L’Algérie et la France ont eu longtemps des politiques mémorielles au sujet de l’indépendance du premier pays et de la fin de l’empire colonial du second tout à fait opposées : hyper-commémoration dans le premier cas, amnistie et amnésie dans le second. Or, ces deux tendances divergentes ont semblé se rapprocher depuis dix ans du fait du ralliement de la France à un devoir de mémoire universel à partir de l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République (le choc du procès Papon ayant accéléré l’évolution de la politique mémorielle française à partir de 1997). Pourquoi donc, après le vote de la loi du 18 octobre 1999 reconnaissant la guerre d’Algérie, et le discours du président Bouteflika le 14 juin 2000 proposant à la France un geste de repentance pour les crimes du colonialisme, le projet de traité d’amitié franco-algérien annoncé en 2003 a-t-il connu en 2005 un échec apparemment complet ? Le vote de la loi mémorielle du 23 février 2005 sous l’influence de groupes de pression "pieds-noirs" et "harkis" est-il une explication suffisante ? Et quel a été dans cette évolution le rôle des historiens français qui ont semblé intervenir pour la première fois d’une manière autonome en dénonçant, les premiers, la loi en question ? Aucun journal n’ayant, à ma connaissance, essayé d’expliquer cet ensemble de faits, il me paraît utile de le tenter en tant qu’historien. Cette tentative se fera en trois temps : un retour sur la loi du 23 février 2005, puis sur la loi Taubira-Ayrault de mai 2001 et les autres lois mémorielles, et enfin sur l’échec du traité d’amitié franco-algérien (2003-2007) [1].
Retour sur la loi du 23 février 2005
La loi du 23 février 2005 et son échec ont déjà été plusieurs fois étudiés, tant par ceux de mes collègues qui lui ont déclaré la guerre [2], que par un jeune historien qui a entrepris de la situer dans l’affrontement des lois mémorielles françaises [3]. Pour ma part, j’ai déjà expliqué les analyses justifiant mes prises de position dans plusieurs textes auxquels je vais encore me référer, mais je ne crois pas inutile d’y revenir une fois de plus.
J’ai été contacté en mars 2005 par le juriste Thierry Le Bars pour me joindre à la pétition qu’il voulait lancer, de concert avec Claude Liauzu, contre la loi du 23 février 2005, mais un échange de lettres ne nous a pas permis de nous mettre d’accord. A la suite de quoi j’ai jugé bon de publier mon avis sur le site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon. En résumé, la loi du 23 février 2005 me semblait en effet très critiquable, mais pas plus que la loi Taubira-Ayrault du 21 mai 2001, à laquelle elle avait emprunté son passage le plus vivement contesté, qui prétendait dicter aux historiens ce qu’ils devaient trouver et aux enseignants d’histoire ce qu’ils devaient enseigner [4].
Puis, à la suite d’une réunion à l’Institut d’histoire du temps présent à laquelle j’avais participé en même temps que le vice-président de la Ligue des droits de l’homme Gilles Manceron, j’ai été interpellé par ce dernier avec une certaine véhémence, sur le même site internet de la LDH de Toulon, à la fois pour mon désaccord avec la loi Taubira-Ayrault et pour avoir accepté de participer à une réunion organisée par le président de l’Association “Jeune Pied-noir”, Bernard Coll. J’ai répondu à Gilles Manceron sur mon site internet (avec un lien avec son texte sur celui de la LDH) en explicitant mes analyses sur la loi Taubira-Ayrault et sur la loi du 23 février 2005 [5].
Par la suite, j’ai continué à publier mes analyses [6], surtout quand l’affaire Pétré-Grenouilleau (dont il sera question plus loin) a démontré le caractère très partiel du débat sur la loi du 23 février 2005 [7]. Puis, les débats et les polémiques ayant fini par se calmer après le désaveu officiel du point le plus critiqué de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, j’ai pu étudier plus à fond la question dans deux communications au colloque que j’ai organisé à Toulouse au nom du Groupe de recherche en histoire immédiate les 5 et 6 avril 2006 [8], puis l’élargir à une comparaison de l’ensemble des lois mémorielles françaises dans ma communication au colloque de Lyon organisé par Gilbert Meynier, le 22 juin 2006 [9]. Une semaine après avoir présenté mes réflexions récentes à la journée d’étude de Narbonne, organisée par Eric Savarese le 19 avril 2007 sur le thème “ Montrer l’Algérie au public. Pour en finir avec les guerres de mémoire franco-algériennes”, je les présente de nouveau car il me paraît nécessaire de bien tirer les leçons de cette année si riche en conflits de mémoires.
Il faut d’abord expliquer les raisons pour lesquelles j’ai accepté d’entrer en relations avec plusieurs organisations de “Pied-noirs” et de “harkis”, et notamment avec les Cercles algérianistes. Je n’ai aucune mémoire personnelle de l’Algérie puisque je n’y ai jamais vécu, sinon pendant cinq brefs séjours d’étude entre 1970 et 1975. Mais j’ai eu l’occasion de rencontrer plus d’une fois des Français d’Algérie, et j’estime ne pas devoir les considérer comme des parias, même s’ils n’ont pas tous renoncé à toutes leurs nostalgies, voire leurs ressentiments. Je souhaite profondément une véritable réconciliation franco-algérienne, mais je ne crois pas possible de la réaliser sans l’accompagner d’une vraie réconciliation franco-française, et donc également d’une réelle réconciliation entre les populations qui ont cohabité en Algérie. Or je vois au contraire, depuis plusieurs années, se préciser le risque d’une entente franco-algérienne qui se ferait suivant les conditions posées par les autorités d’Alger, c’est-à-dire l’alignement de la mémoire française sur la mémoire officielle de l’Algérie. Mais la mémoire française étant jusqu’à présent beaucoup moins contraignante que cette mémoire officielle algérienne, nous pouvons craindre qu’une réconciliation basée sur l’alignement de l’une sur l’autre soit le contraire de ce que l’on pouvait espérer, et qu’elle pousse les Français d’Algérie (ou du moins ceux qui conservent leur mémoire) à un deuxième exil, un exil intérieur.
Contacté par un membre de la direction du Cercle algérianiste de Bordeaux, amateur d’histoire et historien amateur [10], j’ai accepté de participer à un colloque d’historiens sur l’Algérie dont il avait pris l’initiative en 1997 [11], puis à un deuxième en 2003 [12]. En conséquence, j’ai également accepté de participer à un débat du congrès des Cercles algérianistes à Perpignan en 2004, puis à un autre dans celui de Toulouse en 2006. Durant cette période, la perspective d’une réconciliation des anciens acteurs de la guerre d’Algérie, à laquelle je voulais encore naïvement croire au début des années 1990, n’a fait que s’éloigner de plus en plus, à mesure que les guerres de mémoire se sont déchaînées. Les Cercles algérianistes sont devenus - avec des nuances locales - des organisations de plus en plus militantes, mais je ne crois pas juste de les en tenir pour seuls responsables, étant donné cette recrudescence générale de ces conflits mémoriels qui nous ramène cinquante ans en arrière.
Cependant, j’ai été conduit à exprimer plusieurs fois mes positions personnelles sur les évolutions que je pressentais entre 1997 et 1999 [13], puis en 2003 [14]. J’ai dénoncé à l’avance l’idée d’une histoire officielle garantie par l’Etat : “ De nombreuses associations de rapatriés, de ‘harkis’ et de militaires dénoncent le poids de ce qu’ils appellent la ‘désinformation’ imposée par les ‘tiers-mondistes pleurnichards’, et réclament une ‘réécriture de l’histoire’ de la colonisation et de la décolonisation. Pour y parvenir, ils souhaitent une intervention des pouvoirs publics, par un grand débat parlementaire et par ‘la création d’une commission d’historiens afin de rétablir la vérité historique sur sur la présence française en Algérie de 1830 à 1962’. A supposer qu’une majorité de droite leur donne satisfaction, l’histoire de la colonisation et de la décolonisation française deviendrait un enjeu politique, comme la législation sur l’immigration et le code de la nationalité française. Elle serait alternativement procoloniale (comme sous la IIIème et la IVème République) et anticoloniale (comme en Algérie depuis l’indépendance). Ainsi, l’indépendance des historiens qui travaillent en France sur la colonisation et la décolonisation, garantie depuis 1962 par l’absence d’une doctrine officielle en la matière, pourrait être remise en cause. » [15] J’ai nettement désavoué la prise de position d’un dirigeant des Cercles algérianistes prétendant que les Français d’Algérie entendaient “rester maîtres de leur passé pour le léguer intact à la postérité. Fermement décidés à confondre les forces mensongères qui ne cessent de les accabler, ils se chargent eux-mêmes d’écrire leur histoire” [16]. J’ai exprimé un certain scepticisme sur la revendication de la reconnaissance par l’Etat de sa responsabilité dans le drame des Pieds-Noirs et des Harkis, que les Cercles algérianistes ont adoptée avec d’autres organisations de rapatriés en 1999 [17]. Et enfin, j’ai écrit au président national de ces cercles, Thierry Rolando, pour lui exprimer mon désaccord avec la position que ceux-ci avaient prise, justifiant la loi du 23 février 2005 par la nécessité de redresser l’enseignement public de l’histoire, faussé par des préjugés anticolonialistes, en le retournant dans l’autre sens [18].
L’action de ces organisations depuis 1999 les avait conduites d’abord à des résultats positifs, puisque le parti socialiste et les autres forces de gauche qui avaient pris position pour le choix du 19 mars comme date commémorative de la guerre d’Algérie avaient perdu les élections de 2002 [19]. Au contraire, le président Chirac avait bénéficié de leur appui pour sa réélection et semblait vouloir satisfaire leurs revendications, tout en cherchant à conclure un traité d’amitié avec l’Algérie. Le président et son gouvernement ont voulu mener de front les deux opérations en donnant satisfaction aux uns pour leur faire accepter le traité avec les autres. Mais durant cette longue négociation, la compatibilité entre les deux opérations que le gouvernement voulait mener conjointement était apparue de plus en plus problématique. Après le vote de la loi du 23 février 2005 en faveur des rapatriés et de harkis, suivie de quelques jours par une déclaration faite à Sétif par l’ambassadeur de France à Alger pour tenter de satisfaire les Algériens, la campagne contre cette loi lancée par plusieurs historiens français (dont Claude Liauzu et Gilbert Meynier) sema les germes du doute puis de la colère en Algérie, et le président algérien Bouteflika condamna très sévèrement cette loi à partir du 8 mai 2005. Malgré plusieurs tentatives de relance du gouvernement français, la négociation du traité d’amitié n’a pas pu reprendre avec succès, bien que le président de la République se soit décidé tardivement (en décembre 2005) à faire amputer la loi visée de sa phrase la plus critiquée. Sa politique algérienne s’est donc terminée par un échec retentissant [20].
Mais la loi du 23 février 2005 n’en a pas moins subi, elle aussi, un échec d’autant plus retentissant qu’elle avait d’abord semblé être une victoire inespérée pour les défenseurs de la mémoire des “Pied-Noirs” et des “harkis”. En effet, cette loi dont le projet gouvernemental ne comportait qu’un seul article, très général [21], visant à satisfaire cette mémoire avant d’accorder des satisfactions matérielles à certaines catégories d’ayant droit, a été profondément modifiée par l’action des parlementaires intéressés - de la majorité et de l’opposition [22]- qui ont voulu en faire l’instrument d’une véritable réhabilitation mémorielle. On avait pu croire au début qu’un accord entre tous les partis, d’accord pour enrichir très sensiblement le texte gouvernemental, serait possible [23]. Mais en fin de compte le vote sépara la majorité de droite qui vota ce texte et la minorité de gauche qui le rejeta.
Après le vote et la publication de la loi du 23 février 2005, la pétition des historiens publiée sur le site internet de la LDH de Toulon le 24 mars 2005 et dans Le Monde du 25 réclama l’abrogation de cette loi, et tout particulièrement celle de son article 4, suivant lequel : “Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée”. Cet article 4 fit particulièrement scandale, et finit par être amputé de sa phrase centrale par le Conseil d’Etat sur la demande du Président de la République et du président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré en janvier 2006.
Il était en effet particulièrement maladroit parce qu’il empiétait sur la liberté des historiens et surtout des enseignants d’histoire, mais deux remarques s’imposent à ce sujet. D’abord, l’article en question avait été presque littéralement recopié sur la proposition de loi Taubira-Ayrault, qui comportait de même un jugement de valeur sur les contenus à enseigner (“la plus longue et la plus massive déportation de l’histoire de l’humanité”) que les députés ont heureusement coupé dans la rédaction finale de l’article 2 de cette loi ; mais ce jugement reste implicite dans cet article qui prend la suite de l’article 1er, définissant l’esclavage et la traite des Noirs comme un “crime contre l’humanité” [24]. D’autre part, les auteurs de la loi du 23 février 2005 avaient précisé dans les débats que ces jugements positifs sur la colonisation française n’excluaient pas d’autres aspects négatifs [25], mais ils avaient eu le grand tort de ne pas le mentionner dans le texte de la loi. Plus généralement, d’autres aspects de celle-ci suscitaient l’inquiétude, notamment l’article 3 : “Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie est créée, avec le concours de l’Etat. Les conditions de cette fondation sont règlées par décret en Conseil d’Etat”, dont on pouvait craindre qu’il veuille établir une histoire officielle. Mais les deux premiers articles n’étaient pas moins troublants en formulant au nom de la “Nation” des jugements dont on pouvait se demander s’ils exprimaient vraiment le point de vue de la communauté nationale (modifiée depuis 1962 par l’afflux de nombreux immigrants d’Algérie et d’outre-mer) alors qu’ils étaient formulés en réalité par un très petit nombre de parlementaires présents. Il n’en reste pas moins que la loi, même amputée de la phrase centrale de son article 4, a été votée et reste en vigueur.
Le projet du Cercle algérianiste de Perpignan m’inspire des remarques analogues. Il prend la suite d’un projet de Mémorial d’Outre-mer qui a fait parler de lui durant plus de vingt ans avant d’être mis à l’étude par la mairie de Marseille, lequel l’a fait préparer par un comité d’historiens avant de le suspendre durant la période électorale. Ce comité, dirigé par Jean-Pierre Rioux et Jean-Jacques Jordi, comporte un large éventail d’historiens, du général Faivre à Eric Deroo. On peut certes lui reprocher de ne pas compter d’historiens algériens parmi ses membres, mais pas d’être monolithique. La meilleure preuve en est que les Cercles algérianistes se considèrent comme dépossédés de ce projet. Et c’est pour cette raison qu’ils tiennent particulièrement à la réalisation du mémorial de Perpignan.
Le Cercle algérianiste de Perpignan s’est entendu avec la mairie de la ville, dirigée par Jean-Paul Alduy [26], pour construire dans le couvent Sainte-Claire un “centre de la présence française en Algérie” comportant notamment un “mémorial des disparus en Algérie (1954-1963)” qui doit être prochainement inauguré. Je ne connais pas précisément ce projet, mais je ne suis pas convaincu par l’appel “Non au musée de la Mairie de Perpignan à la gloire de la colonisation” lancé par trente organisations de gauche. Tout en réservant mon jugement sur la “stèle à la gloire de l’OAS” déjà existante qui est présentée comme un avant-goût du futur mémorial, je ne peux approuver l’exigence que “le projet du mur des disparus ne voie pas le jour” et que “la création du ‘centre de la présence française en Algérie’ soit abandonnée”, de même que la mention quelque peu méprisante de “deux ‘historiens’, Geneviève de Ternant et Jean Monneret, dont les travaux sont consacrés à faire l’apologie de l’Algérie française”. En effet, Geneviève de Ternant n’est pas historienne, mais elle a eu le mérite de rassembler des témoignages sur le massacre du 5 juillet 1962 à Oran au temps où aucun historien ne s’en occupait [27]. Quant à Jean Monneret, il est le premier historien qui s’en soit occupé dans sa thèse sur la fin tragique de l’Algérie française, et nul ne peut ignorer ses travaux [28]. Ajoutons que les Français d’Algérie enlevés après le 19 mars 1962 sont plus de 3.000, et qu’ils ont été l’objet d’un recensement officiel nominatif aujourd’hui accessible [29], ce qui n’est pas le cas d’autres victimes dont les nombres présumés sont cités et acceptés sans preuves suffisantes [30]. Au moment où la France vient de jouer un rôle moteur dans l’élaboration d’une convention internationale contre les disparitions forcées adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 décembre 2006, cet ostracisme est choquant [31].
La conclusion de l’appel des organisations de gauche cité plus haut en faveur de “la création d’un musée-centre de ressources sur l’histoire croisée de la France et de l’Algérie”, “associant des historiens des deux rives de la Méditerranée et des représentants des deux peuples français et algérien”, serait en revanche acceptable [32], si les revendications précédentes ne semaient pas le doute sur son respect des faits historiques gênants pour leur option politique. Une recherche bilatérale sur le sujet douloureux des enlèvements peut être espérée pour l’avenir dans la mesure où ceux du 5 juillet 1962 à Oran ont déjà été étudiés, très honnêtement, par des chercheurs algériens, Karim Rouina [33] et Fouad Soufi [34]. Pour le moment, le projet du Cercle algérianiste de Perpignan paraît être l’expression d’une mémoire particulière, ce qui n’est pas interdit par la loi. On peut d’ailleurs soutenir le projet concurrent sans réclamer l’interdiction de celui-ci. Son financement peut sans doute être contesté dans la mesure où la mairie de Perpignan y participerait financièrement (ce qui poserait le même genre de problème que la loi du 23 février 2005 entérinant une mémoire particulière au nom de la Nation). Mais d’autres municipalités ont également des politiques mémorielles particulières, engagées dans un autre sens, par exemple celle de Paris qui a décidé d’honorer officiellement Maurice Audin (disparu pendant la bataille d’Alger en 1957) et les victimes algériennes de la répression du 17 octobre 1961 [35] ; sans oublier les milliers de communes qui ont une rue ou une place du 19 mars 1962. Je crois que les historiens doivent aider leurs concitoyens à dépasser les mémoires particulières, en les englobant dans une mémoire collective assez large pour les rassembler en dépassant les vieux clivages. Mais ce n’est pas en semblant condamner l’une de ces mémoires partielles qu’ils y aideront.
La loi Taubira-Ayrault de mai 2001 et les autres lois mémorielles
N’étant pas spécialiste de la colonisation esclavagiste de l’Ancien Régime, j’ai découvert l’existence de la loi Taubira-Ayrault du 21 mai 2001 avec près d’un an de retard, mais ce n’était pas une raison valable de ne pas la juger. D’abord par un souci élémentaire d’équité, en rappelant comme je l’ai fait que l’article 4 de la loi du 23 février 2005 lui avait été presque littéralement emprunté, mais avec l’adjonction de deux jugements positifs sur la colonisation qui lui ont été fatals [36]. En effet, en insistant sur les seuls éléments jugés positifs de l’oeuvre coloniale, cet article a donné l’impression de vouloir en cacher les aspects négatifs, qui avaient pourtant été reconnus dans les débats. Cette faute de rédaction est incontestable. Mais on ne peut pour autant opposer à cet article 4 de la loi du 23 février 2005, si maladroitement rédigé, l’article 2 de celle du 21 mai 2001 comme un modèle d’objectivité, parce que la différence est plus de forme que de fond. Comme l’a justement remarqué Paul Thibaud, cet article 2 de la loi Taubira-Ayrault n’a pas eu besoin de répéter la condamnation sans appel de la colonisation esclavagiste en tant que “crime contre l’humanité” qui venait d’être formulée par l’article 1er [37].
En effet, le point capital que l’on peut reprocher à la loi Taubira-Ayrault est de ne pas être seulement une loi mémorielle, mais aussi une loi pénale. Ce caractère pénal est introduit par l’article 1er, qui déclare : “La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité”. D’un point de vue moral et sentimental, on peut approuver de voir ainsi formuler une condamnation qui aurait dû l’être beaucoup plus tôt. Mais d’un point de vue juridique (lequel est par définition un aspect fondamental de toute loi), comment peut-on formuler une loi pénale visant des faits dont tous les coupables, complices et victimes sont incontestablement morts, étant donné la date des faits condamnés et celle de l’introduction de la notion de “crime contre l’humanité” dans le code pénal français [38], sans contrevenir au principe général de non-rétroactivité des lois ? On a pu penser que cette étonnante particularité était plus une curiosité sans conséquence qu’un fait d’importance réelle, mais cette interprétation optimiste ne tenait pas compte de l’article 5, qui règle les conditions pratiques d’application de cette clause pénale : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (dernier alinéa), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3), de la présente loi [39]”. Ce qui veut dire que des descendants d’esclaves constitués en associations peuvent légalement représenter leurs ancêtres devant la justice en dépit du temps écoulé. Ainsi la distinction entre le passé et le présent, fondamentale pour tout travail historique, se trouve-t-elle abolie. De ce fait, qui des descendants d’esclaves auraient-ils pu mettre en accusation devant les tribunaux ? Au bout de quatre ans, cette question apparemment absurde a reçu sa réponse : un historien [40].
L’affaire Olivier Pétré-Grenouilleau, trop vite oubliée, mérite de rester dans les mémoires comme la preuve éclatante de la confusion entre les domaines politique, juridique, et historique, qui a troublé les esprits de nos législateurs, et qui menace encore l’exercice du métier d’historien dans notre pays. Notre collègue, juste après avoir été récompensé par le prix d’histoire du Sénat pour son livre sur les traites négrières [41], et après avoir répondu à une interview demandée par le Journal du dimanche, a été violemment attaqué sur Internet par une association d’Antillais, Guyanais et Réunionnais, qui ont annoncé - et réalisé - leur intention de le poursuivre devant les tribunaux pour infraction à la loi Taubira-Ayrault dont il avait osé contester le bien-fondé. La justice a laissé la procédure s’engager, et il a fallu pour l’arrêter que le président de la République Jacques Chirac procède le 30 janvier 2006, à l’occasion de la réception qu’il donna pour confirmer la validité de la loi Taubira-Ayrault, à une critique voilée de sa valeur historique [42]. Les plaignants retirèrent aussitôt leur plainte parce qu’ils avaient conscience d’avoir perdu la partie [43], mais deux autres plaintes avaient été déposées par d’autres organisations et n’ont pas été retirées, si je suis bien informé.
Une autre raison de la reculade des premiers plaignants fut la prise de position claire et nette de plusieurs historiens et intellectuels qui prirent la défense d’Olivier Pétré-Grenouilleau, d’abord par deux pétitions en décembre 2005 [44] (dont la première fut ouverte aux signatures d’historiens en janvier 2006 et en recueillit plus de 500 en quelques semaines), puis par la création d’une association appelée Liberté pour l’histoire, présidée par le grand historien René Rémond [45] et soutenue par l’Association des professeurs d’histoire et de géographie et par la revue L’Histoire. Cette association, a laquelle la juriste Françoise Chandernagor, ancien membre du Conseil d’Etat, apporta une contribution juridique très précieuse [46], prit une position à la hauteur du problème en demandant l’abrogation de toutes les principales lois mémorielles votées depuis la loi Gayssot de 1990, alors au nombre de quatre. Prise de position pleinement justifiée par la défense du droit des historiens à exercer librement leur métier, mais qui n’a malheureusement pas été soutenue par tous les historiens, dont certains ont persisté à défendre telle ou telle loi et à ne condamner que l’une d’entre elles.
Pourtant, cette position mûrement réfléchie par l’Association était la seule à la mesure du problème de la multiplication et de la dérive des lois mémorielles, chacune en appelant d’autres par un phénomène d’envie, voire de jalousie, destiné à s’accélérer. Ce danger avait été nettement dénoncé dès avant le vote de la loi Gayssot en 1990 par plusieurs intellectuels et historiens, notamment le regretté Pierre Vidal-Naquet, et la présidente de la Ligue des droits de l’homme Madeleine Rébérioux. Celle-ci avait clairement formulé ses craintes dans la revue L’Histoire, d’abord après le vote de la loi Gayssot [47], puis cinq ans plus tard au moment du procès intenté par plusieurs associations arméniennes contre l’historien américain Bernard Lewis pour avoir contesté la qualité de “génocide” au grand massacre d’Arméniens commis par les Turcs en 1915 [48]. Dans ces deux cas Madeleine Rébérioux, bien connue comme militante de gauche autant que comme historienne, ne voulait évidemment pas favoriser la contestation des génocides par de soi-disant historiens “révisionnistes” ou négationnistes, mais défendre le droit des véritables historiens à exercer librement leur métier contre la redoutable dérive qu’elle pressentait. Dix ans plus tard, après le début de la multiplication des lois mémorielles sous les présidences de Jacques Chirac, l’affaire Pétré-Grenouilleau a fourni la preuve éclatante que ses craintes étaient malheureusement bien fondées.
Les lois mémorielles forment en effet une sorte de famille, mais une famille divisée dans laquelle des groupes revendicatifs rivaux cherchent à obtenir la même reconnaissance nationale pour leur mémoire particulière que les premiers servis. Les Arméniens ont d’abord obtenu la loi du 29 janvier 2001, par laquelle la qualité de “génocide” a été officiellement reconnue au massacre de leurs compatriotes, puis avec retard la loi votée le 12 octobre 2006 qui les a dotés de sanctions pénales empruntées à la loi Gayssot contre la contestation de cet événement. La loi Taubira-Ayrault s’explique elle aussi par la volonté d’obtenir pour les Noirs l’équivalent ce ce qui avait d’abord été obtenu pour les Juifs (le mot “crime contre l’humanité” remplaçant celui de “génocide” évidemment inapproprié dans ce cas), mais en oubliant l’éloignement chronologique des deux événements et le caractère inactuel du plus ancien.
La loi du 23 février 2005 se situe dans la même perspective, mais la légitimité de sa place a été contestée pour de multiples raisons, bonnes ou mauvaises. Claude Liauzu l’a présentée, dans une interview à El Watan, comme une sorte d’imposture : “ Le lobby pied-noir veut une revanche. Il a compris le modèle de la dénonciation du génocide, le modèle de la loi sur l’esclavage. Quand on lit l’article 4 de la loi du 23 février 2005, on s’aperçoit que c’est le même texte que la loi sur l’esclavage, que ce sont les mêmes termes” [49]. Qu’il y ait eu des arrière-pensées derrière cette imitation volontaire est en effet probable, à la fois par rapport à la loi mémorielle antérieure pouvant servir de précédent à l’autorité inattaquable, que par rapport au traité d’amitié franco-algérien en cours de négociation. Mais en quoi cette loi mémorielle se distingue-t-elle incontestablement des autres lois de mémoire qui composent cette série ? D’abord par le fait qu’elle n’a pas le caractère d’une loi pénale définissant un crime, même si elle a failli l’avoir. En effet, l’article 7, adopté par l’Assemblée nationale le 11 juin 2004, déclarait : « Après l’article 23 de la loi du 19 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 23 bis ainsi rédigé : « Les dispositions des articles 23, 24, 48-2 et 65-3 sont applicables aux crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ». Mais cet article a été critiqué au Sénat dans la séance du 8 décembre 2004, et abrogé [50]. On pourra objecter qu’il s’agissait de précautions tactiques, et que cette loi “colonialiste” sous-entendait en réalité une condamnation des crimes reprochés par ses auteurs au FLN algérien, incompatible avec le traité d’amitié franco-algérien en cours de négociation. Ce n’est pas impossible, mais le fait est que la loi du 23 février 2005 s’est singularisée par le fait qu’elle a conservé un caractère élogieux, faisant appel à la fierté nationale comme les commémorations officielles de la Première et de la Deuxième guerres mondiales, et non pas un caractère de dénonciation de crime, voire de repentance [51], comme les autre lois mémorielles récentes. Est-ce pour cette raison qu’elle a été, elle seule, dénoncée et sanctionnée ?
L’échec du traité d’amitié franco-algérien
Si instructive que soit la comparaison des diverses lois mémorielles, elle laisse de côté une autre comparaison tout aussi importante, celle entre la loi du 23 février 2005 et le traité d’amitié franco-algérien, dont la négociation fut interrompue par la volonté de la partie algérienne après le vote de la loi en question. Ces deux éléments avaient été présentées comme deux parties indissociables d’un même ensemble dans la déclaration du gouvernement Raffarin sur les rapatriés présentée à l’Assemblée nationale le 2 décembre 2003 : “ Je ne saurais conclure sans évoquer les perspectives nées du voyage historique effectué récemment par le Président de la République en Algérie. Ces relations apaisées et constructives que nous voulons établir, le Gouvernement a la conviction qu’elles bénéficieront aux rapatriés de toutes origines. Ils en seront les acteurs à part entière” [52]. Et pourtant, la compatibilité entre ce projet de loi déposé en leur faveur, et devenu la loi du 23 février 2005, et le projet de traité avec l’Algérie en cours de négociation a été contestée implicitement par plusieurs historiens qui l’ont publiquement dénoncé à partir de mars 2005, puis explicitement niée par les Algériens, d’une façon officielle à partir du discours du président Bouteflika à Sétif le 8 mai 2005.
La comparaison de ces deux textes serait donc indispensable, mais elle est rendue impossible d’abord par le caractère secret de la négociation, et ensuite par son inaboutissement. On ne peut essayer de s’en faire une idée, du côté français, qu’à travers le discours prononcé à Sétif le 27 février 2005 par l’ambassadeur de France Hubert Colin de Verdière [53], et quelques confidences de nos négociateurs recueillies par quelques journalistes bien informés [54]. Le plus étonnant est que ces négociateurs semblent avoir longtemps cru pouvoir relancer la négociation avec quelque chance de succès. Or, dès le discours prononcé le 8 mai 2005 par le président Bouteflika à Sétif, l’Algérie avait nettement posé une condition draconienne : l’acceptation de la revendication algérienne de repentance de la France pour des “crimes contre l’humanité” commis par celle-ci en Algérie de 1830 à 1962, prise de position saluée dans la presse algérienne : “ Pour la première fois depuis l’indépendance, l’Etat algérien demande officiellement à l’Etat français de reconnaître ses crimes coloniaux et de demander pardon pour les souffrances imposées au peuple algérien pendant les 132 ans d’occupation. Ce qui a toujours été la revendication de la société civile à travers les associations des victimes des atrocités coloniales est désormais une demande officielle formulée par le président de la république. La réconciliation entre les deux pays passe ainsi par la reconnaissance par l’agresseur de ses crimes et par sa repentance. Autrement, aucune page de l’histoire ne serait tournée et aucune réconciliation n’est possible entre les deux peuples [55]”. Mais rien ne prouve que la France était prête à l’accepter, puisqu’elle n’en avait jamais été sérieusement informée, ni par ses dirigeants, ni par ses journalistes, ni par ses intellectuels, ni même par ses historiens. En effet, les faits que je vais mentionner sont presque totalement ignorés en France, à tel point que j’en suis encore à me demander si mes collègues en sont bien informés et conscients. Et ce silence complet, que rien ne justifie plus après l’échec du traité, est pour moi un mystère particulièrement troublant.
Faute de savoir, pour le moment, ce que les négociateurs français ont cru pouvoir proposer et obtenir, nous pouvons au moins deviner ce que leurs partenaires algériens ont fini par exiger, en retraçant sommairement l’historique de la revendication algérienne de repentance, et ce en remontant le temps. Cette revendication de repentance avait déjà été suggérée, en des termes soigneusement choisis, par le président Bouteflika dans son discours du 14 juin 2000 à l’Assemblée nationale française : “De vénérables institutions, comme l’Eglise, des Etats aussi vieux que le vôtre, Monsieur le Président, n’hésitent pas, aujourd’hui, à confesser les erreurs, et parfois les crimes les plus iniques, qui ont, à un moment ou à un autre, terni leur passé. De Galileo Galilei à la Shoah, qui fit vaciller sur ses bases la condition humaine, toutes ces mises à plat de l’histoire sont une contribution inappréciable à l’éthique de notre temps. Elles gagneraient certainement à être poursuivies et étendues à d’autres contextes. Le fait colonial, notamment, ne saurait être ignoré. Que vous sortiez des oubliettes du non-dit la guerre d’Algérie, en la désignant par son nom, ou que vos institutions éducatives s’efforcent de rectifier, dans les manuels scolaires, l’image parfois déformée de certains épisodes de la colonisation, représente un pas encourageant dans l’œuvre de vérité que vous avez entreprise, pour le plus grand bien de la connaissance historique et de la cause de l’équité entre les hommes. [56] » Mais le président Chirac ne semblait pas avoir bien compris ce qui lui avait été si habilement suggéré [57], avant de proposer en 2003 la négociation d’un traité d’amitié franco-algérien comparable au traité franco-allemand de 1963.
Et pourtant, cette revendication n’était pas une nouveauté. Dès le 8 mai 1995, le gouvernement algérien et la presse algérienne avaient lancé cette revendication visant la France, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la répression du 8 mai 1945, mais en lui donnant un contenu beaucoup plus large. Le discours du chef du gouvernement, Mokdad Sifi, avait replacé l’histoire de cette répression dans la perspective de la “redoutable crise multidimensionnelle” des années 1990 dont les Algériens attendaient douloureusement l’issue ; et le quotidien El Watan, reproduisant ce discours, le situait dans une longue série de répressions répétées depuis 1830, invitait les intellectuels algériens à “travailler au corps” les démocrates français pour qu’ils diffusent dans leur société un sentiment de responsabilité et de culpabilité, et réclamait à l’Etat français des excuses officielles “pour les centaines de milliers d’innocents assassinés au cours de 130 ans de domination coloniale” [58]. D’après Liberté du 8 mai 1999, la commémoration du 8 mai 1945 était aujourd’hui revendiquée par toute la classe politique, et faisait même l’objet d’une surenchère.
On peut trouver deux causes distinctes à ces faits trop méconnus, l’une à court terme, l’autre à long terme. D’une part, l’organisation d’une telle campagne visant la France au plus fort de la guerre civile algérienne des années 1990 ne peut avoir été sans rapport avec la volonté du gouvernement algérien, encore “éradicateur”, d’obliger la France à le soutenir inconditionnellement contre les islamistes, au lieu d’envisager favorablement une autre solution telle que la négociation d’un accord de paix entre les partis “dialoguistes”. Elle pouvait donc être tenue en laisse par sa mauvaise conscience post-coloniale. Mais d’autre part, il faut bien constater que les origines de la revendication algérienne de repentance remontent beaucoup plus loin dans le temps.
En effet, cette revendication a été lancée depuis 1990 par la Fondation du 8 mai 1945, créée à l’initiative de l’ancien ministre Bachir Boumaza après la nouvelle constitution algérienne de 1989. Cette fondation s’était donnée pour but de “réagir contre l’oubli et réanimer la mémoire, démontrer que les massacres de Sétif sont un crime contre l’humanité et non un crime de guerre comme disent les Français”, afin d’en “obtenir un dédommagement moral” [59]. Bachir Boumaza ne cachait pas l’envie que lui inspirait la reconnaissance obtenue par les Juifs d’un “crime contre l’humanité” commis contre leur peuple par l’Allemagne nazie, ni l’influence du procès de Klaus Barbie, jugé à Lyon en 1987 pour sa participation à ce “crime contre l’humanité” autant que pour sa répression des actions de la Résistance française, à l’origine de son initiative [60].
Or dans ce procès, l’ancien chef de la Gestapo de Lyon avait été défendu par un personnage qui avait acquis une influence non négligeable en Algérie, l’ancien avocat du FLN Jacques Vergès, lequel avait déclaré que si les juges français s’estimaient compétents pour juger les “crimes contre l’humanité” de Klaus Barbie, ils ne devaient pas oublier que les militaires français avaient commis des crimes semblables contre des Algériens [61]. Les déclarations de M° Vergès avaient eu un grand écho dans la presse algérienne, alors dirigée par l’Etat, en 1986 et 1987 [62]. C’est à lui que Mohammed Harbi avait nettement répondu “à propos de l’affaire Barbie, ces quelques remarques” : “Il y a une spécificitédu“crime contre l’humanité”, et ce serait une erreur grave que d’assimiler tout crime, tout massacre, toute exaction, à cette notion juridique nouvelle. Ce qui est mis au compte du nazisme, c’est une volonté délibérée, que son idéologie légitime, de nier toute appartenance à l’humanité de certaines catégories d’êtres humains, et de prétendre en nettoyer la planète comme on nettoie un matelas de ses punaises et comme on aseptise un linge à l’hôpital. L’Algérie a connu les massacres, les crimes, les exactions engendrées par le colonialisme. Mais, il faut le dire, les crimes de guerre dont est jalonné son chemin vers l’indépendance (...) ne sont pas le résultat d’une idéologie visant à l’extinction totale d’un peuple jusqu’au dernier de ses descendants » [63].
En remontant encore plus loin, on peut expliquer le bon accueil fait aux thèses de Jacques Vergès par leur continuité avec la propagande officielle du régime Boumedienne (très sèvère contre la France en 1971, et surtout de 1975 à 1978), voire avec la propagande de guerre du FLN de 1954 à 1962, et même avec celle du PPA-MTLD de 1945 à 1954. En somme, pendant plus de 60 ans, le ressentiment des nationalistes algériens contre la France n’a fait que se renforcer, au point de faire un “génocide colonialiste” et un “crime contre l’humanité” de ce qui avait été la répression démesurée d’un début d’insurrection [64]. Alors que les Français de leur côté refoulaient tout ce qui pouvait remettre en question leur fragile bonne conscience, et restent encore dans leur très grande majorité inconscients de ce qui se dit et s’écrit en Algérie.
L’Algérie veut-elle vraiment remplacer les accords d’Evian, en tant que base théorique des relations franco-algériennes, par un “traité d’amitié” fondé sur la reconnaissance unilatérale par la France des “crimes contre l’humanité” qu’elle a ou qu’elle aurait commis en Algérie de 1830 à 1962 ? Si oui, je ne vois pas comment une telle condition pourrait être acceptée, car comment pourrait-on désavouer les accords d’Evian sans désavouer aussi leurs clauses d’amnistie réciproque qui ont été nécessaires pour mettre fin à la guerre d’Algérie ? Ce serait une paix de défaite, alors que cette guerre ne s’est pas terminée par une défaite - tout au moins militaire - française, mais par des accords politiques. Si non, pouvons-nous encore espérer que l’Algérie, après avoir rejeté la loi du 23 février 2005, accepte de renoncer à son exigence en quelque sorte symétrique, et veuille bien reconnaître que, si les deux camps ont été très inégaux par leurs moyens matériels et humains (et donc par leurs pertes), ils ont néanmoins fait une guerre cruelle les uns contre les autres, et non pas un “génocide” ou un “crime contre l’humanité“ unilatéral ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette hypothèse n’était pas totalement à exclure, dans la mesure où les dirigeants algériens n’avaient pas totalement coupé les ponts ni rejeté a priori les nombreuses tentatives de relance françaises. Depuis la fin des élections présidentielles en France le 6 mai dernier, la réaction très cordiale du président Bouteflika à l’élection de Nicolas Sarkozy - le seul des principaux candidats qui avait très clairement rejeté la revendication algérienne de repentance française [65] - a semblé donner raison à cette interprétation optimiste [66]. Mais je reste néanmoins très inquiet de la persistance de cette revendication dans l’opinion publique algérienne, intoxiquée par plus d’un demi-siècle de propagande.
Si nous voulons que le 50 ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie puisse être, dans cinq ans, l’occasion d’une véritable réconciliation franco-algérienne [67], il me paraît indispensable que les historiens français prennent enfin des positions claires et nettes. Ils se sont détachés, me semble-t-il, de l’Association “17 octobre 1961 contre l’oubli”, qui avait voulu acclimater en France la revendication de reconnaissance d’un “crime contre l’humanité” [68]. Ils doivent aussi faire clairement savoir s’ils acceptent, ou non, la revendication algérienne de repentance portée par la Fondation du 8 mai 1945. Après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française, cette revendication me paraît plus déraisonnable que jamais, parce que le nouveau président est né dix ans après 1945. Il est temps de tenir compte du fait incontestable que le responsable suprême de cette répression s’appelait Charles de Gaulle, et qu’il est mort en 1970, vingt ans avant la création de la Fondation du 8 mai 1945, sans que l’Algérie lui ait jamais demandé des comptes à ce sujet.
En France, les historiens ont commencé à mieux comprendre la différence qui doit exister entre leurs déclarations d’historiens et leurs prises de positions de citoyens. Ils l’ont montré en désavouant des jugements excessifs qui se réclamaient abusivement de l’histoire, et se situaient aussi bien à gauche qu’à droite. C’est à la condition de distinguer clairement leurs prises de positions historiques de celles de telle ou telle association mémorielle qu’ils pourront, peut-être, faire accepter leur arbitrage dans les conflits de mémoires antagonistes. Mais il faut bien reconnaître que, jusqu’à présent, notre crédibilité est très faible parce que nous n’avons jamais fait passer notre position commune d’historiens avant les points de vue politiques qui s’expriment dans les querelles de mémoire [69]. Et il faut aussi regretter que nous n’ayons pas fait connaître au public l’ensemble des données d’un problème qui a été présenté de façon très partielle [70], ce qui a pu donner l’impression d’une sous-information, voire d’une désinformation. Or il ne peut pas y avoir de bonne politique sans une bonne information. Et si les politiques, les diplomates et les journalistes croient devoir se taire, les historiens doivent-ils en faire autant ?
Guy Pervillé
[1] Le texte de cette communication est presque identique (sauf l’introduction et la conclusion) à celui d’une autre communication présentée une semaine plus tôt (le 19 avril 2007) à la journée d’étude de Narbonne, organisée par Eric Savarese sur le thème “ Montrer l’Algérie au public. Pour en finir avec les guerres de mémoire franco-algériennes”. Ce procédé très inhabituel se justifie par l’extrême importance du sujet traité dans ces deux occasions, et par la nécessité de donner la plus grande notoriété à mes analyses personnelles auprès de publics différents.
[2] Claude Liauzu et Gilles Manceron s. dir., La colonisation, la loi et l’histoire, Paris, Syllepse, 2006.
[3] Romain Bertrand, Mémoires d’empire, la controverse autour du “fait colonial”, (Editions du Croquant, août 2006).
[4] “Mon avis sur la pétition des historiens”, publié le 19 mars 2005 sur le site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, http://www.ldh-toulon.net.
[5] “Réponse à Gilles Manceron”, 24 avril 2005, sur mon site http://guy.perville.free.fr.
[6] Voir ma communication du 29 avril 2005 à Berlin sur “Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie et en France”, et mon interview dans Libération du 27 juillet 2005, “Paris voulait l’amnistie et l’amnésie”, sur mon site personnel (tous mes articles cités ici y sont disponibles).
[7] “Quand on parle de la colonisation, on ne peut pas se satisfaire d’un seul jugement”, participation au “chat” de Libération.fr, le 5 décembre 2005, reprise sur mon site.
[8] “L’histoire immédiate de la relation franco-algérienne : vers un traité d’amitié franco-algérien ?”, et “La confrontation mémoire-histoire en France depuis un an”, sur mon site, et dans le n°30-31 (automne 2006-printemps 2007) des Cahiers d’histoire immédiate (Toulouse), qui publie les actes du colloque ”Bilan et perspectives de l’histoire immédiate”.
[9] “France-Algérie : groupes de pression et histoire”, disponible sur mon site, et sur celui de l’ENS de Lyon : http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloque/france-algerie/
[10] Il travaille maintenant à une thèse d’histoire sous la direction de Jacques Frémeaux.
[11] Voir ma communication “Réflexions sur la réévaluation du bilan de la guerre d’Algérie”, Talence, 8 mars 1997, sur mon site.
[12] Voir ma communication “Connaître les Accords d’Evian : les textes, les interprétations, et les conséquences”(27 septembre 2003), sur mon site.
[13] Voir mes communications ou articles, “Réflexions sur la réévaluation du bilan de la guerre d’Algérie” (8 mars 1997), “Mémoire, justice et histoire” (Toulouse, printemps 1998), “Sur la ‘réécriture de l’histoire”” (Nice, avril 1998), “Mythes et réalité de la ‘désinformation’ dans l’histoire de l’Algérie coloniale et de la décolonisation” (Montpellier, novembre 1999).
[14] Compte-rendu de la journée d’étude du 19 mai 2003 sur les exodes d’Algérie, publié dans les Cahiers d’histoire immédiate (Toulouse), n° 28, hiver 2005.
[15] “Mémoire, justice et histoire” (Toulouse, Cahiers d’histoire immédiate, n° 13, printemps 1998)
[16] Georges Bosc, “14 juin, une fête nationale pour les Pieds-Noirs”, L’Algérianiste, édition spéciale hors série, juin 1999. Voir mon commentaire dans “Mythes et réalité de la ‘désinformation’ dans l’histoire de l’Algérie coloniale et de la décolonisation” (Montpellier, novembre 1999).
[17] Voir le rapport moral du président Pierre Dimech au XXVIème congrès du Cercle algérianiste (Nîmes, 25-26 septembre 1999), et “Une initiative forte du Cercle algérianiste et des associations de la mémoire”, par Thierry Rolando, in Les informations de l’Algérianiste, supplément au n° 88, décembre 1999, pp. 1 et 5 ; et mon commentaire dans le compte-rendu de la journée d’étude du 19 mai 2003 sur les exodes d’Algérie, publié dans les Cahiers d’histoire immédiate (Toulouse), n° 28, hiver 2005, p. 55.
[18] Voir la pétition “Histoire ! Quel enseignement pour quelle neutralité ? ”, dans Les informations de L’Algérianiste, supplément au n° 110, juin 2005, et 111, septembre 2005, p. 1.
[19] Voir ma conférence du 7 avril 2004 sur “La date commémorative de la guerre d’Algérie en France”.
[20] Après le 2ème tour de l’élection présidentielle française de 2007, le président Bouteflika semble avoir renoncé à sa revendication de repentance en félicitant chaleureusement le président élu Nicolas Sarkozy. Voir la synthèse APS dans Liberté du 7 mai 2007.
[21] “Article 1er : La Nation exprime sa reconnaissance aux hommes et aux femmes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc et en Tunisie ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française” (projet de loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, n° 1499, enregistré le 10 mars 2004).
[22] Le parti socialiste avait déposé le le 3 juin 2004 une proposition de résolution n° 1637, “tendant à la création d’une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie”.
[23] Les débats furent menés par quelques dizaines de parlementaires convaincus, appartenant à tous les groupes et engageant en principe la totalité de leurs groupes respectifs. En fin de compte, la loi fut votée le 10 mai 2005 par l’Assemblée suivant le texte adopté par le Sénat le 16 décembre 2004 : les deux groupes de la majorité (UMP et UDF) votèrent pour, et ceux de l’opposition (PCF et PS) contre. Voir les détails dans le livre cité de Romain Bertrand.
[24] Voir l’intervention de Paul Thibaud, “Nous sommes inquiets des effets de la concurrence mémorielle qui tend à déchirer le corps politique et à dresser des groupes de victimes de l’histoire les uns contre les autres”, à la table ronde organisée par l’association Pollens le 21 janvier 2006 (voir le site Observatoire du communautarisme - Article Tribunes - Paul Thibaud).
[25] Voir notamment le rapport n° 1660 déposé le 8 juin 2004 à l’Assemblée nationale par le rapporteur Christian Kert : “Il n’appartient pas à l’Etat de dire l’histoire, ni de favoriser une lecture des événements plutôt qu’une autre : ces travaux sont le privilège de l’historien. Responsable de la cohésion nationale, il lui appartient par contre de mettre en oeuvre les moyens propres à créer un climat propice à rassembler les Français autour de leur passé, c’est-à-dire de mettre en place les éléments susceptibles de permettre une lecture sereine de l’histoire”.
[26] Fils de l’ancien maire Paul Alduy, lui-même ancien secrétaire général du gouverneur général de l’Algérie Yves Chataigneau.
[27] L’agonie d’Oran, 5 juillet 1962, historique des faits par Claude Martin et témoignages recueillis par Geneviève de Ternant et L’Echo de l’Oranie, réédition en 3 volumes, Nice, Editions Jacques Gandini, 2001.
[28] Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, thèse, Paris IV, 1997, version abrégée publiée par l’Harmattan, 2001, 400 p ; et La tragédie dissimulée, Oran, 5 juillet 1962, Paris, Editions Michalon, 2006, 190 p.
[29] Voir la liste nominative de 330 disparus du 5 juillet 1962 à 0ran (communiquée par le général Faivre), et les statistiques officielles sur l’ensemble des disparus (communiquées par Jeanine Verdès-Leroux).
[30] Il serait particulièrement désastreux de reprendre sans examen sérieux le nombre de 3024 disparus pendant la bataille d’Alger de 1957, cité sans preuve par Paul Teitgen.
[31] “Les Etats invités à signer, lors d’une cérémonie à Paris, la convention adoptée à l’ONU. Un traité international sur les disparitions forcées.” Le Monde, 7-2- 2007, p. 4.
[32] Voir le catalogue de l’exposition “L’Algérie et la France, destins et imaginaires croisés” réalisée en 2003 par Jean-Robert Henry, qui est un modèle d’impartialité.
[33] Thèse inédite de Karim Rouina, “Essai d’étude comparative de la guerre d’indépendance de l’Algérie de 1954 à 1962 à travers deux villes : Oran et Sidi-Bel-Abbès”, Université de Montpellier III, 1980.
[34] Fouad Soufi, “Ils sont partis ! Oran 1962, le grand départ des Européens”, in René Gallissot s. dir., Les Accords d’Evian en conjoncture et en longue durée, Paris, Karthala et Institut Maghreb-Europe, 1997, pp. 81-89 ; “Oran, 28 février 1962-5 juillet 1962, deux événements pour l’histoire, deux événements pour la mémoire”, actes du colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron, La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’histoire d’Outre-mer, 2000, pp. 635-676 ; et “L’histoire face à la mémoire : Oran, le 5 juillet 1962”, in La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, s. dir. Any Dayan-Rosenman et Lucette Valensi, Saint-Denis, Editions Bouchène, 2004, pp. 133-147.
[35] Cette répression a fait l’objet d’une proposition de loi mémorielle déposée le 12 octobre 2006 au Sénat par le groupe communiste.
[36] Voir la comparaison des deux textes dans “Mon avis sur la pétition des historiens”, publié le 19 mars 2005 sur le site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, http://www.ldh-toulon.net.
[37] “On a voulu marquer une différence en disant que ‘Taubira’ se contente de réclamer que les programmes et la recherche accordent à la traite et à l’esclavage ‘la place qu’ils méritent’ alors que ‘Vanneste’ qualifie de manière particulièrement favorable la colonisation. C’est oublier que la loi Taubira est une loi de stigmatisation et que si elle réclame que l’on parle davantage de certains (faits), c’est évidemment (et légitimement) pour qu’on n’en dise que du mal, puisque dans l’article 1, ils ont été qualifiés de ‘crimes contre l’humanité’. En fait la loi Taubira est plus clairement et unilatéralement que l’amendement Vanneste une loi qualifiant des événements”. Paul Thibaud, op.cit.
[38] Cette notion a été formulée pour la première fois dans l’acte d’accusation du tribunal interallié de Nuremberg visant les criminels nazis en 1945, mais elle n’a été généralisée que par son introduction dans le nouveau code pénal français de 1994.
[39] Il s’agit d’un amendement a la loi sur la presse, dont la formulation n’est pas directement compréhensible pour qui ne s’y reporte pas : « A l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de » sont insérés les mots « défendre la mémoire des esclaves et de leurs descendants ».
[40] D’autant plus que l’histoire ne peut manquer de signaler le caractère incomplet de l’article 1er, qui oublie la participation des vendeurs d’esclaves noirs à la traite européenne, la traite interne à l’Afrique, et la traite arabo-musulmane ( beaucoup plus précoce et plus durable que la traite européenne).
[41] Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004, 468 p. Voir aussi son article : “Les identités traumatiques. Traites, esclavage, colonisation”, dans Le débat, n° 136, septembre-octobre 2005, pp. 93-107.
[42] “Partager la mémoire de l’esclavage”, discours de Jacques Chirac à l’Elysée, 30 janvier 2006, Le Monde, 31 janvier 2006, p. 21.
[43] Voir “Le collectif DOM retire sa plainte contre un historien de l’esclavage, par Jean-Baptiste de Montvallon, Le Monde, 4 février 2006, p. 3.
[44] “Liberté pour l’histoire”, dans Libération du 13 décembre 2005, puis “La liberté de débattre”, dans Marianne, 24 décembre 2005 au 6 janvier 2006, p. 29.
[45] Il avait expliqué sa position dans son livre d’entretiens avec François Azouvi, Quand l’Etat se mêle d’histoire, Paris, Stock, avril 2006. Il est malheureusement décédé le 14 avril 2007.
[46] Voir notamment ses prises de position fermement argumentées dans Le Monde, 17 décembre 2005, p. 27 (“L’enfer des bonnes intentions”), et dans L’Histoire des n° 306, février 2006, pp. 77-85 (“Laissons les historiens faire leur métier !”) et n° 317, pp. 54-61 (“Historiens, changez de métier !”).
[47] “Le génocide, le juge et l’historien “, L’Histoire, n° 138, novembre 1990, pp. 92-94.
[48] “Les Arméniens, le juge et l’historien », L’Histoire, n° 192, octobre 1995, p. 98
[49] Claude Liauzu, “Analyser la colonisation pour éviter les communautarismes”, El Watan, 21 avril 2005 (http://www.elwatan.com/print.php3 ?id_article=1769). Je salue la mémoire de Claude Liauzu, décédé soudainement le 23 mai 2007. Nos désaccords ne nous ont jamais empêchés de conserver des relations cordiales. C’est lui qui m’avait signalé, avec une sincère indignation, la plainte contre Olivier Pétré-Grenouilleau.
[50] La loi du 23 février 2005 comporte encore un article pénal, l’article 5, qui interdit « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilées, et toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Evian », mais sans créer de nouvelles sanctions par rapport aux lois déjà en vigueur.
[51] Toutes les lois mémorielles depuis la loi Gayssot de 1990 dénoncent des crimes commis au nom de la France, sauf celles visant le génocide commis par les Turcs contre les Arméniens. Mais il semble que la déclaration du président Chirac, reconnaissant en 1995 une co-responsabilité française dans l’exécution du génocide organisé par les nazis contre les juifs, ait érigé un nouveau modèle de loi mémorielle fondé sur la repentance.
[52] Déclaration du gouvernement sur les rapatriés, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2003. Document n° 1265 (http://www.assemblee-nat.fr/12/dg/dg1265.asp).
[53] Texte complet sur le site http://www.ambafrance-dz.org.
[54] Notamment ceux de la correspondante du Monde à Alger, Florence Beaugé : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s’excuser », Le Monde, 17 septembre 2005, p. 3 ; « Le traité d’amitié franco-algérien ne devrait pas être signé cette année », 26 novembre 2005 ; « Alger se prépare au retour de M. Bouteflika », et « Les relations avec la France ne cessent de se détériorer », 31 décembre 2005, p. 4.
[55] « La France appelée à solder ses comptes avec l’histoire », par Abdelkrim Ghezali, La Tribune, 9 mai 2005. Voir aussi « Préalable », par Tamani Salim, Liberté, 8 mai 2005, et « La France va-t-elle reconnaître son génocide ? », par A. Abdelghafour, La Nouvelle République, 10 mai 2005.
[56] “Le message de M. Bouteflika”, Le Monde, 17 juin 2000, p. 18.
[57] Le vote à l’unanimité, moins d’un an plus tard, de la loi du 21 mai 2001 fut catastrophique en ce qu’il a privé la France de son meilleur argument contre l’acceptation de la demande algérienne de repentance pour des faits non contemporains.
[58] Cette revendication n’était pas qu’un projet. En même temps l’association “Au nom de la mémoire”, dirigée par Mehdi Lallaoui, réalisa un documentaire intitulé Un certain 8 mai 1945, les massacres de Sétif, projeté sur Arte, publia une version abrégée de la thèse de l’historien algérien Boucif Mekhaled sur le même sujet (Chroniques d’un massacre, 8 mai 1945, Sétif, Guelma et Kherrata, Editions Syros et Au nom de la mémoire) et organisa un débat à la Sorbonne avec la participation de plusieurs historiens, mais aussi du président algérien de la Fondation du 8 mai 1945, l’ancien ministre Bachir Boumaza.
[59] Cité dans le mémoire de maîtrise d’histoire de Michaël-Lamine Tabakretine, La commémoration du 8 mai 1945 à travers la presse française et algérienne, Université de Toulouse-Le Mirail, 2000, pp. 51 et 62.
[60] Interview de Bachir Boumaza citée par Ahmed Rouadjia, “Hideuse et bien-aimée, la France”, in Panoramiques, n° 62, 1er trimestre 2003, pp. 210-211. Le regretté Guy Hennebelle, directeur de cette revue, avait très clairement pris position dans le même numéro (intitulé : “Algériens-français : bientôt finis les enfantillages ?”) contre la revendication de repentance soutenue par ses amis Boumaza et Bouteflika.
[61] D’autant plus que le Conseil d’Etat avait décidé que Barbie ne serait pas jugé seulement pour ses “crimes contre l’humanité” au sens strict donné à cette expression par le statut du tribunal interallié de Nuremberg en 1945, mais également pour ses crimes de guerre commis contre les résistants. Par la suite, le nouveau code pénal de 1994 confirma ce glissement de sens.
[62] Voir notamment les articles du Monde, au moment des attentats terroristes de Paris, le 18 septembre 1986 : “Signée par des personnalités d’origine maghrébine, une lettre ouverte à Georges Ibrahim Abdallah” (avec pour premiers signataires Hocine Aït-Ahmed, Bachir Boumaza et Mohammed Harbi) ; 25 septembre 1986 : “L’avocat de Georges Abdallah (Jacques Vergès) répond aux intellectuels maghrébins, Un message “inconvenant” ; 30 septembre 1986 : “Réponse à l’avocat de Georges Abdallah” (par Mohammed Harbi). Et l’écho d’une conférence de M° Vergès à Alger dans la presse algérienne, “Tout comme Bigeard, Massu, Begin et Le Pen...”, dans Le Monde, 24-25 mai 1987. Sur les liens entre M° Vergès et Bachir Boumaza, voir le filmde Barbet Schroeder, L’avocat de la terreur, sorti en juin 2007.
[63] Sou’al, n° 7, 1987, pp. 149-151.
[64] Voir ma communication au colloque de Berlin-Genshagen (29 avril 2005), “Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie et en France”.
[65] Les engagements pris par Ségolène Royal étaient moins nets, mais ils m’ont agréablement surpris en proclamant “ Ni la mémoire de la colonisation, ni celle de la guerre d’Algérie n’ont vocation à développer la repentance franco-française”. Voir sa “Lettre ouverte aux associations de rapatriés et de harkis”, publiée le 11 avril 2007 sur le blog du secrétariat aux droits de l’homme et libertés du parti socialiste, et repris sur le site de la LDH de Toulon (http://www.ldh-toulon.net/spip.php ?article2005).
[66] “Bouteflika : “Nous devons unir nos efforts pour le partenariat d’exception”. Après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française”. Synthèse APS, in Liberté, 7 mai 2007. Mais les revendications de repentance n’ont pas disparu.
[67] Quelques déclarations d’Algériens non-conformistes permettent de l’espèrer, par exemple celle de l’un des anciens chefs historiques du FLN Hocine Aït-Ahmed : « Avec les Pieds-Noirs et leur dynamisme, je dis bien les Pieds-Noirs et non les Français, l’Algérie serait aujourd’hui une grande puissance africaine. Il y a eu envers les Pieds Noirs des fautes inadmissibles, des crimes de guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie doit répondre au même titre que la Turquie envers les Arméniens » (Revue Ensemble n° 248, juin 2005). Celle de l’ancien Premier ministre (1993-1994) et ancien porte-parole de la délégation du FLN à Evian Redha Malek : “ Demander à la France de venir se mettre à genoux, je ne trouve pas ça très réaliste ni faisable, maintenant c’est terminé, ce que nous demandons à la France, ce n’est pas de ressassser le passé, mais de dire qu’à l’avenir elle ne cherchera plus à s’ingérer dans nos affaires intérieures » ( entretien à la radio algérienne, chaîne 3, du 11 novembre 2005, citée par El Watan du 14 novembre 2005, repris par l’AFP et par Courrier international, n° 789, du 15 décembre 2005). Et celle de son prédécesseur au même poste (1992-1993), ancien membre de la délégation du FLN à l’Exécutif provisoire et ancien ministre de l’industrie du colonel Boumedienne, Belaïd Abdesselam : « Je vais vous surprendre, mais il n’y a aucune raison de demander ces excuses, parce que simplement c’est impossible du point de vue pratique. Nous avons quant à nous obligé la France à reconnaître notre indépendance, mais nous ne l’avons pas vaincue. C’est aujourd’hui une puissance mondiale, et ces excuses sont impossibles et improbables » (Interview à El Khabar, 15 août 2007). Enfin celle de l’ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri : « Je pense que le pardon n’a pas de sens, nous avons mené une résistance conclue par une victoire, dès lors nous n’avons pas besoin d’excuses », lequel demande aussi « Qui a demandé pardon ? Qui a cristallisé cette idée en Algérie ? Que signifie repentance ? » (El Khabar, 5 mars 2008, et Liberté-Algérie, rubrique Radar, 6 mars 2008).
[68] Voir son programme sur son site internet (aujourd’hui en sommeil), http://17octobre1961.free.fr/pages/association.htm.
[69] Sur ce point, voir Ma position sur l’annexe au rapport d’Eric Savarese : "Une note sur le ’mur des disparus’" (2007), sur mon site http://guy.perville.free.fr.
[70] Voir sur mon site ma réponse à une pétition lancée le 1er décembre 2007, A propos de la pétition : "France-Algérie : dépassons le contentieux historique" (16 décembre 2007). Voir aussi celle de Daniel Lefeuvre et Michel Renard, France-Algérie : l’impossible travail historique (3 décembre 2008), sur le site de Julien Landfried, L’Observatoire du communautarisme (www.communautarisme.net).