A propos du livre de Francis Mézières, Alger, 24 janvier 1960 (2019)

samedi 21 septembre 2019.
 

Un ouvrage atypique mais très important : Alger, 24 janvier 1960, de Francis Mézières

Francis Mézières, Alger, 24 janvier 1960
T.1 :
Genèse du suicide de l’Algérie française
T 2 :
Mythes du suicide de l’Algérie française

Périgueux, Les Éditions d’Alésia, mars 2018, 912 pages et 880 pages, plus une vue aérienne du centre d’Alger servant de plan de localisation.

Commande en ligne sur www.ebay.fr et sur www.amazon.fr , ou à F. Mézières, BP 90107 - 24004 Périgueux Cedex - 32 € le tome, 64 € les deux, franco de port.

Cet ouvrage qui traite à fond un sujet trop méconnu a été signalé à l’attention des historiens près d’un an après sa publication à compte d’auteur, d’abord sur le site de la Société française d’histoire des Outre-mers (SFHOM) à l’initiative de Jacques Frémeaux le 27 février 2019 (http://sfhom.com/spip.php ?article2876), puis il a fait l’objet d’un premier compte rendu détaillé, publié le 17 mars 2019 sur le site Criminocorpus (https://journals.openedition.org/criminocorpus/5854) par le spécialiste de l’histoire de la gendarmerie Jean-Noël Luc, lequel me l’a envoyé, et le même compte rendu a été publié sur celui du bulletin Le trèfle ( Société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale), n° 153, avril 2019. Afin de pouvoir en juger par moi-même, je me suis donc adressé à l’auteur du livre, qui m’a fourni gracieusement un exemplaire de ses deux tomes.

La fusillade du 24 janvier 1960 à Alger, qui a opposé des manifestants armés aux gardes mobiles obéissant aux ordres des autorités légales pendant que les parachutistes censés les appuyer se tenaient à l’écart, est un des grands événements de la guerre d’Algérie, et le premier épisode manifeste de la guerre civile franco-française qui a été induite par la volonté métropolitaine de mettre fin à la guerre contre le FLN pour rendre la paix à la France. Ce tragique événement - qui s’était soldé par 14 tués et 129 blessés dans les rangs des gendarmes mobiles, ainsi que 8 tués, 31 blessés hospitalisés et 25 blessés légers parmi les civils algérois - avait, à l’époque, retenu toute l’attention de la presse et de l’ensemble des moyens d’information, puis donné lieu à la publication de plusieurs livres par des journalistes [1]. Près d’un an après, le « procès des barricades » avait échoué à mettre en lumière toutes les responsabilités malgré sa durée (du 3 novembre 1960 au 2 mars 1961). Les principaux inculpés civils et militaires, ayant fui à Madrid comme Joseph Ortiz, puis Pierre Lagaillarde, ou libérés par un verdict indulgent, avaient aussitôt repris leurs activités clandestines afin d’empêcher le général de Gaulle de négocier avec le FLN. Une dizaine d’années plus tard, la publication des livres d’Yves Courrière - journaliste présent à Alger lors du 24 janvier 1960 et de la « semaine des barricades » qui s’en était suivie - (notamment L’heure des colonels, paru en 1970 [2]) avait relancé le débat contradictoire qui s’exprima ensuite dans les colonnes de la série de la revue Historia Magazine consacrée à la guerre d’Algérie de septembre 1971 à janvier 1974. Puis le sujet était peu à peu sorti de la lumière, malgré la publication d’un article par le jeune historien Marc-Olivier Gavois dans Outre-mers, revue d’histoire en 2000 [3].

Pour ma part, je n’ai guère traité ce sujet dans mon livre récemment paru : Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire [4], parce que sa perception n’avait guère évolué avec le temps. Je l’ai brièvement évoqué dans sa première partie qui résume les faits essentiels :

« Mais à ce moment, l’inquiétude semée parmi les militaires et les civils français d’Algérie par le discours du 16 septembre 1959 aboutit à une crise majeure. Alors que le général Challe, préoccupé par la mise en oeuvre de son plan, s’était laissé persuader par le Premier ministre que l’armée se battait « pour une Algérie française », une interview donnée à un journaliste allemand par le général Massu, chef du corps d’armée d’Alger, qui avouait son désaccord avec le président de la République, mit le feu aux poudres. Sa révocation provoqua le 24 janvier 1960 une manifestation et la formation d’un camp retranché au centre d’Alger par le député Lagaillarde et par le cafetier Ortiz (chef du Front national français, mouvement militarisé d’extrême droite contrôlant une grande partie des unités territoriales), puis l’ouverture du feu par des manifestants armés contre les gendarmes mobiles qui descendaient les escaliers du Forum pour tenter de les faire reculer. Cette tentative manquée de rejouer le 13 mai se solda par 14 tués parmi les gendarmes pour 8 tués chez les manifestants, et plusieurs dizaines de blessés des deux côtés. Le Premier ministre, venu soutenir la résolution du délégué général Delouvrier et du général Challe, fut sévèrement critiqué par un « soviet de colonels ». Bloqués pendant une semaine par les forces de l’ordre, les manifestants armés finirent par se rendre, malgré le soutien manifesté par la population européenne d’Alger. [5] »

Pourtant, j’ai consacré toute la deuxième partie de ce livre à une étude approfondie de plusieurs grands événements qui avaient été retenus par divers groupes mémoriels comme particulièrement dignes de commémorations, mais le 24 janvier ne m’avait pas semblé correspondre à ce critère de sélection, et je n’avais pas non plus accumulé la matière d’une étude approfondie comme je l’avais fait pour la « bataille d’Alger ». La brève analyse que j’en avais faite alors n’ajoutait donc pas grand chose à ce que j’en avais écrit dans la première partie :

« La nouvelle politique d’autodétermination fut acceptée par la majorité de l’Assemblée nationale et par la grande majorité de l’opinion publique métropolitaine, mais elle inquiéta une grande partie des civils français d’Algérie et des officiers de l’armée, qui eurent l’impression d’un désaveu des promesses de mai et juin 1958. Le rappel du général Massu, coupable d’avoir exprimé sa désapprobation dans une interview accordée à un journaliste allemand, mit le feu aux poudres. Le 24 janvier 1960, une foule mobilisée par le député Lagaillarde et par le cafetier Ortiz, leader du Front national français, et rassemblant des membres armés des Unités territoriales, tenta en vain de refaire le 13 mai 1958. Le soir du 24, les gardes mobiles descendant les escaliers du Forum pour disperser la foule furent pris sous le feu des manifestants armés avant de pouvoir riposter ; le bilan fut de 14 tués parmi les gendarmes et de 8 chez les manifestants, pour plusieurs dizaines de blessés des deux côtés. Cette scène de guerre civile, suivie par une semaine d’attente de part et d’autre des barricades d’Alger, porta un coup décisif à la solidarité entre les Français de France et ceux d’Algérie. Pour le général de Gaulle, qui ne cessa pas de prôner la plus grande fermeté, ce fut l’occasion de s’émanciper de sa dette envers les Algérois en bénéficiant pour la première fois de l’appui conditionnel de ceux qui avaient désapprouvé le coup d’Etat du 13 mai 1958 [6] ».

Ai-je donc eu tort de ne pas chercher à pousser plus loin l’étude de cet événement ? Après avoir lu le livre de Francis Mézières, il me paraît évident que oui. Mais quelles conséquences dois-je en tirer ? C’est ce que je vais chercher à déduire d’une analyse approfondie de ce livre.

Le livre de Francis Mézières : histoire et/ou mémoire ?

Le livre de Francis Mézières est-il une œuvre d’histoire ou de mémoire ? Telle est la question que le lecteur peut se poser tout au long de sa lecture. Les sous-titres qui explicitent le titre sur chacune des couvertures des deux tomes sous-entendent un jugement politique sur la responsabilité de la fin tragique de l’Algérie française, mais la quatrième de couverture, purement événementielle, ne confirme pas cette intuition. Au bas de cette quatrième de couverture, la présentation de l’auteur, né en 1964, fait savoir que celui-ci a suivi une formation historique spécialisée dans l’histoire militaire de la guerre d’Algérie à l’Université Paul Valéry de Montpellier, mais ne dit presque rien de sa carrière professionnelle. La page de dédicaces exprime une volonté d’apaisement envers toutes les catégories de victimes de cette guerre, et l’explique par un hommage au père de l’auteur, né à Rabat, officier de réserve qui a commandé une section d’infanterie en Algérie de mai 1958 à janvier 1960. A soupeser et feuilleter ces deux énormes volumes, dotées de notes très nombreuses et parfois très développées, et d’annexes abondantes ainsi que d’une bibliographie classée très fournie, on retient l’impression qu’il pourrait bien s’agir d’une thèse, même si la longueur des très nombreuses citations intégrales, qui s’étendent parfois sur plusieurs pages de suite, ne correspond pas aux usages universitaires.

L’introduction (pp 11-32) permet d’en savoir plus quant à la nature et au but de ce livre. Elle commence par rappeler deux tournants importants de la guerre d’Algérie : le discours du général de Gaulle à Alger le 4 juin 1958, qui invitait tous les habitants de l’Algérie à la réconciliation dans la fraternité, et la journée tragique du 24 janvier 1960, au sujet de laquelle l’auteur distingue très clairement la succession objective des faits et les mythes qui les ont déformés. Puis celui-ci montre comment ces mythes ont plus ou moins fortement marqué les récits qui en ont été présentés par des journalistes et des historiens, en concluant que la version la plus objective fut celle présentée par Jacques Frémeaux en 1995 : « A qui revient la responsabilité de l’ouverture du feu ? Cela est bien difficile à dire, mais il est peu probable que la gendarmerie - troupe habituée au maintien de l’ordre - ait tiré la première, de plus, dans une position désavantageuse, comme l’indiquent ses pertes supérieures. En revanche, elle a pu recourir à des grenades lacrymogènes, dont, d’après la plupart des témoins, les explosions ont précédé les premiers coups de feu. Il est quasi certain que ceux-ci (sans doute des coups de pistolet) ont été tirés par des manifestants, ce qui a provoqué une fusillade générale, et l’action des fusils mitrailleurs. Faut-il invoquer l’action de provocateurs, désireux de créer une situation irréversible ? Rien n’est moins sûr, car à elle seule, la possession d’une arme par des éléments indisciplinés implique le risque de les voir en faire usage en cas d’affolement ou de fureur subite » (cité p 20).

L’inventaire très précis des archives consultées, mais aussi d’autres sources postérieures aux faits, démontre la volonté de l’auteur de faire une vraie œuvre d’historien, et justifie les entorses qu’il a faite dans leur présentation formelle aux usages universitaires : « Le nombre important de mythes créés par les activistes Algérie française pour occulter leurs responsabilités dans la fusillade du 24 janvier 1960, à l’identique d’autres épisodes controversés de la guerre d’Algérie, explique le choix de citer de nombreux récits historiques ou témoignages personnels déjà publiés, comme de reproduire dans leur intégralité de larges extraits des minutes du procès des barricades. En effet, revenir à la source des témoignages individuels ou des dépositions de témoins lors du procès des barricades, plutôt que d’avoir recours à une banale synthèse sous forme de paraphrases, s’avère la meilleure méthode pour débusquer les allégations mensongères et identifier l’origine puis l’évolution des mythes qui perdurent aujourd’hui. Sans cela, de nombreux doutes subsistent et l’altération des faits demeure intacte » (p 28).

L’auteur justifie ensuite le choix de certaines formulations, notamment celles de « terrorisme » et de « crimes de guerre » pour désigner des actes commis par des membres du FLN-ALN ou par des militaires français (p 29), afin de dissiper tout soupçon de parti pris même inconscient. Il termine enfin son introduction par des remerciements dont l’abondance atteste de l’importance de son travail de recherche. Il donne ainsi une impression très positive de la valeur scientifique d’un ouvrage qui, même s’il n’est pas une thèse, aurait pu en être une.

La matière de cet ouvrage est répartie en deux tomes, dont le premier va des origines à la manifestation du 24 janvier 1960, alors que le second part de la fusillade et en examine les suites. L’articulation de chacun est indiquée par un sommaire en tête de chaque volume, et détaillée par une table des matières qui reprend tous les sous-titres à la fin de chacun. Cette présentation générale est suffisamment claire, mais l’articulation interne de chacun de ces chapitres - qui dépassent souvent la centaine de pages - ne l’est pas toujours. C’est pourquoi je préfère distinguer quatre parties différentes :

1- Les forces en présence (chapitres I à IV du premier tome)

2- Le récit des événements (chapitres V et VI du premier tome, chapitre I du second)

3- L’analyse des faits établis (chapitres II à V du second tome)

4- Leurs conséquences (chapitres VI, Conclusion et « Que sont-ils devenus ? »).

1- Les forces en présence

Dans cette première partie, le premier chapitre est intitulé : « Le maintien de l’ordre public en Algérie : un régime d’exception » (t 1, pp 31-106). Il entend démontrer que, alors qu’en Algérie « le caractère primitif de l’exercice du maintien de l’ordre était fondé prioritairement sur l’emploi de troupes militaires, en traitant comme des ennemis ceux qui s’insurgeaient contre le système colonial et en frappant indistinctement insurgés et population civile », au contraire, « les principes du maintien de l’ordre public qui se développent en France à partir de la fin du XIXème siècle traduisent la volonté de mettre un terme à l’engrenage fatal de la répression des différents épisodes révolutionnaires qui ensanglantent Paris de 1830 à 1871 » (t p 33). Pour ce qui concerne le maintien de l’ordre dans la métropole, la démonstration est faite et bien faite en deux pages (pp 33-34), montrant comment le grand républicain Georges Clemenceau, après avoir ordonné en tant que ministre de l’Intérieur plusieurs répressions militaires sanglantes contre des mouvements sociaux de 1907 à 1909, fut à l’origine de la création d’une force militaire spécialisée dans le maintien de l’ordre public dix ans plus tard : la gendarmerie mobile.

Mais pour l’Algérie, aucune étude de la conquête et des répressions des révoltes par l’armée française antérieures au 8 mai 1945 n’est présentée. Francis Mézières énonce l’idée que « la guerre d’Algérie a été en définitive perdue dans les rues d’Alger bien plus que dans les djebels », et que « « au terme d’une guerre de huit ans, l’Algérie française a été perdue après un cycle de sept manifestations du 8 mai 1945 au 26 mars 1962 : la manifestation à Sétif le 8 mai 1945, la ‘journée des tomates’ à Alger le 6 février 1956, la prise du Gouvernement général à Alger le 13 mai 1958, la fusillade du boulevard Laferrière et du Plateau des Glières à Alger le 24 janvier 1960, les émeutes à Alger et Oran du 9 au 15 décembre 1960, la reprise du contrôle du quartier de Bab-el-Oued le 23 mars 1962, et enfin la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 » (p 37). C’est là une affirmation que l’auteur se propose de démontrer tout au long de son livre.

Ce projet ne l’empêche pas de se lancer d’abord dans une très longue présentation (pp 37-106) illustrée par de nombreux textes des mesures répressives prises par les autorités civiles et militaires françaises en Algérie et appliquées dans les djebels autant que dans les villes, depuis le 8 mai 1945 jusqu’à la fin de 1955, à travers des étapes décisives telles que l’application de la responsabilité collective aux populations solidaires des insurgés en mai 1955 et la répression de l’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois, aboutissant à des excès condamnables et à « l’échec de la politique de répression qui fait basculer dans la rébellion un nombre toujours plus grand d’Algériens musulmans » (p 103). Echec masqué par « l’aveuglement des autorités françaises qui persistent à nier la légitimité du désir d’indépendance des membres du FLN » (Ibid.) Paradoxalement, le seul document reproduit venant de ce bord, dû au chef de l’Aurès Bachir Chihani (pp 102-103) apparaît presque plus modéré (« Les femmes des colons et des civils français doivent être tuer s’ils tuent nos enfants et nos femmes, tuer les siennes »), et donne à croire que la violence du FLN était seulement une réaction à celle des colonialistes français suivant l’antique loi du talion [7]. Ce chapitre aboutit donc à une conclusion sévère : « Un an après le déclenchement de la rébellion du FLN, l’action militaire répressive conduite en Algérie par la France est un échec. De plus, certaines unités de l’armée française dans leur lutte pour enrayer l’emprise du FLN sur le territoire algérien et détruire les combattants de l’ALN ont perpétré de véritables crimes de guerre. Les crimes commis par certains responsables locaux du FLN, parfois accompagnés de mutilations, alimentent cette ascension aux extrêmes » (pp 105-106).

Francis Mézières donne ainsi à son analyse une apparence de partialité parce qu’il manque à sa démonstration une analyse aussi développée et approfondie de la violence du FLN et de son aggravation continue [8]. Or le FLN, même s’il n’a joué aucun rôle direct dans la fusillade du 24 janvier 1960, a joué un rôle capital dans l’évolution des esprits, Algériens et Français, civils et militaires, à Alger depuis le 1er novembre 1954. Parce qu’il avait vaincu son terrorisme durant le « bataille d’Alger » en 1957, le général Massu a été porté à la tête du premier « Comité de salut public » le 13 mai 1958, ce qui lui a permis de rappeler le général de Gaulle au pouvoir. Et son rappel à Paris par le même général de Gaulle devenu président de la Vème République, le 20 janvier 1960, a mis le feu aux poudres parce qu’il avait vaincu le FLN trois ans plus tôt et que celui-ci se manifestait de nouveau par des attentats dans la ville et dans ses environs. Cette lacune regrettable nuit donc à la crédibilité de la démonstration que propose l’auteur.

Les dernières phrases de ce premier chapitre annoncent le chapitre suivant, intitulé « Le ‘contre terrorisme’ des activistes Algérie française » (pp 107-243). En effet, on lit à la page 106 : « Durant cette même année 1955, des activistes Algérie française sont les premiers à porter la guerre dans Alger en assassinant des membres du FLN ». Et cette phrase est développée au tout début du chapitre II : « Si quasiment [9] aucune victime civile n’est dénombrée parmi les Français de souche européenne avant le mois de mai 1955, des activistes Algérie française qui se réclament du ‘contre-terrorisme’ assassinent à Alger, dès le mois de novembre 1954, des Algériens Musulmans partisans de l’indépendance. Le premier de ces groupes ‘contre-terroristes’ est celui de ‘Jo’ Rizza, dit ‘Nani’, futur chef du commando delta 9 de l’OAS ».

Ce fait semble bien établi par le témoignage de l’intéressé, rapporté par son camarade Pierre Démaret dès 1973, puis par le journaliste Vincent Quivy en 2003, mais sa signification exacte doit être discutée. D’abord sur le nombre et la fréquence de telles actions « contre-terroristes », à une période où le FLN d’Alger s’abstenait le plus qu’il pouvait de recourir au terrorisme afin de pouvoir s’organiser dans le calme et la discrétion. Selon le récit de Jo Rizza recueilli par Vincent Quivy, « quand ils flinguent un Français, on les flingue aussi. (...) On va à la chasse tous les jours, ça dure pendant un an. (...) On a des renseignements valables, on ne va pas flinguer n’importe qui ». Ce qui paraît quelque peu contradictoire. Selon le récit de Pierre Démaret, « le plus gros résultat opérationnel obtenu par le commando Rizza » fut l’attaque d’un autocar de la Compagnie Djidjellienne qui fit 60 morts et plus de 40 blessés, « en représailles du mitraillage par le FLN le 10 juin 1955, d’un car de la compagnie Air France qui fait la liaison entre Alger et l’aéroport de Maison Blanche » [10]. Comme le relève Francis Mézières, j’avais exprimé un certain scepticisme [11], non sur le fait revendiqué, mais sur sa date, parce que je n’en avais trouvé aucune mention, ni comme attentat, ni comme accident, dans la presse algéroise de juin 1955. Ce qui m’avait fait penser qu’il serait bon de rechercher une telle information dans la presse de juin 1956, date à laquelle les services de renseignement attestaient l’activité de groupes « contre terroristes », notamment contre des compagnies d’autocars [12]. Je n’ai pas pu vérifier si cette hypothèse était valable ou non.

Le récit de Pierre Démaret rapporte ensuite que « le docteur P. (Jean-Claude Pérez) devint rapidement le principal bailleur de fonds du groupe de Jo Rizza ainsi que le fournisseur d’armes et de munitions » avant de fonder son propre groupe à l’automne 1955, en s’en justifiant ainsi : « On effectue des actions violentes pour faire sentir à l’autre côté que nous sommes prêts à devenir des sauvages nous aussi » (p 111). Comme Jo Rizza, il avait des amis dans la police, qui lui fournissaient des informations, à charge de provoquer une perquisition par un attentat bien ciblé. Un autre groupe fut fondé à l’automne 1955 par le docteur René Kovacs, également en lien avec des policiers. Pourtant la chronologie des faits fournie par Jean-Claude Perez n’est pas très précise. Suivant un de ses récits, il fonda son groupe après la fin de ses obligations militaires et l’installation de son cabinet médical (avril 1956) [13]. Suivant un autre, il était déjà connu pour son activité « contre-terroriste » « à la fin de l’année 1955-début 1956 », et c’est alors qu’il fut contacté par l’ancien sous-préfet de Guelma André Achiary, qui le reçut en compagnie de Kovacs et qui leur proposa de coordonner leurs efforts [14]. A partir de cette période qui correspond à la dissolution de l’Assemblée nationale française par Edgar Faure (2 décembre 1955), puis à l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale en métropole mais pas en Algérie [15] (2 janvier 1956) et à l’investiture du gouvernement de Guy Mollet à Paris (31 janvier 1956), l’action des groupes contre-terroristes s’est étroitement combinée avec une action politique visant à faire pression sur le gouvernement et sur ses représentants à Alger, à partir de la manifestation de masse du 6 février 1956.

Dans toute la suite de ce chapitre, Francis Mézières retrace en détail les complots qui ont associé des « contre-terroristes », des policiers, mais aussi des hommes politiques et même des militaires prêts à tout pour renverser la IVème République, en commençant par la « journée des tomates » du 6 février 1956, organisée par le député Pascal Arrighi, qui fit reculer Guy Mollet et lui fit remplacer le général Catroux par Robert Lacoste (pp 128-142). Il étudie aussi le tournant décisif que fut le passage du FLN au terrorisme aveugle dans les rues d’Alger (pp 142-149), annoncé dès février 1956 par un tract de Ramdane Abane au cas où le gouvernement français ferait exécuter les condamnations à mort, ce qui fut fait à partir du 19 juin 1956. Mais paradoxalement il maintient son affirmation initiale suivant laquelle les premières bombes employées à Alger auraient été celles des contre-terroristes, et notamment celle posée dans la Casbah, rue de Thèbes, le 10 août, qui aurait provoqué en représaille celles du FLN, posées dans les lieux publics des quartiers européens à partir du 30 septembre. En réalité, je maintiens (p 148) que le FLN avait attendu d’avoir un nombre suffisant de bombes, après avoir récupéré le laboratoire clandestin des Combattants de la révolution (communistes) par l’accord FLN-PCA du 1er juillet 1956 : son passage au terrorisme aveugle était donc prémédité depuis longtemps, et le rôle provocateur attribué aux contre-terroristes n’est pas démontré.

Francis Mézières poursuit en racontant les complots de la fin 1956. D’abord le mystérieux assassinat du président de la Fédération des maires Amédée Froger, dont les obsèques le 29 décembre 1956 donnèrent lieu à de graves troubles (nombreuses bombes au cimetière et dans des églises, « ratonnades » meurtrières) et mirent en échec le service d’ordre (faillite soigneusement camouflée dans le rapport du préfet d’Alger Serge Baret). Mais aussi un autre complot resté secret qui aurait réuni, à partir du 16 décembre, le général Cogny, commandant les troupes françaises au Maroc, et plusieurs membres de son entourage, ainsi que le général Faure, adjoint du général commandant la division d’Alger, avec le docteur Kovacs et son adjoint l’artificier Philippe Castille : le général Cogny leur aurait proposé d’assassiner le nouveau commandant en chef en Algérie, le général Salan, pour prendre sa place avec le soutien de plusieurs hommes politiques de Paris, parmi lesquels Pascal Arrighi et le gaulliste Michel Debré. Un autre complot ourdi en même temps par le général Faure et déjoué le 31 décembre n’est pas mentionné à cet endroit mais le sera plus loin, de même que l’attentat « contre-terroriste » au bazooka qui visa le général Salan dans son bureau le 16 janvier 1957.

La suite du récit évoque très rapidement (pp 163-165) la « bataille d’Alger » inaugurée le 4 janvier 1957 par la délégation des pleins pouvoirs civils et militaires au général Massu afin de détruire les réseaux terroristes du FLN-ALN, sa conséquence l’usage de la torture pour obtenir des renseignements par les quatre régiments parachutistes engagés dans cette opération, et la campagne de dénonciation de ces méthodes qui lui répondit en France. Puis il insiste sur la brochure « Aspects véritables de la rébellion algérienne » que le cabinet du ministre résidant Robert Lacoste diffusa pour contrer cette campagne. Ce qui ne l’empêcha pas d’être conspué par les « ultras » lors des cérémonies patriotiques du 8 mai et du 11 novembre 1957.

L’auteur présente avec beaucoup plus de détails l’ascension de Pierre Lagaillarde, avocat puis parachutiste qui devint en novembre 1957 le président de l’Association générale des étudiants d’Alger (AGEA) et l’un des principaux leaders activistes. Puis la prise du Gouvernement général par la foule algéroise le 13 mai 1958, après le départ du ministre résidant Robert Lacoste, qui entraîna un risque de guerre civile entre Alger et Paris et une crise de régime dénouée par l’appel du président de la République René Coty au général de Gaulle. Il retrace également la formation des Unités territoriales associant la population civile au maintien de l’ordre, et notamment celle de la compagnie opérationnelle du 11ème BUT, qui établirent des liens particulièrement étroits entre les civils et les militaires à Alger. Enfin, il analyse l’évolution de la politique du général de Gaulle, depuis son retour au pouvoir en juin 1958 jusqu’au discours du 16 septembre 1959 par lequel celui-ci proposa une nouvelle politique, celle de l’autodétermination. Changement qui fut ressenti par les activistes de l’Algérie française comme une trahison des promesses du 13 mai 158 et qui provoqua deux sortes de réactions : l’ascension aux extrêmes du Front national de Joseph Ortiz, nouveau parti recrutant parmi les ex-contre-terroristes et parmi les membres des Unités territoriales ; et la création d’une Fédération des Unités territoriales et des auto-défenses, voulue par le général Challe pour rendre possible la victoire de la francisation.

Après ce chapitre qui a retracé l’origine et la formation illégale ou légale de groupements de civils armés contre le FLN à Alger, le chapitre suivant, intitulé « Les forces françaises en Algérie » est tout différent, et la lecture de ses 232 pages (pp 245-477) demande un effort d’attention particulièrement soutenu. En effet, il se présente comme une succession de notices, très développées, consacrées à la vie et à la carrière militaire de tous les principaux chefs ayant joué un rôle notable dans le maintien de l’ordre à Alger avant et pendant la « semaine des barricades » : - le commandant en chef Maurice Challe, le général Massu commandant du corps d’armée d’Alger et son successeur le général Crépin, le général Coste chargé de la division d’Alger, le chef d’escadron de Montals, chef du cabinet militaire du délégué général Paul Delouvrier ; - le général Faure, qui assura l’intérim du général Massu entre son rappel à Paris et la nomination de son successeur, ainsi que les proches subordonnés dudit général Massu (colonels Godard, Argoud, Gardes, capitaine Filippi) ; - le général Grâcieux, successeur du général Massu à la tête de la Xème division parachutiste, ses subordonnés directs (colonel Mayer, lieutenant-colonel Ceccaldi, chef de bataillon Lafargue) et les chefs des deux régiments chargés d’intervenir le 24 janvier, les lieutenants-colonels Broizat (1er RCP) et Dufour (1er REP) ; enfin, le chef de bataillon Paul-Alain Léger, connu pour sa maîtrise de la manipulation des musulmans depuis la dernière phase de la « bataille d’Alger ». Ces notices sont d’autant plus longues que l’auteur a rassemblé tout ce qu’il a pu trouver sur le compte de chacun de ces personnage, sans négliger aucun détail de leurs carrières militaires, y compris les citations obtenues et intégralement reproduites, depuis leurs débuts jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale et aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Les notes, particulièrement nombreuses et parfois très développées, attestent du sérieux de l’effort de documentation accompli par l’auteur [16]. Ce chapitre mérite une première lecture attentive, et peut être de nouveau consulté plus tard pour des vérifications ponctuelles.

Le quatrième chapitre, intitulé « La gendarmerie mobile et la guerre d’Algérie », est un peu moins long que le troisième (pp 479-650), et s’inspire de la méthode des deux précédents. En effet, il commence par une histoire chronologique de la gendarmerie mobile depuis sa fondation en 1921 jusqu’aux épreuves de la Deuxième Guerre mondiale et de l’occupation allemande, puis dans les forces d’occupation françaises en Allemagne et en Autriche, et enfin dans les guerres d’Indochine et d’Algérie. Elle a donc été engagée non seulement dans la métropole, mais partout où l’armée française était présente. Cependant, l’auteur avait déjà signalé dans son premier chapitre que, selon un rapport daté du 17 juin 1955, un officier de la gendarmerie mobile s’était opposé aux instructions qui venaient d’être données par l’état-major de l’armée pour s’affranchir des « strictes limites imposées par la loi » dans la lutte contre les « rebelles » du Nord-Constantinois (pp 86-88 et note 97 p 822).

Les relations entre la gendarmerie mobile et l’armée semblent pourtant très correctes à en croire le sous-chapitre intitulé : « La gendarmerie mobile en Algérie : une arme de renseignement et de combat » (pp 486-503). Ses effectifs sont considérablement renforcés, et ses missions diversifiés, suivant le bilan qu’en dresse son chef le général Morin : « Rassurer les populations loyales par une présence constante, neutraliser les agitateurs, renseigner les autorités militaires, administratives et judiciaires, accompagner les troupes en opérations, constater les préjudices subis par les victimes de la rébellion, exécuter les réquisitions des autorités administratives, procéder aux innombrables enquêtes judiciaires pour le compte des parquets civils, des procureurs militaires ou des magistrats de la justice militaire, telles sont les principales activités qui, venant s’ajouter aux missions habituelles fondamentales, exigent du gendarme d’Algérie des facultés peu communes » (p 487). Durant la bataille d’Alger, un groupement provisoire de gendarmerie mobile du secteur Alger-Sahel (GPGMSAS) est créé au printemps 1957 et chargé de plusieurs missions (suivant un rapport du général Bézanger, inspecteur de la gendarmerie nationale, daté de janvier 1958) : protection des personnes et des biens, assainissement de la population par la détection et la capture d’éléments rebelles, recherche et exploitation du renseignement, et enfin contrôle de la population par un recensement aussi précis que possible, servant de base au « dispositif de protection urbaine » (DPU) mis en place par le colonel Trinquier (pp 489-490). Les gendarmes assurent également la garde de trois centres de transit et de tri (CTT) dont le principal est celui de Ben Aknoun (574 détenus), gardé par 28 gradés et gendarmes, avec sept gendarmes départementaux qualifiés comme officiers de police judiciaire adjoints, trois interprètes et un auxiliaire temporaire interprète. Le rapport du général Bézanger cite aussi en exemple l’étroite collaboration dans le sous-secteur Centre entre les EGM et les réservistes des Unités territoriales, qui sont des Français de souche européenne parlant l’arabe, excellents pour le recueil du renseignement et entretenant les meilleures relations avec les officiers de gendarmerie mobile (p 496). Deux ans plus tard, un rapport de l’état-major interarmées daté du 29 juin 1959 classe les missions des EGM en trois catégories : - les missions à dominante gendarmerie : sécurité de postes de commandement, gardes de centres de tri ou d’hébergement, sécurité des tribunaux, renfort de brigades de gendarmerie ; - les missions de protection des grands centres urbains : action psychologique, recensement et contrôle des populations, recherche et exploitation du renseignement ; - les missions à dominante unité de combat (p 497).

Le lecteur n’en est que plus étonné en abordant le sous-chapitre suivant, intitulé : « La gendarmerie mobile en Algérie, ‘une arme de répression’  ? » dans lequel Francis Mézières prend à parti avec véhémence deux autorités militaires coupables de ne pas avoir reconnu les mérites de la gendarmerie mobile à leur juste valeur. D’abord le général Massu, auquel il reproche d’avoir oublié les 11 unités du GMPMSAS parmi celles dont il disposait, bien qu’il eut décerné deux citations élogieuses au lieutenant Lucien Moreau pour avoir découvert de nombreuses bombes le 25 juin et le 26 août 1957 et neutralisé « trois chefs terroristes importants réfugiés dans un immeuble de la Casbah d’Alger » (p 503). Puis et surtout, il met en accusation le général Maurice Faivre, pour avoir écrit dans son livre publié en 2006, Le renseignement dans la guerre d’Algérie, que la gendarmerie mobile était « une arme de maintien de l’ordre et de répression plus que de recherche du renseignement », tout en précisant toutefois que « certains EGM, comme celui de Saïda, exercent des activités de contrôle fichage et îlotage des populations », et que « dans la bataille d’Alger, onze escadrons de gendarmerie mobile constituent le Groupe permanent de gendarmerie mobile (GPGM) qui met en œuvre des équipes de recherche et arme des centres de tri et d’interrogatoires ».

A lire ces lignes, le lecteur peut se demander si quelques maladresses dans le choix des mots justifient le réquisitoire ininterrompu auquel l’auteur se livre jusqu’à la fin de ce sous-chapitre, sur 18 pages. En effet, il reproche au général Faivre de défendre l’idée d’une pratique « marginale » de la torture dans l’armée française en mettant en avant à la fois sa qualité d’historien reconnu [17] et son expérience opérationnelle de combattant. Sans mentionner le « Livre blanc de l’arme française en Algérie » [18] auquel le général avait participé en 2001, en réaction à la thèse de Raphaëlle Branche sur la torture, il cite (p 505) une sévère critique de son attitude publiée en 2007 [19] par Jean-Charles Jauffret (qui avait participé au jury de cette thèse), mais ne rappelle pas que le même historien avait reconnu en 2005 la place du général Faivre parmi « Ces officiers qui ont dit non à la torture » [20]. Pour démontrer que la torture fut plus qu’une réaction au terrorisme du FLN imposée par l’urgence de la « bataille d’Alger » en 1957, il présente sur plusieurs pages une longue suite de témoignages accablants, notamment celui de Jean-Pierre Cômes, jeune officier muté contre son gré en septembre 1957 au DOP de Sétif, dont il tente vainement de sortir en faisant appel au général Gilles, commandant la région militaire de Constantine. En décembre 1958, le lieutenant-colonel commandant l’ensemble des DOP lui a fait savoir qu’il ne pouvait espérer aucune mutation sans son accord, lui prouvant ainsi que « le chef des DOP était au-dessus des lois, au-dessus de la hiérarchie militaire officielle et plus puissante qu’elle [21] » (p 519). Le général Faivre aurait donc été très mal inspiré de reprocher à Raphaëlle Branche de ne pas avoir consulté « des témoins à décharge qui lui avaient été signalés par une lettre du 8 décembre 1999 », notamment « l’ancien chef des DOP (lieutenant-colonel Ruat) ». Francis Mézières tire argument de ce fait pour mettre en doute la crédibilité du général Faivre.

Il atteste ensuite l’efficacité de la gendarmerie mobile dans la lutte contre le terrorisme sans recours à la torture, en reproduisant les citations élogieuses accordées à six officiers de gendarmerie, puis un témoignage du colonel Fonde. Et il termine par un véritable réquisitoire contre les termes employés par le général Faivre : « Faut-il y voir à l’égard de la gendarmerie mobile, 58 ans après la fusillade du 24 janvier 1960, l’expression malsaine et tenace d’une hostilité sourde, bien malhabilement dissimulée, conjuguée à une volonté délibérée de minimiser des résultats incontestables, obtenus sans le recours banalisé à la torture des suspects de l’OPA du FLN ? Car si l’usage de la torture en Algérie dans certaines brigades territoriales ou par certains militaires de la gendarmerie départementale est documenté, il n’existe pas dans l’historiographie de la guerre d’Algérie d’exemples d’exactions commises par des escadrons de gendarmerie mobile. Il est vrai que les récits de gendarmes mobiles ayant servi en Algérie sont quasi inexistants par rapport aux multiples témoignages des appelés ou rappelés du contingent de tous grades. Bien qu’il faille être très prudent avant d’affirmer qu’aucun acte de torture ou aucune exécution sommaire ait pu être commis par des militaires de la gendarmerie mobile, les faits sont là : le strict respect de la personne humaine à l’égard des suspects du FLN et des combattants de l’ALN a été la ligne de conduite majoritairement en vigueur au sein des EGM engagés en Algérie ». Cette page étonnante (p 523) qui combine un réquisitoire contre les chefs de l’armée française en Algérie et un plaidoyer pour les gendarmes mobiles, n’est assurément pas conforme aux règles du style universitaire. Et ce d’autant plus qu’elle paraît presque hors sujet, si le sujet de ce livre est bien la journée sanglante du 24 janvier 1960.

Puis, à partir de la page 525, le chapitre change complètement de style en entamant la présentation biographique aussi détaillée que possible de tous les cadres des 15 escadrons de gendarmerie mobile qui furent engagés dans la tentative de dispersion de la manifestation du 24 janvier 1960, à commencer par leur chef le lieutenant-colonel Debrosse. Cette présentation très détaillée et illustrée par le texte intégral de toutes les citations méritées par ces officiers et sous-officiers de gendarmerie, dans toutes les guerres de la France, se termine par une « sociologie des chefs opérationnels du service d’ordre du 24 janvier 1960 » (pp 639-649). qui vise manifestement à prouver que leurs mérites reconnus n’étaient pas moindres que ceux des chefs militaires présentés dans le troisième chapitre : « En conclusion, lors de la fusillade du 24 janvier 1960, deux des quatre chefs d’escadron commandants de sous-groupements, 11 des 15 commandants d’EGM, 11 des 23 officiers commandants de peloton et 12 des 20 gradés supérieurs commandants de peloton sont des chefs opérationnels éprouvés qui ont déjà connu l’épreuve du feu (...) soit durant la Seconde Guerre mondiale, soit au cours de la guerre d’Indochine, ou enfin en Algérie avant le service d’ordre du 24 janvier 1960. Lorsque sera étudiée l’attitude des 1.074 militaires de la gendarmerie mobile pris sous le feu d’une fusillade intense durant 37 minutes, sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières au centre d’Alger, ce constat est sans aucun doute la clé d’explication de leur sang froid et de leur parfaite maîtrise en matière de tirs de riposte en situation de légitime défense » (p 649).

2- Le récit des événements

Le lecteur aborde donc le récit des événements de la fin janvier 1960 avec quelque inquiétude, mais il est rapidement rassuré par la parfaite maîtrise du sujet dont fait preuve l’auteur, qui s’appuie sur de longues citations des récits publiés par les acteurs et témoins du drame et des actes du procès des barricades.

Le chapitre V raconte « l’étincelle : le renvoi en France du général Massu » (pp 651-723), et la mise en marche du processus qui a conduit les comploteurs civils, regroupés autour du député Pierre Lagaillarde (principal auteur de la prise du Gouvernement général le 13 mai 1958) et de Joseph Ortiz (chef du Front national français rassemblant les principaux leaders activiste et une grande partie des membres des unités territoriales) à tenter de refaire le 13 mai pour riposter à la révocation du général Massu. Il signale que « les propos tenus par le général de Gaulle à trois parlementaires algériens le 19 janvier en fin d’après midi ont contribué à faire monter la tension dans les esprits » (p 659) [22]. Il démontre aussi que les efforts du général Coste et du colonel Fonde, responsables du maintien de l’ordre dans la zone Alger-Sahel et dans la ville d’Alger, pour préparer la dispersion des manifestants, ont été voués à l’échec par l’indiscipline des subordonnés directs du général Massu à l’état-major de la région militaire et à la tête des régiments de la 10ème division parachutiste, d’accord sur le fond avec les insurgés voulant « refaire le 13 mai ».

Le chapitre VI retrace encore plus précisément le déroulement de « la manifestation du 24 janvier » (pp 725-809) qui est marqué dès son début par la volonté de ses organisateurs de créer un fait insurrectionnel en occupant en armes les Facultés (Lagaillarde) et les immeubles voisins du boulevard Laferrière et du Plateau des Glières en contrebas de la Délégation Générale (Ortiz), afin d’obliger les militaires chargés du maintien de l’ordre à prendre parti pour les manifestants et à rompre leur allégeance au pouvoir gaullien. Il démontre que le général Challe, commandant en chef, a tenté d’obtenir de Joseph Ortiz qu’il s’engage à ne pas tenter de prendre la Délégation générale et à disperser ses partisans, mais que durant l’après midi, les manifestants ayant commencé à construire des barricades, l’ordre a été donné par le général Challe et par le général Crépin (successeur du général Massu à la tête du corps d’armée d’Alger) de les disperser par l’intervention simultanée des quinze escadrons de gendarmerie mobile massés sur le Forum, et de deux régiments de parachutistes arrivant de l’Algérois, avant la tombée de la nuit. Il signale aussi un fait capital : que le colonel Debrosse avait donné « l’ordre de faire désapprovisionner les fusils et les pistolets automatiques, de faire rabattre vers l’avant les chargeurs des pistolets mitrailleurs MAT 49 et de faire passer par les commandants de peloton une inspection complète des armes », alors que le règlement lui faisait obligation d’avancer avec les armes chargées. Pour éviter tout risque de coup de feu accidentel, comme il le déclara le 29 décembre 1960 au tribunal, il voulait « être sûr qu’il ne restait aucune cartouche dans les armes et qu’une de ces cartouches ne vînt pas mettre le feu aux poudres au cours de cette opération » (pp 802-803 et note 126 p 899). Cependant, entre 16 heures et 17 heures, les magasins d’armes du PC du 11ème bataillon des unités territoriales avaient été totalement pillés et leur contenu distribué aux manifestants retranchés sur le boulevard Laferrière et dans le réduit des Facultés.

Le deuxième tome commence par le récit très détaillé de cette intervention des gendarmes mobiles qui, étant donné l’absence imprévue des deux régiments parachutistes attendus, descendent les escaliers du Forum à partir de 18 heures avec leurs armes déchargées pour se trouver presque aussitôt exposés au feu des manifestants : « Dégager le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières » : la fusillade (chapitre I, pp 9-109). Ce chapitre retrace méthodiquement ce qu’ont vu et vécu les membres des 9 escadrons de gendarmerie mobile qui se sont avancés du côté sud du boulevard Laferrière, puis ceux des 6 escadrons qui ont avancé en même temps du côté nord de ce boulevard, durant la fusillade qui a duré 37 minutes, jusqu’à 18 h 45. Il présente ensuite un bilan détaillé des victimes, en discutant l’article déjà cité de l’historien Marc-Olivier Gavois qui avait cru pouvoir affirmer que ce bilan aurait été déséquilibré par un sur-enregistrement des blessés dans les rangs des gendarmes, et il conclut ainsi : « le nombre de 14 tués et 119 blessés dans les rangs de la gendarmerie mobile, parmi lesquels 73 par balles, 25 par éclats de grenades défensives et un victime d’actes de torture et de barbarie [23] - auxquels il convient d’ajouter le gardien de la paix Frank et le sous-brigadier de police Hagimont, blessés par balles, qui ne sauraient être inscrits dans la catégorie des manifestants - contre huit civils tués et 31 blessés hospitalisés, sans occulter les 25 blessés légers civils qui ont regagné leur domicile après avoir reçu des soins, traduit bien un bilan particulièrement meurtrier pour les forces de l’ordre » (p 97). Puis il étudie le cas des victimes civiles [24], en démontrant que « aucune de ces huit victimes civiles n’est le fait des quelques tirs de légitime défense des gendarmes mobiles mais bien des rafales incontrôlées des insurgés, à l’aide de fusils mitrailleurs en calibre 7,5 mm ou 30,06 (7,62 mm) et de pistolets mitrailleurs Thompson en calibre 11,43 mm » (p 98). Ce qui dément les nombreux mythes attribuant la responsabilité de toutes ces victimes aux forces de l’ordre.

3- L’analyse des faits établis

Les chapitres suivants sont consacrés à l’analyse méthodique des faits déjà rapportés dans le récit précédent pour en rechercher les causes véritables et mettre en évidence la construction des mythes qui ont servi à les dissimuler.

Le chapitre II (pp 109-205) pose la question essentielle : « Qui a tiré ? », et fournit la réponse en recourant à une confrontation systématique des divers témoignages. Ne pouvant pas s’appuyer sur l’enquête judiciaire qui n’a identifié formellement qu’un seul tireur (Joseph Ortiz), l’auteur entreprend d’analyser « comment des activistes Algérie française eux-mêmes, acteurs premiers de la manifestation du 24 janvier 1960, ont pu dans les décennies postérieures à la fusillade désigner ouvertement certains d’entre eux comme étant auteurs des tirs sur les escadrons de gendarmerie mobile, voire mentionner avoir eux-mêmes tiré » (p 109). Mais il commence par examiner trois témoignages de militaires d’active particulièrement qualifiés et bien placés pour donner « une vision très détaillée des conditions de déclenchement de la fusillade, de l’emplacement des différents tireurs et de l’attitude des gendarmes mobiles à l’écart des manifestants » : l’adjudant-chef Guillaume Caro, affecté au cabinet militaire commun au Délégué général Paul Delouvrier et au général Challe, le capitaine Paul-Alain Léger, commandant la 5ème compagnie du 3ème RPIMa, et le chef de bataillon Tardy, directeur de la revue publiée par le 5ème bureau de l’état-major interarmées, Le Bled. Ces trois témoignages sont confirmés par les rapports des commandants des 15 compagnies de gendarmerie mobile qui ont identifié et photographié les emplacements des tirs subis par leurs hommes. Francis Mézières en conclut que « les observations des militaires des 15 EGM, corroborées par les investigations de l’instruction judiciaire, permettent d’établir la présence d’environ 70 tireurs dans les rangs des insurgés, postés dans les immeubles qui bordent les deux côtés du boulevard Laferrière, tenant les barricades aux débouchés de la rue Charles-Péguy et de la rue d’Isly, ou positionnés au sol dans l’avenue Pasteur, le square Laferrière et sur le Plateau des Glières. Parmi les armes automatiques identifiées, huit voire 10 fusils-mitrailleurs sont recensés ainsi que 20 à 25 pistolets-mitrailleurs, ces derniers le plus souvent de type Thompson M1 en calibre 11,43 mm, mais aussi des MAT 49 en calibre 9 mm ». Ce nombre élevé de tireurs s’expliquant par le pillage du magasin d’armes du 11ème BUT, dont le contenu (706 armes à feu) fut récupéré à l’issue de la semaine des barricades. Ainsi, conclut-il, « l’ampleur de cet arsenal confirme que le général Costes et le colonel Fonde ont bien été confrontés à une véritable insurrection armée au cœur d’Alger, pour défier l’autorité de la Vème République et du général de Gaulle, avec à plusieurs reprises en fin d’après midi l’annonce d’un ‘combat final’ au micro du PC Ortiz, et la menace d’une action de force dirigée contre la Délégation générale afin de rééditer l’assaut du 13 mai 1958. A partir de 15 heures 30, les responsables de l’insurrection ont préparé un véritable camp retranché avec la mise en place de plusieurs barricades (...). Ces barricades s’insèrent dans un véritable dispositif d’embuscade urbaine avec environ 70 tireurs, dont une trentaine ont ouvert le feu avec l’aide d’armes automatiques, fusils-mitrailleurs ou pistolets-mitrailleurs » (p 151).

Ces faits habilement dissimulés ont néanmoins laissé des traces perceptibles dans les témoignages tendancieux des principaux acteurs qui ont minimisé leurs responsabilités ou celles de leurs chefs, tels que Joseph Ortiz, Jean Ghenassia (interviewé sans excès de curiosité en 1989 par l’historien Jean Monneret [25] pp 160-169), Marcel Ronda, Ludovic Luccio, Jacques Merlo, Serge Jourde, Jean Lalanne, et plusieurs autres témoins présents dans les rangs des insurgés. Ce qui permet à l’auteur de réaffirmer : « Le caractère prémédité d’une embuscade urbaine planifiée, et non une riposte désordonnée sous le coup de la panique, est établi de manière irréfutable par l’action d’environ 70 tireurs embusqués dans les rangs des insurgés, parmi lesquels huit à 10 armés de fusils-mitrailleurs et a minima 20 à 25 de pistolets-mitrailleurs, le plus souvent des Thompson M1. Mais également par la présence d’au moins deux individus qui tirent en l’air au pistolet au croisement du boulevard Laferrière sud et de l’avenue Pasteur, immédiatement après le départ de la charge des 15 EGM, ainsi que par l’utilisation d’engins explosifs improvisés, tels que des pneumatiques ou des tuyaux de plomberie bourrés d’explosif plastic (...) et des bouteilles d’eau minérale remplies d’essence ». Ce qui n’empêcha pas de nombreux récits de « nier systématiquement le caractère prémédité d’une véritable embuscade urbaine » en accusant d’abord les gendarmes mobiles d’avoir tiré les premiers, puis ensuite de mystérieux provocateurs de leur avoir tiré dans le dos, pour « démontrer l’existence d’un complot ourdi au plus haut niveau de l’Etat, par le général de Gaulle en personne, dans le but de provoquer délibérément à Alger un bain de sang durant une manifestation présentée comme résolument pacifique » (pp 204-205).

Le chapitre III (pp 207-282) est consacré à l’analyse de la « genèse d’un mythe », celui des gendarmes assassins, de 1960 à nos jours. Il en retrace la formation en présentant les versions publiées par Joseph Ortiz, par le journaliste Paul Ribeaud et par son confrère Jean-André Faucher, par le colonel Félicien Lupy, puis celles présentées au procès des barricades par un des cadres des UT André Prost, par le capitaine Yves-Marie de la Bourdonnais puis par le colonel Yves Godard dans sa déposition du 4 février 1961, par le commandant Victor Sapin-Lignières - chef des UT qui fut l’un des accusés du procès - et par le général Henry Jacquin dans deux articles publiés en 1977, enfin par Jean-Claude Pérez dans une conférence prononcée en 2010. Enfin l’auteur critique « la présentation de la fusillade dans l’historiographie favorable à l’Algérie française », en analysant les récits publiés par Georges Fleury dans son Histoire secrète de l’OAS, par Marcel Ronda, par l’ancien officier du 2ème REP passé à l’OAS Pierre Montagnon [26], par Philippe Lamarque dans son ouvrage sur Les unités territoriales en Algérie, par Jean-Baptiste Ferracci dans son album de photographies Images vécues de la guerre d’Algérie, par Charly Cassan et Marie Havenel dans leur documentaire La valise ou le cercueil, par Jean-Pax Méfret dans son livre Jusqu’au bout de l’Algérie française, Bastien-Thiry, et même par un historien incontestable, Roger Vétillard.

Auteur de deux ouvrages remarquables consacrés au 8 mai 1945 [27], puis au 20 août 1955 [28], Roger Vétillard a publié plus récemment un travail moins abouti dans lequel il présentait des pistes de recherche inégalement avancées sous le titre Un regard sur la guerre d’Algérie [29]. Le bref passage qu’il a consacré dans ce livre au 24 janvier 1960 aboutit à une conclusion très imprudente (« On ne sait pas qui des gendarmes ou des manifestants ont tiré les premiers, mais il est certain que les gendarmes n’ont pas suivi les consignes du commandant interarmes, le général Challe, de ne pas intervenir si les manifestants ne ses dirigeaient pas vers le Forum » [30]). Francis Mézières a raison de lui reprocher d’avoir suivi les nombreux auteurs qui confondent la situation en début d’après midi et celle qui a conduit à l’ordre d’intervention : « D’une part, le général Challe comme Paul Delouvrier ont l’un et l’autre validé la proposition du général Coste de dégager le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières dans le but d’isoler le réduit des insurgés, constitué de barricades à partir du milieu de l’après midi. L’allégation de prétendues directives du général Challe renvoie à l’entretien de ce dernier avec Joseph Ortiz en début d‘après midi alors que la situation était tout autre que celle rencontrée par les autorités en fin d’après midi. D’autre part, les 11 tirs en situation de légitime défense effectués au sein d’une troupe comptant 1.074 militaires de la gendarmerie mobile de tous grades aux ordres de chefs opérationnels aguerris et respectueux de la personne humaine, tous en situation de légitime défense et dirigés en hauteur contre des insurgés tirant depuis des immeubles, ne souffrent d’aucune comparaison avec les milliers de cartouches tirées durant 37 minutes par plusieurs dizaines d’insurgés, ivres de peur ou haine, en direction des militaires de la gendarmerie mobile mais également des manifestants encore mêlés à ces derniers. Ces 11 tirs en état de légitime défense traduisent une remarquable maîtrise du feu de la part d’une troupe disciplinée, animée d’un sens élevé du devoir et de l’esprit de sacrifice » (p 278).

Le chapitre ne s’arrête pourtant pas là, et Francis Mézières poursuit en mettant en cause « deux officiers généraux, lieutenants chefs de section parachutiste durant la guerre d’Algérie », qui « ont fait également le choix narratif de la diffamation au cours de la décennie écoulée » : le général de division Daniel Roudeillac, et le général de corps d’armée Jacques Favreau, le témoignage de ce dernier étant particulièrement accablant et méprisant pour les gendarmes mobiles. Mais la réponse sévère que lui fait l’auteur n’est qu’une transition avec le chapitre suivant, (chapitre IV) qui pose la question capitale : « Pourquoi le 1er REP et le 1er RCP n’étaient-ils pas au rendez-vous fixé ? »

Ce chapitre relativement bref (pp 283-327) pose en effet une question décisive : pourquoi les deux régiments de parachutistes n’ont-ils pas exécuté les ordres très clairs que le PC du secteur Alger-Sahel (colonel Fonde) avait envoyés à 16 h 50 par téléphone et par radiophonie au PC de la 10ème DP comme à celui du lieutenant-colonel Debrosse ? :

« Le refoulement des manifestants pour dégager le Plateau des Glières s’effectuera dans les conditions suivantes :

Le 1er RCP fera mouvement du carrefour de l’Agha pour atteindre la Grande Poste (entre celle-ci et le Bastion XV) par le boulevard Baudin. Bond intermédiaire : place Lyautey ;

Le 1er REP fera mouvement du Parc de Galland pour atteindre le Plateau des Glières et la Grande Poste (entre celle-ci et l’avenue Pasteur) par le boulevard Charles-Péguy et l’avenue Pasteur. Bond intermédiaire : place Lyautey. Il investira à distance les Facultés de manière à interdire les relations du groupe Lagaillarde avec l’extérieur ;

Le groupement de gendarmerie mobile (Lt-colonel Debrosse) refoulera les manifestants en direction du Monument aux Morts, plateau des Glières. Opération à mener en liaison avec les régiments paras. L’ordre de départ leur sera donné en fonction de l’avance de mes régiments ».

A 17 h 20 selon la chronologie établie par le secteur Alger-Sahel, le lieutenant-colonel Ceccaldi (chef d’état-major de la 10ème DP) rend compte que le 1er REP et le 1er RCP débutent leur progression. Mais dans son rapport du 6 février 1960 et dans sa déposition du 1er janvier 1961 au tribunal, le colonel Mayer donne un tout autre horaire, et il affirma que le colonel Debrosse aurait dû attendre l’arrivée des parachutistes pour se mettre en mouvement. Or, précise Francis Mézières (p 285), « cette affirmation est inexacte et ce mensonge délibéré du colonel Mayer va nourrir le mythe de la faute attribuée qui au général Coste, qui au colonel Fonde, qui au lieutenant-colonel Debrosse, d’avoir fait le choix de ne pas attendre l’arrivée des deux régiments de parachutistes pour faire progresser les 15 EGM. Or, en ce qui concerne l’horaire du début de l’opération de dégagement du boulevard Laferrière et du Plateau des Glières, la vérité est toute autre. En effet, le général Coste a fixé l’heure du départ du Forum des EGM à 18 heures lorsque le lieutenant-colonel Ceccaldi a indiqué à 17 h 50 au colonel Fonde que le 1er RCP approchait de la Poste » (p 285). Mais l’arrivée de ce régiment à la Grande Poste est située à 18 h 15 par le colonel Mayer alors qu’elle est située à 18 h 45 par le lieutenant colonel Debrosse (p 287). L’auteur analyse avec précision les témoignages discordants présentés au procès des barricades sur les raisons du retard du 1er REP, et sur celles du retard du 1er RCP, en démontrant l’invraisemblance des indications fournies par leurs chefs. Puis il relate le témoignage que le lieutenant-colonel Debrosse a exprimé dans des rapports à ses supérieurs dès le 3 février 1960, au sujet d’un entretien ayant eu lieu le 26 janvier 1960 au PC de la 10ème DP avec un sous-officier qui s’avéra être le chef de bataillon Lafargue, (subordonné du lieutenant Ceccaldi). Celui-ci lui aurait répondu ainsi : « Vous n’êtes que lieutenant-colonel et vous êtes bien obligé d’obéir à un colonel et à un général de brigade. Nous, nous avions la chance d’être protégés par un général et de n’exécuter que ce qui nous plaisait. La connerie d’envoyer les deux régiments sur le boulevard Laferrière a été évitée grâce à ça. En l’absence du général et du chef, c’est moi qui ai reçu la demande. Je l’ai foutue dans ma poche ! » (p 315). Convoqué le 11 février 1960 avec le lieutenant-colonel Debrosse au cabinet du général Crépin, le lieutenant Lafargue nia avoir tenu ces propos. Mais Francis Mézières les juge crédibles, et il estime que le retard des deux régiments parachutistes à intervenir aussitôt après avoir entendu les premiers coups de feu vers 18 h 08 prouve « qu’au sein de la 10ème DP il y a bien eu complicité non seulement du lieutenant-colonel Ceccaldi et du chef de bataillon Lafargue, mais également du lieutenant-colonel Dufour et du lieutenant-colonel Broizat pour ne pas intervenir à 18 h 00 en coordination avec les 15 EGM, conformément aux ordres du colonel Fonde. Au-delà de la responsabilité de ces quatre officiers, la complicité éventuelle du colonel Mayer mais aussi du général Grâcieux se pose » (p 316). Ainsi le retard et l’inaction des deux régiments paras durant ces 35 minutes tragiques s’expliqueraient par la perte du sens de la discipline militaire, que Francis Mézières fustige dans ce chapitre.

Le chapitre V (pp 329-481) prolonge le précédent en établissant par de longues citations intégrales des principales autorités militaire et civiles que la décision de « dégager le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières » n’était pas « une folie », mais une nécessité parce que « à partir du milieu de l’après midi, Paul Delouvrier et le général Challe ont été confrontés à une véritable insurrection, menée par des individus en tenues militaires et munis d’armes automatiques, réservistes des UT ou civils membres du FNF dont de nombreux étudiants, projetant un assaut dirigé contre l’immeuble de la Délégation générale ». La démonstration de l’auteur présente successivement l’allocation du général Challe le 24 janvier à 20 heures, l’appel du général de Gaulle le 25 janvier, le discours de Paul Delouvrier le 28 janvier, la note du 28 janvier du général Ely (chef d’Etat-major de l’armée) au général Challe, l’éloge funèbre des 14 militaires de la gendarmerie victimes du devoir par leur chef le colonel Debrosse, l’allocution radiotélévisée du général de Gaulle le 29 janvier, l’appel radiodiffusé de Paul Delouvrier le 31 janvier, et enfin le communiqué du colonel Crépin sur les conditions de la fusillade diffusé le 1er février :

« Le général Crépin tient à préciser les points suivants en ce qui concerne les tragiques incidents du Plateau des Glières :

1°) L’inspection des armes des gendarmes mobiles avait été passée avant le départ du Forum. Les armes n’étaient ni chargées ni même approvisionnées ;

2°) Les gendarmes ont descendu les escaliers l’arme à la bretelle ;

3°) Arrivés en bas de l’escalier, les sous-officiers du premier rang de chaque colonne tenaient leurs mousquetons à la main dans la position règlementaire pour disperser les attroupements, c’est-à-dire le canon en arrière, ce qui interdit toute possibilité de tir ;

4°) Les premiers témoignages recueillis confirment que le coup de feu initial est dû à l’attitude d’un provocateur qui s’était mêlé aux manifestants ;

5°) Le nombre des victimes s’établit ainsi : gendarmerie, 14 tués, dont deux officiers, 123 blessés, dont six officiers. Manifestants : six tués et une vingtaine de blessés ;

6°) Les escadrons venus en renfort à Alger sont des troupes opérationnelles qui, tous les jours, mènent le combat contre les bandes rebelles, au coude à coude avec les unités de l’armée. Ils comprennent de nombreux officiers et des gendarmes, dont le calme, la conscience professionnelle et l’esprit de sacrifice sont légendaires, qui avaient participé en 1957, de concert avec la 10ème division parachutiste et les zouaves, à la bataille qui a permis de chasser les fellaghas d’Alger » (p 369).

Le chapitre continue en analysant le rôle de négociateur joué par le lieutenant-colonel Dufour pour obtenir la reddition des insurgés du soir du 31 janvier au matin du 1er février 1960, puis il critique « la légende du commando Alcazar [31] » diffusée par de nombreux auteurs. Il retrace ensuite le déroulement des deux informations judiciaires ouvertes, la première contre Joseph Ortiz et autres pour homicides volontaires, tentatives d’homicides, coups et blessures, complicité, et la seconde contre Ortiz et autres pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ; dissociation qui a entraîné de nombreux inconvénients et une perte de temps importante. En définitive, l’instruction judiciaire visant à identifier les auteurs de la fusillade s’acheva par un fiasco, puisque seul Joseph Ortiz (réfugié à Madrid) fut poursuivi pour homicides volontaires et tentatives d’homicides. Outre la complexité des investigations judiciaires nécessaires pour reconstituer précisément le déroulement des faits, la pollution de la scène du crime avec des constatations matérielles qui n’avaient pu débuter que neuf jours après la fusillade, et le mutisme systématique des témoins algérois entendus n’ont permis qu’une manifestation très partielle de la vérité. Le procès des barricades se déroula du 3 novembre 1960 au 2 mars 1961 au Palais de justice de Paris devant le Haut Tribunal militaire ; 385 témoins furent cités dont 300 par la défense et 85 par l’accusation. La sténographie des débats couvre 12.000 pages. Sur les 20 inculpés, 15 étaient présents, au début du procès, quatre étant jugés par contumace (Joseph Ortiz, Jean Méningaud, Robert Martel et Jacques Laquière réfugiés à Madrid) ; trois autres (Pierre Lagaillarde, Jean-Jacques Susini et Marcel Ronda) profitèrent d’une suspension d’audience pour s’échapper le 5 décembre 1961 et rejoindre à leur tour l’Espagne.

Selon Francis Mézières, « l’analyse des minutes du procès permet de décrypter les nombreux mythes élaborés par les activistes Algérie française afin d’occulter les responsabilités dans la fusillade du 24 janvier 1960. Leurs avocats développent systématiquement le thème de la manifestation pacifique sur le point de s’achever, en dénonçant le caractère de provocation et la responsabilité criminelle d’une charge brutale, exécutée par des escadrons de gendarmerie mobile contre une foule inoffensive » (p 380). Il le démontre en présentant avec de longues citations la mise en cause par les avocats de la défense du colonel Debrosse et du général Coste, puis les dépositions à charge suscitées par les mêmes avocats contre ces deux officiers. Pire encore, l’un de ces avocats fit venir à l’audience un ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger qui lui avait transmis par lettre la rumeur suivant laquelle les gendarmes mobiles auraient été « dopés à l’alcool » avant leur intervention, sans pouvoir en fournir la moindre preuve.

Le verdict du procès des barricades le 2 mars 1961 consacra l’acquittement de tous les accusés restés présents (Auguste Arnould, Jean-Maurice Demarquet, Fernand Féral, le colonel Jean Gardes, Bernard Lefebvre, Pierre Michaud, Jean-Claude Pérez, Jean-Marie Sanne, Victor Sapin-Linières, Alain de Sérigny, Serge Jourde et Marcel Rambert) ainsi que d’un seul des prévenus en fuite, Jacques Laquière. Les six autres fuyards furent condamnés par contumace, Joseph Ortiz à la peine de mort, Pierre Lagaillarde à dix ans de détention criminelle, Jean Méningaud à 5 ans, Robert Martel à cinq ans, Marcel Ronda à trois ans de prison et Jean-Jacques Susini à deux ans avec sursis. Il ne fallut que quelques mois pour voir reparaître une grande partie des accusés et des témoins de la défense du procès des barricades dans les rangs de la nouvelle OAS, fondée à Madrid le 11 février 1961 par Lagaillarde et Susini puis reconstituée à Alger après l’échec du « putsch des généraux » du 22 avril 1961 en rassemblant les militaires (notamment les colonel Godard, Argoud, Gardes et Broizat) et les civils (tels que Jean-Jacques Susini et Jean-Claude Pérez) résolus à tenter d’empêcher l’abandon de l’Algérie au FLN que l’ouverture des négociations d’Evian le 20 mai 1961 permettait de prévoir.

Francis Mézières voit néanmoins dans la journée du 24 janvier 1960 et ses suites « l’échec des activistes Algérie française ». En effet, l’annonce par le général de Gaulle du processus de l’autodétermination des habitants de l’Algérie le 16 septembre 1959 avait suscité la haine de ces activistes, « fait éclater au grand jour leur schizophrénie et annoncé l’ascension aux extrêmes de Joseph Ortiz et du député d’Alger Pierre Lagaillarde », qui pouvaient compter sur « le soutien de la fraction d’officiers supérieurs politisés par la guerre d’Indochine et par le coup d’arrêt à leur victoire militaire lors de l’expédition de Suez », eux-mêmes obsédés par « la lutte contre le communisme international, l’URSS et la politique de Nasser », ce qui traduisait « la vacuité de la conscience politique chez des officiers pourtant qualifiés d’élite et appelés à occuper les plus hautes fonctions militaires » (p 441). Ces officiers « se bercent d’illusions en croyant possible d’obtenir l’adhésion de troupes majoritairement composées d’appelés du contingent », qui « n’aspirent qu’à retrouver leurs familles en métropole et à oublier les atrocités commises par certains éléments du FLN mais aussi, pour ceux qui en furent les témoins sinon les acteurs, les crimes de guerre commis au nom de la République en Algérie française » (p 442).

De plus, contrairement à ce qu’espéraient les activistes, « la population européenne d’Alger ne s’était pas mobilisée », en tout cas pas autant qu’ils l’espéraient pour avoir une chance de refaire le 13 mai. Comme l’a reconnu Jean-Claude Pérez en 2006, « le 24 janvier 1960 a fait basculer le destin de l’Algérie et les UT y ont joué un rôle déterminant, surtout sous la forme d’une occasion manquée. La veille, le samedi, j’ai obtenu la promesse formelle de tous les chefs de bataillon qu’ils seraient présents. Avec les 20.000 territoriaux de la garnison, nous aurions pu faire descendre dans la rue plus de 200.000 membres de leurs familles. Nous aurions pu faire reculer le pouvoir parisien. Au lieu de cela, j’ai vu arriver le mardi ces messieurs de la bonne société algéroise en rutilante tenue de guerriers, alors que la partie était déjà perdue. Seul Sapin-Linières a tenu parole. Quand on fait la guerre, ce n’est pas pour la coquetterie de se déguiser en beau soldat, treillis camouflé, MAT 49 sur la poitrine et béret fantaisie. Face à un ennemi implacable, il faut une réplique d’une sauvagerie équivalente pour que la terreur change de camp [32] » (p 444).

Ainsi, poursuit l’auteur, « en raison de l’échec des activistes Algérie française à mobiliser la masse de la population européenne d’Alger, et plus encore à renverser le pouvoir du général de Gaulle, la manifestation du 24 janvier 1960 a été en définitive un revers pour eux. Lorsque leurs armes automatiques se taisent le 24 janvier 1960 vers 18 h 45, le succès tactique des activistes Algérie française n’est en réalité qu’un leurre » (p 445). « En effet, non seulement l’immeuble de la Délégation générale n’a jamais été menacé, empêchant ainsi toute récidive de l’assaut donné le 13 mai 1958, mais surtout le repli des insurgés à l’intérieur du réduit des Facultés de Pierre Lagaillarde et du périmètre des barricades érigées par les membres du FNF de Joseph Ortiz scelle leur défaite » (p 446). Voyant se profiler celle-ci avec le début de l’avancée des gendarmes mobiles, les insurgés cherchèrent leur salut dans l’ouverture du feu et dans l’espoir d’une intervention miraculeuse des parachutistes répétant celle du 13 mai 1958. Comme le conclut Francis Mézières, « les activistes Algérie française n’avaient pas d’objectif stratégique réaliste ni la moindre capacité de planification et de conduite opérative. Dans ces conditions, ils ne pouvaient agir qu’à l’échelon micro-tactique et de manière erratique, à l’image de leur ‘victoire’ lors de la fusillade du 24 janvier 1960 » (p 447). Ainsi, « après le succès des activistes Algérie française lors de l’émeute du 6 février 1956 puis celle du 13 mai 1958, l’embuscade tendue aux gendarmes mobiles le 24 janvier 1960 ne fut qu’une victoire à la Pyrrhus. Ignorant le désir d’émancipation et d’égalité des Algériens musulmans rangés du côté du FLN, les aspirations de la société française des Trente Glorieuses et le processus de décolonisation soutenu par la communauté internationale, la fuite en avant des activistes Algérie française ne pouvait aboutir qu’à la dérive criminelle et terroriste de l’OAS » (p 448).

Pourtant, l’auteur reconnaît que « sur le plan tactique, le choix d’une charge, mode d’action emblématique du maintien de l’ordre qui vise à disperser un attroupement interdit, était obsolète face à un véritable dispositif d’embuscade urbaine, méthodiquement organisé à l’aide de plusieurs barricades et des dizaines d’hommes en armes, postés dans les étages des immeubles comme au sol ». Ce qui le conduit à explorer « la longue genèse du maintien de l’ordre en France durant les deux siècles qui séparent la révolution de 1789 de la fusillade du 24 janvier 1960 » : sujet passionnant mais qui aurait mérité un chapitre à part (pp 448-481). Il remonte à la prise de la Bastille (14 juillet 1789) qui conduisit en réaction l’Assemblée nationale à fixer les règles légales du maintien de l’ordre appliquées jusqu‘au 6 février 1934 et au 24 janvier 1960. Cette dernière manifestation présentait « la combinaison des trois aspects majeurs du maintien de l’ordre en France depuis l’époque révolutionnaire : la défense d’un bâtiment public dont la mise à sac permettrait de faire vaciller l’autorité du général de Gaulle, voire de provoquer son départ, l’érection de barricades tenues par des hommes armés qui transforme la manifestation interdite en véritable insurrection, et enfin la charge préventive ordonnée pour dissiper un attroupement séditieux et éviter ainsi d’être contraint d’ouvrir le feu sur des insurgés montant à l’assaut de l’immeuble de la Délégation générale » (p 454). Mais il manquait aux forces de l’ordre « l’appui d’un élément essentiel en raison des risques de prise à partie par armes à feu : des véhicules blindés », bien que leur emploi eut été envisagé par le général Coste et le colonel Fonde au cours de l’après-midi du 24 janvier : « Ce constat illustre le retard doctrinal de la gendarmerie mobile en 1960 en matière d’emploi de véhicules blindés en situation insurrectionnelle » (p 455).

En effet, les premiers exemples de leur emploi en vue de rétablir l’ordre remontaient à la révolution bolchevique d’octobre 1917 à Pétrograd, puis à la tentative de révolution spartakiste de 1919 et de sa répression à Berlin. L’auteur étudie minutieusement l’expérience de la Schutzpolizei de la République de Weimar d’après un ouvrage publié en 1933 et traduit en français en 1942 (pp 455-462), puis l’équipement de la Garde mobile en chars et en automitrailleuses de 1933 à 1940 (pp 461-463), puis la création par Vichy en 1941 de groupes mobiles de réserve (GMR) et le projet de les équiper de véhicules blindés formulé en 1942-1943 par René Bousquet et par le général Bridoux, secrétaire d’Etat à la guerre. Bien que ce projet refusé par les occupants allemands soit resté dans les cartons, l’auteur analyse et cite très longuement (pp 465-479) la « Notice provisoire sur la guerre de rues » approuvée par ce dernier le 26 novembre 1942. Le lecteur en vient peu à peu à se demander ce que signifie cette longue digression ; mais il finit par être rassuré en lisant que « le 24 janvier 1960, le choix tactique du général Coste de faire charger 15 EGM pour ‘dégager le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières’ était aux antipodes des principes de la Notice provisoire sur la guerre de rues éditée en février 1943 par le secrétaire d’Etat à la Guerre du régime de Vichy » (p 476), et que « le 24 janvier 1960, le général Coste, le colonel Fonde et le lieutenant-colonel Debrosse n’ont eu à aucun moment la volonté d’engager le combat avec les activistes Algérie française. Si tel avait été le cas, la mise en batterie dès les premiers coups de feu tirés par les insurgés des 43 fusils-mitrailleurs en dotation au sein des 15 EGM aurait immédiatement renversé le rapport des forces en faveur des forces de l’ordre » (p 478). En définitive, la « guerre de rues » préparée durant l’occupation par René Bousquet et le général Bridoux, « tire ses enseignements de la répression des épisodes révolutionnaires successifs qui agitent Paris durant 20 ans de 1830 à 1848 », et dont le général Bugeaud avait été le premier à faire une synthèse (restée inédite) à la fin de 1848. Mais l’auteur conclut ce chapitre avec la même fermeté : « Contrairement aux mythes tenaces développés par les activistes Algérie française et habilement orchestrés par les avocats des prévenus durant le procès des barricades, la charge des 15 EGM aux ordres du lieutenant-colonel Debrosse, ordonnée par le général Coste et le colonel Fonde, après avoir été validée par Paul Delouvrier et le général Challe, fut certes l’expression d’une volonté de fermeté mais dans le souci premier d’éviter de verser le sang des insurgés. Le 24 janvier 1960, il n’y eut aucune guerre de rues conduite par la gendarmerie mobile sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières. Seulement une embuscade urbaine préparée avec soin par les activistes Algérie française » (p 481).

4- Les conséquences

Le chapitre VI, sous un titre a priori mystérieux (« L’apprentissage de la liberté des ‘endormis d’un siècle’ »), dépasse la date du 24 janvier 1960 en étudiant ses conséquences dans les rues d’Alger jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie (pp 483-544). Il s’agit de trois dates-clés, illustrant l’importance capitale du maintien de l’ordre dans l’issue finale de la guerre : « Tout d’abord, les émeutes de décembre 1960 voient à Alger et à Oran les Algériens musulmans descendre pour la première fois par milliers dans la rue pour scander leur soutien au FLN » ; puis « la reprise du contrôle du quartier de Bab-el-Oued le 23 mars 1962 par un dispositif mixte gendarmerie mobile-infanterie scelle l’unité de l’armée dans la lutte contre l’OAS ». Et enfin, « trois jours plus tard, la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 consacre la fin de l’activisme Algérie française dans les rues d’Alger » (p 481).

L’idée directrice de ce chapitre, exprimée dans l’introduction, est que « la fusillade du boulevard Laferrière et du plateau des Glières le 24 janvier 1960 constitue le pic de la liberté d’action des activistes Algérie française. En effet, à partir de cette date, l’échec de Joseph Ortiz et de Pierre Lagaillarde à mobiliser en masse la population européenne pour s’opposer à la politique d’autodétermination décidée par le général de Gaulle leur fait perdre l’avantage dans les rues d’Alger » (p 483).

Le chapitre commence par la présentation du plan Valentine pour la protection d’Alger en cas de trouble, signé le 15 avril par le général commandant la zone Alger-Sahel. Ce plan envisage quatre hypothèses de troubles graves à l’ordre public :

« H 1 - Actions sporadiques d’éléments extrémistes (isolés ou commandos) de l’une ou l’autre communauté, visant à créer une atmosphère de troubles, en multipliant sabotages et attentats.

H 2 - Action concertée d’éléments extrémistes de l’une ou l’autre communauté visant à :

mettre la main sur certaines personnalités ou points-clés pour paralyser l’exercice du commandement ;

entraîner la foule à des manifestations de masse, destinées à tourner à l’émeute.

H 3 - Manifestations prévues par l’une ou l’autre communauté pour se dérouler dans la dignité mais susceptibles de tourner à l’insurrection, ces manifestations visant essentiellement les quartiers centraux de la ville.

H 4 - Violences exercées contre la Casbah par des éléments FSE ou violences exercé »es par des éléments de la Casbah contre des quartiers européens » (p 484).

Sept mois plus tard, le 16 novembre 1960, une « Etude sur le renforcement d’Alger » précise les moyens nécessaires à l’exécution de ce plan : « Le renforcement d’Alger en cas de troubles doit permettre aux autorités responsables non seulement de faire face à des manifestations plus ou moins imprévues en un ou plusieurs points de la ville, mais encore d’empêcher une agitation généralisée et un heurt avec les communautés européenne et musulmane. Le plan VALENTINE du secteur Alger-Sahel complété par des études ultérieures, a permis de chiffrer les moyens nécessaires pour faire face à toutes ces éventualités. Le total s’élève à 45 unités spécialisées (EGM-CRS) et 21 bataillons. Une partie des moyens existe à Alger, une autre partie peut être fournie par le corps d’armée d’Alger, le reste est à prélever sur l’Algérie ou à demander à la métropole » (p 485). Il est précisé ensuite que les unités susceptibles d’être désignées pour renforcer le service d’ordre à Alger ne doivent pas appartenir aux parachutistes, à la Légion étrangère, aux tirailleurs et aux unités africaines, ce qui exclut l’emploi des unités de réserve générale ainsi que la plupart des réserves de corps d’armée et de zones. Si l’on décidait de diriger vers Alger uniquement des unités constituées de Français de souche européenne, il faudrait constituer des bataillons de marche car aucun corps de troupe ne compte moins de 20 % de Français de souche nord-africaine. Mais des annotations manuscrites précisent qu’il faut renoncer à cette idée : « La mise sur pied de bataillons de marche à base uniquement de FSE présenterait de sérieux inconvénients : longs délais de mise sur pied, désorganisation complète des unités, suspicion possible ressentie par les FSNA, manque de cohésion des unités de marche » (p 487).

La suite du chapitre raconte « le dernier voyage officiel du général de Gaulle en Algérie en décembre 1960 », en commençant par des extraits du discours du 4 novembre 1960 par lequel le président de la République annonça un chemin nouveau, conduisant « non plus au gouvernement de l’Algérie par la métropole française, mais à l’Algérie algérienne » ; mais bizarrement le texte est coupé avant la phrase décisive dans laquelle il défiait le GPRA : « les dirigeants rebelles, installés depuis six ans en dehors de l’Algérie et qui, à les entendre, le sont encore pour longtemps, se disent être le gouvernement provisoire de la République algérienne, laquelle existera un jour, mais n’a encore jamais existé ». Ces quelques mots portés ici en italiques, rajoutés au dernier moment par le président de la République, changeaient tout le sens du discours en en faisant une nouvelle offre de négociation au GPRA sur la base de l’indépendance enfin reconnue.

Un mois plus tard, quand le général de Gaulle commence son dernier voyage officiel en Algérie le 9 décembre 1960, le plan Valentine est appliqué à Alger avec des moyens renforcés (dont 34 EGM placés sous le commandement du colonel Debrosse, promu à ce grade le 1er décembre). Les propos du général adressés à des foules surtout musulmanes à Tlemcen et ailleurs appellent à la paix, mais des troubles déclenchés par des manifestants européens éclatent à Oran et à Alger dès le 9 décembre, et se transforment en émeutes dès le lendemain. Selon Francis Mézières, « le chef de l’Etat doit interrompre son voyage officiel et annuler les visites prévues dans ces deux villes », ce qui est inexact, car Oran et Alger n’étaient pas au programme. Le voyage présidentiel s’est prolongé vers l’Est jusqu’au 13 décembre, en évitant Philippeville.

L’auteur utilise néanmoins une documentation très précise pour exposer les événements d’Alger : un « apport au sujet des manifestations sur la voie publique entre le 9 et le 15 décembre 1960 » adressé au préfet d’Alger par le commissaire de police Jean Fachot (pp 491-494)), ainsi que le rapport du procureur général d’Alger, Robert Schmelck, daté du 29 décembre, qui présente une synthèse « des actions des européens dans le centre de la ville, lors des journées des 9 et 10 décembre et, d’autre part, les actions dont les musulmans ont pris l’initiative, les 11, 12 et 13, dans les quartiers périphériques et dans la Casbah » (pp 507-509). Il met surtout en évidence le rapport adressé le 16 décembre par le colonel Gavoury au colonel Moulet, commandant le secteur Alger-Sahel, afin de défendre la méthode employée par le colonel de CRS Fonty pour contenir la manifestation musulmane du 11 décembre à Belcourt sans provoquer un massacre : « J’ose affirmer, avec ma vieille pratique du maintien de l’ordre et mon expérience des foules musulmanes, qu’une telle manifestation ne pouvait être dispersée sans l’emploi massif des armes, étant donné le fanatisme des participants. Or, c’eut été un massacre, donc une maladresse mortelle, car c’eut été l’enchaînement sans fin de la violence. Certes les Arabes renoncèrent peu à peu à percer et à défiler et décidèrent de tenir meeting sur place. Des drapeaux FLN apparurent, des discours furent prononcés, hostiles aux Paras et aux ‘pieds-noirs’ plus qu’à la France. Mais ce n’était pas l’heure de s’exciter sur des emblèmes, sur des symboles : il y avait une disproportion gigantesque entre leur caractère choquant et les moyens nécessaires à les faire disparaître » (pp 497-498). Attitude qui le fit s’opposer plus d’une fois aux parachutistes du colonel Masselot, appelés en renfort en dépit du plan Valentine, et dont Yves Courrière a rapporté la version (longuement citée par F. Mezières pp 500-504). Comme l’a constaté un annotateur anonyme du rapport Gavoury, « ce document est capital. Il est révélateur des deux méthodes du maintien de l’ordre » (p 496). Mais cette méthode ne fut pas appliquée partout, et le bilan de ces journées fut particulièrement lourd à Alger selon le rapport Fachot : du 9 au 15 décembre, 8 tués et 81 blessés de souche européenne, 94 Algériens musulmans tués et 282 blessés (pp 506-507). Tout cela aboutit au résultat que le capitaine Léger annonça au général Crépin : « - Vous avez l’air bien énervé, Léger. Que vous est-il arrivé ? - Il m’arrive, mon général, que je n’ai jamais vu autant de drapeaux fellouzes qu’aujourd’hui. Ils flottent sur les automitrailleuses des gendarmes stationnées place du Gouvernement ! » (p 511).

Pour tirer la leçon de cet événement majeur, Francis Mézières cite longuement un article publié dans Tribune socialiste du 25 février 1961 (peu de temps avant la fin du procès des barricades) par Georges Suffert, qui montre le retournement complet de la situation entre le début et la fin du voyage présidentiel : « Tout est prêt pour la bataille finale. Soudain, le décor change. Des cris montent de la banlieue d’Alger dans une langue qui n’est pas le français. Des drapeaux apparaissent qui ne sont pas tricolores. Lagaillarde à Madrid hésite. Ce n’est plus lui qui mène le jeu mais les Musulmans de la Casbah. Les manifestants européens rentrent chez eux terrorisés, priant Dieu que ces soldats et ces gendarmes qu’ils bombardaient de boulons la veille, tiennent le choc contre ces endormis d’un siècle qui faisaient brutalement l’apprentissage de la liberté » (pp 507-508). Il y a du vrai dans cette citation - même si cet "apprentissage de la liberté" par le peuple algérien n’est pas encore terminé cinquante-neuf ans plus tard - mais aussi des lacunes, la plus importante étant l’oubli de « l’affaire Si Salah » [33], dont l’échec à la fin juin 1960 laissa au général de Gaulle un sentiment de découragement et au GPRA celui d’avoir échappé de très peu à la défaite. En réalité, le tournant décisif fut le discours gaullien du 4 novembre 1960, qui fit espérer aux Algériens musulmans que la guerre pouvait se terminer sans délai par un accord entre De Gaulle et le président du GPRA sur les modalités de l’indépendance déjà acquise dans son principe. La conclusion de ce sous-chapitre (p 511), qui mêle l’évocation de la mort du premier martyr algérien portant un drapeau vert et blanc frappé d’une étoile et d’un croissant rouges le 8 mai 1945 à Sétif à celle du jeune ouvrier Kléber Giloteaux arborant un drapeau rouge à Fourmies le 1er mai 1891, n’est pas particulièrement claire.

Le sous-chapitre suivant décrit « la reprise de contrôle de Bab-el-Oued le 23 mars 1962 », en soulignant d’emblée que, contrairement aux épisodes précédemment étudiés, « il ne s’agit pas d’une manifestation ritualisée sur la voie publique mais d’une véritable opération de ‘guerre de rues’, la seule conduite sur le territoire français depuis la semaine sanglante de la Commune de Paris, fin mai 1871 » (p 512). L’auteur rappelle d’abord les directives données par le général Salan, chef de l’OAS, dans sa directive générale n° 29 du 23 février 1962 pour mettre en échec le cessez-le-feu, et - en me citant [34]- l’application extrême qui en fut faite aussitôt par les commandos de l’OAS. Il cite un rapport du commandant de la gendarmerie du corps d’armée d’Alger signalant, dès le 17 mars 1962, deux jours avant le cessez-le-feu attendu à Evian, que « la grève de 24 heures qui doit suivre le cessez-le-feu serait prolongée par une grève insurrectionnelle généralisée dans tous les grands centres d’Algérie pendant huit jours » (p 513). Il mentionne le tir de quatre obus de mortier de Bab-el-Oued vers la place du Gouvernement qui fit 24 morts et 59 blessés parmi la population algérienne musulmane le 20 mars 1962, et l’ultimatum du chef OAS Jacques Achard diffusé le même jour sous forme de tract : « Les forces de l’ordre, gendarmes mobiles, CRS et unités de quadrillage, sont invitées à refuser toute action dans le secteur délimité par la caserne Pélissier, la caserne d’Orléans, Saint-Eugène et Climat de France. Quarante-huit heures de réflexion sont laissées aux officiers, sous-officiers et soldats qui, à partir du jeudi 22 mars à 0 heure, seront considéré comme des troupes servant un pays étranger. Le cessez-le-feu de M. de Gaulle n’est pas celui de l’OAS. Pour nous, le combat commence » (p 514). Selon un article de l’historien de la gendarmerie Benoît Haberbusch [35], « la nuit du 22 au 23 mars 1962 marque le prélude à l’insurrection du lendemain à Bab-el-Oued », et elle est également marquée par des attaques « dans le centre de la ville à la Délégation générale, au tunnel des Facultés, au boulevard Saint-Saëns, au boulevard du Telemly et rue de Lyon », ce qui semble confirmer au moins en partie le récit fait par Yves Courrière d’une embuscade contre les gendarmes mobiles au tunnel des Facultés et dont la réalité avait été cachée par la presse à l’époque [36].

Le récit rapporte ensuite les premières opérations de désarmement des troupes effectuées par l’OAS à Bab-el-Oued au matin du 23 mars, d’abord avec succès, puis à 9 h 30 l’ouverture du feu sur un camion du contingent où un sous-officier musulman avait armé son pistolet-mitrailleur, les tirs de l’OAS tuant sept soldats de 2ème classe et blessant 11 autres militaires. Le général Ailleret, commandant en chef, ordonne le bouclage du quartier de Bab-el-Oued ; puis vers 14 h 40, deux pelotons blindés de la gendarmerie mobile sont envoyés contre un commando de l’OAS qui mitraille les habitations musulmanes depuis le cimetière d’El Kettar. Après s’être engagés dans l’avenue de la Bouzaréah au centre de Bab-el-Oued pour dégager des soldats isolés, les trois automitrailleuses de l’EGM 11/6 de Charleville-Mézières sont violemment prises à partie, encaissant « 72 impacts de balles, sept traces d’explosions de grenades défensives, cocktails Molotov, grenades au phosphore », l’adjudant de gendarmerie Jeannot Mauffrey étant tué par balles, et deux autres militaires blessés. A 15 h 30 le chef d’état-major du général commandant le corps d’armée d’Alger ordonne au général Capodanno, commandant le secteur Alger-Sahel, de renforcer le bouclage de Bab-el-Oued et d’en reprendre le contrôle. Comme le signale Francis Mézières, « l’opération de reprise de contrôle du quartier de Bab-el-Oued constitue l’unique exemple de ‘guerre de rues’ conduite sur le territoire français depuis la semaine sanglante de la Commune de Paris, fin mai 1871. En effet conformément aux principes décrits par le général Bugeaud en 1848 dans La guerre des rues et des maisons, puis par le capitaine Schmitt dans L’intervention de la Schützpolizei en territoire insurgé, ou dans la Notice provisoire sur la guerre de rues du secrétaire d’Etat à la guerre du régime de Vichy, le général Capodanno ordonne une attaque sur trois colonnes parallèles afin de détruire toutes les résistances isolées des groupes de l’OAS » (p 517).

L’article cité de Benoît Haberbusch ne laisse aucun doute sur la violence extrême de cette bataille de deux heures ni sur son bilan : « Au total, pour les forces de l’ordre, le bilan de la journée du 23 mars se solde par 15 tués et 77 blessés dont 58 sont hospitalisés. La gendarmerie mobile déplore un tué, l’adjudant Jeannot Mauffrey de l’escadron 11/6 bis et 20 blessés. L’un d’entre eux, le capitaine André Delort de l’escadron 5/9 décède le 26 mars des suites de ses blessures. En revanche, l’effectif des pertes civiles demeure incertain. Des rapports de gendarmerie font état de huit FSE tués et de 53 blessés (sept FSE et 46 FSNA). La Dépêche d’Alger évalue, quant à elle, le bilan à 20 morts et 80 blessés. Dans les rapports, plusieurs gendarmes soulignent l’extrême violence à laquelle ils ont été confrontés. ‘L’enfer’ a duré près de deux heures, écrit ainsi un capitaine, ‘il ne s’est pas passé 30 secondes sans qu’un coup de feu ou une rafale parte d’un immeuble’ (...) Un autre officier qualifie l’événement de véritable « guerre civile localisée’ . Effectivement, la nature et la quantité de munitions consommées par la gendarmerie mobile durant cette journée rappellent davantage une guerre de rues qu’un rétablissement de l’ordre aussi violent soit-il » (p 518). Tous les auteurs cités dans ce sous-chapitre (Yves Courrière, Rémi Kauffer, Georges Fleury) sont d’accord sur ce diagnostic.

Francis Mézières signale également que « au cours de la journée du 23 mars 1962, les unités de gendarmerie mobile engagées dans le quartier de Bab-el-Oued tirent 8.660 balles de 9 mm, 3.267 balles de 7,5 mm, 4.650 balles de 7,62 mm, 3.585 balles de 12,7 mm et 37 obus de 37 mm. De plus, outre 10 grenades lacrymogènes, 35 grenades offensives sont utilisées. Ces chiffres illustrent l’ascension aux extrêmes imposées aux autorités d’Algérie par le déclenchement d’une véritable guerre civile par l’OAS ». Sans oublier le mitraillage des terrasses à partir desquelles les groupes de l’OAS tirent à l’arme automatique ou lancent des grenades, effectué à 16 h 30 par quatre avions North-American T-6 Texan, après leur désignation à l’aide de grenades fumigènes par des hélicoptères armés (p 520). Rien de commun avec la journée du 24 janvier 1960, dont les tragiques leçons ont été retenues.

Au contraire, le dernier des épisodes évoqués dans ce chapitre - la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 - laisse une impression beaucoup plus floue. Francis Mézières commence par rappeler l’ensemble des faits connus, en utilisant notamment l’enquête de Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey [37] ainsi que celle d’Yves Courrière [38]. Il part du tract distribué le matin du 26 mars par le colonel Vaudrey, responsable de l’OAS à Alger, sans contacter ses supérieurs le colonel Godard et le général Salan :

« Halte à l’étranglement de Bab-el-Oued. Une opération monstrueuse sans précédent dans l’histoire est engagée depuis trois jours contre nos concitoyens de Bab-el-Oued. On affame cinquante mille hommes, femmes, enfants, vieillards, encerclés dans un immense ghetto, pour obtenir d’eux par la force, par la famine, par l’épidémie, par ‘tous les moyens’, ce que le pouvoir n’a jamais pu obtenir autrement : l’approbation de la politique de trahison qui livre notre pays aux égorgeurs du FLN. Qui ont tué vingt mille soldats français en sept ans. La population du Grand Alger ne peut rester indifférente, laisser se perpétrer ce génocide. Déjà un grand élan de solidarité s’est manifesté spontanément par des collectes de vivres frais. IL FAUT ALLER PLUS LOIN : en une manifestation de masse, pacifique et unanime, tous les habitants de Maison-Carrée, Hussein-Dey, El-Biar, rejoindront ce lundi, à partir de 15 h 00, ceux du centre, pour gagner ensemble et en cortège, drapeaux en tête, sans aucune arme, sans cri, par els grandes artères, le périmètre de bouclage de Bab-el-Oued.

NON LES ALGEROIS NE LAISSERONT PAS MOURIR DE FAIM LES ENFANTS DE BAB-EL-OUED, ILS S’OPPOSERONT JUSQU’AU BOUT A L’OPPRESSION SANGUINAIRE DU POUVOIR FASCISTE »

Il va de soi que la grêve sera générale à partir de 14 heures. »(pp 522-523)

Selon Francis Mézières, « trois jours seulement après la guerre de rues pour chasser les commandos de l’OAS du quartier de Bab-el-Oued et y rétablir l’ordre, l’Algérie française meurt définitivement sur l’esplanade de la Grande Poste, au croisement du boulevard Laferrière sud, de la rue Charles-Péguy et de la rue d’Isly. (...) l’espoir d’un Algérie française se brise le 26 mars 1962 sous les rafales d’armes automatiques d’une section de tirailleurs algériens et de tireurs anonymes - à l’exception de l’un d’eux, identifié après avoir été tué par un tir de riposte - embusqués dans plusieurs immeubles » (p 523). Il estime que « de nombreuses similitudes sont frappantes entre la fusillade du 24 janvier 1960 (...) et celle de la rue d’Isly le 26 mars 1962, notamment en raison des nombreux mythes véhiculés par les activistes Algérie française », qui continuent d’inspirer les principaux récits de cette journée. « Seule l’étude rigoureuse de l’ensemble des documents relatifs au service d’ordre puis à la fusillade du 26 mars 1962 permettrait, à l’identique de la fusillade du 24 janvier 1960, de dégager des conclusions objectives, exemptes de tout parti pris. Débordant de notre sujet, une telle étude n’a pas été conduite. Par conséquent, les réflexion qui suivent ne visent qu’à présenter les conditions du service d’ordre, le déclenchement de la fusillade, ainsi que les différentes versions contradictoires qui portent sur l’identité des tireurs embusqués dans les immeubles » (p 524).

L’auteur commence par démonter un premier mythe, celui qui consiste à voir la preuve d’un complot gaulliste à l’origine de la fusillade dans le fait d’avoir engagé dans le service d’ordre des tirailleurs musulmans du 4ème régiment de tirailleurs commandé par le colonel Goubard, dans le but délibéré de provoquer une tuerie. Un deuxième mythe va encore plus loin en affirmant que les casques des tirailleurs portaient des inscriptions à la peinture « wilaya III » ou « wilaya IV ». Si cette accusation extrême est clairement réfutée, un doute peut subsister sur la première, comme l’a exprimé Jean Monneret : « Les chevaux de frise et les barbelés sont rares et c’est une mince rangée de tirailleurs algériens qui assure l’ordre à la Grande Poste et à l’entrée de la rue d’Isly. CRS et gardes mobiles, ces fonctionnaires brutaux mais chevronnés du maintien de l’ordre (sic) sont absents. Ou plutôt ils sont présents, mais beaucoup plus loin à près d’un kilomètre de là, au square Bresson. Pourquoi en effet avoir mis là des hommes armés et équipés pour des affrontements d’un type différent et totalement étrangers au maintien de l’ordre ? C’est là une question centrale qui se pose aux historiens » [39] (p 525). Le même soupçon était partagé par Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey, mais aussi par certains officiers du 4ème RT comme le lieutenant Latournerie.

Des réponses à ces soupçons ont pourtant été formulées. D’abord celle du général Cavard, publiée en 1993 par les deux historiennes algéroises citées plus haut : « Tout a été fait par le général Capodanno le 26, pour éviter l’ouverture du feu jusqu’au point - pour éviter que la propagande l’accuse d’être provocateur - d’éviter l’emploi de la GM et des CRS en barrage » (p 526). Puis celle du colonel en retraite Jean-Pierre Cômes, alors capitaine au 3ème RPIMA - l’ancien régiment de Bigeard -, qui a raconté que, d’abord chargé du service d’ordre au centre ville d’Alger, il en avait été retiré après une nuit de fraternisation arrosée avec les Algérois : « Le régiment a été renvoyé sur sa base de Sidi-Ferruch dès le 26 au matin de crainte qu’il ne pactise avec la population lors de la manifestation annoncée pour ce même jour. C’est ce bataillon composé de tirailleurs apeurés en même temps que nageant dans une euphorie teintée de crainte à la suite de la victoire du FLN qui a été dépêché depuis le bled, sans être préparé pour une telle mission, pour remplacer un régiment parachutiste qui avait perdu la confiance de ses chefs [40] » (p 527).

D’autre part, à la fin du procès de l’attentat du Petit-Clamart en mars 1963, la Cour militaire de justice entendit quatre officiers du 4ème RT, dont le capitaine Técher qui rapporta les consignes d’ouverture du feu données à ses chefs de section le 26 mars 1962 : « Si des coups de feu partent des balcons, riposte au fusil-mitrailleur. Si la manifestation se fait pressante, la contenir d’abord par la persuasion. Si les manifestants insistent, tirer en l’air. S’il n’y a pas d’autre moyen, se dégager par l’emploi des armes ». Ces directives préalables à la fusillade semblent donner du poids à l’hypothèse d’une volonté délibérée de provoquer un massacre. Mais, précise l’auteur, elles sont conformes à tous les règlements qui définissent depuis 1791 les règles de l’ouverture du feu. L’instruction interministérielle du 1er mars 1961 relative à l’emploi des forces armées au maintien de l’ordre stipulait que « aux termes de l’article 104 (alinéa 3) du Code pénal, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement ou pour assurer l’exécution de la loi, d’un jugement ou mandat de justice ne peuvent faire usage de la force, sans respecter les formalités prévues aux articles 27 à 34 ci-dessous, que dans l’un des cas suivants :

-  si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ;

-  ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ou les postes dont la garde leur est confiée (c’est-à-dire assumer la mission qui leur a été donnée).

L’emploi de la force ne peut alors comporter l’usage des armes que dans les cas d’impérieuse nécessité, lorsque la sécurité de la troupe est mise en péril ou que l’accomplissement de la mission est manifestement compromis, les violences ou voies de fait doivent être graves et généralisées » ( pp 529-530).

A partir de 14 heures, de nombreux manifestants se rassemblent sur le Plateau des Glières ; vers 14 h 30, plusieurs milliers de personnes se mettent en marche en direction des rues qui mènent vers Bab-el-Oued. Les barrage installés aux entrées du boulevard Carnot et de la rue Alfred Lelluch, ainsi que celui situé à l’entrée de la rampe Bugeaud, sont solidement défendus avec des barbelés et chevaux de frise. Mais devant celui installé entre les n° 62 et 64 de la rue d’Isly, le lieutenant kabyle (non identifié comme tel par les manifestants) Daoud Ouchène, « après avoir arrêté les manifestants et parlementé avec eux, accepte finalement de laisser passer trois hommes dont un porte-drapeau. Après discussion avec ces derniers, le jeune officier autorise aussi le passage de 30 autres manifestants. Mais à cet instant, la foule en profite pour se rapprocher du barrage et bouscule les militaires du 4ème RT » (p 532). Sur l’ordre reçu du capitaine Técher d’arrêter la manifestation, le lieutenant fait mettre en place des chevaux de frise malgré la bousculade, les coups de poing et les crachats reçus, mais à ce moment une fusillade se déclenche, comme le rapporte le lieutenant Ouchène dans sa déposition à l’enquête de la gendarmerie départementale d’Alger : « J’entendis le claquement d’une rafale de trois ou quatre cartouches éclater, à ma gauche, du 2ème étage ou au dessus. Je précise que les manifestants se trouvaient alors, poitrine contre poitrine, avec mes hommes, tandis que, derrière nous, 200 à 300 manifestants qui avaient franchi notre barrage se situaient vers la rue Chanzy. Dès que j’ai vu et entendu cette rafale, j’ai bondi à mon poste de radio, situé à un mètre de moi, sur ma droite. Durant ce bond, j’ai vu tomber deux civils à un mètre devant moi, dont un touché à la tête. En même temps, j’ai entendu une rafale de deux ou trois cartouches dont je ne peux préciser l’origine. Mais je suis formel, les deux victimes dont je vous ai parlé ont été touchées par la première rafale que j’ai indiquée. Au bruit, il s’agissait d’un fusil-mitrailleur et je précise qu’il était situé pratiquement à la hauteur du barrage ».

Après qu’il ait demandé par téléphone au capitaine Técher l’autorisation de riposter, « à ce moment-là, une seconde rafale de trois ou quatre cartouches a été, de nouveau, tirée du même endroit de l’immeuble, dont il est question, c’est-à-dire celui faisant l’angle de la rue d’Isly et du boulevard Bugeaud. A l’exception de deux ou trois tirailleurs qui se sont réfugiés dans un couloir du côté des numéros pairs, le reste des gens de mon barrage s’est porté le long des immeubles côté des numéros impairs, face à l’impasse de la Grande Poste, tout en tirant d’eux-mêmes sur les hauts de l’immeuble, d’où le fusil-mitrailleur crachait, et d’autre part dans toutes les directions alors qu’ils couraient vers l’immeuble côté impair. Plusieurs civils qui couraient en tous sens ont dû être touchés par nos propres armes. Certains ont dû être touchés par la seconde et la troisième rafale du fusil-mitrailleur de l’immeuble. J’ai crié ‘Halte au feu !‘ après la troisième rafale. L’arme s’étant tue, j’ai dû répéter à cinq reprises cet ordre avant d’obtenir un arrêt total des feux. J’évalue la durée de tous ces tirs à trois minutes au grand maximum » (pp 533-534).

Le tir d’un second fusil-mitrailleur, dont le servant fut tué par la riposte, est signalé par le capitaine Técher, commandant le barrage installé au débouché de la rampe Bugeaud sur la place de la Grande Poste, et par un autre officier, témoin direct du tir de cette arme depuis un immeuble faisant l’angle de la rue Alfred Lelluch et de la rue Changarnier.

Dans son rapport daté du 30 mars, le colonel Goubard tire des conclusions claires : « Le feu a été ouvert contre le groupe mélangé des manifestants et du premier barrage par des tireurs armés d’armes automatiques et individuelles, posté en haut des premiers immeubles de la rue d’Isly. Il a été aussitôt suivi de coups de feu d’armes individuelles isolées provenant de la foule. Les premières victimes de ce tir, avant toute riposte des forces de l’ordre, ont été des manifestants civils (...). La riposte des troupes a été spontanée, immédiate et violente. Elle a été dirigée d’abord et principalement contre les civils tirant des immeubles, ensuite, dans quelques cas, contre des tireurs mêlés à la foule. Il est tout de même troublant de constater que le feu a été ouvert, à la même heure et dans des conditions analogues, sur les forces de maintien de l’ordre en position au carrefour de l’Agha, situé à 800 mètres des lieux de l’échauffourée [41]. En résumé, il est possible d’affirmer qu’il y a eu, de la part des éléments de subversion, une provocation délibérée visant, par un ‘tir dans le tas’ devant à la fois déclencher la riposte de la troupe et causer des victimes, à accroître la tension régnant dans la population européenne et tout en attribuant la totalité des pertes aux forces de l’ordre » (p 535).

Dans son rapport du 30 mars 1962, le chef de bataillon Poupat distingue dix emplacements de tirs, parmi lesquels : - 1°) le fusil-mitrailleur sur le toît de l’immeuble du 64 rue d’Isly (signalé par le lieutenant Ouchène et d’autres témoins) ; - 2°) un autre aperçu par les mêmes témoins à une fenêtre du 2ème étage en face du 57 de la rue d’Isly (c’est-à-dire au 55) ; - 3°) un fusil à une fenêtre de l’immeuble du coin entre le 55 rue d’Isly et le 1 rue Lacépède ; - 4° ) « au moins quatre fusils aux étages de la rue Chanzy où se trouvait le capitaine Gilet, c’est dans cette rue qu’ont été atteints huit des neuf tirailleurs blessés [42] » ; - 5) « un fusil-mitrailleur au dernier étage, juste au coin de la rue Alfred Lelluch et de la rue Changarnier. La riposte a fait dans cet appartement un tué et un blessé qu’une ambulance civile est venue emporter. Un agent de police et un civil, montant par la suite à cet étage, y ont retrouvé des douilles et des chargeurs de fusil-mitrailleur BAR, qu’ils ont montrées aux tirailleurs ». Enfin, « des armes de poing étaient disséminées dans la foule sur certains manifestants, la crosse de pistolets automatiques était nettement visible à l’intérieur des vestons. Un jeune homme a même tenu le sien à la main pour en menacer un sous-officier » (p 536). Ainsi, trois armes automatiques sont dénombrées : deux fusils-mitrailleurs, l’un sur le toît du 64 de la rue d’Isly, l’autre au dernier étage au coin de la rue Lelluch et de la rue Changarnier, ainsi qu’un pistolet-mitrailleur à une fenêtre du 2ème étage en face du 57 de la rue d’Isly.

Le 4 avril 1962, le capitaine Garat, commandant de la gendarmerie de Maison-Carrée, rend un Procès-verbal sur l’usage des armes par les forces de l’ordre le 26 mars 1962 à Alger, épais de 151 pages dactylographiées ; il comporte en annexes cinq croquis et 31 photographies qui présentent les « emplacements d’armes adverses » et les multiples points d’impact sur les immeubles et les devantures de magasins. Trois de ces photographies, montrant les montrant les trois immeubles où ont été localisés les deux fusils-mitrailleurs et le pistolet-mitrailleur, ont été reproduites par Yves Courrière dans son livre Les feux du désespoir en 1971. Mais des divergences existent au sujet du type ou de l’emplacement de ces trois armes automatiques entre ce procès-verbal et le rapport antérieur du chef de bataillon Poupat. En effet, le capitaine Garat mentionne, au 55 rue d’Isly, un troisième fusil-mitrailleur localisé non au 2ème, mais au 4ème étage, dans l’appartement de la famille Collin dont Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey ont publié le témoignage en sens contraire. D’autre part, au 64 rue d’Isly, le rapport Garat situe le fusil-mitrailleur qui aurait ouvert le feu le premier non pas sur le toît de l’immeuble mais depuis une fenêtre du 4ème étage à gauche. Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey ont publié les témoignages de cinq résidents de l’immeuble et celui du locataire de cet appartement, qui sont tous négatifs, et qui se plaignent de ne jamais avoir été entendus par les enquêteurs. Francis Mézières répond non sans vraisemblance que cette carence pourrait s’expliquer par « le souvenir des auditions des 289 occupants d’immeubles après la fusillade du 24 janvier 1960, travail fastidieux qui a alourdi inutilement le travail des enquêteurs en raison du mutisme total de toutes les personnes interrogées » (p 538), ainsi que par le manque de temps laissé aux enquêteurs par la perspective d’une fin rapide de la souveraineté française.

De plus, Francine Dessaigne a rapporté que, trois jours après la fusillade, elle avait entendu le témoignage d’une coiffeuse du quartier, affirmant que le tireur abattu dans l’immeuble à l’angle de la rue Alfred Lelluch et de le rue Changarnier était un Vietnamien, identifié comme étant un « barbouze », et que sa compagne criait que les flics lui avaient promis 14 millions pour tirer par la fenêtre. Un an plus tard, lors du procès de l’attentat du Petit-Clamart, Maître Tixier-Vignancour a révélé son identité (Trang Dong Doy, né à Hanoi en 1932). Francis Mézières pointe des contradictions et invraisemblances dans le récit de Francine Dessaigne, et exprime des doutes sur sa véracité : « Néanmoins, les doutes exprimés à l’égard de ce témoignage comme de la conviction personnelle de Francine Dessaigne ne sont qu’un hypothèse et non une certitude : seule l’étude de tous les documents d’archives relatifs à la fusillade de la rue d’Isly, au premier chef les archives de l’instruction judiciaire, permettraient de confirmer ou d’infirmer l’identité exacte et l’environnement de ce mystérieux Vietnamien » (p 541). Le lecteur pourrait ajouter que ce cas ne suffit pas à prouver que tous les tireurs embusqués dans les immeubles étaient des « barbouzes », puisque ce tireur-là n’avait pas été le premier à ouvrir le feu, et que leur présence massive en plein centre d’Alger à cette date manque de crédibilité.

Au contraire, dans sa thèse Jean Monneret (que Francis Mézières ne cite pas sur ce point), ne croyait guère à ce mystérieux provocateur de la rue Alfred Lelluch, mais il croyait pouvoir constater que la présence d’un tireur très actif dans la rue Chanzy était attestée par le grand nombre de tirailleurs blessés dans cette rue et par des traces matérielles indubitables [43] . Or dans son livre publié en 2009, Une ténébreuse affaire, la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, il estimait au contraire que ce tir censé venir des étages supérieurs d’un immeuble de la rue Alferd Lelluch n’était pas établi [44]. Quant au tireur de la rue d’Isly attesté par le lieutenant Ouchène, l’hypothèse d’un militant ou sympathisant de l’OAS voulant empêcher les tirailleurs de refermer leur barrage en faisant feu sur eux, et négligeant l’impossibilité de les atteindre sans toucher mortellement des manifestants au coude à coude avec eux, ne manque pas de vraisemblance. Hypothèse que le général Goubard, correspondant avec Jean Monneret, croyait encore fondée en 1995 : " Rien ne prouve qu’il s’agisse de commandos OAS. Rien ne prouve même que les tireurs soient de purs militants de l’OAS. Mais ce sont peut-être, tout simplement, des Algérois sympathisants, pénétrés de propagande OAS et qui, bien armés, ont peut-être aussi cru bien faire en ’protégeant’ les manifestants contre les forces de l’ordre ou en impressionnant ces dernières de façon à ce qu’elles laissent le passage" [45]. Il y aurait donc eu au moins deux ou trois tireurs dont la provocation, consciente ou non, aurait déclenché la riposte aveugle des tirailleurs. Mais Jean Monneret a repris l’examen de tous les points obscurs dans son livre de 2009, où il démontre qu’aucune hypothèse n’est prouvée, et qu’une panique de tir, éventuellement déclenchée par le bruit d’un hélicoptère survolant les lieux à ce moment précis, n’est pas exclue. Il n’en fournit pas moins de nombreuses raisons de juger suspecte l’utilisation du régiment de tirailleurs au maintien de l’ordre à Alger, que le général Ailleret avait exclue à la demande du colonel Goubard, et la disparition dans les archives de cet ordre du général Ailleret dont l’existence est pourtant incontestable [46].

Francis Mézières est en droit de maintenir son opinion : « En définitive, il est troublant de constater comment la même théorie du complot gaulliste que celle utilisée pour la fusillade du 24 janvier 1960 a été mise en œuvre pour expliquer la tuerie de la rue d’Isly le 26 mars 1962. Si la responsabilité des tirailleurs du 4ème RT est établie, en revanche l’origine des premiers coups de feu, tirés à l’aide d’un voire de plusieurs fusils-mitrailleurs depuis des étages d’immeubles, demeure encore inexpliquée. Or, ce mode opératoire est rigoureusement identique à celui du 24 janvier 1960 sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières. L’OAS comptait dans ses rangs assez de jusqu’au-boutistes pour commettre une seconde fois l’indicible sur la population européenne d’Alger » (p 544).

Cependant, il ne suffit pas de conclure que les gendarmes mobiles tant décriés auraient pu faire mieux ou moins mal, car les ordres donnés n’étaient plus les mêmes. Pour que la comparaison soit complète, il faut rappeler deux faits essentiels, mentionnés par l’auteur quelques pages avant la fin de ce chapitre.

D’abord, la très forte consommation de munitions en quelques minutes par les tirailleurs : « Durant la fusillade, les tirailleurs du 4ème RT ont tiré 1.643 balles dont 812 balles de 9 mm au pistolet-mitrailleur MAT 49, 420 balles de 7,5 mm à la mitrailleuse légère AA 52 et 411 autres balles de 7,5 mm au fusil semi-automatique FSA 49/56. Le barrage situé à l’entrée du boulevard Carnot est le seul d’où aucun coup de feu n’a été tiré. Depuis le barrage tenu par le lieutenant Latournerie à l’entrée de la rue Alfred Lelluch, 45 balles ont été tirées (...). Les tirailleurs de la 6ème compagnie du capitaine Técher ont tiré un total de 833 balles dont 563 balles depuis le barrage tenu par le lieutenant Ouchène, et 270 balles depuis le barrage tenu à l’entrée de la rampe Bugeaud (...). Les hommes de la compagnie de marche du capitaine Gilet ont tiré 722 balles (...). Enfin, les conducteurs de camions demeurés sur le boulevard Carnot ont tiré 20 balles au fusil semi-automatique MAS 49/56 » (p 538). Rien de comparable avec la retenue dont les gendarmes mobiles avaient fait preuve durant 35 minutes le 24 janvier 1960.

D’autre part, le bilan du nombre des victimes, totalement déséquilibré entre les manifestants et les tirailleurs. D’un côté, « lorsque la fusillade cesse, des dizaines de victimes jonchent le sol, fauchées par des rafales d’armes automatiques. Le bilan officiel mentionne 46 morts et 200 blessés. Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey dressent la liste de 62 victimes tuées en indiquant l’identité de 58 d’entre elles, dont 10 femmes. Les plus jeunes victimes sont une fillette de 10 ans, Ghislaine Gres, et un adolescent de 14 ans et demi, Christian Sainte-Marie ». Une autre liste légèrement différente se trouve sur le site alger26mars1962.fr. « La divergence sur le nombre de victimes tuées pourrait s’expliquer par la différence entre le nombre de victimes tuées durant la fusillade et celles décédées ultérieurement des suites des blessures reçues. Mais ce n’est qu’une hypothèse ». De l’autre côté, « le 4ème RT compte 10 blessés dans ses rangs, dont quatre par balles - trois dans les membres inférieurs et un dans l’abdomen - et six par éclats » (p 539).

Ainsi la leçon du 24 janvier 1960 a été tirée par l’Etat, sous la forme d’une acceptation tacite de la situation de guerre civile entre Français, qu’attestent notamment les ordres donnés par le président de la République lors du Conseil des ministres du 23 mars 1962 : "Briser par tous les moyens et disperser l’insurrection armée qui se développe dans les grandes villes d’Algérie" [47]. Même si la manifestation du 26 mars n’était pas une "insurrection armée".

Nous en venons enfin à la CONCLUSION, qui couvre encore 50 pages (pp 545-595). Ce long texte est une réflexion qui semble porter davantage sur les effets lointains du drame du 24 janvier 1960 que sur l’événement lui-même. En effet, l’idée centrale que Francis Mézières exprime porte sur ses conséquences durables : « 58 ans après les dernières rafales tirées par les armes automatiques des activistes Algérie française sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières, les nombreux mythes véhiculés sur la fusillade du 24 janvier 1960 continue de brouiller l’enchaînement des faits et l’identification des responsables de la fusillade. De plus, la mise en cause de l’action de la gendarmerie mobile par les officiers proches des activistes a eu des conséquences durables dont les effets ne cessent malheureusement de faire muter, encore aujourd’hui, les gènes de la gendarmerie nationale. En effet, la relation intime entre l’armée de terre et la gendarmerie nationale, essence même du statut militaire de cette dernière définie communément par le terme ‘militarité’, a été profondément et durablement ébranlée depuis la fin du conflit algérien » (p 545). Selon l’auteur, des liens solides unissaient l’armée de terre et la gendarmerie nationale jusqu’au 24 janvier 1960, mais ils ont alors été rompus : « Prolongeant l’animosité de la minorité d’officiers activistes, l’hostilité d’une partie des officiers de l’armée de terre durant les trois dernières années de la guerre d’Algérie a brisé net cette fraternité d’armes » (p 545). Il en donne pour preuves le témoignage de l’ancien directeur général de la gendarmerie et de la justice militaire d’octobre 1962 à mai 1973 sur les relations très tendues existant alors entre le colonel Debrosse (nommé sous-directeur de la gendarmerie le 14 octobre 1961) et de très nombreux cadres de l’armée de terre, puis celui d’un général arrivé à Saint-Cyr en 1969 sur la méfiance envers la gendarmerie qui y régnait, et enfin son propre témoignage sur ses relations difficiles avec un ancien colonel de parachutistes qui refusait de « pleurer sur les gendarmes ».

Francis Mézières nous propose, à travers cette conclusion, une analyse approfondie et sans langue de bois des relations pathologiques entre la gendarmerie et ses cadres issus des grandes écoles militaires : « la rupture entre l’armée de terre et la gendarmerie nationale a aujourd’hui dépassé un stade critique et témoigne d’un épouvantable gâchis » (p 577). N’ayant pas de compétence en la matière, je n’essaierai pas de retracer les étapes de ce réquisitoire dont les personnes concernées pourront juger mieux que moi. C’est en tout cas dans cette perspective d’ensemble qu’il situe sa volonté de réhabiliter les gendarmes mobiles tués le 24 janvier 1960 et leur mémoire trop oubliée : « 58 ans après la fusillade du 24 janvier 1960, le moment est enfin venu d’honorer le sacrifice de l’adjudant Edouard Geeraert et de ses 13 compagnons d’armes, tués à ses côtés. Sans mensonge. Sans mythe. Sans manipulation. Car ces ‘bons soldats’, selon les propres termes du général de Gaulle, ont été tués à deux reprises. D’abord sous les balles des insurgés Algérie française, puis à travers les mythes créés par les responsables de la fusillade et leurs assassins. Chaque militaire de la gendarmerie nationale doit aujourd’hui apprendre le sens de l’ordre du jour n° 3 du 29 janvier 1960 du lieutenant-colonel Debrosse et en porter les valeurs, paroles fortes qui illustrent la culture républicaine de ce modeste officier supérieur de gendarmerie, résolu à stopper le proto-fascisme des activistes Algérie française », afin de « réparer l’oubli indigne dont sont victimes depuis 58 ans les militaires de la gendarmerie mobile engagés dans la fusillade du 24 janvier 1960 » (pp 582-583).

Pour justifier cette prise de position engagée, il invoque les paroles prononcées par le général de Gaulle à Alger le 4 juin 1958, puis un dialogue radiodiffusé sur les événements du 8 mai 1945 à Sétif entre Albert Camus et Ferhat Abbas, une analyse de Bernard Tricot sur les lignes directrices de la politique gaullienne, et des réflexions d’un proche de l’ancien maire « libéral » d’Alger Jacques Chevallier, Jean-Marie Tiné, et de l’ethnologue Jean Servier, qui se montrent à la fois critiques et solidaires des Français d’Algérie abandonnés par la métropole. Il s’adresse ensuite lui-même à ceux-ci : « L’exigence de vérité sur la fusillade du 24 janvier 1960 à Alger s’impose aux descendants et à ceux encore vivants des 700.000 ( ?) Français de souche européenne et aux 120.000 Français israélites d’Algérie qui ont fui leur terre natale au printemps puis durant l’été 1962, laissant derrière eux leurs maisons, leurs morts, leurs souvenirs. Victimes à la fois des actes terroristes de certains membres du FLN mais aussi de la dérive terroriste de l’infime minorité d’entre eux au sein de l’OAS » (p 589).

Puis il attire l’attention sur le fait que « la société française est aujourd’hui malade du déchirement intérieur de certains jeunes Français issus de l’immigration algérienne », et en donne pour exemple Alger pleure du rappeur Médine, tout en le critiquant à juste titre : « Mais le rap accusateur de Médine n’échappe pas à son tour à une lecture partiale de la guerre d’Algérie qui ne souligne que les atrocités commises au nom de la France, en faisant par exemple une comparaison erronée entre les camps de regroupement de la guerre d’Algérie et les camps de concentration nazis de la Seconde Guerre mondiale, ou en tombant dans le piège mémoriel de l’évocation minimaliste des crimes de guerre du FLN, limités aux seuls nés tranchés des fumeurs. Or les viols imputés de manière unilatérale par Médine aux seuls militaires français ne peuvent occulter ceux commis par certains membres de l’ALN sur des femmes et des adolescentes d’origine européenne lors des attaques de fermes » (p 590). Il lui oppose une vision plus juste des effets contradictoires de la « pacification » française sur un village kabyle par le journaliste Slimane Zeghidour, né en Kabylie en 1953, qui « résume sans haine l’ambivalence de l’action militaire de la France, oscillant entre pacification et exactions, ces dernières rendant coupables, de manière injuste, les militaires français qui ont agi avec bonté et humanité » (p 591).

Il invoque enfin la nécessité d’une volonté politique forte des deux pays pour établir enfin une vraie fraternité entre la France et l’Algérie, en évitant à la fois la reprise de la propagande militaire française exaltant la « pacification » sans dire un mot de la torture, et son remplacement par la propagande inverse : « Pour autant, il faut se garder du piège mémoriel qui consiste à ne dénoncer que les crimes de guerre commis par certains militaires français durant la guerre d’Algérie - et non par toutes les unités de l’armée française engagée de 1954 à 1962 et l’immense majorité des 1.700.000 militaires, appelés, rappelés ou d’active qui ont servi en Algérie - en faisant une lecture biaisée du conflit qui occulte les assassinats ainsi que les actes de tortures et de barbarie infligés par certains membres du FLN ou de l’ALN à des dizaines de milliers d’Algériens Musulmans fidèles à la France, et à des Français de souche européenne. Installés en Algérie pour certains d’entre eux depuis des générations, ces derniers ont été les otages et les victimes d’une poignée d’activistes, quelques milliers tout au plus, pour lesquels les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité n’étaient rien » (p 592). Il reproche aux activistes Algérie française, contrairement aux officiers qui étaient leurs complices, d’avoir « lutté aveuglément durant huit ans et demi ( ?) pour interdire aux Algériens musulmans d’accéder aux mêmes droits civiques que la minorité d’origine européenne » (p 593). Mais il se contredit aussitôt après en posant la question suivante : « l’Algérie française, symbiose de deux populations, que tout différenciait, n’était-elle-pas en définitive qu’une utopie ? Au moment où la France découvre, hébétée, le danger mortel du multiculturalisme tant vanté par les responsables politiques de gauche depuis la décennie 80, l’exemple de l’impasse idéologique de l’Algérie française est riche d’enseignements pour éclairer l’avenir » (p 593).

Pourtant la conclusion se termine d’une manière très prévisible par le lecteur des chapitres précédents : « Malgré la force des mythes savamment élaborés et entretenus depuis 58 ans par les assassins de 14 militaires de la gendarmerie mobile, sept manifestants pieds-noirs et un insurgé de nationalité polonaise, la fusillade du 24 janvier 1960 à Alger sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières ne fut ni une tuerie provoquée par des gendarmes mobiles ‘dopés’ à l’alcool avant de débuter leur charge, aux ordres d’un lieutenant-colonel sanguinaire, ni un prétendu complot ourdi par un général haï, premier chef d’Etat de la Vème République, avec le concours de mystérieux ‘barbouzes’ qui auraient ouvert le feu dans le dos des gendarmes mobiles pieds-noirs. Encore moins une victoire. Seulement le premier acte du suicide de l’Algérie française, provoqué par des tireurs armés de fusils-mitrailleurs ou de pistolets-mitrailleurs qui, ce soir d’hiver, ont rafalé durant 37 minutes la République » (p 593).

Les quelques réflexions originales de l’auteur que je viens de citer dans les dernières pages de cette conclusion ont peu de chances de faire oublier par des lecteurs « pieds-noirs » des analyses répétées avec insistance qui, même si elles sont objectivement fondées, risquent de provoquer un rejet par leur formulation manichéenne. En effet, si le fond de ces deux tomes a la solidité d’une thèse d’histoire, leur ton est celui d’un accusateur public en même temps que celui d’un avocat de la défense des victimes transformées en faux coupables. On comprend que l’auteur ait voulu reprendre le procès des barricades pour faire éclater la vérité plus d’un demi-siècle après son fiasco de mars 1961, en stigmatisant à la fois les vrais coupables et ceux qui, parmi les militaires, avaient trahi leurs camarades de combat en s’abstenant de les secourir immédiatement puis en s’associant à la calomnie qui les visait. Mais son attitude souffre d’un parti-pris politique trop simple qui semble ignorer la complexité de la situation et des engagements divergents qu’elle a provoqués. A lire ce livre, il n’y avait qu’un parti à prendre, celui de la République défendue par les gendarmes mobiles contre des factieux. On pourrait néanmoins opposer à l’auteur des cas d’engagements ou de non-engagement beaucoup plus complexes.

Francis Mézières cite Albert Camus, qui a trouvé une mort accidentelle le 4 janvier 1960, vingt jours avant la fusillade du 24. Celui-ci avait approuvé le discours présidentiel du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination, mais en pensant qu’il barrait définitivement la route à la remise de l’Algérie au soi-disant GPRA. Nul ne peut savoir avec certitude ce que l’auteur de La peste aurait pensé de la fusillade du 24 janvier 1960, ni de la suite de la politique gaullienne, mais le fait est que ses amis ont pris des positions divergentes, Emmanuel Roblès et Jules Roy continuant à soutenir la politique du Général et Mouloud Feraoun approuvant l’indépendance au point de tomber sous le balles de l’OAS le 15 mars 1962, alors qu’André Rosfelder était devenu le porte-parole du « putsch des généraux » du 22 avril 1961 à la télévision d’Alger puis l’un des plus inlassables organisateurs d’attentats contre la vie du président de la République. De même, un autre prix Nobel français aurait pu être cité, l’économiste Maurice Allais, autre partisan sincère de l’autodétermination des Algériens de toutes origines qui avait publié en 1962 un livre, L’Algérie d’Evian, démontrant que les accords signés avec le FLN avaient remplacé l’autodétermination des habitants de l’Algérie par une prédétermination au profit du seul FLN. Enfin, puisque Francis Mézières a cité avec éloge le commissaire Gavoury, premier policier assassiné par l’OAS le 31 mai 1961, il aurait pu lire avec profit les mémoires du commissaire des renseignements généraux Roger Le Doussal, en poste en Algérie de 1952 à 1962. Il y aurait trouvé l’expérience d’un homme de bonne volonté prêt à tout apprendre, mais définitivement réfractaire aux méthodes terroristes du FLN depuis août-septembre 1955, et ayant perdu toute confiance envers la parole du général de Gaulle depuis que celui-ci avait renié ses engagements en acceptant de négocier publiquement avec le GPRA le 20 mai 1961. Soupçonné à tort par son chef d’être devenu favorable à l’OAS, il lui répondit ainsi le 21 novembre 1961 : « Ceux qui vous ont renseigné vous ont menti. Je suis un fonctionnaire loyal qui souhaite demeurer le plus longtemps possible dans un pays qu’il aime, c’est tout. L’idée d’une désertion m’est insupportable. D’ailleurs, si j’avais été favorable à l’OAS et désireux de rejoindre ses rangs, j’aurais auparavant démissionné et rendu mon pistolet. Je ne suis pas de ceux qui trahissent leur serment professionnel et s’enfuient avec leurs armes, égorgent leurs camarades ou simplement les désignent aux coups des tueurs. Je ne me vois d’ailleurs pas dans le même camp que ceux qui assassinent des policiers, qui ont tué mon ami Goldenberg et qui, il y a dix jours, viennent encore de tuer mon collègue Joubert » [48].

Cette attitude engagée de Francis Mézières est compréhensible, mais elle peut néanmoins surprendre puisque il a lui-même très souvent établi dans son livre une analogie profonde entre la guerre civile entre Français qui avait fait couler le sang dans les rues de Paris à plusieurs reprises de 1830 à 1848, le 2 décembre 1851, puis vingt ans plus tard dans la semaine sanglante qui a opposé les Versaillais aux Communards du 21 au 28 mai 1871, et celle qui a débuté à Alger le 24 janvier 1960. Même si une analogie n’est pas une identification, on aurait pu s’attendre à ce qu’il reprenne à son compte dans sa conclusion cette comparaison qui n’est pas dépourvue de toute pertinence, car la guerre d’Algérie fut bien, aussi, une guerre civile entre Français à partir de cette date.

Mais la conclusion de Francis Mézières ne met pas fin à son livre, qui se prolonge encore sur plus de 130 pages (pp 595-729) avec un chapitre intitulé « Que sont-ils devenus ? ». Il s’agit d’une nouvelle série de notices biographiques très détaillées, consacrées aux acteurs survivants du drame du 24 janvier 1960. Les premières sont consacrées aux auteurs et aux complices de la manifestation armée, les suivantes aux représentants du pouvoir légal. Pour ne pas trop rallonger ce compte rendu, je ne citerai que deux exemples pris dans ces deux catégories.

Le premier est celui du capitaine Paul-Alain Léger, l’organisateur de la « bleuite » passé aussitôt après la semaine des barricades au Bureau d’études et de liaison (BEL) du colonel Jacquin, qui s’occupa notamment de « l’affaire Si Salah ». Francis Mézières termine ainsi sa notice : « Emanant d’un officier qui a défendu la cause de l’Algérie française en s’engageant dans le putsch d’avril 1961 et qui a fait l’objet d’une perquisition domiciliaire conduite par le colonel Debrosse en personne, son témoignage sur la fusillade du 24 janvier 1960 est capital. En effet, contrairement à tant d’autres officiers, Paul-Alain Léger ne s’est pas laissé aveugler par la haine en travestissant les faits et n’a jamais cédé au mythe d’une intervention meurtrière de la gendarmerie mobile sur le boulevard Laferrière et le Plateau des Glières. En outre, il a fourni un renseignement capital sur les insurgés qui tiraient à l’ aide des fusils-mitrailleurs : ‘Les courtes rafales, parfaitement ajustées, se succèdent comme au stand de tir et, le dos plaqué contre le béton d’un pilier de la Poste, je pense que ceux qui pressent la détente des armes ne sont sûrement pas des novices’ » (p 673).

Le second est celui du colonel Debrosse, qui après sa déposition au procès des barricades devint la cible des menaces des activistes Algérie française, et qui après l’échec du putsch des généraux conduisit la lutte des forces de gendarmerie contre l’OAS. Dès l’automne 1961, celle-ci l’accusa des pires tortures infligées à ses membres, notamment à Madame Geneviève Salasc, arrêtée le 9 septembre 1961 et soupçonnée d’avoir aidé clandestinement le général Salan. Il fut accusé par une lettre publique de celui-ci le 18 septembre 1961 d’être « le tortionnaire de ses propres concitoyens », dont le nom « est déjà cité aux jeunes générations de l’armée comme le synonyme de torture et de barbarie ». Un mois après, le colonel Debrosse quitta Alger le 14 octobre 1961, et l’auteur estime « très probable que cette mutation avait pour objectif de l’éloigner d’Alger en raison des menaces de mort dont il était l’objet ire : la fusillade du 26 janvier 1962 de la part de l’OAS » (p 683). D’après lui, le rapport de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels ne confirme nullement les graves accusations portées contre lui par l’OAS et par plusieurs députés sympathisants à l’Assemblée nationale : « En effet, le rapport de Pierre Voizard ne désigne à aucun moment le colonel Debrosse comme responsable de tortures. De plus, en tant qu’officier de gendarmerie, ce dernier n’exerçait aucune autorité sur des fonctionnaires de la police judiciaire » (p 688). Et il conclut : « En définitive, aucune preuve ne vient confirmer les accusations de torture portées contre le colonel Debrosse ou des militaires de la gendarmerie mobile, prétendument commis à l’intérieur de la caserne des Tagarins. Néanmoins, il est probable que des fonctionnaires de police ont mené des interrogatoires à l’intérieur des locaux de celle-ci, et seule une recherche approfondie permettrait de confirmer ou d’infirmer les accusations de tortures » (p 696).

Viennent enfin une soixantaine de pages d’annexes documentaires (pp 731-789) :

I- Ordre de bataille des 15 EGM engagés dans la fusillade du 24 janvier 1960

II- Liste nominative des militaires de la gendarmerie mobile quoi ont participé au dégagement du boulevard Laferrière et du Plateau des Glières ou restés sur le Forum.

III- Militaires de la gendarmerie mobile tués ou blessés lors de la fusillade du 24 janvier 1960

IV- Liste des principaux dirigeants, cadres et militants du Front national français (FNF) à la date du 8 février 1960.

V- Liste des membres du « commando Alcazar »

Pour conclure, il me reste à répondre à ma question initiale : le livre de Francis Mézières est bien objectivement un livre d’histoire, mais il est présenté au lecteur dans une perspective subjective essentiellement mémorielle, politiquement et moralement engagée. Il n’en mérite pas moins de retenir l’attention de tous ceux qui veulent dépasser les préjugés mémoriels pour atteindre autant que possible à la connaissance des faits.


Ce livre infirme-t-il le bilan comparatif que j’ai tiré des diverses mémoires de la guerre d’Algérie ?

La question que je dois me poser maintenant est celle-ci : le livre de Francis Mézières m’oblige-t-il à remettre en question les leçons de l’étude comparative que j’avais faite auparavant entre les mémoires divergentes de la guerre d’Algérie, d’abord le 23 février 2017 dans une communication intitulée « Les mémoires et l’histoire de la guerre d’Algérie d’une rive à l’autre » [49], puis dans la deuxième partie de mon livre publié par Vendémiaire en novembre 2018, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire (pp 179-378) ?

Je ne le crois pas. La mémoire du 24 janvier 1960 qu’ont gardée les Français d’Algérie est seulement un cas extrême du processus que j’ai mis en évidence dans le cas de toutes les mémoires qui fondent une identité collective sur une émotion partagée, et qui par là s’opposent nettement à l’histoire, laquelle cherche simplement à connaître rationnellement les faits, leurs causes et leurs conséquences. Et cela aussi bien dans le cas de la mémoire des Français d’Algérie que dans celui des partisans de l’indépendance.

1- La mémoire du 24 janvier 1960, cas extrême de la mémoire des Français d’Algérie

Il n’est évidemment pas question de mettre en doute la sincérité de la très grande majorité des Algérois et des Français d’Algérie qui ont cru à la responsabilité initiale des gendarmes dans la fusillade du 24 janvier 1960 et qui le croient encore aujourd’hui. Pour des lecteurs algérois, la contradiction totale que démontre le livre de Francis Mézières entre leur mémoire et l’histoire peut sembler très difficile à admettre. Pourtant, son ton versant trop souvent dans la polémique, politiquement et moralement engagée, est plus critiquable que le fond de sa démonstration, qui repose sur un travail colossal de confrontation de toutes les sources disponibles. La réfutation d’un tel travail demanderait sans doute à qui voudrait l’entreprendre un travail non moins colossal, pour un résultat que l’on peut présumer bien maigre. Jacques Frémeaux, éminent spécialiste de l’histoire militaire de l’Algérie aux XIXème et XXème siècles, partage ses conclusions d’ensemble. Il estime néanmoins que son attribution de tous les morts des barricades aux tirs des émeutiers n’est pas totalement probante : « Rien ne me paraît formellement le prouver, puisque, faute d’autopsie, on ignore (à une exception près) quels sont les projectiles qui ont tué les civils » [50]. Il admet pourtant que son argumentation est très solide, mais estime que le drame aurait peut-être pu être évité si les autorités s’étaient contentées de tenir le GG sans tenter d’en dégager les abords [51]. Et il estime aussi que l’auteur ne lui paraît pas « véritablement aller jusqu’au fond des intentions des chefs du mouvement : il montre seulement les aspects superficiels de leur action, sans pouvoir définir leur plan d’ensemble, à supposer, bien entendu, bien sûr, qu’il y en ait eu un autre que celui de recommencer le 13 mai... ».

Le camouflage systématique de la réalité des faits par les inculpés et leurs proches après le 24 janvier peut expliquer cette difficulté, mais on peut aussi estimer qu’ils n’avaient pas d’autre plan que de refaire le 13 mai, et que la présence des gendarmes mobiles sur le Forum le rendait impraticable, à moins que les parachutistes se décidassent enfin à sortir une nouvelle fois de la discipline envers les autorités légalement établies. Le guet-apens tendu aux gendarmes mobiles trouverait donc là son explication comme une tentative d’obliger les parachutistes à choisir leur camp. Plus tard, la victimisation des auteurs de la fusillade aurait été le moyen indispensable de rassembler autour d’eux la masse des Français d’Algérie qui ne s’étaient pas assez mobilisés en leur faveur le 24 janvier 1960.

Mais au-delà, on peut estimer que le camouflage forcé d’une vérité inavouable a eu pour effet de rendre impensables les causes de l’échec du 24 janvier 1960 et les moyens éventuels d’en tirer des leçons efficaces, jusqu’à sa tragique répétition de mars 1962, alors que les autorités en tiraient au contraire les leçons que l’auteur à bien montrées : accepter la réalité d’une inévitable guerre civile et se donner les moyens de la gagner. L’analyse de Francis Mézières qui constate l’absence de toute stratégie militaire et politique dépassant la simple tactique chez les membres de l’OAS me paraît fondamentalement juste.

Mais de l’autre côté, on peut admettre que la journée sanglante du 24 janvier 1960 a eu pour effet de rassembler la grande majorité des Français de France autour du général de Gaulle en faisant oublier les réactions très contrastées que le 13 mai 1958 avait suscitées en métropole : mobilisation ambiguë des partisans du 13 mai pour sauver l’Algérie française et/ou pour ramener le général de Gaulle au pouvoir, rassemblement d’une grande partie des forces de gauche pour défendre la République contre un « coup d’Etat fasciste », hésitations de la majorité acceptant l’arbitrage de l’homme du 18 juin 1940 pour éviter une guerre civile. Désormais, de Gaulle ayant choisi son camp, il n’y avait plus que deux partis à prendre, et c’est pourquoi chacun de ses pas en avant vers une solution non française de la guerre d’Algérie trouva aisément le soutien d’une majorité de plus en plus large, en métropole, pour rétablir la paix en renonçant à la souveraineté française sur le pays.

En même temps que se précisaient les intentions du général de Gaulle tendant à instituer un Etat algérien à la place de l’Algérie française, et sa volonté de trouver des partenaires pour le réaliser à l’intérieur puis à la tête du FLN, les inquiétudes croissantes des Français d’Algérie ne pouvaient que leur faire accepter la version mythique du complot gaulliste qui sous-tendait leur mémoire du 24 janvier 1960. Quand le procès des barricades prit fin le 2 mars 1961, les négociations avec le GPRA avaient commencé en secret, et elles furent annoncées par un communiqué officiel dès le 15 mars. La vérité objective sur la fusillade du 24 janvier 1960 avait donc définitivement cessé d’être crédible, et au contraire la volonté gaullienne avérée d’en finir avec l’Algérie française rendait vraisemblable l’idée d’un complot tramé de longue date contre les Français d’Algérie, dont le 24 janvier aurait été la première manifestation visible.

La démonstration de Francis Mézières ne peut pas être décalquée mécaniquement sur les épisodes suivants qu’il a lui-même évoqués avec une relative prudence, mais il a bien démontré dans les cas de décembre 1960 et de mars 1962 que les leçons du 24 janvier 1960 avaient été tirées par les forces de l’ordre sous la pression du président de la République, alors que les partisans de l’Algérie française restaient prisonniers du mythe du 13 mai à refaire, ce qui les empêchait de repenser leur situation de plus en plus désespérée. Pour autant, les bilans du 22 et du 26 mars 1962 restent tout aussi tragiques, mais leur mise en perspective comparative avec le 24 janvier 1960 permet de mieux les comprendre.

L’idée que l’histoire peut contredire la mémoire peut néanmoins susciter de fortes réticences, et l’on pourrait trouver des arguments en sens contraire (la mémoire, moteur de la recherche historique) dans le cas du massacre du 5 juillet 1962 à Oran. En effet, ce sanglant épisode survenu deux jours après la fin de la souveraineté française sur l’Algérie (3 juillet 1962), au moment où les Français de France tournaient la page de la guerre pour s’intéresser à leurs vacances d’été, a été longtemps très largement ignoré par l’opinion publique métropolitaine et sous-estimée par le gouvernement. Pour le tirer peu à peu de l’oubli, il a fallu les efforts de nombreux auteurs motivés, témoins puis historiens, comme Jean-Jacques Jordi, qui a démontré dans son livre paru en 2011 Un silence d’Etat, les disparus civils européens de la guerre d’Algérie [52], que le bilan des victimes du 5 juillet 1962 - établi un an plus tard par le rapport officiel mais secret de Jean-Marie Huille - approchait de 700 morts et disparus en quelques jours. J’ai moi-même tenté de retracer les étapes de cette historiographie dans mon livre publié en 2012, Oran, 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre [53].

Cependant, la mémoire de ce massacre oublié a donné lieu à des exagérations (3.000 victimes affirmées sans démonstration) qui se sont prolongées depuis 2012. Un témoin resté sur place jusqu’en 1964, Jean-François Paya, a diffusé son interprétation suivant laquelle la non-intervention des forces militaires françaises commandées par le général Katz s’expliquerait par un « deal » conclu entre le général de Gaulle et Ben Bella pour lui laisser la tâche de rétablir l’ordre à Oran afin de faciliter la prise du pouvoir par l’alliance Ben Bella-Boumedienne opposée au GPRA (signataire des accords d’Evian). Cette interprétation des faits a reçu, apparemment, le soutien d’historiens comme Jean-Jacques Jordi [54] et le regretté Gilbert Meynier, attentifs aux efforts déployés par l’état-major général du colonel Boumedienne pour prendre le contrôle total de l’Oranie avant de conquérir le reste de l’Algérie. Elle est pourtant contestée par Jean Monneret, auteur d’une thèse capitale sur La phase finale de la guerre d’Algérie [55] et d’un ouvrage consacré entièrement au drame du 5 juillet, La tragédie dissimulée, Oran, 5 juillet 1962 [56], et par moi-même. J’estime en effet que l’interprétation de la position du général de Gaulle à la date du 5 juillet soutenue par Jean-François Paya est clairement démentie par les archives du Comité des affaires algériennes publiées par le général Faivre en 2000 [57], qui proclament une politique de neutralité envers toutes les factions algériennes en lutte pour le pouvoir [58]. Et je reproche à cette hypothèse infondée de détourner l’attention des quatre mois d’affrontements violents qui avaient opposés l’OAS d’Oran et le FLN depuis février-mars 1962 jusqu’à la fin juin, comme si la recherche des causes du massacre du 5 juillet devait partir du début de l’affrontement entre le GPRA et la coalition Ben Bella-Boumedienne, précipité par la destitution du colonel Boumedienne par le GPRA le 30 juin. Or il est incontestable pour tous les historiens que les causes d’un événement sont nécessairement antérieures à l’événement lui-même, et non simultanées ou postérieures.

De même, je regrette que la pétition internationale lancée en juin 2013 par un collectif dont le cinéaste Jean-Pierre Lledo est le membre le plus connu ait dénoncé un « crime contre l’humanité » - au risque de contribuer à la banalisation générale de ce concept, qui tend de plus en plus à remplacer celui de crime de guerre - et suggéré une interprétation extrême qui n’est pas démontrée : « Tant que toutes les archives françaises et algériennes ne seront pas ouvertes, on pourra supposer que des milliers d’innocents subirent ce même sort » et que « quel que soit le nombre, l’ampleur du massacre, sa simultanéité dans tous les quartiers d’Oran à la fois, la mobilisation d’une immense logistique laissent penser qu’il a été programmé, organisé et coordonné à un très haut niveau, même si la participation à la curée de la foule hystérisée a pu faire croire à des événements ‘spontanés’ » [59]. Cette interprétation me paraît inverser le classement des causes possibles par ordre de certitude décroissante, en minimisant sans raison valable, d’une part, l’éventualité d’un désir de vengeance d’un partie des chefs du FLN d’Oran contre la population européenne ayant soutenu l’OAS et, d’autre part, la lourdeur des pertes infligées à la population algérienne musulmane vivant dans les quartiers soumis à leur autorité par les attentats et bombardements de l’OAS durant les quatre derniers mois [60]. L’hypothèse que suggère cette pétition, celle d’un complot machiavélique ourdi par le colonel Boumedienne pour s’emparer d’Oran et pour discréditer le GPRA, ne doit pas faire écarter la précédente. En effet, s’il est vraisemblable que l’état-major de l’ALN a suivi de très près ce qui se passait à Oran pour en tirer le meilleur parti dans sa conquête du pouvoir, rien ne prouve jusqu’à présent sa responsabilité dans les premiers coups de feu.

Ainsi, le massacre du 5 juillet à Oran nous offre l’exemple d’un épisode tragique longtemps refoulé hors de la mémoire nationale et peu à peu reconstitué par les efforts de nombreux témoins, enquêteurs et historiens. Mais il nous offre aussi l’exemple d’une mémoire sélective qui occulte spontanément des faits majeurs susceptibles de troubler une population traumatisée en lui suggérant que les responsabilités de cette tragédie n’étaient pas forcément unilatérales. Par là, il est comparable à la fusillade du 24 janvier 1960 à Alger, à première vue si différente.

2- La mémoire non moins critiquable des partisans de l’indépendance

Pour autant, la mémoire des partisans de l’indépendance de l’Algérie, algériens et français, n’est pas moins critiquable que celle du 24 janvier 1960 chez les Algérois européens, et il me paraît utile de le démontrer d’abord à propos de la mémoire algérienne du 8 mai 1945, qui tend à se généraliser non seulement en Algérie mais aussi en France. Et ce d’autant plus que Francis Mézières, dans son livre, cite à plusieurs reprises le 8 mai 1945 en tant que première des grandes manifestations dont la succession a conduit à l’indépendance de l’Algérie.

C’est dans le premier chapitre du tome 1 (pp 37-46) qu’il lui consacre une étude particulièrement minutieuse, citant de nombreux auteurs dont la diversité témoigne du sérieux de son enquête, notamment Jean-Louis Planche et Roger Vétillard, dont les interprétations sont nettement divergentes. Il y a beaucoup à retirer de ce sous-chapitre, mais je suis néanmoins déçu de le voir se perdre dans des détails sans aboutir à une conclusion nette (si ce n’est les conséquences durables de la répression sur les militants nationalistes qui l’ont subie). La question clé est pourtant posée par l’auteur à la page 40 : la manifestation algérienne du 8 mai à Sétif était-elle une manifestation pacifique, oui ou non ? A cette question il répond par une autre question qu’il laisse sans réponse : « Néanmoins, dans la mesure où dans l’Algérie coloniale toute revendication publique d’émancipation était immédiatement réprimée par les autorités, est-il surprenant de voir les responsables d’une manifestation ayant prévu de brandir des drapeaux aux couleurs nationalistes recommander aux manifestants de s’armer pour faire face à une réaction brutale des forces de l’ordre ? »

Or la question fondamentale qui ne doit pas être éludée est la suivante : le 8 mai 1945 à Sétif, est-ce une insurrection qui a provoqué la répression, ou bien une répression préméditée d’une manifestation pacifique qui a provoqué un début d’insurrection aussitôt noyé dans le sang ? Depuis plus de deux tiers de siècle, les deux thèses opposées s’affrontent sur le terrain des propagandes et sur celui de l’histoire.

Depuis 1945, la propagande nationaliste a dénoncé un complot colonialiste visant à écraser le mouvement indépendantiste en tirant sur les porteurs de drapeaux et de pancartes interdites pour terroriser le peuple algérien. Dès 1952, le grand historien Charles-André Julien avait dénoncé, dans son livre L’Afrique du Nord en marche, la répression de mai 1945, « féroce, impitoyable, en vérité inhumaine par son manque de discernement » , mais il avait également dénoncé la partialité de la version répandue par la propagande nationaliste algérienne dans une brochure du parti MTLD qui racontait longuement le « génocide de mai 1945 » : « un policier abat un porteur de pancarte de trois balles dans le ventre ; aussitôt les policiers ‘se regroupent rapidement en face des manifestants, comme si le scénario avait été préparé à l’avance, et la fusillade commence. Puis à Sétifville, la loi martiale est proclamée’ » Et il ajoutait cette critique pertinente : « Sans doute s’est-il passé entre-temps l’effroyable tuerie à travers la ville, mais à cela il n’est même pas fait allusion. Si le PPA n’y fut pour rien, pourquoi donc le cacher ? Et comment ajouter foi à une propagande qui fausse la réalité au point d’omettre entièrement un événement d’une exceptionnelle gravité ? » [61] Son disciple Charles-Robert Ageron avait lui aussi étudié à trois reprises cet événement, en 1979, 1984 et 1995, et conclu ainsi sa dernière étude : « Faut-il rappeler ici qu’en histoire de la décolonisation toute insurrection manquée s’appelle une provocation, toute insurrection réussie une Révolution ? Un historien se contentera de noter impartialement que la tentative avortée en mai 1945 devait servir de répétition générale à l’insurrection victorieuse de la Révolution (thawra) de 1954-1962 » [62].

L’historien algérien Mohamed Harbi a révélé, dès 1975, qu’en avril 1945 le leader nationaliste Messali Hadj avait essayé de s’évader de sa résidence forcée pour prendre la tête d’une insurrection, mais qu’il avait dû rebrousser chemin parce qu’il n’avait trouvé personne pour le guider au lieu de rendez-vous fixé [63]. Sa collègue Annie Rey-Goldzeiguer avait d’abord exprimé son scepticisme, avant de confirmer ce fait en s’appuyant sur le témoignage de la fille de Messali dans son dernier livre publié en 2002, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945 [64]. Plus récemment, en 2015, Mohammed Harbi a répété que « cette confrontation s’était préparée dès avril. Les dirigeants du PPA - et plus précisément les activistes, avec à leur tête le Dr Mohamed Lamine Debaghine - sont séduits par la perspective d’une insurrection, espérant que le réveil du millénarisme et l’appel au djihad favoriseront le succès de leur entreprise. Mais leur projet irréaliste avorte » [65], et Messali est transféré au Sahara puis à Brazzaville. Ainsi l’idée d’une insurrection, même si elle n’était pas approuvée par tous les dirigeants du Parti, était bien présente dans certains esprits.

En Algérie même, l’historien Redouane Aïnad-Tabet avait écrit en 1987 dans la préface de la deuxième édition de son livre sur Le mouvement du 8 mai 1945 en Algérie que le peuple algérien « n’a pas fait que subir, en victime innocente expiatoire, une sanglante répression, un complot machiavélique. Il est temps de dire et de souligner qu’il a été aussi l’auteur de ces événements, même s’il a subi un revers, même s’il a payé le prix du sang, le prix de la liberté par des dizaines de milliers de victimes ». (...) Et un peu plus loin : « la tentative d’insurrection nationale a commencé dès le 1er mai 1945, lui-même préparé par toute une action politique, une prise de conscience aigüe, généralisée, qui s’est affirmée durant toute la Seconde Guerre mondiale pour aboutir à ce point culminant. La révolte proprement dite a duré plus de quatre jours et s’est étendue à tout le Nord-Constantinois, relayée ensuite par les attaques de Saïda et de Naciria, en Kabylie. Certes, l’insurrection générale a avorté, mais il n’en demeure pas moins, par l’ampleur des manifestations populaires qui ont eu lieu ce jour-là à travers tout le territoire national, que Mai 1945 est un fait historique positif, national » [66]. Et même le président Bouteflika, dans un discours adressé le 8 mai 2001 à Bachir Boumaza (président de la Fondation du 8 mai 1945), avait reconnu que le peuple algérien s’était révolté en ce jour glorieux : « Il s’est élevé comme un seul homme, aux quatre coins du pays, en quelques jours seulement, dans un même sursaut tel un volcan qui balaie tout ce qu’il rencontre sur son chemin et tout ce qui entrave son avancée. Pendant ces jours, celui qui revendique ses droits a affronté celui qui l’en a dépossédé » [67].

Il y a donc une contradiction manifestedanslediscoursofficiel algérien, puisque depuis la création de la Fondation du 8 mai 1945 (le 8 mai 1990), cette fondation relayée par une grande partiede la presse algérienne dénonce la répression française de la manifestation de Sétif comme étant un « crime contre l’humanité »dontla France devrait se repentir. Contradictionqui aurait pu être plus apparente que réelle, si la répression policière de Sétif avait été la seule violence, si tous les manifestants algériens avaient été tués, et si l’insurrection avaitété déclenchéeà l’extérieur de la ville par leurs camarades informés que les colonialistes massacraient leurs frères. Mais ce n’est pas le cas.

Non seulement parce que, selon Roger Vétillard, le premier Français tué deux heures avant le premier échange de coups de feu aurait été le contrôleur du marchéGastonGourlier ; mais parce que ceux des manifestants qui étaient armés se sont frayés une issue à travers la foule des civils français désarmés en massacrant ceux qu’ils rencontraient sur leur passage. Selon Roger Vétillard, « le PPA porte la responsabilité directe et indéniablede l’essentiel des manifestations et de l’insurrection du mois de mai 1945 » : après les premiers coups de feu qui tuèrent le porte drapeau algérien Saal Bouzid et la petite Arlette Nakache qui passait par là avec ses parents, « les manifestants se dispersent sur les injonctions de Larbi Tricinti (pseudonyme) qui annonce le djihad » [68]. Jean-Louis Planche admet au contraire la version nationaliste attribuant les premiers coups de feu aux policiers renforcés par des civils français armés, mais il reconnaît pourtant le fait du soulèvement : « L’élément essentiel d’explication est dans la mort d’Européens, moins dans le nombre, 29 au total, que dans les circonstances d’une mort venue à l’improviste frapper, au hasard de la rue, des passants qui étaient le plus souvent des personnes âgées, des jeunes filles, ou des habitants en bons rapports avec les Musulmans. Trop lents, trop naïfs, ou trop incrédules pour s’abriter d’une foule lancée dans une fuite aveugle, ils sont morts de s’être trouvés là ». Fuite qui n’en était pas moins violente : « Souvent, autour de la victime, une grappe de fuyards s’est agrégée, interrompant sa course pour s’acharner sur elle, à grands coups dans une mise à mort en groupe. C’est alors un lynchage auquel chacun participe de sa matraque, de son bâton, de son couteau, frappant un corps inanimé ou mort, déformé par la multiplicité des hématomes et des plaies en un besoin de vengeance manifeste qui transforme la fuite des Musulmans en émeute ». Emeute qui, selon Jean-Louis Planche, n’était pas « un événement de guerre prémédité », mais « la particularité de l’événement est d’être un lynchage collectif d’Européens, le premier qu’ait jamais vécu une ville de la colonie. La plus ancienne des peurs avec lesquelles vivaient les Européens a pris corps. Dès lors s’efface pour eux la question des morts musulmans dont la prise en compte ne saurait expliquer le massacre des leurs, en amoindrir l’exemplarité, ni attenter à l’unicité du mythe qui se construit en quelques heures et que les rumeurs, les dépêches d’agence et les communiqués de presse vont diffuser inlassablement ». Et il reconnaît plus loin qu’une partie des manifestants étaient armés : « Les blessures, mortelles ou non, sont le plus souvent horribles, la liste des 21 victimes européennes décédées à Sétif les décrit sommairement. Les enfoncements de la boîte crânienne et les plaies profondes sont fréquents.Le révolver, le couteau et le debbous (bâton), le plus souvent associés, ont été utilisés. La liste des 21 victimes européennes décédées permet de retrouver dans un tiers des décès l’utilisation du révolver, dans la moitié des cas du couteau, dans les deux tiers du debbous » [69].

L’insurrection qui s’est déclenchée en réponse aux premiers coups de feu tirés par la police contre le porteur du drapeau algérien est donc un fait qu’il est difficile de croire improvisé sans préméditation. L’énumération des événements, leur chronologie et leur géographie (synthétisée en une succession de cartes par le journaliste Claude Paillat dans son livre Le guêpier paru en 1969 [70]) ne laissent aucun doute sur sa réalité. La très grande majorité des manifestations organisées par les Amis du Manifeste et de la Liberté le 8 mai 1945 en Algérie a eu lieu sans incident grave parce que l’interdiction officielle d’arborer les drapeaux et pancartes nationalistes avait été respectée. Dans quatre lieux seulement (Blida, Sétif, Guelma, Bône), cette interdiction n’a pas été respectée et en conséquence l’intervention policière a fait quelques morts et blessés, en nombre très limité. Mais c’est seulement à Sétif que des manifestants armés ont immédiatement riposté par une véritable insurrection qui a fait de nombreuses victimes civiles chez les Européens [71], dans la ville puis dans toutes les campagnes environnantes et jusqu’à la mer ; l’insurrection de la région de Guelma a suivi avec deux jours de retard, ce qui a immédiatement provoqué la répression urbaine aveugle que l’on sait. Dans ces conditions, la version nationaliste d’un guet-apens colonialiste prémédité n’est pas crédible, et l’on peut raisonnablement supposer que le prétendu "service d’ordre" n’attendait qu’un bon prétexte pour passer à l’action, en espérant provoquer soit une insurrection générale du peuple algérien, soit une répression massive qui aurait creusé un fossé insurmontable entre les Algériens et les Français. Ce dernier résultat a été largement atteint, même si le bilan exact des victimes de la répression est impossible à préciser au-delà de « milliers de morts » [72].

La version de propagande dénoncée par Charles-André Julien en 1952 a été rediffusée en France depuis mai 1995 par un film, un colloque et un livre réalisés par l’association « Au nom de la mémoire » de Mehdi Lallaoui en liaison avec la Fondation de Bachir Boumaza [73] ; puis dix ans plus tard de nombreuses associations ont pris d’autres initiatives pour commémorer le 8 mai 1945 sous une forme qui traduit l’acclimatation de la mémoire algérienne officielle en France, remarquablement bien exprimée en 2010 dans les 15 premières minutes du film franco-algérien de Mehdi Bouchareb "Hors-la-loi", lequel escamote le fait de l’insurrection algérienne pour la transformer en massacre unilatéral prémédité et perpétré de sang froid par les colonialistes [74]. Ainsi, les victimes françaises de l’insurrection algérienne tendent à être tout simplement oubliées, ou considérées comme une conséquence inévitable mais négligeable de la férocité de la répression qu’elles ont pourtant provoquée. La confusion entre la mémoire et l’histoire du 8 mai 1945 est donc aujourd‘hui plus forte que jamais, et on a pu entendre une élue de gauche dire, dans un débat à la Mairie de Paris le 14 avril 2015 : « Le gouvernement algérien avance le nombre de 45.000 morts, et les travaux de la très grande majorité (sic) des historiens français attestent d’un bilan de dizaines de milliers de victimes arrêtées, torturées et exécutées sommairement ». Ce qui reste à prouver.

Quant aux historiens algériens, qui sont loin d’avoir la même liberté d’opinion et d’expression que les historiens français, ils ont du mal à distinguer ce qui relève de l’histoire et ce qui relève de la propagande. Un bon exemple de cette difficulté se trouve dans un chapitre de l’Histoire de l’Algérie à la période coloniale [75] rédigé par l’historienne algérienne Ouanassa Siari-Tengour - dont l’honnêteté est hors de doute - où elle traite du 8 mai 1945 en hésitant entre des versions différentes. Dans la page 466, elle écrit successivement deux phrases contradictoires : d’abord, « la répression des manifestations (...) du 8 mai, jour de l’armistice et donc du retour à la paix, a provoqué de violentes émeutes (102 colons furent tués) qui ont donné lieu en représailles, en mai et juin, à des massacres coloniaux marqués par des violences inouïes de la part des forces de l’ordre secondées par les milices de colons », ce qui est exact. Mais elle continue ainsi : « La seule présence des foules algériennes dans les rues des différentes villes suffit pour déclencher une répression qui mobilisa des moyens disproportionnés », ce qui est faux puisque la répression ne se déchaîna qu’autour de Sétif puis de Guelma et non pas dans toutes les villes où des manifestations avaient eu lieu. Enfin à la page 475, elle évoque de nouveau « les émeutes meurtrières provoquées par la brutale répression des manifestations nationalistes de mai 1945 dans le Nord-Constantinois », ce qui est encore plus discutable puisque la répression a répondu à ces « émeutes meurtrières » antérieures et à l’insurrection qui s’était répandue autour de Sétif puis de Guelma.

La version algérienne officielle du 8 mai 1945 est donc un mythe. Cette répétition de la propagande anticoloniale pouvait se comprendre avant 1954 ou même avant 1962, mais depuis ce procédé n’est plus admissible. J’ajoute que la répétition des mêmes récits sans contradicteurs possibles depuis le départ de presque tous les Français d’Algérie en 1962 a produit un processus de mythification spontané, qui apparaît notamment dans le fait de désigner nommément comme exécuteurs des massacres des personnes qui n’étaient pas présentes sur les lieux en mai 1945. L’histoire doit donc réagir en croisant systématiquement tous les témoignages, comme l’a tenté Roger Vétillard.

De même, les longs développements que Francis Mézières consacre ensuite à l’échec des tentatives françaises d’écraser l’insurrection durant l’année 1955 (t 1, pp 46-106) sont riches de très nombreux documents d’un intérêt indéniable (par exemple sur les ordres draconiens donnés en mai 1955 : « tout rebelle pris les armes à la main sera abattu », pp 79-81), mais il souffre d’un défaut majeur : la quasi-absence de sources provenant du FLN-ALN. Ce qui rend peu convaincante la première phrase de la page 106 (« Les crimes commis par certains responsables locaux du FLN ou djounoud de l’ALN, parfois accompagnés de mutilations, alimentent cette ascension aux extrêmes ») qui semble vouloir minimiser la responsabilité de ses chefs, comme s’il était avéré que ces crimes relevaient toujours d’initiatives subalternes qui n’avaient pas été ordonnées ou couvertes par eux. Cette extrême prudence, qui se répète ensuite dans tous les passages évoquant l’action du FLN-ALN, contraste fortement avec la sévérité dont l’auteur fait preuve envers les « crimes de guerre » commis par des officiers français ou par des « activistes » français d’Algérie.

Il aurait pourtant été très utile de rappeler, par exemple, l’évolution de la mémoire algérienne du 20 août 1955. Alors qu’à la fin des années 1960 le journaliste Yves Courrière avait recueilli le témoignage de Lakhdar Ben Tobbal, ancien adjoint de Youcef Zighoud (l’organisateur de l’offensive du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois) qui reconnaissait la responsabilité de son chef dans les massacres de civils européens commis ce jour-là sur son ordre, trente ans plus tard les Mémoires de son successeur à la tête de la wilaya II, Ali Kafi, se distinguaient par l’absence de toute mention des ordres d’attaque visant les civils européens : « Plus que par le passé, les forces de l’ennemi se sont déchaînées contre le peuple. A Skikda (Philippeville) un massacre a été commis, sans exemple par sa sauvagerie sinon celui du 8 mai 1945. On tuait "l’Arabe" partout où il se trouvait, on brûlait les dechras, on détruisait des villages entiers. Des milliers de jeunes furent rassemblés dans l’enceinte du stade de Skikda et ils furent fauchés à la mitrailleuse ». Pire encore, la photo des petits cadavres d’enfants européens massacrés le 25 août 1955 à la cité minière d’El-Halia alignés par terre à été reprise par El Moudjahid, n° 11728, du 8 mai 2003, pour illustrer le « génocide colonialiste » du 8 mai 1945, sous le titre « Cultiver la mémoire », et elle est utilisée dans le Musée national du Moudjahid à Alger pour illustrer la violence de la répression coloniale [76] !

Quelques années plus tard, en 2011, l’historienne Claire Mauss-Copeaux publia le premier livre consacré au 20 août 1955, dans lequel elle limitait ces massacres de civils à deux cas (El Halia et Aïn-Abid), les attribuait à des initiatives purement locales, et affirmait que « pour leur part, le 20 août 1955, les responsables nationalistes algériens ont ciblé en priorité les forces et les autorités coloniales », et que du côté français, « le crime de guerre atteint alors des dimensions exceptionnelles, il est proche du crime contre l’humanité » [77]. Mais elle fut aussitôt contredite par deux livres fortement argumentés, d’abord celui du commissaire Roger Le Doussal en mars 2011, puis en 2012 celui de Roger Vétillard, qui établit que le FLN-ALN du Nord-Constantinois avait visé trois objectifs distincts : les civils européens (117 tués, et non pas 71), qui avaient été la cible d’attaques simultanées en 24 localités différentes, les civils algériens musulmans jugés « traîtres » à la cause nationale (au moins 35), et les militaires (45 tués et au moins 115 blessés) [78]. Ainsi la mémoire officielle algérienne qui dénonce un « crime contre l’humanité » n’est-elle pas crédible.

Les références à la « bataille d’Alger » qui se rencontrent dans le livre de Francis Mézières sont très rares et peu développées, ce qui peut s’expliquer par leur caractère hors sujet mais est néanmoins regrettable, car la situation d’Alger en janvier 1960 ne peut être entièrement comprise si l’on ne sait pas ce qui s’y était passé en 1955, 1956 et 1957. Il est vrai que le débat historiographique sur ce sujet a été fortement biaisé par sa confusion avec le débat moral sur la torture, et par le choix des intellectuels de gauche qui ont cru habile de faire de « l’affaire Audin » une « nouvelle affaire Dreyfus ». Cette « affaire Audin » a gêné la prise en considération par les dits intellectuels de la « bataille d’Alger », et cette dernière expression a été limitée implicitement à l’offensive menée par le général Massu à partir du 7 janvier 1957 pour éradiquer l’organisation FLN-ALN de la Zone autonome d’Alger, comme si cette bataille n’avait pas été déclenchée plusieurs mois plus tôt par le FLN. En effet, le FLN a fait éclater ses premières bombes dans les lieux publics de la ville européenne le 30 septembre 1956, mais de nombreux auteurs ont affirmé - comme Francis Mézières (t 1 p 148) - que cette première offensive terroriste avait été provoquée par le nécessité de venger les nombreuses victimes algériennes tuées et blessés par l’explosion d’une bombe posée rue de Thèbes, dans la Casbah, le 10 août 1956 par des « contre-terroristes » européens. Ce fait est indéniable, mais il ne doit pas faire oublier que cette bombe « contre-terroriste » était elle-même une vengeance contre les premiers attentats au révolver commis par les terroristes du FLN visant des civils européens pris au hasard dans les rues d’Alger, en représailles contre les premières exécutions de patriotes condamnés à mort le 19 juin 1956. Et que cette réaction violente avait elle-même été annoncée par le chef politique du FLN d’Alger, Ramdane Abane, dès le mois de février 1956, dans un tract où il menaçait la population européenne de « terribles représailles » si le gouvernement français faisait exécuter les condamnés à mort [79]. Pour autant, la décision du chef du FLN était loin d’avoir été improvisée sous la pression des circonstances, puisque Abane avait proclamé son intention de recourir au terrorisme dès son arrivée à Alger en mars 1955, dans son unique entrevue avec les chefs locaux du MNA (le parti de Messali Hadj qui refusa de se fondre dans le FLN) [80]. Ainsi, le recours au terrorisme comme arme privilégiée était bien dans son programme dès 1955.

Dans son analyse des journées de décembre 1960, Francis Mézières se montre mieux informé, mais là encore sa documentation est de valeur inégale, puisqu’elle combine des documents d’archives et des sources journalistiques. Il a néanmoins le mérite de comparer le rapport authentique du commissaire Gavoury avec la version orale du colonel Masselot rapportée par Yves Courrière. Mais aussi celui de pressentir que le récit du célèbre journaliste n’est pas non plus nécessairement exact (t 2, p 501), ce qui apparaît quand il cite des informateurs algériens attribuant la responsabilité des premières contre-manifestations musulmanes au capitaine Bernhardt, commandant la SAU de Belcourt, qui aurait invité ses administrés à défiler en criant « Vive l’Algérie algérienne ! Vive De Gaulle ! » (t 2, p 500). Or cette version est fausse - comme je l’ai démontré dans mon Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie ( pp 284-296) en citant des documents tirés de la thèse de Robert Davezac - et elle témoigne du même processus de mythification qui caractérise la mémoire algérienne du 8 mai 1945. Cette mémoire algérienne n’est donc pas davantage fiable que la mémoire engagée des Français d’Algérie.

MA CONCLUSION

Il est temps de conclure ce trop long compte rendu. Comme je l’ai expliqué d’une manière très détaillée dans un chapitre de mon livre Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, l’accréditation de la version algérienne du 8 mai 1945 s’explique par plusieurs raisons, dont la plus importante est celle-ci : « D’abord, par un processus naturel de confusion entre la mémoire et l’histoire. En effet, la mémoire est naturellement plus marquée par le résultat final des événements que par leurs causes antérieures, qu’il appartient à l’histoire de rechercher. En conséquence, contrairement à l’histoire qui doit restituer les événements dans l’ordre chronologique, pour distinguer les causes qui les précédent et les conséquences qui les suivent, la mémoire tend à inverser la chronologie en supposant que l’aboutissement final était prémédité à l’avance » (Op.cit., p 214). Ainsi la mémoire et l’histoire, qui en principe devraient tendre au même but, tendent spontanément à diverger et même à s’opposer. Et ce n’est pas seulement le cas de la mémoire algérienne.

En effet, c’est d’autant plus vrai que tous les groupes mémoriels, quelle que soit leur tendance politique, « coloniale » ou « anticoloniale », « ont un point commun : leur sélectivité, qui tend à refouler hors de la conscience des foules tous les faits non conformes à la production de l’effet psychologique désiré (communion dans la glorification des martyrs et/ou l’exécration des ennemis). Ce refoulement est ce qui oppose le plus nettement la démarche mémorielle à la démarche historique, puisque le but de cette dernière est de prendre en compte tous les éléments d’explication qui peuvent rendre un événement compréhensible » (Op.cit., p 377). Analyse qui doit néanmoins être complétée pour prendre en compte l’objectif de réhabilitation de victimes injustement oubliées ou condamnées, qui est également celui de ces groupes mémoriels.

Même s’ils n’ont pas nécessairement le même degré d’engagement militant, ils se constituent le plus souvent dans un logique implicitement ou explicitement judiciaire, faisant appel à la repentance des coupables, voire à la condamnation d’un « crime contre l’humanité », ou au jugement à venir du tribunal de l’histoire. Mais la démarche historique n’est pas une démarche judiciaire, puisqu’elle vise avant tout à reconnaître impartialement la vérité des faits passés, leurs causes et leurs conséquences. Si l’on veut à tout prix l’interpréter par référence aux institutions judiciaires, on peut la comparer à l’établissement des faits par un juge d’instruction, censé enquêter à charge et à décharge, mais pas au rôle des avocats de l’accusation ou de la défense, lesquels peuvent et doivent choisir parmi les faits ceux qui servent leur cause en oubliant ceux qui la desservent.

Les animateurs des différents groupes mémoriels ont intérêt à prendre conscience de ces différences fondamentales qui distinguent et souvent opposent l’histoire aux mémoires. Ils peuvent continuer à considérer les historiens comme des serviteurs ou comme des ennemis de la cause qu’ils défendent. Mais ils peuvent aussi reconnaître la liberté de jugement des historiens et tenir compte de leur point de vue de manière à éviter les conflits entre mémoire et histoire. Car en fin de compte, la mémoire n’a jamais raison contre l’histoire.

Guy Pervillé

[1] Merry et Serge Bromberger, Georgette Elgey, Jean-François Chauvel, Barricades et colonels, Paris, Fayard, 1960. André Euloge et Antoine Moulinier, L’envers des barricades. Vingt mois d’insurrection à Alger , Paris, Plon, 1960. Jean-André Faucher, Les barricades d’Alger, 24 janvier 1960, Editions Atlantic, 1960. Guy Ribeaud, Barricades pour un drapeau, Alger 24 janvier 1960, Paris, La Table ronde, 1960.

[2] Yves Courrière, La guerre d’Algérie, t. 3, L’heure des colonels, Paris, Fayard, 1970.

[3] Marc-Olivier Gavois, « Le bilan de la fusillade du 24 janvier 1960, naissance d’un mythe ? », Revue française d’histoire d’Outre-mer, 2000, n° 328-329, pp 267-276. Disponible sur le site Persée : https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_2000_num_87_328_3817 .

[4] Guy Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Paris, Vendémiaire, novembre 2018, 667 p.

[5] Op.cit., pp 124-125.

[6] Op.cit., pp 279-280.

[7] La même loi du talion était invoquée au même moment par les "contre-terroristes" européens mentionnés un peu plus loin.

[8] En fait, Francis Mézières mentionne à plus d’une reprise les violences du FLN-ALN et leurs victimes civiles, mais l’absence presque totale de citations et de références à des textes algériens les rend beaucoup moins visibles que ses mentions des violences commises du côté français.

[9] En réalité, les victimes du 1er novembre 1954 représentaient toutes les catégories de la population : 9 morts et trois blessés, militaires et civils, Français de France et d’Algérie et « Français musulmans ».

[10] Pierre Démaret, « Contre-terrorisme, la peine du talion », dans Historia-Magazine, La guerre d’Algérie. Paris, Librairie Jules Tallandier, 1977, pp 470-474.

[11] Mézières, p 109, citant G. Pervillé, « Le terrorisme urbain dans la guerre d’Algérie », in J.C. Jauffret et M. Vaïsse s. dir., Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, pp 447-467.

[12] Rapport du colonel Schoen à Robert Lacoste, cité par Yves Courrière, Le temps des léopards, Paris, Fayard, 1969, p 387, et par Francis Mézières, p 149.

[13] Mézières, p 110.

[14] Mézières, p 116.

[15] A cause des menaces de mort contre tous ceux qui participeraient à ces élections formulées dans un tract par le chef du FLN d’Alger, Ramdane Abane, elles furent ajournées sine die par le gouverneur général Jacques Soustelle.

[16] L’une des plus longues et la plus étonnante est manifestement hors-sujet. Partant du nom du village normand de Chambois, lieu de combats en août 1944, elle interpelle sévèrement sur près de deux pages (pp 846-848) le philosophe anarchiste Michel Onfray qui y réside, en lui donnant une leçon de patriotisme qui nous fournit la preuve que l’auteur n’est pas un antimilitariste.

[17] Auteur de plusieurs livres sur les harkis, mais aussi sur les sources d’archives : Les archives inédites de la politique algérienne, Paris, L’Harmattan, 2000, et Conflits d’autorité durant la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 2004.

[18] Le livre blanc de l’armée française en Algérie, dirigé par Michel de Jaeghere, in-4 carré, Editions Contretemps, 2001, 208 p.

[19] Critique citée d’après sa publication sans commentaire par le général Faivre sur son site personnel http://general-faivre.fr/spip.php ?article67.

[20] Jean-Charles Jauffret, Ces officiers qui ont dit non à la torture, Algérie 1954-1962, Paris, Autrement, 2005, 173 p.

[21] Jean-Pierre Cômes, « Ma » guerre d’Algérie et la torture. J’étais lieutenant dans les DOP. Paris, L’Harmattan, 2002, p 96.

[22] « Sortis très ébranlés de leur entretien avec le chef de l’Etat, Marc Lauriol député d’Alger-Banlieue, Pierre Portolano député de Bône et Mohamed Laradji député de Blida lui prêtent des propos qui ne font qu’accroître la crise provoquée par le rappel à Paris du général Massu. Cités dans de nombreux ouvrages, ces propos sont reproduits au conditionnel, non pour en contester la véracité mais seulement parce qu’aucun communiqué officiel ne permet d’en garantir l’authenticité ».

[23] Le gendarme Servières, assommé et torturé par trois réservistes des UT dans la cour intérieure d’un immeuble avant d’être libéré par l’intervention d’un autre homme qui le transporta au dehors (Mézières, t 2 pp 71-72).

[24] L’une de ces victimes civiles, Sygmund Ribicky faisant partie des tireurs insurgés, fut victime des tirs de ses camarades (p 102).

[25] CDHA, CAS - 965,5 GHE, 8509, Entretien avec Jean Ghenassia sur les barricades et le commando Alcazar, 60 minutes.

[26] Pierre Montagnon se montre pourtant beaucoup plus prudent que les autres auteurs dans les deux ouvrages cités par Francis Mézières (pp 272-273), La guerre d’Algérie, genèse et engrenage d’une tragédie, et surtout Histoire de la gendarmerie, où il écrit : « Qui a ouvert le feu le premier ? Il n’est de certitude absolue. L’origine d’Européens excités s’annonce la plus vraisemblable. Aux inconscients - pour ne pas dire aux fous et aux assassins - qui, sous couvert d’Algérie française, se sont, ce 24 janvier 1960, acharnés contre les gendarmes mobiles incombe une terrible responsabilité ».

[27] Roger Vétillard, Sétif, Guelma mai 1945, massacres en Algérie, Versailles, Editions de Paris, 2010 et 2011.

[28] Roger Vétillard, 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois, un tournant dans la guerre d’Algérie ? Paris, Riveneuve, 2012 et 2013.

[29] Roger Vétillard, Un tournant dans la guerre d’Algérie, Paris, Riveneuve, 2016 (p 176). Il s’agit d’une synthèse très provisoire faite à partir de deux témoignages et de plusieurs lectures.

[30] Un autre auteur dont l’honnêteté et la sincérité ne sont pas davantage contestables est allé encore plus loin dans un article publié en juin 2019 dans le n° 166 de L’Algérianiste : « Le 19 janvier 1960, le limogeage du général Massu, à la suite de la publication de l’interview qu’il avait donnée à un journaliste allemand, entraîne une violente manifestation des Algérois ; leur dispersion par la gendarmerie fait 22 morts » (Georges-Pierre Hourant, « Le particularisme des Français d’Algérie de 1830 à nos jours » , L’Algérianiste, n° cité., p 93).

[31] Nom donné à l’unité militaire dans laquelle purent s’enrôler provisoirement les émeutiers après leur reddition. Le nom évoque les cadets de l’Alcazar de Tolède assiégés par les Républicains espagnols en juillet 1936, auxquels le Délégué général Delouvrier les avait comparés dans son allocution du 28 janvier 1960.

[32] Jean-Claude Pérez continue, en pensant au FLN et non plus aux gendarmes mobiles : « Les gens d’en face sont des égorgeurs, des violeurs, des barbares sanguinaires. Ils sont fanatisés et appliquent la guerre révolutionnaire héritée de Carnot et de ses colonnes infernales » (p 445).

[33] Négociation secrète entre les chefs de la wilaya IV et le général de Gaulle, qui aboutit à un accord avant que le président lance un nouvel appel au GPRA le 14 juin 1960. Sur ce sujet et sur les événements de décembre 1960, consulter mon livre Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Paris, Vendémiaire 2018, pp 127-138, et pp 281-296.

[34] Guy Pervillé, « OAS, le terrorisme du désespoir », in Guerre et histoire, Algérie 1954-1962, la dernière guerre des Français, 2004, pp 94-100. Voir sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=160.

[35] Benoît Haberbusch, « La gendarmerie face à l’insurrection de Bab-el-Oued en mars 1962 », Revue historique des armées, n ° 268, 2012.

[36] Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2000, pp 104-105, et Une ténébreuse affaire : la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, l’Harmattan, 2009, pp 23-25.

[37] Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey, Un crime sans assassins, Alger, 26 mars 1962, Editions Confrérie Castille, 1994.

[38] Yves Courrière, Les feux du désespoir , Paris, Fayard, 1971.

[39] Jean Monneret, op. cit., pp 82 et 99.

[40] Jean-Pierre Cômes, « Ma » guerre d’Algérie et la torture. J’étais lieutenant dans les DOP. Paris, L’Harmattan, 2002, pp 195-196.

[41] La validité de cet argument est mise en doute par Jean Monneret dans sa thèse, La phase finale de la guerre d’Algérie, p. 87 : « Les officiers ayant commandé le service d’ordre comme les troupiers interrogés sont très affirmatifs. On leur a tiré dessus, avenue Pasteur, rue Lelluch, boulevard Bugeaud, rue d’Isly, rue Richelieu, au carrefour de l’Agha, etc ». Sans nier tout en bloc, il pense que l’écho répercuté par les façades dans les rues a pu tromper des témoins sincères.

[42] Le capitaine Gilet, en réserve dans la rue Bedeau avec cinq sections, avait reçu l’ordre de se projeter avec une section par la rue Chanzy vers la rue d’Isly et d’interdire la progression des manifestants vers la place d’Isly et le quartier de Bab-el-Oued.

[43] Jean Monneret, La phase finale de la guerre d ‘Algérie, op. cit , pp 88-91.

[44] Jean Monneret, Une ténébreuse affaire : la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, Paris, L’Harmattan, 2009, pp 63-71.

[45] Jean Monneret, Op. cit., p 98.

[46] Jean Monneret, dans son livre paru en 2009, met en évidence l’existence d’une différence d’interprétation entre l’ordre donné par le général en chef Ailleret, excluant l’emploi des tirailleurs au maintien de l’ordre à Alger, et ceux donnés par le chef du corps d’armée d’Alger et son état-major, qui l’ont ordonné et mis en oeuvre.

[47] Cité par le colonel Ruze et par Jean Monneret dans son livre de 2009, p 103. Selon le secrétaire général du gouvernement Roger Belin, De Gaulle déclara au Conseil des ministres du 6 avril 1962 : « Si on avait tiré au moment des barricades, il n’y aurait jamais eu d’OAS » (Roger Belin, Lorsqu’une République chasse l’autre (1958-1962). Souvenirs d’un témoin. Paris, Michalon, 1999, p 143). Confirmé par les notes du porte-parole du gouvernement Louis Terrenoire, De Gaulle en conseil des ministres, février 1960-avril 1962, 50570 Marigny, Editions Eurocible, 2019, p 509.

[48] Roger Le Doussal, Commissaire de police en Algérie (1952-1962). Une grenouille dans son puits ne voit qu’un coin du ciel, Paris, Riveneuve, 2011, pp 818-819.

[49] Article publié dans le n° 440 (décembre 2017) de la revue Historiens et géographes, et sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=422 .

[50] Mail de Jacques Frémeaux reçu le 24 avril 2019. Francis Mézières répond que l’autopsie n’aurait pas permis de le savoir, puisque les projectiles, tirés de très près et à très grande vitesse, avaient traversé les corps, et que les 11 tirs de riposte des gendarmes mobiles étaient dirigés vers les étages et les terrasses.

[51] Mail de Jacques Frémeaux reçu le 26 avril 2019.

[52] Jean-Jacques Jordi, Un silence d’Etat, les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Paris, SOTECA, 2011, 200 p. Voir mon compte rendu sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=265 .

[53] Guy Pervillé, Oran, 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre, Paris, Vendémiaire, 2014, 315 p (voir notamment l’essai de conclusion, pp 243-262).

[54] Dans son livre cité, Un silence d’Etat , pp 63-97. Cf. mon analyse de ce qu’il apporte dans Oran, 5 juillet 1962, pp 220-237.

[55] Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2000 (voir pp 243-277).

[56] La tragédie dissimulée, Oran, 5 juillet 1962, Paris, Michalon, 2006, 190 p (voir pp 99-100 et 175-179).

[57] Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, Paris, L’Harmattan, 2000, 431 p.

[58] Op.cit., pp 300-301. Pour plus de précisions, voir sur mon site : « A propos du film Oran, un massacre oublié » (2019), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=437 .

[59] Pétition internationale, 5 juillet 1962 à Oran, Algérie. ,http://oran5juillet1962.blogspot.fr/2013/09/petition-5-juillet-1962-oran-algerie, et http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/a-tous-les-citoyens-du-monde-et-aux-ong-des-droits-de-l-homme-qu-ils-nous-apportent-leur-soutien-en-signant-2.

[60] Ces attentats et bombardements sont attestés non seulement par le général Katz et par des témoins algériens, mais aussi par les tracts de l’OAS d’Oran rassemblés en 2004 par Guy Pujante, et par les mémoires de Claude Micheletti, Fors l’honneur, la guérilla OAS à Oran en 1961/1962, Editions Jean-Louis Pons, 2003. Voir sur mon site ma mise au point, « A propos de l’OAS d’Oran : réponse à un lecteur oranais » (2014), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=341.

[61] Charles-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1952, 1953 et 1972, p 264.

[62] Charles-Robert Ageron, « Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d’histoire », Nanterre, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 39-40, juillet-décembre 1995, pp 52-56.

[63] Mohammed Harbi, Aux origines du FLN, le populisme révolutionnaire en Algérie. Paris, Christian Bourgois, 1975, pp 21, 110-111 et 178 (note 68).

[64] Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord Constantinois, Paris, Editions La Découverte, 2002, p 238.

[65] Interview de Mohammed Harbi, « La guerre d’Algérie a commencé à Sétif », 19 avril 2015, Fédération des travailleurs des industries du Livre du Papier et de la Communication CGT , http://www.filpac-cgt.fr/spip.php ?article9779.

[66] Redouane Aïnad-Tabet, Le mouvement du 8 mai 1945 en Algérie, 2ème édition, Alger, OFUP, 1987, pp 9-10.

[67] « Ni la fitna, ni le fer, ni le feu n’ont dompté notre peuple », message du Président de la République au président de la Fondation du 8 mai 1945, in El Moudjahid, mercredi 9 mai 2001, p. 5.

[68] Roger Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie, Versailles, Editions de Paris, 2ème édition 2011, p 53.

[69] Jean-Louis Planche,Sétif 1945, histoire d’un massacre annoncé. Paris, Perrin, 2006, p 141.

[70] Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t 1, Le guêpier, Paris, Robert Laffont, 1969, pp 30-31 et 36-37.

[71] Selon Roger Vétillard, 109 morts et 245 blessés, ainsi que 14 morts et 20 blessés parmi les militaires.

[72] L’écart entre les estimations de Roger Vétillard et de Jean-Louis Planche est de 1 à 5.

[73] Voir sur mon site ma réponse à Yasmina Addi (2010) (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=251 )

[74] Voir sur mon site ma réponse à Thierry Leclère (2010) (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=256 ).

[75] Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962 . Sous la direction de Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault. Postface de Gilbert Meynier et Tahar Khalfoune. Paris, La Découverte, et Alger, Barzakh, 2012, 717 p. Voir le compte rendu dans Outre-mers, revue d’histoire, 2ème semestre 2017, et sur mon site, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=419.

[76] Photos reproduites dans la thèse de Dalila Aït-el-Djoudi, Images des combattants français vus par l’ALN, 1954-1962, l’exemple de la wilaya III, sous la direction de Jean-Charles Jauffret, Université de Montpellier III, 2004 (p 674).

[77] Voir mon compte rendu, « A propos d’un livre de Claire Mauss-Copeaux », Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=278.

[78] Roger Vétillard, Le 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Un tournant dans la guerre d’Algérie ? Paris, Editions Riveneuve, 2ème édition 2013, p 270.

[79] Texte publié en annexe de l’ouvrage collectif dirigé par Henri Alleg, La guerre d’Algérie, Paris, Temps actuels, 1981, t 3, p 531.

[80] Selon Jean-Louis Planche, « De la solidarité militante à l’affrontement armé, MNA et FLN à Alger, 1954-1955 », in Militaires et guérillas dans la guerre d’Algérie, ouvrage dirigé par Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Bruxelles, Complexe, 2001, pp 224-225.



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