Historiens et géographes n° 315 (1987)

lundi 30 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Pierre Montagnon, L’affaire Si Salah, Paris, Pygmalion - Gérard Watelet, 187 p. (dont annexes, chronologie, bibliographie, index), est paru dans Historiens et géographes n° 315, juillet-août 1987, p. 1686. .

Pierre Montagnon, ancien membre du « soviet des capitaines » qui dirigeait l’OAS d’Alger, a déjà publié en 1984 une histoire de La guerre d’Algérie où il montrait une réelle volonté d’objectivité, puis une fresque historique de La conquête de l’Algérie. Il publie encore chez le même éditeur un récit de « l’affaire Si Salah », tentative de négociation secrète entre les chefs de la wilaya IV et le général de Gaulle, qui faillit, peut-être, changer l’issue de la guerre au printemps 1960, et persuada le général Challe que la victoire était à portée de main. L’auteur a scrupuleusement consulté presque toutes les versions - plus nombreuses et plus précises qu’il ne le dit - de cet épisode méconnu mais non inconnu. Il les a complétées par des témoignages inédits, dont le plus important est celui du colonel Fournier-Foch, qui rencontra deux fois Si Salah chez le bachaga Boualam. Après avoir intégré ces informations diverses dans un récit continu, il conclut sur des interrogations en présentant deux interprétations contradictoires des faits : celle des partisans du général de Gaulle, et celle de ses ennemis qui l’accusent d’avoir délibérément trahi Si Salah pour se débarrasser plus vite du fardeau algérien.

Pierre Montagnon semble pencher pour ce dernier côté. Pourtant, la version gaulliste résiste assez bien. S’il est vrai que De Gaulle n’a pas voulu tout miser sur « l’affaire Si Salah », on ne saurait dire sans illusion rétrospective qu’il a « refusé la paix des braves » pour livrer l’Algérie au GPRA. Au contraire, il a rompu les discussions de Melun faute d’avoir obtenu son adhésion aux conditions de cessez-le-feu qu’il avait imposées à la wilaya IV. De même, la grave accusation lancée contre Edmond Michelet (qui aurait informé Krim Belkacem de l’initiative de Si Salah dès le 26 mars 1960) appelle des réserves : elle repose sur un entretien tardif du général Jacquin avec l’ancien vice-président du GPRA, mais elle est démentie par tous les autres témoignages algériens, selon lesquels le GPRA ne fut informé qu’en juillet 1960, après la rupture de Melun (29 juin) et le retournement de Si Mohammed contre Si Salah (30 juin). La décision d’envoyer le commandant Benchérif reprendre en main la wilaya IV ne fut connue des services secrets français qu’en juillet ; et celui-ci arriva sur place le même mois suivant sa version, ou plutôt à la fin août suivant la thèse bien documentée de Mohammed Teguia. Enfin, Si Salah fut surtout trahi par sa propre franchise : le violent message radio qu’il adressa le 15 avril au GPRA, la lettre que Ferhat Abbas reçut de lui en juillet, ne pouvaient que les alerter. Le négociateur français Bernard Tricot a raison de noter une contradiction fondamentale dans sa volonté de faire la paix sans trahir ses compagnons de lutte. Mais la clé du comportement du général de Gaulle se trouve sans doute dans les contacts secrets (encore très mal connus) qu’il aurait fait prendre dès 1959 par plusieurs intermédiaires (dont Edmond Michelet n’était pas le seul) en vue de rallier le GPRA à sa politique d’Algérie algérienne associée à la France.

Guy Pervillé



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