Jérôme Hélie, Les accords d’Evian (1994)

lundi 23 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Jérôme Hélie, Les accords d’Évian. Histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992, 246 p., a été publié dans la Revue française d’histoire d’Outre-mer n° 303, 2ème trimestre 1994, pp. 216-217.

Ce livre d’un jeune auteur, qui a l’âge de son sujet, est à la fois séduisant et irritant. Né en 1962, Jérôme Hélie a toujours connu l’Algérie comme un pays étranger et a échappé à toute nostalgie de l’Algérie française. Le sous-titre de son ouvrage n’est donc pas le produit d’une quelconque passion anti-gaulliste, mais un constat objectif et difficilement contestable, à moins d’admettre que le but essentiel des accords d’Évian était de décharger la France du fardeau algérien et que tout le reste était secondaire.

Écrivant avec aisance, quand il ne cède pas à la tentation du jargon abscons (que signifie « la guerre d’Algérie qui est pour nous un satellite de notre passage à la modernité » ?), l’auteur propose un ensemble de réflexions très pertinentes sur les logiques nationales du général de Gaulle et du FLN, et sur la signification de la décolonisation dans l’histoire des deux pays ; elles semblent devoir beaucoup à des auteurs comme Odile Rudelle (dont la communication sur « Le gaullisme et la crise de l’identité républicaine » au colloque La guerre d’Algérie et les Français aurait pu être citée) et Mohammed Harbi. Il apporte également les résultats originaux d’une enquête orale auprès de six personnalités françaises (René Brouillet, Claude Chayet, Vincent Labouret, Bruno de Leusse, Yves Roland-Billecart et Bernard Tricot), qui lui permettent d’évoquer avec vivacité les acteurs de la négociation et de citer leurs réactions et réflexions sur ses péripéties et ses résultats.

Cependant, il semble surestimer les possibilités de l’histoire orale, et sous-estimer les ressources de la documentation écrite publiée, dont il ne donne aucune bibliographie (bien que les références données en notes ne soient pas indigentes). Il donne ainsi l’impression de trop dépendre de ses informateurs et d’ignorer certains faits que leur mémoire n’a pas retenus. Par exemple, d’éventuelles tentatives de négociation entre de Gaulle et le FLN avant l’affaire de la wilaya IV, mentionnées par plusieurs auteurs (Amar Hamdani : Krim Belkacem, le lion des djebels, Balland, 1973, pp. 287-288 ; Henri Jacquin : La guerre secrète en Algérie, Olivier Orban, 1977, pp. 253-254 ; et Alain de Boissieu : Pour servir le général, Plon, 1982, pp. 127-128). De même, la politique de négociation avec le GPRA n’est pas entrée dans sa « phase finale », le 4 novembre 1960, puisqu’à cette date le général de Gaulle menaçait encore le FLN de construire la République algérienne sans lui s’il refusait de se rallier à sa politique d’autodétermination ; ce qu’il confirma le 25 novembre 1960 au député d’Oran Pierre Laffont. Enfin, Jérôme Hélie ne dit rien de la nouvelle doctrine de l’autodétermination impliquant la négociation sans préalable d’une solution commune entre le gouvernement français et le GPRA (élaborée par la gauche française dans les colloques juridiques de Royaumont, Aix-en-Provence et Grenoble), que De Gaulle finit par adopter - même si ses informateurs prétendent n’en avoir jamais entendu parler.

En somme, il s’agit d’un livre stimulant, mais plus utile par ses réflexions de sciences politiques que par son apport proprement historique. Ses limites seraient plus aisément excusables si l’auteur ne se mettait pas en avant en abusant du « je » et du « nous » - bien inutilement, puisqu’il reconnaît n’avoir aucune relation personnelle avec son sujet - et s’il n’avait pas l’imprudence de prétendre avoir « repris le dossier à zéro » sur la dernière page de couverture... Souhaitons à l’auteur de dépasser rapidement ces défauts de jeunesse.

Guy Pervillé



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