La signature des accords d’Evian (2022)

dimanche 2 octobre 2022.
 
Cet article a été rédigé pour publication dans le n° 426 (mars-avril 2022, pp 115-123) ) de la revue "Cahiers français" (publiée par La Documentation française), à la demande de son rédacteur Julien Winock.

Les accords d’Evian

On appelle « accords d’Evian » un ensemble complexe de textes signés le 18 mars 1962 par les représentants du gouvernement français et ceux du GPRA à l’issue de la deuxième conférence d’Evian, comprenant un accord de cessez-le-feu, une procédure de transfert de souveraineté de la France à un nouvel Etat algérien à travers une phase de transition, et la définition des rapports futurs entre les deux Etats. La déclaration générale en résumait le contenu : elle indiquait l’organisation des pouvoirs publics pendant la période transitoire (coexistence d’un haut-commissaire de France responsable en dernier ressort du maintien de l’ordre, et d’un exécutif provisoire algérien à majorité musulmane) et les garanties du référendum d’autodétermination qui devait ratifier les accords et créer l’État algérien dans un délai de trois à six mois. Elle proclamait la pleine souveraineté du futur État, garantissait la liberté et la sécurité de ses habitants (particulièrement celles des Français d’Algérie), et fixait les principes de la coopération entre les deux États, du règlement des questions militaires, et de celui des litiges (Voir le texte complet des accords dans Vers la paix en Algérie. Les négociations d’Evian dans les archives diplomatiques françaises, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp 379-473). La gestation de ces accords avait été longue et difficile ; leur application fut extrêmement brève.

Les accords du 18 mars 1962, aboutissement d’un long processus

Dans leur proclamation datée du 31 octobre 1954, les fondateurs du Front de libération nationale (FLN) avaient proposé à la France : « - 1. l’ouverture de négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible ; - 2. la création d’un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d’exception et l’arrêt de toutes poursuites contre les forces combattantes ; - 3 ; la reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l’Algérie une terre française en déni de l’histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des mœurs du peuple algérien ». Mais le gouvernement de Pierre Mendès France, puis celui d’Edgar Faure, dénoncèrent une agression étrangère manipulée par l’Egypte du colonel Nasser, et annoncèrent une politique d’accélération de l’intégration de l’Algérie dans la plus grande France.

Pourtant, au bout d’un an d’aggravation de la situation qui commençait à être qualifiée de « guerre imbécile et sans issue » (Guy Mollet) les élections législatives du 2 janvier 1956 portèrent au pouvoir un gouvernement minoritaire de « Front républicain » investi par une très large majorité allant des communistes aux indépendants. Le nouveau gouvernement mena de front des mesures militaires, des réformes économiques et sociales, et une tentative de négociations secrètes entre des représentants du président du Conseil Guy Mollet et ceux du FLN, sur la base du triptyque « Cessez-le-feu, élections, négociations » et de deux principes potentiellement antagonistes : respect de la personnalité algérienne et maintien de liens indissolubles entre les deux pays. Les chefs de la délégation extérieure du FLN avaient accepté le principe d’un exécutif provisoire et renoncé au préalable de l’indépendance (en demandant à la place la reconnaissance du droit de l’Algérie à l’indépendance) quand l’avion marocain qui les transportait de Rabat à Tunis fut détourné vers Alger le 22 octobre 1956. Les négociations furent alors interrompues et toutes les tentatives de les reprendre échouèrent. Puis quand, en février 1958, le bombardement par l’aviation française du village tunisien de Sakiet-Sidi-Youssef entraîna les « bons offices » anglo-américain puis la chute du gouvernement de Félix Gaillard, l’investiture de Pierre Pflimlin, partisans d’une relance des négociations avec le FLN, le 13 mai 1958, provoqua la prise du gouvernement général à Alger par une foule manipulée, la proclamation d’un comité de salut public civil et militaire par le général Massu et enfin l’appel au général de Gaulle lancé par le général Salan, commandant en chef de l’armée d’Algérie. Dès lors, le général de Gaulle était très vite apparu comme le seul arbitre capable d’éviter une guerre civile entre Français. Son rappel par le président René Coty et son investiture par l’Assemblée nationale lui donnèrent tous les moyens de gouverner, mais sa politique algérienne semblait devoir lui être dictée par ceux qui l’avaient ramené au pouvoir pour garantir l’intégration définitive de l’Algérie dans la France.

Le succès du référendum du 28 septembre 1958 en métropole et en Algérie semblait ratifier à la fois la Constitution de la Vème République et le rattachement définitif de l’Algérie à la métropole, contrairement à ce que réclamait le « Gouvernement provisoire de la Républiqsue algérienne » (GPRA) proclamé à Tunis le 19 septembre 1958. Mais un an plus tard, le 16 septembre 1959, le président de la Vème République Charles de Gaulle rompit avec le principe plus que séculaire de l’Algérie française en annonçant une solution politique fondée sur l’autodétermination des habitants de l’Algérie. Avançant pas à pas, il réussit à imposer sa volonté aux partisans de l’Algérie française qui voulaient refaire le 13 mai 1958 durant la « semaine des barricades » à Alger (24 janvier-1er février 1960). Puis il entama des négociations secrètes avec les chefs de la wilaya IV (Algérois) du FLN-ALN durant le printemps 1960, mais son appel à « l’organisation extérieure de la rébellion » provoqua la venue de représentants du GPRA pour de vains pourparlers à Melun et le retournement du chef de la wilaya IV qui se rallia au GPRA à la fin de juin 1960. Il fallut encore plusieurs mois au général de Gaulle, très affecté par l’échec de cette « affaire Si Salah », pour reconnaître publiquement, le 4 novembre 1960, que la République algérienne, laquelle n’avait encore jamais existé, existerait un jour ; et après son dernier voyage en Algérie de décembre 1960, marqué par de violentes manifestations nationalistes, pour se convaincre que la fin de la guerre passerait nécessairement par un accord avec le GPRA.

Les négociations, commencées secrètement en Suisse en janvier 1961, durèrent pourtant quatorze mois, mais elles furent interrompues à plusieurs reprises. D’abord en avril-mai 1961, quand le GPRA prit prétexte d’une déclaration du ministre français des affaires algériennes Louis Joxe voulant discuter également avec le MNA de Messali Hadj pour ajourner les négociations imminentes, ce qui hâta une dernière tentative de répétition du 13 mai 1958 à Alger par le « putsch » des généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan (22-25 avril 1961). Puis, après l’ouverture publique des négociations à Evian le 20 mai 1961, accompagnée d’une trêve unilatérale des opérations offensives, elles furent ajournées pour un mois par la France le 13 juin ; reprises à Lugrin du 20 au 28 juillet, elles furent de nouveau ajournées sine die par le GPRA.

Durant plusieurs mois, la reprise des négociations resta très incertaine, poussant le général de Gaulle à envisager toutes les hypothèses (formation par la France d’un exécutif provisoire algérien, partage de l’Algérie, ou évacuation sans accord), mais il fit une concession majeure en renonçant publiquement le 5 septembre 1961 à séparer les deux départements sahariens de l’Algérie du Nord. Le GPRA tenta alors d’imposer sa volonté à la France par une grande manifestation de la population algérienne à Paris, durement réprimée le 17 octobre 1961, et il lui proposa une semaine plus tard de reprendre les négociations sur une nouvelle base, la reconnaissance préalable du GPRA par la France (qui ne fut pas acceptée).

Après deux rencontres secrètes à Bâle à la fin octobre puis le 9 novembre 1961, la négociation fut vraiment relancée par l’acceptation par le GPRA du principe de non-représailles contre les Algériens ayant pris parti pour la France. Elle aboutit à la conférence secrète des Rousses (11-19 février 1962) dont le résultat devait être ratifié par le gouvernement français d’une part, et par le GPRA et le CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) d’autre part, avant la reprise publique de la conférence de la paix à Evian. La ratification du gouvernement français était acquise ; celle du GPRA l’était aussi en principe, mais le CNRA réuni à Tripoli de Libye en débattit durant cinq jours et autorisa le GPRA à signer par 45 voix pour et 4 contre (les 3 voix de l’état-major général de l’ALN et celle du colonel de la wilaya V). La deuxième conférence d’Evian (7-18 mars 1962) ne fut pourtant pas une formalité et elle risqua d’échouer avant que le président De Gaulle et le Premier ministre Debré donnent leur accord. Le texte de 92 pages fut paraphé sur chacune et signé à la fin par les trois ministres français Joxe, Buron et de Broglie, et par le vice-président du GPRA Belkacem Krim.

Un cessez-le-feu fragile

Le cessez-le-feu, loin d’être un préalable à la négociation comme l’avait souhaité le gouvernement français, était la conséquence de l’accord sur les autres points, comme il était dit à la première page : « Au terme de ces pourparlers, les représentants du Gouvernement de la République et les représentants du Front de Libération Nationale s’étant mis d’accord sur les garanties de l’autodétermination et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie pendant la période transitoire, ont conclu un accord de cessez-le-feu ».

Cet accord de cessez-le-feu devait « mettre fin aux opérations militaires et à tout acte de violence collective et individuelle sur l’ensemble du territoire algérien » le 19 mars à midi. Les forces combattantes du FLN devaient « se stabiliser à l’intérieur des régions correspondant à leur implantation actuelle », et les déplacements individuels de leurs membres en dehors de leurs zones de stationnement devaient s’effectuer sans armes. Les forces françaises stationnées aux frontières ne s’en retireraient pas avant le résultat du scrutin d’autodétermination, mais les plans de stationnement de l’armée française en Algérie prévoiraient les mesures nécessaires pour éviter tout contact entre les forces en présence. Une commission mixte de cessez-le-feu siégeant à Rocher Noir, et des commissions locales dans chaque département, seraient chargées de régler tous ses problèmes d’application. Tous les prisonniers détenus par les deux parties au jour du cessez-le-feu seraient libérés dans les vingt jours ; les deux parties informeraient la Croix Rouge internationale du lieu de stationnement de leurs prisonniers et des mesures prises pour leur libération.

Mais le cessez-le-feu avait été dénoncé, dès l’annonce de l’accord des Rousses le 19 février, par l’Organisation armée secrète (OAS) qui regroupait les derniers partisans armés de l’Algérie française sous l’autorité nominale des ex-généraux Salan et Jouhaud. Intensifiant leurs attaques contre les forces du FLN-ALN dans les villes d’Alger et d’Oran, ils tentèrent de rompre le cessez-le-feu du 19 mars dans les jours qui suivirent, avec l’espoir d’obliger les forces armées françaises à les rejoindre pour défendre la population française contre les réactions de l’ennemi FLN. Mais l’armée française, obéissant au gouvernement, brisa en une semaine l’offensive de l’OAS à Alger (ratissage de Bab-El-Oued le 23 mars et fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962) puis mit en échec la formation d’un maquis OAS dans l’Ouarsenis. Le général Jouhaud fut arrêté à Oran le 25 mars, et le général Salan à Alger le 20 avril.

Quant au FLN, s’il laissa durant un mois l’armée française jouer le premier rôle dans la lutte contre l’OAS d’Alger et d’Oran, son observation du cessez-le-feu laissait beaucoup à désirer. La « stabilisation » des forces de l’ALN dans leurs « zones de stationnement » fut très vite remplacée par leur expansion continue et leur prise de contrôle du territoire et de la population musulmane, à laquelle les forces françaises renoncèrent à s’opposer dès la mi-avril. Les wilayas provoquèrent la désertion massive avec ses armes de la « Force de l’ordre » composée en majorité de conscrits musulmans placés sous l’autorité de l’Exécutif provisoire, et commencèrent à enlever et assassiner des « harkis » contrairement aux clauses d’amnistie des accords d’Evian. Le 10 avril, une directive de la wilaya V, intercepté par l’armée française et diffusée par l’OAS, faisait planer la menace d’une épuration différée : « Leur jugement aura lieu dans une Algérie libre et indépendante devant Dieu et devant le peuple qui sera alors seul responsable de leur sort ». Au même moment, le 17 avril, les organisations FLN-ALN d’Alger, d’Oran, de l’Algérois et de l’Oranie déclenchèrent une campagne d’enlèvements et de meurtres de civils européens - ce que l’historien Jean Monneret appelle dans sa thèse le « terrorisme silencieux » - visant à isoler l’OAS en faisant fuir la population qui la soutenait. A partir de la mi-mai, la Zone autonome d’Alger recréée le 1er avril par Si Azzedine (envoyé de Tunis en janvier 1962 par le GPRA) riposta au terrorisme de l’OAS par une rupture ouverte du cessez-le-feu, sans que le gouvernement français obtienne du GPRA son désaveu. Ainsi l’Algérie sombrait de plus en plus dans le chaos.

Une transition abrégée

Pourtant, le gouvernement français décida de continuer et même d’accélérer le transfert de souveraineté de la France à un nouvel Etat algérien qui devait s’effectuer dans un délai de trois à six mois. Durant cette période transitoire, la France maintenait sa souveraineté sur l’Algérie, administrée par le Haut-commissaire de France, Christian Fouchet, en collaboration avec un Exécutif provisoire algérien désigné d’un commun accord et présidé par l’ancien élu rallié au FLN Abderrahmane Farès. La reprise des attentats par la Zone autonome d’Alger le 14 mai poussa le gouvernement français à l’apaiser en lui accordant l’installation d’ « auxiliaires temporaires occasionnels » (ATO) algériens dans les quartiers européens, et l’expulsion des policiers et des militaires français qui s’opposaient aux enlèvements.

Au même moment, le général de Gaulle décida le 15 mai d’abréger la durée de la période transitoire en fixant la date du référendum d’autodétermination de l’Algérie au 1er juillet afin d’obliger l’OAS et le FLN à prendre leurs responsabilités au plus vite. L’OAS d’Alger cessa le feu la première (accord Susini-Mostefaï du 14 juin), celles d’Oran et du Constantinois attendirent la veille du référendum. Les électeurs devaient répondre à une double question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? », au lieu des deux questions distinctes souhaitées par le gouvernement français (« Voulez-vous que l’Algérie soit indépendante ? si oui, voulez-vous qu’elle coopère avec la France ? »). Le succès du Oui, prôné par les deux parties, fut massif, et suivant la première page des accords, il impliquait que ces accords d’Evian survivraient à l’indépendance pour continuer à régler les relations futures entre les deux Etats : « Les représentants du Gouvernement de la République et les représentants du Front de Libération Nationale ont établi d’un commun accord des déclarations qui définissent la solution d’indépendance de l’Algérie et de coopération avec la France, déclarations qui seront soumises à l’approbation des électeurs lors de la consultation d’autodétermination ».

Mais le CNRA réuni à Tripoli du 25 mai au 7 juin avait secrètement désavoué les accord d’Evian en adoptant à l’unanimité le « programme de Tripoli » qui définissait ces accords comme une « plateforme néo-colonialiste » à démanteler pièce par pièce dès que les circonstances le permettraient.

Des accords sans avenir

Le résultat du référendum du 1er juillet 1962 ratifiant les accords d’Evian fut proclamé et reconnu par la France le 3 juillet, et le Haut-commissaire de France Christian Fouchet laissa sa place au président de l’Exécutif provisoire, Abderrahamane Farès, chargé d’organiser des élections pour que le peuple algérien désigne ses dirigeants légitimes. Mais celui-ci, dépourvu de toute autorité réelle face aux wilayas de l’ALN par la désertion massive de la Force de l’ordre, se hâta d’aller remettre ses pouvoirs au président du GPRA, Ben Youssef Ben Khedda, qui venait d’arriver à Alger avec ce qui restait de son gouvernement. Or celui-ci, contesté depuis le 7 juin par le « Bureau politique du FLN » formé par Ahmed Ben Bella, lui-même soutenu par l’état-major général de l’ALN du colonel Boumedienne (destitué par le GPRA le 30 juin), refusa cette démission et chargea l’Exécutif provisoire d’assumer sa mission impossible. Dès le 5 juillet, la fête de l’indépendance tourna au drame avec le massacre de près de 700 personnes - presque toutes européennes - à Oran, et l’Algérie tomba dans l’anarchie, jusqu’au bord de la guerre civile.

Le gouvernement français avait adopté une politique de stricte neutralité entre les deux camps opposés, mais il se laissa rapidement convaincre que l’alliance de Ben Bella et de Boumedienne était la seule chance de rétablir l’ordre sans que cela implique une menace pour les accords d’Evian, comme le ministre des affaires algériennes Louis Joxe croyait encore pouvoir l’affirmer dans ses instructions du 9 août à l’ambassadeur Jean-Marcel Jeanneney : « Aucun des dirigeants ou candidats au pouvoir ne s’élève contre les accords d’Evian, approuvés par 99,7 % des électeurs d’Algérie ; ils sont valables quelles que soient les vicissitudes de la politique intérieure algérienne et n’ont été reniés par aucun des dirigeants du Front ». Mais dès la fin du mois l’armée française avait pu saisir en Algérie un exemplaire du programme de Tripoli, et dès le 8 septembre Louis de Guiringaud, adjoint de l’ambassadeur Jeanneney, attira son attention sur l’incompatibilité de ce programme avec les accords d’Evian.

Durant les derniers mois de 1962, l’espoir initialement placé par le gouvernement français dans le nouveau gouvernement algérien de Ben Bella, qui multiplia les accrocs aux accords d’Evian, fut rapidement déçu. Prenant conscience du terrible bilan des enlèvements (près de 1700 Français disparus définitifs sur plus de 3000 enlevés depuis le 19 mars 1962) et des massacres de harkis, il protesta énergiquement par la voie diplomatique, et il exigea la séparation des trésors français et algérien, mettant fin à l’union budgétaire qui permettait à l’Algérie d’éviter la faillite en faisant payer par la France son énorme déficit, creusé par la fuite massive de ses principaux contribuables qui étaient les Français d’Algérie. Mais la défense des intérêts économiques (pétrole et gaz du Sahara) et stratégiques (bases d’essais nucléaires, de fusées et d’armes spéciales au Sahara) de l’Etat français avait désormais priorité sur celle des intérêts des Français et des Français musulmans d’Algérie. Après un mois entier de très forte tension (novembre 1962), durant lequel le général de Gaulle voulut redéfinir la politique de coopération avec l’Algérie en fonction de « l’incapacité actuelle du Gouvernement algérien à assurer la marche de l’Etat », celui-ci finit par accepter les exigences françaises. Il dut renoncer à son projet d’épuration pour « indignité nationale », qui aurait officiellement renié les clauses d’amnistie ayant servi de fondement aux accords d’Evian. Mais la séparation des trésors, décidée à Paris le 12 novembre, ne devint effective qu’à la fin décembre, et la France ne pouvait pas interrompre son aide financière et technique avant de longues années sans replonger l’Algérie dans le chaos. Les gouvernements algériens ne renoncèrent pas pour autant à leur projet de démanteler les accords d’Evian par étapes, et la dernière fut la nationalisation du pétrole et du gaz sahariens par le président Boumedienne en 1971, moins de dix ans après ces éphémères accords.

Les accords d’Evian furent donc une illusion du côté français, une duperie du côté algérien, puisque le CNRA de Tripoli avait caché son refus de les ratifier en adoptant à l’unanimité le « programme de Tripoli ». Duperie envers le partenaire français, mais aussi envers le peuple algérien qui avait été invité à ratifier le 1er juillet ces accords secrètement condamnés. Pour les dirigeants français, cette date devait signifier le début d’une application durable des accords, alors que pour les Algériens ce n’était que la fin d’un expédient provisoire. Remarquons pourtant que les négociateurs français avaient eux-mêmes sapé ces accords en refusant de reconnaître à leurs partenaires-adversaires du GPRA la qualité de représentants légitimes de l’Etat algérien, même après la signature de ce fragile échafaudage juridique le 18 mars 1962.

Guy Pervillé

Bibliographie :

-  Vers la paix en Algérie. Les négociations d’Evian dans les archives diplomatiques françaises, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp 379-473.

-  Pervillé, Guy, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Paris, Vendémiaire, 2018, 667 p.



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