A propos des 3.024 disparus de la bataille d’Alger : réalité ou mythe ? (2004)

mardi 22 avril 2008.
 
Ce texte est la rédaction tardive d’un exposé que j’ai prononcé le 13 janvier 2004 devant le groupe de recherche "Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XIXème siècle", dirigé par Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche à l’Institut d’histoire du temps présent.

J’ai vraiment découvert la guerre d’Algérie en dévorant dès leur publication les quatre volumes d’Yves Courrière, parus de 1968 à 1971, qui furent les premiers à raconter cette guerre à partir de sources empruntées aux témoins des deux camps. Mais à cette époque, mon enthousiasme n’avait d’égal que ma naïveté : je ne soupçonnais pas encore ce qu’était la critique historique, ni pourquoi il fallait la garder toujours en réserve, prête à l’emploi. Heureusement pour moi, j’ai eu très vite l’occasion de m’initier à sa nécessité, à travers un exemple particulièrement démonstratif : celui du bilan des pertes de la bataille d’Alger. Mais le plus troublant fut de découvrir, beaucoup plus tard, que cette expérience si précieuse n’avait pas été partagée par tous les historiens. C’est pourquoi je ressens aujourd’hui plus que jamais le besoin d’en rendre compte publiquement.

Le bilan de la bataille d’Alger : historique d’une controverse trop oubliée

Yves Courrière a raconté dans son deuxième volume, intitulé Le temps des léopards [1], la “bataille d’Alger” qui a opposé les parachutistes du général Massu à l’organisation FLN-ALN de la zone autonome d’Alger (ZAA). Utilisant le témoignage de l’ancien secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la police, Paul Teitgen, il a publié intégralement la lettre de démission adressée par celui-ci au Ministre résidant Robert Lacoste le 29 mars 1957 [2], ainsi qu’une photographie d’un document fourni par le même témoin et comptant 3.024 prisonniers “qui manquent” à la date du 2 avril 1957 ; mais Courrière parlait de 3.994 disparitions enregistrées par Teitgen à la date de sa lettre de démission quelques jours plus tôt. A l’époque, je n’ai eu aucun doute sur ce que je lisais.

Puis, en 1971, j’ai lu dans le livre du général Massu, La vraie bataille d’Alger, un bilan beaucoup plus modeste des pertes infligées par les “forces de l’ordre” aux “rebelles”. D’après le général, du 20 janvier au 31 mars 1957 (soit à peu près durant la période concernée par le document de Paul Teitgen), la Xème DP (division parachutiste) avait arrêté “1.827 fellaghas”, parmi lesquels “environ 200 ont perdu la vie dans l’exécution de leurs missions, au cours de combats corps-à-corps, de poursuites, d’évasions, d’accidents divers” [3]. Plus loin, d’après une note du cabinet du préfet d’Alger datée du début d’avril, “le nombre des arrestations opérées (...) de janvier à mars, s’établit aux alentours de 3000, chiffre très modeste” ; et un peu plus loin : “Au 1er avril, la liste des assignés à résidence portait 2.375 noms, parmi lesquels 400 environ ont été relâchés à l’occasion du Ramadan” [4]. Plus loin encore, le général propose un bilan des neuf premiers mois : “Yacef Saadi a perdu moins d’un millier d’hommes - très probablement le nombre relativement faible de 300 tués - dans l’organisation terroriste de la Zone autonome d’Alger” [5]. Les nombres cités par lui étaient à première vue beaucoup plus faibles que ceux mentionnés par Paul Teitgen et Yves Courrière.

Enfin, j’ai lu en 1972 le premier tome des Mémoires annoncés par l’ex-colonel Godard, ancien chef d’état major de la Xème DP du général Massu, et chargé par celui-ci de diriger la deuxième phase de la bataille d’Alger à partir de la nouvelle offensive terroriste de juin 1957. Décédé prématurément, il n’a eu que le temps d’en publier le tome 1, correspondant à la première phase de cette bataille (janvier-mai 1957), sous le titre Les paras dans la ville  [6]. Sa lecture n’en était pas moins troublante. En effet, il réfutait les affirmations de Paul Teitgen, telles que les avaient formulées Yves Courrière, en procédant à une lecture attentive du document publié par ce dernier. Ce document ne portait pas de titre, à moins que la ligne supérieure ait été coupée pour des raisons de mise en page, mais on pouvait supposer très vraisemblement qu’il s’agissait d’un bilan des entrées et des sorties du camp de Beni Messous, où étaient détenues les personnes arrêtées par les forces de l’ordre en attendant qu’il soit statué sur leur sort. Le tableau comportait à gauche la colonne des entrées dans ce camp (à partir du 28 janvier 1957), puis trois colonnes correspondant aux sorties, à savoir celles des libérés, des départs sur Paul Cazelles (camp d’internement situé sur les hauts plateaux du Sud algérois), et des “individus remis aux autorités militaites ou de police”, et enfin à droite l’effectif total constaté dans le camp. Le document reproduit sur une seule page était en réalité un montage de deux feuilles, mais on lisait très clairement, écrit à la main en bas de la première feuille à gauche, le total des entrées entre le 28 janvier et le 5 mars 1957 (2.295), et le bas de la deuxième page du 28 mars au 4 avril, avec la récapitulation du total des entrées (811 dans la deuxième page, s’ajoutant aux 2.295 de la première, soit 3.106). Plus à droite, on lisait les totaux des autres colonnes, à savoir 1.112 libérés, 1.829 transférés vers Paul Cazelles, et 83 “remis aux autorités militaires ou de police”. Encore plus bas se lisait, entouré, le nombre : “3.024 (qui manquent)”. La mention entre parenthèses, et soulignée, était évidemment inquiétante, mais elle correspondait mathématiquement au total des sorties (1.112 + 1.829 + 83 = 3.024). Ainsi le document ne prouvait rien d’autre que l’impossibilité de garder tous les détenus dans le camp de Beni Messous. Cette réfutation apparemment convaincante m’a profondément troublé.

J’ai donc saisi l’occasion d’un débat sur la bataille d’Alger organisé le 6 février 1973 à l’Ecole normale supérieure par un groupe d’élèves récemment agrégés d’histoire [7], et mettant face à face Paul Teitgen et le colonel Trinquier (ancien subordonné du général Massu), pour essayer d’en avoir le coeur net. Ce débat a été minutieusement préparé par les membres du groupe avant la séance plénière, et j’ai présidé celle-ci afin de pouvoir poser les questions qui me semblaient les plus importantes. J’attendais beaucoup de ce débat, mais j’ai été déçu par son résultat. A trois reprises, j’ai interrogé Paul Teitgen sur la signification du document qu’il avait remis à Yves Courrière et sur la valeur de l’interprétation d’Yves Godard. Paul Teitgen a répondu à ma première question dès le début de son intervention, portant sur son arrivée à Alger le 13 août 1956 : “A mon arrivée, à 10 heures du soir, j’apprends que c’est pour la police pour les 5 départements de la région d’Alger ; j’insiste sur ce point, parce que les propos et les chiffres que j’ai annoncés plus tard ne concernent pas seulement, comme on l’a cru, la ville d’Alger..” [8] Plus loin, il est revenu sur ce sujet : “Le colonel Godard a écrit un livre où il reprend le papier que j’avais remis à Yves Courrière, et qui était un bilan au moment où je m’en suis allé. Il en ressort 3.024 disparus. Le colonel Godard fait une analyse critique du document, d’où il apparaîtrait qu’il y a en fait 200 rationnaires de trop. Je précise que le chiffre de 3.024 porte non pas sur deux mois de la bataille d’Alger, mais comptabilise les disparus jusqu’au 1er septembre 1957, date à laquelle j’ai quitté mes fonctions. J’ai démissionné au mois d’avril. On m’a supplié de rester. J’avais dit de grosses choses dans ma lettre de démission, je parlais, je crois, de crimes de guerre. Rien ne s’est amélioré, au contraire, et, écoeuré, je suis parti [9].” Enfin, au terme du débat, j’ai demandé : “Quel est, Monsieur Teitgen, l’essentiel du bilan que l’on peut établir de la bataille d’Alger ?” - Réponse de Paul Teitgen : “Près de 24.000 personnes arrêtées, du moins autant que nous étions renseignés”. - Réponse du colonel Trinquier : “Excusez-moi d’intervenir. Il y avait dans l’organisation FLN 7.500 personnes. Mais sitôt qu’on arrêtait quelqu’un, il était remplacé. Pour démolir un poste, il fallait parfois arrêter 3 ou 4 personnes successivement.” Je reprends alors plus directement : “Dans son livre, le général Massu fait état de 1.000 morts tout au plus, et peut-être 300 seulement ...” Le colonel Trinquier répond que “la bataille d’Alger aurait pu être plus sanglante”, mais qu’elle ne l’a pas été, contrairement aux méthodes employées par le pouvoir gaulliste contre les Algérois en 1962. Et Paul Teitgen réplique : “Votre système a été efficace, mais cette bataille ne débouchait sur aucun projet politique” [10].

En fin de compte, j’ai été très déçu parce que, si Paul Teigen semblait bien au courant de l’existence de la critique d’Yves Godard, il ne lui avait fourni aucune réponse globalement cohérente. J’ai tenté une dernière fois, off the record, d’obtenir de lui une réponse plus claire, mais il s’est contenté de se démarquer de la version d’Yves Courrière en me répondant, si j’ai bonne mémoire, “Il n’a rien compris !” Pour ma part, j’en ai conclu que la réfutation d’Yves Godard n’avait pas été réfutée sur l’essentiel, et restait donc valable, comme je l’ai écrit dans mon premier article sur l’historiographie de la guerre d’Algérie publié dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord 1976 [11]. Mais je regrette de ne pas avoir insisté davantage en écrivant à Paul Teitgen pour lui faire part de mon insatisfaction persistante. Avait-il vraiment lu la réfutation d’Yves Godard ? Je n’en suis plus si sûr. En tout cas, ce fut pour moi l’occasion inattendue de faire mon apprentissage de la méthode historique.

L’apprentissage de la méthode historique (suite)

Par la suite, je n’ai plus écrit sur ce sujet pendant près d’un quart de siècle, parce que l’affaire me semblait malgré tout assez claire, bien que j’aie été assez surpris de voir Pierre Vidal-Naquet (qui avait assisté au débat du 6 février 1973) ne pas en tirer la même conclusion que moi [12]. Mais à partir de 1997, j’ai jugé utile de marteler le clou, parce que je commençais à me demander si cette affaire était aussi connue qu’elle aurait dû l’être. J’ai donc rappelé le manque de fiabilité du bilan de la bataille d’Alger souvent cité comme incontestable, d’abord dans L’Histoire [13] en 1997, puis dans Alger 1940-1962, une ville en guerres, en 1999 [14], et enfin lors du colloque La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire en novembre 2002 [15]. Mais à ma grande surprise, j’ai enregistré des réactions négatives de mes aînés Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier. Ce dernier publia notamment en 2002 dans son grand livre Histoire intérieure du FLN, un passage où il reprenait sans aucune distance critique la version du premier, accompagnée d’une note : “Entretien avec Pierre Vidal-Naquet ; pour Vidal-Naquet, ces 3.024 personnes ne sont en aucun cas les assignés à résidence au camp de Beni-Messous qui auraient seulement quitté ce camp comme veut le croire et le faire croire Guy Pervillé (“1954-1958 : les batailles d’Alger” : Alger 1954-1962, op. cit., p. 146). Pervillé omet de dire que, dans le document qu’il cite, les 3.024 comptabilisés sont ceux “qui manquent” (mention manuscrite soulignée dans le document reproduit par COURRIERE Yves, La guerre d’Algérie, le temps des léopards, Fayard, 1969, p. 289). Courrière parle, lui, de “3.994” disparitions (p. 517). Paul Aussaresses (Services spéciaux, Perrin, 2001), l’a tout récemment confirmé lors de son procès. Cf. tous les livres de P. Vidal-Naquet sur le sujet cités supra.” [16]

La lecture de cette note m’a profondément surpris et quelque peu choqué, parce que Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier semblaient considérer la parole de Paul Teitgen (mort en 1991) comme une preuve suffisante, sans chercher à vérifier ou à démentir la réfutation d’Yves Godard dont ils ne parlaient même pas, comme si elle n’avait jamais existé ou s’ils n’en avaient jamais entendu parler. Et pourtant, l’identification du document par celui-ci à un état des entrées et sorties du camp de Beni Messous était plus que vraisemblable. L’ouverture de ce camp à la date du 28 janvier 1957, sous la responsabilité du commissaire Ceccaldi-Raynaud, est un fait clairement attesté par le général Massu [17] et par le colonel Trinquier [18]. Y avait-il au moins des faits nouveaux dans des témoignages ou documents récemment révélés ? Celui de Paul Aussaresses ne me semble pas indiscutable : s’il accepte le nombre de 3.024 disparitions sans aucune gêne, est-ce pour autant une preuve suffisante de sa part ? Dans son livre, il explique tout simplement que la colonne “libérés” signifiait “liquidés” [19], mais n’est-ce pas un camouflage beaucoup trop simple pour être vrai ? Et même si cela était vrai, cela ne ferait que 1.112 disparus sur les 3.024 prétendus. L’ancien directeur du centre d’internement de Beni Messous, le commissaire de police socialiste Charles Ceccaldi-Raynaud, a reconnu avoir libéré des internés non recensés en surnombre, mais cela ne prouve pas leur disparition [20]. Paul Teitgen lui-même a cité les convois vers Paul Cazelles et est allé y voir les assignés, comme il l’a indiqué dans sa lettre de démission du 29 mars 1957 et dans son rapport du 1er septembre 1957 [21].

Il y a néanmoins des éléments nouveaux qui méritent examen dans les thèses récentes de Sylvie Thénault et de Raphaëlle Branche. La première cite la rapide augmentation des effectifs de détenus dans les centres de transit et de tri, enregistrés à partir d’août 1957 par l’armée de terre, et conclut : “C’est dans ce contexte que des disparitions massives ont pu se produire. Paul Teitgen en a dénombré 3.024, sur les 24.000 dossiers d’assignation à résidence qu’il a établis” [22]. Elle ajoute en note : “Cf. Pierre VIDAL-NAQUET, La raison d’Etat, Minuit, Paris, 1962, p. 200. Yves Courrière qui parle de 3.994 disparitions à la fin du mois de mars 1957, au moment où Paul Teitgen donne sa démission à Robert Lacoste, démission refusée, commet deux erreurs. Paul Teitgen a toujours cité fidèlement le nombre de 3.024 disparus et il n’a jamais dit que des disparus correspondaient au seul premier trimestre de l’année 1957. Cf. Le temps des léopards, Fayard, Paris, 1976, p. 421. [23]” Plus loin, elle évoque l’action du procureur général d’Alger Jean Reliquet pour contrôler les arrestations et leurs suites. Utilisant la presse, il en a compté 3.000 du 14 février au 15 mars 1957, parmi lesquels 39 personnes ont été présentés au Parquet, 75 écroués, et 48 “suspects” abattus. Les autres ont été vraisemblablement assignés à résidence, mais on note “de plus en plus fréquentes, et souvent inexpliquées, les disparitions de personnes appréhendées par les forces de l’ordre”. A l’appui de ses dires, le procureur reprend l’estimation que lui a communiquée Paul Teitgen à la fin de l’année 1957 : “ En les évaluant à 3.000, je ne suis pas en dessus de la vérité” [24]. Cette information est nouvelle et d’une importance capitale, car c’est la première mention d’une estimation des disparitions par Paul Teitgen proche de celle qu’il a toujours soutenue par la suite.

Quant à Raphaëlle Branche, elle a présenté dans sa thèse un chapitre entier sur la bataille d’Alger. On y trouve notamment cité un rapport de Paul Teitgen qui “estime à 2.200 le nombre de personnes détenues par les parachutistes au début d’avril 1957”, au moment même où il est censé avoir recensé 3.018 disparitions suivant le document reproduit par Yves Courrière [25]. Et surtout une insistance sur l’arrêté du 11 avril 1957 qui a enfin légalisé l’existence des centres de transit et de tri (CTT), et provoqué une forte augmentation du nombre d’assignations à residence [26]. Elle donne comme bilan final un total de 24.000 arrêtés d’assignation à résidence signés par Paul Teitgen, dont 13.000 ont été suivis d’un dossier d’assignation en centre d’hébergement, “et 3.024 ont correspondu en fait à des disparitions” [27] ; nombres confirmés par le rapport déjà cité du procureur général Reliquet au Garde des Sceaux le 18 décembre 1957.

Mais ne faut-il pas distinguer clairement les 3.000 disparus signalés par Paul Teitgen et par Jean Reliquet tout à la fin de 1957 (et apparemment dans le cadre des cinq départements de la grande région algéroise) et les 3.024 personnes ayant été arrêtées à Alger entre le 28 janvier et le 2 avril 1957, au lieu de continuer à prétendre contre toute vraisemblance que ces 3.024 arrestations en un peu plus de deux mois suffisent à prouver le même nombre de disparitions en un an ? Au terme de cette étude, il me paraît évident que le document reproduit par Yves Courrière ne peut pas être la preuve de ce qu’il est censé prouver. Si donc le fait allégué est vrai, il convient de lui rechercher enfin une démonstration qui tienne debout. En tout cas, un historien ne doit pas admettre l’argument d’autorité, ni faire une confiance aveugle aux “bons” témoins et rejeter les autres sans les écouter.

J’ai prononcé cet exposé le 13 janvier 2004 à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) devant le groupe de recherche “Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial”, et je remercie tous ceux qui m’ont écouté et m’ont donné l’impression que mes arguments avaient porté, notamment ses responsables Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche. Le débat qui a suivi mon exposé ne m’a pas déçu. Il a été marqué par la participation d’Emmanuelle Chartier, petite-fille de Paul Teitgen, qui consacre ses recherches historiques à son grand-père [28]. Celle-ci a confirmé qu’il n’avait pu emporter ni conserver presque aucun document relevant de son activité à Alger, parce qu’après avoir changé de poste au Gouvernement général après sa démission en septembre 1957, il avait été brutalement expulsé par les militaires après le coup d’Etat du 13 mai 1958. Le document remis par celui-ci à Yves Courrière était le seul qui lui restât, et il est d’autant plus regrettable que toutes les tentatives de le réclamer au célèbre journaliste soient restées sans résultat. Ces informations très précieuses ne font que renforcer ma conclusion.

Guy Pervillé

PS : Un fait nouveau très important a été révélé par le livre de François Malye et Benjamin Stora, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, octobre 2010. A la page 239, il est question d’une discussion orageuse le 2 avril 1957, à la Commission de la justice de l’Assemblée nationale, entre le ministre de la Justice François Mitterrand et le ministre de l’Algérie Robert Lacoste. Le premier nommé jette de l’huile sur le feu "en évoquant devant les parlementaires le chiffre des disparus de la bataille d’Alger. C’est Robert Lacoste, furieux, qui le soir même l’apprend à Jean Reliquet lors d’une conversation téléphonique. Celui-ci écrit également dans son journal que les deux hommes se seraient accrochés sur ce chiffre lors de l’un des Conseils des ministres : "Mon procureur général signale la disparition de 900 musulmans", dit froidement François Mitterrand. Robert Lacoste, fou de rage, lui répond : "Votre procureur général n’y connaît rien ! Ce ne sont pas 900 personnes qui ont disparu, mais 3000 !" François Mitterrand ajuste le tir : "Cela prouve que M. Reliquet n’est pas porté à l’exagération." Cela prouve aussi que l’estimation le plus souvent citée du bilan de la bataille d’Alger ne vient pas de ses informations, et qu’il faudrait savoir si le bilan cité par le ministre résidant en Algérie dans un accès de colère concernait seulement Alger, ou toute l’Algérie. L’enquête doit donc être reprise à zéro.

[1] Yves Courrière, Le temps des léopards, Fayard, 1969, pp. 515-517 et photographie hors-texte à gauche de la p. 289.

[2] Lettre rendue publique au procès du réseau Jeanson, publiée par Vérité-Liberté dès novembre 1960 et par Charlotte Delbo, Les belles lettres, 1961, p. 80, selon Pierre Vidal-Naquet, La raison d’Etat, réédition La découverte 2002, p. 194 et Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001, p. 123 note 2.

[3] Jacques Massu, La vraie bataille d’Alger, Plon, 1971, p. 173.

[4] Ibid., p. 257.

[5] Ibid., p. 324.

[6] Yves Godard, Les trois batailles d’Alger, t. 1, Les paras dans la ville, Fayard, 1972. Le t. 2 devait être consacré à la deuxième phase de la bataille (juin-octobre 1957), et le t. 3 au combat de l’OAS (1961-1962) dont l’ex-colonel Godard fut l’un des fondateurs.

[7] Notamment mes camarades Philippe Ratte et Laurent Theis, qui ont tiré de nos débats la matière d’un livre, La guerre d’Algérie, ou le temps des méprises, Mame, 1974. Mais l’idée de nos débats venait de l’architecte Paul Chaslin, alors président de la Maison pour tous du quartier Mouffetard, et ami de Paul Teitgen.

[8] Ecole normale supérieure, Séminaire d’histoire de la guerre d’Algérie, compte-rendu de la séance du mardi 6 février 1973 : “Autour de la bataille d’Alger”. Invités : M. Paul Teitgen, colonel Trinquier. Président de séance : Guy Pervillé (p. 1).

[9] Ibid., p. 17.

[10] Ibid., p. 22.

[11] Guy Pervillé, “Quinze ans d’historiographie de la guerre d’Algérie” (1962-1977), in Annuaire de l’Afrique du Nord 1976 (paru en 1978), pp. 1354-1355. Article disponible sur mon site.

[12] Voir Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, 1972, p. 52 note 20.

[13] “Terrorisme et torture, la bataille d’Alger de 1957”, L’Histoire n° 214, octobre 1997, pp. 70-77.

[14] Alger1940-1962, une ville en guerres, s. dir. Jean-Jacques Jordi et Guy Pervillé, Autrement, 1999 (voir pp. 145-146).

[15] Colloque dirigé par Anny Dayan-Rosenman et Lucette Valensi, publication en 2004 aux Editions Bouchène à Saint-Denis. Voir ma communication “La guerre d’Algérie revisitée : zones d’ombre, points aveugles”, pp. 225-233 ; et sur mon site (2002).

[16] Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002, p. 327 note 174.

[17] Massu, op. cit., pp. 90-91.

[18] Roger Trinquier, Le temps perdu, Albin Michel, 1978, pp. 240-241.

[19] Paul Aussaresses, Services spéciaux, Perrin, 2001, pp. 124-127. Cf. Frank Johannès, “Au premier jour de son procès, Paul Aussaresses endosse tous les crimes qu’il a ordonnés”, Le Monde, 28 novembre 2001.

[20] Charles Ceccaldi-Raynaud : “Même s’il s’en défend, le général Aussaresses cherche à metre en cause le pouvoir politique de l’époque”. Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde, 28 novembre 2001.

[21] Rapport reproduit par Pierre Vidal-Naquet dans la réédition de La raison d’Etat, 2002, pp. 195-210.

[22] Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001, p. 106.

[23] Ibid., note 19.

[24] Ibid., pp. 144-145. Je remercie très sincèrement Sylvie Thénault de m’avoir communiqué ses notes prises dans le dossier (sous dérogation) des archives contemporaines de Fontainebleau COTE 800543 AET 105 (rapports et lettres de Jean Reliquet datés du 18-12-1957 au 21-02-1958).

[25] Branche, op. cit., p. 120. Rappelons que Paul Teitgen parlait de près de 2.000 assignations à résidence dans sa lettre de démission du 29 mars.

[26] Branche, op. cit., p. 119. Elle cite (p. 141 note 2) une liste de disparus beaucoup plus limitée (131 cas) publiée en supplément de Témoignages et documents, n° 17, octobre 1959.

[27] Branche, op. cit., p. 144.

[28] Son mémoire de maîtrise, Paul Teitgen, un parcours dans le siècle, 1919-1991, s.dir. Robert Vandenbussche, Lille III, juin 1995, est cité par Raphaëlle Branche, op. cit., p. 121 note 1, et en bibliographie p. 457.



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