Frédéric Médard, Technique et logistique en guerre d’Algérie, l’armée française et son soutien (2003)

samedi 3 mai 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Frédéric Médard, Technique et logistique en guerre d’Algérie, L’armée française et son soutien, 1954-1962 (préface du professeur Jean-Charles Jauffret, Editions Charles Lavauzelle, Limoges et Paris, 2002, 240 p., cahier de photographies) a été publié dans la revue Historiens et géographes,n° 382, mars 2003, p. 564.

Ce livre est la partie centrale d’une thèse de doctorat en histoire, intitulée La présence militaire française en Algérie, aspects techniques, logistiques et scientifiques, entre archaïsme et modernité, 1953-1967, soutenue à Montpellier le 20 mars 1999, et qui a obtenu le prix de la meilleure thèse d’histoire militaire décerné par le Centre d’étude et d’histoire de la défense en 2001. Ayant eu l’honneur de présider le jury de soutenance de cette thèse remarquable, je me réjouis de la voir publier en partie, et j’espère que d’autres publications suivront bientôt. En effet, ce livre renouvelle en profondeur notre connaissance de la guerre d’Algérie, sans la raconter, par une approche résolument concrète. A partir de sources abondantes et variées, indiquées en bas de page et à la fin de l’ouvrage, l’auteur examine méthodiquement tous les aspects de l’organisation militaire et logistique de l’armée française (les équipements et tenues, les armes d’infanterie, les matériels de transmissions, la chaîne train- transports, les véhicules, chemins de fer, téléphériques ou animaux de bât...), et de la vie quotidienne des soldats ( construction, défense et ravitaillement des postes, alimentation et soins médicaux, soutien du moral par la presse, la radio, le courrier, les aumôneries, les distractions, les permissions).

L’introduction et la conclusion situent cette approche concrète et détaillée dans la perspective d’une problématique plus large, celle de la modernisation des forces armées françaises et de son prix, qui imposait des choix : « La France doit choisir entre la poursuite des opérations en Algérie, incompatible avec le coût des investissements à consentir pour l’acquisition de matériels nouveaux, et la cessation de ces opérations pour une modernisation de son armée devenue indispensable en raison de l’érosion d’un parc malmené par des campagnes continues ». En effet, comme l’auteur l’a démontré dans sa thèse, la guerre d’Algérie fut le dernier exemple d’un conflit caractérisé par l’engagement de gros effectifs sur un théâtre d’opérations extérieur à la métropole. Du point de vue de la technique militaire, le conflit algérien était un prolongement du conflit indochinois : comme celui-ci, il a « gelé » la réalisation des programmes de modernisation conçus dans le cadre de l’OTAN. L’armée d’Algérie a dû s’adapter à une forme de guerre très différente d’une guerre en Europe ; mais les unités d’élite l’ont fait avec beaucoup plus d’efficacité que les « gros bataillons » du quadrillage parce que les premières ont bénéficié d’un meilleur encadrement et d’une meilleure dotation en armements et matériels modernes. Seule la fin de la guerre en Algérie a permis la réorganisation et la modernisation générale de l’armée française, à l’issue d’une lutte acharnée entre deux écoles : celle qui faisait un impératif absolu de la victoire à remporter dans une guerre révolutionnaire perçue comme la suite de celle d’Indochine, et celle qui voyait dans le conflit algérien un obstacle à la modernisation de l’armée française, nécessaire pour la rendre capable d’assumer ses missions prioritaires de guerre ou de dissuasion en Europe.

Frédéric Médard démontre ainsi qu’il pouvait y avoir des raisons proprement militaires de vouloir mettre fin au plus vite à la guerre d’Algérie, comme le pensait le général de Gaulle, ainsi que le général Ailleret (responsable de la mise au point de l’arme atomique au Sahara, avant de prendre le commandement de l’Est Constantinois, puis du corps d’armée de Constantine, et enfin de toute l’armée d’Algérie en 1961-1962) . Signalons à ce propos que la troisième partie de sa thèse étudie à fond l’expérimentation des armes nouvelles (fusées, bombes atomiques, et armes chimiques) au Sahara, sans omettre le problème controversés de la sécurité des militaires et des populations civiles. Il faut souhaiter que cette partie soit elle aussi prochainement publiée.

Guy Pervillé



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