Historiens et géographes n° 314 (1987)

lundi 30 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Charles-André Julien, Et la Tunisie devint indépendante... (1951-1957), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1985, 217 p., bibliographie, index et photos hors-texte, est paru dans Historiens et Géographes n° 314, mai-juin 1987, p. 1346.

À l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, le patriarche de l’histoire de l’Afrique du Nord continue son œuvre, en publiant un récit de la crise finale du protectorat tunisien, qui fait suite à un ouvrage plus volumineux sur Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956) [1] et semble annoncer un autre sur la guerre d’Algérie. Fondé sur des témoignages directs et sur une bibliographie méthodique, scrupuleusement détaillée dans les notes, ce récit alerte et caustique fait revivre des faits alors peu connus en dehors de quelques spécialistes et militants, dont l’auteur de L’Afrique du Nord en marche [2].

Une introduction développée commence par retracer l’évolution du régime du protectorat, depuis le traité du Bardo signé en 1881 jusqu’à la rupture des négociations franco-tunisiennes entamées en 1950 par la note française du 15 décembre 1951, qui sous-entendait le principe de la co-souveraineté. Les chapitres suivants rapportent en détail la nomination du « résident introuvable », Jean de Hauteclocque, et ses premières mesures de force, sa lourde responsabilité dans l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hached, son remplacement trop tardif et inefficace par Jean Volzard ; enfin, l’inauguration d’une nouvelle politique par Pierre Mendès France, continuée par Edgar Faure et par Guy Mollet.

Ce livre est une étude de cas particulièrement intéressante pour les spécialistes des relations internationales qui s’efforcent d’éclairer les processus de prise de décision. L’auteur met en évidence les responsabilités, actives ou passives dans le déclenchement du conflit, des décideurs en titre, membres du MRP : d’abord le ministre des affaires étrangères Robert Schuman et son sous-secrétaire d’Etat chargé des protectorats, Maurice Schumann, de 1950 à 1952, puis George Bidault en 1953 et 1954. Mais il démontre également le rôle de deux groupes de pression politiques liés aux intérêts français en Afrique du Nord. D’une part, le « lobby » radical, réunissant le sénateur des Français de Tunisie Colonna, le sénateur d’Alger Borgeaud (président du groupe RGR au Conseil de la République), le député de Constantine René Mayer (président du Conseil de janvier à mai 1953), et les ministres Charles Brune et Léon Martinaud-Deplat. D’autre part, le gaulliste, représenté par le sénateur des Français de Tunisie Gabriel Puaux (ancien haut-commissaire au Levant et résident général au Maroc), son fils François Puaux (sous-directeur des protectorats au Quai d’Orsay en 1951) et le résident général Jean de Hauteclocque (cousin du général Leclerc et ancien collaborateur de Gabriel Puaux au Levant). Ce dernier groupe fut implicitement désavoué par le général de Gaulle pendant son voyage en Tunisie en 1953, ce qui encouragea d’autres gaullistes, dont Christian Fouchet, à participer à la nouvelle politique inaugurée par Pierre Mendès France.

Impartial dans sa méthode, mais non dans ses conclusions, Charles-André Julien ne cache pas son admiration pour ses amis Pierre Mendès France, Habib Bourguiba, et tous ceux qui ont eu le courage de rétablir le dialogue franco-tunisien ; alors qu’il ne ménage pas ceux dont il juge néfaste l’action ou l’inaction. Car il est persuadé, et arrive à nous démontrer, que le sort des peuples dépend souvent des vertus et des vices de leurs dirigeants (officiels ou officieux).

Guy Pervillé

[1] Éditions Jeune Afrique, 1978.

[2] Publiée par Julliard en 1952 et 1953, rééditée en 1972.



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