SUR LA GUERRE D’ALGÉRIE
Voilà déjà quinze ans que la guerre d’Algérie s’est achevée avec l’accession de ce pays à l’indépendance. Le moment est-il venu de tenter un premier bilan de son historiographie ? Ce délai pourra sembler trop court, puisqu’il représente seulement la moitié de la période jugée nécessaire pour que les archives françaises se métamorphosent, de secrets d’État plus ou moins brûlants, en documents historiques inoffensifs. Mais les auteurs n’ont pas attendu leur ouverture pour traiter le sujet, bien ou mal, comme ils le faisaient avant que celui-ci n’entre dans le passé. L’historiographie de la guerre d’Algérie n’est pas encore de l’Histoire, mais elle n’est plus de l’actualité. Elle représente une longue transition, encore inachevée, d’un genre à l’autre. Sa durée atteint aujourd’hui le double de celle des événements qu’elle rapporte. Il est donc temps de chercher à discerner des évolutions, quantitative et qualitative, dans cette production aussi abondante qu’inégale, et de nous interroger sur son avenir.
I. RECENSEMENT
Il n’est jamais facile de constituer une bibliographie exhaustive sur un sujet donné. Nous avons tenté de recenser tous les ouvrages publiés en langue française et consacrés à la guerre d’Algérie, de juillet 1962 à juin 1977. Biblio - Les livres de l’année nous a servi de base, utile par son classement thématique. Puis la bibliographie systématique de l’Annuaire de l’Afrique du Nord a été consultée pour nous éviter des oublis éventuels. Rien ne garantit que cette précaution ait été suffisante, car l’exhaustivité ne peut jamais être atteinte avec certitude.
En outre, les critères adoptés pour définir précisément l’objet de cette étude imposaient des choix, que l’on pourra contester dans plusieurs cas particuliers. On acceptera par convention l’exclusion des articles et des numéros spéciaux de périodiques, dont l’examen aurait pris trop de temps et de place. On regrettera sans doute davantage celle des œuvres à caractère littéraire, romans et poèmes, dont l’utilisation comme documents historiques soulève trop de difficultés. Certes, il est vrai que beaucoup de romans sont des témoignages déguisés : mais comment apprécier les parts respectives de l’observation et de l’imagination ? Un problème tout aussi embarrassant est posé par les livres dont le contenu n’est pas entièrement consacré à la guerre d’Algérie : à partir de quelle proportion doivent-ils être inclus, puisqu’il serait excessif de compter tous les ouvrages où l’historien de la guerre d’Algérie pourra trouver une maigre pâture ? Les cas les plus douteux sont ceux des livres à caractère essentiellement politique, où le rappel des « événements » est intégré à des plaidoyers ou à des réquisitoires visant la situation présente de la France, de l’Algérie, et des vaincus de la guerre. L’historiographie ne peut, bien sûr, ignorer les préoccupations politiques, mais elle doit conserver un aspect rétrospectif prépondérant.
Voilà pourquoi le bilan numérique, établi année par année, que nous présentons ici, ne vaut que pour indiquer des ordres de grandeur. Nos critères restant constants, nous pouvons espérer que les variations enregistrées entre eux ont une signification, que nous tenterons de dégager.
1962 (second semestre).
[1] ALLEG (Henri). - Prisonniers de guerre. Paris, Éditions de Minuit, 250 p.
[2] ARON (Robert), LAVAGNE (François), FELLER (Janine), GARNIER-RIZET (Yvette). - Les origines de la guerre d’Algérie. Paris, Fayard, 334 p.
[3] BEHR (Edward). - Dramatique Algérie (The Algerian problem). Paris, Stock, 256 p.
[4] BOUALAM (Saïd). - Mon pays, la France. Paris, Éditions France-Empire, 265 p.
[5] DESSAIGNE (Francine). - Journal d’une mère de famille pied-noir. Paris, Éditions de l’Esprit Nouveau, 241 p.
[6] DUCHEMIN (Jacques C.). - Histoire du FLN. Paris, la Table Ronde, 333 p.
[7] Les enfants d’Algérie. Paris, Maspéro, 184 p.
[8] FAVROD (Charles Henri). - Le FLN et l’Algérie. Paris, Plon, 351 p.
[9] GIRARDET (Raoul). - Pour le tombeau d’un capitaine. Paris, L’Esprit Nouveau, 54 p.
[10] MANDOUZE (André). - La révolution algérienne par les textes. Documents du FLN , présenté par A. M. 3e édition mise à jour et augmentée, Paris, Maspéro, 287 p.
[11] NICOL (Axel). - La bataille de l’OAS , Paris, Les Sept Couleurs, 222 p.
[12] RIEUNIER (René). - Réquisitoire contre le mensonge, juin 1940-juillet 1962. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 385 p.
[13] SULZBERGER (Cyrus). - En observant de Gaulle (The test : de Gaulle and Algeria). Paris, Plon, 188 p.
[14] TOURNOUX (Jean-Raymond). - L’histoire secrète. La Cagoule. Le Front Populaire. Vichy. Londres. Deuxième Bureau. L’Algérie française. L’OAS , Paris, Plon, 383 p.
[15] TRINQUIER (Roger) - Le coup d’État du 13 mai. Paris, Éditions de l’Esprit Nouveau, 271 p.
[16] YACEF (Saadi). - Souvenirs de la bataille d’Alger. Décembre 1956-septembre 1957. Paris, Julliard, 127 p.
1963.
[17] BOUALAM (Saïd). - Les harkis au service de la France. Paris, Éditions France-Empire, 272 p.
[18] BUCHARD (Robert). - Organisation armée secrète. Paris, Albin Michel, 2 vol. (t. I, février-14 décembre 1961, 205 p, t. II, 15 décembre 1961-10 juillet 1962, 215 p.).
[19] JACOB (Alain). - D’une Algérie à l’autre. Paris, Grasset, 239 p.
[20] KESSEL (Patrick) et PIRELLI (Giovanni). - Le peuple algérien et la guerre. Lettres et témoignages, 1954-1962. Paris, Maspero, XVIII + 759 p.
[21] LAROCHE (Fabrice). - Salan devant l’opinion. Paris, Éditions Saint Just, 287 p.
[22] LAUNAY (Michel). - Paysans Algériens. La terre, la vigne et les hommes. Paris, Le Seuil, 432 p.
[23] LENTIN (Albert Paul). - L’Algérie entre deux mondes (t. I : Le dernier quart d’heure). Paris, Julliard, 320 p.
[24] LOESCH (Anne). - La valise et le cercueil. Paris, Plon, 271 p.
[25] NICOL (Axel). - La bataille de l’OAS. 2e édition corrigée et augmentée. Paris, Les Sept Couleurs, 822 p.
[26] SUSINI (Jean-Jacques). - Histoire de l’OAS. (t. I : avril-septembre 1961). Paris, La Table Ronde, 396 p.
1964.
[27] AÏT-AHMED (Hocine). - La guerre et l’après-guerre. Paris, Éditions de Minuit, 207 p.
[28] BOURDIEU (Pierre) et SAYAD (Malek). - Le déracinement. Paris, Éditions de Minuit, 227 p.
[29] DE LAPARRE (R. P. Michel). - Oran 1961-1962. Journal d’un prêtre en Algérie. Paris, Éditions du Fuseau, 224 p. préf. du bachaga Boualam.
[30] FANON (Frantz). - Pour la révolution africaine. Écrits politiques. Paris, Maspéro, 231 p.
[31] GIRARDET (Raoul). - La crise militaire française. 1945-1962. Paris, Armand Colin, 240 p.
[32] LE CORNEC (Michel) et FLAMENT (Marc). - Appelés en Algérie. Paris, Éditions de la Pensée Moderne. Album de photos commentées.
[33] MORLAND, BARANGÉ, MARTINEZ. - Histoire de l’Organisation de l’Armée Secrète. Paris, Julliard, 605 p.
[34] OAS parle. Paris, Julliard, Collection Archives, 356 p.
[35] ORTIZ (Joseph). - Mes combats. Carnet de route, 1954-1962. Paris, Éditions de la Pensée Moderne, 308 p.
[36] TERRENOIRE (Louis). - De Gaulle et l’Algérie. Témoignage pour l’Histoire, Paris, Fayard, 255 p.
1965.
[37] ALLEG (Henri). - La question. Paris, J. J. Pauvert. 126 p. suivi de Jean-Paul Sartre : Une victoire.
[38] BENZINE (Abdelhamid). - Journal de marche. Alger, Éditions Nationales Algériennes, 143 p.
[39] BIDAULT (Georges). - D’une résistance à l’autre. Paris, Les presses du siècle, 383 p.
[40] BURON (Robert). - Carnets politiques de la guerre d’Algérie. Paris, Plon, 267 p.
[41] CHAFFARD (Georges). - Carnets secrets de la décolonisation (t. II) Paris, Calmann Lévy, 432 p.
[42] FERNIOT (Jean). - De Gaulle et le 13 mai. Paris, Plon, 492 p.
[42 B] FERNIOT (Jean). - De Gaulle et le 13 mai. Paris, Cercle du Nouveau Livre d’Histoire, 559 p.
[43] FIGUERAS (André). - Salan Raoul, ex-général d’armée. Paris, La Table Ronde, 266 p.
[44] LACHERAF (Mostefa). - L’Algérie : nation et société. Paris, Maspéro, 351 p.
[45] LAROCHE (Fabrice) et d’ORCIVAL (François). - Le courage est leur patrie. Paris, Éditions Saint Just, 240 p.
[46] MERLE (Robert). - Ahmed Ben Bella. Paris, Gallimard, 184 p. préf. de Robert Merle.
[47] MOINET (Bernard). - Journal d’une agonie. Paris, Éditions Saint-Just, 238 p. annexes, préf. de Me Tixier-Vignancour.
[48] NAEGELEN (Marcel Edmond). - Une route plus large que longue. Paris, Robert Laffont, 348 p.
[49] NICOLLE (Pierre). - Algérie perdue. Paris, Éditions du Fuseau, 236 p. préf. du bachaga Boualam.
[14 B] TOURNOUX (Jean Raymond). - L’histoire secrète. Paris, Union générale d’Édition, 507 p.
1966.
[50] BUFFELAN (Jean Paul). - Le complot du 13 mai 1958 dans le sud-ouest, préface de L. Perillier, postfaces du général Miquel et du professeur Cathala. Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, VI-227 p.
[51] BRUNE (Jean). - Interdit aux chiens et aux Français. Paris, La Table Ronde, 274 p.
[52] COULET (François. - Vertu des temps difficiles. Paris, Plon, 304 p.
[53] REIMBOLD (Jean). - Pour avoir dit non. 1960-1966. Paris, La Table Ronde, 235 p.
[54] TALEB (Ahmed). - Lettres de prison. Alger, Société Nationale d’Édition et de Diffusion, 189 p.
[55] TISLENKOFF (Alexandre). - J’accuse Lemarchand. Paris, Saint-Just, 243 p. préf. de François Brigneau.
[56] YSQUIERDO (Antoine). - Une guerre pour rien. Le 1er REP cinq ans après. Paris. La Table Ronde, 247 p.
1967.
[57] CARRERAS (Fernand). - L’accord FLN-OAS. Paris, Robert Laffont, 250 p. préf., de Jacques Chevallier.
[58] CORNATON (Michel). - Les regroupements de la décolonisation en Algérie. Paris, Économie et humanisme, Éditions ouvrières, 296 p.
[59] KELLY (George Armstrong). - Soldats perdus. Paris, Fayard, 481 p.
[60] PEREZ (Gilbert). - Recueil des journaux d’Algérie. Sélection du 2 nov. 1954 au 4 juill. 1962 (2 vol.) Marseille, s. d. chez l’auteur
[61] PLANCHAIS (Jean). - Une histoire politique de l’armée. t. II. De de Gaulle à de Gaulle, 383 p.
[62] ROSTAGNY (René). - La grande honte. Algérie 1954-1962. Marseille, Éditions
de la Tour Saint-Jean, 530 p. préf. de Joseph Ortiz.
[63] SERGENT (Pierre). - Ma peau au bout de mes idées. Paris, la Table Ronde, 289 p.
[64] TOURNOUX (Jean Raymond). - La tragédie du général. Paris, Plon, 699 p.
1968.
[65] BENCHERIF (Ahmed). L’aurore des mechtas. Alger, 117 p.
[66] BEYSSADE (Pierre). - La guerre d’Algérie. Paris, Culture-Art-Loisirs, 309 p.
[66B] BEYSSADE (Pierre). - La guerre d’Algérie 1954-1962. Paris, Éditions Planète, 263 p.
[67] BOISSON-PRADIER (Jean). - L’Église et l’Algérie. Paris, Études et recherches historiques, chez l’auteur. 347 p. préf. de Jean Loiseau.
[68] CHALLE (Maurice). - Notre révolte. Paris, Presses de la Cité, 448 p. préface d’Olof Gigon.
[69 1] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie. t. I : Les fils de la Toussaint. Paris, Fayard, 450 p. préf. ace de Joseph Kessl.
[70] FANON (Frantz). - Sociologie d’une révolution (l’an V de la révolution algérienne). Paris, Maspéro, 176 p.
[71] FANON (F.). - Les damnés de la terre. Paris, Maspéro, 238 p. préf. ace de Jean-Paul Sartre.
[72] LAFFONT (Pierre). - L’expiation. Paris, Plon, 349 p.
[63 2] SERGENT (Pierre). - Ma peau au bout de mes idées. t. II : la bataille. Paris, La Table Ronde, 351 p.
[73] SOUSTELLE (Jacques). - Vingt huit ans de gaullisme. Paris, La Table Ronde, 479 p.
[74] TAÏBI (Mounir). - Le prix de la liberté. Alger, SNED, 162 p.
1969.
[69 2] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie, t. II : Le temps des léopards. Paris, Fayard, 614 p.
[75] DULAC (André). - Nos guerres perdues. Levant 1941. Indochine 1951-53. Algérie 1958-1960. Paris, Fayard, 209 p.
[76] ELY (Paul). - Mémoires, t. II : Suez, le 13 mai. Paris, Plon, 507 p.
[77] ÉTIENNE (Bruno). - Les Européens d’Algérie et l’indépendance algérienne. Paris, Éditions du CNRS, 415 p.
[30 B] FANON (Frantz). - Pour la révolution africaine. Paris, Maspero, 231 p.
[78] FERRANDI (Jean). - 600 jours avec Salan et l’O. A. S. Paris, Fayard, 342 p.
[79] JOUHAUD (Edmond). - O mon pays perdu. De Bou-Sfer à Tulle. Paris, Fayard, 569 p.
[80 1] PAILLAT (Claude). - Vingt ans qui déchirèrent la France. T. I : Le guêpier. Paris, Robert Laffont, 631 p.
1970.
[81] BITTERLIN (Lucien) - Histoire des barbouzes. Paris, Éditions du Palais Royal, 270 p.
[82] CALVET (Maurice Jean). - Échec au putsch. Grenoble, diffusion Edicef, 191 p.
[69 3] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie, t. III : l’heure des colonels. Paris, Fayard, 633 p.
[83] DE GAULLE (Charles). - Discours et messages. Tome III, Avec le renouveau.
[84] DE GAULLE (Charles). - Mémoires d’espoir. T. I : Le renouveau 1958-1962. Paris, Plon, 317 p.
[85] FIGUERAS (André). - L’affaire du bazooka. Paris, La Table Ronde, 208 p.
[86] HÉNISSART (Paul). - Les combattants du crépuscule (Wolves in the City). Paris, Grasset, 525 p.
[87] LEBJAOUI (Mohammed). - Vérités sur la révolution algérienne. Paris, Gallimard, 253 p.
[88] MAMERI (Khalfa). - Les Nations Unies face à la question algérienne (1954-1962). Alger, SNED, 222 p.
[89 1] VIANSSON-PONTÉ (Pierre). - Histoire de la République gaullienne, t. I : 1958-1962. La fin d’une époque. Paris, Fayard, 579 p.
1971.
[69 4] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie, t. IV : les feux du désespoir (La fin d’un empire). Paris, Fayard, 679 p.
[90] CROS (Vitalis). - Le temps de la violence. Paris, Presses de la Cité, 343 p.
[91] FOUCHET (Christian). - Au service du général de Gaulle. Mémoires d’hier et de demain. Paris, Plon, 301 p.
[92] MASSU (Jacques). - La vraie bataille d’Alger. Paris, Plon, 393 p.
[92 B] idem. - Paris, le Club français du livre, 393 p.
[92 C] idem. - Paris, Tallandier. Cercle du nouveau livre, 396 p. 32 planches illustrées.
[93] MICHAL (Bernard) et collaborateurs. - Le destin tragique de l’Algérie française. 4 vol. de 256 pl. ill. Genève, Éditions de Crémille, Paris, François Beauval.
[94] ROY (Jules). - La guerre d’Algérie. Paris, Union générale d’éditions, 255 p.
[95] SERVAN-SCHREIBER (Jean-Jacques). - Lieutenant en Algérie. Paris, Presses Pocket, 251 p.
[96] TOURNOUX (Jean Raymond). - Jamais dit. Paris, Plon, 501 p.
1972.
[97] BAÏLAC (Geneviève). - Les absinthes sauvages. Témoignage pour le peuple pied-noirs. Paris, Fayard, 290 p.
[98] BELKHERROUBI (Abdelmadjid). - La naissance et la reconnaissance de la République algérienne. Bruxelles, Bruylant, 176 p. préface de Georges Abi Saab.
[18 B] BUCHARD (Robert). - Organisation armée secrète. Paris, « J’ai lu », 320 p.
[99] CAVIGLIOLI (François) et PONTAUT (Jean-Marie). - La grande cible. 1961-1964 : les secrets de l’OAS. Paris, Paris Match et Mercure de France, 256 p.
[100] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie en images. Paris, Fayard 200 p. illustrées (photos tirées du film « La guerre d’Algérie »).
[69 B] idem. - La guerre d’Algérie. Paris, Club français du livre, 4 vol. 467, 612, 630 et 675 p.
[100 B] idem. - La guerre d’Algérie en images, Paris, Club français du livre, 270 p. ill.
[101] DÉMERON (Pierre). - Les 400 coups de Massu. Paris, J. J. Pauvert, 41 p.
[102] DE SÉRIGNY (Alain). - Échos d’Alger. T. 1 : Le commencement de la fin. Paris, Presses de la Cité, 347 (8) p.
[5 B] DESSAIGNE (Francine). - Journal d’une mère de famille pied-noir. Paris, Éditions France-Empire, v-239 p.
[103] GODARD (Yves). - Les trois batailles d’Alger. T. 1 : les paras dans la ville. Paris, Fayard, 445 p.
[104] GROUSSARD (Serge). - L’Algérie des adieux. Paris, Plon, 315 p.
[l05] HEYMANN (Arlette). - Les libertés publiques et la guerre d’Algérie. Paris, LGDJ, 315 p. préf. de Jean De Soto.
[106] ISRAËL (Gérard). - Le dernier jour de l’Algérie française. Paris, Robert Laffont, 327 p.
[107] LEBJAOUI (Mohammed). - Bataille d’Alger ou bataille d’Algérie ? Paris, Gallimard, 303 p.
[108] MASSU (Jacques). - Le torrent et la digue. Paris, Plon, 403 p.
[109] MOUTON (Claude). - La contre-révolution en Algérie. Le combat de Robert Martel et de ses amis. Paris, Diffusion de la pensée française, 675 p.
[80 2] PAILLAT (Claude). - Vingt ans qui déchirèrent la France. T. II : la liquidation. Paris, Robert Laffont, 797 p.
[110] PLISSON (Odile). - J’étais assistante sociale avec les combattants d’Algérie. Paris, la Pensée universelle, 223 p.
[111] PARIS DE BOLLARDIÉRE (Jacques). - Bataille d’Alger, bataille de l’homme. Paris, Desclée de Brouwer, 168 p.
[112] ROY (Jules). - J’accuse le général Massu. Paris, le Seuil, 121 p.
[113 3] SALAN (Raoul). - Mémoires. Fin d’un Empire. T. III : Algérie française. Paris, Presses de la Cité, 444 p.
[114] SERGENT (Pierre). - Je ne regrette rien. Paris, Fayard, 405 p.
[115] TALEB (Éric). - La fin des harkis. Paris, La Pensée universelle, 216 p.
[116] TRICOT (Bernard). - Les sentiers de la paix. Paris, Plon, 445 p.
[117] TRIPIER (Philippe). - Autopsie de la guerre d’Algérie. Paris, Éditions France-Empire, 675 p.
[89 B] VIANSSON-PONTÉ (Pierre). - Histoire de la république gaullienne. T. I. : la fin d’une époque. Paris, Tallandier - Club du nouveau livre, 581 p.
[118] VIDAL-NAQUET (Pierre). - La torture dans la République. Essai d’histoire et de politique contemporaine. Paris, Éditions de Minuit, 204 p.
1973.
[119] BEYSSADE (Pierre). - L’agonie d’un monde. Marseille, en souscription chez l’auteur, 1973, 225 p.
[4 B] BOUALAM (Saïd). - Mon pays, la France ! Paris, Presses Pocket, 249 p.
[120] CURUTCHET (Jean-Marie). - Je veux la tourmente. Paris, 334 p.
[121] FAVRELIÈRE (Noël). - Le déserteur. Paris, Édition spéciale, 278 p.
[122] FLEURY (Georges). - Bérets verts en Algérie. Paris, Éditions Rossel.
[123] HAMDANI (Amar). - Krim Belcacem, le lion des djebels. Paris, Balland, 355 p.
[124] TANANT (Pierre). - Algérie, quatre ans d’une vie. Grenoble-Paris, Arthaud, 275 p.
1974.
[125] ARGOUD (Antoine). - La décadence, l’imposture et la tragédie, Paris, Fayard, 360 p.
[126] CHATARD (Roland-Philippe). - Le grand mensonge. Paris, La Pensée universelle, 253 p.
[69 C] COURRIÈRE (Yves). - La guerre d’Algérie. Paris, Fayard. Le livre de poche, 4 vol. 603 - 701 - 733 et 797 p.
[102 II] DE SÉRIGNY (Alain). - Échos d’Alger. T. II : L’abandon. Paris, Presses de la Cité, 507 (8) p.
[127] DUBOIS (André-Louis) et SERGENT (Pierre). - Le malentendu algérien. Paris, Fayard, 322 p.
[128] GIACOMONI (Pierre-Dominique). - J’ai tué pour rien. Paris, Fayard, 314 p.
[129] GROUSSARD (Serge). - La guerre oubliée. Paris, Plon, 202 p.
[92 D] MASSU (Jacques). - La vraie bataille d’Alger. Paris, Presses Pocket, 404 p.
[92 E] MASSU (Jacques). - La vraie bataille d’Alger. Genève, Famot et Paris, François Beauval.
[113 IV]SALAN (Raoul). - Mémoires t. IV : L’Algérie, de Gaulle et moi. Paris, Presses de la Cité, 379 (40) p.
[130] THEIS (Laurent) et RATTE (Philippe). - La guerre d’Algérie, ou le temps des méprises. Tours et Paris, Mame, 303 p.
[131] ZELLER (André). - Dialogues avec un général. Paris, P. U. F.
1975.
[132] BIGEARD (Marcel). - Pour une parcelle de gloire. Paris, Plon, 480 p.
[133] FIELD (Joseph A.) et HUDNUT (Thomas C.) . - L’Algérie, de Gaulle et l’armée. Grenoble, Arthaud, 207 p. préf. de Pierre Tanant.
[134] FLAMENT (Marc). - Les beaux arts de la guerre. Paris, La Pensée Moderne, 344 p.
[135] HARBI (Mohammed). - Aux origines du FLN ; la scission du PPA-MTLD. Paris, Christian Bourgois, 314 p.
[10 B] MANDOUZE (André). - La révolution algérienne par les textes. Plan de la Tour (Var), Éditions d’aujourd’hui, 275 p.
[137] VIDAL-NAQUET (Pierre). - Les crimes de l’armée française. Paris Maspéro, 176 p.
1976.
[138] AZZEDINE (Commandant). - On nous appelait « fellaghas ». Paris, Stock, 345 p.
[139] BERGOT (Erwan). - Le dossier rouge (services secrets contre FLN). Paris, Grasset, 320 p.
[140] BOUDIAF (Mohammed). - La préparation du 1er novembre. Suivi de lettre ouverte aux Algériens, Paris, Collection El Jarida, 94 p.
[141] FLEURY (Georges). - « Harkis ». Les combattants du mauvais choix. Paris, Éditions Bellamy et Martet, 174 p.
[142] FRANCOS (Ania) et SÉRÉNI (Jean-Pierre). - Un Algérien nommé Boumedienne. Paris, Stock, 417 p.
[143] NOEL (Léon). - De Gaulle et les débuts de la Ve République, Paris, Plon, 320 p.
[144] POGNON (Edmond). - De Gaulle et l’armée. Paris, Plon, 352 p.
[145] ROUVIÈRE (Jacques). - Le putsch d’Alger. Paris, Éditions France-Empire, 446 p.
[146] SCHMIDT (Élisabeth). - J’étais pasteur en Algérie. Paris, Éditions du Cerf, 195 p.
1977.
[132 B] BIGEARD (Marcel). - Pour une parcelle de gloire. T. II : La dernière des guerres. Paris, Presses Pocket, 383 p.
[147] JOUHAUD (Edmond). - Ce que je n’ai pas dit. Sokiet - OAS. Évian, Paris, Fayard, 433 p.
[148] VITTORI (Jean-Pierre). - Nous, les appelés d’Algérie. Paris Stock, 320 p.
Sans nourrir trop d’illusions sur la valeur de nos chiffres, nous pouvons tenter un bilan numérique. Il importe de comparer, d’une année à l’autre, non seulement le nombre des titres distincts, mais aussi celui des éditions distinctes. En effet, un titre qui se vend bien ou qui est devenu introuvable est plusieurs fois réédité. Mieux, les principaux « best-sellers » sont de plus en plus fréquemment lancés sous forme de plusieurs éditions simultanées, la principale étant encadrée par une version de luxe, destinée aux bibliophiles, et par une version de poche, visant le plus large public. Les œuvres d’Yves Courrière et celles du général Massu offrent les exemples les plus remarquables de cette pratique. Attirer l’attention sur elle évite une surestimation du nombre d’ouvrages réellement nouveaux, mais permet également de repérer les plus grands succès [1].
(1) Editions distinctes | (2) Titres distincts | (3) Titres nouveaux | |
1962 (2ème sem.) | 16 | 16 | 14 |
1963 | 10 | 10 | 9 |
1964 | 10 | 10 | 10 |
1965 | 15 | 14 | 12 |
1966 | 7 | 7 | 7 |
1967 | 8 | 8 | 8 |
1968 | 12 | 11 | 9 |
1969 | 8 | 8 | 7 |
1970 | 10 | 10 | 10 |
1971 | 10 | 8 | 6 |
1972 | 28 | 27 | 22 |
1973 | 7 | 7 | 6 |
1974 | 12 | 11 | 9 |
1975 | 6 | 6 | 4 |
1976 | 10 | 10 | 10 |
1977 (1er sem.) | 3 | 3 | 2 |
Totaux | 172 | 166 | 145 |
Aucune de ces séries numériques ne révèle clairement une tendance d’ensemble à la hausse, ni à la baisse. Certes, il est normal que l’intérêt pour une guerre soit nettement plus fort immédiatement après sa fin (second semestre 1962) que quinze ans plus tard (1er semestre 1977). Mais cette diminution est très rapide, puis contrariée par des fluctuations en sens inverse. La courbe des éditions est surmontée par deux « pics » très nets (1962 et 1972), et par des hauteurs moins nettement individualisées (1965, 1968 et 1974). Celle des titres ne conservent que les deux premiers. 1962 correspond à la fin de la guerre, dans un paroxysme de violence. 1972 en commémore le dixième anniversaire. 1965 est marquée par la première élection présidentielle, au suffrage universel. 1968 est aussi un anniversaire, celui du 13 mai, et 1974 celui du déclenchement de l’insurrection. 1976 est une année moyenne, parce que nous n’avons pas retenu les ouvrages consacrés à l’expédition de Suez [2].
Si nous avions retenu non seulement les ouvrages consacrés à la guerre d’Algérie, mais encore tous ceux qui en tirent argument ou prétexte dans une démonstration à visée politique, l’impression d’ensemble aurait été bien différente. Fallait-il inclure les procès des militants OAS, les réquisitoires contre de Gaulle, les plaidoyers pour l’accueil et l’indemnisation des Français d’Algérie, et pour l’amnistie des condamnés ? On aurait alors constaté une diminution très lente du nombre des publications inspirées de près ou de loin par une guerre qui n’était pas finie pour tous les Français. C’est seulement en 1968-1969 que l’amnistie totale des activités OAS et la retraite du général de Gaulle permirent aux plus marqués de tourner enfin la page.
II. PRÉSENTATION
L’étude quantitative ne peut en révéler davantage. Elle ne peut fournir les jalons nécessaires à une périodisation, cadre indispensable pour l’examen critique d’une évolution qualitative. Le « pic » de 1972 n’ouvre pas une phase nouvelle. C’est en 1968 que se produit, à notre avis, le tournant le plus significatif. On y voit paraître simultanément, au mois d’avril, les premiers ouvrages consacrés à « la guerre d’Algérie » dans son ensemble. Sous ce titre sont publiés la brève synthèse de Beyssade [66], et le premier volume du récit-fleuve de Courrière [69]. Quelques mois plus tard, après l’ébranlement du trône gaullien par les « événements » de mai, la loi du 31 juillet 1968 efface les séquelles de la « guerre franco- française » en amnistiant les condamnations prononcées depuis 1961 contre les partisans obstinés de l’Algérie française. Moins d’un an plus tard, de Gaulle quitte le pouvoir et entreprend d’écrire ses Mémoires. L’addition de ces faits crée un climat nouveau : la guerre d’Algérie perd ce qui lui restait d’actualité. Elle entre peu à peu dans l’Histoire.
Avant 1968, écrire sur un tel sujet impliquait presque nécessairement une prise de position politique. La quasi-totalité des ouvrages recensés de 1962 à 1967 inclus peuvent être classés sans risque d’erreur suivant leur tendance, à condition de distinguer les trois options qui se partageaient l’opinion : défense de l’Algérie française, soutien à la cause du FLN, et approbation de la politique gaullienne.
Comme il est normal, ce sont les vaincus qui éprouvent le plus grand besoin de faire entendre leur point de vue. Celui-ci est représenté par la majorité relative des livres publiés avant 1968. Il en aurait gardé la majorité absolue si nous n’avions pas exclu les ouvrages, nombreux, dans lesquels cette guerre est davantage évoquée que racontée ou étudiée. Le nombre de publications émanant de cette tendance est inversement proportionnel à sa représentation dans le pays, telle qu’elle ressort du référendum d’avril 1962. Même renforcé par l’afflux des rapatriés, ce secteur de l’opinion reste minoritaire. Ses porte-parole écrivent-ils pour leurs sympathisants, ou espèrent-ils convaincre la majorité métropolitaine ? Sans doute visent-ils les deux buts à la fois, sans trop attendre du second.
Certains dirigeants de l’OAS ont tenu à donner leur version de l’histoire de l’organisation, pour combattre l’image défavorable prévalant dans l’opinion publique, et en second lieu afin de remettre à leur place certains compagnons de lutte dont ils contestent les mérites. L’intention apologétique, face au pouvoir métropolitain, domine dans l’œuvre de Nicol [11], première du genre. Susini, fondateur de l’OAS proprement dite, publie une relation détaillée de ses premiers pas [26], qui s’arrête avec le premier volume en septembre 1961. Considéré par une grande partie de l’opinion comme le type même du fasciste, il se présente en révolutionnaire nationaliste, dans la tradition de la vieille gauche française patriote : « Nous songions à une Commune de Paris qui aurait réussi, à un Paris qui serait devenu la capitale de notre siècle ». Très différent apparaît Ortiz, son ancien ami devenu un de ses détracteurs, dans ses « carnets de route » au titre provocant [35]. Le célèbre « cafetier du forum » est de tous les complots, de février 1956 à janvier 1960 et au-delà, pour empêcher l’abandon de l’Algérie par le pouvoir métropolitain et républicain, dont il se méfie à double titre. Adepte du « nationalisme intégral », il compte sur l’armée, qui l’abandonne après la fusillade du 24 janvier 1960, dont il rejette la responsabilité. Partisan d’une organisation unique et disciplinée, dirigée depuis l’Espagne, il ne ménage pas les coups de patte à ses camarades qui ne suivent pas ses directives. On voit que l’individualisme et les dissensions de ses chefs ont toujours affaibli l’activisme.
Aucun témoignage n’est plus éclairant sur ce sujet que celui d’Anne Loesch [24]. Son livre lucide et passionné est dédié à la mémoire de Jean Sarradet. Celui-ci, étudiant à l’université d’Alger, s’engage à fond dans l’OAS, mais en conteste les objectifs. Ayant cessé de croire en l’Algérie française, il se réclame du nationalisme pied-noir. Il entre en négociations avec les autorités pour obtenir la reconnaissance de l’OAS par la France, contre un changement de sa direction. Mais le refus de Louis Joxe fait échouer l’entreprise en janvier 1962. Deux responsables du complot sont enlevés et exécutés par ordre de Susini. Sarradet se soumet, puis il relance l’idée d’un cessez-le-feu entre Algériens, que Susini reprend à son compte après avoir condamné son auteur. Ce récit tragique retrace en termes saisissants l’itinéraire d’une jeune intellectuelle scrupuleuse, d’abord solidaire de l’OAS, puis dégoûtée par le comportement de ses chefs et de ses hommes de main.
Cette contestation radicale est bien sûr exceptionnelle. Presque tous les témoignages de proscrits visent à justifier leur révolte qui les a conduits en prison ou en exil [3].
Une autre catégorie de témoignages décrit le sort pitoyable des vaincus de la guerre. Le bachaga Boualam, ancien vice-président de l’Assemblée nationale français exalte le patriotisme des harkis et dénonce leur abandon à la merci de leurs féroces ennemis ([4] et [17]). On s’étonne de le voir signer une préface très élogieuse au livre de Nicolle, accumulation de lieux communs colonialistes et racistes, en tout cas anti-arabes et anti-musulmans, dont le seul mérite est de bien exprimer le désespoir d’une population chassée de ses foyers, « la mort dans l’âme et la rage au cœur » [49]. Plusieurs témoignages racontent au jour le jour les derniers soubresauts de l’Algérie française dans les grandes villes. Sur Oran, deux versions concordantes, celle d’un prêtre, le père de Laparre [29], et celle d’un officier, Moinet [47]. témoin de la défense au procès Salan. Tous deux éprouvent une entière solidarité pour les Français d’Algérie, représentés par l’OAS. Le journal de Francine Dessaigne [5], mère de famille vivant à Alger de décembre 1960 à juin 1962, exprime la même tendance, qui était celle de toute une population. Ce livre n’est pas seulement un témoignage partial. À côté des habituelles justifications, parfois nettement racistes, de l’œuvre française en Algérie, on y trouve une profonde inquiétude morale pour l’avenir des enfants désaxés par la violence. Comme le style est d’une excellente facture, ce livre n’est pas indigne d’une comparaison avec l’admirable journal de Mouloud Feraoun, qui exprimait un même souci avec d’autres convictions.
Les proscrits et les victimes sont soutenus par des sympathisants qui plaident leur cause ou attaquent leurs ennemis [4]. D’autres auteurs retracent la longue épreuve des Français d’Algérie par une oeuvre documentaire [5]. À l’opposé, plusieurs publications destinées aux rapatriés se sont attachées à l’évocation nostalgique du « paradis perdu », l’Algérie d’avant, sans traiter des « événements » autrement que par un silence pudique. Ce genre toujours vivant est exclu de notre étude.
Très différente apparaît la production des partisans de l’indépendance algérienne. Le nombre de publications est important, sans toutefois rivaliser avec la tendance opposée. Les auteurs sont algériens, français ou étrangers ; les éditeurs français dans presque tous les cas, avant la création d’éditions nationales algériennes. Mais le fait remarquable est la rareté des œuvres nouvelles conçues après l’indépendance. Tout se passe comme si ses partisans liquidaient leurs stocks de munitions en une fantasia sans lendemain. Aït Ahmed [27] et Lacheraf [44] publient des textes politiques anciens, la plupart inédits, ou déjà publiés dans des revues pendant la guerre. Les œuvres de Fanon sont plusieurs fois rééditées [30] [70] [71] après sa mort. La question [37] est également réimprimé. Les témoignages nouveaux sont rares, en dehors du récit de Yacef sur la bataille d’Alger [16] et de celui d’Alleg sur la vie à Barberousse [1]. Le Journal de marche du maquisard communiste Benzine est un document authentique [38], rédigé en 1956 et conservé dans une cache jusqu’à la paix. Les Lettres de prison du ministre Taleb [54] sont datées de 1957 à 1961. Il faut bien constater que les Algériens n’écrivent plus sur leur expérience de la guerre après leur victoire, pendant quelques années tout au moins.
Leurs sympathisants étrangers ne sont guère plus audacieux. Favrod [8] et Mandouze [10] se contentent de mettre à jour leurs publications antérieures à l’indépendance. L’œuvre du second est un précieux recueil de textes émanant du FLN. Les journalistes Kessel et Pirelli [20] lui ajoutent une collection de témoignages et de documents privés, fournis par des militants et par leurs avocats. Des dessins et des récits d’enfants algériens réfugiés en Tunisie et au Maroc sont publiés par le cinéaste Le Masson [7]. Ce travail de documentation apporte des matériaux bruts, mais il ne remplace pas une histoire de la guerre d’Algérie. Quelques ouvrages rédigés abordent le sujet. Lentin, journaliste pied-noir « progressiste », a voulu décrire L’Algérie entre deux mondes [23] d’après ses carnets. Malheureusement il n’a publié que le premier des trois volumes destinés à couvrir la période allant de novembre 1960 à novembre 1962. Moins ambitieux, l’envoyé spécial du Monde, A. Jacob, [19] présente plus brièvement la transition « d’une Algérie à l’autre » (1958-1962). Les confidences et les conservations y sont éclairées par les réflexions personnelles d’un observateur engagé, qui recherche la vérité sans abandonner des convictions politiques, seul instrument d’analyse possible. Dans un autre esprit, l’écrivain Robert Merle veut s’effacer devant Ben Bella [46], dont il écrit la biographie à la première personne, à partir de bandes enregistrées. Il publie ce livre après la chute de son héros, pour défendre sa mémoire. Le portrait qu’il en donne est sympathique, mais trop peu détaillé en ce qui concerne son rôle dans la guerre.
L’apport historiographique des partisans de l’indépendance algérienne est donc très mince, pour cette première période tout au moins. On peut expliquer cette carence par la gravité des problèmes, politiques et autres, auxquels est confronté le nouvel État. Son expérience inspire beaucoup plus de livres aux auteurs algériens et à leurs amis étrangers que la période antérieure. Pour eux, la guerre d’Algérie n’est pas la dernière époque de l’Algérie française : elle constitue la première étape de la Révolution algérienne.
Entre ces deux positions clairement opposées se situe celle de la grande majorité des Français, qui ont soutenu, dans ses contradictions mêmes, la politique du général de Gaulle. Justement parce qu’elle est la plus représentative, cette tendance est sous-représentée dans notre historiographie. La majorité n’a pas besoin d’être convaincue. Satisfaite d’être débarrassée du problème algérien, elle ne veut plus en entendre parler. Toutefois, il faut bien répondre aux accusations des mécontents, de peur qu’ils ne trouvent créance dans une part croissante de l’opinion.
Quelques responsables se chargent de cette tâche. Trois hauts fonctionnaires de la police, qui signent de pseudonymes [33], présentent une histoire-réquisitoire de l’OAS, « société anonyme à irresponsabilité illimitée ». « Le temps est maintenant venu d’en étudier les causes, d’en démonter le mécanisme, d’en toucher du doigt les incertitudes, d’en démontrer la malfaisance et finalement l’inutilité ». Terrenoire [36], ministre de l’information du général de Gaulle, entreprend de réfuter la duplicité communément alléguée de sa politique. D’après lui, le général a toujours dit ce qu’il ferait, et fait ce qu’il a dit ; ceux qui ne l’ont pas compris ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. La thèse est trop simple pour convaincre entièrement ; toutefois, l’auteur apporte des informations intéressantes. Un autre gaulliste, Coulet [52] explique pourquoi il a accepté la fonction de directeur des affaires politiques à Alger de 1960 à 1962. Français libre n’ayant pas eu l’occasion de combattre, il a volontairement formé et commandé de 1956 à 1959 une unité de parachutiste. Sa guerre ne lui a pas inculqué l’estime de l’adversaire ; il accepte l’indépendance sans enthousiasme, faute d’autre solution. Dans un autre esprit, Buron [40] retrace l’itinéraire d’un homme politique qui découvre progressivement la gravité du problème algérien, au point d’accepter la responsabilité de signer les accords d’Évian. Il a fait ce qu’il a cru devoir faire, sans ignorer la précarité de l’ « étrange document ». Plusieurs journalistes leur prêtent main forte en expliquant la politique du général [6]. Cependant quelques auteurs entrent difficilement dans un classement politique ; certains même prétendent à l’objectivité. La nationalité d’Edward Behr [3] lui permet en effet d’étudier le problème algérien avec un détachement réel. Plus surprenant est le cas de Duchemin. Journaliste à l’Aurore, ami du colonel Trinquier, il publie aux éditions de la Table Ronde une étonnante histoire du FLN [6]. Emporté par sa curiosité, et par l’idée d’une parenté entre tous les soldats révolutionnaires (Bigeard - Ben M’hidi, Gardes-Boussouf), il présente le camp ennemi sur un ton paradoxalement voisin de la sympathie. En dépit de plusieurs erreurs, son livre est précieux. Ancien parachutiste, Buchard propose de son côté la « première mise au point objective » sur l’histoire de l’OAS [18], qu’il juge sévèrement, sans pourtant lui attribuer toutes les responsabilités du drame algérien, dont tous les acteurs se sont salis les mains.
Durant cette première période, l’étude proprement scientifique de la guerre en est à ses premiers pas. L’équipe de Robert Aron [2] rassemble des documents pouvant servir à l’explication de ses origines ; dans son introduction, l’historien y voit la conséquence d’un malentendu entre deux cultures. La publication d’une partie des archives métropolitaines de l’OAS par les éditions Julliard [34] est le fruit d’une paradoxale collaboration entre leur dépositaire anonyme (que la rumeur publique identifie au professeur Girardet), et le directeur de la collection, Pierre Nora, d’opinions opposées. Le drame de l’armée française est analysé par un sociologue américain, de Harvard, Kelly [59] et par le journaliste Planchais [61]. Un jeune docteur en droit, Buffelan, étudie minutieusement les événements de mai 1958 dans le sud-ouest de la France [50] en interrogeant les acteurs. En Algérie même, plusieurs sociologues (Bourdieu et Sayad [28], Launay [22], Cornaton [58]) ont enquêté pour mesurer l’impact de la guerre sur la paysannerie algérienne. C’est encore peu de chose.
De 1968 à 1972, l’historiographie de la guerre d’Algérie change de nature. Elle cesse d’être subordonnée à des buts politiques immédiats. Non que tout le monde soit capable d’en parler sans passion, loin de là. Les apologies collectives et personnelles sont toujours aussi nombreuses. Mais elles s’adressent désormais au jugement de la postérité, ou à celui de l’Histoire. Leur ton est généralement plus détaché. On voit aussi ce multiplier les enquêtes, dont les auteurs cherchent à dégager l’enchaînement logique des faits, indépendamment de leurs sentiments. Ces enquêtes prennent la forme de récits journalistiques, ou plus rarement d’études proprement historiques.
Ces études sont peu nombreuses ; deux seulement ont pour objet l’ensemble de la guerre. Leurs auteurs ne sont pas des historiens de métier : tous deux ont suivi avec passion les événements qu’ils expliquent, le premier, Beyssade [66], comme administrateur civil en Algérie, le second, Tripier [117], comme officier en poste au ministère de la guerre. Leurs ouvrages sont aujourd’hui encore les seules synthèses disponibles sur le sujet. Bien que tous deux sentimentalement partisans de l’Algérie française, ils aboutissent à des conclusions divergentes. D’après Beyssade, l’indépendance n’aurait pu être que retardée ; d’après Tripier, elle aurait pu être évitée si le pouvoir métropolitain avait eu la volonté d’intégrer l’Algérie à la France.
Les deux ailleurs admettent que la guerre n’était pas loin d’être militairement gagnée en 1960. Mais Pierre Beyssade met en doute la durée d’une victoire militaire dans une guerre essentiellement politique. Le monde extérieur multipliait les obstacles à une solution française du problème algérien. « Dans ces conditions, la mise sous cloche de l’Algérie par l’armée française risquait d’être sans lendemain. La guerre une fois gagnée par elle, le pays pacifié, les mêmes problèmes se seraient à nouveau posés : démographie galopante, poussée nationaliste, désir des musulmans de mettre en pratique ce que leur avaient enseigné les professeurs d’histoire français eux-mêmes. Peu à peu, les droits politiques que la France accordait aux indigènes musulmans auraient du reste conduit ces derniers à devenir les maîtres de l’Algérie par le simple jeu des mécanismes électoraux. Dès 1954. la minorité européenne apparaissait condamnée aux plus clairvoyants et l’intégration des musulmans par cette communauté d’origine chrétienne absolument utopique ». Cette opinion confirme celle du général de Gaulle, qui semble à l’auteur « assez rationnelle ». Il lui reproche toutefois d’avoir suivi une politique a courte vue. D’un point de vue strictement réaliste, il suggère « qu’un peu plus de patiente fermeté vis-à-vis du FLN aurait permis d’écraser bientôt la rébellion par les armes ; par là, de préparer un dégagement honorable, moins catastrophique et désastreux qu’il ne le fut sur tous les plans ». Mais, reconnaît-il, « aucun homme politique français n’aurait eu la surface, le poids et peut-être la dureté nécessaire pour dégager la France de l’Algérie ». Ces jugements nuancés viennent d’un « pied-noir » bon connaisseur des milieux indigènes, et qui ne prend pas ses désirs pour des réalités.
Bien qu’ancien stagiaire du CHEAM, Philippe Tripier semble mériter ce reproche quand il présente l’Algérie d’avant-guerre comme une province française : « Autant les Européens sont attachés à leur province algérienne, autant les musulmans ont conscience d’appartenir à la nation française. Chez les uns comme chez les autres existe une mime volonté de vivre ensemble ». Imparfaite comme toute œuvre humaine, cette magnifique réussite est victime de son succès même : l’avance de la croissance démographique sur celle des ressources disponibles crée des tensions, qui seront exploitées par « la poignée de révolutionnaires qui est à l’œuvre ». Mais cette révolution sera inoculée de l’extérieur. « Sans solliciter les faits, on peut affirmer que jusqu’au jour où se déclenche la rébellion, et au delà, les Algériens dans leur masse n’imaginent pas leur avenir autrement que dans le cadre de la France ». [. ] « Aussi l’action déclenchée le 1er novembre 1954 ne revêtira-t-elle aucun des caractères d’un soulèvement spontané : elle apparaîtra au contraire comme un phénomène surajouté, non populaire ». L’auteur recherche donc les véritables origines de la « rébellion » hors d’Algérie : il reprend à son compte, sous une forme édulcorée, la théorie militaire française de la guerre subversive, agression étrangère déguisée en guerre civile, et dont les vrais instigateurs manipulent des « hommes de paille ». Ces présupposés limitent la validité d’analyses souvent judicieuses et fondées sur une abondante documentation. M. Tripier semble représenter la génération des officiers élevés dans le culte de l’Empire, et confrontée à la troublante expérience indochinoise. Il croit que l’intégration était la chance de la France et de l’Algérie, et reproche au général de Gaulle d’avoir suivi l’opinion publique et le « sens de l’histoire » sans tenter de leur imposer sa marque. Son opinion rejoint celle du général Challe, qui voit dans ce livre la meilleure explication du drame algérien [7].
Le récit journalistique a été illustré par Yves Courrière, mieux que par tout autre. De 1968 à 1971, la publication de ses quatre volumes [69] a puissamment contribué à réveiller l’intérêt du public pour le conflit algérien. Tous ceux qui s’y intéressent les ont lu avec passion et lui sont reconnaissants de les avoir écrits. Son exemple a démontré la possibilité de reconstituer des événements controversés en s’adressant aux acteurs survivants de tous les camps, sans discrimination. Son style descriptif et narratif envoûte le lecteur en lui donnant l’illusion d’accompagner les personnes dans leur terrible aventure. La forme et le fonds justifient le succès de l’œuvre.
Pourtant, des critiques fondées lui ont été adressées. Son parti-pris littéraire le conduit à reconstituer des dialogues ou des pensées intimes dont l’authenticité est parfois contestée, par les intéressés eux-mêmes. Les erreurs de détail ne sont pas rares. La hâte du journaliste explique ce défaut. L’impression de tout savoir, créée par le premier volume, devient illusoire dès que le nombre des acteurs interdit une enquête exhaustive. Le récit repose dès lors sur un échantillon arbitraire. Ceux qui n’ont pas été interrogés peuvent se plaindre que leur rôle a été mal jugé. Alain de Sérigny et le colonel Boumedienne sont tous deux dans ce cas. Il est vrai que l’auteur pouvait difficilement satisfaire toutes les tendances entre lesquelles ses informateurs se partageaient. Dans l’ensemble, l’explication qu’il présente est « gaulliste », puisqu’il faut bien trouver un point d’équilibre entre les thèses contradictoires de l’Algérie française et du FLN. Mais la sympathie de l’écrivain pour ses personnages, indépendamment de leur camp, crée une impression de décousu, et fait ressortir le besoin d’une véritable synthèse.
On ne saurait adresser ce reproche à Claude Paillat, homme de convictions monolithiques. Journaliste engagé dans le camp de l’Algérie française, il lui avait consacré en 1961 et 1962 ses « dossiers secrets ». Travaillant d’après une abondante documentation fournie par ses amis, parmi lesquels de nombreux officiers, il élargit son sujet à l’écroulement de l’Empire français [80]. La guerre d’Algérie constitue l’essentiel du second volume. Chez lui, point d’effets de style, mais d’abondantes citations, dans le texte et en notes à l’appui de son argumentation. Il dresse un réquisitoire contre l’ambition sans scrupules du général de Gaulle, et contre le « fanatisme musulman » représenté par le FLN. Même si l’on n’approuve pas l’ensemble de ses jugements et de ses analyses, il reste vrai qu’elles méritent d’être étudiées de près. La valeur documentaire de son œuvre est considérable.
En outre, le dixième anniversaire de la fin de la guerre a suscité un troisième récit du conflit algérien [93]. Œuvre d’une équipe de journalistes, il conjugue le style narratif de Courrière et la minutieuse documentation de Paillat. Son titre et son contenu satisfont les Français d’Algérie en rendant hommage à leurs souffrances, et la majorité métropolitaine en jugeant la tragédie inévitable. Couvrant les événements de 1830 à 1971, ces quatre petits volumes agréablement présentés apportent une référence utile. D’autres journalistes évoquent certains aspects particuliers de la guerre [8].
Mais quel que soit l’intérêt des études et des récits, les témoignages pour l’histoire les dépassent en nombre, et les égalent par leur valeur documentaire. Plus que tous les autres, les Mémoires du général de Gaulle [84] étaient attendus comme un événement. On en espérait quelques révélations sur les raisons fondamentales de sa politique. En réalité, elles ne purent que confirmer ce qui était déjà connu. Sans avoir de plan rigoureusement préétabli de Gaulle avait arrêté dès 1955 les grandes lignes de son action. Il jugeait impossible le maintien de la domination française et ne croyait pas davantage pouvoir la dépasser par l’assimilation ni par l’intégration, « formule astucieuse et vide ». L’intérêt supérieur de la France imposait de lui substituer une forme d’association au moyen du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en respectant la dignité et les avantages réciproques des deux pays. « Ainsi, tenant pour une ruineuse utopie « l’Algérie française » telle qu’au début de mon gouvernement je l’entendais réclamer à grands cris, je comptais aboutir à ceci, qu’à l’exemple de la France, qui, à partir de la Gaule, n’avait pas cessé de rester en quelque façon romaine l’Algérie de l’avenir, en vertu d’une certaines empreinte qu’elle a reçue et qu’elle voudrait garder, demeurerait, à maints égards, française ». Pour atteindre ce but, le général avait choisi de procéder par étapes, en s’assurant le soutien de l’opinion et en trompant les irréductibles. « Sans jamais changer de cap, il me faudrait donc manœuvrer, jusqu’au moment où, décidément, le bon sens aurait percé les brumes ». De Gaulle affirme avoir imposé sa volonté à tous, même au FLN. En quoi il n’est pas convaincant.
Les souvenirs de son principal collaborateur en matière algérienne, Bernard Tricot [116], prouvent le contraire. On y voit la vaine recherche d’une « troisième force » qui servirait de tampon entre le FLN et les adeptes de l’Algérie française. Cet espoir s’évanouit dans le second semestre de 1960, après la rencontre de Melun et la mystérieuse affaire Si Salah, dont M. Tricot, après Paillat et Tournoux, donne une version détaillée. Rien ne prouve en effet que de Gaulle ait préféré négocier avec le GPRA, qu’il refusait de reconnaître comme le représentant exclusif du peuple algérien, même le 4 novembre 1960. Les manifestations de décembre et le boycottage des élections du 8 janvier 1961 l’ont contraint de renouer les négociations, en position de faiblesse. Puis les nécessités du dégagement l’ont réduit à des concessions que lui-même jugeait inacceptables un an plus tôt. Il les a consenties dans l’espoir, imparfaitement exaucé, d’amener le FLN à « passer au positif ». L’auteur défend l’œuvre à laquelle il a pris une large part : « Oui, ce fut long et imparfait. Mais de quel homme d’État, parmi ceux qui infléchirent le cours de l’Histoire, pourrait-on dire avec assurance : « Il aurait fait plus vite et il aurait fait mieux ? »
Sur le même ton mesuré, Christian Fouchet [91] évoque sa mission de haut-commissaire en Algérie, qu’il accepte par fidélité gaulliste et parce que son expérience tunisienne de 1954 l’a convaincu de l’utilité d’une décolonisation bien faite. A son niveau, l’ancien préfet de police d’Alger, Cros [90] [9], témoigne sur l’exercice de ses fonctions en 1962 : lutte contre l’OAS, prise de contact avec le FLN, et mise en place d’une nouvelle administration algérienne. À l’opposé, plusieurs témoignages exposent le point de vue au français d’Algérie [10].
Mais une autre catégorie est plus largement représentée : les souvenirs d’officiers, « perdus » ou non. Dès 1967, le capitaine Sergent, ancien chef de l’OAS-métropole, avait donné l’exemple, et le ton : « Mon vœu serait comblé si certains de nos adversaires - de nos anciens adversaires - de ceux qui nous ont le plus durement combattu, voulaient bien admettre l’honnêteté de notre voix. Je dépose sans crainte et sans haine ». Après avoir justifié sa révolte et raconté son action illégale [63], il retrace l’épopée de son ancien régiment, le 1er REP, de l’Indochine à l’Algérie [114]. À un plus haut niveau, le général Challe fournit de même les raisons de son engagement dans l’éphémère « putsch » d’Alger [68]. Soldat lié par la parole donnée, il ne pouvait consentir à un nouvel abandon, d’autant moins que son action militaire avait rapproché la victoire à portée de la main, comme l’avait prouvé, à ses yeux, l’affaire Si Salah. Républicain sincère, il voyait dans l’intégration de l’Algérie à la France une « décolonisation par promotion » conforme à l’intérêt bien compris des deux pays et à celui du monde occidental. Son collègue le général Jouhaud, ancien chef de l’OAS en Oranie, ajoute à cette argumentation l’attachement passionné d’un Français d’Algérie à son pays natal [79]. Il révèle une étrange proposition de sécession d’une « République française d’Algérie » que l’entourage de Michel Debré lui avait soumise en novembre 1960, et en tire une justification de son action ultérieure.
Les Mémoires du général Salan, ancien chef suprême de l’OAS, étaient attendus avec une certaine impatience. Celui-ci raconte sa carrière bien remplie, en plusieurs volumes, avec une minutie, un souci du détail, qui en rendent la lecture peu attrayante. Du moins l’auteur réussit-il à se faire admettre comme un officier représentatif de sa génération, attaché à la République par ses origines modestes et à son empire d’outre-mer par son expérience presque entièrement coloniale. Il traite dans le tome 3 [113 3] de son commandement en Algérie, de sa nomination par le gouvernement Mollet à sa confirmation par de Gaulle en juin 1953. On n’y trouve guère de révélations, en dehors de la troublante « affaire du bazooka », qui a visiblement marqué le général et déterminé son comportement ultérieur. L’exposé des opérations militaires, de la bataille d’Alger, du bombardement de Sakiet Sidi Youssef, est conforme aux déclarations officielles du moment. Le récit du 13 mai et de ses suites donne l’impression d’un homme subissant les événements, non d’un général de coup d’État. Cette même impression est ressentie par le capitaine Ferrandi [78], son aide de camp jusque dans la clandestinité : le « patron » lui parait toujours attendre l’événement pour décider en fonction de celui-ci. Le journal de ce témoin fidèle mais lucide est un document particulièrement précieux sur la période la plus mystérieuse de la carrière de Raoul Salan, non encore abordée par ses Mémoires.
Quelques officiers ne plaident pas pour eux-mêmes, ou du moins pas directement. D’un côté, le général Dulac [75], ancien subordonné du général Salan, évoque l’expérience de sa génération pour mieux expliquer la crise de l’armée. Son ton mesuré sert bien son propos : « Ballottés de l’espérance au désenchantement, ne croyant plus personne, sinon certains de leurs chefs, des hommes de tout premier plan sont mûrs pour de déplorables aventures. Qu’ils aient été victimes des circonstances, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais, ce dont je veux témoigner, c’est qu’ils ne le méritaient pas ». Inversement, et pourtant dans le même esprit, le général Ely [76], ancien chef d’État-major général de la défense nationale, expose comment il a compris, approuvé et tenté d’expliquer la politique gaullienne jusqu’en mars 1961. Partisan de la discipline, il n’en est pas moins indulgent pour ses camarades égarés.
Aucun de ces témoignages-plaidoyers n’a suscité autant de réactions que celui du général Massu. La publication du premier volume de ses souvenirs [92], en 1971, fut un événement. Provoqué par le succès du deuxième tome de Courrière, et par la projection du film italo-algérien de Pontecorvo et Yacef, il y expliquait ce qu’avait été, à ses yeux, la « vraie bataille d’Alger » : une opération de police, dure mais juste et nécessaire, menée pour protéger les populations, tant musulmane qu’européenne, de la ville et du département d’Alger, contre l’action terroriste de bandits qui les massacraient en prétendant les libérer. Les vrais libérateurs étaient les parachutistes de la 10e DP, comme le prouva l’année suivante la fraternisation de mai 1958. Cette version n’est pas nouvelle : la nouveauté se trouve dans l’aveu, hésitant mais clair, que la torture avait été l’un des moyens utilisés, et dans la tentative d’en justifier l’emploi.
Cette apologie d’une pratique immorale et illégale a soulevé une tempête dans la presse, et suscité plusieurs réfutations. Certaines prenaient pour cibles les contradictions et les erreurs du général par exemple le pamphlet de Démeron [101]. D’autres, sans renoncer à l’arme de la dérision, contre-attaquaient sur un ton de violente indignation. Mohammed Lebjaoui, ancien membre de la direction du FLN à Alger puis à Paris, répondit avec aigreur aux allégations du général concernant les méthodes et les buts du Front, et le mit au défi de soutenir un débat public [107]. Ses arguments étaient renforcés par une abondante documentation. Jules Roy, écrivain, français d’Algérie, et ancien officier, entreprit de démolir le personnage de Massu avec une véhémence non moins systématique au nom de l’idéal chevaleresque [112]. Il dénonça en lui un soudard sournois, un général de guerre civile, dont l’ambition n’était limitée que par la prudence et par une certaine conscience de ses propres limites... A l’opposé, le général de Bollardière s’interdit de juger son collègue. Il « méprisait » son action sans contester la sincérité de sa « certitude monolithique ». Accusé par celui-ci d’avoir échoué dans sa tâche de maintien de l’ordre, il défendit avec dignité sa propre tentative de pacification sans violence [111] Pierre Vidal-Naquet sut élever le débat au-dessus des attaques personnelles en recherchant les responsabilités politiques de la diffusions de la torture [118].
Le général Massu n’est, en effet, qu’un exécutant. Son deuxième volume de souvenirs le montre bien [108]. Porté sur le pavois par la foule algéroise, il se range avec soulagement sous l’autorité du général de Gaulle. Dépité jusqu’à la limite de l’insubordination par la politique de celui-ci, il finit par l’approuver. Son comportement est celui d’un soldat désireux d’obéir à une autorité qu’il comprenne, et d’un homme influençable par son entourage. Qu’il se soit dérobé à leurs sollicitations peut contribuer à expliquer la sévérité que lui témoignent deux de ses anciens subordonnés passés à l’OAS : les colonels Godard et Argoud.
Il faut en effet constater que tous les assauts contre le général Massu ne venaient pas du même bord. Claude Paillat, lui aussi, a réprouvé « l’injustifiable plaidoyer ». Godard [103] a fermement condamné l’usage de la torture, qu’il jugeait à la fois moralement inadmissible, et pratiquement inutile, voire nuisible. « Point n’est besoin de torturer. Il suffit d’être bien renseigné, et pour l’être il y a d’autres moyens ». Il rejetait les subtiles distinctions établies par son supérieur entre la « question par force » et la vraie torture : « Quant à admettre certains sévices sous prétexte qu’ils ne portent pas atteinte à l’intégrité physique du sujet, c’est, en jouant sur les mots, mettre la main dans l’engrenage de la cruauté ». Mais il défendait ses camarades contre les accusations dont ils sont encore l’objet, au risque de contredire son ancien chef. Le colonel attestait « que la torture n’a jamais été érigée en système », et que les « erreurs » commises ont été moins nombreuses qu’on ne dit. En fait la « première bataille d’Alger », qu’il a racontée dans son livre, a été menée sous la responsabilité du général Massu. C’est seulement à partir de juin 1957 que Godard a exercé le commandement du secteur. Malheureusement pour nous, une mort prématurée l’a empêché d’apporter son témoignage sur la « deuxième bataille d’Alger » (juin-septembre 1957) et sur son action à la tête de l’OAS en 1961-1962.
Néanmoins la confrontation de son premier volume avec les déclarations de son ancien chef permet d’éclairer un point controversé : le nombre des victimes de la répression menée à Alger par la 10e DP de Massu. D’après le colonel, il serait minime : les armes des paras auraient fait de janvier à fin mars 36 morts et trois blessés dans les rangs de l’adversaire. Suivant le général, du 20 janvier au 31 mars la division aurait arrêté 1.827 « fellaghas » (chiffre incomplet, ne tenant pas compte des libérations, puisque dans le même temps, selon Godard, les centres de transit et de tri d’Alger ont vu passer 3.081 personnes). Le général continue ainsi : « parmi eux, environ deux cents ont perdu la vie dans l’exécution de leurs missions, au cours de combats corps à corps, de poursuites, d’évasions, d’accidents divers ». (p. 173). Les victimes de la torture sont vraisemblablement comprises dans les deux dernières catégories... En tout, d’après Massu, « en neuf mois Yacef Saadi a perdu moins d’un millier d’hommes - très probablement le nombre relativement faible de trois cents tués ». Manifestement incomplet, le bilan de Godard ne peut démentir celui de son supérieur. Même s’il faut y voir un minimum, cette estimation autorisée a le mérite de mettre un terme aux dénégations officielles. Tel est l’apport décisif de la « vraie bataille d’Alger ».
Un tel chiffre semblera dérisoire à ceux qui croient savoir de source certaine que Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la police, avait enregistré 3.024 disparitions à la date du 2 avril 1957, et 3.994 au moment de sa démission définitive en septembre. Cette affirmation d’Yves Courrière a été reprise sans examen critique par tous les accusateurs du général Massu. Pourtant, ni la lettre de démission citée (pp. 515-517), ni le document reproduit en hors texte (avant la p. 289) dans « Le temps des léopards », ne permettent d’établir ces chiffres. M. Teitgen écrit le 23 mars avoir signé près de deux mille assignations à résidence. Il ne peut guère avoir, sur ce nombre, constaté autant de disparitions qu’on le prétend. Il nous a du reste précisé que les 3.024 disparitions enregistrées par lui dans le cadre de ses fonctions concernaient, non pas la seule ville d’Alger, mais les cinq départements de la région, soit le tiers du territoire algérien. Quant au document invoqué en preuve, il ne peut rien prouver et ne prouve strictement rien, comme l’a clairement démontré en annexe de son livre le colonel Godard. Il faut croire à un malentendu entre M. Teitgen et Yves Courrière : un mythe vivace en est issu.
Les souvenirs du colonel Argoud [125] ont ajouté en 1974 un post-scriptum à ce débat, qui semblait clos à la fin de 1972. Sur le plan des principes, il affecte de renvoyer dos à dos les généraux de Bollardière et Massu, pour défaut d’autorité. Mais ses idées personnelles rejoignent celles de Massu. Comme lui, il admet une torture limitée et réservée à des coupables. En outre, il pratique l’exécution publique des terroristes, et fait adopter cette forme de justice expéditive par le général en 1959. Sur le plan des faits, il confirme les accusations visant l’action de la 10e DP. Massu n’a pas su imposer des limites à la violence de ses paras : « Le renseignement est obtenu à n’importe quel prix. Les suspects sont torturés comme les coupables, puis éliminés si nécessaires ». (p. 142). Le colonel affirme avoir découvert « un charnier de soixante cadavres, hommes, femmes et enfants » dans une ferme après leur passage (p. 154). Quant à lui, il réussit à concilier, en son âme et conscience, Jésus et Clausewitz.
Les responsables de l’autre camp n’avaient jusqu’en 1972 presque rien publié d’équivalent à ces souvenirs précisément documentés. Ceux du commandant Benchérif, édités à Alger, étaient trop riches en considérations générales et trop pauvres en détails [65] Ceux de Mohammed Lebjaoui, publiés à Paris, apportaient des révélations décousues sur l’organisation du FLN à Alger et en France de 1955 à 1957, et sur ses divisions au moment de l’indépendance [87]. Sa réponse au général Massu [107] aurait eu plus de poids s’il avait fourni les références des témoignages qu’il donnait en annexes. Dans l’ensemble, les Mémoires semblaient un genre ignoré des personnalités militaires et civiles ayant joué un rôle dans la révolution algérienne. Regrettable carence, qui donnait un quasi-monopole du témoignage aux acteurs français.
Après la grande vague de publications qui culmina en 1972, l’historiographie de la guerre d’Algérie est-elle entrée dans une nouvelle phase ? La période en cours ne semble guère présenter d’originalité par rapport à la précédente sur le plan qualitatif. Les trois genres distingués ci-dessus continuent à être cultivés. La principale nouveauté consiste dans l’apparition d’auteurs algériens qui se classent d’emblée au premier rang.
Les études historiques sur le sujet ont été illustrées par l’œuvre de Mohammed Harbi. Nationaliste algérien de tendance marxiste, ayant joué un rôle non négligeable dans la révolution algérienne avant et après l’indépendance, il a publié un livre très dense sur les origines du FLN [135], qui fait espérer une suite. L’auteur conjugue l’expérience et la documentation incomparables d’un militant chevronné avec l’esprit critique d’un historien résolu à remettre en cause les idées reçues, y compris ses propres conceptions antérieures. Le résultat est remarquable. Harbi démontre que la crise du MTLD n’était pas seulement un conflit de clans, et que les fondateurs du FLN ont éludé le débat entre deux orientations politiques : réformisme ou révolution. Il aboutit à une demi-réhabilitation du messalisme : sans absoudre ses chefs, il estime que cette tendance représentait le même courant populaire que les initiateurs de la lutte armée. Ceux qui n’approuveraient pas cette analyse pourront du moins tirer parti de l’énorme documentation qu’apporte ce livre sans précédent [11].
Le camp français continue de faire l’objet d’études plus nombreuses. La crise de l’armée a inspiré plusieurs nouvelles enquêtes. Deux jeunes universitaires américains, Field et Hudnut [133], montrent comment le corps des officiers s’était progressivement éloigné de la nation et des institutions républicaines. Leur point de vue est extérieur à la société qu’ils analysent. Tel n’est pas le cas de Rouvière, qui étudie le putsch d’Alger [145] avec un détachement historique non exclusif d’une sympathie visible pour ses héros. Dans un autre esprit, Vidal-Naquet dénonce « les crimes de l’armée française » [137]. Moins engagée, mais ne prétendant pas à l’impartialité, l’enquête de Vittori [148] auprès de trois cents anciens appelés en Algérie donne la parole aux civils en uniforme, soldats involontaires qui constituaient la majorité silencieuse de l’armée. L’auteur accorde une large place aux mouvements d’opposition, des manifestations de 1955 à la révolte du contingent contre le putsch de 1961.
Deux jeunes agrégés, Laurent Theis et Philippe Ratte, ont abordé cette guerre par le biais original de l’information des Français sur le problème algérien de 1945 à 1962 [130]. Leur étude est fondée sur un séminaire organisé en 1972-73 à l’École Normale Supérieure, avec la participation de quinze personnalités, acteurs ou témoins [12].
Les récits de journalistes deviennent moins nombreux. Parmi eux, la biographie de Krim Belkacem par son compatriote Hamdani [123]. Le récit est très vivant ; des documents inédits, certains reproduits en fac-similé, doublent l’intérêt de l’ouvrage. Déjà exposé par Courrière, le point de vue de Krim est désormais très bien connu. Sans doute pour lui répondre, deux journalistes français [142], ont publié une biographie de son rival heureux, le président Boumedienne, qui comble en effet une regrettable lacune. On y découvre un personnage gaullien.
Sur l’autre camp, les récits après enquête semblent se raréfier. On peut se demander si le fabuleux succès d’Yves Courrière et la débauche de publications analogues n’ont pas épuisé une veine trop exploitée.
On ne peut en dire autant des témoignages pour l’Histoire, qui continuent à paraître régulièrement. Le côté algérien reste peu représenté, mais il l’est par des contributions de qualité. Pour la première fois un ancien maquisard, le commandant Azzedine, livre au public français des souvenirs passionnants, ayant toutes les qualités d’un roman d’aventures vécues [138]. Le lecteur y apprend pourquoi et comment on devient un « rebelle », et ce qu’était la vie des « fellaghas » vue de l’intérieur. Azzedine est un homme de guerre, habitué à la mort donnée et risquée à chaque instant ; néanmoins son ton de sincérité le rend sympathique. Mais l’explication qu’il donne de son comportement après sa deuxième capture ne peut dissiper tous les doutes. On est frappé par l’accélération soudaine de son récit à partir du moment où il découvre, à Tunis puis à Alger, la haute politique... Des précisions seraient les bienvenues. Le témoignage de Noël Favrelière [121] ne peut éclairer que les coulisses du FLN, mais il le fait à merveille, grâce à la lucidité de l’observateur. Déserteur en 1956 avec le prisonnier qu’il était chargé d’exécuter, l’auteur a passé toute la guerre sous la protection de ses nouveaux amis, d’abord en Tunisie, puis en plusieurs pays, jusqu’à son retour tardif dans la mère patrie. Il a connu et fait revivre des maquisards et des diplomates, la base et le sommet. Les plus hauts responsables du FLN persistent dans le silence, à l’exception de Mohammed Boudiaf, le principal organisateur de l’insurrection, qui en a retracé la préparation en quelques dizaines de pages [140].
Le point de vue gaulliste n’est défendu que par Léon Noël [143], ancien président du Conseil constitutionnel. Au contraire, les défendeurs de l’Algérie française continuent à justifier leur action. Le général Salan relate en un volume [113 IV] son désenchantement croissant devant la politique gaullienne. Le sentiment d’avoir contribué, berné et manipulé par ceux qui avaient tenté de le supprimer en janvier 1957, à une odieuse imposture, le pousse à prendre la tête des opposants. Malheureusement, nous attendons toujours le volume suivant, qui devrait raconter l’action clandestine du chef de l’OAS. Son compagnon le général Jouhaud complète son premier témoignage [147] à la fois pour l’histoire de demain et « afin que les métropolitains comprennent que nous n’avons pas eu toujours tort ». Le général Zeller apporte lui aussi sa contribution [131]. Dans le même esprit, le témoin privilégié que fut l’ancien directeur de L’Écho d’Alger, Alain de Sérigny, poursuit son réquisitoire précisément documenté contre le général de Gaulle, auquel il regrette d’avoir fait confiance pour garder l’Algérie. Sur le fond du problème, il croit que l’intégration devait être loyalement tentée en 1958 ; si néanmoins l’indépendance avait fini par s’imposer, du moins aurait-elle pu se faire avec les amis de la France [102 II]. Le colonel Argoud est de loin le plus amer [125]. Dans ses souvenirs déjà cités, lui aussi accable de Gaulle symbole de tout ce qu’il méprise et hait, dont l’action depuis 1940 n’a été qu’imposture malfaisante. En outre, il renie le peuple français, coupable d’égoïsme et de lâcheté : « je ne me sens plus rien de commun avec ce pays qu’on appelle la France [... ]. La France, à mes yeux, est morte à Verdun en 1916 ». Exilé de l’intérieur seul contre tous, Antoine Argoud n’a pas désarmé.
Son implacable intransigeance est sans autre exemple parmi ses compagnons de lutte. Le capitaine Sergent a pris assez de recul pour discuter du problème algérien avec le préfet Dubois, « pied noir » favorable à la décolonisation [127]. Certains rapportent leur action passée en avouant que leur personnalité a changé depuis [13].
Enfin, quelques témoignages s’élèvent au niveau de la réflexion désintéressée. Celui du colonel Tanant exprime les cas de conscience d’un officier de tradition, ancien de l’armée d’Afrique et du Vercors [124]. Les souvenirs de Pierre Beyssade [119] présentent un intérêt documentaire bien plus considérable. Né en Algérie, l’auteur choisit la carrière d’administrateur et se trouve confronté aux divers aspects du drame algérien : l’insurrection de 1945, le truquage des élections, le terrorisme, l’action psychologique dans les centres d’internement. Sous une agréable forme littéraire, il nous apporte une abondante matière à réflexion [14].
III. PERSPECTIVES
Dans l’ensemble, l’historiographie de la guerre d’Algérie semble traverser une phase « objective », caractérisée par l’accumulation de matériaux pour l’Histoire encore à faire : la majorité des publications consiste en témoignages, souvent étayés par des documents ; la plupart des enquêteurs en adoptant la forme du récit, donnent plus d’importance aux faits qu’aux raisonnements ; les études proprement dites restent rares.
Pourtant cette appréciation doit être fortement nuancée. La grande majorité des témoins sont en même temps, plus ou moins nettement, des avocats, défendant leur action ou la cause avec laquelle ils sympathisent. La quasi-totalité des auteurs ayant écrit sur la guerre d’Algérie l’ont vécue, de près ou de loin, et ont dû prendre position par rapport à elle. Ils ne peuvent considérer de l’extérieur une situation qui les a englobés. C’est pourquoi l’historiographie de cette guerre ne pourra se renouveler que par les efforts de chercheurs neufs, concernés sans être impliqués, motivés mais non marqués. La relève des générations, avant même l’ouverture des archives, permettra l’étude scientifique du conflit, que chacun espère voir un jour, tout en la jugeant encore prématurée.
Ce qui précède concerne la France. Il faut bien en effet constater la probabilité d’un rapport entre la surabondance des témoignages et la quasi inexistence des travaux universitaires publiés sur le sujet dans notre pays. Au contraire, l’extrême rareté des publications en Algérie semble stimuler les recherches d’histoire et de science politique, menées le plus souvent dans les universités étrangères, par des Algériens désireux de comprendre les fondements de leur nation et de leur société. Enfin, dans les pays indirectement concernés par le conflit, les récits de journalistes sont depuis longtemps concurrencés par des études universitaires mises à la disposition du public. Tel est le cas des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et de l’Allemagne dans une moindre mesure.
Dans les pays anglo-saxons en effet, plusieurs facteurs ont motivé l’étude scientifique de la guerre d’Algérie. L’intérêt pour le monde musulman, et pour l’Afrique du Nord en particulier, était ancien en Grande-Bretagne, et s’est affirmé aux États-Unis depuis le débarquement de 1992. En tant que leaders de l’alliance atlantique, les deux États s’inquiétaient des répercussions du conflit sur la cohésion de la France et de son armée, et sur leur contribution à la défense commune. En outre, l’expérience française de la guerre révolutionnaire et contre-révolutionnaire a passionné les stratèges américains... [15].
Pour des raisons voisines, les chercheurs allemands s’intéressent aussi au conflit. Pendant la guerre, le « Problème algérien » de Thomas Oppermann avait été traduit en français. Récemment, la thèse monumentale de Hartmut Elsenhans : Frankreichs Algerienkrieg [16], a été publiée à Munich. L’auteur a dépouillé toute la documentation disponible en France, comme le montre sa bibliographie d’une richesse exceptionnelle.
Il est difficile de faire un bilan exhaustif des recherches menées sur le sujet dans tous les pays. Il semble que les alliés de la France soient les plus motivés. Leur point de vue est néanmoins différent de celui auquel nous sommes habitués, parce qu’extérieur à notre cadre politique et supposant d’autres références. C’est en quoi il peut nous aider à renouveler notre manière de penser le problème algérien.
Mais le renouveau le plus fécond devrait venir d’Algérie même. L’abstention presque totale de ce pays envers une Histoire qui le concerne au premier chef est un paradoxe difficilement justifiable. Si la défaite et les déchirements subis par la France expliquent suffisammentl’intérêtqu’ysuscitel’évocationde cette guerre, la victoire à la Pyrrhus qui a fondé l’Algérie indépendante ne mérite pas une moindre attention. Certes, elle est commémorée, et beaucoup trop au goût de certains. Les anniversaires du 1er novembre 1954 et des autres grandes dates de l’insurrection sont commentés chaque année dans la presse, en arabe et en français. Pourtant très peu de livres consacrés à ces événements fondamentaux sont publiés dans le pays. Dans l’ensemble, l’historiographie tend à exalter les vertus patriotiques et à cimenter l’unité nationale. Il est répété que le peuple algérien s’est dressé dans un élan unanime pour arracher son indépendance au colonialisme français. Tous les problèmes risquant de susciter des controverses et de raviver des oppositions internes sont volontairement omis. Le lecteur ne se voit proposer que deux genres : la prédication manichéenne, dépourvue de nuances et de précisions, et le récit ponctuel, anecdotique, mais toujours exemplaire.
Cette histoire édifiante semble rencontrer l’indifférence de jeunes, et le scepticisme ou la volonté d’oubli manifestés par bon nombre de leurs aînés, qui savent que le passé n’a pas été l’épopée uniformément exaltante qu’on leur présente. En dehors de leurs propres souvenirs, les Algériens connaissent mal leur histoire récente, et la propagande officielle n’a rien fait pour y remédier. Mais depuis quelques années, la nécessité de ne pas laisser aux auteurs français le privilège exclusif de raconter l’insurrection à leur manière, semble s’être imposée aux dirigeants algériens. Si l’œuvre de Courrière avait d’abord accru leur défiance envers l’histoire, en tant que moyen de contester la légitimité de tel homme ou de tel groupe, son succès même les obligeait à une réplique positive. De 1972 à 1974, le gouvernement a lancé plusieurs campagnes de rassemblement d’archives afin de permettre aux historiens algériens d’écrire un jour l’histoire de la révolution algérienne.
Il existe en effet de jeunes historiens algériens désireux d’entreprendre cette tâche. Plusieurs d’entre eux ont milité dans le FLN avant l’indépendance. Ils jugent plus utile de chercher à expliquer les dissensions et les oppositions que de les passer sous silence. Jusqu’à présent, ils ne trouvaient guère en Algérie l’occasion de satisfaire leur curiosité. La recherche universitaire ne dépassait qu’avec une extrême prudence les événements de mai 1945. C’est donc à l’étranger, et notamment en France, que de nombreux étudiants algériens ont traité dans un DES de science politique ou un mémoire de maîtrise d’histoire, leur sujet préféré. Plusieurs ont continué leur recherche [17].
Certains auteurs ont eu l’audace de tenter sans délai des synthèses, dont ils ressentaient l’urgente nécessité. D’autres ont abordé ou abordent le sujet par un biais plus limité [18]. Dans l’ensemble, les thèses consacrées à la guerre d’Algérie dans les universités françaises semblent plus souvent présentées par des Algériens que par des Français.
L’intérêt pour la guerre d’Algérie n’a pourtant jamais cessé de se manifester parmi les étudiants et les chercheurs français. Il a d’abord inspiré de nombreux travaux de droit, de science politique, voire de sociologie, dont plusieurs ont été publiés (Launay, Bourdieu et Sayad, Cornaton, Buffelan, Étienne, Heymann). Puis l’histoire a pris la relève, lentement et prudemment, en commençant par des mémoires, pour passer ensuite à des thèses de troisième cycle, et enfin au dépôt de sujets de thèses de doctorat d’État, dont aucune ne semble avoir été soutenue [19]. Achevées ou en cours, les thèses de tous types restent peu nombreuses ; leurs auteurs sont isolés, sauf en quelques lieux privilégiés : Aix-en-Provence, mais aussi Montpellier III avec son centre d’histoire militaire, et Nice. Dans l’ensemble, il leur est très difficile de connaître tous les travaux déjà effectués [20], et ceux qui se font ailleurs. Il leur serait cependant très utile de savoir qui sont leurs « confrères », sur quels sujets ils travaillent, et comment ils conçoivent leur tâche. Les problèmes qu’ils rencontrent sont les mêmes, les solutions adoptées peuvent être différentes. Une confrontation des expériences et des opinions serait une aide et une stimulation pour tous.
En effet, tous les aspirants historiens de la guerre d’Algérie se heurtent d’emblée à la même difficulté, celle des sources. La fermeture des archives publiques pour une durée minima de trente ans à partir des événements est une des raisons qui ont jusqu’ici découragé la plupart des chercheurs d’étudier ce sujet. Les spécialistes de l’histoire contemporaine ont tendance à croire qu’aucun travail historique sérieux ne peut se faire en dehors des Archives. En réalité, les sources ne font pas défaut, elles abondent au contraire. D’abord les sources imprimées, livres et périodiques, par définition publiques. Elles permettent les études sur l’information, et l’opinion. Les publications éditées après l’indépendance apportent des révélations et des précisions supplémentaires ; elles se prêtent par surcroît aux études d’historiographie. Il serait en effet particulièrement utile de mesurer l’influence des partis-pris sur la présentation des faits, en confrontant les versions successives d’un même événement controversé ou méconnu : par exemple, la bataille d’Alger, ou l’affaire Si Salah. Ne négligeons pas non plus les documents audio-visuels, cinéma, télévision, radio... D’autre part, les sources orales, acteurs et témoins de tous les camps et de tous les niveaux de responsabilité, méritent d’être mises à contribution d’urgence, avant leur disparition complète, chaque jour plus prochaine. Les Archives ne sont qu’une source parmi d’autres ; jamais la totalité des documents utilisables ne sera disponible en même temps. Du reste, des documents confidentiels sont abondamment utilisés, et souvent reproduits, par les auteurs de Mémoires. Les archives privées des responsables, qui ne sont pas toutes inaccessibles, peuvent donner un avant-goût du contenu des archives publiques (militaires à Vincennes, civiles du Gouvernement Général à Aix-en-Provence, etc.).
Une difficulté plus sérieuse, pour des Français, est d’ordre linguistique. Est-il possible d’étudier la guerre d’Algérie sans connaître au moins l’arabe littéral, voire les parlers arabes et berbères ? À vrai dire, l’ignorance de l’arabe écrit serait un moindre handicap que celle du français, qui était la langue de travail du FLN. Toutefois, il s’agissait d’un français particulier, comportant des mots arabes intraduisibles, simplement transcrits : par exemple, les Moudjahidine. La compréhension en profondeur de la révolution algérienne exige la connaissance de la culture arabe, donc l’apprentissage de la langue. Quant aux dialectes, leur pratique serait nécessaire à des enquêtes sur le terrain ; mais il n’est pas évident que les Français soient les mieux placés pour mener à bien ce travail indispensable.
Le quasi-monopole du témoignage exercé jusqu’ici par les auteurs français est objectivement un facteur de distorsion de la réalité du conflit. Le point de vue des témoins met au premier plan les problèmes des Français d’Algérie, de l’armée, et de leurs relations avec le pouvoir métropolitain. La société musulmane est rejetée à l’arrière-plan, et considérée comme un enjeu passif. Elle n’est que très sommairement connue, et relève des lieux communs traditionnels sur « l’âme musulmane », oscillant entre le fanatisme et le fatalisme, mais gardant le culte de la force. Le FLN est présenté comme étranger au pays, instrument de puissances jalouses de la France. Il est vrai que de Gaulle a reconnu le caractère algérien du FLN et voulu fonder sa politique sur l’auto-détermination du peuple algérien ; mais les métropolitains qui l’ont soutenu ne s’intéressaient pas plus à l’Algérie algérienne qu’à l’Algérie française. Le franco-centrisme, voire le métropolitano-centrisme, est le défaut majeur de l’historiographie actuelle. Elle néglige le problème essentiel : comment le groupuscule qui a lancé l’insurrection est-il devenu, en sept ans, une nation ? Une explication est donnée : par le terrorisme. Il suffit pourtant de lire le Journal de Mouloud Feraoun, et de regarder de près quelques documents officiels français, pour constater son insuffisance. Il faut étudier sérieusement la face cachée du conflit : la société musulmane, dont le FLN est incontestablement issu. Les chercheurs algériens sont mieux placés et plus fortement motivés que nous pour ce travail.
Devrons-nous alors nous partager la tâche ? L’Histoire de l’Algérie serait écrite par des Algériens, celle de la France par des Français. Mais qui traiterait le conflit franco-algérien ? Un partage rigoureux est impossible. Une guerre est un tout indivisible, une situation dynamique dans laquelle les deux camps, cherchant à s’imposer mutuellement leur volonté par la force, sont contraints d’adapter sans cesse leur comportement à celui de l’adversaire. C’est pourquoi ils se ressemblent davantage qu’ils ne voudront jamais l’avouer. Ne traiter qu’un côté de la guerre aboutit à s’enfermer dans des analyses partielles, sans pouvoir jamais déboucher sur la synthèse globale qui seule peut fournir les vraies explications. Telle est, me semble-t-il, la raison pour laquelle l’œuvre de M. Vidal-Naquet n’a pas dépassé le stade de la contribution à l’histoire de la guerre d’Algérie. Celui-ci, dans un esprit de civisme français, a dénoncé la responsabilité du pouvoir politique dans la diffusion de la torture et des exécutions sommaires, qu’il couvrait en les niant. Mais il n’a pas abordé le problème global : comment lutter contre des méthodes cruelles que les deux camps employaient en prétendant qu’elles leur étaient imposées par l’adversaire. . . ? Les commodités du travail universitaire peuvent nous obliger à étudier séparément les deux côtés de la guerre : il n’en faut pas moins chercher à les connaître, dans la mesure du possible, aussi bien tous les deux. Heureusement pour nous, les Algériens francophones ou bilingues peuvent nous servir d’interprètes, par leurs écrits et par leur conversation. Les chercheurs français gagneront beaucoup à la fréquentation de leurs homologues algériens. Le fait qu’ils travaillent souvent dans les mêmes universités favorise les échanges d’informations et de réflexions. Le Groupement d’Études et de Recherches Maghrébines (GERM), qui vient d’être fondé à Paris autour de Charles-André Julien, avec le dynamique soutien de MM. Ageron et Gallissot entre autres, permettra sans doute d’intensifier ces contacts, dans un cadre international plus large, en collaboration avec les centres de recherches existants.
Si l’on veut dépasser les analyses partielles, il convient de pratiquer, à mon avis, une impartialité méthodique, c’est-à-dire de consulter le maximum de sources écrites et orales, sans exclure aucune tendance. Leur confrontation permet d’en extraire les éléments objectifs, ceux qui sont attestés par tous les camps. Il convient aussi de connaître l’argumentation de chaque partie et d’en comprendre la logique. Faut-il ensuite juger ? Certainement pour distinguer le vrai du faux. Nous devons, je crois, tenter de redresser les opinions erronées qui ont cours dans le public. Il est particulièrement nécessaire de libérer nos concitoyens « rapatriés » de leurs amères illusions. Si l’Algérie, dans sa masse, avait été française en 1954, voire en 1958, elle le serait encore aujourd’hui. De Gaulle n’a fait qu’exécuter la politique souhaitée par la majorité de l’opinion métropolitaine ; sans lui, d’autres l’auraient tentée. Même si l’intégration avait été sincèrement entreprise en 1958 et la victoire militaire obtenue, rien ne permet d’affirmer avec certitude que l’Algérie ferait encore partie de la France. Enfin l’explication de l’insurrection par la subversion communiste ne résiste pas à l’examen.
Mais on ne peut réfuter les erreurs des uns en respectant celles des autres : par exemple, la tendance de trop de métropolitains à rejeter sur les « colons » et sur les militaires de carrière tout le poids de responsabilités qu’ils ont largement partagés. Prendre au sérieux les thèses du FLN, trop longtemps dédaignées, n’interdit pas de les remettre en question. Il serait particulièrement important d’examiner si le grand nombre de musulmans armés par la France pour combattre l’ALN justifie le recours à la notion de guerre civile, qui semble contredire celle de guerre de libération nationale, mais s’accorde bien avec celle de révolution.
Cette impartialité critique peut être généralement admise. Mais, sur l’enjeu du conflit, faut-il prendre un parti, faut-il choisir son camp ? C’est ici que les opinions divergent. Les jugements de valeur, politiques et moraux, ne sont pas plus imposés qu’interdits par les règles de la méthode historique. S’il est impossible de rester indifférent à la dimension morale du problème, on ne peut exiger un engagement rétrospectif, ni nous demander ce qu’il aurait fallu faire. L’indépendance de l’Algérie n’est plus un débat politique, c’est un fait historique. Il est pourtant vrai que le sujet conserve un intérêt actuel. La vie politique française reste déterminée par les événements de 1958 et de 1982. Les relations franco-algériennes, au niveau des États et à celui des peuples demeurent délicates. Enfin, des conflits analogues sont en cours un peu partout. Une histoire engagée est donc possible : en témoignent les innombrables études consacrées aux relations entre les partis communistes de France et d’Algérie et le nationalisme algérien. Mais l’histoire militante s’enferme dans le cercle de ses sympathies, comme nous l’a montré l’exemple du groupe de réflexion sur la guerre d’Algérie constitué en 1975, dans le cadre du « Forum-Histoire » de Paris VII, autour de l’historien Robert Bonnaud. Les participants connaissaient parfaitement l’extrême-gauche, où ils se situaient, et la « gauche respectueuse », communiste et socialiste, dont ils s’étaient séparés sur la question algérienne. Mais tout le reste à leurs yeux était « la droite », qu’ils identifiaient sommairement à la cause de l’Algérie française. Jamais pourtant le clivage entre partisans et adversaires de la colonisation n’a coïncidé avec l’opposition droite-gauche. Et si la « gauche respectueuse » a trahi son devoir internationaliste, c’est en suivant la tradition de la vieille gauche française, patriote et croyant en la « mission civilisatrice » de sa nation. Plutôt que de protéger nos préjugés sur l’histoire, ne vaudrait-il pas mieux éclairer notre jugement politique en étudiant « à froid » un problème aujourd’hui dépassé ?
Il est vrai qu’un historien de la guerre d’Algérie ne travaille pas seulement pour satisfaire sa curiosité personnelle. Il ne peut s’empêcher, à mon sens, de viser un but plus élever : contribuer à exorciser les relations franco-algériennes, ce qui suppose au préalable l’apaisement des discordes franco-françaises ; expliquer à tous les intéressés pourquoi ils se sont si durement affrontés et, par là, les libérer de leurs ressentiments. C’est, pour l’instant, un beau rêve. L’historiographie de la guerre d’Algérie, dans les deux pays concernés, ne s’est pas encore dégagée des anciennes interprétations, qu’elle tend à reproduire indéfiniment. Son histoire critique reste presque entièrement à faire. N’attendons pas qu’elle se fasse toute seule, avec le temps.
Guy PERVILLÉ,
Attaché de recherche au CNRS,
Pensionnaire de la fondation Thiers.
[1] Un même titre (col. 2) peut faire l’objet de plusieurs éditions (col. 1), simultanées ou successives, différentes soit par l’éditeur, soit par la présentation matérielle, voire par le contenu (édition revue, corrigée et augmentée). La col. 3 élimine les rééditions d’ouvrages déjà publiés avant le 1er juin 1962, les simples réimpression ne sont pas comptées.
[2] Ceux de Ch. PINEAU, 1956-Suez, R. Laffont, 240 p., et de L. BAEYENS, Fayard. 288 p. : Un coup d’épée dans l’eau du canal, la deuxième campagne d’Égypte.
[3] Ysquierdo, sous-officier du 1er REP arrêté pour sa participation au putsch du 22 avril 1961, raconte en termes voilés « une guerre pour rien » [56]. Son camarade Sergent retrace la même expérience [63] qui lui fit précéder ses chefs dans l’illégalité. On y trouve aussi des civils, tels que le professeur métropolitain Reimbold, décrivant en prison l’itinéraire de son engagement [53], et le journaliste algérois Brune, qui rappelle ses souvenirs de la guerre et témoigne sur ses compagnons d’exil [51]. Quelques hommes politiques d’envergure expliquent leur refus de reconnaître le pouvoir établi : Bidault [39] et Soustelle [73].
[4] L’ingénieur Rieunier [12] fait le procès du gaullisme, de 1940 à 1962, alors que le colonel Trinquier [15] rappelle les origines suspectes du pouvoir qui condamne les factieux. Le professeur Girardet explique les drames de conscience de l’armée française [9] et [31]. Le journaliste Figueras défend le général Salan [43]. Laroche y fait de même [21] ; avec d’Orcival, il présente une chaleureuse typologie des activistes [95]. Plus discrètement, le Cornec et Flament évoquent en images le rôle des appelés en Algérie [32], qui ont fait leur devoir « avec courage et générosité ». L’ancien gouverneur général de l’Algérie Naegelen épilogue sur les origines, le déroulement et les conséquences du conflit [48].
[5] C’est ainsi que R. Rostagny, ancien conseiller municipal d’Alger, a compilé en un gros volume toutes les coupures de presse annonçant les attentats et donnant les noms de leurs victimes [62]. Dans le même esprit, G. Perez a publié en deux tomes une sélection de fac-similés de journaux d’Algérie, allant du 2 novembre 1954 au 4 juillet 1962 [60].
[6] L’américain Sulzberger [13] et le français Tournoux [14] en sont les exégètes patentés. Dans [14] Tournoux présente l’OAS comme le dernier avatar de l’extrême-droite comploteuse : Il y donne la première version officieuse de l’ « affaire Si Salah ». Dans « la tragédie du général » [64], il reconstitue l’évolution de sa politique algérienne. Ferniot [42] reprend en 1965 son récit du 13 mai. Les ouvrages de Chaffard [41] et de Carreras [57] reflètent les vues « libérales » de l’ancien maire d’Alger, Jacques Chevallier, et mettent son action en vedette, notamment dans la conclusion de l’accord FLN-OAS en juin 1962.
[7] À côté de ces synthèses, quelques études ont été consacrées à des problèmes particuliers. Boisson-Pradier [67] utilise l’objectivité comme une arme contre les chrétiens favorables à l’indépendance, qu’il accuse d’avoir volontairement fermé les yeux sur les souffrances de leurs frères algériens. La thèse de droit de Bruno Étienne [77] explique avec une juste impartialité pourquoi les Européens d’Algérie, après avoir redouté, puis accepté, l’intégration des musulmans à la nation française, n’ont pas pu, ni voulu, s’intégrer à la nation algérienne. Les juristes algériens Marneri [88] et Belkherroubi [98] étudient la reconnaissance de l’État algérien en exil par la communauté internationale. En France, la dégradation des libertés publiques, et plus précisément le recours à la torture, sont abordés en juriste par Heymann [105], et en historien-militant par Vidal-Naquet [118].
[8] Figueras [85] apporte une lumière crue sur les complots gaullistes d’avant le 13 mai. Viansson-Ponté retrace les premières années de la république gaullienne [89], avec des jugements nuancés. Tournoux [96] donne des précisions inédites sur la politique dit général, Caviglioli et Pontaut des révélations sur les tentatives d’assassinat dirigées contre le président de la République [99]. Le correspondant américain Henissart raconte avec impartialité l’histoire de l’OAS [86]. Dans le même esprit, Israël [106] retrace la transition du cessez-le-feu à l’indépendance. Des documents accablants exposent en annexes la fusillade de la rue d’Isly, le sort tragique des harkis, le massacre du 5 juillet à Oran, et les disparitions de Français [104]. L’écrivain Serge Groussard évoque le tragique exode du peuple « pied-noir ».
[9] En dehors des officiels, quelques individualités ont pris des initiatives pour défendre la politique du chef de l’État contre les factieux. Le linguiste M. J. Calvet, aviateur en Algérie, raconte comment il a contrecarré l’action de quatre généraux [82]. Le journaliste Bitterlin retrace l’aventure des « barbouzes », qu’il a recrutés et commandés contre l’OAS [81].
[10] Ancien député et directeur de l’Écho d’Oran, Pierre Laffont [72] a tenté de faire comprendre la politique gaullienne et de rester dans l’Algérie indépendante. Son confrère algérois Alain de Sérigny [102] voit dans l’insurrection de mai 1945 le début de la guerre, il en attribue la responsabilité indirecte aux gaullistes et aux communistes, fauteurs de discorde. Mouton [109] apporte sur les complots activistes une lumière colorée par une idéologie délirante. L’auteur de la « famille Hernandez » [97] présente avec des arguments classiques la défense des siens.
[11] Sur le FLN, citons encore le travail d’Albert Fitte : Spectroscopie d’une propagande révolutionnaire, « El Moudjahid » du temps de guerre, juin 1956 - mars 1962, 310 p.,
[12] Une thèse de doctorat en cours procède de la même initiative. Cf. note 17, infra.
[13] C’est le cas du capitaine Curutchet, l’un des chefs de l’OAS- métropole [120], et celui du jeune tueur algérois Giacomoni [128].
[14] D’intérêt plus limité, les souvenirs de combattants renseignant moins sur le problème algérien que sur la réalité quotidienne de la guerre. Le général Bigeard [132] n’apporte aucune révélation ; son style populaire est celui d’un soldat sorti du rang, qui reconnaît avoir été grisé par la gloire. On n’y retrouve pas la sobre éloquence des commentaires qu’il rédigeait alors pour les albums de photographies du sergent Flament. Ce fidèle subordonné [134] nous en apprend autant, voire davantage, sur les victoires de son chef. Un autre ancien parachutiste, Georges Fleury, a raconté son expérience [122], puis retracé la triste aventure de ses anciens compagnons d’armes, les harkis [141]. L’écrivain Serge Groussard, volontaire en Algérie, en a rapporté la matière de trois récits, dans lesquels il n’a modifié que les noms des Français [129]. D’autres auteurs, ayant poussé plus loin la liberté du romancier, sont exclus de notre étude. Les histoires de « baroudeurs » sont un genre à la mode, d’intérêt très inégal. Nous ne pouvons les citer toutes.
[15] En plus des livres traduits en français déjà mentionnés (Behr, Kelly, Henissart, Field et Hudnut) citons quelques ouvrages importants : - Andrews (William G.) : French politics and Algeria : the process of policy formation 1954-1962. New York, Appleton Century Crofts, 1962. - Paret (Peter) : French revolutionnary warfare from Indochina to Algeria. New York - London, Praeger, 1964. - Brace (Richard and Joan) : Algerian voices. Princeton-London, Van Nostrand, 1965. - Cordon (David C.) : The passing of French Algeria (1930-1965), London, Oxford University Press, 1966. - Humbaraci (Arslan) : Algeria, a revolution that failed. London, Pall Mall Press, 1966. - O’Ballance (Edgar) : The Algerian insurrection 1954-1962. London, Faber and Faber, 1967. - Quandt (William B.) : Revolution and political leadership, Algeria 1954-1968. Cambridge-London, the MIT Press, 1969. - Heggoy (Alf Andrew) : Insurgency and counterinsurgency in Algeria, 1954-1958. Bloomington-London, Indiana University Press, 1972. Beaucoup d’autres thèses sont Inédites, entre autres : - Tucker (S. C.) : "The Fourth Republic and Algeria. University of North Carolina", Ph. D, 1966. - Geismar (P. M.) : "De Gaulle, the Army and Algeria : the civil-military conflict over decolonization, 1958-1962". Columbia University (New York), Ph. D, 1967. - Hutchinson (Martha C.) : "Revolutionnary terrorism : The FLN in Algeria, 1954-1962. University of Virginia, Ph D, 1973.
[16] München, Carl Haster Verlag, 1974, 908 p.
[17] - TRIMA (Mohammed) : "Le FLN algérien à travers son organe central « El Moudjahid », 1954-1962". Thèse de 3e cycle, histoire, Paris IV, 1973. - CHIKH (Slimane) : "La révolution algérienne, projet et action (1954-1962)", doctorat d’État, science politique, Grenoble. 1975. - TEGULA (Mohammed) : "L’Algérie en guerre (1954-1962) : foyers, bases et conduites de la lutte d’indépendance ; d’une étude régionale à une contribution à l’histoire de l’intérieur", thèse de 3° cycle, histoire, Paris VIII, 1976. - HARBI (Mohammed) : "La crise permanente du FLN (1954-1962)", thèse de 3e cycle, histoire, Paris VIII, 1977.
[18] Sujets déposés par des Algériens dans les universités françaises : - Benzine (Monique), née Gadant : "La représentation de la société algérienne dans El Moudjahid (1957-1962)" - 3e cycle en sociologie, EPHE, 6e section (M. Bourdieu), 1972. - Bouchène (Abdallah) : Le rôle de l’Islam dans la guerre d’Algérie, 3e cycle, histoire, Montpellier III (M. Martel), 1975. - Bouchentouf (Adda), née Cabans : La femme algérienne dans l’ALN et l’ANP, 3e cycle, histoire, Montpellier III (M. Martel), 1974. - Boutemmine (Mokhtar) : "L’idéologie réformiste en Algérie de 1945 à 1962", 3e cycle, Paris III (M. Arkoun), 1976. - Cheriet (Lazhari) : "La presse nationaliste en Algérie de 1945 à 1962", 3e cycle, histoire, Toulouse II (M. Godechot), 1973. - Hamzi (Djilali) : "Le commissaire politique dans la lutte de libération nationale algérienne (1954-1962)", 3e cycle, histoire, Montpellier III (M. Martel), 1975. - Khider (Ahmed) : "L’armée de libération algérienne dans la Mitidja (1960-1962)", 3e cycle, histoire, Montpellier III (M. Martel), 1976. Renseignements communiqués par le fichier central des thèses, Université de Paris X-Nanterre. Celui-ci regroupe tous les sujets de lettres et sciences humaines déposés et soutenus depuis 1965, et ceux de droit, de sciences économiques et politiques depuis 1974.
[19] Mais quelques thèses de 3e cycle ont abouti, dont celle de Régine GOUTALIER : "L’OAS en Oranie", Aix-Marseille I, 1975. Selon le fichier central des thèses, les sujets actuellement déposés sont les suivants : - Finet (Laurent) : "La guerre d’Algérie vue par le journal El Moudjahid", 3° cycle, sciences historiques et politiques, Rennes II (M. Denis), 1974. - Lorgeoux (Jeanny) : "La Franc-Maçonnerie et la guerre d’Algérie", 3e cycle, histoire, Dijon (M. Ligou), 1973. - Pervillé (Guy) : "L’information des Français sur le problème algérien de 1945 à 1962". Doctorat d’État, histoire, Paris I (M. Duroselle), 1972. - Vieillecroze-Weck (Jeanne) : "L’opinion publique française métropolitaine et civile devant la guerre d’Algérie", Doctorat d’État. Strasbourg II (M. Dreyfus), 1972.
[20] Se reporter au Répertoire des mémoires et thèses consacrés au Maghreb, publié par le centre de la Méditerranée moderne et contemporaine de l’Université de Nice, dans les Cahiers de la Méditerranée (2 fascicules parus, un troisième en préparation).