Plus de quarante ans après sa fin, et près de cinquante ans après son début, la guerre d’Algérie semble suffisamment éloignée de nous pour être devenue un événement appartenant de plein droit à l’histoire. Et pourtant, elle est encore le plus souvent considérée comme relevant d’un devoir de mémoire, ou de justice. Or ces trois perspectives ne sont pas identiques, et ne sont pas nécessairement convergentes.
Au début de 1992, je pensais comme l’historien Daniel Rivet « que le temps des colonies et l’épreuve de la décolonisation s’éloignent de nous irréversiblement et que les passions refroidissent inéluctablement. Aux historiens d’aujourd’hui, il appartient d’en tirer la conclusion qu’on est enfin sorti de la dialectique de la célébration et de la condamnation du fait colonial qui a si longtemps et si profondément biaisé l’écriture de son histoire » [1]. Pourtant, cette idée a été manifestement démentie par le cas particulier de l’Algérie. Bien loin de faire l’objet de débats scientifiques et sereins, la guerre d’Algérie a rejoint Vichy parmi les enjeux de mémoire les plus controversés, ces « passés qui ne passent pas » selon l’expression de Henry Rousso. Depuis quelques années, cette guerre est de plus en plus souvent évoquée en termes de devoir de mémoire, et fait l’objet de revendications de justice. Le devoir est d’honorer les victimes et de condamner les bourreaux, mais il n’existe pas de consensus général sur la liste des unes et des autres. Bien loin de consolider un recul historique propice au dépassionnement, l’approche morale et/ou politique prévalant aujourd’hui renforce l’actualité des enjeux d’un passé non dépassé. Les enseignants d’histoire, qui sont en même temps des éducateurs, se trouvent ainsi confrontés à une difficulté majeure : distinguer clairement dans leur tâche ce qui appartient à la mémoire, à la justice, et à l’histoire.
Le temps du devoir de mémoire
Le mot mémoire évoque des réalités différentes, qu’il convient de distinguer soigneusement.
La mémoire individuelle est une faculté psychique à base physiologique, qui perpétue dans l’esprit de chacun la conscience des situations qu’il a vécues et des émotions qu’il a ressenties. Cette faculté prend des formes différentes. La mémoire inexprimée est fragile, parce qu’elle peut être recouverte et enfouie par celle de faits plus récents, refoulée par des mécanismes de défense contre des émotions trop pénibles, et altérée ou détruite par le vieillissement de son support organique. C’est pourquoi la mémoire s’entretient en s’exprimant. Mais le désir d’exprimer sa mémoire est inégal et variable, suivant les caractères des individus et les âges de leur vie. Les mauvais souvenirs sont souvent refoulés par un réflexe défensif, ou découragent le témoignage par un sentiment d’incommunicabilité. Mais dans d’autres cas, au contraire, le désir de transmettre sa mémoire aux générations futures prend le dessus, et il est souvent renforcé par l’âge, qui donne plus de loisirs et accroît le sentiment d’urgence. L mémoire mise en forme de discours et transmise à autrui est moins fragile, surtout si elle est conservée sur un support matériel (écriture, ou enregistrement) ; mais elle peut être plus ou moins modifiée par le souci d’adaptation à la compréhension ou à la sensibilité de ses destinataires, et par la prise en compte d’autres mémoires individuelles ou collectives.
La mémoire collective n’est pas la simple somme de plusieurs mémoires individuelles, mais une construction plus ou moins consciente et volontaire, qui résulte de leur mise en communication. Cette construction accentue leurs points communs au détriment des singularités de chacune. Ainsi se forment une ou plusieurs mémoires collectives, qui identifient et unifient des groupes dont les membres se reconnaissent en elles. Ces groupes tendent à transmettre leur mémoire et à la diffuser dans la société, ce qui les conduit à rivaliser entre eux pour se faire entendre. L’Etat s’est donné la mission de construire une mémoire nationale officielle (notamment par l’enseignement de l’histoire nationale dans l’école publique, et par des cérémonies commémoratives), mais ce droit ne lui a jamais été unanimement reconnu. Depuis la fin des années 1960, tout particulièrement, le bien fondé de la notion de mémoire nationale officielle est âprement contesté, et l’on assiste à une concurrence effrénée entre diverses mémoires (de partis politiques, de classes sociales, de générations, de genres, de régions, de villes, etc...). C’est une des raisons pour lesquelles il n’existe pas de mémoire nationale officielle de la guerre d’Algérie, contrairement à celle des deux guerres mondiales, mais ce n’est pas la seule.
En effet, la République française a organisé la commémoration de la Première guerre mondiale parce qu’elle a vu très tôt dans l’entretien de la mémoire d’une grande épreuve supportée en commun sans défaillance majeure un bon moyen de consolider l’unité nationale. De même, elle a jugé bon de commémorer la Résistance à l’occupation allemande pour légitimer les régimes qui en ont tiré leur origine (IVème et Vème République), et pour rassembler les Français momentanément divisés par la dictature de Vichy en les identifiant à la dite Résistance (au prix d’une minimisation des aspects les moins glorieux de cette époque). Au contraire, la guerre d’Algérie a si profondément déchiré la communauté nationale qu’il n’a pas été possible de reconstituer une mémoire nationale consensuelle. La mémoire collective est éclatée entre, au moins, trois tendances divergentes : les partisans de l’Algérie française, ceux de l’indépendance de l’Algérie, et la majorité silencieuse de ceux qui ont évolué de la première à la deuxième position (à l’instar du général de Gaulle) tout en restant troublés par des sentiments confus et contradictoires. C’est pourquoi la guerre d’Algérie est longtemps restée une guerre sans nom (le mot « guerre » étant remplacé dans son cas par « opérations de maintien de l’ordre »), sans signification consensuelle et sans commémoration officielle. La commémoration du 19 mars 1962 comme fin de la guerre d’Algérie, organisée depuis 1963 par une grande association d’Anciens combattants en Afrique du Nord, la FNACA, et par un nombre croissant de municipalités, provoque chaque année de véhémentes protestations d’autres associations d’Anciens combattants et de rapatriés français et français musulmans d’Algérie, pour lesquels cette date rappelle une défaite, et le début de la pire période de la guerre. Comme l’a écrit l’historien Robert Frank, « Les partisans du 8 mai [1945] fêtent au moins une victoire qui donne un sens à leur guerre. Ceux du 19 mars veulent une célébration qui fasse remarquer que la guerre d’Algérie n’en avait pas. Une guerre sans cause est une guerre sans message, et la commémoration d’une guerre sans message ne peut se transformer en véritable commémoration. Les survivants peuvent célébrer le fait de n’être point mort pour rien. Mais en honorant la mémoire de leurs camarades tués, ils posent implicitement l’affreuse question, la plus taboue par définition : pour quoi sont-ils morts ? La guerre n’a duré que pour rendre plus vain leur sacrifice. C’est parce que cette question est au fond insoutenable que cette guerre est incommémorable » [2].
Les gouvernements de la Vème République ont longtemps cru pouvoir guérir les troubles de la mémoire nationale par une politique de l’oubli, traduite par une série de décrets et de lois d’amnistie [3] échelonnés de 1962 à 1982. Mais la contradiction entre cette politique de l’oubli et celle de la mémoire, réservée aux deux guerres mondiales, est devenue de plus en plus insupportable. Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont admis la nécessité de reconnaître et de commémorer la « guerre d’Algérie ». L’officialisation de cette expression par la loi du 18 octobre 1999 a été votée à l’unanimité par les deux assemblées. Au contraire, le choix d’une date de commémoration officielle a profondément divisé les milieux politiques. Le choix du 19 mars, voté le 2 janvier 2002 par la majorité de gauche de l’Assemblée nationale (et par quelques membres des partis de l’opposition) a été remis en cause par la nouvelle majorité de droite après les élections. Le décret du 23 septembre 2003, fixant la commémoration officielle au 5 décembre [4] n’a pas rallié les partisans du 19 mars. Quoi qu’il en soit de la date, le plus difficile reste à faire : s’entendre sur le message que cette commémoration devra transmettre aux générations futures. La difficulté est en effet de donner un sens positif à une guerre qui n’en a pas [5].
En Algérie, au contraire, la « guerre de libération » fait l’objet d’une commémoration officielle et obsessionnelle, systématiquement organisée depuis le début des années 1970, parce qu’elle est un enjeu politique majeur, en tant que source de légitimité de l’Etat, du régime et de ses dirigeants. Commémoration justifiée par le grand nombre des Algériens qui sont morts pour l’indépendance de leur patrie, mais inquiétante par sa subordination aux intérêts du parti au pouvoir, et par la perpétuation d’une propagande anti-française exagérée ou mensongère. La libéralisation du régime par la Constitution de février 1989 n’a pas mis fin à l’existence d’une mémoire officielle, la seule autorisée à s’exprimer. Celle-ci est pourtant de plus en plus remise en cause par une partie de la jeunesse, mais l’acuité des luttes pour le pouvoir depuis 1992 fait qu’aucune force politique ne peut et ne veut prendre le risque d’y renoncer. C’est pourquoi le président Bouteflika, lors de sa visite à Paris en juin 2000, a demandé à la France une déclaration de repentance pour tous les crimes commis en son nom en Algérie de 1830 à 1962 [6].
Cette demande algérienne a exploité une évolution de la politique commémorative française particulièrement évidente dans le cas de la Deuxième guerre mondiale : la tendance à passer d’une commémoration positive, donnant en modèle à la jeunesse le sacrifice volontairement assumé des héros et des martyrs, à une commémoration négative, dénonçant des crimes, condamnant la cruauté des bourreaux et la lâcheté de leurs complices, appelant à la compassion pour leurs victimes innocentes et au remords de ne pas les avoir sauvées. Dans cette dernière perspective, la mémoire est conçue plus que jamais comme un devoir moral : oublier les victimes reviendrait à les tuer une deuxième fois et à les confondre avec leurs bourreaux dans la même indifférence. C’est pourquoi les survivants ont le devoir d’entretenir leur mémoire et de la transmettre à leurs descendants.
Le temps de la justice
Le devoir de justice est une conséquence logique du devoir de mémoire envers les victimes ainsi défini. Il dérive de la criminilisation de la guerre injuste et de ses conséquences, ébauchée par les traités de paix de 1919, et parachevée par les vainqueurs de la Deuxième guerre mondiale. En effet, le tribunal interallié de Nuremberg a décidé de juger les responsables de l’Allemagne nazie pour trois chefs d’accusation : crimes contre la paix (agressions contraires aux règles du « jus ad bellum »), crimes de guerre (violations du « jus in bello »), et crimes contre l’humanité (crimes de masse motivés par l’idéologie raciste nazie, sans rapport avec la situation de guerre). L’horreur particulière des deux dernières catégories de crimes a inspiré plusieurs lois nationales et conventions internationales tendant à les rendre imprescriptibles pour empêcher leurs auteurs de mourir impunis dans leur lit. La France a voté, à l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, la loi du 26 décembre 1964 rendant imprescriptibles les crimes contre l’humanité ; mais elle n’a pas signé la convention de l’ONU du 26 novembre 1968 ni ratifié celle du Conseil de l’Europe du 25 janvier 1974 faisant de même pour les crimes de guerre. Toutefois, la répression de tels crimes, nécessitant un consensus international, n’a été institutionnalisée que très lentement. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo n’avaient compétence que pour juger les crimes des Etats vaincus de la Deuxième guerre mondiale ; créés dans les années 1990, celui de La Haye n’est compétent que pour l’ex-Yougoslavie et celui d’Arusha pour le Ruanda. La création d’un tribunal pénal international doté d’une compétence universelle est retardée par l’obstruction des Etats-Unis.
Les dirigeants français ont toujours voulu considérer la guerre d’Algérie comme une affaire intérieure ne relevant pas de la notion de guerre ni du droit de la guerre, et ils ont réussi jusqu’au bout à éviter son internationalisation. Au contraire, le FLN a déclaré la guerre et fait connaître ses buts dès le premier jour, et il a revendiqué le statut de belligérant en dénonçant les violations du droit de la guerre par la France : Jacques Vergès et plusieurs autres avocats du Front ont réclamé un « Nuremberg pour l’Algérie ».
La responsabilité du déclenchement de cette guerre a été controversée : le gouvernement français prétendait maintenir l’ordre légal troublé par des « rebelles », alors que le FLN assumait la responsabilité de son insurrection, tout en la justifiant par l’agression française de 1830 suivie d’une cruelle guerre de conquête et d’un siècle d’oppression coloniale.
Les deux camps se sont mutuellement accusés de crimes de guerre, et ont présenté leur action comme une légitime violence. En réalité, ils ont également pratiqué l’abus de justice, en instrumentalisant celle-ci pour châtier tous les actes de l’autre [7], et le déni de justice, en s’abstenant de condamner leurs propres crimes. C’est pourquoi les signataires des accords d’Evian du 18 mars 1962 ont dû s’engager à renoncer à toute poursuite judiciaire à la suite du cessez-le-feu. Il est vrai, comme l’a fait remarquer Robert Badinter [8], que seule une amnistie réciproque était nécessaire au rétablissement de la paix ; mais aucun des deux camps ne voulait poursuivre ses propres criminels, dont il avait ordonné ou couvert les actes.
Le gouvernement français a tenu ses engagements en amnistiant tous les actes de violence commis en rapport avec les événements politiques d’Algérie jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962 (à l’exclusion, logique, de ceux de l’OAS, qui ont redoublé afin de le mettre en échec jusqu’en juin). Puis il a voulu effacer les traces des discordes franco-françaises en étendant l’amnistie à tous ceux qui étaient sortis de la légalité en s’opposant à la politique française officielle (non seulement les partisans de l’OAS, mais aussi ceux qui avaient soutenu le FLN). En Algérie, au contraire, le GPRA n’a pas pu ou pas voulu empêcher les cruelles représailles qui ont frappé des milliers de Français d’Algérie et de « harkis » ou autres Algériens engagés du côté français. C’est pourquoi l’équité s’opposait à d’éventuelles poursuites en France contre des criminels de guerre français.
L’amnistie générale ne pouvait pas être une réponse satisfaisante aux exigences de justice restées inassouvies. Celles-ci ont été encouragées par la reprise des procès relatifs aux crimes de la Deuxième guerre mondiale. En effet, après que l’amnistie de 1953 eut mis fin à l’épuration, la loi du 26 décembre 1964 rendant imprescriptibles les crimes contre l’humanité avait été votée pour éviter que les criminels nazis impunis ne pussent être jugés en France. En 1985, cette loi permit de juger l’Allemand Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo de Lyon extradé de Bolivie. A cette occasion, le procureur de Lyon avait décidé de limiter les chefs d’accusations aux crimes contre l’humanité définis par le tribunal de Nuremberg : « c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes les populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, religieux ou raciaux ». Mais des associations et des familles d’anciens résistants, voulant se constituer parties civiles, firent appel contre cette décision, et la cour de Cassation élargit la notion de crime contre l’humanité en la redéfinissant ainsi par son arrêt du 20 décembre 1985 : « les actes inhumains et les persécutions qui, au nom d’un Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, non seulement contre des personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de cette opposition ». Ainsi, comme l’a expliqué maître Michel Zaoui, « les juges, face au refus du pouvoir politique de rendre imprescriptibles les crimes de guerre, avaient été contraints d’effectuer un grand écart sur le plan juridique pour que les résistants, eux aussi, figurent au procès. Par cette décision était ainsi sérieusement gommée la distinction entre crimes contre l’humanité et crimes de guerre posée par le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 » [9].
Cette jurisprudence, confirmée ensuite par le nouveau Code pénal de 1994, a encouragé tous ceux qui voulaient faire juger un crime prescrit à le qualifier, par opportunisme judiciaire, de « crime contre l’humanité ». Maître Vergès, défenseur de Klaus Barbie, fut le premier à étendre la nouvelle définition aux crimes de guerre commis par des Français en Algérie, en contestant le droit de la justice française à juger son client alors qu’elle refusait de les juger. Son exemple inspira en 1990 à l’ancien ministre algérien Bachir Boumaza la création de la Fondation du 8 mai 1945, afin de réclamer la qualification de la répression française de la révolte de Sétif et de Guelma comme un crime contre l’humanité.
La répétition de telles accusations en Algérie ne pouvait manquer d’inspirer l’idée de plaintes analogues aux adversaires de la décolonisation. La première fut celle d’anciens soldats français prisonniers du Vietminh contre l’historien communiste Georges Boudarel, ancien adjoint du chef du camp 113 pendant la guerre d’Indochine. La Cour de Cassation, pour tenter de refermer la boîte de Pandore qu’elle avait imprudemment ouverte, décida que la notion de crime contre l’humanité n’existait pas en droit français avant le nouveau Code pénal de 1994 en dehors du statut du tribunal de Nuremberg, qui limitait sa compétence aux crimes commis par les Etats européens de l’Axe avant et pendant la Deuxième guerre mondiale.
Cette jurisprudence restrictive ne suffit pourtant pas à décourager les tentatives de dépôt de plaintes pour crimes contre l’humanité, à cause de la condamnation sous ce chef d’inculpation d’un ancien ministre du général de Gaulle, Maurice Papon. En effet, le 16 octobre 1997, le procès de celui-ci pour son rôle dans la déportation des juifs de Bordeaux pendant l’occupation allemande fournit à Jean-Luc Einaudi [10], cité comme témoin par les parties civiles, l’occasion de mettre en cause « la responsabilité personnelle, directe et accablante » de l’accusé dans la féroce répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 par la police parisienne, alors que ce fait ne pouvait faire l’objet de poursuites à cause des lois d’amnistie relatives à la guerre d’Algérie. Après sa condamnation pour complicité de crime contre l’humanité, Maurice Papon intenta un procès en diffamation à son accusateur, mais il fut débouté, et cet arrêt du 26 mars 1999 sonna comme la condamnation d’un mensonge d’Etat. En même temps, la déposition de Jean-Luc Einaudi avait provoqué une série de réactions des ministres de la Culture, de l’Intérieur, de la Justice, et du Premier Ministre, qui désavouèrent pour la première fois la politique du silence en recommandant que toute la lumière fût faite sur un événement trop longtemps occulté par la raison d’Etat.
Ainsi, la preuve sembla faite que le recours à la justice pouvait battre en brèche les lois d’amnistie. On vit donc se multiplier, d’un côté les tentatives de dépôt de plaintes pour crimes contre l’humanité de familles de victimes algériennes de la « bataille d’Alger » de 1957 soutenues par plusieurs associations (à la suite des confessions sans remords du général Aussaresses), et l’action de l’association « 17 octobre 1961, contre l’oubli » [11] pour la reconnaissance par l’Etat d’un crime contre l’humanité à Paris ; et de l’autre, toute une série de plaintes déposées par des familles de disparus français d’Algérie et par des familles de « harkis » massacrés en 1962 après le cessez-le-feu ou après l’indépendance [12]. Jusqu’à présent, toutes ces plaintes se sont heurtées aux mêmes verrous juridiques : le refus de la qualification comme crime contre l’humanité, la non-rétroactivité des lois par rapport au Code pénal de 1994, et les lois d’amnistie concernant la guerre d’Algérie. La seule voie efficace pour obtenir une condamnation symbolique (dans le cas du général Aussaresses) a été la plainte pour apologie de crimes de guerre. Mais les avocats cherchent obstinément la brèche, et ils comptent sur la suprématie croissante du droit international sur le droit interne pour faire évoluer la jurisprudence française.
Pour le moment, toutes ces plaintes pour crime contre l’humanité sont objectivement solidaires, puisque l’acceptation de l’une profiterait à toutes les autres. Mais si l’une d’entre elles était jugée recevable, elle provoquerait une multiplication des plaintes, qui tourneraient très vite à la reprise de l’affrontement entre les deux camps de la guerre d’Algérie. En effet, le rétablissement de la paix en Algérie exigeait que les deux parties, qui avaient prétendu pendant sept ans au monopole de la violence légitime, renoncent réciproquement à toute poursuite judiciaire comme à tout acte de guerre, de guérilla ou de terrorisme. Les plaintes pour crimes contre l’humanité sont, consciemment ou non, une machine de guerre pour contourner l’amnistie inséparable des accords d’Evian. Annuler cette amnistie reviendrait à recommencer la guerre, sous la forme d’une guérilla judiciaire qui ranimerait tous les griefs et tous les conflits, entre Algériens et Français, entre Français, et même entre Algériens. Chacune des parties antagonistes poursuivrait la victoire de sa cause par la condamnation de celle de ses ennemis, mais toutes ces revendications opposées se ruineraient mutuellement. Cela en vaudrait-il la peine ?
En signant les accords d’Evian, les deux parties avaient implicitement reconnu qu’aucune d’entre elles n’avait les mains assez propres pour donner à l’autre des leçons de morale. Cette vérité perdue de vue doit aujourd’hui être rappelée. Chacun veut faire condamner les crimes de ses ennemis en oubliant ceux de son propre camp, parce qu’il estime avoir été dans son bon droit. Or, nul n’a le droit de condamner les crimes des autres s’il n’a pas condamné les siens. Mais inversement, nul ne veut condamner les crimes des siens s’il voit excuser ou honorer ceux des autres [13]. A ce dilemme, il n’y a qu’une solution : une entente pour procéder ensemble à des examens de conscience simultanés, également exigeants, au nom de valeurs partagées. L’Algérie et la France ont un intérêt commun à distinguer les actes qui méritent d’être honorés et ceux qui ne le méritent pas ; elles feraient mieux de suivre l’exemple de la commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, plutôt que de poursuivre le mirage d’une victoire politique par la voie judiciaire.
Le temps de l’histoire
Le rôle de l’histoire ne doit se confondre ni avec celui de la justice, ni avec celui de la mémoire, même s’il ne peut en être rigoureusement séparé.
Les historiens ne sont pas des juges, ni des auxiliaires de justice. Le plus flatteur des rôles qui leur sont proposés est celui de juge suprême. Les porteurs de mémoires douloureuses, déçus par l’inachèvement de l’œuvre de la justice, comptent sur eux pour faire triompher leur juste cause : ils voient dans le « tribunal de l’histoire » le dernier recours avant celui de Dieu. Pourtant, les historiens ne peuvent assumer une si haute et si lourde mission. La nature de leur métier, qui consiste d’abord à établir des faits et à les expliquer, permet de les comparer à des juges d’instruction, qui doivent instruire les affaires à charge et à décharge. Mais ils n’ont pas à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. Si l’on tient à suivre la comparaison, le « tribunal de l’histoire » serait plutôt celui de la postérité éclairée par les recherches des historiens.
Plus modestement, les historiens sont de plus en plus souvent sollicités de participer à des procès, à la demande des avocats des parties civiles ou de la défense. On peut critiquer le fait qu’ils soient cités comme témoins, ce qui est rarement conforme à la nature de leurs dépositions, et non comme experts. Certains historiens acceptent ce rôle, d’autres non, comme le directeur de l’IHTP, Henri Rousso, qui a refusé de déposer au procès de Maurice Papon parce que l’historien ne saurait être un « auxiliaire de justice » : « L’historien est un universitaire dont le travail obéit à des normes qui n’ont rien à voir avec celles d’un tribunal. Il ne délivre aucun verdict. Or une cour d’assises ne fonctionne pas avec une logique d’analyse mais de jugement. Ce n’est pas la place d’un historien ». Mais si la justice est une institution nécessaire et légitime, un historien qui est en même temps un citoyen peut-il lui refuser son concours ? Le risque existe néanmoins de voir les historiens cités comme témoins céder à la logique partiale des avocats, qui ont le droit et le devoir de sélectionner les faits qu’ils mentionnent en fonction de l’intérêt de la cause qu’ils défendent. Or, les devoirs des historiens ne sont pas ceux des avocats : dans leurs travaux, aucune cause ne doit prévaloir sur la recherche de la vérité. L’engagement des historiens dans des camps opposés est un obstacle à cette recherche, qui a besoin de leur coopération scientifique.
Enfin, les historiens ne sont pas au-dessus des lois, et peuvent être appelés à répondre, comme les autres citoyens, de l’abus de leur liberté d’expression. Ils doivent respecter les lois d’amnistie, la loi du 29 juillet 1881 réprimant l’injure et la diffamation, ainsi que les articles 1382 et 1383 du Code civil concernant la responsabilité et l’obligation de réparer le dommage causé à autrui par erreur, mensonge, omission ou imprudence, lois de plus en plus invoquées par des particuliers et par des associations. La jurisprudence tient compte, dans une certaine mesure, du respect de la déontologiedumétier d’historien « prudent, avisé, conscient de ses devoirs d’objectivité ». Mais en sanctionnant les manquements à ces devoirs, les juges risquent de se laisser entraîner à outrepasser leur compétence en octroyant ou en refusant la qualité d’historien, voire en définissant eux-mêmes la vérité historique avant qu’elle ait été établie par la communauté historienne. Et ce d’autant plus que la loi Gayssot du 13 juillet 1990, en créant un délit de « négation de crime contre l’humanité » a créé un dangereux précédent [14].
Le travail des historiens se distingue moins nettement de la mémoire collective. En effet, l’histoire est fondée sur une lutte délibérée contre l’oubli, et peut être considérée comme la forme la plus élaborée de la mémoire. Les historiens ont donc un rôle à jouer dans l’élaboration de la mémoire collective, en concurrence ou en coopération avec d’autres acteurs.
Il est heureux que la République française ait renoncé à dicter aux historiens la vérité historique [15], alors qu’en Algérie ses grands traits sont fixés par des textes officiels [16]. Même si l’on a pu reprocher aux pouvoirs publics français de se décharger de leurs responsabilités politiques sur les historiens, il est généralement reconnu que « le devoir des historiens est d’écrire l’histoire » (Pierre Vidal-Naquet), et que ce n’est pas celui des législateurs. Ainsi, aucune considération d’opportunité politique ne doit prévaloir sur la recherche et la diffusion de la vérité historique. Dans ces conditions, rien n’interdit aux historiens français de participer à l’élaboration de la nouvelle politique de mémoire que l’Etat semble désireux de mettre en œuvre à propos de la guerre d’Algérie.
Mais dans ce processus d’élaboration de la mémoire collective, les historiens se trouvent en concurrence avec des groupes porteurs de mémoires antagonistes, dont la rivalité mérite de plus en plus le nom de « guerre des mémoires ». Ces groupes sollicitent les historiens de prendre leur parti, et ces derniers ont du mal à leur résister, dans la mesure où ils sont eux-mêmes également des citoyens, surtout ceux qui ont vécu la guerre d’Algérie en tant que tels avant de l’étudier comme un événement historique. Cette tendance compréhensible fait courir un danger d’éclatement à leur communauté scientifique, comme l’a montrée la recrudescence des polémiques entre historiens depuis une douzaine d’années [17]. Il me semble qu’ils ont mieux à faire : jouer le rôle d’experts et d’arbitres, garants de l’objectivité des faits et de l’équité des arguments dans les débats entre porteurs de mémoires différentes, voire celui de médiateurs susceptibles d’aider à la réconciliation de ceux qui la désirent. Ce qui correspond au devoir des professeurs d’histoire confrontés dans leurs classes à la diversité des mémoires de leurs élèves et des familles de ceux-ci [18].
Les historiens se distinguent des autres porteurs de mémoire par une plus grande exigence critique, qui les oblige à ne rien croire sur la foi de leur intime conviction ou de l’argument d’autorité, à ne rien affirmer sans être en mesure de le prouver. Ils ne considèrent pas la vérité comme l’apanage naturel de leur camp en lutte contre celui des menteurs et des censeurs. Au contraire, ils sont conscients de la complexité du réel, et du fait que tout parti pris entraîne les partisans d’une cause à la simplifier, à établir une hiérarchie entre les faits qui justifient leur engagement et ceux qui seraient susceptibles de le remettre en question ; en conséquence de quoi les premiers faits sont de mieux en mieux perçus, voire exagérés [19], alors que les seconds sont de plus en plus minimisés, jusqu’à être oubliés. La partialité, résultant de ce mécanisme psychologique élémentaire et universel, est le principal ennemi que les historien doivent combattre, jusque dans leur propre esprit.
Les historiens universitaires formés par l’école méthodique ont longtemps été très réservés quant à la possibilité d’écrire une « histoire immédiate » d’événéments conflictuels, à cause du manque de sources, de recul historique, et de sérénité. Quoi qu’il en soit, leurs objections ont perdu l’essentiel de leur validité. Plus de quarante ans après sa fin et près de cinquante ans après son début, l’histoire de la guerre d’Algérie ne manque plus de sources : à celles de l’histoire dite « immédiate » (sources orales, audio-visuelles, périodiques et livres surabondants) elle ajoute depuis une douzaine d’années les archives publiques françaises en voie d’ouverture. Le recul historique fait de moins en moins défaut. En effet, les événements peuvent être situés dans la perspective de leurs causes plus ou moins lointaines (l’histoire de l’Algérie, de la colonisation française, et du nationalisme algérien), mais aussi dans celle de leurs conséquences déjà bien visibles dans les deux pays, l’accélération de l’histoire aidant. En outre, le déroulement des événements peut être éclairé par la comparaison avec d’autres conflits analogues, qui permet de mettre en évidence des régularités, dont la principale est l’interdépendance entre les comportements des deux camps. Enfin, le dépassionnement des mémoires ne se fait pas automatiquement en fonction du temps écoulé, mais il peut être produit par le travail des historiens et des enseignants d’histoire, pourvu que les autres producteurs de mémoire collective ne le contrarient pas. Certes, les buts de l’histoire ne se limitent pas à connaître et à comprendre le passé, et expliquer n’est pas nécessairement justifier. Mais l’histoire peut clarifier les enjeux actuels du passé, en distinguant le jugement pénal et le jugement moral du jugement politique, de façon à éviter la confusion entre morale et politique, et la subordination de la première à la seconde.
Guy Pervillé, professeur à l’Université de Toulouse-Le Mirail.
« Au nom de cette même exigence de vérité, il est temps d’éclairer mieux les événements d’Algérie. Il nous a fallu d’abord mettre fin à l’hypocrisie des mots : la loi du 18 octobre 1999, à l’initiative de la majorité parlementaire et votée à l’unanimité, est venue qualifier de « guerre » les tragiques événements d’Algérie. (...) La guerre d’Algérie doit pouvoir être, pour les historiens, un objet d’étude. Or, l’accès aux archives est indispensable pour authentifier les faits. C’est pourquoi une circulaire a ouvert aux chercheurs, en 1999, par dérogation, les documents d’archives relatifs aux événements tragiques du 17 octobre 1961. Par une circulaire publiée aujourd’hui même au Journal officiel, le Gouvernement autorise les historiens à accéder aux archives publiques concernant la guerre d’Algérie. Cette ouverture des archives ouvre la voie à un travail historique de qualité, première et nécessaire étape de la compréhension et de l’acceptation par tous de ce lourd passé. J’ai souhaité permettre aux chercheurs de faire toute la lumière nécessaire sur cette guerre de décolonisation, qui fut aussi une guerre civile, et durant laquelle des atrocités ont été commises de part et d’autre. Aucune victime ne doit être oubliée, ni du côté algérien, ni du côté français. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les massacres dont les harkis ont été victimes. Ce travail de vérité constitue un ciment puissant pour notre communauté nationale, car il lui permet d’édifier de plus solides fondations pour son avenir ».
NB : Cet article fait partie d’un dossier sur « La guerre d’Algérie 1954-1962 », pp. 221-328, coordonné et présenté par Jean-Charles Jauffret.
En plus de mes deux contributions, on y trouve celles de
Benjamin Stora, Guerre d’Algérie, les instruments de la mémoire,
Jacques Frémeaux, Les Français d’Algérie en 1954 : un ensemble fragile,
Daniel Lefeuvre, L’Algérie en 1954 : une société en crise,
André-Paul Comor, La guerre d’Algérie et le haut- commandement jusqu’au 13 mai 1958,
Frédéric Médard, Les projets d’intervention militaire en Tunisie et au Maroc,
Albert Montagne, Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la censure du cinéma français,
Gilbert Meynier, La "révolution" du FLN,
et une table ronde : « La guerre d’Algérie au collège et au lycée : un sujet dépassionné », par Pierre Kerleroux, Hélène Papadopoulos, Corinne Talon, Eric Till.
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[1] Daniel Rivet, « Le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement », Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 33, janvier-mars 1992, pp. 127-138.
[2] Robert Frank, « Les troubles de la mémoire française », dans La guerre d’Algérie et les Français, s.dir. J.P. Rioux, Fayard, 1990, p. 607.
[3] Voir la thèse de Stéphane Gacon, L’amnistie, de la Commune à la guerre d’Algérie, Le Seuil, L’univers historique, 2002.
[4] Anniversaire de l’inauguration du mémorial des soldats morts pour la France en Algérie, Tunisie et Maroc, quai Branly à Paris, par le président Chirac, le 5 décembre 2002.
[5] « La guerre d’Algérie n’est tout simplement pas commémorable, elle ne figure pas, après l’affaire Dreyfus et la Résistance, parmi les épopées du sens, les émergences de la justice à quoi les Français aiment à se référer » (Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », in Esprit, mai 1990, p. 49.
[6] Pour comprendre le sens de cette demande, voir G. Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Picard, 2002, pp. 298-299, et « La revendication algérienne de repentance unilatérale de la France », revue Némésis, Presses universitaires de Perpignan, 2004, n° 5, pp. 103-140.
[7] Voir du côté français la thèse de Sylvie Thénault, Une drôle de justice, Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001, et sur la justice du FLN, Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002, pp. 217-220 et 489-495.
[8] Robert Badinter, « Détournement d’amnistie », L’Express, 10 mai 1962, cité par S. Gacon, op. cit., p. 260.
[9] Michel Zaoui, « De l’éminente indignité du crime de guerre », Le Monde, 19 juin 2001, p. 15.
[10] Auteur du livre La bataille de Paris, Le Seuil 1991, première enquête qui tira de l’oubli le 17 octobre 1961.
[11] Le 17 octobre 1961, Un crime d’Etat à Paris, sous la direction d’Olivier Lecour-Grandmaison, La Dispute, 2001.
[12] Voir notamment Boussad Azni, Harkis, crime d’Etat, Ramsay, 2002.
[13] L’attitude « dreyfusarde », consistant à « balayer devant sa porte » en espérant que l’autre camp fera de même, n’existe qu’en France, et encourage l’Algérie à persévérer dans l’attitude inverse.
[14] Voir les tribunes libres de Madeleine Rébérioux, historienne et présidente de la Ligue des droits de l’homme, dans L’Histoire n° 138, novembre 1990, pp. 92-94 (contre la loi Gayssot) et n° 192, octobre 1992, p. 98 (sur la condamnation de l’historien Bernard Lewis pour ses propos sur le génocide des Arméniens).
[15] Voir en annexe un extrait d’un discours de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, le 26 avril 2001.
[16] Programme de Tripoli (1962), Charte d’Alger (1964), Charte nationale de 1976, Constitution de février 1989.
[17] Voir « Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France », communication au colloque La politique du passé, les usages politiques de l’histoire en France du début des années 1970 à nos jours, disponible sur le site Internet du Centre d’histoire sociale du XXème siècle : http//histoire-sociale.univ-paris1.fr, et sur le mien : http//guy.perville.free.fr.
[18] « Mémoire, histoire et enseignement de la guerre d’Algérie », exposé à l’Université d’été de l’INRP : Penser, dire et enseigner les drames ou les refoulés de l’histoire du temps présent (Toulouse, 9 au 13 juillet 1999), disponible sur http//guy.perville.free.fr.
[19] Exemple le plus frappant : les exagérations dans les nombres de victimes invoquées par les partisans des deux camps. Voir mon essai de mise au point sur « La guerre d’Algérie : combien de morts ? », dans La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, s. dir. Mohammed Harbi et Benjamin Stora, Robert Laffont, 2004, pp. 477-493.