Annuaire de l’Afrique du Nord 1997 (article non publié)

(Années 1993 à 1997, rédaction été 1998, non publié)
lundi 20 août 2007.
 
Cet article a été rédigé pour combler le retard de mes contributions à l’Annuaire de l’Afrique du Nord, et accepté par les responsables de la publication. Mais il n’a pas été publié, pour des raisons qui ne dépendaient pas de moi.

L’HISTORIOGRAPHIE DE LA GUERRE D’ALGERIE :
DE LA MEMOIRE A L’HISTOIRE ?

Durant trente ans (de 1962 à 1992), l’historiographie de la guerre d’Algérie a été composée principalement de témoignages, et de récits de journalistes, les travaux d’historiens restant rares. Le progrès des connaissances a été freiné, en France, par une volonté officielle d’amnésie, et en Algérie, par une sollicitude excessive des pouvoirs publics. Depuis cinq ans, des conditions favorables à l’essor des recherches historiques sont enfin réunies en France grâce à l’ouverture des archives publiques ; en Algérie, tout au contraire, la répétition d’un passé tragique et l’exploitation de sa mémoire par les forces qui s’affrontent sont moins propices que jamais à des recherches indépendantes et critiques. Cependant, les deux pays ont également besoin que l’histoire commence à prendre le relais de la mémoire. Le présent article se propose, après avoir résumé dans ses grandes lignes l’évolution de la production historiographique des trente premières années, de dresser un premier bilan des cinq années qui viennent de s’écouler (1993 à 1997).

Rétrospective (1962 - 1992)

Si l’on entend par historiographie de la guerre d’Algérie l’ensemble des écrits publiés sous forme de livres ou de brochures, qui prétendent dire une vérité sur cette guerre en renonçant aux libertés de la fiction littéraire, il s’agit d’une production ininterrompue depuis 1962 en France et en Algérie, plus épisodique ailleurs. La langue française reste globalement la plus utilisée ; même si en Algérie l’arabe ne cesse de progresser dans les publications commémoratives et historiques, de nombreux auteurs algériens écrivent en français, et parfois se font publier en France. La surabondance de cette production rend son recensement exhaustif particulièrement difficile, même dans notre pays à cause du très grand nombre de livres publiés par de petits éditeurs de province ou à compte d’auteur. On a pu compter chaque année, au minimum, entre 10 et 20 titres nouveaux publiés en français, soit en trente ans plusieurs centaines, auxquels il faut ajouter les rééditions [1].

Le genre le plus représenté reste les témoignages d’acteurs ou de spectateurs, importants ou modestes. Viennent ensuite les récits de journalistes (dont Yves Courrière est resté le modèle), et enfin les travaux d’historiens qui cherchent à expliquer l’enchaînement des faits. La diversité des tendances est particulièrement grande parmi les auteurs français, dont la plupart se répartissent entre trois grandes sensibilités : les partisans de l’Algérie française, les militants anticolonialistes, et ceux qui se sont plus ou moins aisément résignés à la décolonisation, comme le général de Gaulle.

Un premier tournant se distingue nettement dans l’évolution de cette historiographie en France. De 1962 à 1968, la guerre n’était pas vraiment finie pour les derniers partisans de l’Algérie française, dont un certain nombre restait en prison ou en exil ; d’où une surreprésentation manifeste des plaidoyers pour la cause des vaincus et des réquisitoires contre les vainqueurs. Au contraire, les gaullistes voulaient tourner la page, et les sympathisants du FLN étaient absorbés par les problèmes de l’Algérie indépendante. Puis, en moins de deux ans, le climat fut radicalement transformé par les événements de mai-juin 1968, l’amnistie accordée en juillet aux derniers « activistes », et la retraite du général de Gaulle, en avril 1969, suivie en 1970 par la publication de ses Mémoires d’espoir et par sa mort. Il en résulta, entre 1968 et 1972, une floraison sans précédent de « témoignages pour l’Histoire » au ton moins polémique, de grandes fresques journalistiques (les quatre volumes d’Yves Courrière, parus de 1968 à 1971, suivis par un film de montage, et par une série spéciale d’Historia-Magazine), et de premiers essais d’interprétation historique. Cependant, les passions n’étaient pas refroidies, comme le prouvèrent les incidents suscités par la projection du film italo-algérien La bataille d’Alger, et les véhémentes réponses au livre du général Massu, La vraie bataille d’Alger.

Depuis lors, aucun tournant aussi spectaculaire n’a été observé, mais une évolution continue vers un meilleur équilibre entre les genres des publications, entre les nationalités et les tendances des auteurs. Le fait le plus remarquable est la multiplication des auteurs algériens, publiés en Algérie ou en France, et la très grande qualité de certains d’entre eux (Mohammed Harbi au premier rang).

Il n’existe, en principe, aucun délai minimum après la fin d’événements tragiques ayant déchaîné les passions pour que leur étude scientifique devienne possible [2]. Il n’en est pas moins vrai qu’en France et en Algérie l’importance des enjeux politiques passés et présents a considérablement freiné la relève de la mémoire par l’histoire. C’est donc logiquement dans des pays non directement impliqués (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne) que la guerre d’Algérie a le plus tôt fait l’objet de recherches universitaires (de science politique ou d’histoire). Il faut notamment citer la thèse de Sciences politiques du Suisse Fabien Dunand, soutenue dès 1972 et publiée en 1977 : L’indépendance de l’Algérie, décision politique sous la Vème République [3], modèle d’histoire immédiate, malheureusement très peu connue et diffusée en France. Mais les peuples concernés auraient tort d’attendre que la vérité historique leur soit apportée de l’extérieur [4].

Nombre d’Algériens francophones ont découvert l’histoire occultée de leur pays dans les livres d’Yves Courrière (fondés en grande partie sur des témoignages de militants du FLN-ALN) ; nombre d’étudiants et de chercheurs ont choisi de venir travailler en France (comme Mohammed Harbi, Mohammed Teguia, et le politologue Slimane Chikh), alors que les universitaires travaillant en Algérie se sont longtemps consacrés à l’étude du mouvement national avant 1954 (comme Mahfoud Kaddache). En effet, l’histoire de la guerre de libération nationale est une affaire d’Etat parce que celle-ci est la source de toute légitimité politique en Algérie. Les autorités ont organisé une commémoration obsessionnelle de l’héroïsme individuel et collectif des martyrs de la cause nationale ; mais elles se méfient des tentatives d’explication historique des événements, susceptibles de fournir des arguments pour une remise en question des dirigeants ou du régime établi. Depuis 1972, elles ont pourtant lancé une campagne de rassemblement d’archives écrites et orales, et annoncé que l’histoire de l’Algérie serait écrite, plus tard, par des Algériens. Les premières thèses algériennes sur la guerre publiées en Algérie l’ont été en 1981 [5]. L’écriture de l’histoire nationale se fait sous la double surveillance de l’Etat et de l’Association des Anciens moudjahidine. Un premier colloque international sur Le retentissement de la Révolution algérienne [6], a rassemblé à Alger en novembre 1984 des historiens algériens et étrangers ; mais les organisateurs tentèrent de lui donner une orientation politique officielle, et la qualité scientifique des communications fut très inégale. Après les émeutes d’octobre 1988, la Constitution de février 1989 a deserré les contraintes en abolissant le régime du parti unique et le monopole de l’Etat sur la presse et l’édition. Mais l’utilisation des enjeux de mémoire dans les affrontements entre partis n’a pas rendu moins délicate la tâche des historiens algériens.

Les historiens français ont été les derniers à s’occuper de la guerre d’Algérie, qu’ils ont longtemps abandonnée aux anciens acteurs ou témoins et aux journalistes. Non par manque d’intérêt, mais par scrupule méthodologique, faute d’archives publiques disponibles, de recul historique, et de dépassionnement. Ils se sont d’abord efforcés de réinterpréter l’histoire de l’Algérie coloniale en la recentrant autour de l’évolution de la société algérienne musulmane et de la formation du mouvement national (voir les thèses et ouvrages fondamentaux de Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron, André Nouschi, Annie Rey-Goldzeiguer, Gilbert Meynier, Benjamin Stora). Mais pendant longtemps leurs travaux n’ont guère dépassé le 1er novembre 1954.

Les raisons de cette abstention ne sont pas pleinement convaincantes. L’histoire de la guerre d’Algérie n’a jamais manqué de sources. L’historiographie, malgré son caractère répétitif, permet de recouper les témoignages et de faire progresser peu à peu les connaissances. La presse, notamment la presse française d’Algérie, est une mine d’informations à peine explorée. Les témoignages directs et les archives privées pallient dans une certaine mesure la fermeture des archives publiques. Les Journaux officiels permettent une première approche de l’évolution de la politique française. En réalité, les chercheurs manquent aux sources beaucoup plus que l’inverse.

En effet, les pouvoirs publics n’ont rien fait pour encourager les vocations. Contrairement à la Grande Guerre (1914-1918), épreuve positive pour le sentiment national français, et à la Deuxième guerre mondiale, dont le côté glorieux peut compenser le côté sombre, cette guerre-là n’a pas été jugée digne de commémoration ni d’étude : elle a été suivie par une série de lois d’amnistie, échelonnées entre 1962 et 1982, et par une volonté officielle d’amnésie. Mais la persistance de mémoires contradictoires qui s’affrontent régulièrement (notamment chaque 19 mars) prouve que la société française a besoin d’une histoire de la guerre d’Algérie [7].

Depuis les années 1980, quelques signes de changement sont apparus. L’Institut d’histoire du temps présent (successeur du Comité d’histoire de la Deuxième guerre mondiale) a créé un groupe d’étude sur la décolonisation, qui a organisé un premier colloque en 1984 [8], alors que d’autres colloques d’histoire politique française abordaient également ce thème. En décembre 1988, l’IHTP réussit le premier colloque sur La guerre d’Algérie et les Français (excluant la guerre sur le terrain et la prise des décisions au sommet) avec une cinquantaine de participants [9].

En 1990 et 1991, le ministère de la Défense prit une suite de décisions contradictoires. Le Service historique de l’armée de terre (SHAT) commença la publication d’une collection intitulée La guerre d’Algérie par les documents ; mais le premier tome, L’avertissement [10] (1943-1946) faillit être arrêté au dernier moment, et le deuxième (1946-1954), prévu pour 1992, fut suspendu dès octobre 1990 ; aux dernières nouvelles (septembre 1998), sa sortie serait imminente... Toutefois, le ministre Pierre Joxe décida en 1991 d’ouvrir les archives militaires de la guerre d’Algérie trente ans après sa fin (à partir du 1er juillet 1992) conformément à la loi sur les archives de janvier 1979 et au décret d’application aux archives militaires de décembre 1979. Cette loi et ce décret ont fixé un délai général de 30 ans, et des délais particuliers échelonnés de 60 à 150 ans pour protéger les intérêts supérieurs de l’Etat et de la Défense nationale, et surtout ceux des personnes et des familles. Des dérogations à ces délais peuvent être demandées et accordées au gré du ministre sous condition de discrétion. Pour rendre accessible le plus possible de documents, les services historiques des trois armes ont réalisé des inventaires informatisés divisant le contenu de chaque carton en « unités documentaires », relevant chacune du même délai. L’application du décret devait être très stricte, réservant par exemple tous les documents du « deuxième bureau » au délai de 60 ans ; mais au bout de quelques mois, une partie de ceux-ci bénéficia du délai de 30 ans [11]. Globalement, plus de 90 % des documents militaires sont devenus accessibles sans dérogation.

Les autres services d’archives suivent plus ou moins rapidement suivant les moyens dont ils disposent et la bonne volonté des ministères concernés. Le Quai d’Orsay publie régulièrement une nouvelle série de documents diplomatiques ; partant de 1954, elle est arrivée à 1960. Les Archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence ont ouvert sans dérogation depuis 1995 les documents des SAS et des SAU. Les archives du Comité des affaires algériennes (1960-1962), dépendant directement du Premier ministre et conservées aux Archives nationales, ont été consultées par dérogation. Au contraire, les Archives de la préfecture de police, et celles du ministère de la Justice conservées aux Archives nationales, sont restées fermées. Lors du procès de Maurice Papon à Bordeaux, en octobre 1997, la mise en cause par Jean-Luc Einaudi des responsabilités de l’ancien préfet de police de Paris dans la sanglante répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 a provoqué une intervention du ministre de la Culture, Catherine Trautman. Celle-ci a déclaré, imprudemment semble-t-il, que tous les documents concernant cet événement seraient ouverts sans délai [12]. En fait, la loi ne peut être suspendue pour un événement particulier tant qu’elle n’a pas été changée. Le gouvernement de Lionel Jospin a chargé le Conseiller d’Etat Dieudonné Mandelkern de faire un rapport sur les archives en question ; ses conclusions n’ont pas satisfait ceux qui réclament leur ouverture totale [13].

Même si certains pensent que les documents les plus importants sont ceux qui restent cachés, les conditions de travail des historiens sont en France bien meilleures qu’en Algérie. La nouvelle guerre civile provoquée par la « suspension du processus électoral » en janvier 1992 a considérablement aggravé l’exploitation politique de la mémoire nationale. Les islamistes accusent leurs adversaires (partisans du pouvoir militaire ou démocrates laïques) d’être des « nouveaux pieds-noirs » ou des « nouveaux harkis » ; les accusés contre-attaquent en présentant les terroristes islamistes comme des « fils de harkis » poursuivant la vengeance de leurs pères contre les « patriotes », sans plus de souci de la vérité [14]. La recherche historique indépendante et critique est plus que jamais en danger. De plus, le marasme économique ne facilite pas les publications [15].

Les cinq dernières années (1993-1997)

-  Bibliographie

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PERVILLÉ (Guy).- Les étudiants algériens de l’Université française, 1880-1962. Réédition (préface de Mohammed Harbi). Alger : Casbah Editions, 346 p.
STORA (Benjamin).- Appelés en guerre d’Algérie. Paris : Découvertes - Gallimard, 128 p.
STORA (Benjamin).- Imaginaires de guerre - Algérie-Vietnam, en France et aux Etats-Unis. Paris : La Découverte - Syros, 252 p.

- Analyse

La production historiographique des années 1993 à 1997 a été recensée, avec les mêmes difficultés et incertitudes que dans nos précédentes chroniques de l’Annuaire de l’Afrique du Nord. On ne peut en tirer de conclusion que pour les publications faites en France : avec plus d’une centaine de titres en cinq ans (soit plus de 20 par an), cette production ne donne aucun signe d’essoufflement, bien au contraire. En Algérie, les publications continuent malgré tous les obstacles.

Les nouvelles histoires générales de la guerre sont peu nombreuses. On doit signaler deux très bonnes initiatives, sincères et s’efforçant à l’objectivité : celle de Benjamin Stora (1993), qui aboutit à une réflexion pertinente sur l’amnésie, la mémoire et la nécessité de l’histoire dans les deux pays ; et celle d’Alain-Gérard Slama (1996), plus brève et percutante, mais richement illustrée d’images et de textes bien choisis. L’Algérie des Français (1993), est un recueil d’articles publiés dans plusieurs numéros de la revue L’Histoire ; sa présentation par Charles-Robert Ageron exhorte les historiens des deux rives de la Méditerranée à pratiquer une histoire résolument critique des idées reçues (notamment en matière de nombres, d’effectifs ou de pertes), prudente et impartiale.

On attendait beaucoup de Pierre Miquel, premier historien de formation à publier une histoire de la guerre d’Algérie (1993) fondée sur les Archives militaires récemment ouvertes. Malheureusement, ce travail hâtif rempli d’erreurs et au style relâché prouve une fois encore [16] qu’il ne suffit pas d’être un spécialiste des guerres de la France pour écrire une bonne histoire de la guerre d’Algérie. Ce livre est pourtant intéressant grâce aux documents militaires qu’il utilise ; mais l’injustifiable absence de notes donnant les références des sources prend des allures de plagiat dans les premiers chapitres (inspirés de L’avertissement), et rend la suite difficilement utilisable.

L’histoire militaire française de la guerre d’Algérie est toujours abondamment représentée, par des témoignages, des récits, et des études. Parmi les témoignages, on retrouve de grands noms déjà connus : une réédition des deux livres du général Massu (1997), un nouvel album illustré du général Bigeard (1995), les mémoires du soldat perdu Hélie Denoix de Saint-Marc (1995), et ceux du général Katz, pupille de la nation au destin exceptionnel (1997), élargissant sa première apologie de son action contre l’OAS en 1962 à Oran (1993). Les plus nombreux sont ceux des soldats et sous-officiers appelés du contingent, parmi lesquels on peut remarquer le récit démystificateur de Henri Descombin (1994) sur le 5ème bureau d’action psychologique à Oran. Un cas singulier : celui de France Parisy-Vinchon, jeune étudiante métropolitaine qui, après avoir découvert l’Algérie en 1957 par un voyage d’étude, sert pendant cinq ans comme assistante sociale dans plusieurs SAS du Constantinois, dans un engagement plus humanitaire que politique.

Les récits de guerre sont bien représentés par les anciens engagés Georges Fleury (1993 et 1996) et Patrick Charles Renaud (1993). La bataille d’Alger est racontée sans polémique par le journaliste Pierre Pellissier (1995) à partir d’interviews des acteurs et des témoins complétés par des documents d’archives ; la guerre d’Algérie en France par l’ancien para du « 11ème choc » Raymond Muelle, et celle des services secrets est évoquée sous une forme romancée par Constantin Melnik [17] (1994 et 1996), ancien conseiller du Premier ministre Michel Debré.

Les études d’histoire militaire proprement dite sont relativement rares, en dehors du livre déjà cité de Pierre Miquel (complété par un album de photographies). La plus importante est l’histoire de l’armée d’Afrique par un historien britannique, Anthony Clayton (1994). A noter aussi le petit livre richement illustré de Benjamin Stora sur les appelés (1997), fondé sur l’exploitation d’une masse considérable de témoignages publiés.

Les aspects politiques de la guerre, vue du côté français, ont suscité de nombreuses publications, moins sur la IVème que sur la Vème République. La politique coloniale du premier de ces deux régimes a été attaquée avec véhémence par le militant anti-colonialiste Yves Benot (1994). Celui-ci condamne non seulement les « massacres coloniaux », mais aussi le « révisionnisme » dont il accuse des historiens tels que Charles-Robert Ageron, qui refusent d’admettre des nombres de victimes répétés sans avoir jamais été prouvés (comme les 45.000 morts du Constantinois en mai 1945) [18]. A l’opposé, le journaliste Philippe Bourdrel, ayant eu accès aux archives privées de Robert Lacoste, tente de réhabiliter l’action du ministre résidant « dernière chance de l’Algérie française » (1996). Sa consœur Georgette Elgey (1997), poursuivant sa monumentale histoire de la IVème République, consacre un volume entier aux deux grands problèmes extra-européens de l’année 1956 : Suez et l’Algérie. Elle a le grand mérite de remonter jusqu’aux racines des problèmes, aux origines de l’Algérie précoloniale et des rapports franco-algériens.

La Vème République et l’élaboration de sa politique algérienne ont naturellement suscité davantage de témoignages et d’études. Le livre d’Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle (1994) éclaire d’une lumière brutale les motivations les plus profondes et jamais avouées en public du refus de l’intégration par le Général. Les Entretiens (1993) de Michel Debré avec le Président de la Vème République apportent des révélations très précieuses sur l’élaboration complexe de sa politique, et notamment sur les crises de découragement que celui-ci aurait traversées en juillet et en octobre 1960 (après l’échec des entretiens de Melun et de l’affaire Si Salah, et avant l’annonce de la « République algérienne »). Les souvenirs de Jacques Foccart (1995) confirment qu’en mai 1958 le Général ne voulait pas savoir ce que ses plus fidèle amis tramaient en son nom, et que ceux-ci n’étaient pas encore conscients du fossé qui séparait ses idées de celles de Jacques Soustelle. Les Mémoires de Bernard Tricot (1994) complètent son premier témoignage publié en 1972, sur la collaboration entre un jeune haut fonctionnaire ayant participé à la décolonisation de la Tunisie en 1954-1955 et le général de Gaulle soucieux de dégager la France de son fardeau algérien. Deux exécutants de sa politique ont également témoigné des difficultés qu’ils eurent à l’appliquer sur le terrain : le Délégué général Paul Delouvrier (1994), et le premier ambassadeur de France à Alger de juillet à décembre 1962, Jean-Marcel Jeanneney (1997).

Quelques synthèses sont à signaler. Le journaliste britannique Michaël Kettle a évoqué dans un gros livre (1993, non traduit) les rapports tumultueux entre de Gaulle et l’Algérie, de Mers-el-Kebir aux barricades d’Alger, en s’appuyant sur les archives diplomatiques de son pays. L’historienne française Michèle Cointet (1995) se limite aux années cruciales 1958-1962. Son étude est solidement fondée sur une riche bibliographie et sur les Archives nationales, des Affaires étrangères, et du SHAT ; ses analyses sont très pertinentes, sa liberté de pensée et d’expression très stimulante. La thèse de Daniel Lefeuvre (1997) apporte un éclairage très neuf à un facteur capital et trop méconnu du choix gaullien : l’échec de la politique d’industrialisation de l’Algérie par son intégration dans l’économie métropolitaine, entreprise bien avant le plan de Constantine de 1958, dès 1944 (voire dès les années 1930 au niveau des projets). Comme le souligne la préface de Jacques Marseille, cette thèse novatrice bouscule les idées reçues de l’anti-colonialisme, en démontrant que « la France a plutôt secouru l’Algérie qu’elle ne l’a exploitée ».

En dehors de la politique officielle des gouvernements, diverses catégories de Français ont continué d’exprimer leur mémoire, et ont fait l’objet d’études historiques.

Le point de vue des « activistes » de l’Algérie française est exprimé notamment par l’ancien chef des commandos de l’OAS d’Alger Jean-Claude Perez, « debout dans sa mémoire » et sans remords (1996). Et par l’ancien « para » et militant d’extrême-droite Dominique Venner (1993), qui révèle que son arrestation le 22 avril 1961 à Paris étouffa dans l’œuf un plan « Gerfaut » d’assassinat du chef de l’Etat. Distancié de son passé politique au point de reconnaître une part de légitimité au combat du FLN, il persiste à condamner la politique gaullienne, et reste fidèle à une conception de la vie d’inspiration fasciste ou fascisante. Ces témoignages peuvent être confrontés à ceux d’adversaires comme le général Katz à Oran, et comme le commissaire Jacques Delarue qui a réédité son OAS contre de Gaulle (1994). Sur l’OAS, deux études globales proprement historiques méritent d’être signalées : celle d’Anne-Marie Duranton-Crabol (1995), et celle d’Arnaud Déroulède (1998), tirée de sa thèse de doctorat soutenue en 1993. Si ces deux auteurs dédiabolisent l’OAS en la traitant comme un objet d’histoire, ni l’une ni l’autre ne concluent à sa réhabilitation intégrale.

Le drame vécu par la communauté française d’Algérie est évoqué dans une très abondante production presque indénombrable, et qui dépasse largement le cadre chronologique de notre sujet ; On peut citer, en guise d’échantillon, l’album illustré d’Alain Vircondelet et Jean-Pierre Stora (1996), les souvenirs d’Aimé Baldacci (1994 et 1997), ceux, plus distanciés et moins représentatifs, de René Lenoir (1994), ou la réédition en 1994 du livre de Jules Roy qui scandalisa les siens en 1960 [19]. Deux études retiennent l’attention : celle, globale, de Pierre Mannoni sur les Français d’Algérie de 1830 à 1962 (1993), et celle de Michèle Barbier sur le « mythe Borgeaud » (1995), symbole vivant du « colonialisme ».

Deux épisodes particulièrement douloureux ont inspiré des mises au point. La vérité sur l’insurrection du 8 mai 1945 dans le Constantinois (1997) est un recueil de témoignages et de documents réunis par l’amicale des Hauts plateaux de Sétif, en réponse à un film tendancieux diffusé sur Arte le 10 mai 1995 (voir plus loin). Ils méritent d’être pris en considération, même si les auteurs ne distinguent pas toujours ce qu’ils savent pour l’avoir vécu et ce qu’ils croient savoir sans tenir compte de tous les acquis de la recherche historique.

Un crime sans assassin, de Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey (1994) est une enquête approfondie qui tente de faire la lumière sur la fusillade du 26 mars 1962 rue d’Isly à Alger, tragédie beaucoup moins connue que celle du 17 octobre 1961 à Paris (le nombre des victimes excepté). Il est regrettable que ce livre ne soit pas diffusé en librairie. A signaler aussi deux rééditions de témoignages représentatifs : le Journal d’une mère de famille pied-noir (Alger 1960-1962) de Francine Dessaigne (1996) et le Journal d’un prêtre en Algérie, Oran 1961-1962, du père Michel de Laparre (1996).

L’exode des « pieds-noirs », leur arrivée inattendue et leur intégration en métropole ont fait l’objet de plusieurs publications de Jean-Jacques Jordi (1993 et 1995), et d’un colloque organisé par celui-ci avec Emile Témime (1996), qui s’inscrit dans la perspective de recherches comparatives sur les rapatriements entraînés par la décolonisation (voir Jean-Louis Miège et Colette Dubois, 1994).

Le sort tragique et injuste des « harkis » a été rappelé en 1993 par le colonel Abdelaziz Meliani, plaidant pour que la « France honteuse » reconnaisse sa dette morale et matérielle envers ces « Français par le sang versé » ; et par Mohand Hamoumou, dont la thèse de sociologie analyse les divers motifs de leur engagement du côté français et les raisons de leur silence. Ce travail novateur, qui souligne que les « harkis » ne s’étaient pas toujours engagés par patriotisme français, n’a pas réussi à renouveler le débat autant qu’on aurait pu l’espérer. En effet, un article de Charles-Robert Ageron [20], critiquant certaines affirmations discutables de ce livre sur le nombre des musulmans pro-français massacrés après le cessez-le-feu, l’a fait accuser de « négationnisme » par le bulletin Le clin d’œil. Le général Maurice Faivre a réagi avec moins de véhémence à un autre article du même auteur [21] qui soulignait d’après les archives du SHAT le manque de confiance des autorités militaires dans le patriotisme français de ces supplétifs ; son livre de 1995 réhabilite ces « soldats sacrifiés » en s’appuyant sur les mêmes archives, et sur celles du Comité des affaires algériennes. Pourtant, sa monographie de 1994 sur le harkis de l’Oued Berd allait dans le sens de Charles-Robert Ageron, et de Mohand Hamoumou, en montrant que ceux-ci avaient participé à toutes les révoltes contre la domination française, y compris celle de mai 1945 et celle du FLN-ALN à son début.

D’autres troubles de la conscience française ont inspiré plusieurs publications. Les actes du colloque Juger en Algérie (1944-1962), organisé en 1995 par l’Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux, montrent la difficulté de cette tâche dans une situation caractérisée par la domination coloniale, par la coexistence de trois droits (français, coranique et coutumier), et par une guerre non reconnue comme telle. Le mémoire de maîtrise d’Alexis Berchadsky (1994) analyse l’impact du livre-événement d’Henri Alleg, La question, sur les opinions publiques de la France et du monde, et la thèse de Jean-Yves Sabot (1995), celui de la guerre d’Algérie sur le syndicalisme étudiant français. Celle de Serge Jouin (1994) rend hommage à Max Marchand, enseignant et intellectuel dévoué au bien de l’Algérie, assassiné par l’OAS à Alger le 15 mars 1962.

D’autres publications expriment le point de vue des Français d’Algérie ou de France, très peu nombreux, qui ont compris le droit de l’Algérie à disposer d’elle-même au point d’aider les combattants du FLN ou de s’engager dans leur camp. Par force et par charité dans le cas des deux religieuses enlevées en Kabylie en 1956, dont Jean-Philippe Ould Aoudia raconte en 1996 le destin moins tragique que celui des trappistes de Tibharine. Par un choix politique délibéré dans ceux du curé d’Oranie Alfred Berenguer devenu député algérien (1994), comme dans ceux des trois prêtres et du pasteur étudiés par Sibylle Chapeu (1996). L’engagement de très rares femmes françaises d’Algérie du côté du FLN a inspiré l’enquête de Françoise Dore-Audibert (1995),qui complète utilement celle de Djamila Amrane (1994, voir plus loin). Une forte proportion de celles-ci était motivée par un engagement communiste préalable, qu’illustrent les souvenirs de guerre de Jacqueline Guerroudj (1993), et la vie extraordinaire de l’institutrice communiste Lisette Vincent racontée par Jean-Luc Einaudi (1994). Le point de vue communiste s’exprime également dans les souvenirs inachevés du philosophe Jean Cohen (1997) et dans les études de Jacques Jurquet (1997) et de Serge Kastell (1997), sur la radicalisation du PCA et de ses « Combattants de la libération » de 1954 à 1956.

Le mouvement national et la guerre de libération nationale de l’Algérie ont inspiré de nombreuses études, ainsi qu’un nombre difficilement mesurable de témoignages. Sur les événements fondateurs du 8 mai 1945, Boucif Mekhaled a publié en mai 1995 une version très condensée de sa thèse soutenue à Paris en 1989 (travail aussi objectif que possible en Algérie), avec une double préface de Mehdi Lallaoui, président de l’Association « Au nom de la mémoire », et de Jean-Charles Jauffret (principal auteur de la publication du SHAT sur le même sujet). Peu après, le premier préfacier a réalisé avec Bernard Langlois un film diffusé sur Arte le 10 mai 1995, que le second a qualifié, malheureusement non sans raison, de « très bel exemple de désinformation ». Malgré quelques minutes octroyées à des témoins français d’Algérie et à Jean-Charles Jauffret, le montage et le commentaire privilégient la vulgate nationaliste algérienne (revivifiée par la Fondation du 8 mai 1945 de Bachir Boumaza) qui présente les « massacres de Sétif » comme un plan prémédité et perpétré de sang-froid, comparable au génocide des Juifs. Ils occultent le fait que le projet insurrectionnel du PPA était antérieur aux manifestations du 8 mai 1945, et que les atrocités commises par les insurgés sur une centaine de civils français d’Algérie (et autant de blessés) provoquèrent les représailles disproportionnées qui suivirent [22].

D’autres publications expriment d’une manière plus convaincante les raisons fondamentales de l’insurrection du 1er novembre 1954 : les textes écrits par Jean Amrouche de 1943 à 1961 (1994) ; les souvenirs du maquisard kabyle Ali Zamoum (adjoint de Belkacem Krim, et frère de Si Salah) dialogués avec Kateb Yacine (1993) ; les documents sur la crise du MTLD présentés par Abderrahmane Kiouane (1996) ; les articles d’histoire sociale et culturelle réunis par Fanny Colonna (1994).

Le déroulement de la guerre a inspiré des témoignages ou récits de M’hamed Yousfi (1993), Khalfa Mameri (1996) sur divers épisodes ou personnages, et plusieurs études spécialisées : celles de Mohammed Guentari sur l’OPA du FLN (1995), tirée d’une thèse soutenue à Montpellier, de Camille-Lacoste Dujardin (1997) sur la malencontreuse tentative d’utiliser l’ethnologie contre le sentiment national en Kabylie maritime ; celles de Djamila-Amrane (1994) et de Monique Gadant (1995) sur la place des femmes. Il a surtout fait l’objet d’un colloque sur La guerre d’Algérie et les Algériens organisé par Charles-Robert Ageron à l’IHTP en 1996, publié en 1997. Les participants, huit historiens algériens et huit français, ont traité sans concertation préalable des aspects nécessairement limités, mais sur lesquels les recoupements et les convergences ont été fréquents [23].

La fin de la guerre avait déjà été étudiée à fond dans un autre colloque, organisé en mars 1992 à l’Université de Paris VIII, et publié cinq ans plus tard, sous la direction de René Gallissot. Colloque remarquable par la diversité des participants, des sujets traités sans aucun tabou, et des opinions exprimées. René Gallissot a couronné l’ensemble par une longue et brillante synthèse, qui renvoie dos à dos les déplorateurs du non-respect des accords et ceux qui voient dans la « perte » de l’Algérie une bonne affaire, en rappelant à tous la clause essentielle : « Arrêtez de tuer » [24]. De hauts responsables algériens ont fourni de précieux éclaircissements par leurs témoignages : Redha Malek (1995) sur l’itinéraire des négociations depuis les premières tentatives avortées de 1956, et Ben Youcef Ben Khedda (1997) sur l’éclatement du FLN lors de l’indépendance.

Dans une durée plus longue, Benjamin Stora et la journaliste Zakya Daoud (1995) ont retracé la carrière paradoxale de Ferhat Abbas, porteur de l’utopie d’une Algérie qui aurait été à la fois musulmane et, en quelque manière, française. André Nouschi (1995) a complété son histoire du nationalisme algérien jusqu’aux derniers événements qui lui inspirent une conclusion désabusée. Omar Carlier (1995) a finement analysé l’évolution des radicalismes algériens depuis l’islamo-nationalisme de Messali et l’Islahisme des Oulémas jusqu’aux mouvements islamistes armés de nos jours.

L’histoire de la guerre d’Algérie s’intéresse également à sa mémoire. Le colloque organisé en 1992 par la Ligue de l’enseignement et l’Institut du monde arabe a été publié intégralement dès 1993, en deux volumes de débats et un de documents, accompagnés par l’enquête d’opinion d’Alain Coulon. J’ai déjà exprimé dans un précédent Annuaire [25] son intérêt considérable, mais aussi les réserves qu’inspirent son caractère de réunion « entre amis » et une certaine confusion entre l’histoire et une perspective militante qui confond abusivement l’idée d’Algérie française et l’extrême-droite. La synthèse tirée de ce colloque par Gilles Manceron et Hassan Remaoun (1993) échappe en majeure partie à ce dernier reproche. Il faut également signaler les publications de Benjamin Stora (1994) et (1997) qui continue d’explorer les mémoires de cette guerre et d’autres, dans le prolongement de son courageux essai pionnier de 1991, La gangrène et l’oubli.

Que conclure ? L’historiographie de la guerre d’Algérie continue sans relâche de répondre à des besoins de mémoire sans cesse croissants. Sa relève par une histoire scientifique et critique se confirme, particulièrement en France, où les publications tirées de thèses ou de mémoires de maîtrise deviennent moins rares. Cette relève est plus nécessaire et plus difficile que jamais en Algérie, dont la nouvelle guerre civile s’explique en grande partie par l’hyper-commémoration obsessionnelle et non-distanciée de la précédente, et par les manipulations politiques de la mémoire collective. Elle est infiniment plus facile en France, où les sources accessibles n’ont jamais été aussi surabondantes. Elle y est également nécessaire, parce que notre pays n’est pas entièrement à l’abri d’un « retour du refoulé », consistant à répéter une guerre d’Algérie inversée contre une prétendue « invasion » ou « colonisation » maghrébine. Les historiens qui travaillent en France (qu’ils soient français ou non) devront d’autant plus qu’ils peuvent davantage.

Guy Pervillé

Cet article, resté inédit, est ma dernière tentative de bilan historiographique complet, parce que je n’ai pas retrouvé depuis lors le temps d’étudier en détail cette production de plus en plus surabondante. Sur le fond, l’espoir que j’exprimais en conclusion a été largement déçu par suite de l’engagement ou de l’exploitation croissante de l’histoire au service de la mémoire, en France comme en Algérie.

[1] Qu’on me pardonne de renvoyer à mes précédents essais de bilan parus dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord 1976, pp. 1337-1363 (suivi par des chroniques régulières dans les Annuaires 1977 à 1988, puis 1990 et 1992) ; dans Historiens et géographes, n° 293, février 1983, pp. 635-648, et dans le catalogue de l’exposition La France en guerre d’Algérie, Paris, Musée d’histoire contemporaine et BDIC, 1992, pp. 308-309.

[2] L’ouvrage de l’historien algérois Claude Martin, Histoire de l’Algérie française, 1830-1962, rédigé en 1961-1962, a été publié dès 1963 (puis réédité en 1979).

[3] Editions Peter Lang à Berne.

[4] Contrairement à ce que Guy Mollet aurait déclaré au Britannique Alistair Horne.

[5] Les thèses de Slimane Chikh et de Mohammed Teguia, publiées sous deux titres voisins : L’Algérie en armes, et L’Algérie en guerre.

[6] Alger, ENAL, et Bruxelles, GAN, 1985.

[7] Cf. Guy Pervillé, « Histoire immédiate, histoire du temps présent ou histoire contemporaine : le cas de la guerre d’Algérie », Cahiers d’histoire immédiate n° 3, Toulouse, GRHI, 1992, pp. 95-105.

[8] Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, s. dir. Charles-Robert Ageron, Editions du CNRS 1986.

[9] La guerre d’Algérie et les Français, s. dir. Jean-Pierre Rioux, Fayard, 1990.

[10] Sous la direction de Jean-Charles Jauffret.

[11] Cf. Introduction à l’étude des archives de l’Algérie, Vincennes, SHAT, 1992, et l’exposé beaucoup plus encourageant fait par Caroline Obert à l’IHTP le 31 janvier 1994.

[12] D’où la publication de photocopies de documents du Parquet de Paris consultés par David Assouline, dans Libération du 22 octobre 1987.

[13] Le rapport Mandelkern du 5 mai 1998 propose une estimation provisoire de 32 morts. Cf. la réaction de Jean-Luc Einaudi dans Le Monde du 20 mai, qui a suscité une plainte en diffamation de Maurice Papon.

[14] Cf. Guy Pervillé, « Histoire de l’Algérie et mythes politiques algériens : du “parti de la France” aux “anciens et nouveaux harkis” », in La guerre d’Algérie et les Algériens, s. dir. Charles-Robert Ageron, Paris, Armand Colin, 1997, pp. 323-331.

[15] Ce dont témoigne (selon son auteur) l’exceptionnelle concision du livre de Khalfa Mameri sur Larbi Ben M’hidi.

[16] Après l’Histoire de la guerre d’Algérie d’Alistair Horne, traduction française Albin Michel, 1980 (pourtant bien meilleure que celle de Pierre Miquel).

[17] Le seul haut responsable qui ait reconnu la « très brutale répression » du 17 octobre 1961, minimisée par Maurice Papon. R. Muelle reconnaît la sous-estimation du bilan officiel, et le caractère non violent de la manifestation.

[18] Le préfacier d’Yves Benot, François Maspero, lui assène le pavé de l’ours en invoquant le million de morts algériens de 1954 à 1962.

[19] Mais le roman posthume d’Albert Camus, Le premier homme, Paris, Gallimard, 1994, n’est-il pas le meilleur témoignage sur la guerre d’Algérie vue dans la perspective des « Algériens » français ?

[20] Dans XXème siècle, Revue d’histoire, n° 42, avril-juin 1994.

[21] XXème siècle, n° 48, oct.-déc. 1995, pp. 3-20.

[22] Ce n’est pas une raison de mettre en doute la sincérité des auteurs, mais pour avoir une vision plus juste, on peut voir par exemple le récit très objectif pour son époque publié par Charles-André Julien dans L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1952 (réédition 1972, pp. 262-265).

[23] Voir en rubrique Histoire.

[24] Voir en rubrique Histoire.

[25] Annuaire de l’Afrique du Nord 1992, pp. 1172-1173.



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