Pierre Vidal-Naquet, Face à la raison d’Etat, un historien dans la guerre d’Algérie (1991)

samedi 21 juin 2008.
 
Ce compte-rendu du livre de Pierre Vidal-Naquet, Face à la raison d’État. Un historien dans la guerre d’Algérie, La Découverte, collection « Cahiers libres », Paris, 1989, 259 pages, est paru dans la Revue française d’histoire d’Outre-mer n° 291, 2ème trimestre 1991, p. 281 .

Cet ouvrage rassemble divers textes publiés par Pierre Vidal-Naquet au cours de sa longue lutte contre la torture, ce mal du siècle, de 1957 à 1988. Ils sont regroupés en trois parties thématiques (« La résistance à la guerre d’Algérie », « L’État français et la torture », « L’État algérien et la torture »), précédés d’une introduction qui retrace l’engagement de l’auteur et de ses amis, et dresse un bilan critique de leur action. D’après lui, ce bilan est victorieux sur un seul point : l’établissement de la vérité historique sur les crimes de l’armée et de la police françaises, malgré les mensonges de la « raison d’État ». Bel exemple d’histoire immédiate, où se rejoignent la déontologie de l’historien et celle du militant passionné de justice. Mais il reconnaît aussi avoir échoué, en s’imaginant qu’il appartenait aux Français et aux Algériens de punir chacun leurs propres criminels de guerre ; qu’en conséquence les assassins de Maurice Audin et de tant d’autres seraient un jour châtiés, et que l’État algérien mettrait la torture hors-la-loi d’une façon autre que purement formelle.

Pierre Vidal-Naquet reconnaît avoir péché par naïveté, mais son autocritique ne va pas assez loin pour rendre compte de toutes ses désillusions. Il s’honore à juste titre d’être resté fidèle à son engagement moral en refusant de nier ou de justifier, et même en condamnant les injustes violences commises par des gendarmes français sur des membres présumés de l’OAS, par le FLN sur des prisonniers de guerre français et sur des anciens « harkis », et par l’État algérien jusqu’aux journées d’octobre 1988. Mais son engagement anticolonialiste lui interdisait (et semble lui interdire encore) de mettre sur le même plan les crimes des oppresseurs français et ceux des opprimés algériens, les premiers étant d’après lui « infiniment plus nombreux et plus anciens ». N’était-ce pas méconnaître fondamentalement la double nature de la révolution algérienne, à la fois soulèvement anticolonial et construction d’un État autoritaire pat des méthodes de guerre civile ? N’était-ce pas aussi s’interdire de comprendre pourquoi les deux camps n’ont voulu châtier ou venger que les crimes de l’autre, en ignorant l’interaction réciproque des deux violences qui se justifiaient l’une par l’autre ?

Guy Pervillé



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