" Le silence jusqu’en 1997 " (2012)

dimanche 30 mars 2014.
 
A la suite de la censure de mon texte sur les accords d’Evian dans la publication des Commémorations nationales 2012, j’ai répondu par téléphone aux questions du journaliste Patrick Perotto, qui a publié cette interview dans L’Est républicain du 17 mars 2012, et sur son site http://www.estrepublicain.fr/actualite/2012/03/17.

HISTORIEN, Guy Pervillé aborde les différentes questions que la commémoration de la signature des accords d’Evian suscite.

-   Faut-il commémorer la fin de la guerre d’Algérie ?

Oui, mais encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Il est faux d’affirmer que la date du cessez-le-feu du 19 mars, entérinée par les accords d’Evian signés la veille, correspond à la fin de la guerre. Le 19 mars, contrairement au 11 novembre 1918 et au 8 mai 1945, ne met pas un terme aux hostilités. L’OAS, qui n’est pas partie prenante aux accords, parie sur leur échec et planifie des actions terroristes dans les quartiers arabes. Elle veut obliger le Front de libération nationale à répliquer contre les quartiers européens et l’armée française à intervenir. De son côté, le FLN, pourtant signataire des accords, ne les respecte pas non plus. À partir de mi-avril 1962, il enlève et assassine des civils français. Conséquence : la population française d’Algérie doit s’enfuir en masse, alors qu’il était prévu dans les accords d’Evian qu’elle reste sur place. Enfin, bien que protégés par ces mêmes accords par une clause générale d’amnistie, des harkis sont massacrés surtout après le référendum sur l’indépendance le 1er juillet.

-   Plusieurs mémoires se juxtaposent et rivalisent entre elles. Sont-elles la cause du silence longtemps gardé sur cette guerre ?

Après 1962 et jusqu’en 1997, le pouvoir choisit de garder le silence. Si certaines guerres sont commémorées, d’autres dont l’Algérie ne le sont pas, faute de consensus. Donc, il vaut mieux oublier. Divers groupes de mémoire se font effectivement concurrence : pour les uns, la France a eu tort de mener cette guerre et c’est un objet de honte et de repentir ; pour les autres, elle a eu tort de renoncer à une victoire militaire.

Le retour de la mémoire intervient à partir de 1997 lors du procès Papon, au cours duquel Jean-Luc Einaudi témoigne sur les agissements de l’accusé, lors de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, alors qu’il est préfet de police de Paris. Le président de la République approuve l’idée de faire entrer les événements d’Algérie dans la mémoire nationale et adopte une doctrine diamétralement opposée à celle de ses prédécesseurs. Le 18 octobre 1999, le Parlement qualifie officiellement ces événements de guerre. Mais le choix de la date de commémoration brise l’unanimité. La gauche et la FNACA choisissent le 19 mars ; la droite, les rapatriés et les harkis s’y opposent. Après sa réélection, Chirac opte pour le 5 décembre, date totalement arbitraire, qui correspond à l’inauguration du mémorial du Quai Branly, érigé en mémoire des victimes militaires de la guerre d’Algérie.

-   Vous avez été censuré par le ministère de la Culture pour un texte écrit pour ce cinquantenaire. Savez-vous pourquoi ?

Je n’ai jamais eu de réponse officielle et je ne peux que formuler des hypothèses. J’ai écrit que les accords d’Evian n’avaient pas été respectés. Mon texte, qui rappelle des faits, a pu être jugé embarrassant par la mission d’organisation de cette commémoration. Mon article traite des politiques mémorielles en France et en Algérie. Or, dans le contexte électoral des deux pays - des législatives ont lieu en Algérie en mai - cette commémoration est considérée comme à hauts risques.

Afin d’éviter toute surenchère, les deux gouvernements préfèrent observer la plus grande discrétion. Il est nécessaire de s’inscrire dans l’Histoire, pas dans les mémoires. En France, plusieurs groupes se disputent des mémoires ; il y en a une seule, officielle en Algérie, que je résume en une formule : "Les Algériens ne sont responsables de rien parce que la France est responsable de tout’’. Les deux pays ont intérêt à purger le passé pour se réconcilier.

Propos recueillis par Patrick PEROTTO



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