Jean Lacouture, Algérie, la guerre est finie (1985)

jeudi 19 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Jean Lacouture, Algérie, la guerre est finie, Bruxelles, Editions Complexe, collection La mémoire du siècle,1985, 208 pages, est paru dans Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 8, octobre-décembre 1985, pp. 161-163.

Jean Lacouture retrace en détail tout le processus de la longue et difficile négociation qui conduisit le général de Gaulle et le GPRA jusqu’aux accords d’Évian, avant de présenter plus brièvement le « sabotage » de ceux-ci et d’en proposer un bilan à partir des jugements contradictoires qu’ils ont suscités, résumé de leur texte à l’appui.

La personnalité de l’auteur, qui fut témoin et chroniqueur sympathisant de la décolonisation, donne à ce petit livre une saveur particulière de « choses vues », et entendues. Jean Lacouture met à contribution sa mémoire, ses interviews et ses articles de l’époque, tout en tirant parti de quelques ouvrages d’historiens, des témoins publiés par des acteurs ou des intermédiaires, et en les complétant par quelques entretiens rétrospectifs.

La vivacité du style et la pertinence générale de l’analyse méritent d’être signalées, en dépit de quelques imperfections. Les références ne sont pas assez fréquentes, et elles manquent à certaines affirmations de grande portée. Inversement, certains faits méconnus mais importants ne sont même pas mentionnés. Par exemple, l’auteur nous signale en incidente, et sans note, que le texte de l’allocution du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination a été communiqué dès le 10 à Ben Bella et à ses codétenus (page 33). On n’en est que plus étonné de le voir s’en tenir à leur récusation apparente par le général De Gaulle, après leur désignation comme négociateurs par le GPRA. En effet, on croit savoir aujourd’hui, de sources diverses [1], que de Gaulle avait accepté d’associer Ben Bella à la négociation, et fait connaître au GPRA sa préférence pour une « Algérie algérienne » dès décembre 1959.

De même, on aimerait en savoir davantage sur la note du Premier ministre transmise au GPRA par l’intermédiaire de Charles-Henri Favrod et d’Olivier Long, au lendemain du référendum du 8 janvier 1961 (page 58). Elle montre que de Gaulle a partagé la responsabilité de la relance avec Michel Debré. Fait d’autant plus intéressant que ce dernier aurait proposé au général Jouhaud de proclamer une République française d’Algérie [2] en novembre 1960 ; et qu’on le voit par la suite répugner à faire aboutir les négociations à tout prix.

L’auteur en retrace les difficultés, dues à l’écart initial des positions des deux parties et à leurs divisions. Il montre que la France a fait les plus grandes concessions, sur la représentativité du GPRA, sur le préalable du cessez-le-feu, enfin sur l’appartenance du Sahara à l’Algérie. En revanche, il insiste à juste titre sur les efforts déployés par les négociateurs français afin d’obtenir des garanties pour la communauté européenne ; mais il ne souligne pas assez que la persistance et la recrudescence du terrorisme du FLN leur enlevait à l’avance toute crédibilité. Ces circonstances atténuent la responsabilité qu’il attribue à l’OAS dans le « saccage » des accords d’Évian, et la pertinence du reproche qu’il fait à de Gaulle de ne pas avoir assez expliqué sa politique aux Français d’Algérie.

Jean Lacouture n’oublie pas de dénoncer la violation de la clause d’amnistie qui aurait dû protéger les « harkis » engagés du côté français, et de récuser leur identification simpliste à des « collaborateurs » (page 176), tout en contestant les estimations arbitraires du nombre de victimes de l’épuration affirmées par les partisans de l’Algérie française. Mais il aurait pu au moins rappeler la responsabilité du gouvernement français dans leur tragédie.

Son bilan final des accords d’Évian a l’habileté de confronter les jugements contradictoires de leurs détracteurs français (Maurice Allais, Jacques Soustelle) et de leurs critiques algériens (Kaïd Ahmed, Mohammed Harbi) avant de donner la parole à deux de leurs artisans, Saad Dahlab et Bernard Tricot. Le propre d’un compromis est de faire des mécontents des deux côtés. Mais celui-ci ne pouvait être vraiment équilibré, puisqu’il transférait la souveraineté sur l’Algérie du plus fort au plus résolu, en ménageant seulement les transitions, et les apparences.

Guy Pervillé

[1] Cf. Amar Hamdani, Le lion des djebels, Paris, Balland, 1973, pages 287-288 ; Henri Jacquin, La guerre secrète en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1977, pages 253-254 ; Alain de Boissieu, Pour servir le général, Paris, Plon, 1982, page 128.

[2] Cf. Edmond Jouhaud, Ô mon pays perdu, Paris, Fayard, 1977, pages 163-179, et Serons-nous enfin compris ?, Paris, Albin Michel, 1984, pages 275-277.



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