutes les idées humaines sont au départ des idées reçues. L’autorité des idées reçues est celle de la société sur l’individu. L’évolution des idées est donc freinée par la société, au niveau de l’ensemble et aussi à l’intérieur de chacun des esprits qu’elle forme. Mais la situation des étudiants musulmans algériens vient compliquer le problème. Le milieu familial et le milieu scolaire diffusent en effet deux cultures différentes et concurrentes. L’idéologie des étudiants musulmans algériens correspond à l’expression d’un rapport de forces temporaire. Elle souffre des interférences entre les deux cultures rivales ; elle tend vers une synthèse unifiante.

Pour suivre de plus près cette évolution, il nous faudra distinguer non pas deux phases - l’une française, l’autre algérienne - mais trois, ponctuées par les deux guerres mondiales et par leurs conséquences immédiates sur l’équilibre des forces matérielles et morales dans le monde :

-  avant 1919, les esprits subissent comme une cire molle l’impression de la culture française ;

-  le « réveil » de l’Islam (Nahdha) provoque ensuite une remise en cause de la prépondérance française et crée une tension dans les esprits ;

-  à partir de 1943-1945, l’idéologie nationaliste réalise une synthèse plus ou moins réussie qui intègre l’apport français dans une personnalité arabo-islamique.
À chacune de ces phases correspond l’éclosion et l’essor d’une tendance politique, qui décline dans la phase suivante. Ce sont, dans l’ordre : l’ « assimilationnisme », puis le « réformisme », enfin le « nationalisme ». Chacune dérive de la précédente, mais s’y oppose en partie.

Le « sens de l’Histoire » étant connu depuis l’indépendance de l’Algérie, certains ont peine à croire que les étudiants algériens aient pu commencer par vouloir un aboutissement contraire. Ils interprètent leurs déclarations de patriotisme français comme une tactique opportuniste, un camouflage de leurs buts véritables. Par là ils rejoignent les accusations des « arabophobes », qui dénonçaient dans les « Jeunes Algériens » de dangereux hypocrites, cachant leur haine de la France sous des formules trompeuses. En vérité de telles suppositions étaient et sont encore tout à fait invraisemblables. Que les jeunes Algériens se soient sentis Français, et n’aient pas voulu d’un autre avenir, était dans l’ordre inévitable des choses.

Qu’on veuille bien se représenter l’état du monde en 1914, dominé par les impérialismes européens. Tous les États musulmans avaient perdu leur indépendance, par conquête militaire ou par intervention financière, ou bien vivotaient dans l’équilibre de la décadence. La révolution Jeune Turque n’avait pu empêcher la perte de nouvelles provinces ottomanes, en Afrique et en Europe. Comment les jeunes Algériens auraient-ils pu rêver d’indépendance ? Croyons-en le plus talentueux d’entre eux, Chérif Benhabylès : « Les rêves les plus insensés... ne peuvent nullement hanter l’esprit positif d’un jeune homme auquel un professeur d’histoire et de géographie a montré, avec documents à l’appui, la puissance politique et militaire de la France. » [17] La politique de scolarisation vise délibérément ce résultat, à en croire le directeur de l’École Normale de La Bouzarea en 1908, P. Bernard : « Il importe que les indigènes aient de notre patrie l’idée la plus élevée et la plus pure ; nous donnerons donc à nos élèves... des notions sur la grandeur de la France, sur sa force militaire, sur sa richesse. Notre situation serait bien plus solide si les indigènes en arrivaient à penser : « Les Français sont forts et généreux ; ce sont les meilleurs maîtres que nous puissions avoir. » [18] L’école française est un « instrument d’autorité » et un « moyen d’influence », d’une efficacité certaine.

Il est donc normal que les premiers étudiants algériens aient vu dans la France leur « mère-patrie », suivant l’expression qu’on leur enseignait. Ils étaient d’autant plus sincères que l’enseignement reçu ne leur apparaissait pas comme un endoctrinement, une mystification organisée par le vainqueur à son profit, mais plutôt comme un don généreux de sa culture, dont la supériorité prouvée par la conquête n’était pas mise en doute. Le modèle ébauché par Albert Memmi dans son « Portrait du colonisé » est dans l’ensemble vérifié par le cas des étudiants algériens. La première réaction du colonisé est « l’amour du colonisateur » : « L’ambition première du colonisé sera d’égaler le maître prestigieux, de lui ressembler jusqu’à disparaître en lui. » [19]

Le livre de Chérif Benhabylès, L’Algérie française vue par un indigène, publié en 1914, est un document typique de cet état d’esprit. « Rapprochement » et « Assimilation » en sont les leitmotivs. Passant en revue l’œuvre française, l’auteur distribue les éloges plus généreusement que la critique. Il consacre à la colonisation un panégyrique démesuré, tout à fait dans le style des discours officiels. Envers l’Administration, il est humble et respectueux, comme un bon fils doit l’être devant son père. Ce dernier trait mis à part, l’auteur donne l’impression de voir et de juger en Français, non en sujet indigène. Il partage jusqu’aux illusions de ses maîtres. Que dire en effet de cette perle monumentale : « Les indigènes ont attendu des siècles sous le régime de l’anarchie... ils attendront aisément que diable un siècle, deux siècles encore s’il le faut, dans la paix et la tranquillité profonde que la Troisième République fait régner sur la terre nord-africaine. » Comme ses maîtres, il croit que le temps travaille pour l’Algérie française.

Comme eux, il juge le peuple indigène avec une sévérité nuancée de bienveillance paternaliste. Il dénonce l’ « indolence native », l’ « apathie séculaire » de l’indigène « barbare », « né corrupteur par excellence ». On retrouve ici la « haine de soi » qui selon Albert Memmi complète « l’amour du colonisateur » : « Le colonisé ne cherche pas seulement à s’enrichir des vertus du colonisateur. Au nom de ce qu’il souhaite devenir, il s’acharne à s’appauvrir, à s’arracher de lui-même. L’écrasement du colonisé est compris dans les valeurs colonisatrices. Lorsque le colonisé adopte ces valeurs, il adopte en conclusion sa propre condamnation. Pour se libérer, du moins le croit-il, il accepte de se détruire. » [20] Il faut ici nuancer. Chérif Benhabylès fait l’éloge du « peuple » des fellahs, qu’il croit disponibles pour l’assimilation. « La sympathie légitime que nous inspire la personne originale et intéressante de Mohammed Ben Embarek [21] » est une première expression du « populisme » des étudiants algériens. C’est à sa propre classe sociale, l’aristocratie urbaine de Constantine, que s’en prend Benhabylès. Reprochant aux « Oulad el-Blad » leur paresse, leur débauche et leur ignorance crasse, il les crible de sarcasmes fort bien venus. Il les accuse d’être responsables de la décadence de la civilisation musulmane, qu’il ressent avec honte. « Un peuple qui a atteint le degré le plus vil, le plus bas de la décadence » [22], ainsi décrit-il le peuple musulman algérien. L’Islam ne s’oppose pas à la Science, ce sont les musulmans qui ont dénaturé leur religion en en faisant l’ennemie du progrès. Benhabylès dévalorise systématiquement le passé précolonial récent, époque d’anarchie et de tyrannie cruelle. Il s’attaque à la tradition orale, qui exalte le passé en protestation contre le présent. À ses yeux, l’intervention française apporte le salut de l’Algérie musulmane décadente.

Après des siècles de repliement sur soi, de narcissisme justifié par la parole de Dieu : « Vous êtes la meilleure communauté qui soit parmi les hommes »..., la Communauté musulmane prit conscience de son ignorance. L’école française en Algérie fit beaucoup pour provoquer cette révolution intellectuelle, véritable « Révolution copernicienne ». La honte fut un moment décisif de cette prise de conscience. Honte d’expliquer la pluie par l’intervention directe de Dieu, honte de croire que la terre repose entre les cornes d’un taureau, honte de voir sacrifier aux Djinns, « en plein XXe siècle, dans une ville où flotte le drapeau français ». « Combattons l’ignorance ! Armons-nous d’efforts contre la paresse : c’est là notre véritable ennemi ! » [23] Il ne faut pas accuser le conquérant : l’ennemi véritable est à l’intérieur de la société indigène, à l’intérieur de chacun. C’est bien, en un sens, la « haine de soi » : il faut tuer le vieil homme en soi.

Bien que Chérif Benhabylès ait voulu se présenter en médiateur entre les « jeunes Algériens » et l’Administration, nous le croyons représentatif d’une tendance qui dura jusqu’à la fin de l’Algérie française, celle des assimilationnistes, que définit la formule : « Amour du colonisateur et haine de soi. » Cette tendance est majoritaire dans le mouvement « Jeune Algérien » en 1912, quand le Dr Benthami, citoyen français, en est le chef. Elle commence à décliner après les élections de 1919, qui voient les jeunes Algériens se diviser sur la question de la citoyenneté dans le statut musulman, et la liste Khaled l’emporter largement sur la liste Benthami, favorable à la « naturalisation ». Mais les assimilationnistes ont la foi chevillée au cœur : les difficultés les raffermissent dans leur conviction qu’un seul but est désirable : la francisation intégrale de l’Algérie. Ils espèrent en un « décret Crémieux » qui « naturaliserait » d’autorité, en bloc ou par catégories, le peuple indigène ou du moins son élite. Après le Manifeste de 1943, l’ordonnance du 7 mars 1944, et le Statut de 1947, qui semblent mettre un terme à leurs espoirs, ils misent sur « l’intégration » que leur promettent les gouverneurs généraux Naegelen et Soustelle. En mai 1958, le mouvement des CSP exprime une dernière et spectaculaire résurgence de l’assimilationnisme. On objectera que « l’intégration n’est pas l’assimilation ». Nous croyons pouvoir démontrer que l’assimilationnisme s’est bien manifesté dans les CSP. Assimilationnisme absolu chez les uns. C’est la tendance « berbériste », hostile à l’arabisme et à l’Islam [24]. Assimilationnisme relatif chez les autres, plus nombreux, qui croient pouvoir être musulmans de confession et français de nation, comme Benhabylès en 1914.

Mais déjà celui-ci, et la plupart des représentants des générations postérieures d’étudiants algériens, s’étaient laissés emporter dans une autre direction. Au début, le clivage était peu net, le schisme ne semblait pas irréparable. Entre 1919 et 1936, le « réformisme » devint le courant principal du Mouvement Jeune Algérien et en particulier du Mouvement étudiant. Par « réformisme » nous désignons l’idéologie protéiforme de Ferhat Abbas, dont la constante majeure est restée l’attachement à la légalité, dans le cadre de la République française d’abord, de l’Union française ensuite. Par là il se détache du nationalisme auquel il a involontairement frayé la voie. Le refus des solutions extrêmes le distingue aussi, moins nettement, de l’assimilationnisme qui l’a précédé.

Le « réformisme » apparaît dans le climat incertain de l’après-guerre. La transformation de la situation générale du monde, et du monde musulman en particulier, provoque une rupture d’équilibre dans les esprits des jeunes Algériens. La renaissance arabe et islamique dans les pays d’Orient (Nahdha), l’action en Algérie du Mouvement réformiste des Oulémas créent en dehors de la France un second pôle d’attraction, qui interfère avec le premier. Bientôt, l’égalité des forces divergentes provoque un état d’hésitation, d’indétermination, de contradiction qui dure jusqu’en 1936. « Nous ne savons quelle voie prendre » [25] est le titre d’une chanson à succès de l’époque.

Ferhat Abbas, ou l’âne de Buridan ! Son recueil d’articles, Le jeune Algérien, publié en 1931, témoigne de la maturation d’une idéologie plus algérienne et plus lucide que celle de Benhabylès vingt ans plus tôt. A l’éloquence du style, on reconnaît le leader incontesté du Mouvement étudiant. Mais cette pensée vigoureuse souffre d’un inachèvement, d’une contradiction permanente. Jusqu’en 1936, il hésite en marge de l’assimilationnisme. Par la moitié de son être, il participe à cette idéologie. « De la colonie vers la province » (1931), « La France c’est moi » (1936), ces titres sont inspirés par un désir d’assimilation. Mais il ne peut s’y abandonner. Sa conscience de musulman algérien lui pose des problèmes qu’il ne sait ni poser ni résoudre clairement. On le voit dans un même article condamner l’impérialisme français en Orient et revendiquer fièrement son titre de soldat français. Il ne choisit pas son camp.

Chez Ferhat Abbas, le couple typique de l’assimilationnisme : « Amour du colonisateur et honte de soi », se manifeste avec une force à peine entamée. Cette humilité s’exprime en particulier par le refus d’incriminer le conquérant ou le colon : « Nos défauts existent. Ils sont nombreux. Et s’il est vrai que chacun mérite son sort, nous avons, dans une large mesure, mérité le nôtre... » [26] Abbas réclame une action constructive de relèvement social de la masse indigène arriérée, qui n’est dirigée contre personne. « Les Européens d’ici se refuseront à nous tendre la main aussi longtemps que... nous irons couverts de haillons et d’ignorance. C’est dans la nature humaine. L’homme ne fraternise avec son voisin que dans la mesure où ce dernier lui impose le respect » [27]. Mais il garde une très haute idée de la France idéale, celle que l’école française lui a fait aimer et admirer.

Pourtant il se distingue par un autre aspect de sa pensée, à savoir la redécouverte de la fierté. « Mais il convient de distinguer entre la reconnaissance et la veulerie », écrit-il. « Ferhat Abbas, constatait René Maunier en 1933, est un protestataire déclaré. » Il parle haut et ne craint pas d’exprimer le fond de sa pensée. Il dénonce avec une vibrante éloquence les sophismes haineux ou méprisants des arabophobes, qu’il tient pour des ennemis implacables. Contrairement à Benhabylès, Abbas pense en indigène algérien. Il a combiné les acquisitions intellectuelles de l’école française avec les façons de sentir de son milieu familial pour aboutir à une conception originale de la colonisation française en Algérie : « La colonisation peut être appréciée différemment par ceux qui la font et par ceux qui la subissent [28] : Benhabylès ne soupçonnait pas cette vérité de bon sens, issu qu’il était d’une grande famille de Constantine tôt ralliée au vainqueur. Abbas, au contraire, connaît et rapporte fidèlement « la vision des vaincus » : « Cinquante ans qui furent pour nous les "années terribles", où nous fûmes traqués sans merci, comme des bêtes fauves... » « Cette somme de nos souffrances, la plupart de ceux qui se disent aujourd’hui "Algériens" l’ignorent. Mais nous, nous la connaissons. Nous l’avons apprise, enfants, sur les genoux de nos grands-mères. » [29] La colonisation est une « révolution sociale » qui « nous dévora » ; elle signifie tuerie, pillage, destruction, expropriation, prolétarisation, paupérisation. Et l’on retrouve ici le populisme, qui s’exprime en accents pathétiques : « Ah ! cette misère du pauvre fellah ! Personne ne la soupçonne. Elle est grande, elle est infinie. Elle est telle que le paysan se confond parfois avec la bête... » [30] Inversement, Abbas est l’interprète fidèle des traditions populaires sur le « bon vieux temps » d’avant 1830, que Benhabylès taxait d’impostures.

Comme Benhabylès, Abbas loue l’esprit de la civilisation musulmane, mais il le fait avec une visée différente. Le premier voulait faire honte à ses coreligionnaires de leur déchéance présente ; le second veut leur redonner le sentiment de la fierté. Polémiquant contre les arabophobes de la revue L’Afrique latine, Abbas consacre de longs développements à démontrer la supériorité de l’islamisation réussie par les Arabes sur la colonisation romaine qui n’a laissé que des ruines en Afrique. Cette démonstration a été taxée de naïveté par Charles-André Julien et par Jean Lacouture à sa suite. Leur critique est excessive puisque Abbas prenait ses arguments chez des auteurs occidentaux, en particulier son maître Émile-Félix Gautier. On trouve dans cette apologie, outre « les réactions d’un jeune homme humilié qui s’affirme en s’adossant à une tradition qui est grande, à une civilisation injustement calomniée » [31], une tentative de synthèse intellectuelle qui traduit les principes islamiques en idées philosophiques françaises : « l’Ordre, l’Égalité, la Fraternité, la Grande Loi du Travail, le Culte de la Science, la Liberté » [32]. Le besoin de retrouver dans l’Islam les idées modernes, et de lui reconnaître le mérite de l’antériorité afin de compenser l’infériorité présente par une supériorité passée, fut dès lors une motivation constante des étudiants musulmans dans leur recherche d’une synthèse idéologique. En 1952-1953-1954, Le jeune Musulman, organe de la jeunesse des Oulémas, développa systématiquement les thèmes du « jeune Algérien ».

Non content d’exalter le passé de l’Islam, Abbas a foi dans l’avenir glorieux du monde musulman, et se réjouit de son réveil. Il admire Mohammed Abdou, Ibn Séoud et Mustapha Kémal, en dépit de leurs divergences. Mais, en 1936, il nie le passé et l’avenir de la nation algérienne, qui n’existe pas. Contradictions d’un homme qui affirme la pluralité des civilisations, déclare que « si ce pays n’a pas rejeté l’Islam, c’est que l’Islam lui convenait », défend le statut personnel musulman, et répète pourtant que « le concept théocratique du Moyen Âge est périmé ». On a voulu voir dans le nom de plume « Kémal Abencerages » l’indice d’un dédoublement de la personnalité, Abbas étant supposé juxtaposer le rationalisme moderniste avec un traditionalisme romantique. Mais en fait, son attitude face aux choix politiques n’est-elle pas mieux caractérisée par le refus de choisir, le sens du compromis ? En 1931, comme en 1936, il ne veut pas choisir un camp, pour ou contre la France, mais préfère les solutions moyennes qui permettent une synthèse. C’est pourquoi il se prononce pour la « citoyenneté dans le Statut » d’abord, puis pour la République algérienne dans l’Union française après 1943. La guerre d’Algérie changea les conditions du jeu politique. Il fallut choisir son camp. Mais déjà, depuis le rappel du gouverneur général Chataigneau au début de 1948, la voie modérée du parti UDMA avait fait faillite, et le réformisme tendait à rejoindre le nationalisme extrémiste du PPA-MTLD, jeunesse en tête. Il lui avait frayé la voie en lui préparant des arguments.

Cette idéologie nationaliste, qui domine sans changement le monde étudiant de 1945 à 1962, se distingue de la précédente par l’abandon brutal de toute humilité. « Il y a quelques mois, dans une manifestation estudiantine, un jeune intellectuel algérien s’époumona à crier, cependant que certains l’applaudissaient : « Nous voulons nos droits, même avec notre crasse et notre ignorance » [33]. Toutes les déficiences, tous les maux de la société indigène sont attribués à un responsable unique, étranger : le colonialisme. Son renversement par la force est le préalable nécessaire à tout effort de redressement économique et social. La notion réformiste de « colonisabilité » [34] est violemment dénoncée comme une justification du colonialisme. Ainsi le nationalisme apparaît-il dans le milieu étudiant sous une forme très intransigeante. Et pourtant le rapport anonyme du CHEAM, daté de juillet 1946, sur les étudiants nord-africains de Paris, les plus durement politisés, constate la persistance d’une certaine idée de la France, admirée pour sa culture généreuse : « Il ne faudrait pas grand-chose pour renforcer encore davantage l’intérêt déjà très vif que les étudiants nord-africains de Paris portent à la culture française ; cela les amènerait à se sentir encore plus membres de la même famille que leurs camarades français et à se faire en Afrique du Nord les ambassadeurs tout naturels de la pensée et de l’influence françaises. »

Changement brutal, continuité tenace, tels sont les traits majeurs de l’évolution de l’idéologie des étudiants musulmans algériens de 1912 à 1962. Le moteur de cette évolution fut pour chaque génération le spectacle de l’échec politique de la précédente, jusqu’au déclenchement de la guerre d’indépendance. Examinons maintenant plus précisément la phase ultime de cette idéologie, d’abord à travers la « socialisation politique » des individus, puis en classant par thèmes les lieux communs qui la constituent.

Toute idée de nationalité est fondée sur la constatation banale de l’hétérogénéité du genre humain divisé suivant les différences des races, des langues, des religions, des mœurs, des États... critères fonctionnant comme agents de différenciation plus ou moins indépendants les uns des autres, plus ou moins associés. La conjonction en une région du monde de plusieurs de ces facteurs particuliers définit un groupe caractérisé par un sentiment élémentaire des particularités qui identifient mutuellement ses membres et les distinguent des étrangers. La nationalité est une identité collective, qui entraîne la division du monde entre « nous » et les « autres ». On objectera que les adeptes d’une Église, d’une secte, d’un Parti, éprouvent au plus haut point ce sentiment à double face. Mais la division des nationalités est de nature géographique, sa cause première étant sans doute l’impossibilité longtemps totale de communication instantanée entre tous les points du « village planétaire ». Certes, le zèle des propagateurs des fois universelles est un facteur d’uniformisation du monde, et l’on pourrait s’étonner de voir une religion missionnaire comme l’Islam considérée comme facteur constitutif de nationalité. Mais tant qu’une religion n’est pas uniformément répandue sur le globe, qu’elle est tout ici, qu’elle n’est rien ailleurs, elle reste un facteur de différenciation entre les groupes humains.

Nous proposons de distinguer le sentiment de la nationalité, issu de l’expérience vécue, spontané, irréfléchi, de la conscience nationale, élaborée, conceptualisée, envisageant des conséquences politiques. Cette distinction du sentir et du savoir nous semble utile pour étudier la genèse du sentiment et de la conscience nationale chez les étudiants algériens. Elle s’est formée par un long mûrissement depuis leur enfance. L’esprit de l’enfant reçoit de ses expériences des impressions indélébiles bien qu’apparemment oubliées qui définissent une manière de sentir. Il faut de longues années avant qu’il parvienne à rendre conscient ce qu’il avait toujours senti sans savoir qu’il le sentait. C’est ainsi qu’un vague sentiment de nationalité précède la conscience nationale. Mais si le sentiment national élémentaire se forme par l’expérience quotidienne, la conscience nationale, reposant sur des notions idéologiquement élaborées, la Nation, la Patrie, suppose un enseignement. En France, surtout après 1871, l’école remplit cette fonction. En Algérie aussi, mais elle contredit le sentiment spontané, issu du milieu indigène. En fait l’enfant algérien sent qu’il n’est pas Français avant de se savoir Algérien : définition par élimination conforme à l’ « individualité négative » que certains historiens français reconnaissent au Maghreb, comme à l’ « être de carence » en quoi Albert Memmi voit le propre du colonisé. Mais, comme l’écrit William B. Quandt : « If one learned little else at home, the simple fact of knowing that one was not French was an important political lesson. » [35]

Dans sa famille, l’enfant recueille les échos du passé. Il connaît l’arrivée brutale du Français, la résistance vaine et coûteuse, les révoltes, les spoliations, le refus scolaire. Récits de temps déjà anciens mais qui ne s’oublient pas, et resurgissent dans la conscience à certains moments privilégiés : un médecin du maquis, capturé en 1957, a peur de se voir arracher la moustache poil par poil, comme son ancêtre en 1871 ! On retient que les Français sont des étrangers. Le langage courant le reconnaît implicitement : on ne parle d’eux qu’à la troisième personne. Ceux qui enfreignent cette règle (Abbas : « La France, c’est moi ! ») scandalisent par l’incongruité de leurs propos, que les Français eux-mêmes ne sont pas les derniers à relever.

Les Français ont en effet puissamment contribué à l’échec de leur tentative ou velléité d’assimilation du peuple musulman algérien. Dans les profondeurs de la conscience populaire, les « Français musulmans » n’ont jamais été que des « Arabes » en Algérie, des « Algériens » en France. L’expérience de la cohabitation avec les Français, dans la rue, à l’école, offre à l’enfant algérien plus d’une occasion d’apprendre qu’il n’est pas Français, mais un « arabe », un « raton », un « bicot », un « tronc de figuier », etc... L’enseignement reçu à l’école française offre d’autres occasions de sentir une altérité. Il oblige d’abord à lire, parler et penser une autre langue, qui prétend au monopole de la culture et se substitue à la langue maternelle qu’elle refoule dans un statut d’infériorité. Coupé de ses « frêles racines », l’écolier doit renaître à un nouveau monde mental. Pour certains, ce fut un drame (Kateb Yacine) ; pour presque tous, un événement. L’insuffisance de l’enseignement de l’arabe dans le secondaire donnait à réfléchir : les élèves musulmans algériens apprenaient leur langue comme une langue étrangère, avec l’efficacité bien connue de cet enseignement...

En dehors des sciences positives, le contenu de l’enseignement révélait son inspiration étrangère dans tous ses traits spécifiques d’une culture européenne. Composition française : Racontez votre fête de Noël. Instruction civique : La France est notre mère patrie. Géographie : La Seine est le plus beau fleuve de notre pays. Histoire : Nos ancêtres les Gaulois. Charles Martel écrase les Arabes à Poitiers ; 1830 : Libération des États barbaresques. Le père Bugeaud, soldat-laboureur : « Malgré la traîtresse insurrection de 1871, la France continue à dispenser instruction et santé, bien-être et savoir-vivre. » [36] L’élève algérien est traité comme s’il était français, conformément à une fiction juridique. L’histoire et l’instruction civique, instruments de la formation de la conscience nationale des jeunes Français, manquent leur but. La conscience nationale que prétend façonner l’enseignement français contredit brutalement le sentiment national spontané, créant un sentiment de malaise devant l’absurde. Malaise d’autant plus pénible que l’élève algérien, solidaire de son milieu, n’en est pas moins désireux de croire tout ce que ses maîtres français lui apprennent. Le livre d’histoire ne devait pas mentir, « puisque ne mentait ni le livre d’arithmétique ni celui de leçons
de choses » [37].

Nous pouvons distinguer, hors de toute chronologie générale, un approfondissement en trois étapes. L’élève algérien sait d’abord, il l’a toujours su, qu’il n’est pas comme les autres, comme les Français, qu’il n’est pas Français en conséquence (s’il pense à tirer des conséquences logiques de ses impressions). Il découvre ensuite que le monde dans lequel il doit vivre est absurde, mensonger, parce qu’il n’est pas fait pour lui et que pourtant il doit se plier à ses règles comme si elles étaient siennes. Il pressent enfin, de façon confuse, l’action d’une « force obscure qui s’ingénie à le rapetisser, à l’humilier » [38], qu’il ne sait pas encore désigner par son nom, l’ordre établi, le régime colonial, le colonialisme (notions que lui inculqueront non ses maîtres français, mais les partis nationalistes algériens et les mouvements de jeunesse qu’ils inspirent). Il apprend à connaître cette force par l’expérience trop souvent répétée du racisme, qui heurte sa fierté et son sentiment de la justice, particulièrement vifs à l’âge de l’adolescence.

Le racisme, à l’école, de la part des condisciples, des pions, voire des enseignants, est un thème constant dans les récits des étudiants algériens. Ceux qui reconnaissent ne pas en avoir souffert, et il y en a, se considèrent comme des exceptions. L’aversion pour le racisme des Français d’Algérie est une cause de l’émigration des étudiants algériens vers la France. Le rapport du CHEAM sur les étudiants nord-africains de Paris note que « les uns et les autres ont choisi Paris de préférence à Alger parce qu’ ...ils pensent pouvoir mieux connaître ce qu’est la France débarrassée des partis pris et des idées toutes faites qui sont trop souvent l’apanage des Français d’Afrique du Nord. D’autre part..., Alger passe pour être une Université aux examens difficiles ». Mais cette difficulté est imputée au racisme : « Les étudiants algériens seraient victimes aussi à Alger d’un préjugé racial même dans les examens, ce qui les inciterait à se rendre à Paris pour être traités avec plus d’impartialité. » [39] Le rapport du CHEAM remarque aussi qu’ « ils éprouvent une véritable aversion à l’égard des Français d’Afrique du Nord, et fréquentent très peu les étudiants français venus comme eux du Maghreb ; au contraire ils font preuve d’une sympathie a priori envers les Français de la métropole et entretiennent avec leurs condisciples de Paris ou de province des relations de franche camaraderie ». Déjà avant 1939 ce double préjugé avait toute sa force : Amar Naroun rapporte que Ahmed Francis « partageait volontiers ses rares heures de loisirs avec des étudiants algéro-européens, ce qui ne manquait pas de surprendre et de choquer ses camarades musulmans. Je me souviens du mot d’un étudiant constantinois, aussi épris de la France qu’hostile à l’esprit "pied noir". Il me confiait : "Francis ? mais c’est un colon !" Les apparences semblaient lui donner raison. Mais dans le mot "colon", prononcé avec courroux, il incorporait une forte dose de mépris » [40].

Le colon, le colonialisme, la colonisation, il faudrait tout un article pour définir ces notions. Remarquons simplement que dans cette aversion pour le « colon », l’envie n’est pas absente. Avant 1925, Malek Bennabi se promenait « dans ces rues européennes de Constantine où les maisons cossues faisaient éclater davantage à (ses) yeux la misère de (sa tante). Et (il se mettait) à choisir, parmi ces riches habitations, celle (qu’il occuperait) » [41]. Se mettre à la place du colon, n’est-ce pas, selon Frantz Fanon, le rêve de tout colonisé ? En outre, le colon est pris comme bouc émissaire pour préserver l’image idéale de la France. Ferhat Abbas écrivait : « Entre la France et nous quelqu’un vient se placer... Ce quelqu’un, c’est toute cette colonie de néo-Français qui n’étaient ni à Sidi-Ferruch ni à La Macta, qui ne sont pas morts de fièvre dans les plaines de la Mitidja, qui n’ont versé leur sang nulle part et qui, au milieu de leurs richesses et de leurs privilèges, nous accablent de leur mépris et de leur haine. » [42] Mais qui a conquis l’Algérie, installé les colons, toléré leur pouvoir local, sinon la France ? Un médecin algérien reconnaît avoir rencontré davantage de racisme à Montpellier qu’à Oran, ce qui ne l’empêche pas de préférer la « vraie France » aux « néo-Français » d’Algérie. Telle est la force des préjugés.

Contre l’injustice du colonialisme, les étudiants algériens ont très vite protesté. Mais leurs revendications pacifiques n’ont rencontré que vaines promesses, puis menaces, répression enfin. De la répression sort la révolution violente. Revendication, répression, révolution, tel est le schéma de l’engagement croissant du mouvement national algérien dans la voie de la violence. A partir de 1945, la répression, la nécessité de secourir ses victimes et de s’unir pour lui faire front, sont des thèmes prépondérants dans la vie politique des étudiants, particulièrement en 1948 et en 1950. Kateb Yacine a reproduit dans son roman Nedjma les souvenirs encore brûlants des événements de 1945 à Sétif, où il était collégien. Son témoignage exprime admirablement un traumatisme collectif qui a marqué tous les étudiants algériens. Mais il fautobserver que ce thème du massacre de protestataires pacifiques necorrespondpasàlavéritéhistorique.Lesecond président du GPRA, Ben Khedda, a révélé, dans sa « Contribution à l’historique du mouvement national », que la direction du PPA avait bel et bien décidé une insurrection armée. De même l’existence de l’OS explique les arrestations de 1948 et 1950 : le « prétendu complot » était bien réel. Le schéma revendication-répression-révolution ne peut rendre compte des événements d’après 1945. Mais il peut servir dans la perspective ouverte par la conquête française, inaugurant en 1830 le cycle de la violence. Il s’applique aussi parfaitement à l’histoire du mouvement étudiant algérien, injustement persécuté par la haine aveugle des arabophobes.

Révolte contre l’injustice et révolte nationale sont, dans le cas algérien, indissolublement liées. On a voulu croire, en 1958, qu’il suffisait d’accorder l’égalité des droits aux individus pour désamorcer la guerre révolutionnaire. En même temps que les étudiants algériens se révoltaient contre l’ordre établi, ils apprenaient, auprès des mouvements de jeunesse et des partis musulmans, le vocabulaire du nationalisme. L’idée nationale porte les espoirs d’une société nouvelle. Elle correspond à une exigence de salut collectif, non de promotion individuelle. Mais comment définir la nation algérienne ? Et en même temps, comment la faire exister ?

Définir la nation, c’est déjà la faire exister, du moins dans l’esprit des intellectuels algériens, habitués par leurs maîtres français à considérer l’idée même de nation algérienne comme vaine, absurde, impensable. « Poussière de tribus », en proie à une succession ininterrompue de conquêtes étrangères, l’Algérie n’est-elle pas depuis toujours frappée d’une « inaptitude congénitale à l’indépendance » ? [43] En 1936 encore, Ferhat Abbas nie la nation algérienne : « J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé... » [44] Et pourtant, les témoins français de la conquête employaient constamment le terme de « nationalité » pour définir la force qui leur résistait. Mais le mot fut écrasé avec la chose qu’il désignait.

C’est pourquoi les étudiants algériens de formation française doivent se définir d’abord par rapport à la France. Leurs maîtres, inquiets, les en somment : « Êtes-vous Français ou anti-Français ? » L’usage était d’appeler anti-Français tout indigène hostile à l’annexion de son pays à la France. Mais, en suivant cette définition, la France n’aurait dans le monde que des citoyens ou des ennemis ! Il n’est pas plus sérieux d’appeler « nationaliste » celui qui refuse l’annexion et « patriote » celui qui l’accepte ; cela revient à réserver à la France le monopole du patriotisme éclairé pour laisser aux autres nations le nationalisme fanatique, intolérant, xénophobe. Il serait facile de répondre que le nationalisme français, voire le chauvinisme français, sont des phénomènes bien connus des politologues. Le nationalisme algérien s’est inspiré d’exemples français ; les expressions « Résistance algérienne » et « Révolution algérienne » en témoignent. La devise d’ « un jeune héros de la guerre de libération nationale », Abdelkader Bounadja, tombé en 1957, est une citation de Charles Maurras : « De toutes les libertés humaines, la plus précieuse est l’indépendance de la patrie. »

Il n’y a pas de preuve que des étudiants algériens soient devenus anti-Français. « Saïd n’osa avouer qu’il avait peur d’être devenu anti-Français. Il aurait eu cent mille raisons pour cela, mais sa raison le lui interdisait. Et son cœur. Et sa mémoire. C’est lorsque la colère devient du mépris silencieux que commence le racisme. Saïd n’en était pas encore là. » [45] Aux pires heures de la guerre, les plus amers ont conservé « une certaine idée de la France ». Ils ont trouvé dans l’évangile républicain, appris sur les bancs de l’école française, les justifications de leur combat. Le 14 juillet et la nuit du 4 août 1789 hantent leur esprit. La France révolutionnaire et démocratique est l’inspiratrice de la Révolution algérienne. Une autre leçon de la France, le principe des nationalités, justifie l’espoir d’une coopération franco-algérienne de peuple libre à peuple libre.

Sans doute la France contredit son idéal en faisant la guerre contre le peuple algérien. Mais les étudiants algériens sauvent son image en distinguant une France « réelle », il vaudrait mieux dire « idéale », qu’ils opposent à la France « légale » (terminologie maurrassienne). Cette faculté d’analyse est une acquisition progressive des étudiants algériens. Les premières générations, assimilationnistes, considéraient la France comme un bloc. « On ne peut renier la France quand on sort de ses écoles, quand on est imprégné de sa culture », déclarait en septembre 1955 le Dr Bensouna, de Tiaret. Les réformistes, pour préserver l’honneur de la France, rejettent sur le dos des colons toutes les injustices, et ils dénient à ces colons « néo-français » la nationalité française. Les nationalistes, confrontés à la guerre acceptée par le gouvernement et par le peuple français, sont obligés d’opérer de plus subtiles distinctions.

La politique française les attriste plus qu’elle ne les indigne. Ils n’admettent pas qu’elle utilise son indéniable séduction intellectuelle comme instrument de chantage politique, qu’elle transforme son empire spirituel en empire temporel et intéressé. Ils désirent, suivant le mot de Léopold Senghor, « assimiler, non pas être assimilés ». C’est pourquoi ils dénoncent vivement la culture dépersonnalisante qui leur a été imposée, mais qu’ils ne veulent ni ne peuvent rejeter en bloc.

« Tout homme a deux patries : la sienne et puis la France » : telle pourrait être la devise des étudiants algériens. Les pays musulmans les attirent, à la fois par le souvenir d’un glorieux passé commun qui les réconforte et leur donne espoir, et comme champs d’expériences encore interdites à l’Algérie dépendante. La Turquie anti-islamique, l’Arabie puritaine, l’Égypte éclectique offrent trois voies divergentes à leur délibération. Car le qualificatif de « musulmans » est dans le monde moderne signe d’appartenance à une certaine forme de société bien plus que d’adhésion individuelle à une foi, à une confession. Ahmed Taleb, fils d’un grand réformateur de l’Islam algérien et premier président de l’UGEMA, constate que « les jeunes musulmans, qu’ils soient athées ou indifférents ou croyants, ignorent presque tout de l’Islam » [46]. Il déclare officiellement que le terme « musulmans » dans le titre de l’Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens (UGEMA) n’est qu’un signe d’appartenance culturelle, sans implication confessionnelle.

L’arabisme signifie pour eux retour aux sources de la culture ancestrale. L’enseignement de l’arabe, l’arabisation de l’enseignement, font partie implicitement du programme de l’UGEMA, inspiré par l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, dont le président, le cheikh Brahimi, est le père du premier président de l’Union. Si l’arabisme définit une patrie culturelle, le Maghreb, dans son cadre plus restreint, constitue une patrie géographique dont l’unité réalisée dans le passé par les Almohades semble se renouer dans la lutte anticolonialiste. Le Maghreb est arabe par définition. Pourtant, ce qui le distingue le plus de l’Orient, c’est bien la persistance du fait berbère, par larges blocs isolés dans les montagnes. Le « berbérisme » est dénoncé comme une idéologie colonialiste de division et d’assimilation, non sans raison, ce qui évite de poser clairement le problème de la symbiose ou de la synthèse culturelle arabo-berbère. L’Algérie est considérée comme arabe, tout simplement. Ce qui n’empêche pas de rechercher dans le passé berbère des exemples glorieux de patriotisme (Jugurtha) [47].

Le thème de l’africanité de l’Algérie est plus récent, et plus artificiel. Il s’inscrit dans le cadre de la solidarité anti-colonialiste proclamée à Bandoeng en 1955 et s’oppose à l’Eurafrique colonialiste. Mais l’élargissement des solidarités fait de la nation algérienne un ectoplasme sans autre frontière que celle qu’elle veut opposer à la France étatique. Elle se définit par l’intersection de deux cercles, l’un arabo-islamique, l’autre afro-asiatique. Mais cette intersection est le Maghreb, non l’Algérie. Les communistes veulent eux aussi intégrer la nation algérienne dans l’Internationale des peuples en lutte contre l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Les nationalistes leur reprochent ce cosmopolitisme qui détourne le mouvement national de son but propre au profit de puissances étrangères. Ils récusent la conception communiste de « l’Algérie nation en formation ». Le peuple algérien existe déjà, cimenté par l’Islam. Il accueillera ceux des Européens d’Algérie qui opteront pour lui et feront l’effort de s’y intégrer. Bien peu l’ont fait. Il est dur de renoncer à son milieu pour rejoindre une communauté considérée comme inférieure.

Une bonne partie de l’élite algérienne, on l’a vu, se trouvait dans la même situation que ces étrangers vis-à-vis du peuple algérien. C’est pourquoi de nombreux articles ont préconisé, en termes émouvants, le « retour au peuple » et donné en exemple le populisme russe [48]. La guerre allait en fournir l’occasion.

Devant les grands événements historiques, riches en dangers autant et plus qu’en promesses, il est deux attitudes possibles : se mettre à l’abri du courant, ou s’y lancer hardiment afin de participer coûte que coûte à l’élaboration de l’avenir. Les étudiants algériens ont réagi de l’une ou l’autre façon. Leurs effectifs [49] à Alger passent de 602 en 1953-1954 à 686 en 1954-1955, mais retombent à 612 en 1955-1956. Dans le même temps, leur nombre en France passe de 1.000 à 1.700, et de nombreux lycéens y sont envoyés par leurs parents. Mais les étudiants politisés, qu’ils soient militants d’un parti ou à l’écart de la vaine agitation politique, accueillent l’insurrection avec enthousiasme. Pour se rendre utiles, ils ont deux possibilités : rejoindre individuellement le FLN-ALN ou rester dans le milieu étudiant pour l’organiser, afin de rallier en bloc la masse des étudiants à la révolution.

Depuis la création de l’UGET par les étudiants tunisiens, en 1953, l’organisation d’une union nationale des étudiants algériens était envisagée. Le 27 février 1955, l’AEMAN d’Alger décide la création d’une UGEMA. Après une conférence préparatoire où fut débattue la signification du « M » en avril à Paris, l’UGEMA y naquit en juillet. Le programme intégrait les problèmes des étudiants dans ceux de leur peuple et réclamait une solution d’ensemble du problème algérien : « Il faut qu’à l’illusion séculaire de l’intégration fasse place une politique réaliste de coopération entre les deux peuples. » L’Union reflétait « un courant puissant où nous ne nous sommes pas contentés de nous laisser entraîner, mais auquel nous voulons participer activement ». D’abord « trait d’union », l’UGEMA se transforme en « unité de combat » du FLN à mesure que se raidit la politique française. Le IIe Congrès, en mars 1956, réclame « des négociations avec le Front de Libération Nationale ». Le 19 mai, la section d’Alger appelle à rejoindre le maquis, et le 25 mai l’UGEMA décide la grève illimitée des cours et des examens. Accueillie sans enthousiasme par la majorité des étudiants, cette grève est obéie pendant plus d’un an [50]. Le nombre d’inscriptions diminue : de 2.080 à 1.811. L’ordre de grève est levé le 14 octobre 1957, sauf à l’Université d’Alger.

Les effectifs se gonflent de nouveau : en France, 2.190 à la rentrée de 1957-1958 (1.544 inscrits l’année précédente). Mais l’UGEMA est de moins en moins tolérée, et dissoute le 27 janvier 1958. Ses dirigeants organisent l’exode vers l’étranger en recueillant des bourses, cependant que la Section Universitaire du FLN reprend en main les étudiants en France. A la fin de 1958, une vague d’arrestations, suivie de sévices, provoque le scandale de « la gangrène ». Malgré l’assassinat de leur avocat, les dirigeants de la SU sont jugés avec une grande indulgence, peut-être parce que leur organisation est inoffensive. Pourtant, l’exode continue. En 1960-1961, on compte 1.000 étudiants algériens en France, autant dans le reste du monde. L’Université d’Alger reste frappée d’interdit, mais les étudiants musulmans y réapparaissent. Ils ne font pas de politique. À la fin de 1960, un contact est pris avec l’UGEMA. Hénine Moula organise une Section Universitaire du FLN Il est tué par l’OAS. Dans l’ensemble, les étudiants ont joué un rôle plus faible dans la révolution à partir de la reprise des études qu’avant la grève.

L’organisation clandestine du FLN-ALN permit aux étudiants de partager la vie de leur peuple, dans les bidonvilles de Nanterre et dans les ruelles de la Casbah. Mais combien ont saisi l’occasion ? Au début, quand l’organisation était faible, de grandes responsabilités leur étaient offertes. La Fédération de France du FLN les employait à des tâches d’explication auprès du peuple, abusé par l’imposture messaliste. Elle leur réservait aussi des tâches financières, administratives et de propagande. Les militants étudiants s’occupaient de la direction et des congrès de l’UGEMA. Le premier président de l’UGEMA entra dans le Comité directeur de la Fédération de France et fut arrêté avec ses collègues en février 1957. Après la grève et la dissolution, la SU regroupa les étudiants dans une structure séparée qui les contrôla plus qu’elle ne les utilisa.

À Alger, le commissaire politique Abane Ramdane, bachelier, organisa le milieu étudiant par l’intermédiaire de Mohammed Rachid Amara. L’UGEMA et les associations de lycéens servaient de relais à l’action du FLN. La présence à Alger d’un « brain trust » important écarta les étudiants des postes de premier plan jusqu’au départ du CCE (25 février 1957), dans lequel on comptait pourtant deux anciens étudiants, Ben Khedda et Saad Dahlab. La nouvelle zone autonome d’Alger, dirigée par Yacef Saadi, permit à l’étudiant en droit Zohra Drif et à l’ancien étudiant Ben Hamida de faire leurs preuves. Plusieurs étudiants fabriquèrent des bombes, plusieurs étudiantes les posèrent. Le chimiste Abdemahmane Taleb fut guillotiné en 1958.

La montée au maquis, préconisée dans l’appel du 19 mai 1956, symbolisait mieux que toute autre forme d’action la rupture avec une vie relativement facile, le sacrifice des commodités individuelles à la cause nationale. « De nos montagnes s’élève le chant des hommes libres », d’après l’hymne du PPA. Le prestige des maquisards était immense chez les étudiants et surtout les lycéens. Car ces derniers ont fourni plus des 9/10es des recrues de mai 1956. Du fait de l’arrêt du recrutement avec la levée de la grève, la proportion des « intellectuels » au maquis ne fit que diminuer ensuite.

Il fallait s’habituer aux marches continuelles, au danger, à la tension permanente. Les talents des « intellectuels » les désignaient pour des tâches spécialisées dans le service de santé et la propagande principalement, l’administration aussi à partir du Congrès de la Soummam. Bientôt, après un temps d’adaptation, un certain nombre de lycéens et quelques étudiants furent admis comme combattants dans l’ALN, et certains montèrent en grade, devenant ainsi des militants complets, politiques et militaires, du FLN-ALN. Le poème de Boualem Taïbi : « Guérilla », évoque cette vie rude, que seul un idéal peut rendre supportable.

La vie au maquis était l’occasion du retour au peuple. Cette expérience marqua ceux et celles qui la tentèrent. Elle confirma leur opinion sur le sort misérable de leur peuple en lui donnant l’intensité des choses vues. Mais elle leur fit découvrir aussi la difficulté de politiser un milieu aussi misérable, figé dans le « traditionnalisme du désespoir » et muré dans un particularisme borné. Que leur voulaient ces « étrangers » des villes ? Sans se croire Français le moins du monde, les fellahs pouvaient se laisser aller à vendre les maquisards à l’armée, à la SAS, pour se libérer d’un fardeau trop lourd et mériter l’assistance gratuite. Ce n’est pas du patriotisme français mais de l’ « inconscience nationale » algérienne. Pour parer à ce danger, les intellectuels des maquis concurrençaient les SAS dans une « guerre des bienfaits ».

Les relations des intellectuels avec leurs frères de lutte posèrent des problèmes qui ont été souvent déformés. Quelle devait être la place des nouveaux venus ? Celle de fonctionnaires du maquis ou celle de militants à part entière ? Les chefs pouvaient se sentir menacés par leur concurrence. Le premier contact avec les combattants confirma leur prestige. Mais, à partir de 1958, les purges de l’ALN visèrent spécialement, dit-on, le « complexe étudiant ». Il ne faut pas croire aveuglément des aveux obtenus par la torture. Il a pourtant paru vraisemblable que des étudiants complotaient dans les wilayas III et IV, à la fois pour des raisons d’avancement et pour traiter avec la France dont les rapprochait leur éducation ainsi que leur intelligence qui les persuadait de l’impossibilité de la victoire. Mais il semble qu’au début de la « bleuite » en wilaya III, les étudiants aient été victimes de la jalousie de certains cadres. Au reste, le colonel Amirouche n’était pas un ennemi à priori des intellectuels. Les mauvais conseils et la méfiance développée par la vie au maquis expliqueraient le drame. Au combat [51] ou dans les épurations, combien des volontaires de 1956 ont laissé la vie ?

Un certain nombre d’étudiants algériens connurent l’expérience de la captivité. Quel fut leur comportement ? A en croire le général Massu et le colonel Trinquier, les « intellectuels » du FLN étaient plus facilement récupérables que les illettrés fanatisés. Pourtant, de sources françaises, il est admis que les prisons et les camps d’internement étaient de véritables « séminaires du FLN » dans lesquels les intellectuels jouaient un rôle d’encadrement important.

L’exil fut le lot d’une partie non négligeable, jusqu’à un tiers en 1962, des étudiants musulmans algériens. Grâce à son action internationale, l’UGEMA fut capable de répliquer à sa dissolution en organisant [52] l’exode vers les pays étrangers qui offraient des bourses, à l’Est, à l’Ouest et dans le monde arabe. Près d’un millier d’étudiants dispersés continuèrent leurs études, tout en secondant efficacement la diplomatie du FLN, à laquelle l’UGEMA prépara de nouveaux cadres [53]. En 1960, son IV° Congrès mit les étudiants à la disposition de l’ALN ; quelques dizaines de volontaires partirent pour en renforcer l’encadrement.

Ainsi, les étudiants algériens - ou du moins les étudiants organisés - ont-ils bien mérité le satisfecit contenu dans la « Plate-forme » du Congrès de la Soummam : « Intellectuels et professions libérales : le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que la "francisation" n’a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes, individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine orientation politique. » Ce ralliement prouvait que le nationalisme algérien n’était pas le fait de brutes illettrées ni de fanatiques enfermés dans une culture théologique périmée, mais un mouvement représentatif de toute la société indigène et de son évolution dans le cadre du monde moderne. Mais doit-on considérer le ralliement des étudiants algériens au nationalisme algérien comme un phénomène inévitable, nécessaire ? A priori, il n’en est rien, et l’on pourra soutenir que ce ralliement fut un acte de dépit devant l’indifférence, voire l’hostilité des Français qui n’ont pas daigné les accepter comme leurs compatriotes. Qu’on le regrette ou non, on reconnaîtra que les Français, qui ont inculqué à ces étudiants le désir d’être leurs concitoyens, sont responsables de l’échec de la tentative. Mais il ne faut pas se limiter au seul point de vue français. On devra constater aussi que les étudiants algériens étaient issus d’un milieu, d’une société, d’une communauté attachée à ses valeurs et hostile à l’assimilation. Les étudiants « francisés » par « l’école du diable » lui semblaient enlevés, perdus pour elle. Abdelhamid Mehri [54], ministre des Affaires sociales du GPRA en 1960, rappelle comment dans son enfance les villageois, voyant passer un jeune diplômé de l’Université française, « échangeaient des murmures et disaient, avec regret, que les Français avaient pris le fils d’Untel »... Le ralliement des étudiants au nationalisme algérien est un acte d’allégeance à leur communauté. C’est pourquoi, comme l’a vu Jacques Soustelle, seule une politique d’intégration globale de la société musulmane, différente de l’assimilation au compte-gouttes, aurait eu une chance de rendre l’Algérie française. Les étudiants algériens politisés, quelle que soit leur option nationale, ont toujours eu le sentiment de leur responsabilité envers leur peuple. Et l’assimilationnisme perdit la partie dès le moment où il sembla se confondre, à tort ou à raison, avec l’individualisme. La société française étant individualiste, étrangère au solidarisme islamique, cet échec de l’assimilation peut être jugé inévitable... [55]

Guy Pervillé

[1] Robert Malan, « Espoir d’instruction », dans L’Algérie et sa jeunesse, Alger, 1957.

[2] Yvonne Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, Maspéro, 1971.

[3] Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Que Sais-je ? et Les Algériens musulmans et la France, PUF, p. 962.

[4] Ibid.

[5] Ferhat Abbas, Le jeune Algérien, Paris, 1931, pp. 50-51.

[6] Ibid.

[7] Comité Parisien des Œuvres Universitaires, aujourd’hui CROUS.

[8] Amar Naroun, Ferhat Abbas, Paris, 1961, p. 133.

[9] Le jeune Algérien, p. 90.

[10] Chérif Benhabyles, L’Algérie française vue par un indigène, 1914, pp. 24-25.

[11] La République algérienne, 29 mai 1953.

[12] Voir Consciences Maghrébines, n° 4, « L’Université d’Alger », et les Mémoires inédits de M. Roger Léonard.

[13] Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains en France.

[14] Naroun, op. cit., p. 40.

[15] Association des Étudiants Musulmans Algériens.

[16] Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens.

[17] Benhabylès, op. cit., pp. 110-111.

[18] Cité par Malek Haddad, Les zéros tournent en rond, Maspéro, 1960, p. 44.

[19] Memmi, op. cit., 1957, p. 157.

[20] Memmi, op. cit., p. 157.

[21] Benhabylès, op. cit., p. 78.

[22] Ibid., p. 104.

[23] Ibid., p. 153.

[24] Cf. H. Hesnay-Lahmeck, Lettres algériennes, Paris, 1931.

[25] Mahieddine Bachtarzi, Mémoires, p. 332. Alger, SNED, 1968.

[26] Le jeune Algérien, p. 144.

[27] Ibid., p. 8.

[28] Ibid., p. 89.

[29] Ibid., p. 98.

[30] Ibid., p. 31.

[31] Jean Lacouture, Cinq hommes et la France, p. 272

[32] Le jeune Algérien, p. 87.

[33] Malek Bennabi, Discours sur les conditions de la renaissance algérienne, 1948, pp. 22-26.

[34] Bennabi, Ibid. et Vocation de l’Islam, 1954, pp. 83-84.

[35] W. B. Quandt, Revolution and political leadership, Algéria 1954-1968, p. 46, The MIT Press, 1969.

[36] Saddek Hadjérès, Quatre générations, deux cultures, La Nouvelle Critique, 1960, n° 112.

[37] Ibid.

[38] Ibid.

[39] M. Gautier Walter, dans Climats, 7 avril 1955.

[40] Naroun, op. cit., p. 40.

[41] Malek Bennabi, Mémoires d’un témoin du siècle, Alger, 1965, p. 108.

[42] Le jeune Algérien, p. 116.

[43] Voir Mohammed Chérif Sahli, Décoloniser l’histoire, Maspéro, 1965.

[44] « La France, c’est moi ! », dans La Défense, 28 février 1936.

[45] Malek Haddad, La dernière impression, 1958, p. 32.

[46] Lettres de prison, Alger, 1965, p. 180.

[47] Voir Mohammed Chérif Sahli, Le message de Yougourtha, 1949, et Jean Amrouche, « L’éternel Jugurtha, propositions sur le génie africain », dans La Nef, 1946, n° 13.

[48] Ahmed Taleb (alias Abou Djamil Taha), « Nos intellectuels », dans Le jeune Musulman, n° 5, 12 septembre 1952.

[49] Les sources utilisées sont rarement concordantes sur ce point.

[50] Sous la présidence de Mouloud Belaouane.

[51] Mohammed Rachid Amara, Mohammed Inal et Allaoua Benbatouche sont les plus célèbres des nombreux « martyrs » (chouhada) de l’UGEMA.

[52] Sous la présidence de Messaoud Ait Chaalal.

[53] Les négociations avec la France, puis l’exécutif provisoire mirent en vedette Mohammed Ben Yahia, Redha Malek, Lamine Khène, Belaïd Abdesselam, Mohammed Khemisti.

[54] Discours au IVe Congrès de l’UGEMA, juillet 1960.

[55] Ce problème sera repris dans un futur article : « Le populisme algérien ». PS : Ce projet n’a jamais été réalisé.



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