La "gestion radicale" de l’Algérie (1985)

vendredi 13 avril 2007.
 
Cet article, publié dans les Cahiers d’histoire, t. XXXI, 1986, n° 3-4, 86 rue Pasteur, 69000 Lyon, reprend le texte d’une conférence prononcée à la Société d’histoire du radicalisme le 10 octobre 1985.

Peut-on dire que l’Algérie fut gérée par les radicaux, ou par des radicaux, entre 1950 et 1955 ? Faute d’avoir eu le temps d’étudier les archives du parti radical, nous ne pouvons répondre avec certitude à cette question. Mais on peut douter que celles-ci seraient très riches, sur une période dépourvue de débat de fond sur le problème algérien. En tout cas, les Mémoires de plusieurs acteurs, et les enseignements de récents colloques, donnent quelque vraisemblance à notre hypothèse.

Celle-ci est fondée sur une constatation empirique : l’instabilité gouvernementale de la IVe République n’empêchait pas une relative stabilité des principaux postes ministériels entre les mains du même homme ou du même parti, tant que se maintenait un certain équilibre des forces politiques. Cette situation favorisait la formation de liens personnels de « patronage » entre des hommes politiques et de hauts fonctionnaires. Ainsi le Ministère de l’Intérieur, « fief » socialiste de 1944 à 1950, appartint au parti radical de 1950 à 1954. Est-ce donc par hasard que le gouvernement général de l’Algérie placé sous sa tutelle échut en 1951 à un préfet aux amitiés radicales, après deux gouverneurs socialistes ?

Le Ministère de l’Intérieur fut confié au parti socialiste depuis le remaniement du GPRF à Paris le 7 septembre 1944, jusqu’à la démission des ministres socialistes du gouvernement Bidault le 4 février 1950 : dans dix gouvernements, il n’eut que quatre titulaires [1]. Le départ des socialistes du gouvernement Bidault le fit passer au radical Henri Queuille. Mais leur retour dans les gouvernements Pleven et Queuille, de juillet 1950 à juillet 1951, leur rendit un secrétariat d’État à l’Intérieur, chargé de l’Algérie, confié à Eugène Thomas. Puis le retrait définitif du parti socialiste après les élections législatives de juin 1951 laissa le champ libre aux radicaux.

L’Intérieur eut donc un ministre radical de février 1950 à juin 1954, avec trois titulaires dans huit gouvernements :
-  Henri Queuille de février 1950 à juin 1951 (en même temps président du Conseil de mars à juillet 1951) ;
-  puis Charles Brune (ancien président de la gauche démocratique du Conseil de la République) dans les gouvernements Pleven, Faure, Pinay et Mayer, d’août 1951 à juin 1953 ;
-  enfin, dans le gouvernement Laniel de juin 1953 à juin 1954, Léon Martinaud-Déplat, président administratif du parti radical de 1948 à 1955, et ministre de la Justice de mars 1952 à juin 1953.

Trois personnages importants dans le parti radical, et très liés entre eux, surtout les deux derniers. Leur mémoire a souffert d’un long purgatoire, dont seul Henri Queuille vient de sortir grâce à un récent colloque [2]. Celui-ci fut l’un des rares politiciens chevronnés de la IIIe République à prendre pendant la guerre le chemin de Londres et d’Alger [3], où il fut le vice-président du CFLN et du GPRF. Reconstructeur du parti radical, il fut de 1948 à 1951 le champion de la lutte pour le redressement financier et pour la défense de la IVe République, et à ce titre l’auteur de la loi électorale de 1951 que lui reprochèrent communistes et gaullistes. Victime de son apparence modeste [4] et d’une boutade [5], il passa pour le « docteur tant mieux », le président « pas de problème », symbole de l’immobilisme du régime [6].

Plus profonde reste la disgrâce de Léon Martinaud-Déplat et de son « fidèle Achate » [7] Charles Brune. Le premier, surtout, a été dépeint par de nombreux auteurs comme le type du politicien intrigant, « homme de couloir et non de tribune », ayant « une fâcheuse et fatale tendance à mêler la politique et la police » [8], représentant « exactement le contraire de Mendès France : le colonialisme, la défense des intérêts privés, le conservatisme social » [9]. La mémoire du second est restée attachée aux mesures anti-communistes qui culminèrent avec l’arrestation burlesque de Jacques Duclos, le 28 mai 1952. L’un et l’autre manifestèrent dans les conseils des ministres sur la Tunisie la même sévérité pour le terrorisme musulman joints à la même indulgence pour le « contre-terrorisme » européen, qui épouvanta le président de la République Vincent Auriol [10].

L’Algérie relevait du ministre de l’Intérieur, représenté sur place par un gouverneur général, de septembre 1944 à janvier 1956. Cette fonction fut également un « fief » socialiste de septembre 1944 à mars 1951, sous deux titulaires très différents. Yves Chataigneau, universitaire et diplomate, secrétaire général de la présidence du Conseil et président de la commission d’études du Haut comité méditerranéen sous le premier gouvernement de Léon Blum, avait été nommé à Alger par le général Catroux [11]. Dévoué à la réalisation du plan de réformes économiques et sociales élaboré par la commission des réformes musulmanes de 1944 [12] , il fut très vite accusé d’ « arabophilie » et de « marxisme » par la majorité des élus européens, qui réclamèrent son rappel à partir des troubles de mai 1945. Au contraire, Marcel Edmond Naegelen, qui lui succéda en février 1948, fut accueilli par la masse des Français d’Algérie comme le sauveur de l’Algérie française.

Le rappel de Chataigneau fut imposé au président du Conseil Robert Schuman, et à son ministre de l’Intérieur socialiste Jules Moch, par les menaces de démission du ministre des finances René Mayer, député radical de Constantine. La SFIO n’obtint que le droit de choisir le successeur parmi ses ministres, et la promesse qu’il ne serait pas remplacé sans leur avis. Le ministre de l’Éducation nationale Marcel Edmond Naegelen fut nommé, en tant que parlementaire en mission, par périodes semestrielles renouvelables quatre fois [13].

Après avoir vigoureusement rétabli l’autorité française, par des méthodes discutables, il fut rappelé pour des raisons controversées. Le 21 février 1951, il avait obtenu du gouvernement Pleven un dernier renouvellement de sa mission en Algérie, mais après avoir informé son ministre Henri Queuille de son intention de démissionner pour se présenter aux élections législatives. Or, pendant la crise ouverte le 27 février par la chute du gouvernement, le secrétaire d’État socialiste Eugène Thomas lui demanda de lever une sanction qu’il avait prise contre l’administrateur de la commune mixte de Khenchela, Charles Laussel, pour avoir faussé les élections à l’Assemblée algérienne afin de faire élire frauduleusement le bachaga Benchenouf, député apparenté au MRP [14]. Mais le gouvernement que Henri Queuille formait avec la SFIO et le MRP avait besoin de toutes les voix de ce dernier. Le 9 mars, pendant le débat d’investiture, Eugène Thomas exigea l’annulation de la sanction. N’obtenant qu’une menace de démission, il la prit au mot en la faisant annoncer à la presse. Marcel-Edmond Naegelen démentit, s’expliqua devant le groupe parlementaire socialiste et devant le Président de la République [15], faute de trouver Henri Queuille. Soutenu par la fédération des maires d’Algérie, il put sauver la face en négociant avec lui la date de son départ : sa vraie démission, adressée le 16 mais au Président du Conseil, prit effet le 15 avril 1951 [16].

Cet « incident désagréable » embarrassa fort Guy Mollet, à la fois secrétaire général de la SFIO et vice-président du gouvernement Queuille. Consulté par celui-ci conformément aux promesses faites à Jules Moch en février 1948, il ne fit rien pour conserver à son parti le poste de gouverneur général. Approuvé par le groupe parlementaire, il demanda seulement qu’il ne revienne pas à un homme politique [17]. Le 14 mars, le comité directeur l’approuva, mais André Philip déconseilla le choix du préfet de police de Paris, qui serait « considéré comme une intention de répression », précisa Oreste Rosenfeld [18]. Pourtant Henri Queuille avait déjà choisi Roger Léonard, qui fut officiellement désigné le 11 avril 1951.

En effet, Roger Léonard, haut fonctionnaire entré dans la carrière préfectorale en 1925, et au Conseil d’État en 1938, avait noué de nombreuses amitiés au parti radical, depuis son passage au cabinet d’Édouard Daladier. Résistant, nommé grâce à Alexandre Parodi et Michel Debré préfet de Seine-et-Oise en 1944, il remplaça en mai 1947 le socialiste Charles Luizet à la préfecture de police de Paris. S’il servit loyalement les ministres socialistes de l’Intérieur, Édouard Depreux et Jules Moch, il avait les relations les plus amicales avec Henri Queuille [19].

Selon ses Mémoires inédits, il avait en 1950 informé son ministre de sa disponibilité pour un autre poste, en s’en remettant entièrement à lui. Puis en janvier 1951, M.E. Naegelen avait fait part à celui-ci de son désir de démissionner avant les élections législatives. Mais Roger Léonard se vit proposer sa succession le 15 février par un autre de ses amis radicaux, le garde des sceaux René Mayer : le surlendemain Henri Queuille la lui offrit [20]. Le choix préalable d’un successeur facilita sans doute l’éviction précipitée de M.E. Naegelen. Dès le 10 mars, presque tous les journaux désignaient Roger Léonard. Il reçut le même jour un coup de téléphone de René Mayer et une visite de Pierre Commin envoyé par Guy Mollet, pour avoir confirmation de sa candidature, ce qu’il fit [21].

Le rappel de Chataigneau et la succession de Naegelen démontrèrent la puissance d’un « lobby algérien » au sein duquel les élus radicaux jouaient un rôle de premier plan. Celui-ci rassemblait la majorité des élus du premier collège (comprenant les électeurs de statut civil français, et quelques dizaines de milliers de membres des élites musulmanes), et dans le deuxième collège musulman, presque tous les élus « indépendants » [22].

Pourtant, la prépondérance. du parti radical en Algérie n’allait pas de soi. L’Algérie française était réputée républicaine avancée depuis le Second Empire, mais depuis 1924 au moins la gauche y était minoritaire, même en 1936. Il est vrai que, dans la vie politique locale, les personnalités comptaient plus que les idéologies, et que des intérêts privés influençaient les partis et la presse. Après la guerre, le parti radical rompit avec les partis « marxistes » et se rapprocha de la droite dans une commune méfiance envers les majorités des deux assemblées constituantes, leurs projets de Constitution et de statut de l’Algérie. Les députés de l’ « Union algérienne » ou « Union anti-marxiste » exigeaient en 1947 pour la future assemblée algérienne la parité et la pureté des collèges, c’est-à-dire l’abrogation de l’ordonnance du 7 mars 1944, qui avait admis les élites musulmanes dans le premier. Faute d’avoir obtenu satisfaction sur ce point, ils votèrent contre le Statut, sauf René Mayer et le MRP Jacques Augarde [23].

Dans cette coalition, le rôle spécifique du parti radical tenait sans doute à sa place sur l’échiquier politique national. De Ramadier à Pflimlin, les radicaux participèrent à tous les gouvernements de la IVe République (dont ils présidèrent neuf sur dix-huit). En outre, de mai 1947 à juin 1951, la sécession communiste et la pression gaulliste en faisaient l’axe indispensable de la fragile majorité de « troisième force ». Paradoxalement, le glissement à droite entraîné par le demi-succès des gaullistes et le retrait des socialistes après les élections de juin 1951 diminua le rôle propre du parti radical au moment où il monopolisait le ministère de l’Intérieur.

La carrière de Jacques Chevallier illustre cette évolution. Homme de droite - comme son ami Alain de Sérigny - il s’était présenté aux élections législatives de juin et de novembre 1946 sous l’étiquette radicale, par souci d’efficacité [24]. Mais en 1950, il se brouilla avec son colistier radical Auguste Rencurel, qui n’avait pas soutenu sa proposition de mise hors-la-loi du parti communiste, puis avec Henri Queuille, qui avait assigné à résidence en Algérie 78 agitateurs communistes. Indigné, il démissionna du groupe radical, et de l’Assemblée nationale [25], pour y revenir en 1952 comme indépendant.

Deux grands personnages incarnaient la puissance du parti radical en Algérie : Henri Borgeaud à Alger, René Mayer à Constantine. Le premier était le plus fortement enraciné. Grand colon, propriétaire du domaine viticole de la Trappe, il se fit élire conseiller général et sénateur du département d’Alger, où il recueillit l’héritage politique du sénateur radical d’avant-guerre, le minotier Jacques Duroux. Toutefois, il ne put obtenir le contrôle du quotidien l’Écho d’Alger, que son propriétaire Jean Duroux avait confié à la direction de son beau-frère Alain de Sérigny [26] : pour avoir « son » journal, Henri Borgeaud dut acheter la Dépêche quotidienne d’Algérie. Mais il dominait la fédération radicale du département, et surtout exerçait à Paris une influence discrète grâce à ses amis Léon Martinaud-Déplat, Charles Brune (qu’il remplaça à la présidence de la Gauche démocratique) et Antoine Colonna (sénateur des Français de Tunisie).

René Mayer était d’une autre envergure. Grand bourgeois et technocrate, ancien commissaire du CFLN et ministre du GPRF, puis commissaire général aux affaires allemandes et autrichiennes sous Félix Gouin, il était venu tard à la politique. Un échec à la première Constituante en Charente Maritime l’incita à tenter sa chance pour l’élection de la deuxième en juin 1946 dans le département de Constantine, avec l’appui de l’ancien député Joseph Serda, du sénateur Paul Cuttoli, de la Dépêche de Constantine de Léopold Morel, et la bienveillance du secrétaire général du gouvernement général, Pierre René Gazagne [27]. Il représenta ce département jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale en décembre 1955, en défenseur intransigeant des Français d’Algérie. En même temps, il exerça de hautes fonctions gouvernementales : ministre des Finances de Robert Schuman (novembre 1947 - juillet 1948), de la Défense nationale avec André Marie (juillet-août 1948), garde des sceaux sous Bidault (octobre 1949 - juin 1950), Pleven (juillet 1950 - février 1951) et Queuille (mars juillet 1951), vice-président du Conseil chargé des finances et de l’économie dans le deuxième gouvernement Pleven (août 1951 - janvier 1952), enfin, après deux échecs (octobre 1949 et juillet 1951) président du Conseil, poste qu’il occupa trop peu de temps (du 8 janvier au 21 mai 1953) pour donner sa mesure, à la grande déception de Roger Léonard [28].

Si la vie politique en Algérie était animée par les rivalités de nombreux potentats locaux ou régionaux, aucun n’égalait la puissance de ces deux figures de proue du radicalisme, excepté dans la deuxième législature le député indépendant Georges Blachette, riche homme d’affaires et propriétaire du Journal d’Alger.

Ces mœurs politiques ne facilitaient pas la tâche des gouverneurs généraux, qui risquaient d’être sacrifiés au chantage d’un élu influent sur le gouvernement, comme Chataigneau ou Naegelen. À plus forte raison un haut fonctionnaire comme Roger Léonard avait besoin de la protection et de l’amitié d’un « patron » politique, fût-il ou non son supérieur hiérarchique. Assuré des « assentiments nécessaires » à sa nomination par les soins de René Mayer et d’Henri Queuille, il mesura très vite les limites de sa liberté dans le choix de ses collaborateurs. Désirant emmener avec lui son chef de cabinet de la préfecture de police, Francis Raoul, il se heurta à l’exclusive du sénateur Borgeaud et des parlementaires du département d’Alger, qui lui reprochaient ses anciennes relations avec le « progressiste » Emmanuel d’Astier de la Vigerie, et avec les amis de Ferhat Abbas. Il s’inclina sur les conseils de René Mayer et de Henri Queuille. Mais il refusa de se laisser imposer un sous-préfet « algérien », Roger Richardot, lui préférant un jeune conseiller d’État qu’il avait apprécié à la préfecture de Seine-et-Oise, Joseph Gand [29]. Le même conflit se reproduisit en 1953, pour la succession de Bringard, directeur de la Sécurité. Grâce à René Mayer, Roger Léonard put repousser une nouvelle candidature Richardot, présentée avec insistance par Charles Brune, pour obtenir le sous-préfet de Mulhouse qu’il avait connu au cabinet de Henri Queuille, Jean Vaujour [30]. Quant aux préfets des trois départements algériens, ils étaient encore plus vulnérables. En trois ans, trois d’entre eux furent déplacés sous la pressante demande d’un élu [31].

Face aux pressions, Roger Léonard s’est toujours efforcé de préserver, grâce à ses relations confiantes et amicales avec ses « patrons », l’autonomie nécessaire à l’exercice de son autorité de représentant du gouvernement français et de chef de l’administration algérienne. Mais il savait d’emblée que le gouvernement ne lui demandait pas d’innover, et que son action ne pouvait s’insérer qu’à « l’intérieur d’étroites limites », celles du Statut de l’Algérie du 20 septembre 1947, tel qu’il avait été interprété par son prédécesseur [32].

La première de ses missions - celle qui justifiait le choix d’un préfet de police - était le maintien de l’ordre et de la souveraineté française contre les menées séparatistes. Dans ce domaine, Roger Léonard héritait d’une situation apparemment tranquille, après le démantèlement de l’Organisation spéciale (OS) du PPA-MTLD en 1950. Son premier souci fut politique : la formation, après les élections législatives de juin, d’un « Front algérien pour la défense et le respect de la liberté » rassemblant le PPA, l’UDMA, les Oulémas et les communistes, qu’il présenta au président Vincent Auriol comme « le mouvement le plus important qu’on ait jamais vu » : « Ils ont derrière eux la majorité de la population » [33]. Rassuré par sa prompte dislocation, il s’inquiéta davantage de l’explosion du conflit franco-tunisien et de l’effet d’une éventuelle solution politique sur la situation en Algérie. Consulté en mars 1952 par le Quai d’Orsay sur des projets de réforme, il répondit en souhaitant « que les concessions consenties soient strictement limitées à ce qui peut paraître indispensable », et en soulignant que la réforme projetée « marquera en Afrique du Nord un recul de la France qui sera durement ressenti en Algérie » [34]. Inquiet de voir Messali Hadj reprendre ses tournées d’agitation, il étendit le 26 avril 1952 l’interdiction de séjour dans les grandes villes qui le frappait depuis 1946 à tout le département de Constantine ; puis le 14 mai, après les incidents d’Orléansville, à tout le territoire algérien. Expulsion que le ministre Charles Brune assortit d’une assignation à résidence à Niort.

Craignant une reprise des activités clandestines de l’OS après le pacte d’unité d’action nord-africain du 12 février 1952, l’évasion d’Ahmed Ben Bella de la prison de Blida le 15 mars, et la révolution égyptienne de juillet, il s’alarma de l’insuffisance des forces du maintien de l’ordre. En juin 1953, il chargea Jean Vaujour de renforcer la police, inférieure en effectifs (moins de 6.000 hommes) à la police parisienne, presque absente des campagnes, mal dotée en crédits et en matériel, divisée entre plusieurs services rivaux (DST, Service des liaisons nord africaines, Police judiciaire, Renseignements généraux...), exposée par son recrutement « algérien » (mais trop massivement européen) à « des influences politiques locales » [35]. L’augmentation de son budget, et la création d’une école de police à Hussein Dey tentèrent d’en améliorer les moyens et l’esprit de service public. Pour étendre l’implantation de la gendarmerie et de la garde républicaine mobile (3.000 hommes en tout), un plan de construction de dix casernes dans l’intérieur, en commençant par l’Aurès, fut adopté. Quant à « l’armée d’Afrique », affaiblie et désorganisée par les besoins de la guerre d’Indochine, elle ne comptait plus que 40.000 hommes, dont seulement 5.000 utilisables au maintien de l’ordre, faute d’entraînement et de matériel adapté au terrain [36]. Alors que s’aggravait la situation en Tunisie et au Maroc, le comité de défense de l’Afrique du Nord tentait de pallier l’insuffisance des forces des trois pays en combinant leurs opérations contre d’éventuelles infiltrations. Mais jusqu’en juin 1954, l’Algérie semblait rester calme.

Les élections étaient un autre souci pour le gouverneur général, mais à des titres différents suivant les collèges électoraux. Dans le deuxième collège, elles relevaient du maintien de l’ordre et de la souveraineté française ; d’où le recours à des méthodes inusitées en métropole depuis le Second Empire ou Mac Mahon, voire sans précédent. Roger Léonard s’en est expliqué dans ses Mémoires inédits avec plus de franchise que Marcel Edmond Naegelen dans les siens, publiés en 1962 [37]. Comme lui, il pensait que l’administration, pour défendre les masses musulmanes contre les pressions d’un parti fanatique, devait soutenir ses candidats officiels (qualifiés d’ « indépendants »). Mais elle devait aussi « être judicieuse dans ses choix et mesurée dans ses méthodes ». Or le choix de ses candidats [38] résultait des ambitions rivales des familles en place, et des interventions des administrateurs et des élus du premier collège, arbitrées en dernier ressort par les préfets. Arrivé en Algérie un mois avant les élections de juin 1951, quand les jeux étaient déjà faits, Roger Léonard fut surpris par les résultats, qui éliminèrent toute représentation nationaliste de l’Assemblée nationale française : « le succès devait largement passer mes espérances, et j’aurais préféré qu’il fût moins complet. Dans toutes les circonscriptions les listes soutenues par l’administration se virent attribuer la majorité absolue des suffrages exprimés [...]. En vérité ce succès, par son ampleur même, témoignait de son inauthenticité [...] ».

Ne partageant pas l’exultation « à peu près générale dans les milieux européens », il tenta en d’autres occasions de « donner des directives plus précises quant au choix des candidats et à la régularité au moins approximative des scrutins ». Mais les résultats demeurèrent modestes : « Dans les communes de plein exercice, les maires européens tenaient les urnes ; dans les campagnes des apports massifs de bulletin suppléaient à l’abstention des électeurs lointains. Pour obtenir que le mandat d’Ahmed Francis à l’Assemblée algérienne fut renouvelé [...] il me fallut déployer infiniment plus d’efforts que n’en eût demandée l’élection d’un candidat "traditionnel" (sic) ». En fait, conclut-il, « sauf peut-être en Kabylie [...] ce pays n’était absolument pas mûr pour les libres jeux de la démocratie [...]. Il fallait se résigner à ce que le résultat des élections en milieu musulman fût passablement dérisoire » [39].

Dans le premier collège, si les méthodes étaient plus régulières, la véhémence des rivalités personnelles embarrassait l’administration, dont certains candidats étaient assez puissants pour exiger l’appui. A son arrivée, Roger Léonard trouva le département d’Alger déchiré par une lutte héroï-comique entre les clans Borgeaud et Blachette. Jacques Chevallier, transfuge du parti radical et démissionnaire de l’Assemblée nationale, s’était présenté en février 1951 au renouvellement de l’Assemblée algérienne contre le docteur Pierre Fourment, président de la fédération radicale du département d’Alger, avec succès. Henri Borgeaud prit sa revanche en mai, en faisant élire à la présidence de l’Assemblée algérienne son féal Sayah Abdelkader, contre le notaire Abderrahmane Farès, candidat de l’ « intergroupe des libéraux » formé par Jacques Chevallier. Mais aux élections législatives de juin, la liste d’ « Union algérienne » conduite par les députés sortants Aumeran et Auguste Rencurel, fut défaite, grâce à l’intervention du général de Gaulle, par une coalition menée par le « roi de l’alfa » Georges Blachette, nouvel associé politique et professionnel de Jacques Chevallier. Peu après, le député RPF Colonna d’Istria (colistier de Blachette), accusé par Borgeaud d’avoir caché son appartenance à la Franc-maçonnerie, démissionna. Moyennant un marchandage avec Borgeaud, Jacques Chevallier en janvier 1952 se fit élire à sa place, abandonnant son siège de l’Assemblée algérienne au docteur Fourment.L’année suivante, le sénateur s’abstint de soutenir son protégé le maire d’Alger Gazagne, qui abandonna sans combattre sa mairie à Jacques Chevallier [40]. Roger Léonard, pris entre deux feux, avait fait de son mieux pour réconcilier Borgeaud et Blachette. Mais il avait perdu le préfet Maxime Roux, sacrifié à contre-cœur par Charles Brune à la vindicte du second.

À Constantine, la vie politique était plus calme. René Mayer n’y avait pas que des amis en tant que juif métropolitain, mais appuyé sur un solide réseau de partisans, il tenait en respect ses adversaires de droite menés par le sénateur Gratien Faure en se montrant le défenseur intransigeant de l’Algérie française.

À Oran la dispersion des listes fit élire en juin 1951 un député de chaque tendance : un communiste, un socialiste, le radical Jeanmot, ainsi qu’un pétainiste et qu’un gaulliste faisant liste commune.

Le résultat des élections dans les deux collèges conditionnait l’activité législative, que le statut de l’Algérie avait partagée entre l’Assemblée nationale française et l’Assemblée algérienne. En droit, l’Assemblée nationale (assistée par le Conseil de la République) était seule souveraine, mais elle déléguait une partie de ses attributions à l’Assemblée algérienne. Le partage des compétences était délimité par le statut, mais de nombreux cas litigieux se présentaient. En pratique, le gouvernement accordait ou refusait l’homologation des décisions de l’Assemblée algérienne, et ne soumettait à l’Assemblée nationale que ses propositions de refus (soit pour raisons de fond, soit de forme, ce qui entraînait la reprise des dispositions litigieuses par une loi). Le devoir du gouvernement général était de coopérer avec l’Assemblée algérienne, pour prévenir ces conflits de compétence, source de retards nuisibles. Mais ce n’était pas toujours facile, surtout quand l’Assemblée était présidée par son vaniteux « président-fondateur », le maire de Saint-Eugène Raymond Laquière, champion attardé de l’autonomisme « algérien » du début du siècle [41].

Par le statut de l’Algérie, l’Assemblée nationale s’était explicitement déchargée des réformes qu’elle n’avait pas pu réaliser de 1945 à 1947 sur l’Assemblée algérienne. L’incapacité de cette dernière à les faire aboutir la fit accuser de sabotage du Statut par les minorités nationalistes (MTLD et UDMA), communiste et, plus discrètement socialiste [42].

Certaines étaient des réformes administratives d’inspiration assimilationniste. L’article 53 du Statut prévoyait le remplacement des « communes mixtes » par des communes rurales. Le 27 décembre 1950, l’Assemblée fut saisie sur sa demande, d’un projet de loi généralisant les expériences de « centres municipaux » tentées en 1937 et en 1947. Mais le gouvernement et le Parlement négligèrent de lui donner une sanction législative. Pendant ce temps, l’extinction progressive du corps des administrateurs de commune mixte, privé de tout débouché dans la préfectorale, aggravait la sous-administration du « bled » au grand regret de Roger Léonard [43].

L’article 50 prévoyait la suppression du régime spécial des territoires du Sud, et leur rattachement total ou partiel aux départements du Nord. L’Assemblée algérienne, saisie sur sa demande d’un projet de loi, avait adopté des amendements préconisant le rattachement du Nord saharien aux départements voisins, le reste devant former deux « arrondissements sahariens ». Mais, en septembre 1951, le rapporteur du projet à l’Assemblée nationale, le socialiste d’Oran Rabier, n’ayant pas respecté ces amendements, la majorité de l’Assemblée algérienne protesta énergiquement. Puis celle-ci fut unanime à repousser la proposition de constitution du Sahara en un territoire directement rattaché à la métropole, présenté au Parlement par le député Pierre July en mars 1952. Le sort du Sahara ne fut réglé qu’en 1956, au moment même où les recherches pétrolières aboutissaient [44].

D’autres réformes, à caractère culturel, échouèrent à cause de leurs fortes implications politiques. L’organisation de l’enseignement de la langue arabe, proposée par l’UDMA en 1950, buta sur le principe de l’obligation, rejetée par le premier collège, et sur la querelle des anciens et des modernes (arabe classique ou arabe parlé) qui divisa le second. La réalisation de l’indépendance du culte musulman envers l’État, également proposée par l’UDMA en 1950, fit l’objet d’un rapport du délégué Mesbah, ami d’Abderrahmane Farès, en 1952. Mais le gouverneur général, approuvé par le Conseil d’État, s’y opposa par crainte d’institutionnaliser une « église » musulmane qu’aurait pu contrôler l’association des Oulémas, et d’organiser des élections purement musulmanes [45]. Quant au droit de vote des femmes musulmanes, il n’intéressait personne dans les deux collèges, et l’Administration craignait de heurter le conservatisme de l’opinion musulmane.

Mais le rôle essentiel de l’Assemblée algérienne était le vote du budget, préparé par les services du gouvernement général. On a souvent écrit que cette assemblée - comme les Délégations financières qu’elle remplaçait - avait mené une politique étroitement conservatrice, son grand souci étant « d’éviter d’augmenter la fiscalité en recourant à l’emprunt et à l’aide métropolitaine [46] ». C’est oublier que l’Algérie s’était engagée depuis 1944, pour faire face à la croissance explosive de sa population indigène, dans un programme d’investissements économiques et sociaux [47] qui grevaient lourdement son budget extraordinaire (de premier établissement) et ordinaire (de fonctionnement). L’aide du budget métropolitain, jugée indispensable par la commission des réformes en 1944, fut assurée à partir de 1947 dans le cadre du plan Monnet et du plan Marshall, sous la forme d’une participation au fonds de progrès social de l’Algérie et de crédits du fonds de modernisation et d’équipement, mais elle resta chichement mesurée. L’Algérie devait surtout compter sur les excédents de son budget ordinaire pour alimenter son budget extraordinaire ; mais les investissements alourdissant les dépenses de fonctionnement, ces excédents ne pouvaient que diminuer et disparaître [48]. Pour conjurer la crise imminente, Roger Léonard, aidé par le bureau de l’Assemblée algérienne, s’efforça d’alerter les milieux gouvernementaux, politiques, économiques, et la presse. Il n’obtint rien d’Antoine Pinay qui, pour combattre l’inflation, bloqua trois milliards de francs de crédits d’investissements. L’avènement de René Mayer lui fit espérer que « l’Algérie bénéficiera d’un patronnage puissant, dont il est grand besoin pour elle, car notre budget est à bout de souffle ». Mais, faute d’un effort suffisant de la métropole, il dut présenter en février 1953 un budget comprimant toutes les dépenses d’entretien et réduisant les dotations de certains crédits d’équipement. Le ministre de l’Éducation nationale André Marie lui promit de prendre en charge une part importante du traitement des maîtres, mais le ministre des finances Bourgès-Maunoury le désavoua. « Avec une telle incompréhension ou une telle impuissance de la métropole, comment pourrons nous convaincre la population musulmane que la citoyenneté française n’est pas un leurre ? » [49], se demandait Roger Léonard.

Lassé de se heurter à des impossibilités budgétaires, il décida de réclamer un examen approfondi de la situation et des rapports financiers de l’Algérie avec la métropole. Au début de 1954, il en arracha la promesse à sa vieille connaissance d’avant-guerre Léon Martinaud-Déplat, sans pour autant éviter une fronde à l’Assemblée algérienne contre les inévitables majorations fiscales [50].

Ainsi, c’est dans le domaine financier, économique et social que Roger Léonard s’est montré le plus actif, à défaut de pouvoir agir ailleurs. « L’impossibilité où je suis de transformer la situation politique ne peut que me conduire à aborder simultanément le problème algérien sous tous ses aspects » : ainsi analyse-t-il dans ses Mémoires son état d’esprit au début de sa mission, qui n’avait pas fondamentalement changé trois ans après : « Mon inquiétude grandit à voir que dans la métropole on se borne à poser le problème algérien en termes purement politiques, alors qu’ainsi limité il est progressivement insoluble, à moins de consentir à une totale démission » [51]. Mais cette analyse le conduisait à minimiser l’importance des facteurs politiques, pour en faire au mieux de simples conséquences de causes démographiques et économiques, en négligeant leur rôle déterminant. « Il faut que les problèmes de l’Algérie puissent être résolus si l’on ne veut pas que naisse le problème algérien », déclara-t-il le 3 mai 1954 devant le ministre Martinaud-Déplat [52].

Or, cette action « attentive et prudente », qui comportait « une part de dangereux immobilisme », fut soudain dépassée par la marche des événements. La chute de Dien-Bien-Phu et le piétinement de la conférence de Genève entraînèrent le renversement du gouvernement Laniel, remplacé par celui de son vainqueur, Pierre Mendès France. Le nouveau président du Conseil était radical, mais il forma le 18 juin 1954 une équipe de personnalités, en dehors des appareils de partis. Il confia l’Intérieur à François Mitterrand, chef de la tendance de gauche de l’UDSR, connu pour sa politique de dialogue avec les nationalistes en Afrique noire, son plan de réformes tunisiennes dans le gouvernement Edgar Faure de 1952, et sa démission du gouvernement Laniel après la déposition du sultan du Maroc en 1953. L’Algérie était représentée par le secrétaire d’État à la Défense nationale Jacques Chevallier, réputé « libéral » depuis son expérience de coopération avec les élus MTLD à la mairie d’Alger. Roger Léonard se sentit aussitôt en sursis.

En effet, le gouvernement n’avait pas caché, dès son investiture, sa volonté de changer de politique en Afrique du Nord, en « renouant des dialogues malheureusement interrompus » pour prévenir l’extension de la violence aux départements algériens. En Algérie, on lui prêtait l’intention de présenter un programme de réformes spectaculaires pour rallier les Musulmans à la France par une application intégrale du statut [53]. S’il inspira des espoirs aux élus du deuxième collège, dont une délégation fut reçue par le président du Conseil en août, il souleva très tôt l’inquiétude du sénateur Borgeaud et de ses amis, que Léon Martinaud-Déplat exprima dans un débat à l’Assemblée nationale après le discours de Carthage, s’attirant une dure réplique de Pierre Mendès-France. René Mayer, qui avait soutenu le gouvernement avec réserves, prit ses distances après l’échec de la CED.

Roger Léonard, fonctionnaire loyal, sans méconnaître « les dangers croissants de l’immobilisme », ne croyait pas possible de désarmer le nationalisme par de « modestes réformes », et restait « convaincu que n’aborder le problème algérien que par la voie de réformes politiques c’est se condamner à ne pas le résoudre », si l’on entendait « sauvegarder le caractère français de ce pays » [54]. Dans ses premières entrevues avec son nouveau ministre, il réussit à lui transmettre les informations alarmantes que recueillait Jean Vaujour sur les préparatifs insurrectionnels des anciens de l’OS [55] ; il obtint la ferme promesse de constituer une commission d’experts financiers présidée par son ami le conseiller d’État Roland Maspetiol ; mais il sentit que dans le domaine politique son nouveau patron lui accordait une confiance limitée, qui rendrait leur collaboration malaisée.

Après le séisme d’Orléansville, deux visites de François Mitterrand en Algérie lui permirent d’apaiser momentanément les élus du premier collège, tout en préparant avec Jacques Chevallier des précautions militaires contre le danger insurrectionnel imminent [56]. Mais le « coup de tonnerre » du 1er novembre fournit de nouveaux arguments aux opposants : l’apparente surprise des autorités, et l’annonce par le gouvernement de son intention de faire des réformes sans attendre le rétablissement de l’ordre [57]. En outre, François Mitterrand excita ses adversaires par des maladresses : le 5 janvier 1955, annonce du « plan Mitterrand » sans consulter les élus algériens (sans en excepter Jacques Chevallier, qui protesta) ; intervention indiscrète dans une élection partielle à l’Assemblée algérienne contre le candidat du député indépendant Paternot ; enfin, le 25 janvier, remplacement de Roger Léonard. Pierre Mendès-France aggrava involontairement l’effet de cette décision en préférant au préfet de police de Paris André-Louis Dubois (né à Bône), le député gaulliste Jacques Soustelle, « tombeur » de René Mayer en 1953. « Ce choix me rend ma liberté », déclara le député de Constantine, avant de porter l’estocade au gouvernement en lui reprochant de n’avoir pas trouvé de « moyen terme entre l’immobilisme et l’aventure », dans la nuit du 5 au 6 février 1955 [58].

Dès lors, l’unité et l’identité du parti radical sombrèrent dans une crise irrémédiable, bien que le radical Edgar Faure eût tenté, non sans succès, de continuer la politique de Mendès-France en s’appuyant sur ses partisans et sur ses adversaires [59]. Celui-ci réussit en mai 1955, grâce à un afflux de jeunes militants plus mendésistes que radicaux, à reconquérir au Congrès de Wagram la direction du parti, en chassant Léon Martinaud-Déplat de sa présidence administrative. Puis en décembre 1955, après la dissolution de l’Assemblée nationale, il exclut Edgar Faure et ses amis, qui se retranchèrent à la présidence du RGR. Mais la demi-victoire du Front républicain aux élections législatives du 2 janvier 1956 profita au secrétaire général de la SFIO Guy Mollet, qui créa le poste du ministre résidant en Algérie, occupé par son camarade Robert Lacoste entre le 6 février 1956 et le 13 mai 1958.

Ainsi, on ne pourrait parler d’une gestion radicale de l’Algérie qu’entre avril 1951 et juin 1954. Gestion à court terme, et non politique de grande ampleur. Radicale, par le rôle qu’y jouèrent des personnages très bien placés dans l’appareil du parti, grâce aux phénomènes du « lobby » et du « patronage » politique. Mais d’un radicalisme qui avait perdu tout son sens originel, et n’avait plus rien de spécifiquement radical. On peut penser que la politique de Pierre Mendès-France et de François Mitterrand échappait à ce reproche. En tout cas, Roger Léonard a su apprécier justement son dernier ministre : « Si je suis peu convaincu que le succès couronne ses entreprises, du moins est-ce assurément un mérite que d’avoir voulu aborder courageusement un problème que ses prédécesseurs n’avaient songé qu’à éluder » [60].

Guy Pervillé

[1] Adrien Tixier sous de Gaulle ; André Le Troquer sous Félix Gouin ; Édouard Depreux de juin 1946 à novembre 1947 ; Jules Moch de novembre 1947 à février 1950.

[2] Henri Queuille et la République, Paris, Palais du Luxembourg, octobre 1984.

[3] Henri Queuille a tenu son Journal à Londres et à Alger. Selon M. Éric de Ficquelmont, qui l’a étudié, il était favorable à la proposition d’accorder une forme de citoyenneté française à tous les Musulmans d’Algérie, présentée par le général Catroux au nom de la commission des réformes musulmanes.

[4] Le président de la République s’y trompa, voyant d’abord en lui un personnage falot, mais il reconnut son erreur. Cf. le Journal du septennat, 1948.

[5] « La politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais celui d’empêcher qu’on les pose ».

[6] Jacques Fauvet, La IVe République, Fayard, 1959 (pp. 190-191 de l’édition en Livre de poche, 1971).

[7] Charles André Julien, Et la Tunisie devint indépendante, Éditions JA 1985, p. 42.

[8] Fauvet, op. cit., p. 240.

[9] Édouard Depreux, Souvenirs d’un militant, Fayard 1972, p. 405.

[10] Auriol, op. cit., 1952, 767-769, 784-786, 826 et Charles André Julien, op. cit.

[11] Celui-ci avait cumulé les postes de gouverneur général de l’Algérie et de commissaire d’État chargé des affaires musulmanes dans le CFLN et le GPRF de juin 1943 à août 1944. Il resta ministre de l’Afrique du Nord dans le GPRF de septembre 1944 à janvier 1945.

[12] Cf. G. Pervillé, « La commission des réformes musulmanes de 1944 et l’élaboration d’une nouvelle politique algérienne de la France », Colloque de l’IHTP Les prodromes de la décolonisation de l’Empire français, Paris, octobre 1984.

[13] Marcel-Edmond Naegelen, Mission en Algérie, Flammarion 1962, pp. 11-28.

[14] Naegelen, op. cit., pp. 185-192. Au contraire, les Mémoires de Roger Léonard et de Jean Vaujour affirment que Charles Laussel avait refusé d’intervenir contre l’élection de Benchenouf. Ce dernier avait fait en octobre 1950 avec Jacques Chevallier une démarche auprès de M.E. Naegelen pour demander un changement de politique (notamment de méthodes électorales), rappelée dans leur lettre du 14 septembre 1951 à Roger Léonard. Cf. J. Chevallier, Nous, Algériens, Calmann-Lévy, 1958, pp. 37-45.

[15] Auriol, op. cit., 1951,p. 148-150.

[16] Naegelen, op. cit., pp. 192-205.

[17] Contrairement à Naegelen, qui maintenait le projet socialiste de confier l’Algérie à un ministre résidant.

[18] Procès-verbaux des séances du Comité directeur, conservés à l’OURS. Cf. G. Pervillé, « La SFIO, Guy Mollet et l’Algérie de 1945 à 1955 », Colloque Guy Mollet, trente ans de vie politique, Lille, octobre 1986.

[19] Mémoires inédits de Roger Léonard, déposés à la FNSP, t.1, p. 3 : « Je trouvais auprès de M. Queuille le soutien le plus constant et le plus amical : je goûtais infiniment sa finesse d’esprit, son goût de la mesure et une continuité dans les desseins qui le dispensait des éclats ».

[20] Léonard, op. cit., p. 5.

[21] Léonard, op. cit., p. 8.

[22] Non de l’Administration, mais des partis de Messali-Hadj (le PPA-MTLD) et de Ferhat Abbas (l’UDMA), ou du PCA.

[23] Charles-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, 3e édition, Julliard 1972, p. 277. Charles Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II, 1871-1954, PUF 1979, pp. 362-378.

[24] Alain de Sérigny, Échos d’Alger, t. 2,1946-1962, Presses de la Cité, 1974, p. 33.

[25] de Sérigny, op. cit., pp. 117-119.

[26] de Sérigny, op. cit., pp. 28 et 57-58.

[27] de Sérigny, op. cit., pp. 27-30.

[28] Léonard, op. cit., t. II, p. 96.

[29] Léonard, op. cit., t. I, p. 9-10.

[30] Léonard, op. cit., t. II, p. 90. Cf. Jean Vaujour, De la révolte à la Révolution, Albin Michel 1985, pp. 26-28, qui raconte l’entrevue dans laquelle Henri Borgeaud lui opposa son veto, parce que la sécurité de l’Algérie devait être l’affaire d’un « Algérien ».

[31] À Alger, Maxime Roux, sous la pression de Blachette, à Oran, Yves Pérony, à la demande du député-maire Fouques-Duparc, à Constantine, Bernard Lecornu, à celle de René Mayer.

[32] Léonard, op. cit., t. I. p. 11 et 75.

[33] Auriol, op. cit., 1951, p. 434. Cf. La lettre de Hachemi Benchenouf et Jacques Chevallier à Roger Léonard du 14 septembre 1951, Chevallier, op. cit., pp. 37-45.

[34] Lettre n° 1491/SP au ministre de l’Intérieur, citée dans le Journal du septennat, mars 1952, note 158, p. 995 (Cf. Les débats sur la Tunisie).

[35] Léonard, op. cit., t. II, pp. 90-92. Cf. Vaujour, op. cit., pp. 58-71.

[36] Léonard, op. cit., t. II, p. 95-97, et Vaujour op. cit., pp. 56-58.

[37] Naegelen, op. cit., p. 63-70. Cf. Léonard, op. cit., t. I, p. 39.

[38] Léonard, op. cit., t. I, pp. 40-44, les passe en revue sans complaisance.

[39] Léonard, op. cit., t.1, pp. 45-46.

[40] Le meilleur témoignage est celui d’Alain de Sérigny, op. cit., pp. 124-129.

[41] Cf. de Sérigny, op. cit., p. 108-109, Léonard, op. cit., t. I, pp. 28-30 ; Vaujour, op. cit., pp. 68-71 et pp. 293-309.

[42] Cf. Taieb Chenntouf, « L’Assemblée algérienne et l’application des réformes prévues par le statut du 20 septembre 1947 », Colloque Les prodromes de la décolonisation de l’Empire français.

[43] Léonard, op. cit., t. II, p. 27-28.

[44] Roger Léonard, (op. cit., t. I, pp. 124-125) s’y intéressait plus qu’au projet de zone industrielle dans les confins algéro-marocains, imaginé par Eirik Labonne et Louis Armand.

[45] Chenntouf, op. cit.. Cf. Léonard, op. cit., t. I, pp. 147-150 et Auriol, op. cit., 1951, pp. 433-434.

[46] Robert Aron, Les origines de la guerre d Algérie, Fayard, 1962, p. 287 (résumant Ivo Rens, L’Assemblée algérienne, thèse de droit, Cahors, 1957).

[47] Dans sa déclaration d’investiture le 9 mars 1951, Henri Queuille rappelait le devoir de « poursuivre l’effort entrepris pour réaliser de nouveaux progrès dans l’équipement économique de nos territoires » notamment « d’Afrique du Nord, dont je ne puis oublier qu’elle fut le haut lieu d’où l’assaut a été donné pour la libération de la patrie et où nos frères musulmans travaillent avec nous à la grandeur française ».

[48] Léonard, op. cit., t. I, pp. 143-146.

[49] Léonard, op. cit., t. II, pp. 72-77.

[50] Léonard, op. cit., t. II, pp. 98-99, 107-109 ; t. III, pp. 9-15. Cf. Abderrahmane Farès (président de l’Assemblée algérienne de mai 1953 à mai 1954), La cruelle vérité, Plon 1982, pp. 47-52.

[51] Léonard. op. cit., t. I, p. 75 et t. III, p. 50.

[52] Léonard, op. cit., t. III, pp. 27-28. Cf. Rachid Bencheneb, « L’Algérie à la veille du soulèvement de 1954 », Colloque Les prodromes de la décolonisation.

[53] Charles Robert Ageron, « Le gouvernement Pierre Mendès et l’insurrection algérienne », Actes du colloque de l’IHTP, Pierre Mendès-France et le mendésisme..., Fayard 1985 ; cf. Farès, op. cit., p. 55-56.

[54] Léonard, op. cit., t. III, pp. 33-37.

[55] Vaujour, op. cit., pp. 99-130.

[56] Vaujour, op. cit., pp. 133-186.

[57] Voir les débats à l’Assemblée nationale, au Conseil de la République et à l’Assemblée algérienne dans Vaujour, op. cit., pp. 247-309.

[58] Ageron, op. cit.. Cf. de Sérigny, op. cit., pp. 178-184 et Léonard, op. cit., t. III, pp. 109-123.

[59] Il maintint Jacques Soustelle à Alger, mais nomma à l’Intérieur Maurice Bourgès-Maunoury, protégé de René Mayer et ancien ministre démissionnaire de Pierre Mendès-France. Cf. Edgar Faure, Mémoires, t. II, p. 72.

[60] Léonard, op. cit., t. III, p. 122.



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