Annuaire de l’Afrique du Nord 1979

(Rédaction : été 1980. Publication : 1981)
mercredi 8 août 2007.
 
La rubrique "Historiographie de la guerre d’Algérie" est désormais institutionnalisée sous ma responsabilité. J’en ai rédigé tous les comptes-rendus sauf un, dû à Jean-Robert Henry. Voir l’AAN 1979, pp. 1303-1310.

VII. - HISTORIOGRAPHIE DE LA GUERRE D’ALGÉRIE [1]

Le vingt-cinquième anniversaire du 1er novembre 1954 semble avoir inspiré cette année une nouvelle vague de publications sur la guerre d’Algérie, qui, peu à peu, s’éloigne de l’actualité pour entrer dans l’Histoire. Néanmoins, plus que jamais s’opposent deux versions contradictoires, ancrées dans une égale conviction d’avoir eu raison. D’un côté, les partisans de l’intégration, de l’autre, ceux de l’Indépendance. Entre les deux, rien, sinon un travail d’historien dont le ton mesuré tranche avec celui de ces plaidoyers « pro domo » ou de ces réquisitoires.

1. Soldats du djebel, histoire de la guerre d’Algérie (Paris, Société de Production Littéraire, 379 p., ill.), est une œuvre collective, présentée par François Porteu de la Morandière, président de l’Union nationale des Combattants en Afrique du Nord (à ne pas confondre avec sa rivale, la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Tunisie et Maroc, la FNACA). Les dirigeants, cadres et adhérents de cette union ont fourni des témoignages inédits et des photographies qui viennent compléter et illustrer un historique des combats et de la pacification, rédigé par le colonel Henri Le Mire (à partir d’une bibliographie limitée à quelques ouvrages, d’auteurs en majorité militaires). Préfacé par le général Massu, ce mémorial d’une guerre gagnée sur le terrain, mais perdue par les responsables politiques, exprime la fierté du devoir accompli, sans donner libre cours à l’amertume du sacrifice inutile. Cette relative sérénité le distingue des aigres réquisitoires naguère publiés par les colonels Godard et Argoud, ou par le général Jacquin [2]. Mais elle n’implique aucune remise en question de la justesse de la cause servie par les « soldats du djebel », au contraire. En dépit des défaillances explicables de certains, placés seuls avec leur conscience dans des situations tragiques, leur action était essentiellement pacificatrice. Ils ont, certes, fait la guerre, non pas au peuple algérien, mais au seul FLN : « C’est lui et lui seul qui fut notre adversaire. Il prétendait incarner l’Algérie. L’avenir dira dans quelle mesure il la représentait réellement ou si, au contraire, par son fanatisme, il n’a pas coupé de ses sources les plus authentiques ce peuple mélangé et riant [... ] ». Ils dénoncent également « l’indifférence exprimée par un pays qui, sans savoir vraiment pourquoi, et sans se sentir engagé, avait envoyé sa jeunesse se battre au loin ». Mais leur fierté n’est pas seulement d’avoir combattu et construit, mais aussi « d’avoir balayé de nos cœurs toute rancune et toute haine, tant à l’égard de nos ennemis d’hier qu’à l’égard de ceux qui n’ont compris ni nos combats, ni nos sacrifices, ni nos espérances ». - Ainsi soit-il...

2. Le témoignage du général René Laure : De Salan... à Boumedienne (Paris, Éditions ODIL, 337 p., ill.), procède du même état d’esprit. Fils de général d’armée, officier colonial passionné par l’Algérie (où il se marie), le Sahara, et l’ensemble de l’Afrique, René Laure est un de ces soldats qui ont des idées, et veulent les faire connaître. Auteur d’un livre sur l’Eurafrique, il fonde en 1954 à l’École de Guerre un groupe de réflexion politico-militaire qui n’hésite pas à publier, sans souci de la discipline, ses critiques et ses propositions sous le pseudonyme collectif de « Milites ». Affecté à l’état-major de l’expédition de Suez, il exerce ensuite plusieurs commandements de secteurs au Sahara, d’où il adhère sans réserves au mouvement du 13 mai. Rappelé à Paris par Michel Debré, il observe pendant six mois au Secrétariat général pour les Affaires Algériennes le pragmatisme à courte vue du pouvoir. De retour en Algérie à la fin de 1959, commandant le secteur de Bône, il voit les déclarations du général de Gaulle rendre vains les succès de la guerre et de la pacification. Après le référendum du 8 janvier 1961, une affectation à Washington lui épargne de plus graves cas de conscience. Aujourd’hui, « le temps de la réconciliation est arrivé, mais aussi celui de la vérité ». L’auteur apporte son témoignage pour montrer « par quelles voies tortueuses la France, qui n’avait pas eu le courage de défendre avec détermination son œuvre passée en Algérie, n’a pas eu, non plus, l’audace de s’ouvrir résolument sur l’avenir », en proclamant elle-même l’indépendance. II reconnaît cependant que le général de Gaulle a fait de son mieux pour assurer cette difficile reconversion, et va jusqu’à exprimer sa sympathie pour les efforts de l’Algérie indépendante et son admiration pour l’œuvre du colonel Boumedienne. Représentativité et originalité, l’alliance rare de ces deux qualités contraires donnent un intérêt particulier à ce nouveau témoignage d’officier français.

3 et 4. D’autres nous entraînent sur le terrain, loin des états-majors et des coulisses du pouvoir. Le nouveau livre de Georges Fleury : Le baroudeur ; les quatre guerres du général Delayen (Indochine, Corée, Algérie, Tchad), publié chez Grasset, est représentatif d’une littérature guerrière plus que jamais à la mode [3].

Plus banal, le récit de Paul René Machin, Djebel 56 (Paris, Lettres du Monde, 1978), journal de marche d’un bataillon de transports, nous montre l’armée française dans ses tâches quotidiennes, « comme toujours, sans peur et sans reproche ».

5. C’est une tout autre image de l’armée d’Algérie que nous présente Dimitri Davidenko dans Chouf ! (Paris, Éditions Encre, 223 p.), recueil de témoignages enregistrés d’anciens soldats du contingent. Nostalgie, ennui, peur panique des embuscades et des attentats, tortures, exécutions sommaires, viols, mépris raciste des Arabes en général, évasion dans la beuverie ou le bordel... voilà le triste lot de ces jeunes appelés dont le seul but était de parvenir sains et saufs au jour de la « quille ». Soldats involontaires, qui n’ont rapporté d’Algérie que le remords d’avoir perdu leur temps et leur intégrité, en servant une cause inavouable : retarder l’inéluctable libération d’un peuple opprimé. Version antimilitariste et anticolonialiste, qui rappelle celle de Jean-Pierre Vittori [4], et s’apparente comme celles-ci aux positions de la FNACA.

On devine la réponse de sa rivale, l’UNCAFN : il ne s’agirait là que de mauvaises troupes, mal instruites et mal encadrées, inconscientes de leur devoir et intoxiquées par des propagandes subversives. Reste à établir la proportion des « bons » et des « mauvais » parmi les « soldats du djebel »...

6. Les militants dont l’histoire fait l’objet du livre de Hervé Hamon et Patrick Rotman : Les porteurs de valises, La résistance française à la guerre d’Algérie (Paris, Albin Michel, 424 p., photos, annexes et index), ne se sont pas contentés de subir une guerre qu’ils jugeaient injuste, ils lui ont résisté... en s’engageant volontairement dans le camp adverse. Trop jeunes pour avoir participé à cette action, à laquelle ils manifestent clairement leur sympathie, les deux auteurs lui ont consacré trois ans d’enquête, une centaine d’entretiens, le dépouillement d’une masse d’archives privées, de périodiques publiés ouvertement ou clandestinement, de livres autorisés ou saisis. Le résultat de leurs efforts apporte une lumière nouvelle sur un épisode jusqu’ici trop méconnu de cette guerre [5].

Des hommes et des femmes de divers milieux (intellectuels, artistes, prêtres, voire prolétaires), appartenant à tous les courants de la gauche (communistes déjà critiques, existentialistes athées, chrétiens progressistes, trotskystes), ont éprouvé la même indignation devant l’oppression colonialiste, les moyens de répression utilisés pour la maintenir, et l’impuissance de la « gauche respectueuse » à prévenir puis à arrêter « une guerre imbécile et sans issue ». Tôt ou tard, les uns dès le début de l’insurrection, les autres après la « trahison » de Guy Mollet et l’échec de la révolte des rappelés, ils en viennent à aider les militants algériens : hébergement, transport et convoiement à travers les frontières des hommes, de leur matériel de propagande, de leur argent, et de leurs armes. A partir de juillet 1957, sur l’ordre de la nouvelle direction du FLN en France, les militants les plus engagés plongent dans la clandestinité totale et organisent des réseaux structurés et cloisonnés. Le plus important, animé par Francis Jeanson et Henri Curiel, assure les liaisons de la Fédération de France avec l’extérieur et le transfert des fonds qu’elle recueille (cinq cents millions par mois). Parallèlement, la IVe Internationale trotskyste de Michel Raptis (dit « Pablo ») fabrique de faux papiers, de la fausse monnaie, et de vraies armes.

Mais ces clandestins à la solde du FLN conservent leurs organisations distinctes et s’efforcent d’entraîner la gauche française à refuser la guerre en la persuadant que les peuples français et algérien doivent s’unir contre leur ennemi commun : le fascisme. Ils croient réussir au début de juin 1958, quand deux envoyés du parti communiste (Laurent Casanova et Waldeck-Rochet) rencontrent secrètement Francis Jeanson. Déçu dans ses espoirs, celui-ci persévère en diffusant un bulletin clandestin (Vérités pour. . . ). Après le démantèlement partiel de son réseau en février 1960, il multiplie les déclarations afin de réveiller la gauche en lui faisant connaître les raisons d’une action illégale qui ne recueille pas que des approbations dans ses rangs. Cependant, le mouvement « Jeune Résistance » multiplie les appels à l’insoumission et à la désertion. La publication du Manifeste des 121 à la veille de procès du réseau Jeanson, l’action pour la négociation menée par l’UNEF, le PSU et les syndicats, montrent que cette campagne d’explication a réussi. Mais si la gauche réveillée se mobilise contre l’OAS et fait pression sur de Gaulle pour le pousser à aller plus loin et plus vite qu’il ne voudrait, c’est bien le Général qui fait la paix et qui en retire tout le bénéfice politique. Mis hors jeu par l’ouverture des négociations, les militants clandestins de la décolonisation se divisent dès 1960 entre plusieurs chapelles : Mouvement Anticolonialiste Français (MAF), organisé par Henri Curiel pour dépasser l’aide au FLN en mettant la gauche (et surtout le PCF) au service de toutes les révolutions marxistes ; Front de Soutien à la Révolution Algérienne fondé l’année suivante par Francis Jeanson avec l’appui de la Fédération de France. L’expérience de l’Algérie indépendante en décevra beaucoup et leur montrera qu’ils avaient idéalisé la révolution algérienne en transférant sur elle leurs espérances révolutionnaires. La plupart en chercheront la satisfaction dans le soutien à d’autres luttes anti-impérialistes du Tiers-Monde, jusqu’à ce que, en France même, la bruyante éclosion du gauchisme de mai 1968, la renaissance du parti socialiste, l’évolution du parti communiste et la mise en route de l’union de la gauche viennent les tirer de leur isolement et donner rétrospectivement à leur action groupusculaire un caractère pionnier.

De ce demi-échec, les auteurs sont bien conscients. Mais leurs lecteurs pourront se demander s’il n’oblige pas à remettre en question le sous-titre du livre. Certes, la clandestinité totale ne peut être le fait que d’une minorité, mais toute résistance vise à rassembler un peuple contre l’oppression, étrangère ou interne. Les « porteurs de valises » du FLN ont voulu former l’avant-garde d’une nouvelle résistance française, mais sans grand succès. Rassemblant quelques centaines de militants, quelques milliers de sympathisants à la fin de la guerre, ils ont en somme moins bien réussi que leurs antagonistes de l’OAS, qui incarnaient alors le fol espoir d’un million de Français d’Algérie. Pour s’être désolidarisés de leurs compatriotes qui tombaient sous les coups de l’ALN, ils sont apparus à une grande partie de l’opinion (à droite, mais aussi à gauche), au pis comme des traîtres, au mieux, comme égarés.

Ce livre apporte une réponse convaincante aux allégations malveillantes [6] qui prétendaient expliquer leur engagement par des motivations intéressées. Le modeste traitement versé par le FLN à ses « permanents » français était évidemment pour eux un moyen, non une fin. On ne peut croire qu’ils aient pris le risque de la prison ou de l’exil pour une durée imprévisible (en fait, jusqu’à l’amnistie de 1966) - pour ne rien dire de la mort violente qui vient de frapper, en 1978, Henri Curiel - sans être soutenus par de fortes convictions. Internationalistes ou patriotes déçus, ils ont voulu servir l’intérêt bien compris du peuple français autant que celui du peuple algérien, et sauvegarder les chances d’une véritable coopération entre eux. Ils ont des raisons de croire que leur action a contribué à limiter les pertes françaises (tout au moins en métropole, où Francis Jeanson réussit à dissuader ses interlocuteurs algériens de recourir au terrorisme aveugle pendant l’été de 1958), et que la France aurait pu se les épargner en reconnaissant plus tôt l’indépendance de l’Algérie. Leur position est assurément plus satisfaisante que celle du général de Gaulle (qui finit par livrer l’Algérie au FLN après avoir tout tenté pour la lui disputer), ou que celle des partisans de l’intégration (lesquels ont involontairement causé le malheur de tous ceux qui s’étaient confiés à eux). Justifiés par l’Histoire, ils peuvent en somme penser que leur seul tort fut d’avoir raison trop tôt. Mais on peut également se demander si, en fermant les yeux sur les souffrances d’une partie de leurs concitoyens, ils ne contribuaient pas à provoquer entre les Français la guerre civile dont ils ne reconnaissaient pas l’existence parmi les Algériens.

7. Le témoignage de Daniel Guérin : Quand l’Algérie s’insurgeait (La Pensée Sauvage, 187 p.), est représentatif d’une autre catégorie de militants qui ont soutenu avec constance la cause de l’indépendance de l’Algérie, sans pour autant approuver tous les actes commis en son nom. Anticolonialiste de la première heure [7], défenseur et ami des premiers nationalistes algériens, l’auteur a participé à tous les comités d’intellectuels qui, de novembre 1954 au printemps de 1962, ont protesté contre la répression, dénoncé le danger fasciste et réclamé des négociations avec les représentants authentiques du peuple algérien. Cependant, il s’est inquiété de « certains attentats » qui « ressemblaient trop à des ratonnades à rebours » et lui semblaient « peu rentables politiquement ». Surtout, en tant que vieil ami de Messali, il ne pouvait admettre la « guerre fratricide » que se faisaient entre eux les Algériens, et invitait sans succès le MNA et le FLN à s’unir contre leur ennemi commun, le colonialisme. L’éclatement du FLN pendant l’été de 1962 l’indigna donc sans le surprendre : il y vit le « résultat de conceptions qui ont trop longtemps prévalu » dans sa direction, à savoir : la « méconnaissance complète des règles essentielles de la démocratie ; l’incapacité à résoudre des désaccords autrement que par des coups de force ; le mépris de la volonté populaire ; l’habitude de recourir à la violence plutôt qu’à la procédure démocratique pour arriver à ses fins ». Devant l’autoritarisme « jacobin » des dirigeants algériens, ce militant libertaire se sent « comme une poule qui aurait couvé des œufs de cane ». Mais il ne renie pas plus la Révolution Algérienne que la Révolution Française, et fait confiance à la maturité politique du peuple algérien pour faire naître un jour « une Algérie à la fois indépendante, vraiment décolonisée et authentiquement socialiste ».

8. Les souvenirs d’André Moine : Ma guerre d’Algérie (Paris, Éditions Sociales, 1979, 231 p.), apportent une précieuse contribution à la connaissance de l’action clandestine menée par le parti communiste algérien, en alliance avec le FLN, mais dans une organisation restée distincte. Précédé d’une introduction historique, et suivi de documents annexes, ce témoignage, écrit en prison de 1960 à 1962, vaut surtout par l’évocation de la vie dangereuse des militants communistes algériens de toutes origines, petit groupe d’hommes et de femmes traqués, mais servi par leur science de la clandestinité (chèrement acquise de 1939 à 1943), leur courage, leur foi et leur fraternité, dans l’action et dans les pires épreuves [8]. L’auteur, militant communiste français, fixé en Algérie après sa libération des prisons de Vichy, et devenu membre de la direction du PCA, était particulièrement qualifié pour retracer cette expérience, depuis le début de son action clandestine au printemps 1955, jusqu’à son arrestation pendant la bataille d’Alger en juillet 1957. Mais en dépit de son évidente sincérité, la thèse politique sous-jacente au témoignage et explicitée dans l’introduction est moins convaincante. La constante difficulté des rapports entre les mouvements communistes et nationalistes en Algérie, clairement exposée par le livre d’Emmanuel Sivan [9], semble systématiquement estompée. Du tableau édifiant qui lui est proposé, le lecteur ne peut retirer qu’une impression : les communistes, alliés naturels des peuples colonisés, ne pouvaient que participer au premier rang à la guerre de libération nationale. Rien n’est dit sur la profonde méfiance des fondateurs du FLN envers le PCA (considéré comme inféodé au PCF et à l’URSS), ni sur les obstacles que celui-ci a dû surmonter pour aligner ses positions sur celles du Front. En particulier, on aimerait connaître la réaction des dirigeants du parti à deux événements aussi incompatible avec l’internationalisme prolétarien qu’avec la théorie thorézienne de l’Algérie, « nation en formation dans le creuset de vingt races » : le massacre des mineurs européens d’El Halia et de leurs familles le 20 août 1955 ; et les trois jours de tueries dans les rues d’Alger - vraies « ratonnades à rebours » - qui répondirent à la première exécution de condamnés à mort le 19 juin 1956. Aucun de ces deux faits n’est mentionné dans ces Mémoires. On voit cependant les militants discuter vivement pendant la bataille d’Alger sur l’opportunité des attentats qui dressent en bloc la population européenne contre la révolution algérienne. Mais André Moine répond qu’il faut les juger du point de vue des Algériens (comme s’ils approuvaient nécessairement un terrorisme dont ils pouvaient être aussi les victimes, directes ou indirectes), et ne pas mettre sur le même plan la juste violence des colonisés et la violence injuste des colonialistes. Il donne en exemple l’héroïsme d’un militant de Sétif, Denier, qui persistait à soutenir la lutte anticolonialiste après avoir eu les poignets tranchés par les émeutiers nationalistes le 8 mai 1945. « Voilà », s’exclame-t-il, « les hommes que façonne notre parti ! ». Mais il omet de préciser qu’en exigeant des siens cette vertu surhumaine, le PCA perdit la plupart de ses adhérents et la quasi-totalité de ses sympathisants européens, qui n’eurent pas le sentiment d’abandonner leur parti, mais d’être abandonnés par lui. Ce parti-pris constamment apologétique nuit à la crédibilité de la démonstration, sans diminuer l’intérêt du témoignage.

9. Un tel souci d’auto-justification collective est absent de la thèse de troisième cycle d’André Nozière : Algérie : les chrétiens dans la guerre (Paris, Editions Cana, 327 p., préface de René Rémond). (Le compte-rendu de cet ouvrage, qui se trouve aux pages 1308 à 1310 de l’AAN 1979, est dû à Jean-Robert Henry.)

Que les anciens combattants ou militants campent sur leurs positions, cela n’a rien d’étonnant. C’est des générations suivantes que l’on peut attendre un renouvellement des perspectives. Pourtant, même parmi les jeunes auteurs, deux conceptions de cette histoire à peine refroidie continuent de s’opposer. Pour Hervé Hamon et Patrick Rotman, le débat algérien n’a rien perdu de son actualité, et leur projet tend à réhabiliter un engagement incompris et diffamé. Au contraire, André Nozière rompt nettement avec le style polémique en pratiquant l’impartialité méthodique. Cela ne l’empêche pas de formuler dans sa conclusion des jugements, qui n’en paraissent que mieux fondés.

Guy Pervillé

[1] Responsable : Guy Pervillé.

[2] Y. Godard, Les trois batailles d’Alger, Fayard 1972 ; A. Argoud : La décadence, l’imposture et la tragédie, Fayard 1974 ; H. Jacquin : La guerre secrète en Algérie, Olivier Orban 1977.

[3] Nous ne pouvons citer tous les livres à la gloire de tel ou tel « corps d’élite », qui consacrent quelques chapitres en passant à la guerre d’Algérie.

[4] Nous, les appelés d’Algérie, Paris, Stock, 1977.

[5] Ce sujet n’avait été traité que par Jeanine Cohen et Micheline Pouteau, Una resistenza incompiuta. La guerra d’Algeria e gli anticolonialisti francesi, 1954-1962, 2 vol., Milan, Il saggiatore, 1964 (inédit en français).

[6] Cf. Jacquin, op. cit., p. 279.

[7] Voir son livre : Ci-gît le colonialisme, Paris - La Haye, Mouton 1973, 500 p.

[8] Se reporter aux témoignages de Henry Alleg : La question, et Prisonniers de guerre, Paris, Éditions de Minuit, 1958 et 1961.

[9] Communisme et nationalisme en Algérie, 1920-1962. Paris, Presses de la FNSP, 1976.



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