Les Mémoires de Messali Hadj (1984)

samedi 10 mai 2008.
 
Le compte-rendu de ce livre, Les Mémoires de Messali Hadj. Préface de Ben Bella. Paris, Jean-Claude Lattès, 1982, 22,5 cm, 321 p., est paru dans la Revue française d’histoire d’Outre-Mer, t. LXXI (1984), pp. 262-263.

Les Mémoires de Messali Hadj sont une version fortement condensée et réécrite des 4.400 pages manuscrites couvrant 17 cahiers et réparties en 302 courts chapitres laissées par le fondateur du nationalisme algérien, mort en juin 1974. Cette réduction atténue le caractère décousu de l’original, sans lui retirer tout le pittoresque de son style narratif. Les limites chronologiques (1898-1938), imposées par l’interruption forcée de la rédaction, correspondent exactement à la première page du mouvement national algérien (le titre original était : « Les origines du nationalisme algérien, et comment je suis venu à en être le fondateur »). Trois importantes leçons se dégagent de ce récit.

On y voit d’abord que les éléments constitutifs du nationalisme algérien existent dès le début du siècle dans la ville de Tlemcen : la foi islamique, entretenue par les confréries (notamment celle des Derkaouas, à laquelle appartient la famille Messali) ; et l’anticolonialisme (qui se manifeste en 1911 par l’« exode de Tlemcen », réaction de protestation contre le service militaire obligatoire). Ces deux sentiments inspirent une vive sympathie pour la Turquie, dernière puissance musulmane indépendante, et une forte sensibilité aux événements internationaux. La Première Guerre mondiale, que les musulmans algériens subissent de mauvais gré, achève de frayer la voie au nationalisme jusque-là inconscient (« Nous ne nous rendions pas compte que nous étions animés de sentiments nationalistes », p. 108). La mobilisation et la découverte de la France permettent au jeune Messali d’élargir ses horizons et de découvrir sa vocation de militant politique.

Le mouvement national algérien se distingue de beaucoup d’autres par le recrutement populaire de ses militants et de ses leaders. Messali naît dans une famille de paysans à demi dépaysannisés de la banlieue de Tlemcen. En dépit de ses liens de parenté avec des familles citadines plus aisées, il tâte de tous les métiers avant et après son service militaire. Installé à Paris en 1923, il découvre la condition prolétarienne (et le syndicalisme), puis opte pour celle de marchand forain (compatible avec son activité militante), après une brève expérience de permanent communiste. Ses compagnons se recrutent dans les mêmes milieux. Ce fait explique la rencontre du mouvement national en formation avec le parti communiste (qui préside à la fondation de l’Étoile nord-africaine en 1926), et les rapports ambigus qu’il entretient avec lui jusqu’à la rupture de 1936. Il permet aussi de comprendre sa profonde méfiance envers les bourgeois et les intellectuels algériens, très réticents à son égard : « La pauvreté parle un langage, et la richesse en parle un autre ».

On est enfin très frappé de voir Messali combiner à son nationalisme une réelle ouverture à la culture française. Il ne cesse de compléter son maigre bagage scolaire, héritage d’une fréquentation irrégulière, par des lectures d’autodidacte et par des conversations avec ses nombreux amis français (dont il parle avec émotion, comme de sa femme, née Émilie Busquant). Son action jusqu’en 1938 s’efforce de concilier une revendication nationale intransigeante sur le fond et une amitié sincère pour le peuple français. La plus grande faillite des gouvernements du Front populaire (auquel l’Étoile nord-africaine avait adhéré en 1935) fut de repousser cette main tendue, et de précipiter le nationalisme algérien dans la voie de l’insurrection violente par une politique de répression systématique.

Par ces trois aspects, ce livre est la meilleure réponse à la théorie de la « subversion » qui niait l’authenticité du nationalisme algérien en en faisant l’instrument d’impérialismes étrangers à l’Algérie (le « panarabisme » et le « communisme international »). C’est pourquoi il mérite une large diffusion.

Le lecteur pourrait regretter certaines imprécisions (par exemple, dans la chronologie de la rupture entre l’Étoile nord-africaine et le parti communiste, qui s’amorça dès 1928), et certains oublis (notamment celui des premières critiques formulées par Amar Immache contre le pouvoir personnel de Messali, dès décembre 1936). Heureusement, les notes et les postfaces de Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron et Mohammed Harbi - ainsi que la récente biographie de Messali par Benjamin Stora, (Messali Hadj, 1898-1974, Paris, Le Sycomore, 1982, 299 p.) - permettent de satisfaire les plus exigeants.

Quant à la préface d’Ahmed Ben Bella, elle relève d’un autre genre. L’hommage rétrospectif rendu à la mémoire de Messali par l’un de ceux qui l’avaient condamné après l’avoir vénéré, est un fait remarquable. Mais on peut s’interroger sur l’opportunité de sembler vouloir associer sa réhabilitation à la rentrée en scène d’un autre ancien leader déchu de la vie politique algérienne.

Guy Pervillé



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