Chantal Morelle, Comment De Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie (2014)

samedi 3 janvier 2015.
 
Ce compte rendu a été publié dans le n° 384-385, 2ème semestre 2014, de Outre-mers, revue d’histoire, pp. 351-354.

Chantal Morelle, Comment De Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie. 1962, les accords d’Evian . Bruxelles, André Versaille éditeur, mars 2012, 282 p., 22,90 euros.
Avec des repères chronologiques (1958-1962), un index des principaux acteurs de la sortie de guerre, sources, bibliographie, index et table des matières.
ISBN 978-2-87495-177-2
D/2012/11.448/7

Ce livre de Chantal Morelle est en quelque sorte la suite de sa thèse d’histoire consacrée à Louis Joxe, que le même éditeur avait publiée quatre ans plus tôt [1]. Consacré cette fois à un seul problème, la négociation entre le gouvernement français et le FLN, qui fut la tâche essentielle de celui-ci dans ses fonctions de ministre des affaires algériennes de novembre 1960 à octobre 1962, il bénéficie des connaissances approfondies sur la carrière de son personnage que l’auteur a pu accumuler durant ses années de recherche. Mais elle a su en tirer un livre relativement bref et très bien écrit, clair et vivant, qui est en même temps un récit éclairant de l’ensemble des négociations entre les ministres du général de Gaulle et les dirigeants du FLN, de 1960 à 1962.

La seule partie que l’on pourra trouver légèrement en retrait est le premier chapitre intitulée « D’une guerre à l’autre : la situation depuis le 8 mai 1945 », parce qu’il résume brièvement une période longue et complexe, et parce que l’auteur ne s’appuie pas sur des recherches personnelles approfondies. Il en résulte quelques phrases à la formulation contestable dont la principale est, à la page 21, une présentation des origines du FLN par un éclatement du parti MTLD entre deux tendances : « entre les légalistes (messalistes [2]) et les radicaux, membres du comité central (centralistes) », alors qu’en réalité le parti était divisé entre trois tendances : les messalistes (qui se prétendaient révolutionnaires et populistes), les centralistes (élitistes et légalistes ) et enfin les véritables révolutionnaires anciens de l’Organisation secrète paramilitaire, momentanément alliés aux centralistes.

Mais dès le retour du général de Gaulle au pouvoir, lors de la crise de mai 1958, le récit est beaucoup plus sûr car il s’appuie sur des sources et une bibliographie mieux maîtrisées. La révélation très progressive de la politique algérienne vers laquelle s’oriente le nouveau chef du gouvernement puis chef de l’Etat est bien reconstituée d’après de nombreux témoignages, notamment celui de Bernard Tricot qui compare l’évolution de la politique gaullienne vers le choix d’une solution négociée avec le FLN à la fermeture progressive d’un éventail d’abord largement ouvert. Mais on peut regretter que ne soient pas cités ceux qui attestent que De Gaulle ne croyait plus à l’avenir de l’Algérie française et croyait l’indépendance inévitable dès 1955 [3].

Au contraire, les relations entre le général de Gaulle et son entourage sont analysées en un chapitre, qui montre bien que De Gaulle ne s’est pas laissé imposer sa politique puisqu’il a lui-même choisi ses collaborateurs. Sa deuxième partie est consacrée au cas très particulier de Michel Debré, partisan convaincu d’une Algérie française ou tout au moins étroitement liée à la France pour longtemps (25 ans), et que le Général avait néanmoins jugé nécessaire de nommer comme son Premier ministre : constitutionnellement responsable de la définition de la politique du gouvernement, il accepta d’abandonner le choix de sa politique algérienne aux décisions du président de la République à partir du 16 septembre 1959, non sans inquiétudes ni sans déchirements, parce qu’il estimait que c’était son devoir envers la France.

Le chapitre sur « l’année 1960 : vers l’Algérie algérienne » est nettement plus approfondi. Il analyse de façon précise les deux tentatives de négociation qui ont marqué la recherche d’une solution non plus imposée par la France à la population algérienne, mais décidée par celle-ci avec l’accord du FLN. D’abord la négociation secrète avec les chefs de la wilaya IV (Si Salah, Si Lakhdar et Si Mohammed) qui aboutit à leur réception à l’Elysée par le général de Gaulle dans la soirée du 10 juin 1960, mais n’aboutit qu’à une trêve provisoire de quinze jours jusqu’à ce que Si Mohammed change de camp et jure fidélité au GPRA. Puis la négociation de Melun avec les émissaires du GPRA qui dura du 25 au 28 juin sans aboutir, et que le général De Gaulle interrompit contre l’avis de son Premier ministre. Chantal Morelle ne suit pas, et à juste titre, les partisans de l’Algérie française qui ont attribué cet échec à la volonté du général de Gaulle, ou à la « trahison » supposée de son ministre de la justice Edmond Michelet [4]. Mais elle n’insiste pas assez sur la crise de découragement qui paralysa l’initiative du Général pendant deux mois et le fit penser à une démission dont Michel Debré et Georges Pompidou lui refusèrent successivement le droit [5]. Elle montre comment, à partir du début novembre, le président de la République reprit en main la solution définitive du problème algérien. C’est alors que, après le discours du 4 novembre 1960 où il annonça « la République algérienne, laquelle n’a jamais existé, mais existera un jour », le général de Gaulle déchargea Michel Debré de la responsabilité directe de la solution algérienne en nommant un ministre des affaires algériennes, Louis Joxe. Après son dernier voyage en Algérie, qui lui révéla la force nouvelle du nationalisme algérien dans les villes en décembre 1960, la recherche d’une solution s’orienta d’une manière décisive vers la négociation de l’avenir de l’Algérie avec le GPRA.

Les chapitres suivants, consacrés à la négociation entre les représentants du gouvernement français et le GPRA, sont donc les plus solides. Le premier, intitulé « préparer la négociation », commence par rappeler que sa priorité par rapport à la préparation d’un exécutif provisoire algérien par le nouveau délégué général Jean Morin, suite logique de la victoire du « oui » au référendum du 8 janvier 1961, n’allait pas de soi au départ ; mais ce choix s’imposa vite malgré les réticences de Michel Debré à la suite des manifestations de décembre 1960 et des propositions de négociations faites par le GPRA par l’intermédiaire du diplomate suisse Olivier Long, ami d’enfance de Louis Joxe et de Michel Debré. La négociation commença donc en février-mars 1961 par des contacts exploratoires secrets en Suisse, puis fut annoncée officiellement par le gouvernement français pour le 7 avril avant d’être ajournée par le GPRA (qui refusait d’être mis sur le même plan que le MNA de Messali Hadj) ; ce qui précipita le « putsch » du 22 avril à Alger.

Le chapitre qui suit est consacré à la première phase des négociations qui se sont ouvertes publiquement à Evian le 20 mai 1961, et qui ont été interrompues le 13 juin, sur l’initiative du général de Gaulle, parce qu’il estimait que la négociation se réduisait à une succession de monologues. Le FLN répondit que l’intransigeance de la France sur la séparation du Sahara était inacceptable. Le récit, illustré de larges citations des débats, s’appuie notamment sur leur procès-verbal publié in extenso en 2003 par les éditions Bruylant (Bruxelles) dans Vers la paix en Algérie, les négociations d’Evian dans les archives diplomatiques françaises, 15 janvier 1961-29 juin 1962, pp. 40-212.

Puis le chapitre suivant reconstitue le « si long interlude » qui interrompit les négociations publiques (à l’exception d’une dernière tentative à Lugrin du 20 au 28 juillet [6], interrompue à l’initiative du FLN) jusqu’en janvier 1962. Durant cette période, le général de Gaulle essaya toutes les solutions théoriquement possibles (constitution d’une Algérie algérienne à partir des commissions d’élus, ou partition préconisée par un livre d’Alain Peyrefitte...), tout en maintenant des contacts secrets avec des délégués du GPRA. La renonciation décidée par le général de Gaulle à la souveraineté française sur le Sahara - concession majeure décidée à la fin août contre l’avis de Michel Debré - ne fut pourtant pas suivie d’effets immédiats par le nouveau GPRA présidé par Ben Khedda, qui laissa se développer un affrontement armé entre la Fédération de France du FLN et la police parisienne jusqu’à la répression très dure de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961. Une semaine plus tard, après de nouvelles propositions du GPRA, il fut décidé de reprendre les négociations secrètement, mais c’est la promesse faite par celui-ci le 9 novembre d’accepter une amnistie générale pour tous les actes de violence liés à l’enjeu de la guerre qui débloqua vraiment la négociation.

Le chapitre qui suit, intitulé « Vers la paix ? », retrace avec précision les dernières étapes de la négociation : conférence secrète des Rousses (11-18 février 1962), aboutissant à une première ébauche des accords, puis débats à Tripoli du CNRA, du 22 au 27, pour la ratifier et pour habiliter la délégation du GPRA à la mener à son terme, ce qui fut fait non sans incertitudes sur l’aboutissement final à Evian du 7 au 18 mars [7]. Tout au long de son récit, Chantal Morelle souligne la difficulté de cet aboutissement et l’incertitude constante d’un vrai retour à la paix.

Vient ensuite, sous le titre « La paix rêvée ? La paix violée ? », un chapitre qui retrace l’aggravation constante de le situation, rendant vaine la promesse d’un avenir pacifique pour tous les habitants de l’Algérie. Sont présentées successivement « la période intérimaire loin du consensus, » puisque la guerre continue entre l’OAS et le gouvernement français, mais aussi entre l’OAS et le FLN ; puis « la fuite devant les violences », à savoir celle d’une partie des « harkis » et de la masse des Français d’Algérie menacés par une vague d’enlèvements et de meurtres ; et enfin « la mise en place des relations interétatiques » durant l’été 1962 (retardées en fait par l’absence d’un Etat algérien digne de ce nom jusqu’en septembre) et surtout durant les derniers mois de 1962.

Le livre se termine par un chapitre de conclusion, qui pose la question : « que reste-t-il des accords d’Evian ? » en évoquant « des interprétations négatives » des deux côtés, et « des mémoires contradictoires », entre les deux pays et à l’intérieur du nôtre. Cette évocation des mémoires que le passé a laissées plus d’un demi-siècle après les accords d’Evian est un des mérites de ce livre qu’il convient de souligner. Chantal Morelle, sans jamais avoir voulu dénigrer le personnage central de sa thèse, ni la recherche d’une paix qui mette fin à l’état de guerre entre la France et l’Algérie, a su faire un œuvre d’histoire en ne cachant rien de la distance qui a éloigné les résultats du but qu’il avait poursuivi : « La construction de toute paix requiert la continuité, le temps et le courage, et c’est à cet avenir que nous sommes conviés », avait déclaré Louis Joxe aux députés le 21 mars 1962. Mais plus d’un demi-siècle plus tard, cet avenir de paix ne semble toujours pas assuré : « L’impossibilité que se mette en place le traité d’amitié franco-algérien, promis, abandonné, réactivé, mais jamais signé, trouve en partie ses racines dans l’échec relatif des accords d’Evian, ou plus exactement de leur application trop partielle [8] ».

Guy Pervillé.

[1] Chantal Morelle, Louis Joxe, diplomate dans l’âme, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2008, 891 p.

[2] Dans la version imprimée de ce compte rendu, publiée dans Outre-mers, revue d’histoire, n° 384-385, 2ème semestre 2014, j’avais écrit par mégarde « centralistes ».

[3] Voir notamment les citations rapportées dans mon livre Les accords d’Evian (1962), Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012), Paris, Armand Colin, 2012, pp. 48-52.

[4] Cf. mes deux contributions au colloque Edmond Michelet, un chrétien en politique, s. dir. Nicole Lemaître, Paris, Editions Lethielleux, 2011, pp. 103-117 et 139-145, et ma contribution au colloque De Gaulle et l’Algérie, 1943-1969, s.dir. Maurice Vaïsse, Paris, Armand Colin et Ministère de la Défense, 20012, pp. 146-162.

[5] Michel Debré, Entretiens avec le général de Gaulle, 1961-1969, Paris, Albin Michel, 1993, pp. 20-22 ; Georges Pompidou, Lettres, notes et portraits, 1928-1974, Paris, Robert Laffont, 2012, pp. 309-310.

[6] Vers la paix en Algérie, op. cit., pp. 220-280.

[7] Voir le texte complet des accords en fac simile dans Vers la paix en Algérie, op. cit., pp.379-473.

[8] Chantal Morelle, op. cit., p. 258.



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