"Pour l’historien, la guerre d’Algérie n’a pas fini ce jour-là" (2016)

dimanche 20 mars 2016.
 
Cet interview réalisée par Pierre Challier a été publiée dans La Dépêche du Midi du 19 mars 2016.

Pour l’historien, ce n’est pas la fin de la guerre d’Algérie

Guy Pervillé, historien, ancien professeur à l’université de Toulouse- Le Mirail, spécialiste de la guerre d’Algérie.

-  Que représente la date du 19-mars pour l’historien  ?

Pour l’historien, le 19 mars 1962 n’est pas la fin de la guerre d’Algérie. C’est le commencement de la fin et c’est tout le problème  : il est impossible de trouver une date incontestable qui marque le rétablissement de la paix, et cela, même en laissant de côté la question de la mémoire qui fait que la guerre des esprits, elle, n’est toujours pas terminée.

-  De fait, plus de 3.000 enlevés et près de 1.700 disparus entre les accords d’Évian et juillet 1962, chez les Européens d’Algérie, ainsi que le massacre des harkis...

Il est vrai qu’il y a eu au moins cinq fois plus de civils européens tués ou disparus à partir de cette date que durant toute la guerre. Il est difficile de prouver que le FLN a continué les combats comme avant, mais on trouve de très nombreux exemples d’actes de vengeance contre des civils ou des coups de feu contre des militaires, le 19 mars 1962, il y a aussi un massacre de harkis à Saint-Denis-Du-Sig. Le fait même du cessez-le-feu reste donc très discutable. On dira que c’est l’OAS, essentiellement, qui l’a refusé et c’est exact qu’elle a harcelé plus que jamais les quartiers musulmans des grandes villes mais aussi les militaires qui refusaient de la rejoindre, mais en même temps, il y a eu un nombre très important d’incidents graves avec l’Armée de libération nationale.

-  Cette date ne peut donc toujours pas entrer dans l’histoire, selon vous  ?

Si l’on prend l’exemple du 11 novembre 1918 et du 8 mai 1945, ces dates marquent la cessation réelle des hostilités, et elles ont permis d’unir dans leur commémoration les patriotes qui voulaient fêter la victoire et les pacifistes qui voulaient fêter le rétablissement de la paix. Cette coïncidence heureuse n’existe pas pour le 19 mars 1962 qui ne peut faire consensus, et d’autant moins que ce n’est pas une défaite militaire mais une défaite politique pour la France. Tant qu’il restera un seul survivant des Français d’Algérie qui ont subi les conséquences des accords d’Évian, cette date sera pour eux inadmissible.

-  Comment apaiser cette mémoire  ?

Le geste de François Hollande s’inscrit dans cette volonté d’apaisement  : sans présumer de ce qu’il va dire ce samedi, les termes de la loi de 2012 en attestent qui retiennent cette date. Il ne s’agit pas de prétendre comme le font les anciens combattants de la FNACA que le 19 mars, c’est la "fin de la guerre d’Algérie", puisque c’est, je cite, la "journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ». Dans l’esprit de la loi, c’est donc un jour de deuil.

Recueilli par Pierre Challier



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