Historiens et géographes n° 325 (1989)

dimanche 6 juillet 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Guy Delanoë, Lyautey, Juin, Mohammed V : fin d’un protectorat, Paris, L’Harmattan, 1988, 223 p., a été publié dans Historiens et Géographes n° 325, novembre 1989, p. 378.

Le docteur Guy Delanoë est né au Maroc en 1916, de parents médecins, dévoués au peuple marocain. Il partagea longtemps l’illusion de la « mission civilisatrice » du protectorat, jusqu’à ce que ses fonctions de médecin du travail dans une grande entreprise sucrière lui révèlent la réalité de l’exploitation coloniale. Après la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef (20 août 1953), il fut un des 75 Français du Maroc « libéraux » qui signèrent une lettre de protestation contre la politique de répression ; il fut élu président de leur mouvement « Conscience française ».

Ce livre, sous-titré « Mémoires historiques », est construit autour de la documentation personnelle de l’auteur et de témoignages de ses amis, complétés par la consultation des Archives du Quai d’Orsay, de celles du service historique de l’Armée de terre à Vincennes, et de celles du roi Mohammed V à Rabat. Il vaut surtout par l’abondance des documents qu’il reproduit in extenso ou cite longuement. Mais le manque de rigueur dans la méthode ne facilite pas la tâche du lecteur non familiarisé avec l’histoire du Maroc : les personnages ne sont pas tous présentés en temps opportun ; les notes servent à commenter les citations au lieu d’en indiquer les références précises ; les noms de certaines institutions sont déformés (gouvernement pour Conseil de gouvernement ; Assemblée législative pour Assemblée consultative). Le style abuse du futur et des points de suspension, et le ton paraît un peu trop manichéen dans sa dénonciation du « complot » colonialiste.

Néanmoins, l’auteur démontre assez clairement le dévoiement du protectorat vers l’administration directe malgré les mises en garde de Lyautey, la légitimité des revendications nationalistes marocaines cautionnées par le sultan Mohammed Ben Youssef, et les lourdes responsabilités de ses ennemis français (Bidault, Juin, Boniface) et marocains (le Glaoui, le chérif El Kittani) - dont il dresse des portraits peu flatteurs - qui déclenchèrent le chaos et la ruine du protectorat en croyant le sauver par leur coup de force du 20 août 1953. Ce premier tome s’arrête à cette date, un deuxième devant aller jusqu’au retour du sultan détrôné et à l’indépendance du Maroc. Dans une importante annexe (pp. 180-223), l’ancien ministre marocain Abderrahim Bouabid témoigne sur les origines du Manifeste de l’indépendance (11 janvier 1944) et sur la répression qui suivit.

Guy Pervillé



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