Le rôle des opinions publiques dans la guerre d’Algérie (2004)

vendredi 16 janvier 2009.
 
Cet article a été rédigé avant le 15 janvier 2004, pour des Mélanges en l’honneur du professeur à la Sorbonne Jean-Claude Allain dont l’initiative avait été prise par mon collègue Jean-Marc Delaunay. Retardé par divers contretemps, ce projet n’a malheureusement pas vu le jour avant le décès de son destinataire, en décembre dernier. Il vient de sortir des Presses de la Sorbonne nouvelle et a été présenté hier à l’Université de Paris III, le 15 janvier 2009. Mon texte a été publié sans les notes et sans la partie concernant l’opinion publique française pour des raisons de place, mais une note initiale renvoie au texte complet que voici.

La guerre d’Algérie a été, comme l’a remarqué Charles-Robert Ageron [1], une guerre politique beaucoup plus que militaire : son issue ne s’est pas décidée sur un champ de bataille, mais elle a dépendu davantage de facteurs psychologiques et moraux. Si le général de Gaulle a pris la décision de mettre fin à la guerre par un accord avec le FLN, cette décision ne lui a pas été imposée par une défaite militaire, mais elle lui a été inspirée par la perception qu’il avait des opinions publiques en Algérie, en France et dans le monde, qui l’avait convaincu de la vanité d’une victoire sur le terrain [2]. C’est pourquoi nous pouvons nous demander laquelle de ces opinions publiques a pesé le plus lourd sur sa décision. Mais pour répondre à cette question, il faudrait pouvoir évaluer et mesurer chacune d’entre elles. Étant donné qu’aucune des diverses pressions extérieures n’a été irrésistible, nous pouvons simplifier le problème en le réduisant à la question suivante : l’issue de la guerre d’Algérie s’est-elle jouée en Algérie, ou bien en France ?

Les militaires français sur le terrain ont longtemps voulu croire que la population de l’Algérie était à la fois l’enjeu et l’arbitre du conflit : « C’est la population - arbitre de la lutte entre la France et le FLN - qui désignera le vainqueur et qui fixera le destin de l’Algérie » [3]. Cette conviction les avait conduit à vouloir engager le plus possible de ses membres à leurs côtés, militairement et politiquement. C’est pourquoi ils avaient fait du référendum du 28 septembre 1958 une bataille politique, visant à faire désavouer le FLN et son soi-disant GPRA par la grande majorité des Algériens. Mais la volonté d’intégration dans la France que ceux-ci avaient apparemment exprimée ce jour-là n’a pas été retenue comme définitive. Moins d’un an plus tard, le 16 septembre 1959, le général de Gaulle leur a promis qu’ils choisiraient eux-mêmes leur destin définitif par rapport à la France quatre ans au plus tard après le retour au calme. Pourtant, la guerre s’est terminée en 1962 par les accords d’Évian négociés entre le gouvernement français et le GPRA, et les Algériens n’ont eu qu’à les ratifier après qu’il l’eurent été d’abord par les Français de la métropole. Dans ces conditions, peut-on dire que les Algériens ont eux-mêmes décidé de leur sort, ou au contraire que leur autodétermination avait été prédéterminée ?

L’opinion publique des Français, en France et en Algérie.

Il est beaucoup plus facile d’apprécier le rôle de l’opinion publique métropolitaine dans le revirement de la politique algérienne de la France, parce qu’elle est beaucoup mieux connue que l’opinion publique algérienne. En effet, nous avons la chance de connaître son évolution avec une précision suffisante grâce aux nombreux sondages [4] réalisés et publiés par l’Institut français d’opinion publique (l’IFOP) depuis la fin de 1955. Si un sondage antérieur, effectué en 1947, avait montré que l’Algérie apparaissait alors comme la plus belle réussite de la colonisation française (par opposition à l’Indochine), tous ceux réalisés régulièrement à partir d’octobre 1955 révélaient une évolution vers un pessimisme croissant [5].

Le vœu de voir l’Algérie conserver le statut de départements français avait culminé en février 1956, avec 49% des personnes interrogées, puis il a rapidement décliné : 40% en avril 1956, 34% en mars 1957, et légèrement remonté à 36% en juillet et septembre 1957. Mais, à cette dernière date, l’intégration pure et simple de l’Algérie à la France (impliquant un effort considérable pour égaliser les niveaux de vie) n’était souhaitée que par 17% des consultés. La formule des « liens moins étroits » (correspondant à la recherche d’un moyen terme entre l’intégration et l’indépendance par le gouvernement de Guy Mollet et par ses successeurs) profitait logiquement du déclin de l’Algérie française : 25% en février 1956, 33% en avril 1956, 35% en mars 1957, 40% en septembre 1957.

Les mesures militaires du printemps 1956, désapprouvées par près d’un Français sur deux [6], provoquèrent une grave et précoce crise de pessimisme. Invités à choisir entre deux solutions extrêmes, le rétablissement de l’ordre par la force, et la négociation avec les « rebelles » en vue d’accorder l’indépendance, les Français s’étaient partagés par moitié (39% pour chacune) en avril 1956, mais en juillet 1956, la deuxième solution attirait 45% contre 23% à la première. Toutefois, un an plus tard, l’indépendance totale était souhaitée par 18% en juillet 1957, et par 23% en septembre 1957 ; à cette date, elle était considérée comme justifiée par 34%, mais non justifiée par 47%. Cependant, la reprise des pourparlers avec le FLN en vue d’un cessez-le-feu était souhaitée par 53% en juillet 1957, 45% en septembre 1957, et 56% en janvier 1958.

Nous constatons ainsi l’erreur fondamentale commise par les partisans de l’Algérie française, qui étaient persuadés que les Français de France restaient fermement attachés à celle-ci. Selon le témoignage de Raymond Aron, les contacts qu’il avait eus après la publication de sa brochure La tragédie algérienne en 1957 lui avaient fait mesurer « le décalage entre les convictions des hommes qui gouvernaient la France et les propos publics qu’ils tenaient par souci de “l’opinion” dont ils se croyaient prisonniers » [7]. Guy Mollet et Robert Lacoste se disaient certains que le peuple français n’accepterait jamais la perte de l’Algérie. Leurs opposants de gauche les accusaient d’avoir eux-mêmes créé cet état de l’opinion en l’intoxiquant par une propagande chauvine, anti-arabe et anti-communiste. Au vu des sondages, il ne reste rien du mythe du « national-molletisme » (seulement explicable par le soutien d’une majorité relative des Français à l’expédition de Suez contre l’Égypte, protectrice du FLN). Soudainement confrontés à un problème d’une gravité insoupçonnée, ceux-ci ont rapidement cessé de croire à l’Algérie française et désiré le retour de la paix, mais sans accepter encore l’indépendance de l’Algérie. La politique hésitante et ambiguë des derniers gouvernements de la IVe République reflétait donc fidèlement l’état de l’opinion publique métropolitaine, divisée et troublée.

Le coup de force civil et militaire du 13 mai 1958 à Alger et le retour au pouvoir du général de Gaulle n’ont pas provoqué le sursaut désiré par leurs initiateurs. D’après les sondages effectués en juillet et août 1958, 55% des Français de métropole estiment alors que l’armée a joué un rôle utile, 51% admettent que l’intégration est une bonne chose, mais 40% seulement la croient possible, alors que 41% (contre 36%) croient l’indépendance inévitable. En croisant les réponses à plusieurs questions, on constate que seulement 20% des sondés sont pour l’intégration et contre l’indépendance, 12% sont pour l’intégration et pour une indépendance à terme, et 24% pour l’indépendance pure et simple. Ainsi, la propagande des militaires et du ministre de l’information Jacques Soustelle a manifestement échoué. Le seul fait nouveau est que 68% des métropolitains font confiance au gouvernement de Gaulle pour faire la paix en Algérie (mais seulement 51% en septembre, après l’offensive de la Fédération de France du FLN). Ainsi, c’est bien à tort que les partisans du coup de force militaire du 13 mai 1958 ont cru voir dans le triomphe du “oui” à la Constitution de la Ve République en métropole, lors du référendum du 28 septembre 1958, un rejet massif de la IVe pour son incapacité à garantir le salut de l’Algérie française : au contraire, elle a été sanctionnée pour son incapacité à trouver une issue à la guerre.

La même évolution de l’opinion publique métropolitaine s’accentue et s’accélère sous la Ve République, et elle devance clairement les grandes décisions du général de Gaulle. Dès le début de 1959, la majorité absolue souhaite des négociations avec le FLN : 71% sont pour des pourparlers en vue d’un cessez-le-feu en mai 1959, et 52% pour des négociations politiques avec le GPRA en février 1959 ; à cette date, 51% jugent l’indépendance inévitable. Le discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination est donc aussitôt approuvé par 54% des Parisiens interrogés (contre 19%) ; de même en décembre 1959, l’idée de négocier avec le GPRA sur les conditions et garanties de l’autodétermination l’est par 57% des métropolitains (contre 18%).

La fermeté et la netteté des prises de position du général de Gaulle ont néanmoins eu un impact mesurable. Pendant la semaine des barricades, son refus de céder aux exigences des émeutiers d’Alger lui vaut le soutien de 68% des Parisiens interrogés les 26 et 27 janvier 1960. Parmi les options proposées à l’autodétermination, l’autonomie dans la Communauté obtient 35% en octobre 1959, 48% en février 1960, mais 64% en mars (contre 10%), quand le président de la République a fait connaître sa préférence. Après le discours du 4 novembre 1960 sur la République algérienne, « laquelle n’a jamais existé, mais existera un jour », 69% des Français lui font confiance pour ramener la paix. Le référendum du 8 janvier 1961, destiné à légaliser la politique d’autodétermination et sa prédétermination par la création d’un exécutif provisoire algérien, dépasse les prévisions des instituts de sondages : 75% des suffrages exprimés en métropole pour le “oui” (ou 55,9% des inscrits). La plupart des “non” (ceux de l’extrême gauche) étant également favorables à l’indépendance, la décision de privilégier la négociation avec la direction extérieure du FLN ne peut qu’obtenir une approbation encore plus large. Au début d’avril 1961, 78% des métropolitains sont favorables à la négociation, et 57% acceptent l’indépendance ; cet aboutissement est accepté par 69% en mai 1961 (à l’ouverture de la première conférence d’Evian), et par 58% en août (après les échecs d’Evian et de Lugrin). À la fin mars 1962, 82% approuvent les accords d’Évian, ce que confirme le référendum du 8 avril (90% des suffrages exprimés, ou 64,8% des inscrits).

Ainsi, la plus grande force du général de Gaulle (qui, vraisemblablement, connaissait les sondages et en tenait compte avant de prendre ses décisions) a été d’incarner la volonté populaire de la métropole. Ses adversaires auraient pu le savoir par le même moyen, sans attendre le référendum du 8 janvier 1961 qui a fait la preuve irréfutable de leur isolement, et en tirer les leçons. Ils ont également eu tort de penser que si l’homme du 18 juin rappelé par le 13 mai d’Alger avait voulu faire le choix de l’intégration, il aurait pu le faire accepter par les Français, ou le leur imposer. Le contre-exemple du Portugal suggère qu’un Salazar français n’aurait fait que différer l’échéance. De Gaulle n’a pas voulu jouer ce rôle, parce qu’il ne croyait pas lui-même que cette politique fût encore possible et souhaitable pour la France.

Mais l’opinion des masses n’est pas nécessairement celle des élites. Si la première s’est orientée précocement et continument vers la recherche de la paix à tout prix, la seconde a été beaucoup plus profondément et durablement divisée. La ventilation des réponses suivant les catégories socio-professionnelles et culturelles montre que les plus favorisées étaient aussi les plus partagées. Durant l’été 1958, « si les cadres et les membres des professions libérales sont les plus nombreux à dire que l’intégration est une bonne chose (59%, contre 52% de la moyenne nationale), ils le sont aussi pour dire la chose impossible (36% contre 26% de la moyenne nationale) » [8]. Début 1959, 42% des Français jugent que l’armée dépasse le cadre de ses fonctions normales, comme 65% de ceux qui ont reçu une formation supérieure. Mais en décembre 1959, les 5% de Français qui se disent « très défavorables » à des négociations avec le FLN sur l’autodétermination se recrutent parmi ceux qui ont accompli des études supérieures et appartiennent à des milieux aisés. Les colloques et le Comité de Vincennes s’opposent aux colloques de Royaumont, Aix-en-Provence et Grenoble de juin 1960 à novembre 1961. Les intellectuels d’extrême gauche, de gauche, et de droite, s’opposent en une guerre de manifestes durant l’automne de 1960 [9]. Tant pis pour le mythe d’un « parti intellectuel » unique. Et tant pis pour le postulat suivant lequel les élites sont nécessairement les leaders de l’opinion publique [10] : il semble que la masse des Français se soient déterminés spontanément en fonction de leur souci direct, celui de voir leurs fils ne plus risquer leur vie en Algérie. Les débats sur le coût moral et sur le coût économique ou financier de la guerre paraissent n’avoir touché que des minorités dont l’influence a été surestimée.

Ces sondages ne nous renseignent pas sur l’opinion des Français d’Algérie, qui n’ont presque pas été consultés par les sondeurs durant toute la guerre. Mais tous les observateurs sont d’accord pour dire qu’ils se sont rassemblés dans un consensus très largement majoritaire en faveur de l’Algérie française, dépassant les anciens clivages politiques entre droites et gauches. Seul ce slogan, exprimant leur souci de ne pas être obligés de choisir entre leur nationalité française et leur patrie algérienne, a pu mobiliser les foules de 1956 à 1962 dans les rues des grandes villes d’Algérie à forte population européenne, telles qu’Alger ou Oran. Ceux qu’on appelait des « libéraux », qui comprenaient les raisons de la revendication de l’indépendance et acceptaient d’en tenter l’expérience, n’étaient que des personnalités isolées telles que le maire d’Alger Jacques Chevallier ou l’archevêque Monseigneur Duval. Encore plus rares et isolés étaient ceux qui avaient pris le risque de s’allier au FLN, comme le Parti communiste algérien (clandestin depuis son interdiction le 12 septembre 1955), ou de militer et de combattre dans ses rangs, en croyant ainsi favoriser l’avènement d’une Algérie multi-ethnique où les non-musulmans auraient mérité leur place de citoyens à part entière. Le recours croissant du FLN-ALN à un terrorisme visant systématiquement ces derniers a rapidement discrédité ceux d’entre eux qui avaient fait cet audacieux pari. Même les juifs algériens, en dépit de leur proximité culturelle avec leurs voisins musulmans, et des souvenirs douloureux de leur exclusion de la Cité française par le maréchal Pétain et le général Giraud de 1940 à 1943, n’ont pas voulu, dans leur très grande majorité, troquer leur nationalité française restituée contre la nationalité algérienne.

Quelques indications plus précises peuvent être tirées des résultats du référendum du 8 janvier 1961. En Algérie, où le FLN avait encore une fois ordonné l’abstention (42% des inscrits), le “oui” prôné par les autorités civiles et militaires devançait avec 39% des inscrits le “non” qui en obtenait 18% (pourcentage voisin de celui des Européens dans le corps électoral). Toutefois ce “non”, exprimant la volonté de rester français dans une Algérie française, rassemblait la majorité absolue des suffrages exprimés dans les régions où la population européenne était la plus concentrée : 57% dans le département d’Oran (mais 86% dans l’arrondissement d’Oran, et 80% dans celui de Sidi-Bel-Abbès), 60% dans le département d’Alger, 77% dans l’arrondissement de Bône et 57% dans celui de Philippeville [11]. Ainsi, la masse des Français d’Algérie a voté pour l’Algérie française, aussi nettement que celle des métropolitains a opté pour la fin de la guerre. Toutes proportions gardées, les « libéraux » qui acceptaient de vivre dans une Algérie algérienne étaient aussi minoritaires dans leur société que les partisans de l’Algérie française en métropole. Les deux opinions publiques étaient aux antipodes l’une de l’autre, mais leurs tendances dominantes pouvaient s’expliquer par le même mécanisme : des deux côtés de la Méditerranée, les masses françaises penchaient spontanément dans le sens de leur intérêt immédiatement perceptible ; seules les couches sociales les plus instruites et les mieux informées se partageaient entre des options opposées.

Le seul sondage d’opinion - à notre connaissance - qui ait été tenté auprès des Français d’Algérie fut réalisé à Alger en novembre 1961 par la sociologue Suzanne Frère, à la demande du délégué général Jean Morin. Ce sondage confirme ce que chacun savait sur la très grande popularité de l’OAS, alors à son apogée [12], dans les quartiers européens. Maurice Faivre le résume ainsi : « Sur 600 sondés en effet, un seul s’est déclaré favorable à l’indépendance de l’Algérie, il s’agit du vicaire d’une paroisse d’Alger, de 53 ans, qui a toujours été proche des nationalistes algériens [13]. À Bab-el-Oued, 90% des personnes, attachées à un « patriotisme romantique », ont refusé de répondre. L’indépendance est pour eux « une porte ouverte sur le malheur », et sur le chômage. « Plutôt mourir pour quelque chose », dit l’un d’eux. Dans les professions libérales, 15% seulement refusent de répondre au questionnaire. L’opinion n’en est pas moins persuadée « qu’il n’y aura pas d’Algérie indépendante ». Ils sont convaincus que l’armée participe à l’OAS. Opposés à la partition, ils expriment leur haine des hauts fonctionnaires de la Délégation générale, supérieure à celle du FLN. La plupart des réponses sont un « plaidoyer pour l’Algérie française et un acte de foi envers l’OAS. L’OAS, écrit Suzanne Frère, est une autodéfense dont le prestige et l’autorité sont incontestables (...) la réalité clandestine existait, l’OAS n’a fait que canaliser cette force, l’entretenir et la renforcer. Condamnation d’une politique, protestation contre tout ce qui pourrait attenter à l’Algérie française, foi dans l’OAS pour sauver l’Algérie, conclut-elle, constituent le crédo des Européens, crédo dont le ton éclate comme une provocation. J’ai confiance en l’OAS, dit un ouvrier, je suis un plastiqueur le soir après mon travail, et je continuerai tant qu’il y aura du plastic » [14].

Cette foi dans l’OAS, qui prétendait mobiliser sur place les Français d’Algérie jusqu’à la victoire ou à la mort, ne s’est pas maintenue jusqu’au bout. Dès la fin d’avril 1962, la multiplication des enlèvements par le FLN a déclenché un mouvement de panique irrésistible et un exode massif vers la métropole. Mais des événements tels que le ratissage de Bab-el-Oued, suivi par la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars, le massacre d’Oran le 5 juillet, ainsi que le manque de chaleur de l’accueil des « rapatriés » en France, n’ont pas rapproché les « Pieds-noirs » de leurs compatriotes métropolitains.

L’opinion publique des Algériens musulmans.

L’opinion publique des Algériens musulmans est beaucoup plus difficile à évaluer, et impossible à mesurer précisément. En effet, les historiens se trouvent confrontés à deux thèses de propagande globalement contradictoires et incompatibles. Celle des nationalistes algériens, officialisée par l’indépendance de l’Algérie, affirme que le soulèvement organisé par le FLN au nom du peuple algérien exprimait la volonté générale de ce peuple, et qu’il a triomphé grâce à son soutien quasi-unanime [15] (à l’exception d’une poignée de traîtres). Au contraire, celle des autorités politiques et militaires françaises, officiellement désavouée depuis 1962, a longtemps considéré la « rébellion » comme une « subversion » manipulée par des puissances extérieures et imposée à une population pacifique par le terrorisme implacable d’une minorité sans scrupules.

Pour tenter de surmonter cette contradiction, les historiens disposent aujourd’hui d’une énorme quantité de témoignages et de documents provenant des deux camps [16] : elle leur permet de mettre en évidence les différences entre le schématisme des discours de propagande ou d’autojustification, et les nuances que l’on constate dans les sources à usage interne, qui expriment la véritable vision qu’avaient à l’époque les témoins sur le terrain, et qui confirment certains éléments attestés par des observateurs de l’autre camp. Faut-il le rappeler ? La critique historique procède en confrontant systématiquement tous les témoignages et documents disponibles, sans exclusive, et non pas en faisant aveuglément confiance aux témoins bien pensants et en écartant sans examen les autres. Pour s’orienter dans ce très vaste champ d’étude, qui reste encore à défricher, les historiens ont intérêt à utiliser comme guides des hypothèses interprétatives suggérées depuis longtemps par la lecture des témoignages et documents publiés, en les soumettant à l’épreuve des faits. [17].

L’étude des thèmes des propagandes [18] déployés par les deux camps à l’intention de la même population musulmane est une première approche, qui permet de se faire une idée de leurs visions respectives de son état d’esprit à travers les arguments auxquels ils la croyaient le plus sensible. Il semble à première vue que le FLN faisait surtout appel aux devoirs de solidarité fondés sur l’appartenance à la communauté religieuse musulmane et sur les liens du sang, face à des ennemis étrangers et mécréants. Il comptait sur la mémoire collective de la résistance à la conquête et des révoltes, encore bien présente dans toutes les régions, et sur une opinion publique spontanément anticolonialiste. Au contraire, la propagande française comptait davantage sur l’intérêt bien compris, en insistant sur les bienfaits matériels que la France pouvait apporter [19], sur les méfaits du FLN, et sur la défaite inéluctable qui lui était promise [20]. Mais ces images a priori ne nous renseignent pas sur les réactions des destinataires de ces propagandes.

Un premier constat paraît s’imposer, celui d’une évolution considérable entre le premier jour de l’insurrection et celui de l’indépendance. Le premier novembre 1954, quelques dizaines de sabotages et d’attentats avaient été commis à la sauvette par quelques centaines d’hommes plus ou moins armés dispersés à travers le territoire algérien, agissant au nom d’une organisation quasi-anonyme (le FLN-ALN) et inconnue auparavant, qui ne semblait disposer d’un certain soutien populaire que dans une partie du massif de l’Aurès. Moins de huit ans plus tard, au début de juillet 1962, plus de cinq millions d’électeurs algériens [21] ratifient massivement les accords d’Evian et fêtent l’indépendance dans l’enthousiasme pendant plusieurs jours, en arborant le drapeau algérien interdit naguère. Cette évolution paraît au moins aussi spectaculaire que celle de la politique française et de l’opinion publique métropolitaine entre ces mêmes dates.

Cette impression peut néanmoins être relativisée par des interrogations sur la signification des constats de départ et d’arrivée. En effet, il paraît rétrospectivement évident que la poignée de « rebelles » du début disposait en réalité d’un potentiel de sympathie, de soutien et d’engagement très supérieur à ses effectifs initiaux, étant donné que la propagande des partis nationalistes ENA, PPA puis MTLD lui avaient préparé le terrain et les esprits depuis un quart de siècle. Au contraire, on peut se demander si la joie manifestée au début de juillet 1962 par la quasi-unanimité des Algériens (à l’exception des « traîtres » qui avaient peur des représailles en dépit des promesses d’Evian) était motivée par la victoire du FLN, l’indépendance de l’Algérie, la paix, ou la coopération avec la France. Et l’on peut soupçonner une partie non négligeable des manifestants d’avoir voulu faire oublier qu’ils avaient déjà manifesté une joie comparable en mai, juin ou septembre 1958.

À l’opposé, nous pouvons observer une constante : les Algériens musulmans ont combattu dans les deux camps, et ceux qui ont servi dans le camp français en tant que soldats engagés, soldats appelés, ou supplétifs, ont toujours été globalement plus nombreux que les combattants de l’ALN, jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962, qui fut suivi par le licenciement et le désarmement des supplétifs et par le recrutement d’une éphémère « force locale » aux ordres de l’Exécutif provisoire [22]. C’est alors seulement que l’ALN a pris le dessus grâce à des désertions massives organisées à son profit dans les unités de l’armée française et de la Force locale [23]. L’écart s’était pourtant réduit en 1956 et 1957 grâce à la croissance plus rapide de l’ALN, mais il s’est fortement creusé de 1957 à 1959, jusqu’à atteindre un rapport de quatre contre un à la fin de 1960.

Il serait pourtant excessif d’en conclure que la cause française était quatre fois plus populaire que celle du FLN. Il faut en effet tenir compte de la difficulté qu’avait l’ALN à armer et à entretenir tous ses combattants potentiels, de ses pertes dix fois plus nombreuses que celles du camp français, et du fait qu’elle les a remplacées plusieurs fois pour se maintenir jusqu’à la fin sur le terrain, malgré l’incontestable déclin de ses effectifs à l’intérieur du pays. C’est pourquoi il faut comparer ce qui est comparable : les effectifs globaux de tous ceux qui ont servi dans les deux camps durant toute la guerre, y compris ceux qui ont été mis hors de combat et ceux qui ont changé de camp. Du côté algérien, le ministère des Anciens Moudjahidine a recensé, en 1974, 336.748 anciens combattants de l’ALN et militants du FLN (parmi lesquels 152.863 sont morts du fait de la guerre) [24]. De l’autre côté, l’effectif maximum de 180.000 ou 210.000 soldats et supplétifs musulmans atteint au début de 1961 [25] doit être augmenté des pertes (évaluées par le général Faivre à moins de 5.000 tués et 2.000 décédés en dehors des combats [26]), des hommes ayant quitté le service armé sans passer d’une catégorie à l’autre, et de ceux qui se sont engagés contre le FLN en acceptant des responsabilités politiques ou administratives [27], ce qui permet d’atteindre un ordre de grandeur comparable à celui des effectifs globaux du FLN-ALN. On pourrait ainsi conclure que le peuple algérien s’est partagé en deux camps approximativement égaux en nombre.

Mais peut-on admettre que tous ceux qui ont servi dans le camp français ont été de fermes et constants partisans de la cause française ? La question doit être posée. En effet, la motivation et la combativité des « harkis » et autres supplétifs volontaires ont été discutées : le général de Gaulle les a qualifiés de « magma qui n’a servi à rien » [28], et le général Buis croyait que la plupart avaient conservé « un pied dans la rébellion » [29]. Au contraire, le général Ailleret et beaucoup d’autres officiers les jugeaient loyaux et « très utiles dans des opérations où la découverte de l’adversaire constituait le problème principal » [30]. Le général Faivre fait remarquer que leurs taux moyens mensuels de désertion ont été particulièrement faibles [31] (1,05 ‰ en 1957 ; 0,69 ‰ en 1958 ; 0,46 ‰ en 1959 ; 0,30 ‰ en 1960 ; 0,43 ‰ en 1961 [32]) en dehors de deux brèves crises de confiance dans la volonté française de rester en Algérie (premier trimestre 1956, été 1961).

Ceux des soldats musulmans des unités régulières, composées en majorité d’appelés, ont été plus élevés (4,43 ‰ en 1956 ; 4,33 ‰ en 1957 ; 2,61 ‰ en 1958 ; 1,35 ‰ en 1959 ; 0,90 ‰ en 1960 ; 1,17 ‰ en 1961 [33]). Pour toute la durée de la guerre (du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962), les désertions ont été beaucoup plus nombreuses parmi les militaires réguliers (7.015) que parmi les supplétifs (3.936), pourtant beaucoup plus nombreux que les premiers. Ces constats suggèrent que les appelés (majoritaires dans les troupes régulières) étaient moins motivés que les supplétifs et que les militaires engagés sous contrat, tous volontaires en principe ; et les rapports sur le moral signalaient souvent leur mutisme, leur apathie et leur passivité. Ces appelés avaient pourtant été sévèrement triés : le pourcentage des absents aux conseils de révision avait atteint 70% en 1956, celui des réfractaires à l’appel sous les drapeaux était important (en février 1957, 47% pour l’ensemble de l’Algérie, soit 23% en Oranie, 48% dans l’Algérois, et 60% dans le Constantinois [34]), et les conscrits présents n’étaient pas tous incorporés pour diverses raisons. C’est pourquoi l’effectif des appelés diminua fortement en 1956 (de 17.000 à 6.000), puis augmenta beaucoup moins que celui des harkis, et il fut volontairement réduit (comme celui des harkis) à partir du début de 1961 [35].

Le nombre des engagés sous contrat diminua faiblement en 1956 et 1957, puis il augmenta plus faiblement que celui des appelés de 1959 à 1961, et fut ensuite volontairement réduit. Les autorités militaires s’inquiétaient des variations du nombre d’engagements et de réengagements, qui culminèrent en 1959, mais diminuèrent fortement à partir du deuxième semestre 1960 [36]. À la fin de 1961, la baisse du nombre des engagements était alarmante ; les engagés se faisaient passer pour des appelés auprès de la population civile, et désertaient dans la même proportion que ces derniers [37].

Enfin, les sous-officiers et officiers musulmans, dont le nombre avait été fortement accru (de 51 en 1954 à 360 au début de 1961) pour encadrer les engagés et appelés, furent eux aussi touchés par un mouvement de désertions (47 officiers déserteurs de 1956 à 1960) encouragé par la propagande du FLN. Comme leurs soldats, ils se montraient sensibles, non seulement aux discriminations et aux injustices subies, mais aux « mesures prises à l’égard des populations autochtones » [38] et à l’évolution de la situation politique de l’Algérie. Il faut néanmoins remarquer que la plupart des officiers et sous-officiers algériens restèrent dans l’armée française après l’indépendance (respectivement 354 et 2.040 en 1963) [39].

L’ensemble de ces remarques nous invite pourtant à nuancer l’idée d’un peuple algérien divisé en deux partis égaux en nombre et en résolution. La supériorité numérique apparente du « parti de la France » paraît traduire surtout le rapport de forces militaire qui prévalait pendant la plus grande partie de la guerre, quand la volonté française de garder l’Algérie à tout prix semblait indubitable ; mais elle pourrait camoufler, au contraire, un rapport de forces inverse à l’intérieur de la population algérienne. Les remarques précédentes nous suggèrent également que l’état de l’opinion publique algérienne a évolué à travers le temps. Mais pouvons-nous concevoir cette évolution suivant le modèle d’une fonction linéaire, et laquelle ?

C’est incontestablement le FLN qui a déclenché la guerre le 1er novembre 1954 (même s’il concevait son déclenchement comme une légitime riposte à la sanglante répression de mai 1945 et à plus d’un siècle d’oppression coloniale), et tous les morts du premier jour sont tombés du côté français [40]. Si l’on ajoute aux pertes musulmanes des « forces de l’ordre » jusqu’au cessez-le-feu (moins de 5.000 tués sur plus de 15.000) [41] les victimes civiles du terrorisme (16.378 morts musulmans et 2.788 européens sur 19.166 tués), on doit conclure que le FLN-ALN a tué plus de compatriotes « traîtres » à sa cause que d’ennemis étrangers. Comme l’a remarqué Jean Daniel (qu’on ne peut soupçonner d’hostilité systématique à la cause algérienne), « les premiers maquisards de novembre 1954 ont fait ce rêve insensé de livrer d’abord une guerre civile, pour transformer tous les Algériens en étrangers à l’intérieur d’un territoire francisé. Cela ne pouvait se faire que dans le sang, par la terreur, le sectarisme, l’intimidation religieuse. Il fallait transformer en traîtres tous ceux qui n’étaient pas pour l’indépendance ou qui n’y songeaient pas (...). Il fallait inventer le concept de trahison et faire de tous les incertains et de tous les tièdes, comme de tous les passifs, des renégats, des apostats et des collaborateurs. » [42] Le FLN a frappé les Algériens musulmans réfractaires à son autorité dès le premier jour et continument, alors que les Européens n’ont été visés qu’à partir de mai 1955 [43]. Le pourcentage des musulmans parmi les victimes civiles recensées atteint 85%, ce qui n’est pas très loin de leur proportion dans la population totale de l’Algérie. Mais il serait imprudent d’en déduire que, le FLN ayant traité les deux populations avec la même violence, il a provoqué la même réaction de rejet quasi-unanime de leur part.

En effet, les sources militaires françaises attestent clairement que les pertes infligées aux « rebelles » du 1er novembre 1954 par les « forces de l’ordre » ont été presque dix fois plus élevées que les pertes subies par celles-ci (143.000 « rebelles » tués, contre environ 15.000 tués au combat ou par attentat). Même si l’on tient compte des victimes du terrorisme citées plus haut, le bilan reste fortement déséquilibré [44], et nul ne peut prouver que les représailles commises après le cessez-le-feu et l’indépendance contre les anciens « harkis » ont suffi à l’équilibrer ou à l’inverser. Ce constat brutal dément la conception officielle, suivant laquelle l’armée française n’avait fait que « pacifier » et que protéger une population pacifique contre l’agression d’une minorité de bandits manipulés par l’étranger. C’est pourquoi le général de Gaulle, dès son retour au pouvoir, déplora publiquement le nombre des « rebelles » tombés en combattant contre la France : « Hélas ! 77.000 rebelles ont été tués en combattant ! » [45], déclara-t-il dans sa conférence de presse du 23 octobre 1958 . De même, dans celle du 10 novembre 1959, il s’écria : « Combien il est lamentable de compter les 145.000 Algériens qui ont été tués du côté de l’insurrection ! » [46].

À la fin de la même année, il explicita son analyse dans une note écrite en réponse à un général qui lui reprochait de décourager les musulmans de « basculer » du côté français : « (...) Par le combat, les exécutions sommaires, les exécutions légales, nous tuons dix fois plus d’adversaires que ceux-ci ne nous tuent de Musulmans (de toute espèce) ou de Français. Nous détenons dans les camps et les prisons 80.000 adversaires, tandis que le FLN n’en détient pratiquement pas. (...) Et cependant, malgré toutes les affirmations, promesses et illusions, l’ensemble de la population musulmane n’a pas du tout « basculé » de notre côté, ni en Algérie, ni dans la métropole, ni à l’étranger. À en croire les rêveurs ou les fumistes, il suffirait d’être les plus forts pour que les Musulmans nous rallient. Quelles forces supplémentaires nous faudrait-il donc pour qu’ils le fassent ! Il est parfaitement vrai que notre écrasante supériorité militaire finit par réduire la plus grande partie des bandes. Mais, moralement et politiquement, c’est moins que jamais vers nous que se tournent les Musulmans algériens. Prétendre qu’ils sont français ou qu’ils veulent l’être, c’est une épouvantable dérision. Se bercer de l’idée que la solution politique, c’est l’intégration ou la francisation, qui ne sont et ne peuvent être que notre domination par la force - ce que les gens d’Alger et nombre de bons militaires appellent « l’Algérie française » - c’est une lamentable sottise. Or, étant donné l’état réel des esprits musulmans et celui de tous les peuples de la terre, étant donné les 150.000 hommes morts en combattant contre nous en Algérie, etc., il est tout simplement fou de croire que notre domination forcée ait quelque avenir que ce soit » [47].

Un an plus tard, il reprit le même raisonnement devant le député d’Oran Pierre Laffont : « Bien sûr, nous pourrions continuer la guerre. Nous en avons déjà tué 200.000. Nous en tuons encore 500 par semaine. Mais où cela nous mènerait-il ? L’Armée, qui ne voit pas plus loin que le bout de son djebel, ne veut pas être privée de sa victoire et n’entrevoit comme solution, qu’une solution sur le tas et qu’un moyen : casser du fellagha. Mais à quoi cela nous mènerait-il si ça réussissait ? À recommencer dans 5 ans, dans 10 ans ? » [48]. Et dans ses Mémoires d’espoir, publiés peu avant sa mort, il exprima les conclusions qu’il avait tirées de son voyage d’inspection d’août 1959 : « Il est maintenant pour moi évident que, si nous ne nous abandonnons pas, l’insurrection est et restera impuissante à maîtriser l’Algérie. Mais il ne l’est pas moins qu’elle peut et pourra indéfiniment entretenir ou faire renaître sa résistance dans des zones appropriées grâce à la complicité générale de la population » [49].

Il n’est pas étonnant que le général Ailleret, commandant supérieur de l’armée en Algérie après le putsch des généraux et jusqu’au lendemain du cessez-le-feu, ait exprimé des vues semblables dans ses propres Mémoires posthumes. Celui-ci raconte qu’il avait commencé à se poser des questions vers 1957 : « Comment se pouvait-il qu’une toute petite minorité de rebelles réussisse à échapper à l’écrasement immédiat par une armée formidable de quelques centaines de milliers d’hommes équipés des armes les plus puissantes ? Cela ne pouvait s’expliquer (...) que parce que la grande masse de la population musulmane les aidait, les cachait et les renseignait. On disait bien que si la masse agissait en faveur des rebelles c’est que ceux-ci l’y contraignaient par la terreur en abattant ou mutilant odieusement ceux qui ne se ralliaient pas à leur loi. Mais était-il possible qu’une masse d’hommes normalement courageux se laissât terroriser par une « infime minorité » ? Si les terroristes avaient été si peu nombreux, c’est vraisemblablement eux qui eussent dû être rapidement phagocytés par la masse. Certes, la terreur était bien employée par les rebelles, mais n’était-ce pas pour éliminer et dissuader les quelques traîtres et collabos qui existent toujours dans des cas analogues de rébellions ou d’occupation ? » Et il en était venu à penser que seule l’adhésion volontaire de la masse musulmane pouvait expliquer le renouvellement des effectifs des « rebelles », et que toute rébellion ou résistance ne peut être que le fait de minorités, parce que « dans un pays donné, il y a un volume optimum de résistants ou de rebelles actifs ». C’est pourquoi il ne fallait pas « conclure de ce qu’il n’y a qu’une minorité de rebelles que le reste de la population est contre la rébellion. Elle peut tout simplement ne pas pouvoir faire autrement que de rester en apparence aussi neutre que possible, voire ralliée, si elle veut pouvoir camoufler dans son sein la rébellion active et la dissimuler aux forces de répression » [50]. Et il raconte plus loin comment ses premières inspections de la zone Nord-Est Constantinois, en juin 1960, l’avaient « définitivement convaincu que la politique de « pacification » par l’action sociale et psychologique donnait d’excellents résultats en apparence et en surface mais que, dans le fond, les mohammeds du bled n’étaient pas avec nous mais avec leurs « frères » du djebel, plus ou moins activement certes, mais avec eux quand même » [51].

Bien entendu, ce genre de considérations se trouve rarement dans les sources favorables à l’Algérie française. Pourtant Maître Goutermanoff, l’un des avocats de l’ex-général Salan devenu le chef de l’OAS, en a fait usage dans sa plaidoirie. Rappelant la reprise des opérations offensives contre le FLN par le général Ailleret dans les mois qui avaient précédé les accords d’Évian, et les « bulletins de triomphe » lus à la radio d’Alger, il exprima son étonnement : « Ces hors-la-loi que l’on tuait, que l’on blessait, ils avaient des femmes, ils avaient des enfants. Ces femmes et ces enfants étaient bien vivants. Si, quelques semaines après, il fallait cesser le combat, c’était dresser contre nous autant de femmes, autant de veuves, autant d’orphelins, autant de familles dans le malheur » [52]. Mais si l’argument était valable, il ne l’était pas moins quand le général Salan commandait l’armée d’Algérie. De même, le sous-préfet Robert crut justifier une évaluation très élevée du nombre d’anciens harkis massacrés après l’indépendance par l’argument suivant : « De l’ordre de 150.000 victimes pour l’Algérie après une guerre atroce de sept ans ne paraît pas, hélas, historiquement surprenant. L’on doit d’autre part noter objectivement que, parmi les membres de l’ALN recrutés dans les premières années de la guerre, plus de 90% sont morts au combat, ce qui n’était évidemment pas de nature à limiter la cruauté naturelle (sic) des survivants » [53].

Ainsi, nous pourrions conclure que l’augmentation continue du nombre d’Algériens tués par les Français - sans compter les blessés, les torturés, les victimes de brutalités ou d’humiliations - a augmenté continument le nombre de leurs ennemis [54]. Il est vrai que le nombre des victimes du terrorisme, tués et blessés, a augmenté parallèlement, mais dans une bien moindre mesure. Ainsi, les ennemis de la France seraient devenus, inexorablement, plus nombreux que ceux du FLN, et de Gaulle n’aurait fait que tirer la conclusion logique de ce constat.

Pourtant, ce modèle paraît trop simple pour rendre compte de l’évolution du rapport des forces objectives et subjectives. La confrontation systématique des témoignages et documents déjà connus suggère plutôt des fluctuations de l’opinion publique musulmane en fonction du comportement de chacun des camps en présence, et de sa perception de la crédibilité de leurs chances de victoire, à court et à moyen terme.

Le journal tenu par l’instituteur et romancier kabyle Mouloud Feraoun à partir de novembre 1955 est un témoignage exceptionnel par sa sensibilité et sa lucidité. Il atteste très clairement le ralliement unanime et spontané des habitants de la région de Fort National (région pionnière du nationalisme algérien) aux « rebelles », tout en reconnaissant la part du terrorisme visant les « traîtres » dans ce processus : « Il est juste cependant de dire que la violence même du terrorisme a fait sortir pas mal d’entre nous de notre quiétude et de notre paresse à réfléchir. Chacun a été obligé de se pencher sur le problème, de faire son examen de conscience, de trembler pour sa peau parce que la peau du Kabyle ne vaut pas cher aux yeux du terroriste » [55]. Mais la peur est assumée : « Il est clair que tout le monde participe de cœur au combat, que la peur raisonnée cesse d’être la peur pour devenir obéissance et qu’à partir du moment où il est nécessaire d’obéir il est nécessaire aussi d’adhérer. Alors tout le monde adhère, cherche pourquoi il adhère, découvre le mal qu’il connaît et qu’il se refusait à voir » [56]. Au contraire, la mort des « traîtres » est acceptée comme une juste punition : « Personne ne condamne les exécuteurs, hormis les parents et les enfants qui pleurent le mort et tremblent pour eux-mêmes » [57].

Pourtant, le témoin exprime très vite des doutes sur le comportement des « libérateurs ». Dès le 9 mars 1956, il constate qu’ils se comportent désormais en maîtres pires que les précédents : « L’enthousiasme naïf des premiers jours fait place au découragement, à la stupeur, à l’épouvante. Bousculés par la troupe, piétinés par les fellaghas, mes compatriotes implorent en silence un dieu qui les méprise car ils se méprisent eux-mêmes (...). D’ores et déjà, les gens de chez nous n’aspirent qu’à la paix, quelle que soit l’issue d’un combat qui cesse de les intéresser » [58].

À partir de ce moment, ses jugements oscillent constamment entre trois types d’énoncés contradictoires.

-  1- Indifférence désespérée (« En ce triste carême de 1957, voici donc la situation en Kabylie : d’un côté, il y a les maquisards, de l’autre l’armée. Entre les deux, la population qui reçoit les coups. Comme un sac de sable entre deux boxeurs » [59]).

-  2- Amère déception (« Tout le monde a choisi de narguer le Français, d’en faire un ennemi afin de ne pas mourir en traître. Mais on continue de mourir en traître afin que les « purs » se donnent l’illusion d’être vraiment purs, afin que les lâches apprennent à s’aguerrir » [60]), conduisant à la révolte contre la dictature des nouveaux maîtres (« Tous ces meurtres finissent par perdre de leur signification première. On se demande si tous ceux qui tombent sont des traîtres. Le doute et la lassitude envahissent peu à peu les consciences, le désespoir cède la place à la colère » [61]), puis à la soumission aux Français : « Les autres musulmans sont tout simplement malheureux et voudraient que cela se termine, que la paix revienne, même si rien ne devait plus jamais changer. Qu’avons-nous gagné à nous soulever ? » [62].

-  3- Ou tout au contraire, persistance d’un patriotisme inébranlable (« D’ailleurs, le sac est conscient des coups qu’il reçoit et j’ai l’impression qu’il accepte de bonne grâce ceux qui lui viennent d’un côté (...). Ceux qui meurent en traîtres ne sont pas regrettés et personne ne veut subir leur sort. Non par lâcheté, mais parce que tout le monde est bel et bien patriote, profondément patriote, et que le divorce avec le Français est absolument conscient » [63]), entretenu par la répression (« Le moral de ladite population en prendrait un sacré coup (...) si, aussi, les Français ne se montraient pas plus cruels, plus sournois, plus dangereux que les fellaghas. De sorte que, quoi qu’ils fassent, ce sont toujours ces derniers qui inspirent confiance et gagnent les cœurs. Quoi qu’ils fassent, ils restent les soldats qui combattent l’ennemi, des soldats voués à une mort certaine parce qu’ils défendent le pays » [64]), et faisant de l’idée d’indépendance la « seule raison de vivre » pour tous : « Nous avons peut-être tort d’avoir laissé s’incruster en nous cette idée folle mais il n’est plus question de l’en arracher : le cœur où elle a pris racine viendrait avec » [65]. De sorte que le ralliement du village natal de l’auteur, Tizi Hibel (« Voilà que nous sommes ralliés à la France. Le village est entouré d’une clôture de fil de fer et nous sommes tranquilles. Nous sommes libérés » [66], lui écrit sa mère) ne signifie pas une capitulation : « Tout ce qu’on a montré à de Gaulle, ça va peut-être l’induire en erreur. Verra-t-il que les soldats ou officiers pacificateurs perdent leur temps à prétendre « reconquérir les cœurs » ? » [67].

Au-delà de ces fluctuations à très court terme, apparemment compatibles avec une permanence des partis pris fondamentaux de la population observée, la confrontation des témoignages et documents concernant l’ensemble de l’Algérie à travers toute la durée du conflit permet pourtant de mettre en évidence des fluctuations à moyen terme.

Contrairement au mythe d’un soulèvement unanime dès le premier jour, officiellement enseigné en Algérie, il est certain que le peuple algérien n’a pas apporté partout au FLN-ALN le soutien général et immédiat sur lequel il comptait. Mouloud Feraoun reconnaît au début de son Journal que « il y a un an, lorsque la révolte éclata, nous n’avions pas voulu en mesurer l’importance » [68]. Le deuxième appel du FLN d’Alger, daté du 1er avril 1955, dénonçait l’indifférence, « synonyme de trahison » : « Algériens ! venez en masse renforcer les rangsduFLN.Sortezde votreréserve et de votre silence » [69]. Les chefs du Nord Constantinois décidèrent de lancer toutes leurs forces en entraînant les civils dans l’offensive meurtrière et suicidaire du 20 août 1955 pour creuser un infranchissable fossé de sang entre les Français et les Algériens, parce qu’ils craignaient que la répression qui étouffait les maquis ne décourageât le peuple de continuer à les soutenir [70] : ce fut le « point de non retour de la Révolution ». Un an après, le Congrès de la Soummam se félicita que l’action de l’ALN eut « provoqué un choc psychologique, qui a libéré le peuple de sa torpeur, de sa peur, de son scepticisme » [71].

Au contraire, il est incontestable qu’entre le 20 août 1955 et la fin janvier 1957 le FLN-ALN a réussi à étendre et à enraciner son organisation dans toute l’Algérie, sans que l’énorme effort militaire français puisse l’empêcher. La seule controverse porte sur les causes de ce succès, que les sources officielles française attribuent pour l’essentiel à un terrorisme systématique [72], alors que le FLN préfère mettre en avant le ralliement sincère du peuple algérien aux héros qui combattaient pour sa liberté, une fois rassuré sur leurs chances de victoire.

Mais à partir de la fin janvier 1957, l’armée française commença d’infliger de graves échecs au FLN. D’abord en 1957 la « bataille d’Alger », où les troupes du général Massu réussirent à briser en deux jours la grève générale d’une semaine commencée le 28 janvier [73], puis à contraindre le Comité de coordination et d’exécution (CCE) à fuir la ville pour éviter le sort de Larbi Ben M’hidi arrêté le 16 février, avant de démanteler entièrement la Zone autonome d’Alger en octobre. Puis en 1958, quand l’offensive militaire et diplomatique du FLN fut mise en échec par la « bataille des frontières » (janvier-mai 1958), par le coup de force civil et militaire du 13 mai et par le retour au pouvoir du général de Gaulle. Les spectaculaires manifestations de fraternisation franco-musulmanes organisées par l’armée française en mai et juin 1958, puis la participation massive [74] des « Français musulmans » au référendum du 28 septembre 1958 furent présentées comme une preuve du ralliement de la masse des Algériens à la cause française, et dénoncés par le FLN comme une mascarade pure et simple. Pourtant, des témoins dignes de foi leur ont reconnu une part de réalité.

Mouloud Feraoun, dès son installation à Alger fin juillet 1957, a constaté le découragement d’une grande partie de ses compatriotes : « Qu’avons-nous gagné à nous soulever ? Les gens se garderont de tenir un tel langage, mais cela se lit sur leur visage, cela détermine leur comportement. Il ne faudrait pas trop les pousser pour en faire des vaincus prêts à toutes les platitudes. Si tel est le but de la pacification, il n’est pas loin d’être atteint » [75]. Il a observé « cette indéniable lassitude qui incline à la soumission irréfléchie, fait venir sur les visages ces sourires que j’intercepte parfois, que les Français pour qui ils sont destinés interprètent comme des sourires amicaux, mais sont en réalité des rictus de vaincus » [76]. À la rentrée d’octobre, le FLN ayant renoncé à son ordre de grève scolaire qu’il n’avait plus la possibilité de faire respecter, il a assisté à la « ruée vers l’école », preuve à ses yeux que « le pays est las d’être saigné. Bientôt les morts, tous les morts innocents se révolteront à leur tour pour crier grâce et demander que cesse la guerre » [77]. En mai 1958, il constate avec scepticisme : « Il y a là une véritable communauté franco-musulmane. Dans l’hystérie. Mais il y a aussi derrière cette masse moins impressionnante qu’on le dit, cette masse hétéroclite qu’on hésite à prendre au sérieux, une autre masse silencieuse qui garde parfaitement son calme ou se réjouit de cette mascarade » [78]. Lors du référendum, il confirme l’apparente liberté du vote : « Aucune contrainte, la surveillance exercée par les membres du bureau est cordiale et cynique ». D’après lui, les musulmans ont tellement peur qu’on devine leur vote qu’ils émettent un « oui » ostensible. Mais après le scrutin, certains votants se disent toujours fidèles à leurs convictions : « Ils restent musulmans, donc nationalistes ». Il constate néanmoins la « joie exubérante des non-musulmans, une joie vraie, profonde, émouvante, et démonstrative vis-à-vis des premiers, de sorte que les plus humbles, les plus sensibles, les femmes, ont été véritablement conquis par cette amitié sincère, ces regards affectueux, ces gestes tendres et câlins qui les enveloppaient » [79].

Un autre témoin non suspect d’hostilité à l’indépendance de l’Algérie, le journaliste Jean Daniel, né à Blida, a fait de semblables observations à l’occasion du référendum, et en a tiré la conclusion suivante : « Les Français parlent de 10 millions d’Algériens qui voudraient s’intégrer à la France. Le FLN parle de 10 millions d’Algériens qui sont prêts à mourir pour l’indépendance de l’Algérie. Les deux choses sont également fausses. C’est un peuple comme tous les autres, épris de bien-être et de paix, incapable de vivre dans la misère et l’héroïsme quotidien. C’est un peuple profondément meurtri et surtout divisé. Le destin des guerres coloniales est qu’elles débouchent toujours sur des guerres civiles parce que la cruauté du conflit invite souvent une partie des populations à se ranger du côté du plus fort. (...) La seule certitude incontestable, c’est qu’une longue humiliation a suscité des révoltes, et que des élites ont fini par se construire une patrie dans le combat. Pour ces élites, pour une grande partie de la jeunesse, pour ce qu’on appelle les forces vivantes d’une nation, on peut dire en effet que la patrie algérienne est une réalité. Le peuple, lui, ne suit pas : il n’en peut plus. Ce n’est pas un succès de la France. C’est à coup sûr une défaite du FLN » [80].

Les membres de la direction du FLN en exil à l’extérieur depuis 1957, ont eux même exprimé leur inquiétude, dans des rapports confidentiels, face à ce qu’ils qualifiaient publiquement de « mascarades ». Le colonel Ouamrane écrivait le 8 juillet 1958 : “L’heure est grave. La révolution algérienne, qui avait en peu de temps embrasé tout le pays et bouleversé le dispositif militaire colonialiste (...) marque le pas, et faut-il même reconnaître qu’elle régresse” [81]. Et son collègue Ferhat Abbas, le 28 juillet, estimait que si “les piliers de la révolution algérienne”, à savoir “la combativité de l’ALN” et “la résistance et l’adhésion du peuple algérien” étaient mis en cause, alors “tout sera perdu, irrémédiablement perdu. L’Algérie deviendrait une nouvelle Palestine” [82].

La relance du terrorisme en Algérie, le déclenchement d’une offensive en France le 25 août et la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) le 19 septembre ne suffirent pas à inverser la tendance. Le bilan de l’année qui suivit fut globalement négatif. La propagande du FLN déploya des trésors d’ingéniosité pour camoufler l’échec militaire de l’ALN et l’exacerbation de toutes les dissensions et discordes dans l’organisation nationaliste, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Algérie. Minés par les purges sanglantes déclenchées par le colonel Amirouche durant l’été 1958, puis laminés par le rouleau compresseur du plan Challe en 1959, les maquis luttaient pour leur survie. En juillet 1959, Mouloud Feraoun crut un moment pouvoir arrêter son Journal : « La maquis semble bien malade dans nos djébels. Les ralliements se suivent et sont autant d’opérations positives, autant de victoires pour l’armée. Quand tous les villages seront ralliés de la même façon, on se retrouvera aux beaux jours d’avant novembre 1954. Mais il manquera tous ceux qui sont morts » [83]. Et il ajoutait que les jeunes générations accepteraient l’avenir quel qu’il fût, « parce qu’elles sont suffisamment instruites, conscientes et fières pour le forger. Ce sera leur avenir, quelle que soit l’issue du combat. Et cette possibilité de s’épanouir, puis de se déterminer, ce sera en définitive le fruit de notre commune souffrance, la victoire chèrement acquise » [84].

Aux yeux des partisans de l’Algérie française, il fallait parachever les succès de la guerre psychologique et de l’action psychologiques obtenus en 1958 en continuant sans relâche à « désespérer le rebelle » (général Challe) et à encourager les musulmans fidèles à la France. Or, le général de Gaulle fit tout le contraire. Par son discours du 16 septembre 1959, il remplaça un but de guerre clairement défini (l’intégration) par une procédure vide, et se présenta en arbitre respectueux du futur choix des Algériens quel qu’il dût être. Par là, il découragea les partisans de la France qui avaient besoin d’un chef, et encouragea le FLN, qui pouvait espérer qu’après avoir cédé sur le principe de l’Algérie française, de Gaulle finirait par céder sur tout le reste. En acceptant le principe de l’autodétermination et en proposant de négocier sur ses garanties, le GPRA essaya de satisfaire le désir de paix des Algériens et de rejeter sur la France la responsabilité de la prolongation de la guerre.

Le FLN était pourtant loin d’avoir gagné la partie. Son instance dirigeante le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), réuni à Tripoli de décembre 1959 à janvier 1960, reconnut que la guerre risquait d’être perdue si aucun secours ne parvenait à l’intérieur avant la fin de 1960 [85]. Après la semaine des barricades d’Alger, qui permit à de Gaulle de prouver sa fermeté face aux pressions des « ultras » de l’Algérie française, celui-ci crut tenir sa victoire, quand les chefs de la wilaya IV (Algérois) prirent contact avec le gouvernement français pour négocier un cessez-le feu avec remise des armes et amnistie des combattants, puis vinrent le voir en secret à l’Elysée le 10 juin 1960. À ce moment, la crise du moral était à son comble : dans la wilaya III, rapporte l’aspirant politique Hocine Zahouane, « pour la première fois, autant que je sache, dans l’histoire des maquis, de jeunes combattants se demandaient ce qu’ils deviendraient si la France gagnait » [86]. Selon Philippe Tripier, l’Algérie était encore disponible : « Ce qui se répercutait sur place des ambiguïtés de la politique française pouvait bien pousser les musulmans à se défier de l’avenir et les rejeter dans le non-engagement. Ils n’en étaient pas pour autant acquis au FLN, et moins encore engagés sous son drapeau. Tout montrait au contraire que dans leur attentisme plus pesant par endroits, les populations demeuraient disponibles » [87].

Or, le 14 juin 1960, de Gaulle lança un nouvel appel public aux « dirigeants de l’insurrection » pour mettre fin à la guerre, et le GPRA envoya une délégation qui fut reçue à la sous-préfecture de Melun du 25 au 29 juin ; puis elle fut renvoyée à Tunis parce qu’elle refusait de discuter de « la destination des armes et du sort des combattants ». En même temps, l’un des chefs de la wilaya IV, Si Mohammed, se retourna contre ses collègues Si Salah et Si Lakhdar, et jura fidélité au GPRA. Selon Philippe Tripier, « Melun fit choc » [88], en permettant au GPRA d’accréditer l’idée que de Gaulle avait refusé une chance de paix, mais qu’il reprendrait tôt ou tard les négociations avec lui. Pourtant, la révélation de « l’affaire Si Salah » [89] avait causé une grande frayeur rétrospective à l’extérieur. Le président du GPRA, Ferhat Abbas, déplorait en août 1960 l’isolement de l’ALN par rapport à la population : “Si le peuple n’est pas pour la France il faudra être en revanche optimiste pour soutenir qu’il est de plus en plus pour le GPRA. L’infrastructure organique a été démantelée dans les centres urbains et [est] de plus en plus inexistante dans les campagnes” [90]. Mohammed Harbi a confirmé dans ses Mémoires « la vague de panique qui règnait à la présidence » et chez les Algériens de Tunis durant l’été 1960 [91].

Et pourtant, quelques mois plus tard, lors du dernier voyage du général de Gaulle en Algérie en décembre 1960, des dizaines de milliers de jeunes Algériens musulmans répliquèrent aux manifestations hostiles des Français d’Algérie dans les rues d’Oran, Alger, Bône et Constantine, en criant « Vive de Gaulle ! », puis en réclamant des négociations entre celui-ci et Ferhat Abbas. Ces contre-manifestations, apparemment spontanées [92], furent très vite récupérées par le FLN. La violence des manifestations et celle de la répression dissipèrent les illusions de mai 1958 [93]. De Gaulle en tira la conclusion qu’il ne pouvait plus espérer opposer une troisième force au GPRA, et qu’il devait tenter de s’entendre prioritairement avec celui-ci pour mettre fin à la guerre. Ce fut un tournant décisif, inaugurant une dernière étape du conflit, durant laquelle le GPRA put mobiliser des foules importantes dans les villes algériennes pour le soutenir dans les négociations [94]. Faut-il pour autant voir dans l’intervention des masses algériennes la cause directe de la fin de la guerre ?

Ce serait oublier l’antériorité des décisions du général de Gaulle qui avaient en quelque mois bouleversé la politique algérienne traditionnelle de la France : substitution du principe d’autodétermination au dogme de l’Algérie française le 16 septembre 1959 ; désaveu implicite de la “francisation” définie comme la continuation de la “domination directe pratiquée par la métropole depuis la conquête” en mars 1960 ; prises de position pour l’“Algérie algérienne” (14 juin 1960) qui se ferait « avec ou sans la France » (5 septembre 1960), et qui serait “la République algérienne, laquelle n’a jamais existé, mais existera un jour” (4 novembre 1960). L’impatience du général de Gaulle, et celle de l’opinion publique métropolitaine, étaient de plus en plus évidentes, et renforçaient de plus en plus la crédibilité d’une victoire politique finale du FLN. C’est pourquoi, dès la fin d’octobre 1960, un officier de SAS écrivait à son ancien chef le général Massu que dans la Mitidja la population musulmane était “acquise à l’indépendance en majeure partie”, et qu’elle obéissait “à plus de 80 % à la rébellion (par peur plus que par conviction, précisait-il) [95]. Le 27 novembre 1960, à Alger, Mouloud Feraoun reprenait son Journal abandonné depuis plusieurs mois, pour noter qu’à présent les Français étaient gagnés par la lassitude : “Les Arabes, eux, reprennent espoir, ils comprennent que la délivrance est proche. Une délivrance qui viendra de cette lassitude et se confondra avec la victoire. Incontestablement la victoire de la population qui a accepté la souffrance, et surtout la victoire du fellagha qui n’a jamais cessé de se manifester, peu ou prou, malgré les sacrifices les plus lourds et l’inimaginable disproportion entre la force dont il peut faire preuve et celle dont dispose son adversaire. L’indépendance est désormais acquise. Grâce aux patriotes, grâce au patriotisme. Vive l’Algérie ! Que vienne à s’instaurer n’importe quel régime, il sera le bienvenu pourvu qu’il émane des Algériens eux-mêmes” [96]. Ainsi, les journées de décembre 1960 ont été la conséquence du revirement de la politique algérienne de la France, beaucoup plus que sa cause.

L’évolution de l’opinion publique algérienne musulmane paraît donc s’expliquer, non seulement par des prises de positions définitives, mais aussi par des degrés d’engagement ou de non-engagement variables en fonction de la crédibilité de la victoire des deux camps en présence. On ne peut ignorer le schéma d’interprétation des rapports militaires sur le moral des populations, qui distinguent à côté de deux minorités fermement engagées, pour les « rebelles » ou pour la France, une masse attentiste et fluctuante, prête à se rallier à celui qui lui apportera la paix. Selon Philippe Tripier, jusqu’au printemps 1960, « la population algérienne dans ses profondeurs n’était pas acquise à l’idéologie du Front. Son attitude vis-à-vis de la cause rebelle - avec toutes les nuances qui distinguaient un lieu de l’autre- se règlait encore pour l’essentiel sur deux facteurs. D’une part, sur la force, secrètement présente et active, de l’organisation civile et militaire du Front ; libérés de cette contrainte, les gens retrouvaient leur franc-parler. D’autre part, et plus foncièrement, sur la supputation de l’avenir. Avec la patience infinie qui caractérise l’Islam, le peuple des villes comme du bled souffrait en silence et observait les deux camps, guettant chez l’un et l’autre tout indice d’un moral victorieux : là où apparaîtrait la victoire, là irait son adhésion » [97]. Cette thèse doit bien sûr être discutée et nuancée à partir de témoignages en sens inverse, tels que celui de Mouloud Feraoun, pour tenir compte du fait majeur que la plupart des victimes étaient dues aux « forces de l’ordre ». Mais elle a récemment reçu un renfort inattendu, celui du président de la République algérienne Abdelaziz Bouteflika : celui-ci aurait déclaré « que la guerre de libération nationale a été déclenchée et menée par une « élite », qu’une grande partie du peuple était passive, et qu’une autre collaborait avec la France ! » [98] Déclaration iconoclaste, en rupture avec les slogans officiels (« La Révolution par le peuple et pour le peuple », et « Un seul héros, le peuple »), mais qui prolonge et complète ce jugement cité dans le manuscrit des Mémoires de Lakhdar Ben Tobbal : « On dit que la révolution a été celle du peuple. En fait l’expression n’est pas très juste. La révolution a été le fait d’un groupe de militants qui ont dirigé ce peuple » [99].

Nous n’avons donc pas encore trouvé un modèle simple rendant compte de l’évolution de l’état d’esprit du peuple algérien musulman durant tout le conflit et dans tout le pays. Et cela, d’autant moins que la guerre n’a peut-être pas été vécue d’une manière identique sur tous les points du territoire. On sait que l’implantation du nationalisme algérien avant le début du soulèvement n’était pas partout aussi ancienne ni aussi profonde. Elle l’était, en effet, dans les environs de Fort National, l’une des premières régions d’émigration vers la France, berceau de la première organisation indépendantiste, l’Etoile nord-africaine. Et aussi dans le douar El Akbia (Nord Constantinois) qui a fait l’objet d’une monographie de l’universitaire et ancien moudjahid Mahfoud Bennoune [100]. Mais au cœur du massif de l’Aurès, premier bastion de l’insurrection du 1er novembre 1954, la tribu des Aït Daoud s’est partagée par fractions, dès le premier jour, entre les partisans du chef rebelle Mostefa Ben Boulaïd (environ les deux tiers de la tribu) et ceux de l’agha Merchi Sebti, qui fonda la première harka à Arris [101] ; cependant, un neveu du premier devint lui aussi harki, et selon le général Paillard, ancien chef de la SAS d’Arris, nulle part le FLN eut aussi peu d’emprise que dans ce lieu. Et suivant un rapport du ministre algérien de la Justice Amar Bentoumi, en 1963, les anciens harkis représentaient 80% de la population du village d’Edgar Quinet [102], près de Khenchela. On sait que les vieilles structures tribales n’avaient pas disparu dans les régions montagneuses les plus reculées, et qu’elles ont servi ou desservi l’insurrection suivant les lieux et les moments. C’est pourquoi il faudrait pouvoir établir une cartographie très fine des villages où telle ou telle tendance était considérée comme majoritaire. Le réseau très dense des Sections administratives spécialisées (SAS) a fourni dès cette époque une masse de documents qui permettent de tenter d’évaluer la diversité des situations locales [103]. Et même dans une région à première vue homogène, comme la Grande Kabylie, cette diversité paraît non négligeable [104].

Avant de songer à conclure, il faut donc multiplier les monographies locales, en suivant la devise oubliée des historiens positivistes : « une vie d’analyses pour une heure de synthèse ». Ou plutôt, il faut développer la coopération entre historiens des deux pays pour confronter méthodiquement les documents et les témoignages de tous ceux qui ont vécu cette guerre. Ainsi pourrons nous un jour, peut-être, répondre précisément à la question du rôle de l’opinion publique algérienne dans la guerre d’indépendance de l’Algérie. Pour le moment, notre seule certitude est que la population algérienne musulmane en a souffert plus que toute autre, et que ce fait majeur n’a pu rester sans conséquences.

Guy Pervillé.

Ce texte intégral complète le texte abrégé qui vient d’être publié dans le volume intitulé Aux vents des puissances, s.dir. Jean-Marc Delaunay, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle (8 rue de la Sorbonne, 75005 Paris, courriel : psn@univ-paris3.fr), 409 p., janvier 2009, pp. 141-159. En voici le plan, dont une partie est réservée aux relations entre la France et l’Afrique du Nord.

-  Avant propos de Jean-Marc Delaunay.

-  Partie 1 : Avant 1914, la France dans le monde (articles de François Roth, Murielle Avice-Hanoun, Yves-Henri Nouailhat, Jacques Thobie)

-  Partie 2 : La France et l’Afrique du Nord :

-  Victor Morales-Lezcano, D’Algésiras à Tripoli, 1906-1911. le couronnement italo-espagnol de l’hégémonie coloniale européenne dans le Nord de l’Afrique.

-  Pierre Guillen, le Comité de l’Afrique française et les activités allemandes au Maroc, 1912-1919.

-  Christine Lévisse-Touzé, Importance stratégique et contribution de l’Afrique du Nord à la France, 1914-1945.

-  Michel Catala, La France et l’Espagne face à l’émergence des revendications marocaines sur le Sahara occidental en 1956.

-  Guy Pervillé, Le rôle des opinions publiques dans la guerre d’Algérie : l’opinion publique des Algériens musulmans.

-  Jean-Charles Jauffret, Approche méthodologique du combattant français de la guerre d’Algérie.

-  Partie 3 : Guerres d’hier, guerres de toujours (articles de Hubert Tison, Françoise Bouron, Jean-Marc Delaunay, Jean Delmas, Dimitri Kitzikis, André-Paul Comor, Laurent Barcelo)

-  Partie 4 : La construction de l’Europe (articles de Svetla Moussakova, Elisabeth du Réau, Pierre Mélandri, Chantal Metzger, Claude Carlier, Nicole Piétri, Yves Denéchère, François Géré).

-  Annexes (dont une bio-bibliographie de Jean-Claude Allain).

[1] Charles-Robert Ageron, « L’opinion française à travers les sondages », in La guerre d’Algérie et les Français, colloque s.dir. J. P. Rioux, Fayard, 1990, p. 24, et conclusion du colloque p. 617.

[2] Voir notre analyse des raisons de la décision du général de Gaulle dans Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Éditions Picard, 2002, pp. 184-196.

[3] Mémoire sur l’action psychologique, Oran, 12 mai 1960, SHAT, fonds privé Gambiez, 1 K 540/32, doc. 19, p.1.

[4] Nous suivons l’article pionnier de Charles-Robert Ageron, « L’opinion française face à la guerre d’Algérie », in Revue française d’histoire d’Outre-mer, n°231, 2e trimestre 1976, pp. 256-285, repris dans La guerre d’Algérie et les Français, op. cit., pp. 25-44.,

[5] Il n’y a malheureusement pas eu de sondage sur le problème algérien en novembre 1954, ni dans la première année de la guerre.

[6] Le rappel des disponibles était désapprouvé par 49%, le service militaire en Algérie par 48%, et l’augmentation des impôts par 51%.

[7] Raymond Aron, Mémoires, Julliard, 1983, p. 369.

[8] Ageron, op. cit.

[9] Déclaration des 121 sur le droit à l’insoumission, et de syndicats d’enseignants et d’étudiants pour la négociation d’un côté ; manifeste d’intellectuels français de l’autre. Textes reproduits par Jean-Pierre Vittori, Nous, les appelés d’Algérie, Stock, 1977, pp. 285-300.

[10] « L’audience des clercs des deux camps fut probablement moins forte qu’on ne l’a dit ou écrit par la suite » conclut Jean-François Sirinelli, dans La guerre d’Algérie et les intellectuels français, s. dir. J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Bruxelles, Complexe, 1991, p. 29. De même, les églises chrétiennes, notamment l’Eglise catholique, furent trop divisées pour guider l’évolution de leurs fidèles (cf. André Nozière, Algérie :les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979, La guerre d’Algérie et les chrétiens, Cahiers de l’IHTP, n° 9, octobre 1988, et Etienne Fouilloux, « Chrétiens et juifs comme les autres ? », in La guerre d‘Algérie et les Français, pp. 109-115). Sur « Les juifs et la guerre d’Algérie », voir le dossier d’Archives juives, n° 29/1, 1er semestre 1996, pp. 3-86.

[11] Tableau et carte des résultats reproduits par Alain Peyrefitte, Faut-il partager l’Algérie ?, Plon, 1961, pp. 178 et 179, et dans notre Atlas de la guerre d’Algérie, Autrement, 2003, p. 47.

[12] Cf. le Journal d’une mère de famille pied-noir de Francine Dessaigne, Paris, L’esprit nouveau, 1962, p. 109 (mardi 10 octobre 1961) : « Il s’agit pour nous d’avoir le droit de vivre dans notre pays sans être brimés ou massacrés et d’y veiller nos morts sans que leurs tombeaux soient violés. Nous sommes las des élucubrations et des palabres de tous les bons apôtres qui voient le problème de loin ou qui, étant sur place, ont leur retraite assurée dans des régions plus calmes. N’ayant pas l’étoffe de héros, nous vouons une admiration éperdue et fervente à ceux qui assument la charge dangereuse de combattre pour notre cause. À la pointe extrême de la lutte, ils en récolteront tous les honneurs ou toutes les disgrâces. Ils matérialisent tous nos espoirs, toutes nos raisons de croire que rien n’est perdu et toutes les actions que nous sommes incapables d’accomplir nous-mêmes. Nous tremblons pour eux et vibrons avec eux ».

[13] Vraisemblablement l’abbé Scotto.

[14] Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, 1958-1962, L’Harmattan, 2000, pp. 337-338.

[15] Voir le discours du président du GPRA, Ben Khedda, le 18 mars 1962 (El Moujahid, n°91, 19 mars 1962, réédition de Belgrade, pp. 702-703), suivant lequel le peuple algérien avait triomphé surtout grâce à son « unanimité dans la lutte » : « Les Algériens, tous les Algériens - hommes et femmes, jeunes et vieux, d’Alger à Tamanrasset et de Tebessa à Marnia - se sont dressés dans leur totalité dans la guerre de libération. Ni les tentatives de division, ni la présence de contre-révolutionnaires et de provocateurs dans leurs rangs n’ont pu altérer leur foi et leur unité. »

[16] Notamment les archives militaires françaises, et les nombreux documents pris à l’ALN qu’elles renferment, utilisés par Gilbert Meynier pour sa magistrale Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002, 812 p.

[17] Voir notre communication au colloque La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Paris VII et ISSMM, novembre 2002, intitulée « La guerre d’Algérie revisitée : bilan des ignorances ».

[18] Voir notamment les études de Zahir Ihaddaden, « La propagande du FLN pendant la guerre de libération nationale », de Charles-Robert Ageron, « La guerre psychologique de l’Armée de libération nationale algérienne », et « Un aspect de la guerre d’Algérie : les émissions radiophoniques du FLN et des États arabes », et celle de Daniel Lefeuvre, « Les réactions algériennes à la propagande économique française pendant la guerre d’Algérie », in La guerre d’Algérie et les Algériens, Armand Colin, 1997, pp. 183-259 ; et Gilbert Meynier, op. cit., pp. 213-237.

[19] Voir par exemple le tract de l’armée française intitulé « Et si les portes se fermaient ? ? » illustrant l’analyse de Daniel Lefeuvre dans La guerre d’Algérie et les Algériens, op. cit., p. 244.

[20] Voir la note d’orientation n° 6 du Bureau d’action psychologique de l’état-major interarmées d’Alger, 28 octobre 1956, dans le tome 5, Dictionnaire et documents, de la réédition de La guerre d’Algérie d’Yves Courrière, SGED, 2001, pp. 2304-2308.

[21] Résultats officiels dans Abderrahmane Farès, La cruelle vérité, Plon, 1982, p. 229. Les nombres d’inscrits, de votants, de suffrages exprimés et de « oui » sont beaucoup plus élevés que lors du référendum de septembre 1958.

[22] Graphiques établis par Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, des soldats sacrifiés, L’Harmattan, 1995, p.258, reproduits dans notre Atlas de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 50.

[23] Ibid.

[24] Tableau reproduit par Djamila Amrane, Les femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991, p. 252. L’exactitude de ce recensement est contestée, mais les erreurs par excès et par défaut peuvent se neutraliser.

[25] 180.000 en Algérie, 210.000 en comptant les troupes servant en Europe, selon le général Faivre.

[26] Faivre, op. cit., p. 262. Cf. Charles-Robert Ageron, « Les militaires algériens dans l’armée française de 1954 à 1962 », actes du colloque Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, Autrement, 2003, p.345.

[27] Estimés à 50.000 personnes par le colonel Abdelaziz Méliani, La France honteuse. Le drame des harkis, Perrin, 1993, p. 27, qui parle de « 285.000 FSNA ayant choisi de rester fidèles à la France » avant le cessez-le-feu . Le général Faivre, op. cit., p. 124, mentionne « au moins 250.000 musulmans, un million avec leurs familles », engagés dans la lutte contre le FLN en 1961.

[28] Déclaration au Comité des Affaires algériennes du 3 avril 1962, notes du Secrétaire général du gouvernement Roger Belin, Archives nationales, F 60, SGG, reproduites par Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, L’Harmattan, 2000, p. 317.

[29] L’Histoire, n° 140, janvier 1991, p. 120.

[30] Charles Ailleret, Général du contingent, Algérie 1960-1962, p. 148.

[31] Faivre, op. cit., pp. 132-137, et graphique p. 255, reproduit dans mon Atlas..., p. 50.

[32] Cité par Charles-Robert Ageron, « Les militaires algériens dans l’armée française de 1954 à 1962 », op. cit., pp. 346-347. Les taux donnés en ‰ sont très vraisemblablement les moyennes mensuelles de l’année, et non les moyennes annuelles.

[33] Ibid.

[34] Estimation du général Dulac, SHAT 1 H 1681/1 et 1 H 1562/2, cité par Ageron, op. cit., p. 343.

[35] Voir la courbe des effectifs des diverses catégories de militaires et de supplétifs dans Maurice Faivre, Les combattants..., op. cit., p. 250, et dans notre Atlas..., op. cit., p. 51.

[36] Ageron, op. cit., pp. 344-345 et 352-353.

[37] Ibid., p. 353.

[38] Ibid., pp. 352 et 357.

[39] Ibid., p. 358, note 38.

[40] Neuf morts, parmi lesquels quatre militaires français, trois civils français et deux civils français musulmans.

[41] Selon C-R. Ageron et M. Faivre, voir plus haut note 24.

[42] Jean Daniel, La blessure, Grasset, 1992, p. 129 (20 novembre 1962).

[43] À l’exception des 7 morts civils européens de novembre 1954.

[44] Gilbert Meynier (Histoire intérieure du FLN, op. cit., pp. 288-290) impute 80% des pertes algériennes à l’action des forces de l’ordre, et Jacques Frémeaux (La France et l’Algérie en guerre, Economica, 2002, pp 262-263) seulement 60%.

[45] Charles de Gaulle, Discours et messages, t. 3, Plon, 1970, p. 54. Cette estimation est conforme au bilan militaire officiel des pertes.

[46] De Gaulle, op.cit, p. 137. À partir de cette date, il majore les bilans militaires officiels, comme l’avait déjà fait le Délégué général en Algérie Paul Delouvrier.

[47] Note du 26-12-1959, publiée par Jean-Raymond Tournoux, Jamais dit, Plon, 1971, pp. 207-208.

[48] Entretien du 25 novembre 1960 avec Pierre Laffont, reproduit par Jean-Raymond Tournoux, La tragédie du Général, Plon, 1967, p. 597. De Gaulle a répété la même estimation devant Tournoux le 2 avril 1962 (op. cit., p. 405).

[49] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, t. 1, Le renouveau, Plon, 1970, p. 78. Il cite ses impressions sur le mutisme des foules et les confidences spontanées faites par deux musulmans, dans un village de Kabylie et à Saïda.

[50] Ailleret, op. cit., pp. 15-16

[51] Ibid., p. 48.

[52] Le procès de Raoul Salan, compte-rendu sténographique, Albin Michel, 1962, p. 502.

[53] Note du sous-préfet Robert sur la répression dans l’arrondissement d’Akbou, 1963, reproduite par Ahmed Kaberseli, Le chagrin sans la pitié, Dieppe, Editions du Clin d’œil, 1988, p. 245.

[54] La courbe des « pertes rebelles » par mois est ascendante jusqu’à un maximum de 3.803 morts en avril 1958 (SHAT 1 H 1933/2, reproduit dans notre Atlas, op. cit., p. 54). Par la suite, « les pertes subies par la rébellion diminuent à mesure qu’elle-même est réduite », observe de Gaulle le 4 novembre 1960 (Discours, op. cit., p. 258).

[55] Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Le Seuil, 1962, p. 47 (novembre-décembre 1955).

[56] Ibid., p. 48.

[57] Ibid., p. 47.

[58] Ibid., pp. 91-92 (9 mars 1956).

[59] Ibid., p. 223 (16 avril 1957). Cf. pp. 286-287 (9 décembre 1958).

[60] Ibid., p. 208, (3 mars 1957).

[61] Ibid., p. 203, (18 février 1957).

[62] Ibid., p. 241, (8 août 1957).

[63] Ibid., p. 223 (16 avril 1957).

[64] Ibid., p. 293 (1er mai 1959).

[65] Ibid., p. 236 (10 juin 1957).

[66] Ibid., p. 296 (12 juillet 1959).

[67] Ibid., p. 298 (30 août 1959). Cf. le récit par de Gaulle de sa visite dans un village kabyle, où un vieux secrétaire de mairie lui dit : « Mon général, ne vous y laissez pas prendre. Tout le monde ici veut l’indépendance » (Mémoires d’espoir, op. cit., p. 78).

[68] Feraoun, op. cit., p. 13.

[69] Reproduit dans La guerre d’Algérie, s. dir. Henri Alleg, Temps présents, 1980, t. 3, pp. 516-517.

[70] Voir le récit d’Yves Courrière, fondé sur le témoignage de Lakhdar Ben Tobbal, Le temps des léopards, Fayard, 1969, pp. 177-183. Cf. les mises au point de Charles-Robert Ageron et de Mahfoud Kaddache dans La guerre d’Algérie et les Algériens, Armand Colin, 1997, pp. 27-50 et 52-55.

[71] Plate-forme du Congrès de la Soummam, reproduite par Courrière, op. cit., pp. 575-604, et Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d’Algérie, Éditions France-Empire, 1972, pp. 567-601.

[72] « La caractéristique la plus marquante de la révolution algérienne est l’usage privilégié qu’elle a fait de la terreur », écrit l’ancien officier Philippe Tripier dans son Autopsie de la guerre d’Algérie, p. 85 (chapitre VII : Les méthodes, pp. 81-110).

[73] Comme l’a reconnu Benyoucef Ben Khedda, « La grève des huit jours changea la situation du tout au tout, quarante-huit heures à peine après son déclenchement nous avions perdu l’initiative dans une capitale mise sens dessus-dessous par les furieux débordements de la 10e division parachutiste de Massu ». Cité par Mahfoud Kaddache, « Les tournants de la Guerre de libération au niveau des masses populaires », in La guerre d’Algérie et les Algériens, op. cit., p. 67.

[74] Avec un taux d’inscription de 92%, et 80% de participation, le « oui » obtint 96,5% des suffrages exprimés, 95,5% des votants, et 76,1% des électeurs inscrits (Tripier, op. cit., p. 260). Par la suite, le taux de participation ne fit que diminuer : 64% des inscrits aux législatives de novembre 1958, 61,6% aux municipales d’avril 1959, 57% aux cantonales de mai 1960 et au référendum du 8 janvier 1961.

[75] Feraoun, Journal, op. cit., p. 241 (8 août 1957).

[76] Ibid., p. 244 (14 août 1957).

[77] Ibid., p. 251 (21 octobre 1957).

[78] Ibid., p. 275 (18 mai 1958).

[79] Ibid., p. 279-280 (28 et 29 septembre 1958).

[80] « Algérie : l’heure des responsabilités », Revue générale belge, 15 novembre 1958 ; repris dans Jean Daniel, De Gaulle et l’Algérie, Le Seuil, 1986, pp. 82-83.

[81] Mohammed Harbi, Les Archives de la Révolution algérienne, Editions J.A., 1981, p. 189-193.

[82] Ibid., pp. 194-201.

[83] Feraoun, Journal, op. cit., p. 297.

[84] Ibid.

[85] Tripier, op. cit., p. 420 ; Harbi, Le FLN,mirage et réalité, Editions J.A., 1980, p. 256.

[86] Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité, Editions J.A., 1980, p. 240.

[87] Tripier, op. cit., p. 408.

[88] Tripier, op. cit., « Melun fait choc », pp. 448-457.

[89] Sadek Sellam, « La situation de la wilaya IV au moment de l’affaire Si Salah », in Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie , s.dir. Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Bruxelles, Complexe, 2001, pp.175-192.

[90] Ibid., p. 303.

[91] Mohammed Harbi, Une vie debout, Mémoires politiques, t. 1, 1945-1962, La Découverte, 2001, p. 325.

[92] Grégor Mathias, « La fin d’une rumeur : l’organisation des manifestations de décembre 1960 à Alger par les officiers des SAU d’Alger », in Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, s. dir. Jean-Charles Jauffret, Autrement, 2003, pp. 509-524.

[93] Feraoun, op. cit., pp. 306-315.

[94] Le Délégué général Jean Morin continue pourtant à distinguer quatre tendances parmi les Algériens durant l’été 1961 : Les frontistes, fraction numériquement faible et portée à s’imposer par la violence à la masse flottante de la population ; les musulmans pauvres soumis aux premiers par un mélange de patriotisme, de peur et de prudence, les modérés souhaitant un accord d’ association avec la France, et ceux qui sont engagés depuis longtemps de son côté (Jean Morin, De Gaulle et l’Algérie, mon témoignage, Albin Michel, 1999, pp. 177-178).

[95] Lettre reproduite par Jacques Massu, Le torrent et la digue, Plon, 1972, pp. 395-404.

[96] M. Feraoun, Journal, pp. 303-304.

[97] Tripier, op. cit., pp. 410-411.

[98] Rapporté avec indignation par le site internet Algéria-watch, chronologie, mercredi 2 février 2000 : « Boutelika donne trois interviews à des chaînes de télévision étrangères (LCI, FR 3 et TV libanaise) répercutées par l’ENTV ».

[99] Cité par Gilbert Meynier, « Idéologie et culture politique de la Révolution algérienne dans les Mémoires inédits de Lakhdar Ben Tobbal, in La guerre d’Algérie et les Algériens, op. cit., p. 277.

[100] « Massacres et torture à El Akbia », La Tribune, Alger, 11-12 mai 2001, pp. 12-13. Le Nord Constantinois était la région la plus profondément acquise au FLN selon la carte établie par le Gouvernement général le 21 octobre 1960 (cité par Grégor Mathias, « La SAS de Catinat entre souvenirs d’un officier et écriture de l’histoire », in La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Société française d’histoire d’outre-mer, 2000, p. 556).

[101] Nordine Boulhaïs (petit-fils du neveu de Mostefa Ben Boulaïd), Des harkis berbères, de l’Aurès au Nord de la France, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2002, pp. 78-82,

[102] Archives militaires de Vincennes, SHAT, 1 R 337/3.

[103] En décembre 1960, 51 officiers de SAS donnent leur opinion sur l’état d’esprit de la population qu’ils ont administrée : pro-française (4), attentiste (22), indifférente (6), désorientée (4), méfiante (6), hostile (9), sans opinion (15). Archives nationales, AN AP 180, cité par Michèle Cointet, De Gaulle et l’Algérie française, Perrin, 1995, p. 137.

[104] Sylvain Bartet, « Aspects de la pacification en Grande Kabylie (1955-1962). Les relations entre les Sections administratives spécialisées (SAS) et les populations », Revue française d’histoire d’Outre-mer, 2e trimestre 1998, pp. 3-32.



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