Patrick Rotman et Bertrand Tavernier,
La guerre sans nom. Les appelés d’Algérie (1954-1962), Paris, Le Seuil, 1992, 306 p.
Benjamin Stora,
Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France (1912-1992), Paris, Fayard, 1992, 492 p.
Compte-rendu paru dans Vingtième siècle, revue d’histoire n° 36, octobre-décembre 1992, pp. 115-116.
Ces deux livres, parus simultanément en février 1992, n’ont en commun que l’Algérie, destination involontaire des appelés métropolitains, mais patrie regrettée et désirée des émigrés algériens en France, qui ont fini par y devenir des immigrés et leurs enfants des Français.
Patrick Rotman et Bertrand Tavernier ont jugé bon de publier une version écrite de leur enquête cinématographique sur la mémoire des anciens appelés et rappelés en Algérie qu’ils ont retrouvés dans la région de Grenoble. On connaît la valeur du film qui a permis à une trentaine d’entre eux d’exprimer pour la première fois leurs souvenirs enfouis, avec une grande force de conviction et d’émotion. Le livre permet d’en corriger certaines insuffisances, en utilisant des fragments d’interviews coupés au montage, en présentant plus complètement les témoins, en insérant des repères historiques. Sous ces deux formes, l’enquête nous présente « un tableau sans doute fidèle de ce que fut la guerre des appelés », sans en négliger aucun aspect, notamment le fait que les « paras » étaient en majorité recrutés dans le contingent. Elle exprime néanmoins un point de vue particulier, celui des appelés métropolitains pour qui l’Algérie était une aventure dont la plupart ne voulaient pas, différent de ceux des « baroudeurs » professionnels et des Français nés outre-Méditerranée.
Le livre de Benjamin Stora est un bon travail de vulgarisation historique sur un phénomène d’actualité enraciné dans la durée. Prenant appui sur sa thèse de doctorat d’État soutenue à l’Université Paris XII en 1991, Histoire politique de l’immigration algérienne en France, 1922-1962, l’auteur retrace avec concision les grands traits d’une évolution complexe et riche en paradoxes. Ce sont les travailleurs algériens émigrés en France qui y trouvèrent la possibilité d’affirmer leur sentiment national et de lui donner une expression organisée, l’Étoile nord-africaine, qui de là essaima dans la mère-patrie sous les noms de PPA puis de MTLD. L’organisation de l’émigration, une fois réduite à des proportions plus normales dans l’ensemble du mouvement national algérien, devint un enjeu essentiel des luttes de tendances à l’intérieur du MTLD, puis d’une véritable guerre civile entre les deux frères ennemis MNA et FLN, dont le vainqueur, la Fédération de France du FLN, fut à son tour écarté du pouvoir par les nouveaux maîtres de l’Algérie indépendante. Mais le plus grand paradoxe est l’enracinement définitif de cette population émigrée qui jusqu’en 1962 identifiait l’indépendance et le rêve du retour au pays, et qui doit se reconnaître immigrée, quand ses enfants en viennent à revendiquer la citoyenneté française que certains Français leur contestent (comme à ceux des harkis).
Pour mieux éclairer ce retournement de situation, il aurait sans doute fallu développer davantage l’analyse des facteurs fondamentaux de la migration algérienne vers la France. On aimerait aussi trouver des références plus fréquentes et plus précises aux documents et aux travaux utilisés. Souhaitons donc une prochaine publication de la thèse de Benjamin Stora.
Guy Pervillé