Présentation de mon nouveau livre (2022)

mercredi 21 décembre 2022.
 

Le n° 460 de la revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG), Historiens et géographes (novembre-décembre 2022) vient de paraître. A la demande de son secrétaire général Marc Charbonnier, j’y ai publié une présentation de mon nouveau livre (pp 31-32). Voir également sur mon site : Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie (2022) http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=491.

Historiens et géographes m’a demandé de présenter mon nouveau livre. Je le fais volontiers, parce que celui-ci a été écrit en pensant aux besoins des professeurs d’histoire qui doivent enseigner la guerre d’Algérie à leurs élèves .

Présentation du nouveau livre de Guy Pervillé : Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie , Paris, SOTECA, 2022, 178 p.

J’ai commencé à rédiger ce livre entre 2014 et 2017, en me basant sur les programmes de terminale en vigueur depuis 2012, que j’ai cités dans les pages 149-152. Il y avait alors dans ces programmes, thème 1, « Le rapport des sociétés à leur passé (4-5 h). Les mémoires : lecture historique », un choix entre deux questions : « l’historien et les mémoires de la Deuxième guerre mondiale en France », ou « l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie ». J’ai ensuite interrompu sa rédaction pour donner la priorité à un autre livre, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, paru aux éditions Vendémiaire en octobre 2018. Or depuis 2019, la deuxième option est devenue seule obligatoire dans le tronc commun (thème : « La guerre d’Algérie et ses mémoires »), mais elle est également présente avec un plus grand volume horaire (26-28 h) en spécialité HGGP, 1er axe : « Histoire et mémoires des conflits », jalon : « Mémoires et histoire d’un conflit : la guerre d’Algérie ». La place de ce sujet n’a donc pas été diminuée.

Depuis 1991, le livre pionnier de Benjamin Stora La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, m’avait convaincu que, si ce conflit majeur était irrévocablement terminé depuis 1962 et si son histoire était en train d’être écrite et réécrite par les historiens, sa mémoire continuait de vivre dans la génération qui l’avait vécue et dans les générations suivantes, et restait un sujet d’une éternelle actualité.

La notion de mémoire étant à l’honneur dans ces programmes, j’ai commencé par expliquer en introduction « en quoi diffèrent la mémoire et l’histoire », en montrant que depuis les années 1980 et 1990 la première tend à effacer la seconde, mais que les enseignants ont besoin de l’histoire pour surmonter les conflits de mémoires, particulièrement aigus dans le cas de la guerre d’Algérie.

Partant de l’idée toujours valable que les enseignants étaient moins à l’aise avec cette dernière guerre qu’avec la Deuxième guerre mondiale, j’ai consacré mon premier chapitre à démontrer en quoi la guerre d’Algérie n’a pas été une simple répétition de celle-ci, notamment parce que la France et l’Allemagne sont aujourd’hui réconciliées dans la même condamnation du nazisme et du vichysme, alors que la France et l’Algérie ne le sont toujours pas vraiment, puisque si la première a été presque victorieuse sur le plan strictement militaire, elle a été politiquement et moralement défaite par la seconde. Tous les autres chapitres analysent successivement et alternativement l’évolution de mémoires divergentes dans les deux pays concernés.

Du côté français, deux phases se distinguent et s’opposent nettement. Durant la première, de 1962 au milieu des années 1990, l’Etat quel que soit son gouvernement s’abstenait de commémorer officiellement cette guerre parce qu’il jugeait impossible de lui donner un sens positif consensuel, contrairement à ce qu’il avait réussi dans le cas des deux guerres mondiales. Au lieu d’une mémoire nationale unifiée, il y avait donc une pluralité de mémoires opposées portées par des groupes mémoriels hostiles. Au contraire, à la fin des années 1990 un consensus minimal s’est instauré parmi les milieux politiques, jugeant inadmissible l’absence d’une mémoire nationale de la guerre d’Algérie, et il s’est manifesté en 1999 par la reconnaissance officielle de l’expression « guerre d’Algérie ». Mais l’étape suivante, consistant à choisir une date commémorative symbolisant la mémoire nationale de cette guerre, a échoué parce que les milieux politiques se sont divisés en deux camps opposés, la gauche voulant commémorer le 19 mars 1962, « fin de la guerre d’Algérie », alors que la droite y voyait le début de son pire moment. C’est pourquoi après sa réélection inattendue de 2002, le président Chirac a choisi une date de commémoration arbitraire, le 5 décembre, mais il n’a pas satisfait les partisans du 19 mars, qui ont fini par obtenir satisfaction après l’élection du président Hollande en 2012. La France se retrouve donc dotée de deux dates commémoratives également officielles, mais logiquement incompatibles, même si la loi du 8 novembre 2012 a institué une « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie » qui tient plus d’un deuil national que d’une fête nationale.

Du côté algérien, au contraire, la mémoire de la guerre de libération nationale a été entretenue sous la forme d’une hypercommémoration par l’Etat algérien qui lui devait son existence, d’une manière continue depuis 1962, et sans rupture visible avec la propagande de guerre. On observe cependant depuis les années 1990 plusieurs faits nouveaux. D’abord une relative libéralisation de cette mémoire par rapport à l’Etat depuis la constitution pluraliste de février 1989, même si celle-ci a maintenu dans son préambule les grandes lignes de ce que doit être la mémoire nationale. Puis, durant la guerre civile des années 1990, une réactivation de la propagande de guerre du FLN par les deux camps opposés visant à s’identifier au FLN du temps de guerre et à identifier ses ennemis au « parti de la France ». Enfin, à partir de 1995, des tentatives répétées par les dirigeants algériens de faire pression sur les dirigeants français pour obtenir de leur part un soutien inconditionnel, au moyen d’une déclaration de repentance pour tous les crimes que la France a ou aurait commis contre le peuple algérien de 1830 à 1962. Demande que tous les présidents de la République française, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron, ont jusqu’ici rejetée.

Le candidat Macron avait pourtant semblé vouloir renoncer à cette ligne en déclarant en février 2017 que la France avait commis des « crimes contre l’humanité » en Algérie, mais une fois élu il avait changé d’attitude. En juillet 2020, il a répondu à la déclaration du président algérien Tebboune, dans laquelle celui-ci proposait de réconcilier les mémoires des deux pays, en demandant des propositions concrètes à l’historien Benjamin Stora. Mais le rapport rendu par ce dernier le 20 janvier 2021 n’a pas été suivi de réactions positives des dirigeants algériens, ce qui a conduit le président Macron à juger sévèrement leur « rente mémorielle », provoquant ainsi une nouvelle brouille entre l’Algérie et la France d’octobre à novembre 2021. On ne sait pas si l’Algérie a enfin renoncé à sa revendication de repentance, mais le président Macron a clairement montré qu’il voulait satisfaire les mémoires françaises opposées de la guerre d’Algérie et non pas une seule, définissant ainsi une politique mémorielle française pluraliste incompatible avec celle de l’Algérie.

Je regrette néanmoins d’être resté trop discret dans mon livre sur le fait que cette évolution de la politique mémorielle française sur la guerre d’Algérie avait réactivé une « guerre des mémoires » dans laquelle les historiens se sont laissés entraîner au point de mettre en danger le maintien de leur nécessaire communauté scientifique. C’est pourquoi j’ai voulu combler cette lacune en publiant sur mon site une réflexion « sur la reprise de la guerre des mémoires » [1]. De plus, un exemple récent a montré que l’information sur les recherches historiques ne circule pas assez dans ce qui devrait être la communauté scientifique des historiens [2]. Or l’histoire n’est pas une donnée brute, elle a besoin de débats dépassionnés entre ses artisans qui ne se confondent pas avec la guerre des mémoires.

Guy Pervillé

Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail, spécialiste de l’histoire de l’Algérie contemporaine et de la guerre d’Algérie, lui a consacré de nombreux livres et articles.

Ce livre est consacré à la mémoire et aux mémoires de la guerre d’Algérie, envisagées suivant deux perspectives différentes. D’abord, la mémoire française de la guerre d’Algérie est située dans la perspective de l’évolution des commémorations des grandes guerres auxquelles la France a participé au XXème siècle, à savoir les deux guerres mondiales. Elle s’en distingue par l’impossibilité d’une commémoration consensuelle sur la base d’une mémoire nationale unifiée. D’autre part et surtout, le livre confronte systématiquement les politiques commémoratives opposées de la France - où l’Etat avait jugé la guerre d’Algérie incommémorable jusqu’à la fin des années 1990 - et de l’Algérie, qui a pratiqué depuis 60 ans une hypercommémoration dans le prolongement de la propagande de guerre du FLN. Il souligne la persistance d’une revendication de repentance adressée par l’Algérie à la France depuis 1995, et son refus par tous les présidents de la République française depuis Jacques Chirac jusqu’à Emmanuel Macron, qui ont décidé de reconnaître une égale légitimité aux principaux groupes mémoriels longtemps opposés.

[1] Voir sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=490 .

[2] Sur la question de la réalité ou non des prises de sang forcées en Algérie en 1962, voir mes trois dernières mises au point, en réponse au livre de Malika Rahal Algérie 1962, une histoire populaire (2022) p 32 : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=485 , http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=487 , http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=496 .



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