Nouveaux comptes rendus publiés dans Outre-mers 2023-1 (2023)

samedi 16 septembre 2023.
 
Ces comptes rendus viennent de paraître dans Outre-mers, revue d’histoire coloniale et impériale, n° 418-419, 1er semestre 2023, pp 293-309 et pp 318-324. .

DJERBAL Daho, Lakhdar Ben Tobbal. T1, Mémoires de l’intérieur , Alger, éditions Chihab, novembre 2021, 399 p. ISBN : 978-9947-39-406-9

DJERBAL Daho, Lakhdar Ben Tobbal. t 2, La conquête de la souveraineté . Alger, Editions Chihab, mars 2022, 303 p. ISBN : 978-9947-39-411-3

L’historien algérien Daho Djerbal avait eu l’occasion de recueillir, grâce à l’ancien agent de liaison de la wilaya 2 Mahfoud Bennoune, le témoignage oral de son ancien chef le militant et dirigeant du FLN Lakhdar Ben Tobbal (1923-2010) et de le rédiger entre 1980 et 1986 ; mais toutes les tentatives d’édition en Algérie et en France avaient échoué, puis Lakhdar Ben Tobbal et ses héritiers s’y étaient opposés. Trente-cinq ans après, Daho Djerbal a pris sur lui de publier ce document essentiel auquel celui-ci avait donné son accord en 1986 : « Après avoir attendu 35 années que la famille Bentobbal m’accorde la possibilité de publier l’entretien, j’ai pris la responsabilité de rendre public ce témoignage et de le transmettre au peuple algérien, aux moudjahidine et à leurs descendants à qui il était destiné quand nous avions pris la décision, Slimane Lakhdar Bentobbal, Mahfoud Bennoune et moi-même de restituer ce témoignage comme source orale pour l’écriture de l’histoire de la guerre de libération ». Il faut saluer le courage qui a poussé le rédacteur de ce livre à le sortir enfin de l’ombre pour le mettre à la disposition d’un large public en Algérie et ailleurs.

Ce livre tant attendu, et connu durant des années par quelques citations seulement, surprend dès les premières pages par la qualité exceptionnelle de la réflexion de Lakhdar Bentobbal qui donne tout son sens à son témoignage. Né dans une famille modeste de la petite ville de Mila dans le Constantinois, il analyse très finement la dureté des rapports sociaux et familiaux dans son milieu, à tel point que l’oppression coloniale y est beaucoup moins présentée que la révolte de la jeune génération : « Le combat qu’a mené cette jeunesse-là n’était donc pas seulement un combat contre la France, c’était avant tout un combat contre soi-même, contre les coûtumes familiales qui les emprisonnaient, contre leur propre ville, contre le despotisme des potentats locaux. Il fallait combattre tout cela avant d’en arriver à affronter le colonialisme » (p 32). Même s’il raconte qu’en 1937, année précédant le certificat d’études primaires, il avait été indigné par les leçons méprisantes de son instituteur français sur la reddition de l’émir Abdelkader et sur la défaite arabe de Poitiers, et qu’il vouait depuis « une haine tenace aux Français », c’est beaucoup plus loin (pp 97-98) qu’il révèle au lecteur toute l’intransigeance de son ressentiment : « J’avais en horreur l’administration coloniale et, pour moi, il n’était pas question de fréquenter un Européen, quelle qu’ait pu être son attitude vis-à-vis des musulmans. Bons ou mauvais, je ne faisais pas de différence : je les considérais tous comme des occupants. De par leur seule présence, ils occupaient ma terre, et il n’était pas question d’être leur ami. Avoir un ami Européen, c’était pour moi une collaboration avec l’ennemi ».

Son premier acte militant avait été d’écrire sur les murs de sa ville « Libérez Messali », mais il avait été déçu d’apprendre que son épouse était française : « Dommage, m’étais-je dit, j’aurais préféré un ennemi entier de la France » (p 39). Ayant adhéré au Parti du Peuple Algérien (PPA) clandestin en 1942, il participa à l’action des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), mais la foule venue des campagnes voisines fut dissuadée de s’insurger en mai 1945 par les notables de la ville : « Ce sont donc ces notables qui leur ont fait rebrousser chemin en leur disant qu’il n’y avait pas eu ordre d’insurrection et que si le besoin s’en faisait sentir, on leur ferait appel » (pp 79-80). Responsable de la maigre section du PPA à Mila, encouragé par les témoignages d’un très vieil homme sur la révolte de 1871, il prit contact en 1945 avec le jeune chef de l’organisation de Constantine dont il ne connut le nom que beaucoup plus tard : Mohammed Belouizdad, qui devint en 1946 le premier chef de l’Organisation spéciale (OS) paramilitaire, créée pour préparer méthodiquement l’insurrection à venir.

Après mai 1945, le travail de propagande était particulièrement ingrat pour les rares militants : « Les gens n’ont jamais cru en eux-mêmes ; ils ne se sont jamais considérés comme une force capable de chasser la France », même si l’espoir d’un retour victorieux des Turcs persistait. La peur de la répression restait très puissante. L’arme de la religion était utilisée pour la contrer : « On disait par exemple que nous étions les successeurs du prophète chargés de continuer le Djihad. Le Djihad était une obligation pour tout musulman. L’Algérie étant un territoire musulman souillé par les infidèles, il fallait le purifier. Mais ces thèmes de propagande ne valaient que pour le travail d’agitation au sein des masses. Dans le parti, c’était un tout autre langage. La discussion y était politique, elle s’appuyait sur l’esprit de sacrifice, la discipline, la préparation à des lendemains difficiles » (p 57). Les ressources financières du Parti étaient dérisoires par rapport à celles de l’Association des Oulémas. En 1946, la libération de Ferhat Abbas et du cheikh Bachir El Ibrahimi (leader de l’Association des Oulémas), qui ne voulaient plus de l’unité nationale incarnée en 1944 par la fondation des AML, ne facilitait pas l’audience des militants du PPA, qui maintenaient leur opposition à la participation aux élections avec le mot d’ordre « Voter, c’est trahir ».

Puis la libération de Messali Hadj et l’annonce de la fondation d’un nouveau parti nationaliste légal sous le nom de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) vinrent troubler les militants du PPA clandestin : « La création du MTLD fut pour nous le début d’une période très dure, atroce même. Le doute nous gagnait à l’idée que le parti avait changé. Il nous semblait que le parti lui-même avait tiré la conclusion qu’à lui aussi le 8 mai 1945 avait fait peur. La lutte armée commençait à être remise en cause. Pour nous, le parti n’avait plus sa raison d’être si on revenait sur ce principe » (p 87). Dans ces conditions, la distinction entre le PPA clandestin et le MTLD participant aux élections municipales (septembre 1947) puis à celles de l’Assemblée algérienne (avril-mai 1948) n’existait plus, et les militants des deux structures confondues étaient pareillement exposés à la répression. Lakhdar Ben Tobbal fut sanctionné par le Parti pour son refus de la politique électoraliste en mars 1948, puis arrêté par la police française et condamné à trois mois de prison après le premier tour des élections d’avril 1948.

Après sa libération, à la fin de 1948, il fut chargé par un émissaire de recruter 32 militants sûrs et de les tenir en réserve sans rien leur révéler. Ce fut le début de sa participation à l’Organisation spéciale (OS), qui dura près de deux ans sous les ordres de Abderrahmane Guerras, de Didouche Mourad et de Larbi Ben M’hidi. En 1950, quand l’OS fut découverte par la police française, il échappa plusieurs fois à l’arrestation et se réfugia dans l’Aurès. Un an plus tard, la phase judiciaire de la répression étant terminée, un émissaire du parti lui proposa le choix entre l’exil au Proche-Orient et la reddition. Scandalisé, il décida comme ses camarades de rester dans la clandestinité sous la protection des militants de base.

Trois ans plus tard, en 1954, c’est la crise du MTLD, déchiré entre les « messalistes » et les « centralistes » qui permit aux anciens de l’OS de s’imposer. Contacté par Didouche Mourad par l’intermédiaire de Zighout Youcef, il trouva dans la personne du premier l’incarnation parfaite de ses idées : « Quant à lui, il était déjà acquis beaucoup plus que nous pour l’action ; beaucoup plus que Boudiaf aussi. Ce que je retiens de Didouche Mourad et ce qui m’a le plus frappé, c’est son courage, un courage qui frisait parfois l’inconscience. Il était d’une formation politique très élevée et avait l’étoffe d’un théoricien accompli. C’était un plaisir de l’entendre tellement son sens théorique et sa maîtrise de la dialectique nous séduisaient. Il était d’un niveau que très peu de dirigeants avaient atteint, ni Ben M’hidi ni Boudiaf qui, lui, était plutôt porté sur la phraséologie creuse et sans portée. Je peux dire que Didouche a été le Saint-Just de la révolution. Homme de pensée et d’action, il fut un chef d’une dimension exceptionnelle » (p 144, et pp 207-211).

Lakhdar Bentobbal raconte avec précision toutes les étapes de la préparation de l’insurrection par le « groupe des 22 », sans omettre le ralliement de la Kabylie dirigée par Belkacem Krim et Amar Ouamrane, la vaine recherche d’un chef reconnu dans le parti (le docteur Lamine Debaghine et Abdelhamid Mehri n’ayant pas donné suite), le retrait in extremis des Constantinois Guerras, Habachi et Mechati qui jugeaient l’action insuffisamment préparée. L’organisation régionale dirigée par Didouche avec l’aide de Zighout, de Bentobbal et de Benaouda était donc particulièrement faible en effectifs et en armement.

Les premiers mois de l’action furent donc très difficiles. Après les attaques du 1er novembre 1954 contre les forces de l’ordre et quelques sabotages, Didouche avait prévu d’organiser le peuple, de chercher des refuges pour les djounoud et de pas entreprendre de nouvelles actions armées jusqu’à nouvel ordre. Il avait également ordonné d’abattre des traîtres pour assurer la sûreté de l’organisation, mais il ordonnait également de ne pas tuer des civils ni des ennemis désarmés. Le 18 janvier 1955, après avoir affronté les militaires français dans un combat difficile en compagnie de Zighout, il fut tué. Zighout lui succéda sur le champ sans disposer d’aucun contact avec les autres organisations du FLN. Quand sa zone lui parut suffisamment renforcée, il décida en accord avec Bentobbal de lancer une offensive à l’occasion des 1er et 8 mai 1955 dans les villages de colonisation et dans les villes, y compris Constantine, où des attentats à la grenade furent commis alors qu’une bombe éclatait au casino. Ce fut un encouragement pour les combattants, mais la répression extrêmement dure faisait craindre pour le maintien du moral de la population. A cette occasion, les règles fixées par Didouche furent modifiées, comme Bentobbal l’explique en détail (p 227) :

« Jusqu’alors, nous avions pris l’engagement de ne jamais nous attaquer aux civils français ou porter la main sur une femme française. Le règlement intérieur de l’ALN était extrêmement sévère sur ce point. Il était valable sur toute l’étendue du territoire national et c’est Didouche lui-même qui, au début de la révolution, nous l’avait remis avec consigne de le respecter scrupuleusement. Il était formellement interdit de tuer un enfant, et même s’il y avait une cruelle répression de la part des Français, nous ne pouvions viser pour nous défendre que les civils armés.

Après les journées du 1er et du 8 mai 1955, les représailles françaises avaient été terribles. Il y avait eu viol de femmes, incendies de mechtas, massacre de civils et le peuple partout voulait venger ses morts. Nous étions l’objet de très fortes pressions et il fallait que nous prenions des dispositions pour y faire face.

Le fait que tous les civils français avaient été armés par les soins des autorités militaires nous avait permis à Zighout et à moi d’autoriser les djounoud à considérer tous les Français comme des ennemis qu’il fallait combattre, sans transgresser pour autant le règlement intérieur (sic).

Le passage à des actions de fidaï dans les villes était donc un moyen de créer un état de terreur dans les rangs de nos ennemis, mais c’était aussi l’exercice du droit de défendre notre peuple. Les Français avaient été les premiers à s’attaquer aux civils sans faire de distinction, c’était à notre tour de de dresser des barrages et de tendre des embuscades ».

Ce n’en était pas moins un changement majeur par rapport aux consignes de Didouche Mourad, et l’on peut rappeler qu’un intellectuel « libéral », Henry Rohrer, qui fut retrouvé le 20 août 1955 tué par une hache fichée dans son crâne, avait écrit le 30 juillet un article destiné à la revue Esprit dans lequel il signalait que le FLN ne frappait pas les Européens civils ni les Arabes innocents.

Les événements des 1er et 8 mai 1955 entraînèrent donc un durcissement parallèle des autorités civiles et militaires françaises, qui ordonnèrent à partir du 16 mai la responsabilité civile des populations pour les sabotages commis sur l’ordre des rebelles et l’ouverture du feu sur tout rebelle armé sans attendre qu’il ait fait usage de son arme : « Tout rebelle faisant usage d’une arme ou aperçu une arme à la main ou en train d’accomplir une exaction sera abattu sur le champ (...), le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir ». Mais le massacre des combattants hors de combat et des simples civils n’était pas prôné par ces instructions, et le général Lorillot, nouveau commandant en chef des forces françaises depuis le 1er juillet 1955, le précisa aussitôt pour éviter tout malentendu : « Après le combat, les règles françaises d’humanité demeurent ».

A partir de mai 1955, l’escalade de la violence réciproque ne cessa pas, et Zighout Youcef, isolé de toutes les autres zones à l’exception de l’Aurès, projeta une nouvelle offensive pour relancer l’action contre la France à l’échelle de toute l’Algérie et du Maghreb. Parmi les motifs d’inquiétude qui le poussaient à agir, il y avait le renforcement de la répression et la crainte qu’elle décourage le peuple, mais aussi celle d’une solution politique accréditée par des contacts rapportés dans la presse entre le gouverneur général Soustelle et des représentants de tous les partis musulmans algériens : « Tous y avaient été au Gouvernement général, des gens comme Kheireddine, Ahmed Francis, Hadj Cherchali, Moulay Merbah (...). Toutes les tendances s’y étaient retrouvées, UDMA, Ulama, centralistes, Messalistes... », ce qui faisait craindre une solution contraire aux intérêts du peuple algérien. L’offensive du 20 août 1955 (deuxième anniversaire de la déposition du sultan du Maroc) fut planifiée quinze jours plus tôt dans le maquis par Zighout et Bentobbal en fonction des buts à atteindre : remonter le moral du peuple et des djounoud par des actions dépassant l’ordinaire ; appeler les autres zones à agir de même ; attirer l’attention des patriotes marocains ; internationaliser le problème algérien. Selon Bentobbal : « Nous nous étions donc mis d’accord sur ces objectifs, puis nous avons tracé un plan pour les embuscades. Nous avons désigné les endroits qui le permettaient et les villes où nous devions entrer. Mais tout cela devait se faire avec la participation de tout le peuple. Quelles que devaient être les pertes et le prix à payer, il fallait parvenir à une radicalisation de la guerre pour couper court à tous ceux qui voulaient s’entendre avec la France. Il fallait mettre en échec totalement et définitivement la politique réformiste de la France » (p 235). La suite est beaucoup plus allusive, et doit être comparée au récit détaillé que le journaliste Yves Courrière avait tiré de ses entretiens avec Lakhdar Bentobbal et publié en 1969 dans son livre Le temps des léopards : « Un seul ennemi : l’Européen, qu’il soit civil ou militaire. C’est la première fois qu’à l’échelle du commandement de région un tel ordre est donné. Jusque-là les quelques victimes européennes avaient été assassinées par des éléments isolés. Zighout cette fois est formel : ‘Il faut créer une situation d’insécurité et de peur telle que toute activité soit impossible en dehors des villes après cette action. Il faut faire peur ou mourir » [1]. Ainsi, les forces policières et militaires françaises n’étaient pas seules visées ; les civils européens et les musulmans considérés comme traîtres l’étaient tout autant.

Le premier congrès de la zone du Nord-Constantinois, qui siégea durant une semaine autour du 1er novembre 1955, tira des leçons très positives du 20 août 1955. Sur le plan interne, c’était « la fin de la suprématie militaire des Français qui nous avait contraint auparavant à la défensive » ; c’était aussi le renforcement du soutien populaire : « Le peuple est revenu à nous et il nous était maintenant totalement acquis ». Sur le plan externe, le 20 août 1955 avait été d’un grand secours pour la Zone 1, encouragé les autres zones à passer à l’offensive, aidé les nationalistes marocains et rompu l’isolement de l’Algérie à l’ONU (pp 239-240). « Pour ce qui est du peuple, la victoire a dépassé toutes les prévisions. Nous étions loin de nous douter qu’il répondrait avec un tel élan à l’appel de la révolution et qu’il nous soutiendrait avec une telle énergie. Le prix que nous avons payé fut cependant très lourd. Après le 20 août, pas moins de 12.000 morts ont été inscrits sur nos registres avec le nom de chacun d’eux car leur famille devait recevoir une allocation (...). De notre côté, nous avons occasionné aussi beaucoup de pertes dans les rangs de l’ennemi, des pertes militaires mais aussi des civils qui ont été la cible de nombreux attentats surtout du côté d’El Alia [2]. Les espoirs nourris par les hommes politiques algériens qui voulaient s’entendre avec la France, ou ceux des Français qui voulaient utiliser les anciennes personnalités politiques algériennes furent coupés court » (...). Ainsi, « nous avons contraint Soustelle à abandonner définitivement sa politique réformiste et il est devenu l’un de nos pires ennemis, pire encore que les grands colons. Il n’était plus question de réformes (...). Pour nous ce fut un tournant crucial (...). Les autorités françaises venaient de déclarer la guerre à tout le peuple algérien » (p 241).

Une conséquence capitale du 20 août 1955 fut le ralliement des partis nationalistes modérés (UDMA et Association des Oulémas) dont plusieurs membres (Abbas Allaoua, Chérif Belhadj Saïd, Abbas Bencheikh el Hocine, et d’autres) avaient été condamnés à mort par Zighout Youcef pour « des déclarations publiques dénonçant le ‘terrorisme’ et appelant la population de Constantine à le combattre » (p 271). Pour lui, « depuis le déclenchement de la révolution, personne ne pouvait plus parler au nom du peuple et (...) celui qui voulait le faire devait s’intégrer au FLN ». Or à partir de ce jour « il y a eu dissolution des partis et adhésion au FLN de pratiquement toute l’armada des anciennes personnalités politiques, Oulémas, UDMA », et même « indépendants », ralliés par l’intermédiaire du chef politique d’Alger, Abane Ramdane.

Une autre conséquence favorable du 20 août fut la fin de l’isolement de la région. Au début novembre arrivèrent d’Alger deux envoyés d’Abane Ramdane. Zighout répondit par une lettre « où nous disions aux responsables d’Alger qu’ils devaient réfléchir à une rencontre à l’échelle nationale, (...) où nous ferions le bilan de la révolution et le stade qu’elle avait atteint » (p 243). Lakhdar Bentobbal raconte en détail, en reproduisant un témoignage détaillé du chef de la wilaya IV (Algérois) Amar Ouamrane (pp 286-304), les prises de contact entre Alger et le Nord-Constantinois qui aboutirent à la réunion du Congrès de la Soummam - d’abord prévu pour se tenir sur le territoire de la wilaya II - à partir du 18 août 1956.

Zighout et Bentobbal avaient été mis en garde par Ouamrane contre la volonté d’Abane, de Ben M’hidi et de Krim de faire entrer les anciens dirigeants centralistes, ceux de l’UDMA (parti de Ferhat Abbas) et des Oulémas dans les organes dirigeants de la révolution. Ils étaient d’accord avec lui, mais faisaient toute confiance à Ben M’hidi. Pourtant, dans les discussions du Congrès - où siégèrent officiellement Ben M’hidi, Ouamrane, Krim, Zighout et Bentobbal, Abane tenant le secrétariat - ils eurent plusieurs désaccords importants.

Après que chaque chef de zone eut présenté son rapport, fut posée la question des absents : le chef de l’Aurès Omar Ben Boulaïd, qui n’avait pas pu se trouver au rendez-vous en temps voulu, et les membres de la délégation extérieure qui n’avaient pas pu franchir la frontière tunisienne. Puis vint la discussion des points à l’ordre du jour, dont le principal selon Bentobbal porta sur le massacre de centaines d’habitants d’un village sur la rive droite de la Soummam en représaille contre la formation d’une harka par le bachagha Ourabah, réagissant à l’assassinat de son frère par Amirouche : « Le résultat de cette opération avait été la levée de la première harka de grande importance et une manifestation qui avait réuni, à Sétif, près de 1200 hommes armés. (...) Nous craignions qu’une telle pratique ne produise des divisions au sein du peuple et que cela nous amène à la guerre civile. Nous ne voulions pas que les populations tournent leurs armes contre nous au lieu de combattre la France » (p 313). Zighout et Bentobbal avait demandé la destitution d’Amirouche, mais Krim le défendit énergiquement, et la discussion n’aboutit pas. Bentobbal ne mentionne pas la discussion sur les massacres de civils européens et les meurtres d’élus musulmans commis le 20 août 1955, qui auraient été critiqués par Abane et Ben M’hidi selon Mohammed Harbi : « Selon Abane, l’insurrection du Nord-Constantinois, en s’attaquant pêle-mêle aux Européens et aux nationalistes modérés, facilite le jeu des colons. Zighoud et Bentobbal la justifient en en soulignant l’isolement dans lequel se trouve alors la révolution et le désespoir de ses chefs. Mais au fond d’eux-mêmes - Bentobbal le dira plus tard - ils n’acceptent pas les leçons de ce nouveau venu qu’est pour eux Abane » [3].

Puis la discussion sur la plateforme politique porta surtout sur la priorité du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Sur le premier point, « pour Ben M’hidi et Abane, c’est le militant en civil qui dirige la révolution. Pour Zighout et moi, la primauté du politique voulait dire que la révolution était en elle-même politique » (p 316). Sur le deuxième point, il n’y eut pas de divergence fondamentale. Mais à travers les débats commençaient à apparaître des problèmes entre Abane et Ben M’hidi d’un côté, Ben Bella, Khider et Aït-Ahmed de l’autre.

Dans la désignation des candidats pour le nouveau Comité de coordination et d’exécution (CCE), Ben M’hidi proposa une liste ajoutant aux anciens de l’OS Abane, Krim et lui-même deux anciens centralistes, Ben Khedda et Aïssat Idir (suppléé par Saad Dahlab). « Le fait que nous avions entériné l’introduction au CCE d’anciens centralistes ne peut s’expliquer que par la confiance que nous avions en Ben M’hidi ». Mais la désignation des membres du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), dans lequel Ben M’hidi voulait assurer une représentation des centralistes, de l’UDMA et des Oulémas, fut beaucoup plus difficile. Puis la discussion du règlement intérieur donna lieu à de vives tensions, par exemple entre Abane et les chefs du Nord-Constantinois sur l’idée de réserver au CCE le jugement de personnalités à caractère national (allusion à la condamnation à mort de Abbas Allaoua par Zighout), et sur la nomination imposée par Abane de l’ex-ouléma Brahim Mezhoudi au conseil de la wilaya II, ou entre ces mêmes chefs et Krim à propos du niveau très excessif des traitements des cadres supérieurs existant dans la wilaya III.

Ces divergences de vues ne portaient pas seulement sur des questions de personnes, mais sur des divergences d’analyse. Selon Abane et Ben M’hidi, la fin de la guerre était proche, alors que pour Zighout et Bentobbal il faudrait encore plusieurs années avant de pouvoir parler d’indépendance. « C’est peut-être cette idée-là de proximité de l’indépendance qui provoqua les grandes catastrophes du genre de la grève des huit jours. C’est peut-être aussi parce qu’ils pensaient que nous n’étions pas loin de la victoire finale que l’idée leur est venue de préparer une direction intérieure et de déterminer le choix des hommes qui seraient prêts à prendre les rênes du pouvoir dès l’indépendance » (p326). Dans cette perspective, Ben M’hidi jugeait nécessaire d’organiser des élections aux comités de douar pour démontrer la légitimité du FLN, alors que Zighout et Bentobbal ne les croyaient pas souhaitables : « N’ayons pas peur des mots : le peuple est encore opportuniste. Ceux que nous avons désignés sont eux-mêmes du peuple, c’est un fait, mais ils ont beaucoup demandé à ce peuple et ils commencent à être mal vus. Si nous les soumettons au suffrage, ils risquent de ne pas être plébiscités » (p 328).

En fin de compte, Zighout et Ben Tobbal durent accepter bon gré mal gré les propositions d’Abane et de Ben M’hidi. Mais Zighout, qui était très optimiste sur le succès de la révolution le 1er novembre 1955, était devenu beaucoup plus inquiet, comme il le confia à Bentobbal en septembre 1956 : « à voir l’orientation qu’ils suivent et les gens qu’ils ont choisis, sois sûr que la révolution a échoué. Il reste la guerre pour l’indépendance ; je te conseille de ne compter que sur toi-même ; ce ne sont pas des gens qui te seront d’une quelconque aide ou secours » (p 333).

Zighout périt le 23 septembre 1956 dans une embuscade au retour d’une tournée d’adieu dans sa région natale, avant d’aller prendre le commandement de la wilaya I (Aurès-Némentchas) laissé vacant par la mort de Mostefa Benboulaïd. Lakhdar Bentobbal lui succéda à la tête de la wilaya II, à l’occasion de son deuxième congrès. Il y rendit compte du congrès de la Soummam, et répondit aux questions des militants sur les principaux points de sa plateforme (la primauté du politique et du militaire, et l’admission des centralistes et des anciens partis réformistes au sein du CCE et du CNRA). Cette ouverture ne fut acceptée que par esprit de discipline et confiance envers les représentants de la wilaya.

Puis la réception de la délégation extérieure du FLN par le roi du Maroc et l’attente de la conférence de Tunis qui devait proposer sa médiation entre le FLN et la France suscitèrent l’inquiétude des dirigeants de la wilaya II : « Il était question que tous deux, Marocains et Tunisiens, allaient jouer le rôle d’intermédiaires avec la France et qu’ils tenteraient de régler le problème algérien. Nous tremblions devant une telle perspective et priions Dieu pour que cette réunion échoue. Je continue à penser que si elle avait réussi, ç’aurait été la plus grande catastrophe pour la révolution » (p 349). Quand il apprit le détournement par les Français vers Alger de l’avion marocain transportant les cinq chefs de la délégation extérieure, le 22 octobre 1956, il rendit grâce à Dieu : « La révolution est sauvée. C’est encore une bêtise politique que vient de commettre la France ».

En des pages très denses (pp 352-365), Lakhdar Bentobbal exprime son interprétation des luttes pour le pouvoir qui va bien au-delà des ambitions personnelles des dirigeants du FLN : « Je vais dire des choses qui pourraient paraître excessives, mais, dans la wilaya II, nous avions une vision particulière de la révolution et cette vision, je ne l’ai trouvée nulle part ailleurs, même dans les temps qui suivirent » [4]. La ligne générale du Congrès de la Soummam n’était pas celle à laquelle il aspirait : « D’une manière générale, les personnalités qui furent intégrées dans les instances avaient le même profil, la même pensée politique. Qu’ils fussent nationalistes MTLD ou ‘Ulamas (...) tous étaient sur le plan politique fondamentalement UDMA (...). Entre des révolutionnaires du genre de Abane et de Ben M’hidi, qui étaient eux en plein dans la guerre, et des gens du personnel politique ancien, il existait bien des différences, mais celles-ci étaient en réalité très restreintes. Tous s’accordaient en fait pour rentrer dans la guerre, la diriger et finir par être ceux qui négocieront la paix. Tous s’accordaient aussi et surtout pour être contre la longue durée de la guerre. Celle-ci allait en effet à l’encontre de leurs intérêts car une guerre de longue durée ferait participer tout le peuple, elle l’amènerait à un degré de maturité politique plus élevé, et ainsi il serait plus difficile de lui faire abandonner les droits qu’il aurait acquis tout au long de la lutte au bénéfice de quelqu’un. En un mot il fallait que soit mis fin à la guerre avant que le peuple et les responsables des maquis ne parviennent à un conscience politique élevée, c’est-à-dire qu’il fallait les prendre de vitesse » (p 353).

Lakhdar Bentobbal exprime ainsi une conception à la fois nationaliste radicale, populiste, puisqu’elle exprimait « la pensée du militant et du moudjahid du plus haut de la hiérarchie jusqu’à la base » (qui était de reprendre les terres et les usines des colons) et néanmoins élititiste : « Si la révolution avait adopté un modèle idéologique, cela aurait été un échec. Elle serait restée minoritaire. C’était passer par la guerre civile, s’entretuer avant de lutter contre l’ennemi. (...) Cela n’aurait jamais réussi. D’abord, les révolutionnaires, combien sont-ils ? Est-ce que le peuple est révolutionnaire ? Je dirai non. Il n’a jamais combattu pour la révolution. Il croit en la révolution mais il ne lutte pas pour elle. Il croit en la remise en cause et au chambardement de toute la société, pour qu’il puisse prendre les rênes du pouvoir, mais ce qu’il vise en fait c’est l’intérêt individuel. (...) Donc la révolution n’aurait jamais eu lieu en Algérie. Elle ne pouvait se faire qu’à travers la guerre et par l’unité nationale. Il fallait à l’intérieur de l’appareil forger l’esprit révolutionnaire » (p 363).

Les dernières pages de ce volume montrent que la guerre a pris un cours de plus en plus difficile à partir de la grève générale de huit jours ordonnée par le CCE à partir du 28 janvier 1957. Si Bentobbal critique la notion de « grève générale insurrectionnelle », il l’a néanmoins appliquée avec discipline, mais il juge sévèrement son résultat : « Si je fais le bilan, je peux dire que sur le plan politique la grève a peut-être démontré que le peuple était acquis au FLN, mais à partir de ce jour nous n’avons plus eu d’organisation politique solide du moins dans les villes, et ce jusqu’en 1962. Quant aux masses, nous ne les avons pas perdues, elles sont restées attachées au mot d’ordre d’indépendance, au FLN, mais elles ont perdu de leur tonus, elles ont reçu des coups sur le plan physique et matériel qu’elles n’étaient pas prêtes à recevoir. Elles n’étaient pas encore arrivées au stade du grand sacrifice, celui qui amène à risquer tous ses biens pour une cause » (p 366). Sans contester la légitimité de la décision du CCE, il l’interprète comme une erreur de jugement : « Nous avions le sentiment au Congrès de la Soummam (...), que Abane et Ben M’hidi pensaient que l’indépendance n’était pas loin et donc qu’ils ne perdraient pas grand-chose à déclencher une telle grève puisqu’ils n’avaient pas besoin de forces durables. Nous qui vivions dans les montagnes et voyions tous les jours l’armée française, qui voyions ses forces augmenter, nous savions que la lutte serait encore longue. Quel qu’ait été le degré de sécurité auquel nous étions parvenus dans certaines régions, nous savions que le rapport des forces n’était pas encore en notre faveur. Si nous n’étions pas encore parvenus à un rapport de forces égal, pourquoi donc la France négocierait-elle ? Elle n’avait aucun intérêt à le faire » ( p 367).

Au début de mai 1957, Krim et Ben Khedda ayant fui Alger arrivèrent en wilaya II : « Ils m’ont demandé alors d’aller avec eux à Tunis, disant qu’ils avaient besoin de moi ». Bentobbal accepta, et ils parvinrent en Tunisie vers le 14 mai après douze jours d’une marche périlleuse. Pour lui qui n’avait jamais quitté l’intérieur de l’Algérie, c’était entrer dans un autre monde.

Ce premier tome, s’il ne répond pas à toutes les questions que l’on se pose sur les ordres donnés pour le 20 août 1955, n’en laisse pas moins l’impression d’une œuvre de premier plan, aussi importante que les ouvrages historiques fondamentaux de Mohammed Harbi et de Mahfoud Kaddache publiés en 1980.

Le deuxième tome, qui porte sur les années 1957-1962 au sommet de la hiérarchie du FLN siégeant désormais à l’extérieur de l’Algérie, est plus court et plus facile à résumer. La lutte pour la direction se joue d’abord entre Abane Ramdane, qui invoque la primauté du politique sur le militaire, et la coalition des trois principaux chefs militaires issus des wilayas de l’intérieur, Krim, Boussouf et Bentobbal. On savait par ce dernier qu’Abane avait été attiré dans un guet-apens au Maroc à la fin 1957 puis étranglé sur l’ordre de Boussouf, mais on ne savait pas qu’Abane avait le premier sollicité l’accord de Bentobbal pour éliminer Boussouf, ni que Krim avait projeté d’éliminer Boussouf et Bentobbal avant de se raviser et d’en informer ses victimes potentielles. Si la nécessité de faire bonne figure sur la scène internationale imposa la formation d’un Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) réunissant toutes les tendances sous la présidence nominale de Ferhat Abbas le 19 septembre 1958, la distinction entre les militants civils, qui n’avaient qu’un pouvoir de représentation, et les chefs militaires qui détenaient les forces armées des wilayas, était bien réelle, et elle se renforça en 1959 quand l’échec du ministre des forces armées Belkacem Krim à forcer le passage à travers les frontières imposa une longue réunion des dix principaux chefs militaires pour tenter de répondre au défi politique et militaire du général de Gaulle avant de réunir le CNRA en décembre 1959-janvier 1960. Krim, Boussouf et Bentobbal furent d’accord pour ordonner l’assassinat du sénateur Chérif Benhabylès qui avait rencontré secrètement Ferhat Abbas et Ahmed Francis, afin de décourager toute tentative de « troisième force » entre la France et le FLN le 28 août 1959 (pp 116-117).

Dans toutes ces années de crise, Bentobbal devenu ministre de l’intérieur - c’est-à-dire chargé des organisations du FLN encadrant les populations algériennes de France, de Tunisie et du Maroc - se comporta comme un arbitre essayant d’éviter l’échec de la révolution, notamment en 1959 quand la wilaya II refusa de se joindre aux purges sanglantes ordonnées par le colonel Amirouche de la III, et en 1960 quand le mécontentement des wilayas de l’intérieur contre l’impuissance du GPRA se traduisit par la révolte de Si Zoubir contre la direction de la wilaya V au Maroc et par l’affaire Si Salah (simplement évoquée) en wilaya IV (Algérois). Même si les manifestations de décembre 1960 à Oran puis Alger et d’autres grandes villes éclatèrent sans que le GPRA les eut prévues, et contribuèrent à l’acceptation par le général de Gaulle de la négociation politique avec le GPRA en 1961, la contestation de son autorité par l’état-major général de l’ALN dirigé par le colonel Boumedienne suscita de nouvelles inquiétudes.

Privé de son poste dans le nouveau GPRA formé en août 1961 par son ennemi Ben Khedda, mais resté ministre sans portefeuille, Bentobbal alla rendre visite à Ben Bella et aux autres leaders du FLN emprisonnés par les Français pour les informer des pourparlers, et il participa très activement aux négociations des Rousses et d’Evian. Croyant un moment avoir sauvé la révolution, il fut rapidement déçu par les intrigues de Ben Bella cherchant à renverser le GPRA avec l’aide du colonel Boumedienne. Lors du CNRA de Tripoli (20 mai-7 juin 1962) qui adopta à l’unanimité un programme socialiste que presque personne n’avait lu, il n’approuva pas Ben Khedda de fuir la confrontation avec Ben Bella, mais il ne cacha pas non plus à ce dernier sa profonde déception : « Je t’avais jusque-là beaucoup défendu, mais au bout du compte tu t’es révélé être un tout autre homme que celui que je croyais. Je suis arrivé à la conclusion que j’avais devant moi un monstre et non un homme ayant des qualités pour diriger la révolution » (p 276).

Ses dernières pages reprennent son analyse d’une révolution trahie par ceux qui sont parvenus à s’infiltrer dans sa direction : « la révolution a été déclenchée contre la volonté d’un grand nombre de ceux qui se trouvaient maintenant dans ses rangs. Pour autant que certains l’aient désirée effectivement, ils l’ont fait en pensant déclencher une guerre de libération contre la France. Tous, cependant, convenaient que cette guerre devait aboutir à un accord avec une certaine France, une France qui se perpétuerait en Algérie. Ils ne voulaient pas de rupture parce que toute rupture, quelle qu’elle soit, avec l’ancienne puissance coloniale, signifiait la semence de la révolution » (p 291). Et il ajoute : « Il ne s’agit pas là d’une analyse politique, mais d’un simple diagnostic des faits tels qu’ils se sont produits. Parmi tous les cadres que j’ai connus lors de cette dernière session du CNRA, ceux qui étaient pour l’aboutissement effectif de la guerre sur une perspective révolutionnaire peuvent se compter sur les doigts d’une main » (p 292). Encore omet-il de rapporter les graves événements qui suivirent l’indépendance, notamment son arrestation à Constantine dans la nuit du 24 au 25 juillet 1962 par l’un de ses anciens subordonnés rallié au colonel Boumedienne.

Guy Pervillé

VERMEREN, Pierre, Histoire de l’Algérie contemporaine, de la Régence d’Alger au Hirak , XIXème-XXIème siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, juin 2022, 397 p, 22,90 euros. Avec bibliographie, table des matières, et cartes.

ISBN : 978-2-38094-307-8.

Pierre Vermeren est un spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine des pays du Maghreb, tout particulièrement du Maroc et de la Tunisie. Ce livre est le premier qu’il consacre à l’Algérie, à l’occasion du soixantième anniversaire de son indépendance. Son projet est novateur, comme le souligne la quatrième de couverture : « Première grande synthèse sur l’Algérie du XIXème au XXIème siècle, cet ouvrage propose une perspective originale, sur le temps long. (...) Les travaux sont nombreux sur l’Algérie, mais l’articulation d’un récit unifié sur la longue durée telle qu’elle est ici traitée n’a pas d’équivalent. La plupart des ouvrages séquencent une période courte, ou additionnent des contributions qui ne permettent pas de saisir un récit qui fasse sens. Ce livre constitue en cela un apport inédit à l’historiographie de l’Algérie ». Cette argumentation publicitaire n’est pas tout à fait convaincante, parce que le livre d’Emmanuel Alcaraz, publié en 2021, a suivi une démarche analogue [5]. La vraie spécificité de celui de Pierre Vermeren est son optique résolument synthétique, qui peut être un avantage sur l’histoire narrative traditionnelle mais qui présente un degré de difficulté supplémentaire.

Son introduction définit très clairement son projet : retracer l’évolution qui a conduit « du territoire impérial à l’Etat-nation algérien », en analysant « les héritages : empire, nation, tribus », en présentant l’histoire algérienne comme « un emboîtement d’Etats », jusqu’à ce que les nationalistes algériens s’attachent, au XXème siècle, à « faire correspondre l’Etat et la Nation ». Cette démarche résolument émancipée des discours politiques est convaincante et fait attendre la suite.

Le livre de Pierre Vermeren suit néanmoins un plan chronologique dans ses grandes lignes, puisque, sans s’enfermer rigoureusement entre des dates, il traite successivement de quatre périodes bien distinctes : - « La régence ottomane, un contrôle très partiel du Maghreb central du Maghreb central jusqu’en 1837 » ; - « L’Algérie coloniale française, entre permanences socio-culturelles et insertion dans l’économie-monde (1834-1934) » ; « Du nationalisme algérien à la construction de la République algérienne (1918-1978) » ; « Les crises de l’Etat-nation algérien face aux chocs de la mondialisation ».

La première partie présente successivement « le bastion occidental de l’empire ottoman », puis la « société coloniale ottomane versus tribus libres du monde arabo-berbère », et enfin « la régence d’Alger dans soin environnement africain et méditerranéen ». Ces analyses fondées sur les travaux des meilleurs historiens sont pleinement convaincantes.

La deuxième partie analyse plus en détail « l’improbable expédition d’Alger et la naissance d’un primo-Etat algérien ? La tentative d’Abdelkader », puis « la conquête de l’Algérie, premier acte d’une guerre de cent ans en Afrique du Nord (1834-1934) », « l’Algérie du sabre, de Bugeaud à Napoléon II : gouverner et administrer l’Algérie, des bureaux arabes au Royaume arabe (1834-1870) », « l’Algérie des colons, faire France en Algérie (1870-1954) », « l’armée d’Afrique, principal outil d’intégration des ‘indigènes’ à la cité française », « mythes et réalités de la principale colonie française, entre discours et trompe-l’œil économique », enfin « réalités et illusions du contrôle de l’islam et du cœur des musulmans par la République coloniale ». Les titres de ces chapitres suggèrent l’originalité de la démarche suivie qui ne laisse de côté aucun aspect du problème colonial algérien. Ils inspirent très peu d’objections, sauf sur des points de détail, par exemple l’attribution du nom de Philippeville au port de Bône p 89 (alors qu’il s’agissait d’une ville nouvelle fondée près du port de Stora pour servir de débouché sur la mer à Constantine). Mon regret le plus important est l’oubli de signaler le plan de réformes de 1944 élaboré sur l’ordre du général de Gaulle qui visait à définir les moyens d’une véritable intégration, non seulement politique mais aussi économique et sociale de la population algérienne musulmane dans la nation française [6].

Mais c’est la troisième partie qui m’inspire les réactions les plus contrastées. Je n’ai pas d’objections contre le chapitre 11 (« ‘L’Algérie révélée’ pendant la Grande Guerre », inspiré par la thèse de Gilbert Meynier), ni contre les chapitres 16 à 18 portant sur l’Algérie indépendante. Mais le chapitre 12 sur « les deux nationalismes, Messali Hadj versus Abdelhamid Benbadis », globalement convaincant, contient néanmoins quelques phrases discutables, comme celle qui date de 1961 la fondation du MNA par Messali Hadj à la page 194 (erreur heureusement corrigée à la page 196, qui rétablit la vraie date, décembre 1954). Le résumé des principales étapes de sa carrière donné à la page 194 est exact, mais la première mention de la crise du parti nationaliste MTLD à la page 197, qualifiant Messali de « champion des réformistes », est erronée. Puis les chapitres 13 (« De Sétif à la Toussaint 1954, la marche à la guerre de libération ») et 14 (« Le FLN, une machine de, guerre totalitaire pour briser le rapport de force ») sont de loin les plus contestables.

Dans la page 205, la présentation de l’insurrection et de la répression du 8 mai 1945 dans le Constantinois est globalement juste, même si la distinction n’est pas faite entre le plan d’insurrection soumis à Messali Hadj en avril 1945 et l’ordre d’insurrection donné puis annulé par la direction clandestine du PPA après le 8 mai. Mais on s’étonne d’apprendre que Messali aurait été transféré d’abord au Gabon (comme Allal El Fassi en 1937) puis à l’île de la Réunion (comme l’émir Abdelkrim en 1926) alors qu’en réalité il avait été transféré d’abord à In Salah puis à Brazzaville. On s’étonne aussi de lire que la marine française aurait « tiré au canon sur la région de Guelma » (ce qui était matériellement impossible, comme les tirs sur la région de Sétif affirmés par d’autres auteurs). On a ensuite la satisfaction de voir signaler le plan de réformes décidé « pour rattraper le siècle perdu dans ces régions déshéritées » (pp 206-207), mais sans avoir appris que ce plan avait été longuement élaboré et adopté en 1944 par le CFLN.

Puis le pire degré de confusion est atteint dans les pages 209 à 212. Messali est qualifié de « chef » du groupe d’activistes de l’OS, ce qui est très discutable car l’Organisation spéciale avait été créée par le congrès clandestin de 1946 pour répondre à l’inquiétude suscitée dans le parti par la légalisation du PPA sous le nom de MTLD que Messali avait décidée à l’invitation des autorités françaises. Puis les dates limites de la présence de Messali en Algérie, correctement situées à la page 196 entre 1946 et 1952, sont réduites à une période étriquée (« d’octobre 1946 à décembre 1948 avant d’être assigné à résidence en métropole », p 209), et ses relations avec les diverses tendances qui sont apparues et qui s’affrontent dans la direction du PPA puis du MTLD ne sont pas clairement expliquées. Enfin dans les pages 211-212, la crise qui divise la direction du MTLD en 1954 est ainsi résumée : « faut-il adopter une politique réformiste ou la violence révolutionnaire ? Les messalistes, qui sont réformistes, sont accusés de conduire à une impasse ; les centralistes estiment que le temps de la lutte armée est venu, car le colonialisme ne changera pas et qu’il faut le détruire. Les neutralistes, en observateurs, finissent par se rallier aux centralistes, marginalisant les messalistes ». Or cette analyse qui pourrait paraître vraisemblable à la lumière de la guerre civile qui opposa le FLN au MNA messaliste à partir de 1956, est fausse, comme le savent les spécialistes du nationalisme algérien depuis le travail pionnier de Mohammed Harbi paru en 1975. En réalité, Messali se prétendait le défenseur du caractère populaire et révolutionnaire de son parti contre le réformisme qu’il attribuait à ses opposants du Comité central en les accusant de vouloir s’aligner sur les partis bourgeois (l’UDMA de Ferhat Abbas et l’Association des Oulémas). Les anciens de l’OS, qui formaient la troisième force, avaient d’abord soutenu les centralistes par hostilité aux messalistes, dont ils mettaient en doute la volonté révolutionnaire [7]. Messali avait perdu le goût des aventures depuis 1945, et il restait captif des Français depuis 1952 parce qu’il se croyait leur interlocuteur indispensable pour rétablir la paix en obtenant l’indépendance, comme le leader tunisien Bourguiba et le sultan du Maroc Mohammed Ben Youssef.

Le chapitre 14 qui suit est moins critiquable, mais il contient quelques affirmations discutables, comme l’amitié qui aurait existé entre Boussouf et « les chefs de la révolution, Ben Bella ou Krim Belkacem » (p 222), alors que selon les Mémoires de Lakhdar Bentobbal récemment publiés [8], Krim avait projeté de faire assassiner Boussouf et Bentobbal avant de changer d’avis ; ou encore que durant la crise de l’été 1962 Boumedienne, ancien protégé de Boussouf, était encore soutenu par celui-ci (p 229) qui était pourtant resté membre du GPRA. De même, le soutien de Ferhat Abbas au GPRA est une erreur, car il soutenait Ben Bella parce qu’il ne pardonnait pas à Ben Khedda son éviction de la présidence en août 1961.

Quant au chapitre 15 (« De Gaulle orchestre la séparation des deux rives pour ‘sauver la France’ »), il contient encore quelques passages discutables, comme celui sur la crise du 13 mai 1958 dans lequel le coup d’Etat est attribué à l’armée « avec l’aide d’activistes algérois dont Pierre Lagaillarde » (p 236), alors qu’il s’agit du contraire, puisque le mouvement organisé par les civils algérois avait été rejoint par le général Massu puis par le général Salan qui ne l’avaient pas prémédité. Mais le plus étonnant se trouve à la page suivante. Une analyse de l’auteur qui distingue les quatre motivations principales du général de Gaulle se termine ainsi : « et créer un régime présidentiel pour ‘régler un problème vieux de 152 ans’ - ndlr la mort du roi de France ». Ce passage prouve que le responsable de l’édition n’a pas compris le sens de la citation, qui n’était pas correctement datée. Il me semble qu’elle se référait à une phrase prononcée par De Gaulle dans son discours du 14 juin 1960 : « Reste à régler l’affaire algérienne, pendante depuis 130 ans ». Mais cela prouve surtout que l’auteur du livre, sans doute submergé par diverses occupations urgentes, n’a pas procédé à une relecture exigeante de ces trois chapitres qui déparent l’ensemble, et qu’il aurait dû avoir recours à l’aide d’un relecteur qualifié.

Le chapitre suivant (« Algérie année zéro, héritages coloniaux et dévastations humaines ») dresse un bilan équilibré de la guerre et de la colonisation. Puis le chapitre 17 (« Faire du passé table rase ? Derrière les mannes de l’anti-impérialisme ») analyse avec pertinence l’action d’Ahmed Ben Bella. Le chapitre 18 (« Construire l’armée et règner par la force ») est consacré à l’œuvre de Boumedienne, en remontant jusqu’à ses années de formation et en suivant sa carrière jusqu’à sa mort imprévue en 1978.

La dernière partie (chapitres 19 à 24), qui couvre toute la période allant de 1979 à nos jours, présente une analyse rigoureuse et convaincante des échecs de la politique algérienne (hors l’exploitation du pétrole et du gaz sahariens) : « Bureaucratisation de l’Etat et faillite de l’économie, l’échec du socialisme réel », « Une seule option économique, le tout-pétrole et ses impasses », « La décennie noire ou l’échec de la prise de l’Etat par l’islam révolutionnaire (1992-2002) », « Bouteflika, de la légitimité révolutionnaire à la glaciation », « Face aux printemps arabes, de la fuite en avant économique, démographique et financière jusqu’à la révolution ? », « 6 à 7 millions d’Algériens hors les murs, l’Algérie exilée ». De même la conclusion (« Du Hirak au Covid-19, l’Algérie vers l’inconnu (2019-2022) », prolonge ces analyses jusque dans l’actualité.

Ces cent dernières pages du livre démontrent la qualité de l’information et de la réflexion de l’auteur sur l’histoire de l’Algérie indépendante, qui confine à l’histoire immédiate, dont il est un praticien avisé.

En terminant ce compte rendu, j’ai scrupule à avoir accordé tant d’attention aux quelques points faibles de ce livre sans avoir suffisamment souligné la qualité du projet et de la plus grande partie de sa réalisation. Il me reste à exprimer le vœu qu’une nouvelle édition soigneusement revue et corrigé pourra être bientôt réalisée pour le plus grand profit de ses lecteurs.

Guy Pervillé

BRANCHE Raphaëlle (avec la collaboration de Victor Delaporte, Lydia Hadj-Ahmed et Julie Maeck, En guerre(s) pour l’Algérie. Témoignages . Avec photographies des 15 témoins, chronologie, carte de l’Algérie en 1960, glossaire, table des matières. Paris, Tallandier et Arte Editions, février 2022, 424 p, 22,90 euros. .

ISBN : 979-10-210-5138-6

Ce livre présenté par Raphaëlle Branche est le résultat d’une collecte de témoignages réalisée par l’INA en 2019 et 2020, et utilisée par la chaîne de télévision Arte pour illustrer la série documentaire « En guerre(s) pour l’Algérie » due à Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski projetée sur cette chaîne en mars 2022. Sur les 66 témoins qui ont été enregistrés dans les deux pays en cause par des équipes d’interrogateurs qualifiés, une quinzaine a été sélectionné pour ce livre afin de constituer un échantillon représentatif, permettant de saisir l’extrême diversité des expériences vécues par les acteurs et témoins. Ces quinze témoins ont été choisis de manière à représenter toutes les populations concernées par cette guerre et tous les types d’engagements, et rangés dans un ordre chronologique.

Le lecteur découvrira successivement les points de vue de Mohammed Lahrèche (« Sur les pas d’un maquisard de la wilaya 2 »), Simone Aïach (« Pour une Algérie plurielle »), Kamel Ouartsi (« Officier de l’armée des frontières »), Rachida Miri (« du lycée d’Oudjda aux rangs de la wilaya 5 »), Khadidja Benguelbour (« Infirmière au maquis »), Nelly Forget (« Une métropolitaine aux côtés des plus démunis des Algérois »), Robert Deberghes (« Appelé et infirmier dans les Aurès »), Georges Cochet (« Un avocat au service de tous »), Roger Saboureau (« l’Algérie française au cœur »), Messaoud Kafi (« Harkis : les voies de l’engagement »), Stive Modica « Un parachutiste dans les violences de la guerre »), Idir Boumendjil (« Pour Messali, jusqu’au bout »), Slimane Zeghidour (« « Le petit garçon du camp de regroupement d’Errraguène »), Gérard Rosenzweig (« L’OAS à 18 ans »), Dominique Moëbs (« La fillette du quartier de la cathédrale d’Alger »).

Cette sélection représentative réussit bien à donner une juste idée de la diversité des positions et des expériences. Mais on peut aussi remarquer que la plupart de ces témoignages apportent des surprises, même à des lecteurs qualifiés. Le plus remarquable exemple, à mon avis personnel, est celui du jeune Slimane Zeghidour, qui distinguait dans le camp où il grandissait « les vrais Français », c’est-à-dire « les bons », et les mauvais (légionnaires allemands, tirailleurs sénégalais et harkis), et qui passa sans transition de l’euphorie de la libération à une cruelle désillusion. C’est donc un livre très instructif, qui mérite d’être lu.

Guy Pervillé

SACRISTE Fabien, Les camps de regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962) . Paris, Les Presses de Sciences-Po, février 2022, 325 p, 24 euros. Avec bibliographie, sources, table des documents et table des matières.

ISBN : 978-2-7246-3865-3

Plus de sept ans après la soutenance de sa thèse monumentale à Toulouse en 2014, Fabien Sacriste en a enfin publié une version condensée qui met ses apports à la disposition d’un plus large public. Après une riche introduction, qui définit clairement les concepts employés - notamment en écartant le terme de « camp de concentration » dont le nazisme a considérablement aggravé le contenu initial - le plan combine la chronologie et l’analyse des évolutions en trois grandes parties. D’abord, « le centre de regroupement : genèse d’un instrument de la ‘pacification) (1954-1957) ». Puis « les mille camps de l’’Algérie nouvelle’ : causes, fonctions et conséquences du regroupement (1957-1959) ». Et enfin « la ‘bataille des regroupements’, ou les ‘nouveaux villages’ dans la tourmente du plan Challe (1959-1962) ».

A travers tous ces chapitres, Fabien Sacriste démontre la contradiction sensible dès le début de la guerre entre une stratégie militaire à court terme, visant à priver le poisson (FLN-ALN) de son eau (la population civile algérienne) et une autre stratégie à plus long terme visant à gagner cette population civile en transformant profondément ses conditions de vie, par l’action des Sections administratives spécialisées (SAS) prolongeant les expériences des Bureaux arabes de la conquête et des Affaires indigènes du Maroc. Le général Parlange, venu du Maroc, incarna cette continuité, d’abord comme préfet du nouveau département de Batna (1956), puis en 1959 et 1960 comme directeur de l’inspection général des regroupements de population, chargé de veiller à la transformation de la stratégie des regroupements accélérés par l’armée en réalisation de « mille villages » (souhaitée par le Gouvernement général pour mettre fin à la situation matérielle et sanitaire déplorable de ces camps, cause d’une surmortalité que Fabien Sacriste estime entre 150.000 et 200.000 individus). En 1961 l’ouverture des négociations entre le gouvernement français et le GPRA et l’épuration de l’armée française après le putsch des généraux mirent un terme à la course aux regroupements sans donner aux SAS le tempsetlesmoyensnécessairespour faire des ‘mille villages’ une réalité. Dès sa démission en décembre 1960, le général avait reconnu cette contradiction : « Regroupement correspond souvent à déracinement et s’apparente à une politique de terre brûlée. Les conséquences en sont graves sur les plans humain, économique et social. Les hiérarchies anciennes sont bousculées, le goût du travail disparaît, car il est facile de devenir client de l’assistance publique. Sur le plan économique, le déracinement s’est souvent traduit par une pauvreté accrue ». Et le 1er avril 1961 il écrivait : « Les erreurs commises et leurs conséquences graves que nous n’avons cessé de signaler risquent d’être une arme sérieuse au moment du règlement des comptes, et surtout une charge financière très lourde par les indemnisations que l’on ne manquera pas de réclamer comme réparations ».

Selon Fabien Sacriste, il faut distinguer trois catégories dans l’ensemble des camps de regroupement. D’abord celui des nouveaux villages ou des camps villagisés, comme celui de Médina dans l’Aurès : « son infrastructure villageoise, administrative, sociale, qui atteint une certaine complétude (mairie, école, poste, logements, moulin, foyer sportif, centre de jeunesse) résulte des efforts conjugués de la population locale, de la SAS, de l’armée et de l’administration, pour résorber la précarité imposée dès 1955 par le repli du douar Ichmoul ». Puis un deuxième ensemble constitué de « camps aménagés, soit progressivement équipés pour les rendre habitables, avec le ‘village’ pour horizon - sans jamais avoir les moyens des ‘camps modèles’ ». Enfin « les regroupements provisoires, troisième grand ensemble qui concerne au moins la moitié des regroupements : celui des camps formels, sommairement équipés pour les rendre, au moins en théorie, temporairement habitables ».

Fabien Sacriste conclut sévèrement en voulant remplacer le mot ‘village’ par le mot ’camp’ afin de « résorber la mythologie de la pacification qui, à bien des égards, brouille encore l’appréhension collective du conflit en cherchant à dissocier l’investissement des SAS et les violences qui entachent l’action de la France en Algérie ». On peut en effet remarquer que l’arrondissement kabyle d’Akbou, où le déracinement avait été particulièrement brutal, fut touché par une vague de massacres de harkis à partir de juillet 1962 [9]. Mais on peut aussi remarquer que près des trois quarts des camps de regroupement existaient encore dix ans plus tard, ce qui oblige à nuancer ce constat accablant, comme le fait Fabien Sacriste à la fin de son article « Camps de regroupement » (pp 1064-1067 du Dictionnaire de la guerre d’Algérie, collection Bouquins 2023) : « Après l’indépendance, la ruine des écosystèmes et des sociétés rurales favorise le maintien des populations dans les camps, qui évoluent peu à peu vers de nouvelles entités citadines : autant de stigmates d’une histoire qui a brusquement et définitivement bouleversé l’Algérie, mais qui reste encore aujourd’hui largement méconnue de l’opinion publique française ».

Guy Pervillé

THENAULT Sylvie, Les ratonnades d’Alger, 1956. Une histoire du racisme colonial . Paris, Editions du Seuil, février 2022, 333 p, 23 euros.

ISBN : 978-2-02- 141927-6

Ce nouveau livre de Sylvie Thénault est une enquête très minutieuse sur un événement précis : l’assassinat du président de la Fédération des maires d’Algérie, Amédée Froger, à Alger rue Michelet devant son domicile le 28 décembre 1956, mais aussi sur ses origines proches et lointaines, et sur ses conséquences, jusqu’à l’arrestation, la condamnation à mort, puis l’exécution le 25 juillet 1957 de son assassin présumé Badèche Ben Hamdi, qui semble bien avoir été missionné non par le FLN, mais par le MNA de Messali Hadj. Il est fondé sur des sources très variées, incluant une enquête menée auprès des témoins et de leurs héritiers, aussi bien en Algérie qu’en France, mais aussi des archives policières et judiciaires inédites. Les résultats de cette recherche sont clairement présentés suivant un plan chronologique en trois parties : 1- « Froger 1956. L’Algérie française se mobilise ». 2- « Les ratonnades du 29 décembre. Pour un autre récit de la guerre à Alger ». 3- Badèche Ben Hamdi, condamné à mort et exécuté. Fin de l’enquête ? » A la lire, le lecteur peut ressentir l’impression que la victime, Amédée Froger, notable colonial considéré par ses amis comme un martyr de l’Algérie française, n’était peut-être pas totalement innocent de l’injustice coloniale, et que celui qui a été déclaré coupable de son assassinat, SNP Badèche Ben Hamdi, ne l’était peut-être pas non plus - puisqu’il a toujours protesté de son innocence - mais qu’il incarne le colonisé dépouillé de tous ses biens, y compris de son nom (SNP signifiant « sans nom patronymique »).

Cette impression laisse néanmoins un certain malaise, qui apparaît dès la lecture du titre et du sous-titre, et surtout de la quatrième de couverture : ... « Ses obsèques à Alger rassemblent à Alger des milliers de personnes. Surtout, elles sont l’occasion de violences racistes, que les contemporains nomment ‘ratonnades’. Elles visent les ‘musulmans’, comme sont appelés les Algériens dans cette société-là ». Les pages qui retracent ces violences laissent le lecteur hésiter entre deux interprétations : une explosion de haine excitée par le terrorisme, ou des provocations calculées pour semer le désordre. Mais l’auteur ne se borne pas à une histoire événementielle à court terme : « S’appuyant sur des sources variées, dont des archives policières et judiciaires inédites, Sylvie Thénault enquête sur ces événements pour les inscrire dans la longue durée coloniale. Trop souvent réduites à des actions ponctuelles et paroxystiques, ou associées aux attentats de l’OAS à la toute fin de la guerre, ces violences - non pas celles des autorités et de leurs représentants mais bien celles de Français, nés là-bas - se nourrissent d’un rapport de domination, empruntant à toutes les formes d’oppressions possibles (économiques, sociales, politiques, juridiques, culturelles) et s’ancrent dans un espace urbain ségrégué ». Ainsi le livre semble avoir visé une histoire totale : « Sylvie Thénault plonge le lecteur au cœur de la société coloniale algérienne, traversée de brutalités et de peurs, au plus près de cette foule d’anonymes, qui ont été partie prenante de la Guerre d’indépendance algérienne. C’est ainsi un autre récit de ce conflit qu’offre ce livre ». Mais on peut se demander si la société coloniale algérienne peut être incriminée sans examiner la politique de la France conquérante et colonisatrice, sans laquelle elle n’aurait jamais existé.

En effet, ce projet ambitieux pourrait être plus convaincant s’il ne laissait pas de côté, entre le court terme et le long terme, une dimension non moins importante, celle de l’escalade du conflit opposant le FLN au gouvernement français en 1956. En effet, même si Badèche Ben Hamdi n’appartenait pas au FLN, mais à son rival messaliste le MNA - alors en voie de disparition à Alger - il était inévitable que cet attentat lui fût attribué dans un premier temps, parce que le FLN menait une escalade du terrorisme depuis les deux premières exécutions de condamnés à mort le 19 juin 1956 - en application des menaces formulées par son chef Abane Ramdane dès février 1956 - et intensifiée par l’utilisation de bombes meurtrières à partir du 30 septembre 1956. Escalade terroriste qui avait à son tour provoqué une escalade du contre-terrorisme européen, perceptible à partir de l’attentat de la rue de Thèbes dans la Casbah le 10 août 1956. Ce contre-terrorisme était aussi une menace pour l’autorité du gouvernement français et de ses représentants sur place, puisque ses dirigeants clandestins recrutaient des policiers et des militaires et se mettaient à la disposition de comploteurs militaires et civils, comme le prouva au même moment le projet de prise du pouvoir à Alger dévoilé par le général Faure au secrétaire général de la préfecture d’Alger Paul Teitgen, et un peu plus tard l’attentat au bazooka du 16 janvier 1957 contre le général Salan qui tua son aide de camp le commandant Rodier. Ces faits très importants, qui auraient mérité d’être pris en compte dans une quatrième partie, ne sont pas assez mis en valeur.

Et pourtant, Sylvie Thénault mentionne en trois pages (pp 225-227) le point de vue du préfet d’Alger Serge Baret, qui exprime ses craintes au ministre résidant Robert Lacoste le 2 janvier 1957 et au ministère de l’intérieur le 6 janvier. Craignant une nouvelle manifestation violente qui aboutirait à une attaque de la prison de Barberousse visant à en extraire les condamnés à mort pour les exécuter [10], il exprimait aussi son analyse des deux menaces auxquelles il devait simultanément faire face : « Côté musulman », le FLN a déclenché « une violente action de terrorisme à caractère spectaculaire » dans laquelle s’insère l’assassinat d’Amédée Froger, et Serge Baret voit dans la grève générale annoncée par le FLN « un mouvement d’allure insurrectionnelle » : « Côté européen », il craint « une opinion devenue hypersensible », dont « l’exaspération » et « la nervosité » risquent de se traduire dans les faits par « l’apparition du contre-terrorisme ». Dans ces conditions, on comprend que le préfet ait, sur ordre du ministre résidant Robert Lacoste, remis ses pouvoirs de police au général Massu le 7 janvier 1957, même s’il n’approuvait pas cette décision. Sylvie Thénault commente ce fait assez justement : « Il n’est pas bien sûr question d’opposer les paras aux militants activistes de l’Algérie française, et encore moins à la population européenne que tente la subversion. La décision est néanmoins liée à ce contexte également. Le recours à l’armée renforce le maintien de l’ordre puisqu’il répond à ce que Baret appelle le « côté musulman » de la menace politico-sécuritaire. « Côté européen », en restaurant la confiance, la décision amoindrit les risques dont Baret a dressé l’inventaire » (op. cit., p 227). C’est vrai, mais le lecteur attend logiquement à cet endroit une quatrième partie consacrée à la « bataille d’Alger », qui ne vient pas et qui manque à ce livre ambitieux, trop ou pas assez ?

Guy Pervillé

Dictionnaire de la guerre d’Algérie, sous la direction de Tramor Quemeneur, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, Paris, Collection Bouquins, mars 2023, 1425 p, 34 euros. Avec liste des auteurs, table des sigles et acronymes, glossaire des termes arabes, table alphabétique des entrées, et cartes, chronologie, bibliographie, index des noms de personnes et de lieux, table des matières.

ISBN978 -2-38292-306-1

Ce Dictionnaire de la guerre d’Algérie s’inscrit dans une longue série d’ouvrages collectifs consacrés à ce conflit et associant des historiens français, algériens et d’autres nationalités. Après le colloque La France en guerre d’Algérie tenu en 1988 et publié en 1990 par Jean-Pierre Rioux, puis celui organisés par Charles-Robert Ageron à l’IHTP en 1997, La guerre d’Algérie et les Algériens, et l’autre colloque organisé et publié en son honneur en 2000 par l’Institut d’histoire du temps présent sous la direction de Daniel Lefeuvre, La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, on a vu paraître l’ouvrage collectif dirigé par Mohammed Harbi et Benjamin Stora, La guerre d’Algérie 1954-2004, la fin de l’amnésie, le colloque organisé en juin 2006 à l’Ecole normale supérieure de Lyon par Gilbert Meynier et Frédéric Abécassis, intitulé Pour une histoire franco-algérienne. En finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire, et plus récemment l’ouvrage collectif publié en 2012 à Paris (La Découverte) et à Alger (Barzakh) par Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari-Tengour et Sylvie Thénault, Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962, avec une postface de Gilbert Meynier et Tahar Khalfoune.

Cet ensemble imposant de 776 notices dues à 58 auteurs arrive juste à temps pour nous rassurer sur la survie de cette communauté internationale des historiens de la guerre d’Algérie qui semblait se disloquer depuis quelques années. En effet, comme le remarque dans Le Monde des livres du 25 mars 2023 l’historien André Loez, le Dictionnaire de la guerre d’Algérie « tient le pari de la rigueur historienne qui, à défaut de calmer les passions établit des faits » : « c’est un gouffre politique a priori infranchissable qui sépare, d’un côté, le regard porté par Malika Rahal sur la liesse de l’indépendance en 1962, et les travaux d’Olivier Dard sur les membres de l’OAS. Et même la position en apparence médiane de Benjamin Stora, auteur de nombreux livres sur cette période et d’un rapport remis au président de la République en janvier 2021 ne fait pas l’unanimité, au vu des critiques émises alors - pour des raisons différentes - par des collègues comme Guy Pervillé et Sylvie Thénault.(...) Au-delà de son caractère désormais indispensable pour qui s’intéresse à la période, ce dictionnaire réaffirme de manière exemplaire la capacité de l’histoire à établir des vérités partagées ». Et c’est aussi ce qu’affirment les trois maîtres d’œuvre dans leur préface, et le directeur de la collection Jean-Luc Barré sur la quatrième de couverture : « Là où les mythes l’emportent encore trop souvent sur la vérité des faits, cette pluralité des approches était non seulement nécessaire mais indispensable au crédit d’une telle entreprise ».

Il n’en est pas moins vrai que l’appréciation des résultats de ce vaste travail prendra au moins autant de temps que sa préparation. Si les trois directeurs de l’ouvrage ont produit beaucoup plus de notices que les autres, ils ont le mérite d’avoir voulu y associer un grand nombre de collègues appartenant à des nationalités différentes et dotés de points de vue différents, même si l’on peut regretter l’absence de tel ou tel. Il faut les féliciter d’avoir introduit dans leur ouvrage la diversité des points de vue liée à celle des expériences, en consacrant des notices non seulement à des personnages de cette histoire mais aussi à des historiens qui ont d’abord été des acteurs ou des témoins engagés des événements, comme Charles-Robert Ageron, Mahfoud Kaddache, René Gallissot, Mohammed Harbi, et même à des historiens plus jeunes comme Gilbert Meynier, Omar Carlier, ou Benjamin Stora, Guy Pervillé, Jacques Frémeaux, Daniel Lefeuvre, Jean-Charles Jauffret. La liste des auteurs comprend un bon nombre de jeunes historiens qui ne sont pas tous pourvus de postes universitaires. Et bien sûr ce livre a le mérite d’avoir accordé aux Algériens leur juste place aussi bien parmi les auteurs que parmi les personnages mentionnés. Le principal problème que pose cette diversité, c’est le degré de communication des connaissances entre les différents auteurs et de discussion des apports de chacun pour élaborer une histoire commune.

C’est pourquoi ce livre appelle une lecture attentive et critique, qui prendra du temps pour aboutir à une mise en commun des connaissances établies. Emmanuel Alcaraz a été le premier historien à en proposer un bilan critique sur son blog ; les autres auteurs sont moins rapides. Il y a néanmoins un exemple qui appelle une mise au moins immédiate : celui du 5 juillet 1962 à Oran et des violences extrêmes qui l’ont marqué. Cet événement tragique a été longtemps tabou pour les deux Etats, avant d’être reconnu du côté français par le président Macron, mais il a été peu à peu éclairé par des recherches menées dans les deux pays concernés, dont j’ai tenté de rendre compte dans mon livre Oran 5 juillet 1962 publié en 2014. Il me semblait qu’une coopération féconde entre historiens des deux pays avait déjà eu lieu, et qu’elle pourrait se développer davantage dans le cadre des propositions présentées par Benjamin Stora au président Macron. Or les notices du Dictionnaire consacrées au 5 juillet 1962 d’Oran sont plus que décevantes : elles démontrent que la convergence des recherches qui s’était manifestée jusqu’il y a vingt ans a été annulée, vraisemblablement par une décision politique des autorités algériennes qui a imposé à Fouad Soufi (pp 253-256) et à Sadek Benkada ( pp 678-679) de citer un nombre de victimes limité à quelques dizaines de morts et de blessés parmi lesquels la grande majorité seraient des Algériens [11], en ignorant les travaux de Jean Monneret (pourtant cité dans la bibliographie de Fouad Soufi) et de Jean-Jacques Jordi (cité dans la bibliographie générale) qui ont établi un bilan de centaines de morts et de disparus parmi lesquels une très grande majorité d’Européens.

Dans ces conditions, on peut s’inquiéter des chances d’aboutir de la commission franco-algérienne d’historiens - dont fait partie Jean-Jacques Jordi - qui doit se réunir prochainement. Ce qui ne justifie pas pour autant la réaction de la nouvelle présidente des Cercles algérianistes Suzy Simon-Nicaise, laquelle appelle Tramor Quemeneur - qui est membre de cette commission - à faire respecter la parole donnée au président de la République ayant fixé sa mission, et sollicite le président Macron d’intervenir « pour qu’il exige la réécriture impartiale de ce dictionnaire et notamment qu’y figure le bilan exact du massacre du 5 juillet 1962 à Oran ». Jusqu’à preuve du contraire, ce Dictionnaire n’est pas une œuvre de commande.

Guy Pervillé

PS : le compte rendu par Hubert Bonin du livre d’Emmanuel Alcaraz, Histoire de l’Algérie contemporaine et de ses mémoires,des origines au hirak, se trouve également dans ce numéro.

[1] Voir Yves Courrière, Le temps des léopards, Paris, Fayard, 1969, pp 176-190, et mon article historiographique « Du nouveau sur le 20 août 1955 et l’Appel de Constantine » (2013) sur mon site : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=305 .

[2] Cité minière où furent massacrés 36 personnes, sur les 117 victimes civiles européennes du 20 août 1955.

[3] Mohammed Harbi, 1954, la guerre commence en Algérie, Bruxelles, Complexe, 1984, p. 183, et tL’Algérie et son destin, Croyants ou citoyens. Paris, Arcantère, 1992, p. 128.

[4] Dans les pages 268-269, L. Bentobbal analyse la singularité de la wilaya II par rapport à toutes les autres, le refus de donner plus d’autorité aux militaires qu’aux représentants du peuple : « Si celui qui porte les armes devient l’élément principal, cela débouche sur un Etat dont les fondements reposent sur la force pure et non sur la loi ».

[5] Emmanuel Alcaraz, Histoire de l’Algérie et de ses mémoires, des origines au Hirak, Paris, Karthala, 2021, 300 p. Préface de Guy Pervillé.

[6] Fait trop oublié, que j’ai pourtant signalé plus d’une fois depuis 1984. Voir sur mon site : « La commission des réformes de 1944 et l’élaboration d’une nouvelle politique algérienne de la France » (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=120 ).

[7] Voir sur mon site : « Le rôle des intellectuels musulmans algériens de formation française dans l’évolution politique de l’Algérie, 1908-1962 » (1983) http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=130 , et « L’élite intellectuelle, l’avant-garde militante et le peuple algérien » (1986), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=118 .

[8] Daho Djerbal, Lakhdar Bentobbal. T1, Mémoires de l’intérieur, Alger, éditions Chihab, novembre 2021 ; t 2, La conquête de la souveraineté. Alger, Editions Chihab, mars 2022, 303 p.

[9] Voir le livre de Jean-Marie et Hugues Robert, Guerre d’Algérie, le journal d’un pacificateur, Paris, Editions Max Milo, 2022.

[10] Projet qui fut réalisé, non pas à Alger en 1957, mais à Oran en 1962.

[11] Ce sujet n’est pas traité par Malika Rahal, mais dans son livre Algérie 1962, une histoire populaire (La Découverte, 2022) elle a repris le même bilan minimaliste : « s’il approche la vérité, l’explosion de la violence vengeresse aurait fait plus de victimes ‘musulmanes’ que de victimes ‘européennes’ ».



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