Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire (2018)

dimanche 18 novembre 2018.
 

Mon nouveau livre intitulé Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire (Editions Vendémiaire, 5 rue des Petits Carreaux, 75002 Paris, ISBN : 978-2-36358-314-7, 672 pages, 26 euros) va paraître jeudi prochain, le 22 novembre 2018. Sa sortie a déjà été signalée depuis le 14 octobre sur le site de la Société française d’histoire des Outre-mers (SFHOM) :

http://www.sfhom.com/spip.php ?article2740.

Ainsi que depuis le début novembre sur le site des Editions Vendémiaire :

https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/a-paraitre/une-histoire-iconoclaste-de-la-guerre-d-algerie-et-de-sa-memoire/

Voici la présentation à lire sur la quatrième de couverture :

"La guerre d’Algérie a pris fin officiellement en mars 1962, avec les accords d’Evian qui prévoyaient, notamment, l’amnistie pour tous les combattants. Or force est de constater que, près de soixante ans plus tard, elle se poursuit, à travers des affrontements mémoriels où les historiens ont souvent été sommés de prendre parti.

Est-il possible aujourd’hui d’écrire une histoire dépassionnée de ce douloureux processus de décolonisation, et des traces qu’il a laissées dans les mémoires collectives ? Est-il possible de ne rien céder aux récits militants, aux récits sélectifs, à la volonté de faire silence autour de certains événements, à l’emportement de la polémique, à l’intime conviction ? Est-il possible de ne pas choisir son camp quand on écrit l’histoire ?

C’est à ces questions essentielles pour la légitimité même de la discipline que tente ici de répondre Guy Pervillé, spécialiste incontesté d’une période à laquelle il a consacré l’ensemble de ses travaux. Conduit par cette seule certitude qu’il n’y a pas de cause qui puisse prévaloir sur la recherche de la vérité.

Guy Pervillé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-le Mirail, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale ainsi que de la guerre d’Algérie. Il a notamment publié La guerre d’Algérie (Que-sais-je ?, 2007), Atlas de la guerre d’Algérie (Autrement, 2003), ainsi que chez Vendémiaire La France en Algérie, 1830-1954 (2012) et Oran 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre (2014)".

-  Un premier et bref compte rendu se trouve dans un article consacré par la revue L’Histoire aux publications récentes concernant la guerre d’Algérie : "Algérie, chantiers ouverts. De nouvelles publications témoignent de la vitalité de la recherche sur ce pays", L’Histoire n° 454, décembre 2018, p 80 :

" (...) Guy Pervillé, lui, continue de s’interroger sur les liens entre mémoires(s) et histoire. Après le récit des relations entre la France et l’Algérie(1830-1962) et le passage en revue des grands enjeux historiographiques, il aborde les affrontements mémoriels. Dans la dernière partie, il se livre à un essai d’auto-histoire, s’accusant - de façon touchante - de naïveté pour avoir cru que la guerre d’Algérie pouvait être un sujet comme un autre." (...)

Christelle Taraud, membre du Centre d’histoire du XIXème siècle (Paris-I, Paris IV)

-  On trouve, depuis le 7 novembre dernier, un premier compte rendu détaillé par Adam Craponne sur le site "Grégoire de Tours" (https://www.gregoiredetours.fr/autres-civilisations/civilisations-islamiques/guy-perville-histoire-iconoclaste-de-la-guerre-d-algerie-et-de-sa-memoire/) :

" En fait Guy Pervillé avance, dans sa conclusion, que les conséquences de la Guerre d’Algérie pèsent encore sur le destin de ce dernier pays et qu’en France certains auraient presque tendance à croire que les hostilités n’ont jamais cessé entre ces deux pays des deux côtés de la Méditerranée (un certain discours contre les Maghrébins ou plus largement contre les musulmans, renouvelant d’ailleurs les détails destinés à entretenir la haine, ceci étant une réflexion personnelle).

Il n’est pas sûr, les antagonismes passant d’une génération à l’autre malheureusement, que dans le grand public des deux pays, on soit prêt à accepter un discours historique".

-  Et aussi un résumé très détaillé sur le site "Les Clionautes" par Christiane Peyronnard (https://clio-cr.clionautes.org/histoire-iconoclaste-de-la-guerre-dalgerie-et-de-sa-memoire.html).

-  Puis un compte rendu anonyme placé le 17 décembre 2018 sur le site sur le site Guerres et conflits (http://guerres-et-conflits.over-blog.com/), et sous le titre "Dépasser les passions" :

"Un ouvrage qui va marquer l’historiographie de la guerre d’Algérie car, au-delà du simple récit chronologique des évènements, l’auteur s’attache avec un soin particulier à rechercher les fondements de mémoires antagonistes persistantes et à évaluer les rapports entre mémoire(s) et histoire.

Le livre est ainsi organisé en quatre grandes parties nettement distinctes : un rappel des relations entre la France et l’Algérie dans le temps long ("L’aventure française en Algérie : un récit explicatif"), la guerre d’Algérie elle-même entre 1954 et 1962 ("Les évènements et leur réécriture"), une approche de mémoires profondément contradictoires, métropolitaine, pied-noir, anciens combattants, algérienne(s), etc. ("Mémoires antagonistes") et une originale dernière partie consacrée à la bibliographie et aux historiens de la guerre d’Algérie, avec la place parfois envahissante du politique ("L’histoire et la mémoire dans le cas de la guerre d’Algérie : un témoignage personnel"). Chaque partie se termine sur un appareil critique de notes de référence et sur une conclusion partielle. Les responsabilités politiques ne sont jamais tues et les errements autour des accords d’Evian soulignés. La conclusion finale tente de faire le tri entre devoir de mémoire, devoir de justice et devoir d’histoire, entre engagement politique et engagement d’historien. Le livre se termine sur plus de 35 pages de références, sources et bibliographie, véritable mine où pourrons piocher tous ceux qui veulent aller plus loin.

Un livre qui se termine sur le constat (un peu désabusé) d’un verrouillage du discours public par les autorités algériennes, une "langue de bois" qui interdit pour l’instant tout progrès dans l’apaisement des mémoires".

-  Mais depuis le 13 décembre 2018, le compte rendu le plus détaillé se trouve dans le quotidien algérien Le Matin d’Algérie (http://www.lematindalgerie.com/histoire-iconoclaste-de-la-guerre-dalgerie-et-de-sa-memoire-de-guy-perville) :

"Que voilà une synthèse nécessaire faisant le point des connaissances sur la guerre d’Algérie. Rien « d’iconoclaste » dans la démarche du grand spécialiste du conflit.

Cet ouvrage illustre tout simplement la rigueur de l’historien dans une approche critique de l’historiographie, ce qui conduit parfois à quelques répétitions et longueurs comme ces 35 pages consacrées à la seule question du 17 octobre 1961 à Paris. Malgré l’absence de cartes, outre une chronologie et une bibliographie-modèle, cette somme comporte des notes scientifiques fournies pour chaque fin de chapitre.

En introduction, Guy Pervillé rappelle combien il est encore difficile pour les Français de considérer la guerre d’Algérie comme un sujet d’histoire en raison de la permanence de la « guerre des mémoires ». Le travail inlassable des historiens des deux côtés de la Méditerranée est encore trop peu connu des politiques et de l’opinion. Articulé en quatre parties, cet ouvrage devrait intéresser tous les enseignants.

En effet, la première partie est le récit explicatif de « l’aventure française en Algérie » depuis François 1er. Et de rappeler qu’une des raisons de l’expédition d’Alger, en 1830, est la reprise de la guerre de courses à partir de 1821 en raison de la révolte grecque contre l’Empire ottoman. L’érudition de l’auteur lui permet d’exhumer des faits très peu connus telle, en 1913, cette première perception du nationalisme au Maghreb (distinct du mouvement des « Jeunes Algériens ») signé par un journaliste de Constantine, André Servier, Le Péril de l’avenir.

A noter également que le 1er août 1942, témoin du racisme inhérent au régime de Vichy, une pancarte apposée à l’entrée de la plage de Zéralda, « Interdit aux juifs et aux arabes », est à l’origine d’une vive protestation conduisant à la rafle de 40 Algériens dont 25 meurent asphyxiés dans les caves de la mairie. Sans pouvoir préciser le nombre de morts (« des milliers ») relatifs à la sanglante répression suivant le 8 mai 1945, thème repris en deuxième partie, Guy Pervillé détruit de main de maître la légende du complot colonialiste.

Il souligne comment la question de la « repentance », à travers l’instrumentalisation de la Fondation du 8 mai 1945, est en fait tardivement évoquée par le FLN, en 1959, puis sert d’exutoire sur fond de guerre civile en 1990-1995. Fine analyse aussi des contradictions du gouvernement Guy Mollet, en 1956, empêtré dans une intensification de la guerre, tout en recherchant une hypothétique « pacification » et des contacts avec l’adversaire du Caire à Rome via Belgrade. Belles pages également sur la politique du général de Gaulle.

Dès 1944 il confie à des proches qu’il est favorable à l’association entre la France et l’Algérie et que toute notion d’autonomie conduira à l’indépendance. C’est bien le discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination qui constitue le tournant politique du conflit algérien.

La question des harkis est abordée avec sérénité. Guy Pervillé montre la responsabilité de certains chefs du FLN/ALN en amont : 19 mars, à Saint-Denis-du Sig, en Oranie, premier massacre ; 10 avril 1962 directive de la wilaya 5 sur la vengeance différée après la proclamation de l’indépendance qui verra « le jugement final devant Dieu et devant le peuple qui sera seul responsable de leur sort ».

Toute aussi riche est la deuxième partie consacrée aux « événements et leur réécriture ». Les différentes approches du 20 août 1955 sont développées et les études partielles et partiales critiquées. Guy Pervillé rappelle que « la bataille d’Alger » a bien commencé en 1956 et qu’en janvier 1957 il s’agit d’une grève politique et non insurrectionnelle.

Longs développements, non pas sur la façon dont les 24 000 personnes arrêtées l’ont été, ce qui est à présent bien connu et en marge de la légalité républicaine, mais quid des 3 024 disparus d’Alger et de sa région selon Paul Teitgen et ses proches que l’auteur a interrogés ? Il estime que la question n’est pas encore tranchée. Analyse aussi des plus pertinentes quant à l’importance des manifestations des 7 au 10 décembre 1960, lors du dernier voyage du général de Gaulle en Algérie. Par leur ampleur, elles surprennent le GPRA et les chefs des wilayas.

L’auteur relate aussi la querelle des historiens à propos du 17 octobre 1961 et souligne la valeur scientifique des travaux de Jean-Paul Brunet. Il précise aussi que l’instrumentalisation de cette triste journée est à l’origine de La Marseillaise sifflée le 6 octobre 2001 après la distribution de tracts. Même acuité d’analyse pour Charonne (8 février 1962) et le 19 mars 1962 qui n’est en rien « la fin de la guerre d’Algérie ».

Spécialiste des accords d’Evian, le professeur émérite rappelle qu’ils ne sont qu’une simple étape vers l’indépendance pour les signataires du FLN. Ce qui conduit à leur échec total et aux drames de l’on sait de cette terrible année 1962 d’Oran à Alger, sans oublier les lourdes responsabilités de l’OAS.

Publié à la suite de la synthèse de Remi Dalisson, Guerre d’Algérie, l’impossible commémoration, (janvier 2018), ce livre, dans sa 3e partie, rend compte de la persistance de mémoires antagonistes. Rien n’est oublié de divers types de mémoires et de commémorations pour les Français d’Algérie, les harkis, les anciens combattants algériens des deux guerres mondiales, les illusions perdues du PCA (Parti communiste algérien), les actions des démocrates-chrétiens tel André Mandouze, sans oublier la nébuleuse des « libéraux »... Une des originalités concerne l’étude des scissions à l’intérieur des forces politiques françaises. Hormis le PCF et les groupuscules anarchistes et trotskistes, c’est en 1955 que la gauche se déchire.

A droite, pendant l’été 1957, lors du débat Raymond Aron, Jacques Soustelle et Edmond Michelet, la guerre devient une pomme de discorde. L’auteur souligne aussi que la guerre civile algérienne, MNA contre FLN, à l’inverse d’une idée reçue, ne laisse pas indifférente l’opinion publique métropolitaine. Très riche, le dernier chapitre de cette partie concerne la mémoire algérienne de la guerre d’indépendance, un peu plus libre depuis 1989. Elle intéresse aussi les historiens français depuis l’interrogation sur la nation algérienne qui n’est qu’une vue de l’esprit en 1830. De sorte que la guerre d’Algérie par les débats qu’elle suscite reste un sujet d’une brûlante actualité.

Inattendue, la dernière partie constitue un témoignage personnel relatif à « L’histoire et la mémoire » qui rappelle les contradictions de la politique mémorielle. En distinguant les diverses générations d’historiens (y compris algériens tels Mahfoud Kaddache ou Mohammed Harbi), Guy Pervillé a le mérite de mettre en perspective historique le travail des historiens, dont certains ont glissé vers l’arène politique.

On conçoit que le scientifique prône une histoire dépassionnée. Et ce, sur le modèle du colloque international consensuel tenu à l’Ecole normale de Lyon, en juin 2006, sous la direction du regretté Gilbert Meynier et de Frédéric Abécassis, Pour une histoire critique et citoyenne, au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire, le cas de l’histoire algéro-française.

En bref, à l’image de la conclusion générale, un ouvrage courageux d’une profonde réflexion historienne qui fera date. Pour que la guerre d’Algérie finisse enfin, il faut que chacun d’entre nous se sente concerné et découvre enfin le travail des historiens plus que d’écouter des mémoires qui s’ostracisent l’une l’autre.

J.-C. J. "

-  Le même compte rendu a été publié dans le n° 445, février 2019, pp 194-196, de la revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, Historiens et géographes, sous la signature de mon collègue Jean-Charles Jauffret. Qu’il me permette de répondre à sa deuxième phrase, dans laquelle il critique le titre du livre ("Rien d’iconoclaste dans la démarche du grand spécialiste du conflit"). Ce titre, qui m’a été suggéré par un ancien rédacteur en chef du Monde, renvoie à la contradiction fondamentale entre l’histoire et les mémoires (toutes les mémoires) qui est longuement démontrée dans la deuxième partie du livre.

-  A signaler aussi, dans Le Figaro-Magazine du 28 décembre 2018, le compte rendu de Jean Sévillia :

"LA GUERRE D’ALGERIE ENTRE HISTOIRE ET MEMOIRE.

L’universitaire Guy Pervillé propose une utile synthèse de la guerre d’Algérie, assortie de perspectives iconoclastes.

Un mois après la sortie de mon livre sur la guerre d’Algérie (Les Vérités cachées de la guerre d’Algérie, Fayard), Guy Pervillé faisait paraître sur le même sujet un livre que cette "Page d’histoire" se doit de recommander. Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès, Pervillé a consacré sa carrière - et une série de livres - à l’étude de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie. Son nouvel ouvrage confirme les principes scrupuleux de cet enseignant-chercheur qui part des faits, sans en cacher aucun, et, refusant l’anticolonialisme de principe et la repentance à sens unique mais aussi l’exaltation aveugle de l’oeuvre coloniale ou les partis pris politiques, examine tous les points de vue, sans en omettre aucun : une remarquable honnêteté intellectuelle.

Le volume est construit en quatre parties. Après un exposé chronologique des relations entre la France et l’Algérie, du règne de François Ier à 1962, l’auteur présente les grands moments de la guerre d’Algérie et leur interprétation des deux côtés de la Méditerranée (le 8 mai 1945 à Sétif, les émeutes du Constantinois d’août 1955, le tournant gaullien de 1958-1960, la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris, les drames postérieurs au cessez-le-feu du 19 mars 1962, etc). En troisième partie, Guy Pervillé montre les limites des mémoires catégorielles pour comprendre le passé et, en dernière partie, apporte son témoignage propre sur le rapport entre l’histoire et la mémoire à propos de ce drame national qu’a été la guerre d’Algérie.

Le devoir d’engagement, souligne l’historien, ne consiste pas nécessairement à choisir un camp contre un autre - entre la droite et la gauche, entre les colonialistes et les anticolonialistes." Bien informé, mesuré, rigoureux : le regard d’un spécialiste objectif. "

Jean Sévillia, dans Le Figaro-Magazine, 28 décembre 2018, p 80 (rubrique Quartiers libres / Histoire).

-  Et dans Le Figaro-Histoire, n° 42, février-mars 2019, p 30, le compte rendu de Geoffroy Caillet :

"L’un des meilleurs spécialistes de la guerre d’Algérie, Guy Pervillé, se distingue par la qualité et l’honnêteté de ses travaux, qui tranchent sur une production trop souvent livrée aux récits militants et passionnés. C’est pourtant la passion de la vérité qui anime son Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie, laquelle retrace par le menu l’histoire de l’Algérie coloniale, les ’événements’ de 1954 à 1962 et leur réécriture, la lutte des mémoires et enfin l’historiographie de la guerre d’Algérie, soumise au feu conjoint des politiques et des revendications mémorielles. Complète et scrupuleuse, cette excellente synthèse ne se contente pas d’éclairer le moindre recoin d’un sujet ô combien sensible. Assortie d’un témoignage très personnel de l’auteur sur son expérience de chercheur, elle est un modèle de ce devrait être toute oeuvre d’historien."

-  Et dans la revue L’Algérianiste, organe des Cercles algérianistes, n° 165, mars 2019, pp 104-105, le compte rendu de Jean-Pierre Pister :

" Guy Pervillé est un spécialiste reconnu de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie. Sa présence fréquente à nos congrès témoigne de sa proximité avec les Cercles algérianistes, comme ce fut encore le cas à Hyères, en novembre 2017. Historien scrupuleux, pratiquant une approche des sources hypercritique, il s’efforce de rechercher la vérité historique sans se laisser contraindre par des reconstructions mémorielles, dont il ne nie cependant pas l’existence. Ses récents ouvrages sur ’Les accords d’Evian’ (2012) et sur les massacres d’Oran (2014) sont à cet égard, révélateurs. Cette rigueur peut engendrer des malentendus, car il n’est pas toujours facile pour des lecteurs, marqués par les traumatismes vécus en 1962, d’accepter certaines analyses. La qualité de la recherche historique est à ce prix, il faut l’accepter au risque de passer à côté de grands ouvrages tels que cette Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire parue récemment aux éditions Vendémiaire.

Divisé en quatre parties, ce livre s’ouvre sur ’l’aventure française en Algérie, un récit explicatif’, remontant bien avant la conquête de 1830. Suivent ’les événements et leur réécriture’, analyse détaillée et problématisée de quelques moments emblématiques : le 8 mai 1945, le 20 août 1955 et l’escalade terroriste, la Bataille d’Alger, le retour de de Gaulle et ses ambiguïtés, les manifestations à Paris des 17 octobre 1961 et 8 février 1962, les accords d’Evian et leurs tragiques prolongements, dont les massacres d’Oran. Vient ensuite une étude pertinente des ’mémoires antagonistes’ de la guerre d’Algérie, dans l’opinion métropolitaine, chez les Pieds-Noirs et les Harkis - inutilement qualifiés de ’vaincus’ - et dans l’Algérie indépendante. Enfin, on débouche sur le moment le plus inattendu de l’ensemble, un essai d’’égo-histoire’ : l’auteur y détaille le parcours qui l’a mené à se spécialiser dans l’histoire de l’Algérie contemporaine, tout en évoquant les productions de ses collègues engagés dans la même voie. Non sans raison, l’auteur suggère de commencer par la lecture de cette dernière partie, la plus novatrice.

La démarche que choisit l’auteur est unique. On peut formuler quelques critiques. Concernant la manifestation du 17 octobre 1961, on s’étonne qu’il n’oppose pas plus vivement les sérieux des recherches de Brunet à l’amateurisme partisan d’Einaudi. Dans l’échec des accords d’Evian, l’OAS est mentionnée en premier. Mais les responsabilités du FLN et, plus encore, celles du gouvernement français, nourrissent un nombre de pages, très documentées, bien plus important.

Sur le ’massacre oublié’ du 5 juillet 1962, l’auteur reste fidèle à ce qu’il a écrit dans son précédent ouvrage, formulant l’hypothèse discutable d’une responsabilité de l’OAS locale, et rejetant l’idée d’un complot de l’ALN positionnée au Maroc. La revue L’Algérianiste a rapporté, en temps utile, les débats alors suscités.

Ces réserves importent peu, face à la rigueur évidente d’un tel ouvrage. l’auteur, souhaitant s’affranchir, sans les nier, des pesanteurs mémorielles, invite ses confrères ’(à le) compléter ou (à le) corriger substantiellement’ ; et ses lecteurs ’à confronter leurs opinions préconçues - s’ils en ont - avec une vision d’historien qui ne prétend pas être la seule possible’. Rare exemple d’honnêteté intellectuelle qui fait le prix de ce travail, exigeant mais stimulant".

-  Voir aussi le compte rendu publié dans la revue en ligne Inflexions, n° 41, mai 2019 :

"Un ouvrage qui va marquer l’historiographie de la guerre d’Algérie car, au-delà du simple récit chronologique des événements, l’auteur s’attache avec un soin particulier à rechercher les fondements de mémoires antagonistes persistantes et à évaluer les rapports entre mémoire(s) et histoire. Le livre est ainsi organisé en quatre grandes parties nettement distinctes : un rappel des relations entre la France et l’Algérie dans le temps long (« L’aventure française en Algérie : un récit explicatif »), la guerre d’Algérie elle-même entre 1954 et 1962 (« Les événements et leur réécriture »), une approche de mémoires profondément contradictoires, métropolitaine, pied-noir, anciens combattants, algérienne(s)... (« Mémoires antagonistes »), et une dernière partie originale consacrée à la bibliographie et aux historiens de la guerre d’Algérie, avec la place parfois envahissante du politique (« L’histoire et la mémoire dans le cas de la guerre d’Algérie : un témoignage personnel »). Chaque partie se termine sur un appareil critique de notes de référence et sur une conclusion partielle. Les responsabilités politiques ne sont jamais tues et les errements autour des accords d’Évian soulignés. La conclusion finale tente de faire le tri entre devoir de mémoire, devoir de justice et devoir d’histoire, entre engagement politique et engagement d’historien. Le livre se termine sur plus de trente-cinq pages de références, sources et bibliographie, véritable mine où pourront piocher tous ceux qui veulent aller plus loin. Et sur le constat, un peu désabusé, d’un verrouillage du discours public par les autorités algériennes, une « langue de bois » qui interdit pour l’instant tout progrès dans l’apaisement des mémoires."

-  Qu’on me pardonne de reproduire également l’avis d’un collègue historien de l’Afrique noire, Marc Michel :

« Quant au livre, je peux te dire que je l’ai lu avec attention et un intérêt jamais démenti au cours de la lecture. Tu peux effectivement être fier de cette somme habilement construite et dont le caractère personnel est si frappant. J’admire la précision et l’exhaustivité du livre et je ne crois pas qu’on puisse te reprocher d’avoir négligé tel ou tel aspect. Pour celui qui connaît ou a vécu ces événements douloureux, ce livre permettra une mise en perspective moins passionnelle, espérons-le ; pour les autres, une référence ; la guerre d’Algérie eut ceci de particulier qu’effectivement, elle concerna (à la longue ) tous les Français alors que les autres décolonisations ne concernèrent que des minorités.

Tes deux dernières parties sur les historiens et sur ton itinéraire personnel sont particulièrement intéressants et neufs. Tu estimes finalement qu’on est entrés dans une phase où l’histoire engagée n’est plus de mise et l’histoire de la guerre d’Algérie, enfin finie, pourrait devenir une histoire comme les autres ; je n’en suis pas sûr mais j’espère que Jacques Frémeaux aura tort de dire "qu’à l’heure où un nombre croissant de Français,sont des Algériens d’origine, on est en droit de se demander quelle communauté nationale pourra se perpétuer sur de pareilles incompréhensions et de pareilles ignorances". Mais dans le long chapitre que tu consacres aux "illusions perdues", tu soulignes que dès le départ quasiment, dès le Congrès de la Soummam, les chefs algériens, Ben Bella en tête, estimaient que les Français n’auraient aucune place en Algérie et que l’islam serait la religion d’Etat des Algériens eux-mêmes. Sans compter les controverses sur les "crimes de guerre", les résurgences d’affaires passées comme le 17 octobre ou la bataille d’Alger, ceci n’augurait déjà pas d’une facile réconciliation. »

-  Mais aussi l’avis d’un autre ami, mon camarade du Lycée Louis-Le Grand et de l’Ecole normale supérieure Gil Cazenave :

"Pour qui connaît depuis longtemps les écrits de Guy Pervillé, y compris dans des revues destinées au public non-spécialiste, la clarté du propos, la rigueur de l’approche, la sûreté de l’information ne sont assurément pas des nouveautés. Mais suivre l’auteur dans le long cours de cette Histoire iconoclaste..., enrichir encore cette lecture de fréquents allers-retours vers un site remarquable de générosité, voilà une expérience passionnante. Le lecteur apprend à contextualiser certains faits, à mesurer la place d’épisodes parfois moins visités et moins visibles ; il trouve aussi dans le récit des évènements comme dans l’étude des "mémoires" l’écho de ses propres interrogations, de ses propres doutes, qu’il s’agisse des occasions perdues par la IIIe République, des à-coups de la politique gaullienne, des équivoques de la négociation, du sort fait aux rapatriés et aux harkis. Que l’on ait eu à connaître cette époque comme citoyen, ou comme enfant ou adolescent, que de sentiments mêlés, que de difficultés à regarder ce passé en face ! Et c’est là que Guy Pervillé est remarquable, qui, par sa démarche scrupuleuse (scrupule qu’il s’applique à lui-même en relisant ses propres lectures), nous aide à donner sens aux contradictions qui nous traversent comme elles n’ont pas cessé de traverser la société française.

Jamais pourtant il ne se réfugie dans le point de vue de Sirius, donnant des leçons du haut de son savoir qui est immense ; on entend toujours, avec le savant, l’homme de mesure et d’honnêteté, chez qui l’approfondissement des connaissances est aussi une réponse à un questionnement personnel, et à nos propres interrogations. Sur ce sujet propice à l’expression des passions, les plus nobles mais aussi les plus tristes, Guy Pervillé ne tombe jamais dans les travers qui amènent nombre de ses collègues "militants" , en toute bonne foi, à confondre les "ordres", celui de l’histoire et celui de la mémoire. Son livre - où les étudiants trouveront une indispensable propédeutique à toute démarche authentiquement historique- nous protège contre les groupes de pression, leur tentation du "hold-up mémoriel" et leur instrumentalisation des évènements. Bref, on comprend pourquoi et en quoi ce livre est "iconoclaste" : il brise les représentations auxquelles la légèreté des temps confère une transcendance trompeuse, il leur oppose la recherche inlassable et rationnelle de la vérité."

-  Et encore celui de l’historien Pierre Barral, professeur émérite à l’Université Paul Valéry-Montpellier III, qui m’a écrit la lettre suivante le 29 avril 2019 :

"Cher collègue,

Votre Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire m’a beaucoup plu et j’ai tiré grand profit de sa lecture. Car malgré l’affaiblissement de l’âge, je conserve heureusement la curiosité de l’esprit et je m’efforce d’affiner mes connaissances d’historien.

Sur un sujet si disputé, vous avez élaboré un grand livre, riche, dense et fort. Au premier abord, votre plan m’a un peu déconcerté. Puis j’ai compris qu’il assure une couverture plus large, par des approches convergentes : panorama d’ensemble, examen plus approfondi des points brûlants, tableau contrasté des mémoires en jeu et galerie animée des historiens du thème.

Si la matière est surabondante, vous l’avez maîtrisée par une enquête minutieuse, dont témoigne la profusion des références et dont l’ampleur impressionne. Ensuite, vous reconstituez au mieux l’enchaînement des événements, en tenant compte avec équité des thèses qui se sont opposées, mais sans craindre de conclure avec netteté quand cela vous paraît possible. Or, sur ce chapitre du passé plus que sur d’autres, le travail de l’historien est particulièrement difficile, car l’intervention concurrentedesmémoiresbrûlantesetantagonistesperturbegravement l’analyse objective.

Dans ce discernement nécessaire, vous mettez bien en lumière les exagérations et les déformations, vous relevez justement chez les auteurs qui s’affrontent "la sélectivité qui tend à refouler hors de la conscience des foules tous les faits non conformes à la production de l’effet psychologique désiré" (votre p. 377). J’apprécie beaucoup notamment vos présentations critiques des grandes journées, 8 mai 1945, 20 août 1955, bataille d’Alger, 17 octobre 1961, ainsi que votre évaluation globale des pertes humaines dans le conflit.

Si mes travaux personnels se sont centrés sur l’histoire de la métropole, j’ai toujours été très attentif au destin de l’Algérie. Pendant toute la guerre, j’ai été, comme beaucoup de Français, un observateur anxieux et tourmenté, "passant peu à peu de l’Algérie française à l’Algérie indépendante" (votre p. 388). Après 1962, j’ai souvent enseigné le chapitre de ce drame, en m’efforçant à l’exactitude du récit et à la compréhension des acteurs. Et plusieurs auteurs me sont familiers : André Nouschi, camarade d’Agrégation, Claire Mauss-Copeaux, connue étudiante, Gilbert Meynier, mon compagnon de Nancy, avec qui j’ai entretenu un long dialogue, parfois tendu mais cordial, Jean-Charles Jauffret, avec qui j’ai travaillé à Montpellier. Mais c’est Charles-Robert Ageron que je considère comme le meilleur spécialiste de notre génération, pour la rigueur de son enquête comme pour l’équilibre de son analyse.

Je vais ranger soigneusement votre livre et je le consulterai souvent".

-  Un autre compte rendu a été publié, en anglais, par le professeur émérite de l’Université du Texas à Austin, Clement Henry Moore, le 9 avril 2019 dans le Journal of North African Studies (Pour trouver le texte anglais, chercher sur Google : http://www.la.utexas.edu/users/chenry/public_html/vitae.html, et consulter dans la liste des comptes rendus de l’auteur Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, by Guy Pervillé, Paris, Editions Vendémiaire, 2018, 661 pp., 26 € (softcover), ISBN 978-2-36358-314-7, in Journal of North African Studies, 9/04/2019 ms. ).

-  Et un compte rendu a été publié dans la Revue historique, n° 693, janvier 2020, pp 244-246, par mon collègue et ami Hubert Bonin, à lire sur le site CAIRN.info : https://www.cairn.info/revue-historique-2020-1-page-217.htm.

-  Après les trois mois de confinement dus au Covid-19, un nouveau compte rendu a été publié sur le site nonfiction.fr, par le politologue Damien Augier, le 13 juin 2020 (https://www.nonfiction.fr/article-10313-histoire-franco-algerienne-et-memoire-post-coloniale.htm) puis sur le site Slate.fr (http://www.slate.fr/story/191472/histoire-franco-algerienne-guerre-algerie-memoire-postcoloniale-enseignement) le 14 juin.

Un témoignage érudit de l’écriture de l’histoire de la guerre d’Algérie au prisme de ses mémoires antagonistes

« Il faut donc se rendre à l’évidence : la guerre d’Algérie n’est pas un sujet historique comme les autres. Au lieu d’être considérée comme un fait passé qui s’éloignait inexorablement dans le temps elle est redevenue un sujet d’une éternelle actualité, comme si le sens de l’écoulement du temps s’était soudainement inversé. Optimiste par excès de naïveté, j’ai trop longtemps voulu croire que les relations amicales et fructueuses qui existaient entre historiens français et algériens permettraient une libéralisation progressive de l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne » .

Toute la démarche de l’ Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire de Guy Pervillé est contenue dans ces phrases : comprendre, grâce au recul d’un historien émérite qui y a consacré toutes ses recherches et ses interventions publiques, comment (et pourquoi) la guerre d’Algérie, malgré l’ouverture des archives - depuis 1992 - puis quelques (timides) rapprochements diplomatiques, continue d’être un terrain d’affrontements et de polémiques à la fois politiques et historiographiques, mêlant en définitive un triple devoir de mémoire, de justice et d’histoire.

C’est ce dernier devoir qui a donc poussé Guy Pervillé, après de nombreuses publications de recherche (Oran, 5 juillet 1962. Leçon d’histoire sur un massacre), ou de synthèse (son « Que sais-je » et son Atlas de la guerre d’Algérie, ainsi que sa fresque coloniale La France en Algérie, 1830-1954), à écrire cet essai en forme de bilan historiographique et mémoriel, au ton très personnel, pour tenter de tracer une voie possible pour « faire prévaloir la recherche de la vérité » au-delà des récits partiels et partiaux. Mais après tant d’années consacrées à son sujet, il n’est pas sans savoir que les historiens eux-mêmes (et lui compris) ont, souvent contre leur gré, été pris à partie dans une forme de « guerre des mémoires » « qui prolonge dans le présent la vraie guerre des années 1954 à 1962 », « transformant une quasi-victoire militaire [de la France gaullienne] en défaite politique et morale » . Et c’est bien sur le plan moral que la mémoire - « qui s’est presque substituée à l’histoire » - cherche à juger (sinon comprendre, selon Pervillé) les exactions des deux camps, la question de la torture pratiquée par l’armée française ayant fait l’objet d’un point de fixation dans le débat public au tournant de l’an 2000.

L’ouvrage, volumineux et très documenté, se construit ainsi autant en une (brève) histoire de l’Algérie coloniale puis (de manière plus fouillée) de la guerre d’indépendance - dans une perspective large, du 8 mai 1945 (massacres de Sétif et du Constantinois) aux accords d’Evian - que dans une forme plus originale de confrontation des mémoires antagonistes (anciens combattants de tous bords, pieds-noirs, harkis, immigrés post-coloniaux... ), avant de se terminer par un témoignage personnel sur les liens entre histoire, politique et mémoire de la guerre. La partie portant sur la réécriture des événements-phares de la guerre (Toussaint 1954, « bataille d’Alger » en 1956-1957, crise du 13 mai 1958, 17 octobre 1961, drame du métro de Charonne le 8 février 1952, accords d’Evian du 19 mars 1962) par les mémoires des deux rives apporte une dimension nouvelle à la manière de comprendre les divergences fondamentales quant à leurs interprétations. Puis, revenant de façon détaillée et méthodique sur les différentes péripéties mémorielles des trente dernières années, ce qui reprend le schéma devenu classique de Benjamin Stora, Guy Pervillé tente de prendre de la hauteur en considérant, dans le sillage de son maître Charles-Robert Ageron, que l’histoire « objective » doit dépasser les querelles et ne pas confondre engagement politique et engagement historique.

C’est en vérité la plus grande faiblesse de l’ouvrage que de finir par confondre histoire dépassionnée et histoire non engagée, conduisant d’une manière peut-être naïve (bien qu’il se défende de ne plus l’être) au constat suivant, le situant davantage en historien « centriste » qu’apolitique : « j’estime que les historiens n’ont pas besoin d’être de gauche, ni de droite (et encore moins à leurs extrêmes) : il leur suffit d’être au centre [sic], puisque cette position est celle qui leur permet la vision la plus large suivant les lois de perspective. Et c’est aussi pourquoi je crois que la fidélité à leur rôle doit primer sur leurs relations avec tel ou tel groupe mémoriel » (donnant ainsi l’impression de renvoyer dos à dos la mémoire des victimes et celle de l’OAS...)."

Sans contester le droit qu’a l’auteur de ce compte rendu de garder sa liberté de critique face à une prise de position un peu provoquante, je dois néanmoins signaler que sa critique me paraît appeler à son tour des objections : y a-t-il une "mémoire des victimes", ou bien plusieurs ? L’OAS a-t-elle été la seule organisation terroriste ? Le débat est loin d’être clos.

Guy Pervillé



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