La guerre subversive en Algérie : la théorie et les faits (1975)

dimanche 1er juillet 2007.
 
Cet article a été publié dans le n° 3 de la revue Relations internationales, sous-titré "Subversion et relations internationales", juillet 1975, pp. 171-194.

La guerre d’Algérie a mis en vedette une nouvelle théorie stratégique, consacrée à l’explication d’une nouvelle forme de guerre, la guerre « subversive », ou révolutionnaire [1], et des moyens par lesquels elle peut être mise en échec. Cette théorie fut officiellement enseignée dans les écoles de guerre, nombre d’officiers la considèrent comme « classique ». En son nom, certains d’entre eux ont critiqué l’incohérence de la politique improvisée par le pouvoir civil et se sont parfois révoltés contre lui. En effet la théorie, interprétation a posteriori d’un processus qui avait conduit l’armée française à la défaite en Indochine, s’était révélée dans le nouveau conflit un mode de perception immédiat des réalités, et une méthode permettant de réagir à temps et avec une efficacité garantie si l’action était poursuivie avec cohérence et persévérance jusqu’à la victoire désirée. L’esprit de cette étude est autre : on se demandera seulement quelle est la valeur historique de la théorie, en particulier dans le cas de la guerre d’Algérie. Remarquons d’abord que la théorie, fondée sur l’expérience et vérifiée par elle à l’application, sous peine d’inefficacité, se rapporte bien au monde objectif des faits, celui même dont l’histoire prétend rendre compte. Mais la théorie, guide de l’action, est en même temps justification de cette action, parce que le moral contribue puissamment à la force des armées. La théorie, qui sert un but intéressé : la victoire, est donc nécessairement entachée de subjectivité partisane, à la différence de l’histoire, dont les leçons inutiles viennent toujours trop tard. Mais, si la théorie n’est pas l’histoire, elle peut servir de contribution à l’histoire. A ce titre, elle est comparable aux témoignages et peut légitimement leur être confrontée. Certes la théorie, fondée sur l’expérience de toute une armée, prétend rendre compte globalement de tous les aspects d’un conflit, contrairement aux témoignages, partiels et bornés par nature. Mais qui peut le plus peut le moins. D’ailleurs, les qualités d’observation et de réflexion qui distinguent certains témoignages justifient pleinement leur confrontation avec la théorie.

Le colonel Roger Trinquier est un bon représentant des officiers qui ont élaboré et appliqué la théorie, dont son livre récent, Guerre, Subversion, Révolution, donne l’exposé le plus systématique [2]. Il n’est pas question de discuter ici dans le détail cet ouvrage minutieux. L’analyse portera sur les principes et sur les postulats fondamentaux. L’avant-propos éclaire le caractère de l’auteur, qui accepte sans réserve et en toute conscience le principe de l’action militaire, qu’il trouve dans l’œuvre de Clausewitz : « L’on ne saurait introduire un principe modérateur dans la philosophie de la guerre sans commettre une absurdité. » [3] Cette rigueur implacable confère aux démonstrations une force impressionnante qui dépasse la conviction. Il faut se rendre, ou réagir en cherchant la faille dans le raisonnement. Très différent de ce froid traité est le Journal [4] de l’écrivain Mouloud Feraoun : « N’ai-je pas écrit tout ceci au jour le jour, selon mon état d’âme, mon humeur, selon les circonstances, l’atmosphère créée par l’événement et le retentissement qu’il a pu avoir dans mon cœur ? Et pourquoi ai-je ainsi écrit au fur et à mesure si ce n’est pour témoigner, pour clamer à la face du monde la souffrance et le malheur qui ont rôdé autour de moi ? » [5] Instituteur comme le jeune Trinquier, l’auteur est resté, contrairement à celui-ci, un pur civil, pacifique et ennemi de la violence. Il est aussi Kabyle, donc Algérien, et son opinion sur la guerre d’Algérie est celle d’un Algérien : « En tirerons-nous bénéfice ? Dans ce cas, oui, quel qu’en soit le prix. Tant pis pour moi, c’est-à-dire pour les cas particuliers. » [6] Il parle au nom de ses frères, qu’il connaît bien pour n’avoir pas cessé de vivre parmi eux : « Je ressemble trop à ces gens-là pour avoir besoin de leurs confidences » [7], et c’est pourquoi ils se confient à lui. Nous écouterons avec respect ce témoignage signé du sang de son auteur [8]. Il manquait à cette confrontation le point de vue du FLN. Les principes de son action constituent une autre théorie, qui ne semble pas avoir été systématisée à l’exemple des traités et manuels chinois et vietnamiens. Nous citerons les textes fondamentaux du FLN et d’autres documents de même origine. Le Journal de marche [9] du commissaire politique Abdelhamid Benzine servira de vérification par l’expérience. L’auteur est un dirigeant communiste, mais il a été d’abord un militant nationaliste de la génération de 1945. Son témoignage présente l’avantage d’avoir été écrit au maquis en 1956 et conservé sur place dans une cache jusqu’à la paix.

La théorie est simple et logique. Depuis l’origine des sociétés, la convoitise du bien d’autrui a causé les guerres comme les révolutions. Depuis 1945, le fait atomique a bouleversé la condition même de la guerre. La seule forme d’agression capable d’atteindre son but, « s’emparer d’un territoire, soumettre des populations et disposer de leurs richesses » [10] est désormais la Subversion. La guerre subversive ou révolutionnaire [11] vise directement la conquête du pouvoir, la soumission de la population. « La Subversion agit par des moyens appropriés sur les esprits et sur les volontés pour les amener à agir contre toute logique, contre toute règle, contre toute loi ; elle les conditionne pour en disposer à son gré. Elle est l’arme idéale pour manipuler des populations, s’imposer à elles, s’emparer du Pouvoir et le conserver. » [12] Fomentée par une puissance étrangère, la guerre subversive prendra l’aspect d’une guerre civile pure de toute intervention extérieure. « Le rôle de la subversion sera de préparer l’affrontement des divers éléments d’une même population et de les amener par étapes à entrer en lutte ouverte contre le Pouvoir. » Par tous les ressorts de la propagande, elle attisera les mécontentements, et tentera le noyautage de la nation et de l’État. « La prise du pouvoir par des moyens pacifiques reste l’idéal visé par la Subversion ; elle est l’aboutissement logique d’une action psychologique bien conduite. » [13] Si le processus du « Coup de Prague » ne peut être mené à bon terme, l’action directe, préparée par l’action psychologique, sera entreprise. Elle sera conduite par un état-major installé à l’étranger, avec l’appui moral et matériel de l’étranger. « Les cadres supérieurs responsables de la mise en place des organisations subversives puis de la conduite de la guerre révolutionnaire seront généralement des étrangers ayant la nationalité de l’agresseur et à ses ordres directs. Mais les cadres moyens et subalternes, ceux qui feront effectivement la guerre, destinés à entrer directement en contact avec les populations, devront être recrutés dans le pays même à conquérir. » [14] L’arme essentielle de cette conquête est le terrorisme. « Le terrorisme frappera l’appareil de l’État à la base. Fragile et pratiquement sans défense, il sera facile de le désorganiser et de le détruire. Le terrorisme ne frappera pas en aveugle, il sera sélectif. » [15] Après des attentats visant à affoler l’opinion, « il cherchera systématiquement à paralyser la vie d’une région. Les petits cadres, tous les individus en mesure de faciliter l’exercice du Pouvoir seront supprimés ou neutralisés ». « Les habitants, dans la rue, à leur travail, chez eux, dans les transports en commun, partout et en tout temps devront craindre pour leur vie et avoir le sentiment que le Pouvoir n’est plus en mesure d’assurer leur protection. » Ainsi la population « sera obligée de se soumettre à la volonté des terroristes, seuls capables de la ménager » [16]. Elle se laissera embrigader dans la guerre contre le Pouvoir. Mais cette adhésion acquise par la terreur ne sera jamais définitive. La maintenir à tout prix sera encore la tâche du terrorisme. Et l’auteur de citer les archives d’un tribunal militaire du FLN, saisies en décembre 1958, prouvant que du 1er novembre 1954 au 17 avril 1957, plus de 2.000 personnes auraient été condamnées à mort et exécutées dans le seul canton de Michelet (arrondissement de Fort National) [17].

C’est justement sur la région de Fort National que porte surtout le témoignage de Mouloud Feraoun. Ce pays kabyle fut très tôt pénétré par la propagande nationaliste, en particulier par celle de l’organisation extrémiste fondée parmi les ouvriers en majorité kabyles qui travaillaient en France : l’Étoile Nord-Africaine, devenue PPA, puis MTLD, au sein de laquelle se forma le CRUA, groupe initiateur de l’insurrection. En dépit de cette préparation psychologique, le passage à l’action directe ne fut pas immédiatement pris au sérieux : « Donc nous étions tranquilles et nous nous moquions un peu des fellagha... » [18] « Mais ces événements, nous ne les vivions pas. L’Aurès est loin de chez nous. » [19] Pourtant la rébellion persistait. « De temps à autre, les journaux, la radio apportaient des relations d’attentats isolés : assassinats de gardes champêtres plus ou moins indicateurs, un garde forestier, un cafetier maure : cela se passait dans les régions voisines qui nous apparaissaient lointaines et n’arrivait pas à nous troubler. On se disait tout de même : - Eh bien, les fellagha ont de la suite dans les idées : ils savent ce qu’ils veulent ces gens-là. » [20] Il fallut l’arrivée d’une division mécanisée en juin 1955 pour convaincre l’auteur que « nous allions vivre des temps nouveaux ». Mais encore « nous nous persuadions que rien n’était changé et ne changerait jamais. Nous acceptions de nous tromper nous-mêmes. Cela dura ainsi jusqu’au mois d’août. Le changement brutal date du mois d’août » [21]. Or ce changement est dû à un acte de terrorisme spectaculaire, l’assassinat du maire de Fort National, M. Frapolli, aimé et respecté de tous. Ce fut la rupture entre Français et Kabyles. « Je partageais la honte de mes compatriotes qu’on devait peut être considérer comme collectivement responsables de ce crime » [22]. Mais le terrorisme frappe surtout les Kabyles : « Tel chauffeur de taxi abattu, père de six enfants, tel boulanger en pleine ville, mitraillé, tel garde champêtre qui avait pourtant démissionné... La peau du Kabyle ne vaut pas cher aux yeux du terroriste. Les suspects tombent au détour des chemins, à la descente des cars, à l’intérieur des cars, dans les villages, les marchés, les villes. Ils tombent partout... En attendant qu’il donne la puissance aux fellagha, Dieu donne surtout la peur à tous les autres. » [23] La théorie est bien vérifiée.

Mais la vérification n’est si nette que parce que d’autres aspects du témoignage ont été négligés. Les forces de l’ordre réagissent au terrorisme par la répression. Des « suspects » sont frappés. « Dans ce cas particulier, dans des dizaines de cas, le crime ne demeure pas impuni, mais celui qui a tué est insaisissable et on punit au hasard de la guigne [24]... (aventure) lamentable mais banale parce qu’enfin, nous le sentions bien, l’ère de la tranquillité est révolue chez nous ; de nouveau tout le monde est suspect : il faut baisser l’échine pour recevoir les coups. » [25] La crainte du gendarme et du soldat s’insinue partout. « Lorsque les forces de répression, dites forces de l’ordre, abattent un Kabyle, c’est , toujours « un rebelle », « les armes à la main », comme si un rebelle pouvait se rencontrer sans armes à la main. La chose est peut-être possible, après tout. Il existe donc des rebelles ayant les armes à la main et d’autres n’ayant rien. Mais je crains fort que la seconde catégorie soit la plus importante et qu’en fait elle comprenne toute la population kabyle. » « Ainsi le soldat se croit désormais en pays ennemi. Il n’attend qu’un ordre pour tirer indifféremment sur n’importe qui. Il est mûr pour le ratissage, la terre brûlée, la guerre totale. » [26] « J’apprends qu’à Ighil Imoula il y a eu un horrible ratissage. Des hommes fusillés, des gourbis incendiés, des femmes violées. Le règne de la brutalité et de la sauvagerie remplace le règne de la soumission, de l’hypocrisie, du mépris à peine voilé et de la haine rentrée. Désormais dans ces multitudes de villages où les gens sont frustes les positions sont franches et nettes : le Français est l’ennemi qui ne saurait vous ménager. Il faut ruser avec lui et à l’occasion rendre coup pour coup. Là c’est vraiment fini. Il n’y a plus de place qu’à la force. » [27]

La répression n’est que la cause occasionnelle de la rupture avec le Français. Elle ravive les souvenirs de la conquête et d’une injustice séculaire. « Les gens de chez moi que j’ai pu rencontrer à Paris ou dans le Nord ont tous conscience de l’immense injustice dont ils souffrent. Ce sont des victimes qui n’ignorent plus leur état, mais qui en connaissent également la cause et les responsables. Ce Français chez qui ils viennent travailler, gagner leur pain, c’est lui l’ennemi, c’est lui la cause de leur malheur. Désormais un infranchissable fossé nous sépare, ce ne sont plus des maîtres, des modèles ou des égaux, les Français sont des ennemis. Ils l’ont toujours été d’ailleurs... » [28] « Le temps est lointain, sans doute, où nos aïeux ont lutté contre l’envahisseur et tenté vainement de lui résister : ils ont été battus et se sont soumis. L’envahisseur s’est installé en maître et nos aïeux sont devenus ses sujets. Puis la maîtrise de même que la servitude se sont transmises ainsi de père en fils. Et voilà que maintenant tout est remis en question. Que s’est-il passé depuis un siècle ? Quels rapports avons nous entretenus avec les maîtres ? La vérité c’est qu’il n’y a jamais eu mariage. Non. Les Français sont restés à l’écart. Dédaigneusement à l’écart. Les Français sont restés étrangers. Ils croyaient que l’Algérie c’était eux. Maintenant que nous nous estimons assez forts ou que nous les croyons un peu faibles, nous leur disons : non messieurs, l’Algérie c’est nous. Vous êtes étrangers sur notre terre. Ce qu’il eût fallu pour s’aimer ? Se connaître d’abord, or nous ne nous connaissons pas... Un siècle durant on s’est coudoyé sans curiosité, il ne reste qu’à récolter cette indifférence réfléchie qui est le contraire de l’amour... » « Si l’on parvient à étouffer la révolution probablement que toutes les promesses, tous les projets, toutes les bonnes intentions seront étouffés avec elle. Alors, les positions apparaissent bien nettes : la lutte s’est engagée entre deux peuples différents, entre le maître et le serviteur. » [29] Ainsi la rébellion est assumée par la population. « Le maquis, quelle que soit sa politique, sa conception, sa ligne de conduite, sa philosophie, eh bien, tout cela n’importe pas, le maquis a conquis les cœurs du moment qu’il lutte contre l’oppresseur. Et tel apparaît le Français... » « Les rebelles rassurent les montagnards qui peu à peu entrent en contact avec eux et découvrent avec une joie enfantine qu’un impossible rêve est en train de se réaliser. » [30] Ils prennent leurs quartiers d’hiver dans les villages. « Ils bénéficient de la discrétion efficace de toute la population, on ne les craint pas, on les aime, on les couve. » [31] « Les Kabyles se sont trouvés tout de suite entre eux, le Français, le maître, était loin ; le pays était à ses enfants et ses enfants ont tout de suite compris que le moment de s’unir était arrivé » [32]... « Les hors-la-loi sont des nôtres. Ils se comportent en Kabyles et ont soin de ne pas nous blesser. N’importe qui se sentirait à l’aise dans le maquis. A l’aise parce qu’il sait qu’il s’y trouverait avec des frères. Il y a un impératif désiré par tous, un idéal à atteindre, être libre. Et eux ils l’ont déjà atteint, cet idéal, dans le maquis. » [33] « Le maquis semble solidement organisé au point qu’il a gagné la confiance et l’estime des populations kabyles. Il devient le dépositaire de toutes nos illusions, de nos espoirs insensés, le redresseur des torts que nous subissons depuis un siècle, celui qui doit venger nos rancunes particulières et nos humiliations collectives. » [34] Ce conte de Robin des bois contredit nettement la théorie résumée plus haut.

Pourtant, le témoin reste lucide. « Il est juste cependant de dire que la violence même du terrorisme a fait sortir pas mal d’entre nous de notre quiétude et de notre paresse à réfléchir. Chacun a été obligé de se pencher sur le problème, de faire son examen de conscience, de trembler pour sa peau parce que la peau du Kabyle ne vaut pas cher aux yeux du terroriste... A partir de ce moment les mots d’ordre sont accueillis comme autant de décrets. » [35] « Les Français comprennent que nous ayons peur et nous excusent d’obéir aux mots d’ordre. » Mais les intéressés rejettent cette interprétation : ils assument leur peur. « Il est clair que tout le monde participe de cœur au combat, que la peur raisonnée cesse d’être la peur pour devenir obéissance et qu’à partir du moment où il est nécessaire d’obéir il est nécessaire aussi d’adhérer [36]. Alors tout le monde adhère, cherche pourquoi il adhère, découvre le mal qu’il connaît et qu’il se refusait à voir. La pensée fait des pas de géants. Enfin on se sent homme, on est à l’aise, on se sent libre ou en train de s’affranchir. » [37] Ainsi la peur libère... Paradoxe apparent. Il faut comprendre de quoi l’on a peur : moins de la mort que du déshonneur. « Personne ne condamne les exécuteurs, hormis les parents et les enfants qui pleurent le mort et tremblent pour eux-mêmes... » [38] « Mon collègue B... me raconte comment son cousin a été enlevé et abattu. C’était dit-on un indicateur. B... est affligé d’avoir perdu son cousin, mais il ne semble pas le considérer comme une victime innocente. » [39] « Un tel a été abattu ? Attention, je suis sûr qu’il avait reçu des lettres de menace. C’était un indicateur. Non, les hommes du maquis savent ce qu’ils font... » [40] Et leurs victimes ont toujours tort. En somme, le choix n’est pas entre la vie et la mort, mais entre la mort glorieuse et la mort honteuse. Ce choix, Mouloud Feraoun l’a expliqué dans son roman inachevé, l’Anniversaire : « Tu y crois, toi, à cette indépendance ? - Bien sûr que j’y crois. - Tant mieux, tant mieux. Tu es donc prêt à crever pour elle. Crève, la tête haute, frère algérien. Toi, paraît-il, tu n’y crois pas, traître ? - Hélas ! Non, je n’y crois pas. - Crève donc, traître algérien, la tête tranchée ou presque... Alors bien entendu, tu as préféré y croire, toi, afin le cas échéant de ne crever que la tête haute. » [41] L’attitude de la population envers la pacification est incompréhensible si l’on ignore ce parti pris délibéré.

L’offensive de la Subversion pourra être tenue en échec, à chaque phase de son plan de campagne, par des réactions appropriées. L’action défensive visera à protéger, à contrôler et à engager la population contre la Subversion. La collecte de renseignements « par tous les moyens » est nécessaire pour frapper avec efficacité la seule Subversion, en épargnant la population. La théorie postule en effet que la Subversion est un corps étranger implanté de force dans la population, et qu’il faut extirper pour la libérer. Celle-ci ne peut manquer de ressentir la pesanteur du joug auquel elle est soumise, ni de se rallier volontiers à l’autorité légitime pourvu qu’elle se sente suffisamment protégée par elle. C’est pourquoi la Subversion peut toujours être vaincue. « La victoire ne dépend pas uniquement des moyens matériels mis en œuvre. Un État moderne dispose de ressources largement suffisantes pour affronter les armes de la Subversion et la vaincre. Les échecs de ces dernières années sont dus avant tout à un manque de volonté chez les gouvernements et à l’absence de méthode chez les militaires. » [42]

En effet, la conduite des maquisards est décevante. « Leur prestige est en train de s’effriter, précisément parce qu’ils veulent en avoir trop. Ne m’a-t-on pas dit que chez nous ils se conduisent maintenant en maîtres ? L’enthousiasme naïf des premiers jours fait place au découragement, à la stupeur, à l’épouvante. D’ores et déjà les gens de chez nous n’aspirent plus qu’à la paix, quelle que soit l’issue d’un combat qui cesse de les intéresser » [43]. « Il n’est pas possible de pardonner leurs erreurs aux maquisards, ni leurs injustices » [44]... « En attendant, dans les villages, les gens commencent à s’en lasser. On leur demande de l’argent, ils ne savent d’où le tirer, ils sont tenus d’héberger les maquisards et de leur servir bonne chère, il faut qu’ils rompent tout contact avec les Français et qu’ils se débrouillent tout de même à ne manquer de rien. Il faut qu’ils se mettent tous hors-la-loi et qu’ils n’obéissent plus - mais aveuglément - qu’aux hors-la-loi. Les responsables des villages suscitent la crainte et l’admiration. Ils sont bien habillés, gros et gras et arrogants. Ils sont déjà installés au pouvoir. Ils sont désormais indépendants. Mais restent tous les autres qui crèvent de faim, de terreur et de haine rentrée. Un jour ça ira mal pour les indépendants » [45]... « Les autres musulmans sont tout simplement malheureux et voudraient que cela se termine, que la paix revienne, que l’on se remette à vivre même si rien ne devait plus jamais changer. Qu’avons-nous gagné à nous soulever ? Il ne faudrait pas trop les pousser pour en faire des vaincus prêts à toutes les platitudes, à tous les reniements. Si tel est le but de la pacification, il n’est pas loin d’être atteint » [46]. Et ce qui devait arriver arriva : « Mon village vient de se rallier. Il est entouré de barbelés et des postes de garde veillent aux carrefours. Ma mère m’écrit : « Voici que nous sommes ralliés à la France. Le village est entouré d’une clôture de fil de fer et nous sommes tranquilles. Nous sommes libérés. Il nous a fait une fête, il est venu le général, il a donné des fusils pour les hommes de chez nous. Ils vont faire ici une école pour les filles et les garçons. Nous sommes tranquilles... » [47]

Et pourtant, quand peu après De Gaulle visite Tizi Hibel, Mouloud Feraoun écrit : « Tout ce qu’on a montré à De Gaulle, ça va peut-être l’induire en erreur. Verra-t-il que les soldats ou officiers pacificateurs perdent leur temps à prétendre « reconquérir les cœurs ? » On ne reconquiert ni par le mensonge, ni par la contrainte, ni par la ruse » [48]. Vaine crainte, les Mémoires d’espoir en témoignent : « Dans un village kabyle que l’on me faisait visiter et dont manifestement on s’efforçait qu’il soit un modèle, mon entrée à la maison commune était saluée de vivats, la municipalité se confondait en hommages, les enfants de l’école entonnaient la Marseillaise. Mais, au moment où j’allais partir, le secrétaire de mairie musulman m’arrêtait, courbé et tremblant, pour murmurer : « Mon général, ne vous y laissez pas prendre ! Tout le monde ici veut l’indépendance » [49]. Inexplicablement, le parti pris initial a subsisté, survivant aux illusions sur les libérateurs. Les exemples en sont nombreux. La population est comme un « sac de sable » entre les deux camps affrontés. « D’ailleurs le sac est conscient des coups qu’il reçoit et j’ai l’impression qu’il accepte de bonne grâce ceux qui lui viennent d’un côté. Ceux qui meurent en traîtres ne sont pas regrettés et personne ne veut subir leur sort. Non par lâcheté mais parce que tout le monde est bel et bien patriote, profondément patriote, et que le divorce avec le Français est absolument conscient... » [50] « Nous avions obéi au mot d’ordre des patriotes. Il nous restait donc à obéir au mot d’ordre des soldats. Le jeu était correct : il faut faire plaisir aux deux partis quoique, en toute franchise, permets-moi de t’avouer que si nous étions heureux de faire plaisir aux maquisards, nous n’exécutons les ordres des soldats que par crainte d’être fusillés. » [51] Pourquoi le parti pris persiste-t-il ?

« Le moral de la population en prendrait un sacré coup si les maquisards de passage ne venaient le remonter soigneusement en entretenant l’espoir et en redoublant de rigueur. Si, aussi, les Français ne se montraient pas plus cruels, plus sournois, plus dangereux que les fellagha. De sorte que, quoi qu’ils fassent, ce sont toujours ces derniers qui inspirent confiance et gagnent les cœurs. Quoi qu’ils fassent, ils restent les soldats qui combattent l’ennemi, des soldats voués à une mort certaine parce qu’ils défendent le pays » [52]. Défendre le pays contre qui ? « Des gens raffinés qui prétendent donner au monde des leçons de morale fusillent sans sourciller des dizaines d’innocents. Des gens délicats et scrupuleux assassinent froidement leurs semblables. Des hommes civilisés jouissant de tous les bonheurs, de toutes les facilités de la vie, massacrent et violent un peuple misérable sur lequel semble peser depuis des siècles une inexplicable malédiction. Des hommes qui ont tout viennent détruire des hommes qui n’ont rien » [53] ... « L’abîme ! Comment ne se creuserait-il pas lorsqu’on sait ce qui se passe dans les locaux à torture, à la PRG, derrière le portail de la prison, à la gendarmerie, à la caserne, partout où il y a l’autorité civile ou militaire. Que ce que nous avons tous en nous d’instinct bestial, d’imagination féroce, s’exerce pour inventer des moyens de meurtrir, nous ne pouvons outrepasser la triste réalité » [54]... « Actuellement l’état d’esprit des gendarmes et des soldats a évolué sensiblement. Leur colère atteint le paroxysme. J’apprends qu’on fusille un peu partout, qu’on se considère comme en pays ennemi et qu’une justice expéditive est désormais la seule efficace. Que vaut la vie d’un musulman ? Pour le moment elle vaut bien la rafale de mitraillette mais il n’est pas sûr que le cours n’en sera pas diminué » [55]... « Je viens d’apprendre la mort de mon ami Madène. Il a été arrêté, emmené à Beni Douala où après interrogatoire il aurait été exécuté d’une façon atroce : il aurait sauté sur une mine. Nekili m’a dit que son corps a été ramené au village dans un sac, déchiqueté, les membres détachés ainsi que la tête » [56]... « Si le fait d’avoir aidé les rebelles est un acte criminel qui mérite la mort, si c’est une loi de la guerre, il n’y a rien à dire contre. Sauf que dans ce cas il faudrait alors ramasser tous les Kabyles et les passer par les armes. » [57] ... « Le capitaine veut absolument que le village se rallie. Il a dû constater que la meilleure méthode pour cela était de faire violer les femmes par les soldats. » [58] ... « Et lorsque ce sera terminé, il ne restera plus qu’à fraterniser de nouveau après avoir réintégré le giron de la douce marâtre-patrie. Il y en a qui l’espèrent. » [59]... « Puis-je en toute sincérité souhaiter que l’avenir donne raison à J. Soustelle ? Pas possible, après toutes les souffrances qu’endure le peuple algérien. Je serais digne de la corde si je le souhaitais. » [60] ... « Cette idée d’indépendance est devenue pour tous la seule raison de vivre. Nous avons peut-être tort d’avoir laissé s’incruster en nous cette idée folle mais il n’est plus question de l’en arracher : le cœur où elle a pris racine viendrait avec. » [61]

Mais la colère des forces de l’ordre n’est-elle pas aussi explicable par ce parti pris hostile ? « Ils nous prennent tous pour des ennemis, et ils ont raison d’ailleurs, car personne ne cherche à se rapprocher d’eux » [62]. Surtout, la soumission volontaire aux ordres des rebelles indigne ceux qui y voient une preuve de lâcheté : « Je trouve plaisants les gens qui, regimbent contre notre discipline et suivent ponctuellement celle du F.L.N. Il faut savoir ce que l’on veut. C’est fini, nous n’acceptons plus la passivité. Il faut que vous résistiez aux rebelles de gré ou de force. J’aimais les Kabyles. Eh bien voilà sept mois que je vis parmi eux. Il n’y a pas plus lâche sur la terre. Dans ces conditions, savez-vous ce que je fais ? Je donne des coups de pied au cul. Et je me permets de vous assurer que nous resterons en Kabylie, au besoin sans les Kabyles. » [63] ... « L’heure de la transigeance est passée, parce que de notre côté nous serons intransigeants et frapperons dur. Libre à vous de vous déclarer nos ennemis. C’est franc : partez, vous n’aurez plus rien de nous que nos balles. Sinon, soyez avec nous. » [64] ... « C’est clair, net et précis : il faut être français ou mourir. » [65] .., « Quand j’ai voulu connaître l’identité de ce monsieur, j’ai appris avec stupeur que je venais d’avoir affaire à M. A..., administrateur des Ouadhias, celui qui a ordonné les dizaines d’exécutions, les viols, les tortures dans ce malheureux douar. Alors j’ai compris que ses menaces n’étaient peut-être pas si vaines. » [66] L’affaire des Ouadhias : triste manifestation de la contradiction qui mine la politique dite de « pacification ». « Il est évident que tout le monde pourrait comprendre la colère, la rage qui s’empara du camp militaire lorsqu’on apprit que le lieutenant Jacote était mort et sa femme blessée. La riposte a été brutale, aveugle, sauvage. On comprend tout cela. On ne comprend pas que cela s’appelle pacification. C’est peut-être pour lever l’équivoque que les maquisards s’attaquent aux pacifiques officiers des S.A.S... On voudrait pouvoir demander à Guy Mollet si les Français qui se sont livrés à de tels agissements chez les Kabyles, continuent à considérer ces derniers comme des compatriotes ou si les Kabyles après avoir subi de tels affronts accepteront de demeurer des sujets ou même des citoyens français. » [67] La théorie postule que la population doit être pacifiée, protégée, que seule la Subversion doit être frappée par toutes les rigueurs de la guerre. Cette distinction ne peut-être respectée que si la population l’admet, sinon elle demeure une vue de l’esprit. La population kabyle refusant de se désolidariser des rebelles, elle a choisi de partager leur sort. « Les Français nous disent : « Nous vous faisons beaucoup de mal. Allons, optez pour le bien, mes enfants » ... et nous leur répliquons : « Ce serait à voir en effet. Donnez toujours, chers bourreaux de notre cœur. » [68] Les Kabyles ont le tort d’ignorer la théorie qui prétend voir en eux des Français. Leur trépas supprime les exceptions à la règle, qui est sauve. Mais leur acceptation de la souffrance est une forme de courage ignorée de ceux qui les méprisent.

C’est pourquoi l’indépendance qui s’annonce dès 1960 est ressentie comme la « victoire ». Surtout la victoire du fellagha, mais aussi « celle de la population qui a accepté la souffrance », modeste contribution au combat. « Il faudrait que nos enfants sachent à quel point leurs aînés ont souffert, à quel prix ils héritent d’un nom, d’une dignité, du droit de s’appeler Algériens sans courber la tête. » On peut ne pas être convaincu. Pourquoi l’auteur affirme-t-il alternativement que la population veut la paix à tout prix, et qu’elle s’accroche à l’espoir d’indépendance ? Pourquoi souhaite-t-il une indépendance confondue avec la victoire de la rébellion dont il juge le comportement aussi sévèrement que celui des forces de répression ? La réponse est simple : le parti pris de Mouloud Feraoun et des siens s’appelle patriotisme : « Vienne à s’instaurer n’importe quel régime, il sera le bienvenu pourvu qu’il émane des Algériens eux-mêmes. » [69] Le schéma classique est inversé : les forces « subversives » défendent le pays, les forces de l’ordre sont une armée d’occupation étrangère. Illusion créée par l’action psychologique de la Subversion [70] ? Mais comment expliquer l’adhésion de la population à une propagande orale qui ne peut se faire sans sa participation active ? Adhésion a priori, avant que les libérateurs soient vraiment connus, adhésion persistante après les désillusions. La théorie semble donc infirmée. Pourtant, elle a réponse à tout : « Dans chaque pays, dans chaque race, la Subversion trouvera ou suscitera au besoin un motif, une raison. Ce sont ces intérêts, ces sentiments, ces idéaux que la Subversion devra découvrir - ou susciter - et exploiter. Dans une nation soumise à une puissance étrangère, au sein d’une race minoritaire ou opprimée, la Subversion n’aura aucune difficulté pour recruter... » [71]

La doctrine du FLN est claire. La proclamation du 1er novembre 1954 est adressée en premier lieu au « Peuple algérien », qui est appelé à juger l’action des insurgés « d’une façon générale ». « Le Front de Libération nationale est ton front, sa victoire est la tienne. » « Sûrs de tes sentiments anti-impérialistes, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la Patrie. » En fait, ce point n’est pas aussi sûr, puisque le texte affirme successivement que « le peuple est uni derrière le mot d’ordre d’indépendance » et que « notre mouvement national [est] privé du soutien indispensable de l’opinion populaire ». Ce qui est bien sûr est que « sans l’adhésion du peuple notre Révolution n’est qu’une chimère » [72]. La « plate-forme » du Congrès de la Soummam constate que l’action de l’ALN « a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur, de sa peur, de son scepticisme ». El Moudjahid, organe central du F.L.N. porte en sous-titre la devise : « La Révolution, par le peuple et pour le peuple ». Dans la région de Tlemcen, où il est commissaire politique, Abdelhamid Benzine constate quotidiennement la popularité de la Révolution. « Je termine ma tournée dans une région qui a peu vu les soldats de l’ALN. Il faut voir comment la population nous reçoit. L’autre nuit, un très vieux paysan rentre dans le gourbi où nous étions réunis. Il nous embrasse tout en larmes et dit : « Je peux mourir maintenant que j’ai vu les moudjahidines. » De vieilles mères, des malades, des enfants, tout le monde veut voir « ethaoura » [73]. Les femmes apportent leurs bijoux « pour nos djounoud ». Les jeunes demandent leur enrôlement dans l’ALN et sont déçus quand nous leur disons d’attendre qu’arrivent les armes. Tous mettent un soin religieux à nous recevoir, nous réservant pour le couchage leurs meilleures couvertures, et pour le manger leur meilleure nourriture. » [74] Nous nous efforçons d’être le plus démocratiques possible. La justice, par exemple, nous la rendons chaque fois qu’il est possible avec l’aide de la djemaa, c’est-à-dire, l’assemblée des responsables les plus actifs, les plus dévoués, les mieux respectés du village » [75] ... « Ce sont des questions où il ne faut pas se tromper car elles peuvent inspirer une plus grande confiance en notre Révolution ou faire douter d’elle. Ces jugements, nos paysans les interprètent comme ceux de la Révolution infaillible pour laquelle ils sacrifient tout » [76] ... « Tout le peuple est dans les rangs et se bat. Nous sommes tous « fellagha. » [77] D’où l’échec de la « pacification » : « Les soldats ne vous feront rien à condition que vous les aidiez à chasser les fellaga. S’ils viennent ici, vous êtes responsables et nous vous tuerons. » Ah ! Ces idiots de colonialistes qui ne comprennent jamais rien ! Dans cette même mechta où les autorités colonialistes tenaient ce langage, pas un seul habitant ne peut prétendre avoir échappé à la répression. On leur offrirait le ciel qu’ils ne l’accepteraient pas maintenant de ces hommes. » [78]

Et pourtant la théorie affirme que les forces de l’ordre défendent la population contre l’agression de la Subversion. Elle en donnerait pour preuve un document saisi sur le cadavre de Zirout Youcef [79]. « Mener la guerre sur deux fronts : a) contre l’autorité de la France en réclamant l’indépendance au nom du peuple algérien, b) contre le peuple algérien pour s’imposer à lui comme son représentant. Assurer l’empire FLN sur une population réservée, voire même franchement hostile. Obtenir d’autre part au moyen d’une sorte de caution internationale, la qualité d’interlocuteur en prévision d’éventuelles discussions. » [80] Si ce document est authentique, et reproduit textuellement ( ?), on ne peut que s’étonner du cynisme et de l’imprudence d’un texte qui contredit formellement la doctrine du FLN et pourrait troubler les militants sincères. Comment le Front pourrait-il s’avouer l’ennemi commun de toutes les populations habitant l’Algérie ? Seule la théorie de l’agression étrangère pourrait en effet expliquer cette invraisemblance. La doctrine du FLN est nette : la Révolution ne peut traiter le peuple en ennemi sans se priver de sa légitimité. Il est donc faux que « les habitants, partout et en tout temps, devront craindre pour leur vie et avoir le sentiment que le Pouvoir n’est plus en mesure d’assurer leur protection [81]. En Algérie, le terrorisme aveugle n’a visé en principe que la population française, jugée étrangère et ennemie, non le peuple algérien (musulman). En simplifiant, l’on peut dire que la Révolution algérienne, qui espérait vaincre en provoquant une négociation, a vu cette issue bloquée par l’opposition résolue de la masse des Français d’Algérie qui réclamaient au contraire une répression sans faiblesse. Cet obstacle ne pouvait être renversé que par la force des bombes. Du moins ne prétendait-elle pas libérer cette population qu’elle traitait en ennemie : « Il serait impardonnable de nourrir l’illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale. » Le Congrès de la Soummam espérait seulement neutraliser une fraction importante de la population européenne. Dès le 1er novembre 1954, les Français d’Algérie furent invités à choisir entre le statut d’étranger et la nationalité algérienne, avec ses droits et ses devoirs. Les musulmans, eux, n’ont pas le choix : ils sont par naissance algériens, ou traîtres. On ne peut confondre le sort des deux populations. Les Français disent : « Pour ce qui est du risque, reconnaissez-le, nous sommes plus exposés que vous. Car le jour où les fellagha auront décidé de nous exterminer, nous y passerons tous, tandis que vous, il n’y a que les indicateurs qu’on égorge. » Mouloud Feraoun répond : « Vous avez peut-être raison. En principe seulement. Voyez, jusqu’ici on ne vous a tué que le maire. Mais nous, on nous en tue tous les jours. Je ne parle pas de ce qui se passe ici. Dix Kabyles, un Français. Voilà le bilan. » Il est nettement plus grave, et plus risqué, d’être un traître que d’être un ennemi. On a le droit d’être un ennemi : les risques sont ceux de la guerre. On n’a pas le droit d’être traître, sous peine d’un juste châtiment. La morale outragée renforce la nécessité militaire pour l’exiger. Inversement, chaque Algérien doit être persuadé que les patriotes ne lui feront aucun mal s’il agit lui aussi en patriote, les traîtres seuls étant visés. Cette distinction est fondamentale [82]. Mais son importance ne semble pas avoir été suffisamment comprise.

Le châtiment des traîtres est une nécessité qui s’impose à tous les mouvements en lutte clandestine ou en rébellion ouverte contre le pouvoir établi, qu’ils s’appellent Résistance, Révolution, ou même Réaction. Au sens strict, c’est une arme défensive, nécessaire pour égarer les coups de la répression en la privant de renseignement ; sans cette arme, le mouvement du 1er novembre n’aurait pu se prolonger. Au sens large, menace suspendue sur les hésitants, c’est une arme offensive. On a vu ses effets au début de la guerre d’Espagne, quand les rebelles fusillaient pour « disaffeccion al movimiento salvador », et aussi en Algérie. La proclamation ALN du 1er novembre assimile l’indifférence à la trahison : « Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l’action est une trahison. » Ainsi la rébellion se dote d’un instrument aux possibilités illimitées. Par une proclamation de loi martiale, l’ALN se donne tous les pouvoirs répressifs. Le châtiment des traîtres est le moyen d’imposer une nouvelle définition des valeurs. Il y a eu crime, puisqu’il y a châtiment. Toute exécution est précédée d’un avertissement et accompagnée d’une notification écrite du jugement, pour que nul n’y voie un meurtre injustifié. La violence du terrorisme est toujours subordonnée à l’intention politique, à l’effet de propagande qui vise moins à provoquer la peur que la persuasion. Il faut faire admettre au peuple que le comportement de soumission à l’autorité coloniale, banalisé par un siècle d’habitude, est désormais criminel, que la seule loi légitime est celle des « hors-la-loi » : « On est obligé cependant de constater que les fellagha se moquent tranquillement de la légalité française et que les Français de leur côté les appellent des hors-la-loi. Des hors-la-loi ou des bandits. N’empêche que ces bandits se sont forgés leurs propres lois qu’ils appliquent, et prononcent des sentences qu’ils exécutent... » [83] A partir de ce moment les mots d’ordre sont accueillis comme autant de « décrets » [84] : le mot est juste. Comme on prouve le mouvement en marchant, les rebelles démontrent la validité de leur loi martiale en l’appliquant à ceux qui la récusent ou ne la prennent pas au sérieux. Leur propagande est une propagande par le fait. Ce procédé est le plus facile pour un mouvement pauvre en cadres instruits. Mais il présente un inconvénient : s’il dénonce les comportements criminels, il ne définit la Vertu que d’une façon négative [85]. Elle se confond alors avec une obéissance inconditionnelle, garantie par la menace qui devient une panacée. « Certains nouveaux cadres ont reçu au départ même, une mauvaise formation. Dans leurs rapports avec les militants et le peuple ils usent de la menace et utilisent trop souvent la force. Ne pouvant ou ne sachant pas expliquer, ils ne connaissent que le langage de la violence et les moyens autoritaires. J’ai expliqué dans des réunions qu’il ne nous fallait pas copier les méthodes colonialistes. Nous ne faisons qu’exprimer la volonté du peuple et nous n’avons pas besoin de le faire marcher par la peur. Ces méthodes au contraire peuvent l’indigner et nous créer des difficultés nouvelles. » [86] Conscients de ce danger, les congressistes de la Soummam prirent des mesures pour limiter l’autorité arbitraire des officiers de l’ALN en matière disciplinaire et pénale [87].

Ce danger n’est pas le seul. La terreur révolutionnaire risque d’être détournée au service de ressentiments particuliers. Mouloud Feraoun constate : « L’appareil administratif recruté sur place est presque toujours constitué par les anciens mécontents et les « fortes têtes », et des règlements de comptes, des comptes anciens, s’opèrent avec célérité au nom de la résistance et de la lutte libératrice... » [88] « Dans nos villages humiliés, ce sont les putains qui font la loi... » [89] « En général, les riches qui ont fait suer les burnous suent à leur tour de peur. Lorsque des gens de cette espèce tombent, leurs anciennes victimes s’en réjouissent ainsi que les jaloux. » [90] A. Benzine confirme : « Au début ils ne pouvaient pas admettre qu’un ancien berger vienne les commander. Maintenant, ils acceptent tout. De voir comment ces gens-là, ces ex-gardes champêtres, ces ex-présidents de djemaa se conduisent aujourd’hui, on peut être déjà satisfait des résultats de notre révolution. » [91] « Devant les gens qu’ils méprisaient hier, à qui ils faisaient embrasser le pan de leur burnous, ils se mettent aujourd’hui à genoux. » [92] Mais la déviation la plus nocive est l’accoutumance au terrorisme, pratiqué comme une fin valable en soi. « La guerre transforme les caractères et les blessures les plus profondes sont les blessures morales. En hiver dernier, je me trouvais dans les Aurès. Mon guide, un petit vieux, sec et combien dynamique, m’expliquait le plus naturellement du monde qu’il avait égorgé personnellement trois traîtres. Il ajoutait que pendant qu’il égorgeait le dernier (un garde champêtre), le poignard s’était brisé dans la trachée artère. Il me montrait ce qu’il restait de ce poignard et il en riait. » [93] L’exemple vient d’en haut. Parlant à un journaliste yougoslave, Krim Belkacem, ministre des Forces armées, déclara : « Une nouvelle recrue, avant d’être qualifiée, pour servir dans l’armée, doit assassiner au moins un colonialiste ou un traître connu. » [94] Le terrorisme a la valeur d’une épreuve initiatique, il sert de preuve suprême à la Vertu. Mouloud Feraoun constate les effets de cette conception générale : « Tout le monde a choisi de narguer le Français, d’en faire un ennemi afin de ne pas mourir en traître. Mais on continue quand même de mourir en traître afin que les « purs » se donnent l’illusion d’être vraiment purs, afin que les lâches apprennent à s’aguerrir... » [95] « C’est à qui se prétendra plus patriote que le voisin ou le compagnon d’armes. Chacun se sent en mesure de donner des leçons, de commander. Chacun est digne de commander et obéit en attendant mieux. Cette soif du galon double les vertus guerrières, fait commettre des injustices qui aujourd’hui déçoivent les villageois et demain les lasseront. » [96] Ainsi convient-il qu’il y ait des traîtres pour qu’on distingue les vrais patriotes. Si les traîtres n’existaient pas, il faudrait en inventer. Le tract du FLN interdisant toute participation des Algériens aux élections législatives françaises du 2 janvier 1956 déclare : « Chaque patriote se fera un devoir d’abattre son traître. » [97] Il s’en déduit que le nombre des traîtres doit égaler celui des patriotes. Situation de guerre civile inavouée [98].

Ces trois déviations convergent vers le mépris des « civils », c’est-à-dire du peuple. « Le moment venu, il faudra que nous nous fassions tout petits devant eux, les sauveurs, nous les mous ou les esclaves. » [99] « Vous n’avez rien fait pour la cause. Et maintenant vous voulez tous partir pour conquérir des lauriers à peu de frais. Non, maintenant c’est fini, nous avons gagné la partie. Pas question de partager les bénéfices. Nous vous avons libérés, nous serons vos chefs. Reste où tu es. Nous vous connaissons, vous ne valez pas cher. Vous n’avez qu’à continuer à nous héberger et à faire le guet. Si au cours d’un ratissage on vous arrête ou abat, vous n’avez que ce que vous méritez. » [100] Cette conception « seigneuriale » de la Révolution est en contradiction absolue avec la doctrine du FLN. C’est pourquoi les militants sincères l’appellent déviation. Suivant la théorie, au contraire, elle révèle l’essence même de la Subversion, entreprise de conquête et d’asservissement d’un peuple. Comment choisir, entre deux interprétations incompatibles d’un même fait, la seule véritable ? Il serait préférable de s’en tenir aux faits, mais ils appellent une explication. L’historien doit tenir compte du parti pris hostile qui colore la théorie militaire française. Sans renoncer à utiliser les sources extérieures au FLN, il ne peut expliquer les ressorts de son action qu’au moyen des concepts employés dans la « littérature », théorique et pratique, du Front, en les critiquant au besoin. Cette méthode ne peut verser dans l’apologie, car le FLN et ses militants ont fait preuve depuis l’indépendance, officiellement et à titre privé, d’un courageux esprit critique, sensible aux erreurs et aux fautes commises par les hommes et par l’organisation.

La confrontation entre les théories ne peut aboutir à aucune conclusion si elle n’est pas portée au plan de la généralité, qui est la dimension propre de la théorie. C’est pourquoi nous dépasserons le cas algérien. La thèse de l’agression étrangère déguisée en guerre civile est l’idée maîtresse de la théorie militaire française : elle est imposée par les nécessités du combat. L’armée doit croire, pour garder bon moral, que sa mission est de défense nationale, non de répression ni de reconquête. Pour se donner de l’ardeur, et pour forcer la nation et l’État à la soutenir jusqu’au bout, elle doit dramatiser son combat, lui donner le sens d’un affrontement cosmique dont l’enjeu est l’existence de la nation et la survie du monde libre [101]. Ainsi pourra-t-elle prendre sa revanche sur le communisme international qui l’a vaincue en Indochine : certains officiers vont jusqu’à appeler « Viets » leurs adversaires algériens. L’ennemi véritable, au-delà des apparences, est une conjuration dirigée par Moscou et Pékin, dont Le Caire n’est qu’un rouage de transmission [102]. Aussi la propagande militaire espère-t-elle retourner les sentiments musulmans des Algériens contre le FLN « communiste et athée » et faire jouer la solidarité atlantique. Au contraire, suivant le FLN, la lutte pour l’indépendance nationale, qui implique l’acceptation de tous les appuis étrangers, même intéressés, exclut toute subordination hiérarchique. La Révolution algérienne « n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres ni à Moscou, ni à Washington. Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence de nations captives. » [103] Ses liens avec les autres mouvements anti-impérialistes ne sont que de solidarité et d’émulation : « Il y a dix ans, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, une formidable explosion a ébranlé l’impérialisme. L’irrésistible mouvement de libération nationale, longtemps comprimé, secoua les peuples captifs. Une réaction en chaîne entraîna les pays colonisés, l’un après l’autre, dans la conquête d’un avenir flamboyant de liberté et de bonheur. » [104] L’insurrection fut déclenchée pour éviter au mouvement national algérien la honte de rester inactif au moment où les patriotes tunisiens et marocains avaient pris les armes : « Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. » [105]

Parce que la radio du Caire avait annoncé solennellement, dès le 1er novembre 1954, l’ouverture des hostilités, et prêtait ses antennes à tous les émigrés nationalistes maghrébins, on a d’abord présenté la rébellion comme une opération des services secrets égyptiens, manipulant des « hommes de paille » tels que Ben Bella, l’ami du colonel Nasser. Le temps ayant passé, on constate que les preuves invoquées ne prouvaient rien. Comme le remarquait Bernard Fall (Les deux Viêtnam, p. 410), la propagande allemande sefondaitsur la dépendance logistique des mouvements de résistance envers les Alliés pour les présenter comme des agents stipendiésdes Anglo-Saxons ou du communisme international. L’insuffisance d’une telle interprétation est évidente. Formé bien avant la révolution nassérienne, avant même la fondation de la Ligue arabe, le nationalisme algérien n’est ni une création, ni une créature de l’Égypte ou de tout autre État. La proclamation du FLN promet une « sympathie » à tous les États qui appuieraient son action libératrice, non une allégeance. La multiplicité des aides étrangères assurera l’indépendance du mouvement, dont l’indépendance nationale était précisément le but.

De même, le « communisme international » est apparu à tort comme le responsable suprême d’un conflit dont il a seulement essayé de tirer parti. On insiste sur le fait que le Komintern a le premier lancé le slogan d’indépendance de toutes les colonies, en particulier de l’Algérie : l’itinéraire de la révolution, de Moscou à Paris, passerait par Alger. On insiste sur les origines crypto-communistes et sur l’imprégnation marxiste de l’Étoile Nord-Africaine, ancêtre du PPA-MTLD, donc du FLN [106]. Mais on néglige indûment la prompte réaction anti-communiste de l’organisation nationaliste, qui dès 1936 condamna l’inconstance d’une politique algérienne déterminée par les impératifs de la stratégie mondiale de l’URSS et de la stratégie intérieure du parti communiste en France. L’indignation du FLN contre l’imputation de la rébellion au communisme n’est pas feinte : « Le PCA, malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé. » [107] En 1962, le parti communiste ne fut pas admis à une existence légale dans l’Algérie indépendante. Abdelhamid Benzine prévoyait cette réaction [108]. Un différend fondamental a séparé le nationalisme algérien du communisme. « La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste. » (Plate-forme de la Soummam.) Le nationalisme l’emporte sur le marxisme. Quel est le sens de l’expression « Révolution algérienne » ? Avant tout, la révolution est le recours à la violence : elle s’oppose au réformisme légaliste. Cette révolution sert un but politique national. Mais il est entendu que l’État algérien restauré sera « une République démocratique et sociale », termes vagues empruntés à l’idéologie politique française, et complétés par une référence aux « principes islamiques ». C’est seulement à partir de 1961 que la Révolution algérienne se réclama du « socialisme ».

Sur le rôle du « communisme international » dans la subversion sur le plan mondial, observons :

-  que la « Subversion » n’est pas un monopole des États communistes, ni leur invention. La diplomatie des cours pratiquait la corruption des princes, des courtisans, des factions. Déjà il y a vingt-cinq siècles, l’ « Art de la guerre » de Sun-Tzu enseignait les moyens de vaincre l’ennemi sans combat par la subversion interne. De nos jours, les « cinquièmes colonnes » fascistes, la CIA américaine ont défrayé la chronique ;

-  que l’U.R.S.S. et d’autres États communistes entretiennent des réseaux de subversion militaires (espionnage, sabotage) et politiques ;

-  que les relations spéciales de l’U.R.S.S. avec plusieurs États communistes à « souveraineté limitée » donnent quelque vraisemblance à l’hypothèse d’une conquête par subversion pacifique, suivant le processus du « Coup de Prague ». Encore ne faut-il pas négliger, dans ce processus, la part de la proximité de l’URSS et de ses armées qui, en libérant ces pays du nazisme, les avaient en quelque sorte inclus dans les frontières militaires de l’État soviétique ;

-  surtout, que tous les États communistes dans lesquels la révolution s’est opérée à travers le processus de la guerre révolutionnaire se retrouvent au contraire aussi indépendants que peuvent l’être des États dotés d’alliés. La guerre révolutionnaire est une école d’indépendance, car elle ne peut être menée à bon terme que si l’état-major local compte sur ses propres forces et sur son propre jugement, sans attendre les directives de Moscou, souvent inadaptées, comme en Chine en 1927 [109], voire inexistantes, ainsi toutes les fois que l’URSS préféra ses intérêts d’État à ceux de la révolution mondiale. Le colonel Trinquier peut-il sérieusement appliquer à la révolution chinoise cette conclusion : « Mais cette révolution aura un caractère bien spécial. Les personnages du Pouvoir, si puissants soient-ils, ne seront que les hommes de paille d’une puissance étrangère à laquelle ils devront tout et qui gardera la possibilité de les liquider à son gré. Pour jouir longtemps de leurs privilèges, ils devront se soumettre inconditionnellement à la volonté de leurs maîtres et faire de leur pays un satellite destiné à évoluer sur une orbite savamment calculée autour d’un État étranger » [110] ?

Poussée à ce point, la rigueur de la théorie devient rigidité, incapacité de se plier aux faits. Il est vrai que l’auteur lui-même ne peut s’empêcher de la désavouer. Dans une note, il donne une liste de quelques « guerres subversives » passées : « Résistance en France, guerres d’Indochine et d’Algérie, action de l’OAS, etc. », dans laquelle deux guerres proprement « subversives » sont intercalées entre deux phénomènes de résistance [111]. Cette confusion révèle un défaut dans une pensée apparemment rigoureuse. Le titre de l’ouvrage n’est pas entièrement développé dans le texte. « Subversion » et « Résistance », concepts irrémédiablement contradictoires, sont les deux aspects complémentaires de la guerre internationale, puisque la « Subversion » est la forme moderne de l’agression étrangère qui provoque une « Résistance nationale ». La « Révolution » se situe sur un autre plan, celui des relations entre les classes ou groupes sociaux à l’intérieur d’une même nation ou d’un même pays. L’auteur soutient que les révolutions internes, génératrices de guerres civiles, et les guerres internationales s’expliquent par des motifs analogues : la convoitise du bien d’autrui. Cela ne suffit pas à prouver, comme l’auteur semble le postuler, que toutes les guerres civiles modernes sont des agressions étrangères déguisées, c’est-à-dire, des guerres « subversives ». La possibilité d’une authentique guerre civile et d’une authentique révolution reste entière. Les interventions intéressées des États étrangers pourront lui donner une apparence de guerre « subversive ». Mais le vainqueur, ingrat par devoir, défendra l’indépendance nationale contre ses alliés. C’est pourquoi il vaudrait mieux distinguer les concepts de « guerre subversive » et de « guerre révolutionnaire ». Mais un difficile problème de terminologie se pose. Raoul Girardet [112] voit dans la guerre subversive une notion plus générale que celle de guerre révolutionnaire : « La guerre subversive se trouve à l’heure actuelle réglementairement définie en ces termes : « guerre menée à l’intérieur d’un territoire contre l’autorité politique en place par une partie des habitants de ce territoire, aidés ou renforcés ou non de l’extérieur, dans le dessein d’enlever à cette autorité le contrôle de ce territoire ». La guerre révolutionnaire, d’autre part, pourrait être définie comme la conception marxiste-léniniste de la guerre subversive et l’application des méthodes de cette guerre dans le cadre de la stratégie globale du communisme international. » Si la première définition, purement objective, est incontestable, la seconde présente l’inconvénient de supposer qu’il n’y a de révolution autre que marxiste-léniniste, et de postuler l’existence d’un communisme international unifié. On pourrait au contraire, en partant de la définition très particulière de la guerre subversive adoptée par le colonel Trinquier : agression étrangère déguisée en guerre civile, définir la guerre révolutionnaire comme la réalisation d’une révolution politique ou sociale à l’intérieur d’un pays à travers une guerre civile. Le colonel Hogard distingue les « méthodes empiriques » de la guerre subversive de la « doctrine systématique » de la guerre révolutionnaire. A notre avis, toute définition tendant à opposer les deux termes ne peut être qu’arbitraire, parce que « subversion » et « révolution » sont de proches synonymes, le premier se distinguant seulement par son emploi plus limité et plus péjoratif. Concluons simplement en constatant que la guerre subversive au sens du colonel Trinquier est davantage un projet, une intention, qu’une réalité accomplie, tant il est difficile de trouver des « hommes de paille » contents de ce rôle. La guerre d’Algérie n’est pas une guerre subversive en ce sens particulier, mais elle en est un cas au sens général de Raoul Girardet. Certes, le monde moderne étant ce qu’il est, un et multiple à la fois, toute révolution présente dans ses causes et dans ses effets deux significations simultanées, particulière et générale, nationale et internationale. Mais il revient à l’histoire d’évaluer l’importance respective de ces deux aspects, au lieu de les confondre comme l’ont fait les théories de la guerre révolutionnaire permanente et universelle. Il est vrai que le propos du colonel Trinquier n’est pas historique. Son ouvrage est écrit, fort significativement, à l’indicatif futur. L’auteur met en garde ses concitoyens contre ce qui arrivera s’ils ne veulent pas tirer les leçons d’un passé désastreux : pour n’avoir pas voulu vaincre l’ennemi en Indochine, puis en Algérie, le peuple français est menacé d’une guerre intestine sur son propre sol. Froid en apparence, ce livre est d’un prophète. Comme le notait Jean-Marie D’Hoop, « C’est un ouvrage plus personnel qu’il ne paraît au premier abord. » [113]

Notre méthode aussi pourra être critiquée. Pourquoi avoir choisi, malicieusement, deux témoignages contraires à la théorie ? Les exceptions ne confirment-elles pas la règle ? Il faudrait d’abord vérifier si des cas singuliers se dégage une règle. Il n’est pas permis de généraliser prématurément. Les propagandes se plaisaient à affirmer que « l’Algérie unanime » voulait, soit l’intégration, soit l’indépendance. En fait, la société algérienne était très diversifiée, et cette diversité sociologique se traduisait en contrastes géographiques. Une étude politique sérieuse doit être différentielle, donc procéder par monographies locales. Un « Atlas de la guerre d’Algérie » serait un instrument de travail indispensable à la recherche historique. Toutefois, la concordance des sources utilisées permet d’envisager une généralisation étudiée. On objectera aussi, plus sérieusement, qu’un témoignage n’est pas une preuve. Testis unus, testis nullus. L’enthousiasme patriotique des Kabyles est passé inaperçu de Jacques Soustelle : « L’atmosphère de peur et de tristesse qui régnait alors en Kabylie serrait le cœur. Les attentats individuels se multipliaient. On signalait la présence de fellagha (rebelles) ignorant la langue kabyle, et que personne ne reconnaissait. » [114] Mais il n’est pas Kabyle, et Mouloud Feraoun récuse son interprétation de la situation : « Comment lui dire mon sentiment alors que ce livre fait bon marché de notre souffrance, de nos larmes, de notre sang ? » [115] Certes, on trouvera des Kabyles approuvant Jacques Soustelle, et inversement des témoins étrangers à la Kabylie confirment le témoignage de Mouloud Feraoun. Quand Jacques Soustelle vint parler à Tizi-Ouzou, le 27 mai 1958, les journalistes algérois remarquèrent « la foi patriotique qui animait les 45.000 ou 50.000 hommes et femmes de toutes origines qui communiaient dans la même ferveur et la même volonté » ... « actes de foi dans la France que depuis quinze jours nous relevons partout à travers l’Algérie ». Mais l’envoyé de l’Associated Press constata que des musulmans, encadrés par des parachutistes en armes qui les invitaient à chanter la Marseillaise, sont demeurés silencieux et impassibles. L’un d’eux devait dire qu’il avait été obligé par les soldats et par les gardes de son village de se rendre à cette manifestation dont le but était de faire croire que dans cette région montagneuse de la Kabylie, favorable aux rebelles, les musulmans soutiennent le mouvement du 13 mai. Un autre musulman m’a déclaré que la rébellion se poursuivait dans les montagnes qui entourent Tizi-Ouzou, où selon lui « nul n’ose s’aventurer la nuit ». Un troisième qui regardait la manifestation depuis le seuil de sa boutique s’est écrié : « Comment pourrions-nous jamais oublier ce que les Français nous ont fait » ? [116] On voit que le témoignage de Mouloud Feraoun est loin d’être isolé. Même seul, il n’est pas le cri d’un individu, mais la voix d’une collectivité.

Aucun autre témoignage ne laisse pareille impression d’exhaustivité, d’universelle compréhension. Ce livre est unique dans la littérature consacrée à la guerre d’Algérie. Il permet de croire que la polémique ne prolongera pas indéfiniment la guerre, qu’une histoire unifiée de la guerre d’Algérie est possible. On lui objectera ses contradictions chroniques. L’auteur s’en est expliqué [117]. Derrière cette apparence on découvre la constance d’une réflexion morale qui condamne avec la même horreur « la même bête déchaînée dont la même cruauté peut prendre tour à tour l’un ou l’autre visage » [118], d’une réflexion politique issue de l’expérience collective et ancrée dans un patriotisme obstiné. Surtout, les contradictions participent de l’essence de la guerre : « J’ai peur du Français, j’ai peur du Kabyle, du soldat, du fellagha. Il y a en moi du Français, il y a en moi du Kabyle... » [119] Quand elles ne traduisent pas le déchirement d’une vaste conscience, elles expriment la complexité des faits. Mais la confrontation des théories nous a montré que si les jugements s’affrontent, les faits, eux, sont neutres. Les mêmes matériaux servent aux constructions les plus diverses. Renversez-les, restent les ruines indestructibles. Quelles que soient les significations dont on les habille, les faits sont les faits, et ils sont têtus, et l’on n’a jamais raison contre eux, qui que l’on soit.

Oserons-nous en proposer une explication ? Elle sera simple. Les Algériens dont nous parlent ces témoignages se sont ralliés spontanément aux rebelles par fidélité à leurs ancêtres, les Moudjahidine qui résistèrent à la conquête française entre 1830 et 1871. La répression française est à la fois cause et conséquence de ce retour aux sentiments du passé, que l’on aurait pu croire dépassés. Cette évolution anachronique des sentiments n’est possible que parce que depuis la conquête vainqueurs et vaincus sont restés à leur place, sans se fondre, ni s’identifier les uns aux autres. Mais les rebelles modernes sont différents de l’idéal ancestral, parce qu’ils sont issus de la situation historique présente de l’Algérie. L’altération de leur popularité s’explique de plusieurs manières. Par la nature des hommes : « Tous les combattants sont des hommes, et les nôtres, la plupart du temps, des hommes sans éducation. » [120] Le sous-développement intellectuel du peuple et des combattants explique la tendance à l’autoritarisme sans discussion. De plus, les révolutions ne peuvent pratiquement limiter leur recrutement aux « saints » [121] : elles acceptent les volontaires hardis, même si leurs intentions ne sont pas désintéressées. Mais les plus lourdes contraintes découlent de la nature des choses. La révolution est organisée pour une guerre de longue durée. La disproportion des forces en présence est effrayante ; plus la guerre s’aggrave, plus l’usage de la menace est nécessaire pour maintenir dans la lutte civils et soldats conscients de l’impossibilité de la victoire. De plus, l’entretien d’une armée, même populaire, aux frais du peuple misérable sur le dos duquel elle vit constamment pendant sept ans, est une impossibilité économique. La tentation est humaine d’accepter les libéralités de la SAS, qui ne coûtent rien ou presque. La trahison est inévitable. La victoire est donc impossible. Comment a-t-elle pu arriver ? On en discute encore ! Les témoignages nous suggèrent une explication : « Grâce aux patriotes, grâce au patriotisme. » [122] Il faudrait croire qu’il y avait des vrais patriotes algériens dont la constance aurait lassé l’adversaire.

De la concordance des témoignages et des documents ressort un modèle de l’évolution des sentiments. Une courbe en dents de scie a ballotté les Algériens du scepticisme à l’adhésion, de l’enthousiasme au reniement, de la soumission à la victoire. Acceptons ce modèle comme un instrument de recherche.

Guy Pervillé

[1] La dualité de la terminologie est fâcheuse, nous dirons pourquoi.

[2] Robert Laffont, 1968. Ce livre reprend les thèmes de La guerre moderne, du même auteur, La Table Ronde, 1961. Pour la bibliographie de la question, voir le Que sais-je ? De Claude Delmas, La guerre révolutionnaire, ou l’article « Subversion » de l’Encyclopedia Universalis, par Pierre Dabezies.

[3] Trinquier, op. cit., p. 13.

[4] Seuil, 1962.

[5] Op. cit., p. 325.

[6] Op. cit., p. 16.

[7] Op. cit., p. 18.

[8] Mouloud Feraoun périt assassiné par l’OAS le 15 mars 1962.

[9] Éditions nationales algériennes, 1965.

[10] Trinquier, op. cit., p. 42.

[11] Cf. supra, note 1.

[12] Trinquier, op. cit., p. 35.

[13] Ibid., p. 42.

[14] Ibid., p. 36.

[15] Ibid., p. 49.

[16] Ibid., p. 50.

[17] Ibid., p. 52.

[18] Feraoun, op. cit., p. 13.

[19] Ibid., p. 14.

[20] Ibid., p. 15.

[21] Ibid., p. 25 ; plus précisément le 20 août 1955.

[22] Ibid., p. 20.

[23] Ibid., p. 47.

[24] Ibid., p. 21.

[25] Ibid., p. 20.

[26] Ibid., p. 40.

[27] Ibid., p. 36.

[28] Ibid., p. 27.

[29] Ibid., pp. 44-45-46.

[30] Ibid., p. 36.

[31] Ibid., p. 43.

[32] Ibid., p. 47.

[33] Ibid., p. 44.

[34] Ibid., pp. 52-53.

[35] Ibid., p. 47.

[36] Méthode pascalienne (le dressage de la « machine » prépare à la Foi), comparable au « lavage de cerveau » pratiqué dans les camps du Vietminh ?

[37] Feraoun, op. cit., p. 48.

[38] Ibid., p. 47.

[39] Ibid., p. 35.

[40] Ibid., p. 42.

[41] Op. cit., p. 12.

[42] Trinquier, op. cit., p. 221.

[43] Feraoun, op. cit., p. 91.

[44] Ibid., p. 93.

[45] Ibid., p. 208.

[46] Ibid., p. 241.

[47] Ibid., p. 296.

[48] Ibid., p. 298.

[49] Charles De Gaulle, Mémoires d’espoir, Plon, 1970, p. 78.

[50] Feraoun, op. cit., p. 223.

[51] Ibid., p. 142

[52] Ibid., p. 294.

[53] Ibid., p. 188.

[54] Ibid., p. 95.

[55] Ibid., p. 122.

[56] Ibid., p. 192.

[57] Ibid., p. 220.

[58] Ibid., p. 209.

[59] Ibid., p. 189.

[60] Ibid., p. 242.

[61] Ibid., p. 236.

[62] Ibid., p. 65.

[63] Ibid., p. 200.

[64] Ibid., p. 173.

[65] Ibid., p. 174.

[66] Ibid., p. 201. Le 7 novembre 1956, le lieutenant de SAS Jacote et sa femme tombèrent dans un guet-apens en plein village. En représailles, les villages des Ouadhias subirent un « ratissage » du 13 au 28 novembre. Témoignages (malheureusement sans références) dans Mohammed Lebjaoui, Bataille d’Alger au bataille d’Algérie ?, pp. 164-166 et 177-180.

[67] Feraoun, op. cit., p. 185.

[68] Ibid., p. 219.

[70] Un rapport secret du « Centre Militaire d’information et de spécialisation pour l’outre mer », daté du 18 janvier 1956, intitulé « Organisation politico-administrative des rebelles en Algérie », explique par la propagande tout le processus décrit par Mouloud Feraoun : « Quant une région est suffisamment organisée, elle sert de base de départ sur de nouveaux douars non contaminés jusqu’alors. Dans ce deuxième stade l’emploi préalable de la force ne parait pas nécessaire. Des émissaires (marchands de beignets, coiffeurs, photographes et autres... viennent dans les douars où ils font un véritable travail « Agitation-propagande » prêchant la haine du roumi, déconseillant (dans un premier stade) le recours aux autorités françaises et donnant en exemple tel ou tel douar, situé à quelques kilomètres, qui, d’après leurs dires, connaît l’âge d’or sous l’administration des « moudjahidines ». L’organisation prend forme, on en discute au café maure, et, un beau jour, elle naît et se développe. C’est à ce moment-là, sachant la place mûre, qu’apparaissent les « glorieux combattants de la foi » qui font dans le village une entrée triomphale. La discipline se durcit alors, l’impôt est exigé et, là comme ailleurs, quelques fellahs égorgés montrent la force de la justice de l’armée de la libération ».

[71] Trinquier, op. cit., pp. 37-38.

[72] Bulletin de la zone autonome d’Alger, août 1957.

[73] La Révolution. Noter que les « rebelles » désignent leur entreprise de trois termes différents : Révolution Algérienne, Résistance algérienne (évoquant les homologues français), et Libération Nationale. S’y ajoute le terme arabo-musulman “Djihad” (cf. notre « croisade »).

[74] Benzine, Journal de marche, op. cit., p. 104.

[75] Ibid., p. 44.

[76] Ibid., p. 86.

[77] Ibid., p. 92.

[78] Ibid., pp. 103-104.

[79] Deuxième colonel de la wilaya II (Nord Constantinois), tué en septembre 1956.

[80] Fiche AP n° 3/1, fascicule I de l’ « Instruction spécialisée de contre-guérilla », édité par le commandement supérieur inter-armées. Cité par le Bachaga Boualem, Les harkis au service de la France, pp. 179-180. Ce document ne serait-il pas un résumé établi par un esprit malveillant ? Mais il est juste de dire que le FLN mène un double combat : contre l’État français et contre ses partisans algériens, les « traîtres ». La guerre de libération nationale se double d’une guerre civile.

[81] Trinquier, op. cit., p. 50.

[82] Tels sont les principes, mais ils ne sont pas toujours exactement observés par les exécutants. Par exemple le rançonnement des colons français sous menace de mort est une infraction aux principes de la rébellion : étrangers, ils devraient avoir le droit de refuser de cotiser. Ces « irrégularités » ont renforcé la propagande française affirmant que la rébellion, ennemie de tous, s’attaquait indistinctement à tous.

[83] Feraoun, op. cit., p. 81. Ainsi la subversion ne vise pas à faire agir la population « contre toute loi » (cf. supra, note 3), mais à substituer une loi nouvelle à celle en vigueur.

[84] Feraoun, op. cit., p. 47.

[85] Ibid., p. 58... « des interdits de toutes sortes, uniquement des interdits... ».

[86] Benzine, op. cit., p. 60. Cf. Feraoun, op. cit., p. 203 : « Tous ces meurtres finissent par perdre de leur signification première. On se demande si tous ceux qui tombent sont des traîtres. Le doute et la lassitude envahissent peu à peu les consciences, le désespoir cède la place à la colère. » La conclusion du rapport cité p. 16, note 1, souligne « la fragilité du système administratif rebelle fondé à peu près exclusivement sur la terreur ».

[87] Cf. Général Massu, La Vraie bataille d’Alger, p. 208. « Tribunaux : Aucun officier, quel que soit son grade, n’a plus le droit de prononcer une condamnation à mort. Des tribunaux seront chargés de juger les civils et les militaires. L’égorgement est formellement interdit. À l’avenir l’accusé a le droit de choisir une défense. La mutilation est formellement interdite... ».

[88] Feraoun, op. cit., p. 153.

[89] Ibid., p. 91.

[90] Ibid., p. 222.

[91] Benzine, op. cit., p. 41.

[92] Ibid., p. 43.

[93] Ibid., p. 36.

[94] Revue des Affaires Internationales, Belgrade, 01-12-1959.

[95] Feraoun, op. cit., p. 208.

[96] Ibid., p. 129.

[97] Ibid., p. 50.

[98] La qualification de « traîtres » vise à disqualifier ceux des musulmans algériens partisans d’un avenir français en les présentant comme des agents de l’ennemi étranger : parler de guerre civile serait reconnaître l’existence d’un « parti français » et nier l’unité du peuple algérien. Mais en outre les procédés employés tendent à multiplier le nombre des traîtres. Enfin, la multiplication des ralliements de rebelles aux forces de l’ordre, à partir de 1957, ruine la notion de trahison en la banalisant : « Aux yeux des gens la trahison ne signifie plus grand chose puisque les maquisards en donnent l’exemple »... Feraoun, op. cit., p. 294.

[99] Ibid., p. 178.

[100] Ibid., P. 217.

[101] Dans le P.C. du général Challe au quartier Rignot, une grande carte de la Méditerranée portait en larges flèches l’indication de la manœuvre soviétique d’encerclement de l’Europe.

[102] La Conférence Afro-Asiatique tenue au Caire à la fin de 1957, avec la participation de l’URSS et du FLN, a rendu manifeste cette « ollusion » de l’arabisme avec le communisme.

[103] Plate-forme de la Soummam.

[104] Ibid.

[105] Proclamation FLN du 1er novembre 1954.

[106] Voir Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d’Algérie.

[107] Plate-forme de la Soummam.

[108] Benzine, op. cit., p. 30.

[109] Voir Harold R. Isaacs, La tragédie de la révolution chinoise.

[110] Trinquier, op. cit., p. 129.

[111] Ibid., p. 70, note 2. Nous adoptons ici le point de vue de l’auteur.

[112] Communication à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, 20 juin 1960. Voir Combat du 26 juillet au 1er août : « La doctrine militaire française de la guerre subversive. »

[113] Revue Historique, 1970, p. 476. Ajoutons que le colonel Trinquier est d’un abord plus chaleureux que ses livres.

[114] Aimée et souffrante Algérie, cité par Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d’Algérie, p. 110.

[115] Feraoun, op. cit., p. 170.

[116] Citations de André Debatty, Le 13 mai et la presse, Armand Colin, 1960. Il convient de de confronter à la version de Mouloud Feraoun celle de Marie Elbe, dans L’Écho d’Alger, juillet 1959 et Historia-Magazine, La guerre d’Algérie, n° 75, 76, 77 (1973).

[117] Cf. supra, note 5.

[118] Feraoun, op. cit., p. 270.

[119] Ibid., p. 97.

[120] Feraoun, op. cit., p. 272.

[121] Benzine, op. cit., p. 84.

[122] Feraoun, op. cit., p. 304.



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