A propos de mon nouveau livre Oran 5 juillet 1962 (2014)

samedi 28 juin 2014.
 
Cet interview a été réalisée par Roger Vétillard pour le site Metamag : http://metamag.fr/metamag-2139-ORAN-5-JUILLET-1962.html

Guy Pervillé, Oran, 5 juillet 1962, Leçons d’histoire sur un massacre , Vendémiaire éditeur, Paris 2014, 320p, 20 €.

Guy Pervillé est un historien très prolifique. Il publie un nouvel ouvrage qui est en fait une étude bibliographique accompagnée de réflexions personnelles sur une journée longtemps « esquivée » par les médias et les historiens. C’est un travail qui va certainement devenir la référence sur le sujet. Nous l’avons rencontré.

R.V : Voici donc un livre sur le 5 juillet 1962 à Oran. Les ouvrages traitant du sujet se sont multipliés ces dernières années, je veux parler notamment des publications de Jean-Jacques Jordi, de Jean-François Paya ou de Guillaume Zeller. Pourquoi donc avez-vous eu l’idée de vous atteler à ce travail de recension qui je dois le dire a impressionné le lecteur que je suis ?

G.P : Durant l’année 2013, des controverses se sont multipliées parmi ceux qui étaient conscients de la gravité des événements du 5 juillet 1962 à Oran, notamment à l’occasion du lancement d’une pétition internationale qui les dénonçait comme étant un « crime contre l’humanité ». Pour prendre une position raisonnée, j’ai décidé de faire le point sur ce sujet en m’appuyant sur toutes les lectures que j’avais eu l’occasion de faire depuis plusieurs dizaines d’années en tant que spécialiste de l’histoire de la guerre d’Algérie. C’était pour l’essentiel un travail de relecture et de réflexion personnelle, qui ne m’a pris que quatre mois. J’ai néanmoins été surpris par l’ampleur inattendue de ce travail, par rapport à une étude historiographique antérieure que j’avais consacrée à l’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Le 5 juillet 1962 à Oran s’avérait ainsi être l’événement le moins connu de toute la guerre d’Algérie ; et pourtant il a inspiré un nombre de témoignages, d’enquêtes, et même de travaux d’historiens beaucoup plus important que ce que l’on suppose a priori.

RV : En quelques phrases pouvez-vous nous résumer ce qu’il s’est passé à Oran ce jour là ? Quel est le bilan humain des affrontements qui ont eu lieu dans cette grande ville d’Algérie le jour de la fête de l’Indépendance ?

GP : Une semaine après la fin de l’OAS d’Oran (28 juin 1962) et deux jours après la proclamation officielle de l’indépendance de l’Algérie (le 3 juillet 1962), la date du 5 juillet choisie par le Gouvernement provisoire de la République algérienne pour marquer l’indépendance du pays fut endeuillée, à Oran, par un effroyable massacre qui frappa principalement la population européenne, longtemps majoritaire, de cette ville. Le bilan, connu dès 1963 par un rapport officiel mais resté secret de Jean-Marie Huille, et confirmé d’après les archives publiques consultées par l’historien Jean-Jacques Jordi en 2011, est proche de 700 morts et disparus. Ainsi cet événement presque entièrement inconnu devrait être considéré comme le plus sanglant de toute la guerre d’Algérie s’il ne s’était pas produit deux jours après la fin officielle de l’Algérie française.

RV : J’ai été comme vous destinataire de critiques à vrai dire pas toujours fondées concernant les causes de ce massacre, critiques émanant parfois même de personnes qui ne vous avaient pas lu. Sans entrer dans les détails, pouvez-vous nous préciser quelles étaient les motivations et les arguments de vos détracteurs et les réponses que vous pouvez ici leur apporter ?

GP : Tout le monde est d’accord sur le fait que la version du général Katz (commandant des forces françaises à Oran), qui attribuait à l’OAS la responsabilité des premiers coups de feu, n’a jamais été prouvée et ne peut être retenue. Mais les interprétations divergent sur trois principaux points. D’abord sur le fait que cet événement ne peut pas être compris sans mettre au premier plan de ses causes les quatre mois de harcèlement des quartiers musulmans par l’OAS (de la fin février au 28 juin 1962), qui ne pouvaient manquer de provoquer des désirs de vengeance. Un historien ne peut pas se dispenser de rechercher les causes d’un événement avant cet événement. Ce facteur est donc à considérer en priorité, même s’il n’est évidemment pas le seul à prendre en compte, puisque le terrorisme du FLN avait largement précédé celui de l’OAS. Cependant, une autre hypothèse est à prendre en considération, celle d’un lien entre le massacre d’Oran et la stratégie tortueuse du colonel Boumedienne, chef d’état major général de l’ALN qui s’était allié à Ben Bella dans la lutte contre le GPRA signataire des accords d’Evian, et qui aurait provoqué ce massacre en tant que prétexte pour s’emparer d’Oran en y rétablissant l’ordre. Mais elle ne peut pas être retenue sans preuves, or jusqu’à présent aucune preuve de cette hypothèse n’a été publiée. Enfin, certains veulent croire que le général de Gaulle aurait décidé, dès cette date, de favoriser Ben Bella en laissant ses troupes rétablir l’ordre à Oran ; mais cette affirmation est démentie par de très nombreux documents officiels qui prouvent qu’à cette date précise, la politique française était fondée sur une stricte neutralité entre les diverses factions algériennes pour éviter le risque de recommencer la guerre. Il n’y a donc pas eu de responsabilité directe du gouvernement français dans ce qui s’est passé le 5 juillet 1962 à Oran, même si l’on peut lui reprocher à bon droit son inconscience.

RV  : Avez-vous une explication sur les raisons du silence observé sur cette dramatique journée dans les médias et même dans le milieu des historiens ? Est-ce parce que les historiens de la guerre d’Algérie arrêtent leurs propos au 1er juillet 1962, jour du référendum pour l’indépendance, ou parce que ce 5 juillet l’Algérie était indépendante et que beaucoup ne voulaient pas accabler la jeune république qui n’avait pas encore de gouvernement, ou pour d’autres raisons  ?

GP  : En effet, après la fin officielle de l’Algérie française, la grande majorité des Français de France ne pensaient plus qu’à tourner la page de la guerre, et à prendre des vacances bien méritées. Mais il faut souligner que le gouvernement français a été informé de la gravité de ce qui s’était passé relativement vite, puisque dès 1963 Jean-Marie Huille avait remis son rapport au secrétaire d’Etat Jean de Broglie. Or la terrible vérité a été soigneusement cachée pendant presque un demi siècle, jusqu’à ce que le Premier ministre François Fillon autorise l’historien Jean-Jacques Jordi à consulter toutes les archives publiques pour faire connaître le sort des Français d’Algérie enlevés en 1962 - et pas seulement à Oran. Maintenant que cette censure officielle est levée et que ces faits sont dévoilés, on aimerait savoir quelles conclusions le gouvernement actuel voudra en tirer, puisque le massacre du 5 juillet 1962 est à la fois le moins connu et celui dont le bilan est, de très loin, le plus grave. Ajoutons que sa reconnaissance par le gouvernement français serait très utile pour appuyer l’action de sa diplomatie qui s’emploie à faire signer à Paris, depuis le 6 février 2007, une convention internationale contre les disparitions forcées adoptée le 20 décembre 2006 par l’Assemblée générale de l’ONU.



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